Russia Beyond the Headlines (France)

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Mercredi 19 novembre 2014

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Visions de la Russie Distribué avec

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C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U

PARITÉ : LE MUR DE LA POLITIQUE En Russie, le pouvoir ne change pas de sexe : au cours des dernières décennies, le nombre de femmes exerçant des responsabilités politiques a diminué de près d’un tiers.

ENTRETIEN AVEC MIKHAÏL GORBATCHEV

« Je m’oppose à tous les murs » C’EST LE MESSAGE LANCÉ PAR LE PREMIER ET LE DERNIER PRÉSIDENT DE L’URSS AU COURS DE

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L’ENTRETIEN EXCLUSIF QU’IL NOUS A ACCORDÉ. VINGT-CINQ ANS APRÈS LA CHUTE DU MUR DE

LES TOURISTES RUSSES BOUDENTILS LA FRANCE ?

BERLIN, LA QUESTION SE POSE : UN NOUVEAU MUR S’ÉRIGE-T-IL ENTRE L’EST ET L’OUEST ?

Depuis le début de l’année, la Ville Lumière a enregistré une chute de 7% du nombre de touristes en provenance de Russie. Est-ce la faute d’un rouble affaibli ou l’effet d’un réflexe patriotique après les sanctions européennes ? PAGE 3

LA VÉRITÉ CACHÉE PAR LES SOVIETS Le 9 novembre 1989, la chute du Mur de Berlin était à « la une » de la presse mondiale mais largement occultée en URSS. Conscients du risque d’effondrement du camp socialiste, les journaux soviétiques avaient préféré passer sous silence ce choc sismique pour le régime. PAGE 5

L’ORDRE MONDIAL SANS RÈGLES

DANIL GOLOVKIN

Devant les membres du club de Valdaï, le président russe Vladimir Poutine a défendu la vision d’un monde multipolaire et fustigé l’absence de règles dans un ordre mondial dominé par les États-Unis, explique le politologue Fedor Loukianov.

f r. r b t h . c o m

À LIRE SUR NOTRE SITE WEB

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L’année 1989 est celle de la chute du Mur de Berlin. Mais celle-ci n’est intervenue qu’au mois de novembre. Durant l’été précédent, au cours d’une conférence de presse à l’issue des négociations de Bonn avec le chancelier Kohl, une personne vous a interpellé en demandant : « Que va-t-il se passer avec le Mur ? ». Vous avez alors répondu : « Sous la Lune, rien n’est éternel. Le Mur pourra disparaître lorsque les conditions ayant conduit à sa création ne seront plus en place. Je ne vois pas ici de difficulté majeure ». À quel déroulement des événements vous attendiez-vous alors ? À l’été 1989, ni moi-même ni le chancelier Kohl ne nous attendions bien évidemment à ce que tout se déroule aussi rapidement, je ne m’attendais pas à ce que le Mur tombe au mois de novembre. Nous l’avons d’ailleurs tous deux reconnu par la suite. Je ne prétends pas être un prophète. Il arrive que l’histoire accélère sa course. Elle punit alors tous ceux qui se trouvent en retard. Mais elle punit encore plus sévèrement tous ceux qui prétendent se mettre en travers de son chemin. Cela aurait été une grave erreur que de rester derrière le rideau de fer. C’est pourquoi il n’y a eu aucune pression de notre part sur le gouvernement de la République démocratique allemande (RDA). Lorsque le déroulement des événements a commencé à s’accélérer de façon inattendue, les dirigeants soviétiques ont pris la décision unanime – je tiens à souligner ce fait – de ne pas interférer dans les processus internes à l’œuvre en RDA, et donc de faire en sorte que nos troupes ne sortent sous aucun prétexte de leurs garnisons. Je suis aujourd’hui convaincu que cela était la bonne décision.

C U LT U R E

SCIENCES & TECH

POLITIQUE & SOCIÉTÉ

Andreï Zviaguintsev : Léviathan a gagné une bataille contre le népotisme russe

Une nouvelle appli reconstitue l’histoire de la Russie dans une nouvelle réalité

Les loisirs extrêmes des Russes

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Quels sont les éléments ayant au final permis de mettre un terme à la partition de l’Allemagne et qui, selon vous, ont joué un rôle décisif dans la réalisation de cette réunification pacifique ? Ce sont les Allemands eux-mêmes qui ont joué le rôle décisif dans la réunification de l’Allemagne. Je ne parle pas ici seulement des manifestations de masse en faveur de l’unité, mais également du fait qu’au cours des décennies d’aprèsguerre, les Allemands de l’Est comme de l’Ouest ont apporté la preuve qu’ils avaient tiré les leçons du passé et que l’on pouvait leur accorder notre confiance. En ce qui concerne le déroulement pacifique de la réunification et le fait que ce processus n’a pas débouché sur une dangereuse crise internationale, je pense qu’un rôle décisif a ici été joué par l’Union soviétique. Nous autres, au sein de la direction soviétique, nous savions que de tous les peuples de l’Union soviétique, les Russes étaient les plus sensibles aux aspirations des Allemands à vivre au sein d’un État démocratique unifié. Je voudrais également souligner qu’au-delà de l’URSS, les autres acteurs du processus de règlement final de la question allemande ont également fait preuve de mesure et de sens des responsabilités. Je parle ici des pays de l’Alliance atlantique : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Ce n’est aujourd’hui un secret pour personne que François Mitterrand, comme Margaret Thatcher, avait de sérieux doutes sur le rythme de la réunification. La guerre avait tout de même laissé une marque profonde. Mais lorsque tous les aspects ayant trait à ce processus ont été résolus, ils ont signé les documents mettant fin à la guerre froide. SUITE EN PAGE 4

CHUTE DU MUR : UN MIRACLE ALLEMAND AVEC LA BÉNÉDICTION DE MOSCOU FR.RBTH.COM/31501


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POLITIQUE & SOCIÉTÉ

PARITÉ Depuis la chute de l’Union soviétique, la présence des femmes russes dans les structures politiques a diminué d’un tiers

Le pouvoir ne change pas de sexe La Russie recule nettement au classement établi par le Forum économique mondial dans son « rapport sur la parité entre hommes et femmes ». La vie politique serait le critère le plus révélateur des inégalités entre les sexes.

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ANASTASSIA MALTSEVA, EVGUENIA CHIPOVA POUR RBTH

Autrefois, l’URSS était à l’avant-garde

femmes dans le gouvernement, sur 32 ministres

La carrière ascendante deValentina Matvienko, reélue fin septembre à la présidence du Conseil de la Fédération, c’est l’exception qui confirme la règle. La Russie n’occupe que la 125ème place en matière de parité en politique, selon le rapport annuel du Forum économique mondial. La France se situe au 16ème rang de ce classement. Le recul de la représentation féminine dans les structures de prise de décisions est également souligné par les experts russes. Selon une étude récente menée par la Faculté d’économie de l’Université d’État de Moscou (MGU), ces vingt dernières années, la part des femmes dans l’exercice des responsabilités politiques est passée de 30% à 10%.

La situation des femmes soviétiques était bien meilleure que celle de leurs camarades de l’autre côté du rideau de fer, y compris les Françaises. Eveline Endrelein, directrice du Département d’études slaves de l’Université de Strasbourg, explique ce phénomène par le fait que l’émancipation de la femme en URSS est intervenue assez tôt – dans les années 30 (les années 70 pour les Françaises) – alors que les années 1980 et le début 1990 ont vu s’amorcer un retour de la femme au foyer : « Le pays était très émancipé et les femmes à cette époque-là étaient extrêmement visibles dans la vie de la société, beaucoup plus qu’en France », précise Mme Endrelein, ajoutant qu’actuellement on assiste à une « révision de cette tendance ». Le système éducatif soviétique était exempt de toute ségrégation entre les sexes, note de son côté Catherine Mantel, directrice de projets Russie et CEI pour GDF Suez : « Il n’y avait pas, par conséquent, de problèmes d’accès à l’éducation ou de développement de carrière. On trouvait beaucoup de femmes dans les secteurs traditionnellement perçus comme "non féminins" ». Catherine Mantel rappelle que c’est n’est que dans les années 1970 que les Françaises ont été admises dans les grandes écoles de commerce. Il convient toutefois de noter qu’elles bénificiaient d’une série d’autres atouts contrairement à leurs consœurs soviétiques, dont un meilleur système de garde d’enfants. Mme Mantel estime cependant que de nos jours, la Russie est « revenue dans le moule européen », devenant beaucoup plus proche du modèle occidental « où les femmes ont rarement un rôle très visible ».

29 femmes au Conseil de la Fédération sur 170 sénateurs

FINE-ART/VOSTOCK-PHOTO(3)

La politique au masculin Maître de conférences en démographie à la MGU, Irina Kalabikhina a attribué cette dynamique négative au fait qu’au temps de l’Union soviétique, des quotas spécifiques garantissaient au moins 30% de femmes dans les structures politiques. « Après la chute de l’URSS, nous avons abandonné cette pratique et aujourd’hui, le niveau de participation des femmes dans la politique du pays varie entre 10% et 13% », a expliqué Mme Kalabikhina lors d’une conférence de presse à l’agence d’information internationale RIA Novosti. Plus on monte dans la hiérarchie du pouvoir, moins les femmes sont présentes, souligne-t-elle. Elles sont nombreuses à n’être que des collaboratrices de base du pouvoir exécutif (à peu près 72%), les postes de direction étant principalement occupés par des hommes. Au niveau gouvernemental, elles ne sont que deux pour 30 hommes (6%) et pré-

pris et d’abord « en politique, parce que chaque Lénine a sa Kroupskaïa [Nadedja, son épouse et collaboratrice politique, ndlr]. Et comment ne pas parler de l’art et de la littérature? Quel artiste n’a pas été inspiré par une femme, de Pouchkine à Tsereteli ? ».

En chiffres

Affiches soviétiques en faveur de l’émancipation (en haut). En médaillon : Lili Brik, muse du poète Vladimir Maïakovski et égérie de l’émancipation du début du XXème siècle.

sentes à hauteur de 14% seulement dans la législature. Selon Natalia Korostyleva (de l’Académie présidentielle russe de l’économie nationale et de l’administration publique), quand une femme a les compétences requises pour postuler à un poste de direction et est en concurrence avec un homme, la préférence va à ce dernier. Cette situation tient aux stéréotypes qui subsistent dans la société russe en matière de genre, et qui conduisent à penser que les responsabilités politiques ne sont pas pour les femmes. « Les femmes sont plus nombreuses dans des sphères telles que l’éducation, la médecine, les services sociaux, la politique de la jeunesse, etc., note Mme Korostyleva. Mais même dans ces domaines, ce sont les hommes qui sont aux commandes ».

L’inégalité est la norme... qui va dans les deux sens L’inégalité entre les hommes et les femmes est perçue comme la norme dans

61 la société russe, affirme à notre journal Léonti Byzov, maître de recherche à l’Institut de sociologie auprès de l’Académie des sciences (RAN), notant toutefois que malgré une faible représentation féminine dans les rangs des dirigeants, la Russie présente un visage beaucoup plus nuancé. « Si l’on considère la psychologie du Russe moyen, sa famille se compose d’une femme forte et d’un homme faible. La tradition est la suivante : dans la hiérarchie de la société, la femme doit officiellement occuper une position inférieure à celle de l’homme et influencer ses actions par d’autres moyens. Ce n’est pas par hasard que l’on dit en Russie : "l’homme est le cerveau, la femme, la nuque"», explique M. Byzov. Un point de vue partagé par le psychologue et spécialiste des relations interpersonnelles Sergueï Seliverstov. Ce dernier a déclaré au journal Kommersant que la Russie était sans doute le seul pays au monde où les femmes ont toujours occupé une place centrale, y com-

femmes à la Douma sur 450 députés

ÉDUCATION Plus de 2 000 Russes vont étudier en France

Le rapport qualité-prix

Malgré le rôle dominant de la culture anglo-saxonne, l’héritage français jouit, aujourd’hui comme naguère, d’un statut à part auprès des Russes. DARIA LIOUBINSKAÏA POUR RBTH

Le français, langue de la noblesse russe, de la grande littérature, puis celle du pays socialiste fraternel, est populaire en Russie depuis la nuit des temps. Il reste aujourd’hui la troisième langue étrangère la plus parlée dans le pays derrière l’anglais et l’allemand. Mais la concurrence est rude. Bien que les richesses culturelles françaises soient toujours un élément important de l’attrait de la langue pour les Russes, ces derniers temps, les considérations purement pragmatiques l’emportent sur le goût du beau. Les jeunes Russes se mettent aux études en espérant pouvoir s’inscrire dans l’une des universités françaises ou même s’installer dans une région francophone, par exemple le Québec.

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La langue et la culture françaises conservent leur prestige en Russie En URSS, le français avait conservé ses positions grâce à son immense influence sur les Russes, puis les Soviétiques

Igor Siniatkine, responsable du bureau Campus France, structure par laquelle transitent tous les étudiants russes qui souhaitent s’inscrire dans les établissements français, explique que chaque année, entre 2 000 et 2 500 étudiants partent étudier dans l’Hexagone. « Ces chiffres restent stables et ne changent pas d’année en année. Toutefois, compte tenu du trou démographique des années 90, on peut dire que les étudiants sont actuellement plus nombreux à partir », a-t-il indiqué à notre journal. Par ailleurs, la majorité s’inscrit non en licence, mais en troisième cycle, avec une préférence particulière pour les sciences humaines – économie, gestion, psychologie, philologie, histoire, étude des arts –, souligne M. Siniatkine. Que recherchent les étudiants russes dans les universités françaises ? En premier lieu, la qualité de l’enseignement qui sous-entend la profondeur, l’universalité et l’approche critique. « On ne vous y apprend pas à mémoriser, mais à ré-

fléchir, formuler et défendre sa position », note Svetlana Mikhaïlova, diplômée de Sciences Po. En outre, le diplôme supérieur français offre à son heureux détenteur l’accès au marché du travail dans toute l’Union européenne, précise-t-elle. L’enseignement français séduit les Russes également par son coût abordable. Si l’éducation dans les établissements prestigieux de Russie et dans la plupart des pays de l’Union peut atteindre plusieurs milliers d’euros par an, l’année universitaire en France coûte en moyenne 300 euros au maximum, selon Campus France.

Un contexte culturel porteur Pourtant, quelles que soient les motivations pragmatiques, de nombreux Russes font l’apprentissage du français pour se familiariser avec une culture dont la richesse est un facteur d’attraction. D’ailleurs, la maîtrise du français était déjà l’un des attributs de la « haute société » dans l’Empire russe.

Des étudiants jettent leur toque en l’air après la remise des diplômes aux lauréats de leur promotion.

En ligne

L’apprentissage du russe cède du terrain en France fr.rbth.com/28351

À l’époque soviétique, la « haute société » en tant que telle a été éliminée, mais le français avait conservé ses positions grâce à son immense influence culturelle sur les Russes, puis les Soviétiques. Nombre de générations de Russes ont grandi en lisant Dumas, Maupassant et Hugo, puis, dans les années 60 et 70, adoré le cinéma français qui a connu un véritable engouement en URSS. L’Institut français, qui a ouvert ses portes dans la capitale russe en 1992, est un phare culturel et sans doute le principal centre d’apprentissage de la langue française. L’établissement ne se limite pas à l’enseignement de la grammaire et de la syntaxe – nombre de manifestations culturelles sont organisées sous son égide, depuis les dégustations de fromages jusqu’aux rencontres avec les maîtres du cinéma français. C’est bien cet aspect de son activité qui constitue le véritable attrait pour de nombreux étudiants. Valeria Sofyina, une étudiante, nous a expliqué que c’est l’amour de la capitale française qui l’avait poussée à s’inscrire à l’Institut : « Mon grand-père m’a amenée une fois à Paris. « Je suis tombée amoureuse de cette ville ! J’ai voulu apprendre la langue pour y retourner, préparée ». Valeria affirme que les manifestations culturelles organisées par l’Institut aident à comprendre la culture et les traditions françaises. C’est l’amour de l’art, et en particulier du cinéma français, qui a pour sa part incité Damir Mingalimov, un autre étudiant de l’Institut, à apprendre la langue. En vrai cinéphile, Damir préfère évidemment regarder ses films favoris en version originale. Donc en français.

RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH) PUBLIE 29 SUPPLÉMENTS DANS 23 PAYS POUR UN LECTORAT TOTAL DE 30 MILLIONS DE PERSONNES ET GÈRE 20 SITES INTERNET EN 16 LANGUES. LES SUPPLÉMENTS ET CAHIERS SPÉCIAUX SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), ET DIFFUSÉS DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX SUIVANTS: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • HANDELSBLATT, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • DUMA, BULGARIE • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • POLITIKA, GEOPOLITI KA, SERBIE • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATS-UNIS • THE ECONOMIC TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • HUANQIU SHIBAO, CHINE • LA NACION, ARGENTINE • FOLHA DE S.PAULO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • SYDNEY MORNING HERALD, THE AGE, AUSTRALIE • ELEUTHEROS TYPOS, GRÈCE • JOONGANG ILBO, CORÉE DU SUD • GULF NEWS, AL KHALEEJ, ÉMIRATS ARABES UNIS • THE NATION, PHUKET GAZETT, THAÏLANDE. COURRIEL : FR@RBTH.COM. POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER FR.RBTH.COM. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)


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ÉCONOMIE

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TOURISME Sanctions, chute du rouble et réflexe patriotique : autant de facteurs négatifs qui pèsent sur la fréquentation

été effectuées par des Américains contre 220 000 depuis la Russie.

Dès le début de la crise ukrainienne et l’adoption de tout un train de sanctions par l’Occident, le nombre de touristes russes a sensiblement régressé en France. Conséquence de la baisse du pouvoir d’achat ou choix politique ?

Un repli sur Sotchi et la Crimée L’été dernier, la vice-ministre russe de la Culture chargée du tourisme, Alla Manilova, faisait déjà savoir que la demande des Russes pour les destinations européennes avait commencé « à chuter après que l’Union européenne eut imposé des sanctions économiques ». Elle ajoutait que cette baisse pourrait atteindre 15 à 30% d’ici à la fin de l’année dans les pays d’Europe de l’Ouest, notamment la France. Mais si les Russes se sont davantage tournés cette année vers les destinations intérieures comme Sotchi et la Crimée – au premier trimestre 2014, l’Agence fédérale du tourisme russe, Rostourism, annonçait un repli de 4,4% des voyages à l’étranger au profit de la Russie –, faut-il y voir pour autant un boycott des destinations européennes pour des raisons politiques ?

BENJAMIN HUTTER POUR RBTH

Paris, qui faisait l’objet d’un véritable engouement ces dernières années parmi les Russes, reflète bien la baisse récente de la fréquentation. De janvier à août 2014, la capitale française a accueilli 7% de touristes russes de moins qu’à la même période en 2013. « Le chiffre n’est pas catastrophique en soi, mais il faut le mettre en rapport avec l’évolution fulgurante de ces dernières années », commente CharlesHenri Boisseau, chargé d’études à l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris. De 2010 à 2011 en effet, la fréquentation hôtelière des touristes en provenance de Russie avait bondi de près de 20% dans la capitale, de 7% l’année suivante et de plus de 15% entre 2012 et 2013, selon les chiffres de l’Office. Il convient de relativiser cependant l’impact économique : « Pour un touriste russe à Paris, on compte cinq touristes américains – de janvier à août 2014 la fréquentation globale est donc restée très satisfaisante », nuance M. Boisseau. Au total, sur 6 millions de réservations hôtelières de janvier à août 2014, plus d’un million avaient

La chute du rouble pénalisante à l’étranger

Hausse du tourisme autochtone en Russie La proportion de Russes passant leurs vacances à l’intérieur du pays a augmenté cette année de 25% à 30%, selon les données préliminaires de l’Agence fédérale pour le tourisme (Rostourisme). Le nombre de départs à l’étranger et l’afflux de touristes vers la Russie étaient en baisse pour la saison. Toutefois, il serait prématuré de parler d’une tendance.

SHUTTERSTOCK/LEGION-MEDIA(2)

Les touristes russes boudent-ils la France malgré eux ?

Cette inversion de tendance est d’abord à mettre au compte de la dévaluation du rouble, selon Charles-Henri Boisseau. « Le cours de la monnaie russe, comme celle du Brésil et du Japon, a baissé brusquement cette année. Au final, voyager vers la France coûte plus cher qu’il y a deux ans », remarque-t-il. Le calcul est simple en effet : si un aller-retour en avion sur Paris au départ de Moscou, au prix de 500 euros, coûtait environ 20 000 roubles à un Russe en 2011, il lui faut aujourd’hui en débourser 30 000 en tenant compte uniquement de l’évolution du taux de change – sachant que les salaires en Russie n’ont pas, de loin, augmenté à cette vitesse, voire pas du tout, et que l’inflation a atteint près de 8% cette année dans le pays, plombant encore davantage le budget des ménages. Un constat confirmé par Maïa Lomidze, directrice de l’Association des Tours opérateurs de Russie, qui relève « une forte baisse des demandes de voyages en Europe à partir de la mi-mars en raison, en premier lieu, de la hausse du prix des billets d’avion ».

Jeunes touristes russes tout sourire lors de leurs vacances en France.

La thèse du boycott contestée La vice-ministre russe de la Culture affirme que « le voyageur russe a une bonne estime de soi » et qu’il se rend « là où il sera bien accueilli – donc pas dans les pays qui ont pris des mesures politiques contre la Russie ». Faut-il en déduire que cette baisse de fréquentation serait aussi due à des motifs politiques ? Pour M. Boisseau, un tel jugement serait un peu hâtif : « Les sanctions de l’UE ont certainement fait baisser le pouvoir d’achat des Russes, entraînant une baisse de fréquentation. Mais il n’est pas question d’un boycott à mon sens. D’une manière générale, les perspectives sont bonnes à moyen et à long terme. L’émergence d’une classe moyenne aisée en Russie contribue à augmenter le flux touristique vers la France. Je crois donc que ce ralentissement n’est qu’un effet conjoncturel ». Après la crise économique de 2008, le nombre de touristes russes avait aussi connu une chute phénoménale (-26,4% en 2009) avant de rebondir pour retrouver son niveau normal dès 2010.

FERROVIAIRE La RZD ouverte au partenariat étranger

NUCLÉAIRE Rosatom se dote d’une représentation en France

Les sanctions ne font pas dérailler la LGV

Rapprochement autour de l’atome

Le renforcement des relations avec les partenaires internationaux reste une priorité de la compagnie des Chemins de fer de Russie (RZD), engagée dans la mise en œuvre des divers projets de lignes à grandes vitesse (LGV).

En projet : la première LGV russe La future ligne mettra la capitale du Tatarstan, Kazan, à 3 heures 30 de Moscou au lieu de 11 heures 30 actuellement (pour 812 km). La réalisation de ce projet réduira à une heure le trajet entre les régions dont la population cumulée s’élève à 25 millions d’habitants.

IGOR ROZINE RBTH

Dans un contexte économique assombri par des facteurs macroéconomiques et géopolitiques, la Russie mise sur le développement des projets d’infrastructure. D’ici à 2020, les investissements dans ce secteur devraient permettre une hausse du Produit intérieur brut (PIB) de 1,1 à 2,5%, selon Vladimir Iakounine, le président de la RZD. Un des acteurs engagés dans ce processus d’envergure, la compagnie des Chemins de fer de Russie élabore une série de projets en partenariat avec des compagnies étrangères.

Le développement des lignes à grande vitesse (LGV) en Russie intéresse aussi bien des consortiums asiatiques qu’européens, a souligné M. Iakounine dans un entretien accordé à notre journal à la veille du forum international « Construction, innovation et partenariat : dialogue ouvert », tenu en octobre dernier à Sotchi. Les Européens sont principalement attirés par le projet de construction d’une ligne à grande vitesse (LGV) reliant Moscou à Kazan, la capitale du Tatarstan. Plusieurs investisseurs ont déjà annoncé leur volonté de prendre part à ce projet prometteur, notamment les français Bouygues, Systra, SNCF et Vinci. Au-delà des séries de mesures adoptées récemment par l’Union européenne contre la Russie, les entreprises françaises – « des partenaires fiables et de

Projets hors des frontières

LORI/LEGION MEDIA

La France, « un partenaire fiable »

longue date » pour RZD – sont prêtes à rejoindre la construction de magistrales à grande vitesse à n’importe quelle étape. Cependant, la politique s’est ingérée de manière croissante dans les relations d’affaires ces dernières années. Les sanctions imposées par l’UE, même si elles n’ont pas mené à l’annulation de contrats entre RZD et les entreprises européennes, pourraient remettre en cause leur participation à de nouveaux projets, estime M. Iakounine. Malgré tout, le géant français Alstom a fait part en octobre de son intérêt pour l’appel d’offres concernant la LGV Moscou-Kazan. « La compagnie est prête à participer à l’appel d’offres au sein d’un consortium avec des partenaires russes – notamment Transmashholding – et des compagnies occidentales expérimentées », a confirmé pour notre journal le service de presse de la compagnie. D’ailleurs, la coopération avec la partie française sur la grande vitesse ferroviaire ne se limite pas au côté pratique. En coopération avec la SNCF, le Conservatoire national des arts et métiers et l’École nationale des ponts et chaussées, la RZD travaille à la mise en place d’un Centre franco-russe de recherche et d’enseignement qui aura pour objectif la coopération bilatérale scientifique et la formation dans ce domaine de pointe. Néanmoins, la RZD ne compte pas s’en tenir au seul développement de l’infrastructure à l’intérieur du pays : la compagnie a déjà amorcé la mise en œuvre de plusieurs projets localisés directement en Europe. Ainsi, au printemps 2014, sa filiale RZD International a commencé la reconstruction d’une ligne de 16 kilomètres reliant Belgrade à Pancevo, en Serbie, dans le cadre d’un contrat sur la construction de l’infrastructure ferroviaire et la livraison de trains diesel. Sur ce projet, la compagnie russe collabore avec Alstom au sein d’un consortium qui inclut également des partenaires locaux. Selon le service presse de la compagnie française, chargée de livrer les systèmes de signalisation, il s’agit du premier projet conjoint avec la RZD en dehors du marché des rails de 1 520 mm.

L’évolution technologique prime sur celle de la géopolitique : poursuivant sa stratégie basée sur la coopération internationale, le groupe nucléaire russe ouvre une filiale à Paris. MARK COOPER POUR RBTH

L’Agence fédérale d’énergie atomique russe Rosatom a choisi d’installer le siège social de son centre régional d’Europe de l’Ouest à Paris, comme il a été annoncé lors du salon World Nuclear Exhibition qui s’est tenu en octobre dernier au Bourget. Rosatom France se chargera du développement de l’activité internationale des divisions du groupe nucléaire russe à travers la formation de partenariats mutuellement bénéfiques avec les sociétés européennes et la recherche de nouveaux créneaux. À ce jour, des centres de ce type ont été ouverts à Prague, Kiev, Singapour et Johannesburg. Selon le président de Rosatom International Network (RIN), Alexander Merten, l’avantage principal de ce type de représentations est qu’elles permettent d’être au plus proche des clients et ainsi prendre en compte l’ensemble de leurs exigences. L’importance du rapprochement géographique est également soulignée par l’Association des industriels français exportateurs du nucléaire (AIFEN). Un représentant de l’association a indiqué à notre journal que l’ouverture d’un centre de Rosatom à Paris permettrait à la partie française de « mieux comprendre les besoins russes en matière de nucléaire » et de stimuler davantage « le courant d’affaires pour les fournisseurs français membres de l’AIFEN ». La décision de Rosatom de localiser son centre à Paris n’est pas surprenante, car l’histoire du lancement des produits uranifères russes sur le marché européen puis mondial a commencé en France. L’usine MSZ, qui fait partie de

Il l’a dit

« La principale raison de notre implantation en France peut être résumée en un mot : "développement". » ANDREÏ ROJDESTVINE DIRECTEUR DE ROSATOM FRANCE

TVEL, une société membre de Rosatom travaillant sur le cycle du combustible nucléaire, collabore depuis 2001 avec Framatome ANP (devenu AREVA NP en 2006) et, depuis 2013, avec AREVA GmbH. Dans le cadre de ce partenariat, les parties fabriquent des assemblages combustibles (pour les réacteurs à eau pressurisée REP et à eau bouillante REB), vendus ensuite en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Suède et en Grande-Bretagne. Mais le choix du pays a également été influencé par le fait que la France est aujourd’hui l’une des autorités mondiales en matière d’énergie nucléaire et un leader absolu pour ce qui est de la part du nucléaire dans la balance énergétique du pays. « La principale raison de notre implantation en France peut être résumée en un mot – "développement". Mais quand nous parlons de développement, nous n’entendons pas uniquement la croissance sur de nouveaux marchés, mais également le progrès du secteur de l’énergie nucléaire dans son ensemble. En renforçant la coopération internationale, notamment entre les sociétés russes et françaises, nous travaillons sur la recherche d’axes potentiels d’évolution de l’énergie nucléaire », nous a confié le directeur de Rosatom France et vice-président de RIN en Europe de l’Ouest, Andreï Rojdestvine. La pratique des dernières décennies a montré que l’énergie nucléaire était un secteur qui restait à l’abri des changements géopolitiques. Kirill Komarov, directeur général adjoint de la société d’État Rosatom chargé du développement et des affaires internationales, résume ainsi la situation : « En plus de 40 ans de coopération, tant de choses ont changé dans le monde. Mais au cours de toute cette période, nous sommes restés un partenaire fiable et avons montré notre attachement inconditionnel au respect de nos obligations ».


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DOSSIER

ENTRETIEN AVEC MIKHAÏL GORBATCHEV

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SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

Biographie

Mikhaïl Gorbatchev

AFP/EASTNEWS

Il vous a incombé de résoudre un problème crucialtouchantauxévolutionsmondiales. Lerèglementinternationaldelaquestionallemande,aveclaparticipationdesgrandes puissances et d’autres États, constitue un exemple de la lourde charge et de la grande « qualité » des responsables politiques de cette génération. Vous avez démontré qu’unetellechoseétaitpossibleenfondant votreactionsurcequevousavezqualifiéde « nouvellepensée ».Dansquellemesureles dirigeantscontemporainssont-ilscapables de résoudre de manière pacifique les problèmes actuels, et qu’est ce qui a changé au coursdes25dernièresannéesentermesde méthodesvisantàtrouverdesréponsesaux défis géopolitiques ? La réunification allemande n’était pas un phénomène isolé mais une partie du processus d’achèvement de la guerre froide. Le chemin en avait été ouvert par la Perestroïka et la démocratisation de notre pays. Sans cela, l’Europe aurait pu rester divisée et « gelée » pendant encore des décennies. Et la sortie d’une telle situation aurait pu être, j’en suis convaincu, bien plus difficile. Qu’est ce que la nouvelle pensée ? C’est la reconnaissance du fait qu’il existe des menaces globales ; il s’agissait, à l’époque, principalement de la menace d’une guerre nucléaire, qui ne pouvait être résolue que dans le cadre d’efforts conjoints. Cela signifie qu’il était nécessaire de bâtir une nouvelle relation, un dialogue, de rechercher un moyen de mettre un terme à la course aux armements. Cela signifiait qu’il fallait reconnaître la liberté de choix de tous les peuples et en même temps prendre en considération les intérêts de chacun, bâtir un partenariat, développer les relations pour faire en sorte que les conflits et les guerres deviennent impossibles en Europe. Ce sont ces principes qui ont formé la base de la Charte de Paris (1990) pour une nouvelle Europe, un document politique de la plus haute importance, ratifié par l’ensemble des pays d’Europe, les États-Unis et le Canada. Il a ensuite fallu développer, concrétiser ces dispositions, créer de véritables structures, des mécanismes de prévention, des mécanismes de coopération. C’est par exemple à ce moment qu’a été proposée la création du Conseil pour la sécurité de l’Europe. Je ne souhaite pas opposer la génération des dirigeants d’hier à celle d’aujourd’hui. Mais il demeure que cette proposition ne s’est pas réalisée. Le développement de l’Europe s’est alors poursuivi de manière unilatérale, ce qui a, je dois bien le dire, contribué à l’affaiblissement de la Russie au cours des années 1990. Nous devons aujourd’hui admettre que nous sommes confrontés à une crise de la politique européenne et mondiale. L’une de ses causes, bien qu’elle ne soit pas la seule, tient à la réticence de nos partenaires occidentaux à prendre en compte le point de vue de la Russie et les intérêts légitimes touchant à sa sécurité. Dans leurs paroles, ils applaudissaient la Russie, en particulier durant la période Eltsine, mais dans les faits,

Premier et dernier président de l’URSS et lauréat du prix Nobel de la Paix, Mikhaïl Gorbatchev est un réformateur qui, en promouvant ses principes de Glasnost (transparence) et de Perestroïka (restructuration), a entrepris de moderniser le pays. M. Gorbatchev a par ailleurs contribué à mettre fin à la guerre froide.

notre voix n’était pas entendue. Je fais ici en particulier référence à l’élargissement de l’Otan, aux projets de déploiement du bouclier antimissile, aux agissements de l’Occident dans plusieurs régions de grande importance pour la Russie (laYougoslavie, l’Irak, la Géorgie, l’Ukraine). Ils nous disaient alors littéralement : cela ne vous regarde pas. Cette situation a produit un abcès, qui a ensuite éclaté. Je conseillerais aux dirigeants occidentaux d’analyser attentivement tout cela, au lieu de blâmer la Russie en toutes circonstances. Souvenez-vous du type d’Europe que nous sommes parvenus à créer au début des années 90 et de sa transformation malheureuse au cours des dernières années. L’une des questions centrales iée au déroulement des événements en Ukraine concerne l’élargissement de l’Otan vers l’Est. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir été trompé par vos partenaires occidentaux à propos de l’avenir de l’Europe de l’Est ? Pourquoi n’avez-vous pas insisté sur uneformalisationjuridiquedespromesses, faites en particulier par le secrétaire d’État américain James Baker, selon lesquelles il n’y aurait pas d’expansion vers l’Est ? Je le cite : « Il n’y aura aucun élargissement de la juridiction ou de la présence militaire de l’Otan d’un seul pouce vers l’Est ». La question de l’élargissement de l’Otan n’a dans l’ensemble pas été discutée et ne se posait pas au cours de ces annéeslà. Je dis cela en toute responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a soulevé cette question, y compris après la dissolution du Pacte deVarsovie en 1991. Elle n’a pas non plus été soulevée par les dirigeants occidentaux. Une autre question a en revanche été abordée : le fait qu’après la réunification de l’Allemagne, aucune extension des structures militaires de l’Otan ni aucun déploiement de forces militaires supplémentaires de l’Alliance ne devait avoir lieu sur le territoire de l’ancienne RDA. C’est dans ce contexte que M. Baker a prononcé les paroles mentionnées dans votre question. Des déclarations similaires ont été faites par M. Kohl et M. Genscher. Tout ce qui pouvait et devait être fait pour consolider ce règlement politique a été fait. Et respecté. L’accord de règlement final avec l’Allemagne mentionnait qu’aucune structure militaire supplémentaire ne serait implantée dans la partie Est du pays et qu’aucune troupe additionnelle ni arme de destruction massive n’y seraient déployées. Toutes ces dispositions ont été respectées jusqu’à ce jour. Nul besoin donc de prétendre que Gorbatchev et les dirigeants soviétiques de l’époque étaient des naïfs qui se sont laissés abuser. S’il y a eu de la naïveté, elle est intervenue plus tard, lorsque cette question a été soulevée et que la Russie a dans un premier temps répondu « pas d’objections ». La décision d’élargir l’Otan vers l’Est a finalement été prise par les États-Unis et leurs alliés en 1993. Je l’ai dès l’origine qualifiée d’erreur majeure. Cela

Ils l’ont dit

«

Monsieur Gorbatchev, si vous êtes vraiment sérieux dans votre volonté de paix, ouvrez cette porte, détruisez ce Mur ! »

RONALD REAGAN PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS

«

Le Mur existera encore dans 50 et même dans 100 ans si, d’ici là, les causes de son existence ne sont pas encore éliminées. »

ERICH HONECKER DERNIER DIRIGEANT DE LA RDA

En ligne

“ Un monde sans le Mur”, par Andreï Gratchev, ex-secrétaire de Mikhaïl Gorbatchev fr.rbth.com/31563

constituait bien évidemment une violation de l’esprit des déclarations et assurances qui nous avaient été données en 1990. En ce qui concerne l’Allemagne, ces assurances ont été formalisées juridiquement et respectées. PourtouslesRusses,l’Ukraineetlaquestion de notre relation avec ce pays constituent un sujet sensible. Vous êtes vous-même à 50% russe et à 50% ukrainien. Dans la postfacedevotrelivre« AprèsleKremlin »,vous indiquez que vous ressentez aujourd’hui une profonde douleur du fait des événementsdanscepays.Quellesoptionsvoyezvous pour une sortie de crise en Ukraine et à la lumière des événements récents, comment vont se développer les relations de la Russie avec l’Ukraine, l’Europe et les ÉtatsUnis au cours des prochaines années ? En ce qui concerne l’avenir immédiat, tout est plus ou moins clair : il est indispensable de se conformer intégralement aux dispositions arrêtées lors des négociations de Minsk des 5 et 19 septembre derniers. La situation sur le terrain est encore très fragile. Le cessez-le-feu est violé en permanence. Mais ces derniers jours, l’impression qu’un processus s’est enclenché est devenue plus tangible. Une zone tampon a été créée, les armes lourdes en ont été retirées. Des observateurs de l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ndlr], parmi lesquels figurent des Russes, sont arrivés. Si l’on parvient à consolider tout cela, il s’agira d’une grande réussite, mais uniquement d’une première étape. Il faut admettre que les relations entre la Russie et l’Ukraine ont subi d’immenses atteintes. Il faut à tout prix éviter que cela ne se transforme en une aliénation mutuelle entre nos deux peuples. Une immense responsabilité incombe à ce titre aux dirigeants : les présidents Vladimir Poutine et Petro Porochenko. Ils doivent donner l’exemple. Il est indispensable de faire baisser la tension émotionnelle. Nous verrons plus tard qui a raison et qui a tort. Aujourd’hui, l’essentiel est d’entamer un dialogue sur des questions concrètes, notamment la normalisation des conditions de vie dans les zones les plus affectées, en laissant de côté pour l’instant la question de leur statut. Ici, l’Ukraine comme la Russie et l’Occident peuvent apporter leur aide, séparément et collectivement. Les Ukrainiens ont beaucoup à faire pour assurer la réconciliation, afin que chaque personne puisse se considérer comme un citoyen à part entière, dont les droits et les intérêts sont garantis et sécurisés. Il ne s’agit ici pas tant de garanties constitutionnelles et juridiques que de la vie de tous les jours. C’est pourquoi je recommanderais, en plus des élections, de mettre en place aussi rapidement que possible une table ronde représentant l’ensemble des régions ainsi que toutes les catégories de la population, dans le cadre de laquelle il serait possible d’aborder toutes les questions et d’en débattre.

En ce qui concerne les relations de la Russie avec les pays d’Europe occidentale et les États-Unis, la première étape consisterait à sortir de la logique des accusations mutuelles et des sanctions. D’après moi, la Russie a déjà fait le premier pas en se refusant à répondre à la dernière vague de sanctions occidentales. La parole est maintenant à nos partenaires. Je pense qu’il est nécessaire qu’ils abandonnent les sanctions dites « personnelles ». Comment établir un dialogue si vous « punissez » les personnes en charge de la prise des décisions qui influencent les politiques ? Il est nécessaire que nous puissions nous parler. C’est un axiome qui a été complètement oublié. À tort. Je suis convaincu que dès que le dialogue sera restauré, nous trouverons des points de contact. Il suffit de regarder autour de nous ! Le monde est sous tension, nous faisons face à des défis communs, des problèmes globaux qui ne peuvent être résolus qu’au moyen d’efforts collectifs. Ce fossé entre la Russie et l’Union européenne nuit à tout le monde, il affaiblit l’Europe au moment où la concurrence mondiale s’intensifie, au moment où d’autres « centres de gravité » de la politique mondiale se renforcent. Il est hors de question d’abandonner. Il ne faut pas nous laisser entraîner dans une nouvelle guerre froide. Les menaces communes pesant sur notre sécurité n’ont pas disparu. Au cours de la période récente, de nouveaux mouvements extrémistes extrêmement dangereux sont apparus, en particulier le soi-disant État islamique. Il s’agit également de l’aggravation des problèmes écologiques, de la pauvreté, des migrations, des épidémies. Face à des menaces communes, nous pouvons à nouveau trouver un langage commun. Cela ne sera pas facile, mais il n’y a pas d’autre chemin. L’Ukraine évoque la construction d’un mur le long de sa frontière avec la Russie. Comment expliquez-vous que nos peuples, frères depuis toujours, ayant appartenu à un seul et même État, se soient soudainement brouillés à tel point que la séparation pourrait ne pas être seulement politique maiségalementsematérialiserparunmur ? La réponse à cette question est très simple : je m’oppose à tous les murs. Que ceux qui envisagent de « construire » un tel ouvrage y réfléchissent à deux fois. Je pense que nos peuples ne se brouilleront pas. Nous sommes trop proches à bien des égards. Il n’y a pas entre nous de problèmes et de différences insurmontables. Mais beaucoup de choses dépendront de l’intelligentsia et des médias. S’ils décident de travailler à notre désunion, en provoquant et en exacerbant les querelles et les conflits, cela sera catastrophique. De tels exemples nous sont connus. C’est pourquoi j’appelle l’intelligentsia à se comporter de manière responsable. Propos recueillis par MAXIM KORCHOUNOV, RBTH


Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

Mercredi 19 novembre 2014

DOSSIER

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MÉDIAS La presse soviétique avait passé sous silence l’effondrement du rideau de fer

Le choc enfoui entre les lignes Le 9 novembre 1989, la chute du Mur de Berlin faisait « la une » de la presse mondiale. Mais en URSS, le mur de la désinformation n’a rien laissé passer.

Le Baiser de la fraternité Dmitri Vrubel est l’auteur de milliers d’œuvres, mais une seule lui a apporté la célébrité : le Baiser de la fraternité entre Léonid Brejnev et Erich Honecker, peint sur le Mur en 1990, avec l’inscription « Mon Dieu ! Aidez-moi à survivre à cet amour mortel ». À cette période, tout le monde tague et peint sur le Mur, y compris des artistes de renommée mondiale. Parmi eux, par exemple, le peintre et dessinateur Keith Haring, auteur d’une composition en jaune, rouge et noir, dessinée sur le pan ouest de l’ouvrage. La fresque de Vrubel, elle, se situe côté est. L’intérêt pour cette œuvre n’est pas venu tout de suite. Au début, Brejnev et Honecker semblaient faire partie de ce passé que l’on veut oublier. En outre, un pan de mur est un support trop peu fiable. Il a failli être détruit dans les années 1990-91, puis en 1996. Mais en 2009, sa restauration a été entreprise.

GEORGUI MANAÏEV

Le 9 novembre 1989 en URSS, les kiosques étaient à moitié vides : ce jourlà, les quotidiens Moskovski Komsomolets, Sovietskaïa Rossiïa, Komsomolskaya Pravda et Troud ne sont pas parus. Seuls les deux principaux journaux nationaux, la Pravda et les Izvestia, étaient disponibles. Mais les lecteurs n’y trouvèrent aucune mention de la chute du Mur de Berlin, hormis de vagues allusions à la situation politique en République démocratique allemande (RDA). « Changements en RDA » : tel était le titre de l’article de la correspondante spéciale de la Pravda à Berlin, Maïa Podklutchnikova, le 9 novembre. Elle citait un communiqué du Conseil des ministres : « Nous prions tous les citoyens qui ont pour projet de quitter notre République d’y réfléchir à deux fois ». Un lecteur averti pouvait déduire de ces lignes que les citoyens de la RDA avaient la possibilité de sortir du pays. Ce qui voulait dire que le Mur de Berlin n’était plus. Une autre allusion à la situation réelle émergeait dans le numéro de la Pravda du 11 novembre 1989. Un article intitulé « La visite interrompue » indiquait que le chancelier de la RFA Helmut Kohl avait abrégé son séjour d’une journée en Pologne pour rentrer à Bonn « en raison de la situation dramatique à la

5 FAITS SUR LE MUR DE BERLIN

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La construction du Mur a débuté dans la nuit du 12 au 13 août 1961. Les fenêtres et les portes des immeubles le bordant ont été murées.

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Le Mur, qui s’étendait sur 155 km autour de Berlin-Ouest et sur 43 km à l’intérieur de la ville, était jalonné de 8 postes-frontières et de 302 miradors.

DPA/VOSTOCK-PHOTO

RBTH

Préparé par YAN CHENKMAN, RBTH

frontière entre les deux Allemagnes ». La semaine suivante, la Pravda continuait de couvrir les événements politiques en RDA et en République fédérale (RFA) mais sans jamais mentionner le mot « mur ». Dans son numéro du 12 novembre, le journal publiait un reportage de Podklutchnikova (déjà citée) selon lequel les Allemands de l’Est pas-

La célèbre fresque Baiser de la fraternité réalisée sur le Mur de Berlin par le peintre russe Dmitri Vrubel.

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Malgré les barbelés et les gardes, environ 5 000 personnes ont réussi à s’échapper de la RDA entre 1961 et 1989 en passant clandestinement de l’autre côté .

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Pour franchir le Mur, les fugitifs utilisaient divers moyens : des ballons ou de petits aéronefs et des catapultes pour certains, d’autres creusant des tunnels.

136 personnes sont mortes au pied du Mur de Berlin. Parmi elles, 98 fugitifs, 8 gardesfrontières et 30 passants sans intention de franchir l’ouvrage.

saient en masse à l’Ouest et rendaient leur carte du Parti socialiste unifié. Enfin, le 14, le journal Moskovskii Komsomolets évoquait dans une brève l’ordre donné aux troupes frontalières de la RDA de « faire tout le nécessaire pour appliquer dans l’ordre et en douceur les nouvelles règles régissant les mouvements à la frontière entre la RDA et la RFA et celle de Berlin Ouest ». Les autres journaux gardaient le silence. L’omerta venait sans doute du pouvoir. Mais Nikolaï Kojanov, un collaborateur actuel de la Pravda, doute qu’une interdiction ait été prononcée, encore moins par écrit, ou qu’elle ait été nécessaire : « les journalistes de la Pravda ont toujours eu un sens politique développé. Et bien sûr, quand l’information sur la chute du Mur de Berlin est tombée, ils ne se sont pas empressés de la reprendre. Cet événement si-

gnifiait l’effondrement du camp socialiste et en informer la population revenait à reconnaître cet effondrement ». La Pravda, principal organe de presse du Parti communiste d’URSS, observait la plus grande prudence dans la couverture d’événements pouvant nuire à la réputation du régime, comme les grèves en RDA à la mort de Staline en 1953. « Il ne faut pas croire que la correspondante spéciale de la Pravda à Berlin ne savait pas ce qui se passait, affirme M. Kojanov. Dans de tels cas, elle était tenue de rédiger « une lettre fermée » relatant la réalité des faits, qui était adressée non seulement à la rédaction mais aussi au Comité central du Parti communiste. Ce sont alors les permanents du Parti qui décidaient de la façon dont la Pravda devait couvrir l’événement en question ».

événements en Europe centrale et orientale : les « révolutions de velours » et la dissolution du Pacte de Varsovie firent que l’Occident n’était pas pressé de tenir ses engagements envers Moscou. Le coup d’État manqué et le démantèlement de l’URSS firent le reste. Les nouveaux dirigeants russes mirent sous le coude les exigences garantissant la non-expansion de l’Otan après avoir même initialement envisagé de rejoindre l’Alliance. En 1990, Boris Eltsine écrivait : « Faisant fi des quatre années de Perestroïka, la RDA, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie ont fait en quelques jours un tel bond en avant vers une société normale, humaine et civilisée qu’il n’est plus évident que nous pourrons jamais les rattraper ». Ces mots expliquent la tolérance de Moscou envers le désir d’adhésion à l’Otan des anciens pays du Pacte de Varsovie. De leur côté, les responsables de l’Alliance y virent une victoire nette et s’attachèrent à faire de l’Otan une organisation de sécurité universelle. Dans ce contexte, la Russie cessa d’être perçue comme un partenaire à part égale.

incompréhension totale. Dans les faits, la politique occidentale envers la Russie, revenait à présumer que Moscou penchait vers l’Ouest, dont les actions unilatérales seraient donc sans conséquence. Cette politique incohérente, qui ignorait les intérêts russes sans le vouloir, ne fut pas réexaminée lors des premiers grands désaccords entre l’Otan et la Russie sur les conflits dans les Balkans. Lorsque Moscou demandait par exemple à discuter de l’installation du bouclier antimissile américain, l’Occident répondait : « Nous ne sommes plus ennemis, chacun fait ce qu’il veut ». Washington et Bruxelles ne s’inquiétaient pas des mesures symétriques prises par la Russie pour renforcer sa propre sécurité, jugeant que Moscou ne représentait pas une menace sérieuse. La Russie a donc réévalué ses rapports avec l’Occident. Les projets de création d’un ordre mondial sur un pied d’égalité ne se sont pas réalisés. Les États-Unis et l’Otan ont utilisé unilatéralement la force à plusieurs reprises dans des conflits au mépris du droit international. Menant une politique indépendante dans la défense de ses intérêts, Moscou se voit accusé de « ne pas jouer selon les règles ». La crise ukrainienne est devenue la dernière et la plus importante conséquence de cette rupture de l’équilibre de l’ordre international. Pour prévenir de nouveaux conflits en Europe, la Russie et l’Occident doivent s’entendre sur de nouvelles règles d’engagement, en Europe comme dans le reste du monde.

AVIS D’EXPERT

L’EXPANSION DE L’ALLIANCE ATLANTIQUE : UN CHEMIN MINÉ

L

ANDREÏ SOUCHENTSOV POLITOLOGUE Professeur à l’Université MGIMO (Moscou) et chercheur associé au Club Valdaï.

e débat entre la Russie et l’Occident sur l’élargissement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) en Europe est au cœur des questions concernant la sécurité européenne. Il est ancré dans les différences d’interprétation du contexte dans lequel la guerre froide a pris fin et des conséquences qui en découlaient. La Russie y vit l’aboutissement des efforts communs des deux superpuissances à la fin des années 1980, la confrontation succédant à la coopération. Thèse partagée en Occident, jusqu’au démantèlement de l’URSS en 1991. Dès janvier 1992, le président George H. Bush déclarait : « Par la grâce de Dieu, l’Amérique a gagné la guerre froide ».

À l’aube d’une ère nouvelle Ce fut perçu en Occident comme l’ouverture d’une ère nouvelle désengageant des accords précédents. Les Soviétiques imaginaient que la confrontation passée, les deux parties allaient définir ensemble le futur des régions où leurs intérêts se chevauchaient. La sécurité européenne devait avant tout reposer sur un équilibre des intérêts des principales puis-

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sances agissant de concert avec l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). La grande question était donc celle de l’Otan, qui avait été créée comme contrepoids à l’URSS. À la fin des années 1980, il fut convenu que l’accord donné par l’URSS à la réunification allemande et le retrait des troupes soviétiques garantiraient son nonélargissement. Le secrétaire d’État américain James Baker avait dit à Mikhaïl Gorbatchev en 1990 : « Nous pensons que les consultations (...) doivent garantir que l’unification de l’Allemagne ne conduira pas à l’élargissement de l’organisation militaire de l’Otan vers l’Est ». Les pays membres de l’Alliance prirent l’engagement de ne pas déployer leurs infrastructures militaires dans l’ex-Allemagne de l’Est et s’y tiennent encore. Malgré l’opposition résolue de l’URSS à l’élargissement de l’Otan, aucun accord excluant toute extension ne fut signé. En 1989-1990, la question ne fut pas soulevée car le Pacte de Varsovie était encore en place et l’espoir de parvenir à un nouveau statu quo sur l’Europe, en accord avec l’Occident, perdurait. Mais à partir de 1991, l’URSS perdit le contrôle des

HISTOIRE :

LE SYMBOLE DU CRÉPUSCULE DE L’UNION SOVIÉTIQUE LE PÉRIPLE VERS L’EST DE NICOLAS II

«

Les projets de création d’un ordre mondial sur un pied d’égalité ne se sont pas réalisés (...) La crise ukrainienne en est la dernière conséquence »

Un équilibre rompu En matière de sécurité européenne, ceci ne fit qu’enraciner les déséquilibres fondamentaux qui, au milieu des années 1990, suscitèrent de profonds désaccords entre la Russie et l’Otan. C’est ainsi que fut manquée, au début de la décennie, une occasion de resserrer en profondeur les relations russo-occidentales, les omissions et la réticence conduisant à une

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OPINIONS

L’ORDRE MONDIAL SANS RÈGLES L FEDOR LOUKIANOV POLITOLOGUE Président du Conseil pour la politique étrangère et la politique de défense

a majorité des commentateurs politiques ont jugé très dur le discours prononcé parVladimir Poutine lors de la réunion annuelle du club Valdaï, dont la onzième édition s’est déroulée à Sotchi du 21 au 24 octobre. Cependant, à part quelques métaphores cinglantes telles que « le maître de la taïga » (pour décrire la Russie) et « les nouveaux riches géopolitiques » incapables de gérer l’énorme richesse tombée dans leurs bras (les États-Unis), le contenu du discours était plus analytique que revendicatif. Alors pourquoi une telle réaction ?

Sous les dénonciations, un message positif

TATIANA PERELYGUINA

Que le président russe n’apprécie pas la politique américaine actuelle n’est pas une découverte. Il le dit depuis de longues années. C’est le ton qui a changé. Au cours de son premier mandat, Poutine a invité l’Amérique à revoir sa position car les menaces communes primaient sur les antagonismes. Lors de son deuxième mandat, il a averti que la Russie n’admettrait pas que l’on ne tienne pas compte de son avis. Et pendant la campagne électorale de 2012, Vladimir Poutine s’est interrogé sur le sens des initiatives de Washington, qui lui semblaient viser à une déstabilisation de l’ordre mondial plutôt qu’à son renforcement. Le ton de son discours prononcé à Valdaï cette année avait une pointe de fatalisme. Poutine ne s’attend plus à un changement de la part des États-Unis, il dénonce simplement le côté dévastateur de leurs actions. C’est peut-être cette absence d’attente qui a été le plus remarquée et a donné à ses déclarations, dans l’esprit des auditeurs, une tournure exclusivement négative. Or, le message de base de Poutine était plutôt positif, car il faisait référence au thème principal du forum de Valdaï : la recherche de nouvelles règles de coexistence internationale, permettant au développement des relations de passer à l’étape suivante. Le monde traverse une période d’érosion virtuelle, voire d’un démantèlement accéléré de l’ordre mon-

«

Le monde multipolaire tant souhaité ne promet pas d’apporter l’ordre (...) Il accentue même plutôt l’anarchie mondiale »

dial qui a débuté dans la seconde moitié du XXème siècle. La mise en place d’un nouvel ordre mondial, dont on a tant parlé il y a 25 ans, a été un échec. Si le processus a été enclenché par le désir des deux grandes puissances de rechercher un modèle commun (vision imaginée par Mikhaïl Gorbatchev, qui a été le premier à en parler), avec la chute de l’URSS, il ne restait plus qu’un seul « architecte » : les ÉtatsUnis. Mais ce pays s’est avéré incapable de gérer les mécanismes mondiaux, bien au contraire. Pour être honnête, il convient de dire que le monde multipolaire tant souhaité, tel qu’il se présente aujourd’hui, ne promet pas d’apporter l’ordre, pas plus que l’harmonie ou l’équilibre. Il accentue même plutôt l’anarchie mondiale, car comme l’a dit le président russe, on voit apparaître de plus en plus d’acteurs mais il n’y a toujours pas de règles. Vladimir Poutine se différencie des autres dirigeants des grandes nations car il ne

L’ÉCONOMIE RUSSE FACE À LA BAISSE DU PÉTROLE

L BRYAN MACDONALD ANALYSTE Journaliste irlandais spécialisé dans les affaires russes et la géopolitique.

a dernière fois que la Russie a été confrontée à une faillite financière remonte à août 1998. Le rouble s’était effondré face au dollar après que le gouvernement de Boris Eltsine eut fait défaut sur la dette intérieure et gelé les remboursements dus aux créanciers étrangers. En l’espace de quelques semaines, le taux de change du rouble par rapport au dollar était passé de 6 à 21. Les Russes ordinaires, qui gardaient leurs économies en roubles et avaient emprunté en dollars, s’étaient retrouvés au bord de la ruine. Et pourtant, quelques années plus tard, l’économie d’un pays habitué aux crises décollait comme jamais auparavant, affichant une croissance à deux chiffres. Quand Vladimir Poutine arriva au pouvoir en 1999, il trouva un État échappant à tout contrôle, asphyxié sous le poids d’une expérience économique néolibérale ratée. Il mit fin à la spirale en instaurant un impôt sur le revenu fixe de 13% qui permit de s’attaquer à ce qui était une véritable culture de l’évasion fiscale. Puis il renationalisa les principales industries et mit fin à la domination des oligarques des années 90. La grimpée des prix du pétrole, due à des facteurs externes, arriva au bon moment et le Phénix russe put redéployer ses ailes.

Alors que tout semblait perdu, le pays put soudain s’éloigner du gouffre. Le culte que voue Kremlin au miracle de l’or noir pourrait-il aujourd’hui causer sa perte ?

Un taux de change pénalisant Les relations entre Moscou et Washington sont au plus bas depuis les années 1970. La fuite des capitaux russes a atteint un niveau record et devrait s’élever à 102 milliards d’euros cette année. La croissance économique est proche de zéro. Cela donne à réfléchir dans ce pays qui, récemment, affichait encore une croissance stable de 4% environ, alors que ses rivaux faisaient du sur-place ou reculaient. Et le rouble est en chute libre par rapport aux principales devises étrangères. L’Europe souffre également et devra sans doute se résigner à la levée des sanctions qui ont peu d’effet sur les États-Unis, mais nuisent aux économies européennes presque autant qu’à la Russie. L’effondrement du rouble effraie les Russes. La nouvelle classe moyenne s’est habituée aux vacances annuelles à l’étranger – un privilège encore impensable il n’y a pas si longtemps. Les estivants russes se désolent de devoir renoncer à Alicante en Espagne, et se rabattre sur Alouchta en Crimée. Mais la « punition » est par-

se limite pas simplement à juger ou critiquer la politique des États-Unis (ce que déjà très peu osent faire), mais il dénonce systématiquement le rôle qu’ils jouent, ce qui provoque une réaction encore plus vive. Après la guerre froide, la domination américaine s’est imposée comme une évidence et toute modification de l’ordre mondial était considérée comme un ajustement technique, non un changement.

Refus de l’hégémonie Au niveau théorique, tout le monde comprend bien qu’aucune hégémonie n’est éternelle. Charles Krauthammer, qui a lancé en 1990 le concept de « moment d’unipolarité », à savoir la période durant laquelle les États-Unis pouvaient agir à leur guise, avait aussi averti qu’une telle situation ne saurait être éternelle. Il avait d’ailleurs prédit la durée de ce « moment » qu’il situait entre 25 et 30 ans. Mais en réalité la supériorité des États-Unis a été et reste telle que d’autres

tagée : les stations balnéaires européennes s’inquiètent de perdre leur clientèle russe.

Des raisons de s’alarmer Quant aux prix du pétrole, y voir un vil complot des États-Unis et de l’Arabie saoudite contre le Kremlin de Poutine est absurde. La chute des prix du brut est la conséquence de l’essor du pétrole de schiste aux États-Unis et de la baisse de la demande en Chine et en Europe. Le problème de la Russie est que le baril de brut produit en Oural a vu son prix plonger, passant de 115 à 83 dollars depuis juin. La Deutsche Bank affirme qu’en raison de la forte hausse des dépenses ces dernières années, Moscou doit vendre son pétrole à 80 euros pour équilibrer son budget. L’incapacité du Kremlin à diversifier l’économie russe pourrait bientôt se retourner contre lui.

Des raisons de ne pas désespérer La chute du rouble pourrait être un désastre pour les ménages ordinaires, mais elle a un impact positif sur le budget de l’État, car les revenus du pétrole sont perçus en dollars alors que les dépenses domestiques se font en roubles. Les producteurs pétroliers du Proche-Orient ne pourront pas supporter une baisse prolongée du rendement de leur activité. La Russie dispose de solides réserves de liquidités susceptibles de rendre la souffrance économique supportable encore un moment. Quant au boum du schiste qui aide à maîtriser le chômage américain, des prix inférieurs à 90 dollars le baril ne seront pas viables à terme.

modèles, dont Washington aurait pu être l’un des promoteurs parmi d’autres, voire le premier parmi ses pairs, n’ont jamais été pris en compte. Les États-Unis réagissent de manière négative et sans ménagement aux propos et aux actes de Poutine, jugeant que le président russe met systématiquement en doute non pas leur politique, mais les règles spéciales qu’ils revendiquent. On est dans la situation classique du prétendant qui défie le maître et conteste sa supériorité. Mais paradoxalement, Poutine ne cesse de répéter que la Russie ne cherche pas à exercer une domination mondiale, à remodeler le monde à sa façon ni à se lancer dans une course pour déterminer qui est le plus fort. Le président russe est tout à fait réaliste quant au potentiel de son pays : il ne faut ni le sous-estimer ni le surestimer. Vladimir Poutine refuse toutefois de jouer selon les règles définies par les dirigeants américains, telles qu’elles sont exprimées au niveau conceptuel ou appliquées dans la pratique. Les initiatives de la Russie en 2014, et principalement les décisions liées à la Crimée, montrent que Moscou est prêt à défendre ses intérêts indépendamment de ce qu’en pensent d’autres pays. Mais il est un geste qui n’a pas été fait jusqu’à présent : un appel lancé au reste du monde. Le discours deValdaï deVladimir Poutine, comme beaucoup de ses interventions, est encore et avant tout un dialogue avec l’Occident. Dans le monde nouveau, celui que le président russe décrit dans ses grandes lignes, il est vital de nouer un dialogue sérieux avec des pays et des régions qui ne s’opposent pas à l’Occident, mais n’en font tout simplement pas partie. Le débat sur de nouvelles règles ne peut être mené en reproduisant les anciens antagonismes du temps de la guerre froide. Le monde est aujourd’hui plus démocratique et le règlement des problèmes dépend beaucoup plus qu’avant des blocs où sont concentrées les « immenses masses mondiales ». C’est là qu’il faut agir. Article publié dans ROSSIYSKAYA GAZETA

D’AUTRES POINTS DE VUE DANS LA RUBRIQUE OPINIONS SUR

FR.RBTH.COM/ OPINIONS

Le Belarus tire son épingle du jeu Ces derniers mois, nous observons une curieuse dynamique dans les relations entre l’Occident et la Bielorussie : visites d’officiels européens à Minsk, conférences de plus en plus fréquentes, sommets... Est-ce un dégel dans les relations ?

Le signal montrant que le Belarus ne se range pas ouvertement du côté de la Russie et est prêt à s’associer aux efforts de maintien de la paix a été entendu et apprécié. »

Alexandre Iskandarian Directeur de l’Institut du Caucase (Erevan, Arménie)

fr.rbth.com/31449

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Mercredi 19 novembre 2014

Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

LOISIRS

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TOURISME À découvrir : une facette insoupçonnée de la capitale russe

Le Moscou gothique dans toute sa splendeur grande partie liée à son hôtel particulier situé dans la rue Spiridonovka et qui ressemble à un château gothique. Morozov, qui, dans sa jeunesse, étudia la chimie à l’université de Cambridge, était fasciné par le style gothique anglais. Il trouva une âme sœur en la personne du jeune architecte Fedor Chekhtel, passionné par le romantisme et le Moyen-Âge, à qui il confia la conception de son hôtel particulier pour sa jeune épouse, Zinaïda. La construction fut achevée en 1898. Ce bâtiment au style inédit à Moscou devint immédiatement l’une des principales attractions de la ville. Actuellement, il accueille la Maison des réceptions du ministère des Affaires étrangères. Hélas, si vous n’êtes pas impliqué dans les hautes sphères politiques, vous avez peu de chance d’y pénétrer !

L’architecture gothique en Russie est extrêmement rare. Néanmoins, le plan de la capitale recense plusieurs bâtiments qui présentent des caractéristiques de ce style d’origine française. EKATERINA TOURYCHEVA RBTH

L’église anglicane Saint-Andrew

La cathédrale de l’ImmaculéeConception Elle fut bâtie au cours de la première décennie du XXème siècle. La façade s’inspire de la cathédrale gothique de l’abbaye de Westminster. En 1938, alors que la campagne soviétique d’éradication de la religion battait son plein, tous les biens de l’église furent confisqués et l’espace intérieur fut réaménagé sur quatre étages pour accueillir un foyer. Plus tard, en 1956, un institut de recherche s’y installa. La première célébration, marquant la fin d’une pause de 60 ans, a lieu en 1990, sur les marches de la cathédrale. Depuis, ses portes sont ouvertes à tous. Les offices sont célébrés en plusieurs langues, dont l’anglais, le français et l’espagnol. En outre, plus de cent concerts de musique sacrée et classique sont proposés annuellement dans les murs de la cathédrale.

Le prix des billets pour les concerts de musique classique et sacrée organisés dans la cathédrale de l’ImmaculéeConception de Moscou et en l’église SaintPierre-Saint-Paul varie entre 10 et 25 euros. Billets disponibles en ligne ou sur place (une heure avant le début de la manifestation).

Le TsOuM

LORI/LEGION MEDIA(3)

La première chapelle anglicane de la capitale ne fut érigée qu’en 1827. En 1884, l’architecte britannique Richard Knill Freeman la remplaça par une église en brique à nef unique, conservée à ce jour dans la ruelle Voznessenski. Sur l’insistance des Écossais, alors membres les plus respectés de la communauté britannique de Moscou, la nouvelle église fut consacrée en l’honneur de l’apôtre André, saint patron de l’Écosse. Après la révolution d’Octobre, les locaux de l’église subirent le même destin que tous les sites religieux : ils furent transformés en entrepôt et en dortoir puis, à partir de 1960, ils accueillirent le studio d’enregistrement Melodia (principale maison de disques soviétique). L’autorisation de reprendre l’office religieux ne fut accordée qu’en 1991. Le culte n’y est célébré qu’en anglais. Tous les jeudi et dimanche, la cathédrale organise des concerts gratuits d’orgue.

Bon à savoir

De haut en bas : la cathédrale de l’ImmaculéeConception, l’église anglicane Saint-Andrew et l’église SaintPierre-Saint-Paul.

L’hôtel particulier de Savva Morozov La vie opulente du mécène Savva Morozov, qui a fait l’objet de nombreuses légendes, lui a valu une célébrité en

Vous pourrez combiner votre découverte de l’architecture gothique avec quelques courses au Magasin central universel, l’une des plus célèbres enseignes de Moscou – le TsOuM – et l’un des hauts lieux de la mode. Ce bâtiment de sept étages fut érigé par les commerçants Andrew Muir et Archibald Mirrielees pour leur magasin Muir & Mirrielees. Le recours aux formes gothiques répondait, entre autres, à des objectifs publicitaires : non seulement le grand magasin se distinguait parmi les bâtiments environnants d’architecture classique, mais il restait gravé dans la mémoire des visiteurs. À aucun moment de son histoire, le TsOuM n’a changé de vocation : le commerce s’y poursuivit même pendant la Grande Guerre patriotique (1941-45).

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Prêtez-vous à notre test pour savoir quel type de « Moscovite » vous êtes et quelles curiosités correspondent le mieux à vos intérêts lors de votre séjour dans la capitale russe.

L’église Saint-Pierre-Saint-Paul Autre joyau du « Moscou gothique », c’est l’une des deux églises luthériennes en activité dans la capitale qui accueille l’une des plus anciennes congrégations de cette dénomination en Russie. La construction débuta en 1817. Au cours du XIXème, le bâtiment connut plusieurs travaux d’agrandissement face au nombre croissant de paroissiens. Les célébrations furent arrêtées en 1936. Trois ans plus tard, l’édifice fut réaménagé pour accueillir un cinéma. Les intérieurs furent alors complètement détruits et la flèche démantelée. La nouvelle page de l’histoire de la cathédrale a été ouverte en 1991. Les travaux de restauration lancés à l’époque se sont poursuivis pendant 19 ans.

En ligne

Inscrivez-vous pour remporter un cadeau lors du tirage au sort organisé par le Comité du tourisme et

Pour en savoir plus sur les sites russes

de l’hôtellerie de Moscou

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UN NOUVEL AN DE RÊVE SUR LA PLACE ROUGE

DU PRINCIPAL SAPIN DE NOËL DU PAYS AUX TINTEMENTS DES CARILLONS DE LA PLACE ROUGE EN PASSANT PAR LES ILLUMINATIONS DE FÊTE DES PIÉTONNIÈRES, RBTH VOUS NOUVELLES ZONES PIÉ PASSER UN RÉVEILLON DU EXPLIQUE COMMENT PA MÉMORABLE DANS LA CAPITALE RUSSE. NOUVEL AN MÉMORAB

T R AV E L 2 M O S C O W. C O M

Pendant la journée, vous pourrez parcourir les allées commerçantes richement décorées du GOuM et acheter des souvenirs du Nouvel an. Les lumières éclatantes du plus grand arbre du Nouvel an de Russie, les illuminations de fête de la cathédrale Basile le Bienheureux, les feux d’artifice et les « hourras ! » prononcés à l’unisson par plusieurs milliers de personnes : de quoi créer une impressionnante atmosphère idéale pour débuter la nouvelle année. Sélectionnez le bon point de vue sur la place Rouge pour enregistrer votre propre message vidéo avec en toile de fond la tour aux carillons – comme dans le plus pur style présidentiel !

LE CENTRE HISTORIQUE PIÉTONNIER Dès la mi-décembre, les zones piétonnières de Moscou – l’Arbat, le passsage Kamergerski, la rue Nikolskaïa – se métamorphosent en lieux féériques tirés de contes du Nouvel an. Vous pourrez profiter des concerts qui y sont organisés ainsi que des boutiques de souvenirs et des foires gastronomiques, tout en vous réconfortant de vin et de plats chauds. Le soir du réveillon du Nouvel an, tout le monde est invité à participer au défilé qui est une autre façon de faire la fête.

SHOPPING ET ANIMATIONS DE FOIRES Les foires vous permettent de découvrir de petites isbas en bois abritant des foulards de Pavlov Possad, des plateaux de Jostov ainsi que du pain d’épice de Toula. Visiter la ville des nains et le pays féérique des anges de Noël : c’est le programme qui vous est proposé au festival des foires « Le voyage de Noël ». Vous pourrez même y croiser de célèbres personnages du folklore russe, par exemple Emelia et son four mobile, et bien évidemment, Grand-père Gel et la Fille des neiges.

LE SOUFFLE ET LE CHARME DE L’HIVER DANS LES PARCS Pour le Nouvel an, chaque parc moscovite propose des programmes renouvelés destinés aux enfants comme aux adultes : spectacles son et lumière sur le thème de comédies musicales soviétiques du Nouvel an, des master-classes de ferronnerie ou de fabrication de décorations de Noël. Au parc de Kolomenskoïe, on se promène à cheval, tandis qu’au parc de Sokolniki, on assiste ou participe à des compétitions de sculpture de bonhommes de neige.

LES PATINOIRES DE MOSCOU Patinez au son des carillons sur la place Rouge – principale patinoire du pays –, où vous pourrez aussi vous régaler de vin et de clémentines. La patinoire la plus romantique de Moscou est située au cœur du jardin de l'Ermitage, tandis qu’à celle du parc Gorki (la plus grande d’Europe) vous attendent un grand nombre de cafés « douillets » sur la piste. En hiver, les étangs de Moscou se changent également en patinoires : ceux, légendaires, du Patriarche ou ceux de Tchistie Proudy – vous n’avez que l’embarras du choix.


Mercredi 19 novembre 2014

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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

CULTURE

ENTRETIEN AVEC VINCENT PÉREZ

« Ambassadeur du cinéma russe » ACTEUR, RÉALISATEUR, SCÉNARISTE ET PHOTOGRAPHE, IL PRÉSIDE CETTE ANNÉE LE JURY DE LA 22ÈME ÉDITION DU FESTIVAL DU CINÉMA RUSSE À HONFLEUR. VINCENT PÉREZ S’EXPRIME SUR UN PAYS QUI LE PASSIONNE.

L’image donnée des Russes par le cinéma français est-elle réaliste ? Je trouve que l’image des Russes ici en

ment saisi le langage international du cinéma, du point de vue des scénarios. Ils rêvent de faire des films d’action et ils vont bientôt y arriver, mais c’est vrai que pour le moment, le cinéma russe excelle dans les films comme Leviathan d’Andreï Zviaguintsev, qui est tout simplement sublime. Et si on regarde les autres films de ce réalisateur, c’est un parcours sans faute : Le Retour, Le Bannissement, Elena, que j’ai adorés. Pour moi, c’est le plus grand cinéaste russe de la nouvelle génération. Les films de Pavel Tchoukhraï sont aussi excellents et c’est dommage qu’ils ne soient pas exportés. Personnellement, je voudrais voir les films d’Alexeï Guerman, mais ils ne sont pas sous-titrés. La France n’est pas non plus très présente au niveau international, et si elle l’est, c’est parce que l’effort est structuré au niveau de l’État : il y a des gens qui exportent le cinéma français dans le monde et c’est financé par l’État. Il n’y a pas tout ça en Russie. Les efforts des enthousiastes qui aiment le cinéma russe ne suffisent pas.

Biographie

Photo, scène et studio Né le 10 juin 1964 à Lausanne, Vincent Pérez entame sa carrière en tant que photographe, mais se tourne aussitôt vers l’art dramatique. Comédien de théâtre et acteur de cinéma de talent, il est réalisateur et scénariste de courts et longs métrages, dont L’Échange et Peau d’Ange. M. Pérez est également l’auteur du scénario d’une série de BD.

GETTY IMAGES/FOTOBANK

Vincent,ilyapresque20ansvousavezjoué votre premier rôle dans un film russe. Depuis vous êtes retourné en Russie plusieurs fois pour différents projets, et cette année vous allez présider le jury du Festival du cinéma russe à Honfleur. À quoi tient votre attirance pour ce pays ? Certains Russes m’ont influencé aux moments cruciaux de ma vie, et notamment au moment de ma prise de décision de devenir acteur. J’avais 15-16 ans lorsque j’ai lu La Formation de l’acteur de Stanislavski, livre que j’ai découvert parce que je m’intéressais aux acteurs de L’Actors Studio et à la méthode de Strasberg qui a été inspirée par ce metteur en scène russe. C’était une vraie révélation et Stanislavski est devenu en quelque sorte mon mentor.Tout naturellement cela m’a conduit à lire du théâtre et les œuvres d’Anton Tchekhov en particulier. Un des premiers auteurs sur lequel j’ai travaillé quand j’étais au Conservatoire, et qui m’a toujours accompagné, c’est Tchekhov. J’ai joué SergueïVoïnitsov dans sa pièce Platonov. J’avais aussi un projet de monter en scène une nouvelle de cet écrivain qui s’appelle Une envie de dormir. En 1995, j’ai travaillé avec Pavel Lounguine, et quand je suis arrivé en Russie, ce fut un moment extraordinaire. Moscou se réorganisait. On était au milieu de ce monde complètement fou, comme au Chicago des années 30. J’ai découvert que le film avait été coproduit par la mafia tchétchène. Il y a eu des moments où je me suis retrouvé dans des situations difficiles, même dangereuses, mais cela n’a pas altéré ma passion pour la Russie. Tout ce que je vis dans ce pays dépasse toujours ce qu’on pourrait imaginer. Il y a quelque chose qui me touche profondément chez les Russes. Je ne veux pas me servir des clichés, mais une fois qu’on gratte un peu ou qu’on passe une certaine étape, il y a tout un monde qui s’ouvre. J’ai vraiment une passion pour la Russie, pour les Russes.

À l’affiche Honfleur, le rendez-vous des cinéphiles Les amateurs de cinéma russe ont leur festival : Honfleur, dont la 22ème édition se déroulera du 25 au 30 novembre 2014. Au programme : films de l’année en compétition, panorama, premiers longsmétrages, films Jeune Public, dessins animés pour les plus petits, section documentaires consacrée à l’œuvre de Galina Dolmatovskaya, avant-premières, rétrospective. En marge des projections, diverses animations – une table ronde sur le thème du langage au cinéma ou une exposition de photos sur les cinéastes russes au Festival de Cannes. Rediffusion des films primés le dimanche 30 novembre. Lieux : Cinéma Henri-Jeanson et Grenier à Sel. Gratuit pour les moins de 16 ans, les groupes scolaires et les étudiants. › www.festival-honfleur.fr

France est totalement fausse. Dans l’imaginaire du Français, le Russe, c’est quelqu’un de froid, dur, distant, qui ne s’ouvre pas ; les femmes russes sont manipulatrices. On est à fond dans les clichés, c’est une aberration. Nous avons une image complètement biaisée de la Russie. Je m’efforce à ma manière, par des petits moyens, de rétablir cette image, comme je peux, dans mon entourage. Je trouve chez les Russes une sincérité qui me touche beaucoup. Une fois que le cœur d’un Russe est ouvert, il est ouvert à vie, ce qui est magnifique.

En ligne Vous êtes en quelque sorte témoin de l’évolution qu’a subi le cinéma russe depuis la chute de l’Union soviétique. À votre avis, quelle est la place du cinéma russe actuel dans le monde ? Pourquoi est-il quasi inexistant sur les écrans français ? Les Russes n’ont pas encore complète-

Version intégrale de l’entretien sur notre site

Qu’est-ce que vous attendez du prochain Festival du cinéma russe à Honfleur ? J’attends tout d’abord de voir les films et les amis. Je suis en train de réunir un jury qui a une influence dans la société française. Je veux qu’on prêche la bonne parole pour dire qu’il faut arrêter avec les clichés. Je soutiens le festival de Honfleur parce que c’est une manière aussi de communiquer sur cette magnifique culture. Je suis un amoureux de la Russie et du cinéma russe et je le revendique. Chaque fois que j’ai l’occasion de faire quelque chose avec la Russie, je suis preneur. Parfois, je fais des trucs qui ne sont pas terribles, mais parfois je fais aussi de belles choses, comme d’avoir accepté cette participation au festival. Je deviens en quelque sorte un ambassadeur du cinéma russe – j’ai envie de l’exporter. Propos recueillis par MARIA TCHOBANOV

fr.rbth.com/31223

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

Vongozero, histoire d’une lutte pour la survie dans l’enfer de l’épidémie Belle surprise que ce premier roman de Yana Vagner, Vongozero, qui nous embarque dans un « road movie » littéraire captivant. Alors qu’une épidémie décime toute la Russie, un petit groupe improbable se constitue pour organiser sa fuite : Anna, la narratrice, son fils, son compagnon, l’ex de ce dernier et leur enfant rejoints par quelques compagnons d’infortune ; déjà on imagine les conflits potentiels, la lutte contre l’environnement hostile, mais aussi à l’intérieur de ce groupe condamné à une sorte de huis clos. Alors qu’une sorte d’état d’urgence semble être décrété à Moscou puis dans tout le pays, ils vont tenter, en plein cœur de l’hiver,

SUIVEZ

Auteur Yana Vagner

Traduit par Raphaëlle Pache

Éditions Mirobole

de rejoindre la Carélie, région septentrionale de la Russie où une hypothétique cabane les attend au milieu du lac Vongozero. Durant ce long périple à travers une Russie enneigée et fantomatique, nos huit protagonistes sont plongés dans l’inconnu, confrontés à tous les dangers, et notamment à leurs congénères qui, comme eux, sont animés d’une seule ambition : survivre à tout prix. Bien sûr, très vite, tout se déglingue, rendant caduque toute la technologie moderne, de l’électricité à la télé en passant par le téléphone et transformant au passage les usages et les mentalités. Yana Vagner montre admirablement – peut-être au détriment des

Lisez-nous tous les jours Recevez les meilleurs sur articles concernant la Russie FR.RBTH.COM directement dans votre et sur vos messagerie électronique plateformes préférées fr.rbth.сom/subscribe

autres personnages dont on peut regretter qu’ils soient moins fouillés – comment évolue le regard de la narratrice au fur et à mesure que l’aventure se développe et que reculent les frontières de l’acceptable. L’auteure évite les descriptions réalistes, se contentant le plus souvent de suggérer l’horreur, mais elle parvient pourtant avec beaucoup d’habileté à installer un suspense qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne. On voit peu à peu fondre les relations sociales – même les autorités sont quasiment absentes à l’exception de cordons de sécurité – et advenir un individualisme contraint et dévastateur. Un personnage se distingue pour-

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tant : un médecin, fidèle à sa vocation, qui donne à nos héros, alors qu’ils le sauvent du lynchage, l’occasion de voir se ranimer le sentiment d’humanité qui les désertait peu à peu. Sur fond d’épidémie d’Ebola, Vongozero devrait trouver chez les lecteurs un écho particulier. Initialement publié sur le blog de l’auteur, le roman connaît déjà un succès retentissant en Russie. Souhaitons à cette jeune auteure très prometteuse de savoir éviter l’écueil du formatage et la tentation des recettes dont certains de ses confrères sont prompts à s’emparer.

fr.rbth.com/6364

Où apprendre la peinture de Palekh ?

CHRISTINE MESTRE

Le 17 décembre

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À lire dans notre rubrique Culture : fr.rbth.com/31311

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