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Parmi les autres partenaires de distribution : The Daily Telegraph, The New York Times, The Washington Post, La Repubblica, etc.
C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U
LA NÉCESSAIRE DÉSESCALADE La poursuite de la « guerre des sanctions » aurait des conséquences irréversibles pour les relations russooccidentales, estime le directeur de l’Observatoire franco-russe Arnaud Dubien. PAGE 2
ÉCONOMIE Face aux sanctions, la Russie cherche à substituer sa production nationale aux importations
Le pari de l’autosuffisance La dépréciation du rouble sert de tremplin à la relance de la production intérieure. Mais, obstacle parmi d’autres, les investissements ont du mal à suivre. ALEXEÏ LOSSAN RBTH
LA 3D AU SERVICE DE L’INNOVATION MÉDICALE Un laboratoire russe va procéder à la greffe, sur des souris, d’une glande thyroïde imprimée en trois dimensions. L’expérimentation humaine suivra en cas de succès. PAGE 3
SUR LES TRACES DES ANCIENS CARÉLIENS Située dans le nord de la Russie, la Carélie est l’âme sœur de la Scandinavie, avec laquelle elle partage des paysages à la beauté austère et un héritage culturel unique.
L’instauration de sanctions économiques contre la Russie et de contre-sanctions sur l’importation de certains produits agroalimentaires européens ont créé des conditions plus favorables pour les producteurs russes. La dépréciation brutale du rouble fin 2014 et la première contraction économique en cinq ans (le PIB a chuté de 1,9% au premier trimestre 2015) ont renforcé l’idée que dans ce contexte difficile, une chance se présentait pour la production nationale.
Nouvelle stratégie L’effondrement de l’URSS avait porté un coup sévère à l’industrie russe. L’ouverture d’une économie jusque là largement autarcique avait révélé sa noncompétitivité. La Russie s’est vue brutalement contrainte d’importer une grande partie des biens industriels nécessaires, notamment en provenance des anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes. Elle devait non seulement acheter à l’étranger des biens manufacturés et des produits alimentaires, mais aussi importer d’Ukraine des armements stratégiques, comme les moteurs d’hélicoptères ou de missiles balistiques intercontinentaux. Face à des importations ainsi structurées, la stratégie de substitution actuellement mise en œuvre par les autorités russes est devenue cruciale pour le dé-
REUTERS
veloppement du pays. Les responsables estiment qu’elle permettra non seulement de protéger les entreprises stratégiques contre tout blocus technologique, mais aussi de renforcer la sécurité alimentaire et de diversifier l’économie dans son ensemble. Une partie des économistes russes voient d’un bon œil cette stratégie. « Le cours du rouble permet largement aux pro-
duits russes de devenir, à moyen terme, compétitifs par rapport aux importations, particulièrement dans l’industrie légère et l’agriculture », assure Timour Nigmatoulline, analyste à la holding d’investissement Finam. Selon le magazine Forbes, la substitution des importations a déjà été bénéfique à certains secteurs, tels que la production de viande bovine et de pommes,
qui a vu la demande croître de 40% immédiatement après la mise en place de l’embargo. Les entreprises agricoles nationales sont en mesure de prendre la place des étrangères, estiment les experts. Mais subsiste un problème majeur : le déficit d’investissement, luimême lié à la cherté du crédit. SUITE EN PAGE 2
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INVESTISSEMENTS Les activités du groupe pétrolier jugées conformes à la législation sur les sanctions
Pour Total, la Russie pourra rester une priorité stratégique LA SUBLIME MAÏA PLISSETSKAÏA « Cygne du ballet russe », Maïa Plisseteskaïa est devenue une légende de son vivant, née de son immense talent mais aussi de sa personnalité charismatique. PAGE 8
Malgré les sanctions contre le secteur pétrolier, le groupe français peut faire de la Russie son principal pays de production : une décision ministérielle lève un obstacle à ses projets. BENJAMIN HUTTER POUR RBTH
En 2014, la communauté d’affaires française subissait de plein fouet les répercussions de la crise ukrainienne : semaine après semaine, l’Union européenne, les États-Unis et la Russie durcissaient leurs relations économiques à coup de sanctions et de contre-sanctions. Le 8 septembre 2014, le Conseil de l’Union européenne adoptait un nouveau règlement interdisant de « fournir, directement
ou indirectement, les services [...] nécessaires à l’exploration et à la production de pétrole en eaux profondes, à l’exploration et à la production de pétrole dans l’Arctique ou à des projets dans le domaine du schiste bitumineux [ou "shaleoil", ndlr] en Russie ».
Feu vert des autorités françaises Dès lors, les sociétés et les acteurs économiques européens devaient recevoir l’accord de l’autorité désignée dans leur pays – en France, le ministère des Finances – pour pouvoir mener une activité en Russie. « Nous devions présenter tous nos projets dans ce pays pour recevoir la confirmation qu’ils étaient bien conformes à la législation européenne »,
précise Jacques de Boisséson, directeur général de Total E&P Russie et représentant général de Total en Russie. Au final, seul un projet de Total est tombé sous le coup des sanctions – celui du Bazhenov en Sibérie occidentale, qui est justement un projet de schiste bitumeux. En conséquence, le groupe a suspendu sa participation au projet, confirme M. de Boisséson. « Le groupe français avait prévu de mettre sur pied une co-entreprise avec le russe Lukoil, dont il aurait été propriétaire à 49%. L’investissement initial de la part de Total était de 108 à 136 millions d’euros », rappelle Alexandre Kourdine, chef du Département de recherches stratégiques dans
le domaine de l’énergie au sein du centre d’analyses du gouvernement russe, ajoutant que le départ du partenaire français constituerait un coup dur pour le russe Lukoil. Trois autres projets de Total ont bien reçu fin avril le feu vert du ministère français des Finances. Dans la mesure où les grands groupes industriels libèrent généralement la voie pour les autres investisseurs de leur pays, cette décision côté français est un signal favorable pour le monde des affaires : du moment que l’activité est conforme à la législation, le gouvernement ne s’oppose donc pas aux investissements en Russie malgré le contexte politique et les tensions internationales.
Des projets de longue date Total a décidé il y a plusieurs années de lancer des projets très importants en Russie, et de faire de ce pays le numéro un du groupe en matière de production. SUITE EN PAGE 2
D É C O U V R E Z L A R U S S I E DA N S T O U T E S S E S D I M E N S I O N S f r. r b t h . c o m
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ÉCONOMIE
ENTRETIEN AVEC ARNAUD DUBIEN, DIRECTEUR DE L’OBSERVATOIRE FRANCO-RUSSE
Risque de « conséquences irréversibles » volonté de se comprendre perdure audelà de 2015, ça pourrait avoir des conséquences irréversibles.
LES SANCTIONS N’ONT PAS « RÉDUIT EN LAMBEAUX » L’ÉCONOMIE RUSSE, MAIS ELLES PORTENT ATTEINTE AUX
La levée des sanctions, c’est pour quand ? Les États-Unis, le Canada et l’Australie vont maintenir les sanctions. Par ailleurs, les sanctions européennes sur la Crimée vont rester. En revanche, les sanctions sectorielles seront certes prorogées, mais pour moins d’un an et possiblement sous une forme allégée pour envoyer un signal aux autorités russes. Je pense aussi que la Russie va récompenser de façon unilatérale les pays qui ont une politique plus ouverte à son égard, dont la Grèce, la Hongrie et Chypre.
INTÉRÊTS DES ENTREPRENEURS EUROPÉENS EN RUSSIE
Biographie Diplômé de l’Institut national des langues et civilisations orientales et de Sciences Po-Paris, Arnaud Dubien est directeur de l’Observatoire – le centre d’analyse de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCI France-Russie) – et membre du Club Valdaï.
Lesinvestisseursétrangers sont-ilspressés de quitter le marché russe ? La situation est très différente en fonction des secteurs. Le secteur de la distribution, où de gros groupes français sont présents, a affiché de très belles performances en 2014. En revanche, chez les constructeurs automobiles, les ventes chutent dans des proportions élevées.
Mais, à ma connaissance, aucune entreprise française n’a l’intention de quitter la Russie, car les gens comprennent qu’audelà de la tempête actuelle, c’est un pays au potentiel énorme. Ici, les crises se produisent plus souvent qu’en France, mais le pays revient plus vite sur les rails qu’ailleurs. Les échanges franco-russes sont-ils très touchés par la crise ? Les importations russes ont baissé d’un tiers, ce qui a évidemment un impact sur les exportations européennes. De façon plus marginale, les sanctions se font sentir, mais elles visent un nombre très réduit d’entreprises. Toutefois, ces sanctions ont des effets induits, notamment bancaires. L’un des principaux problèmes est le non-financement par les banques françaises de projets d’entreprises françaises en Russie, conséquence, entre autres, de l’affaire BNP Parisbas aux États-Unis. Il y a des projets d’investissement français parfaitement rentables, mais qui ne sont plus financés. Par conséquent, des contrats sont perdus. Et ce problème est plus français qu’européen. De quelle façon le virage de la Russie vers l’Est affectera-t-il les projets européens ? Il y a plutôt un rééquilibrage tout à fait nécessaire et compréhensible qui a été engagé avant l’affaire ukrainienne.
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L’économie russe est-elle laminée par les sanctions ? Les prévisions parfois apocalyptiques qui avaient vu le jour fin décembre ne se confirment pas. On n’est pas dans une trajectoire d’effondrement de l’économie russe, ce qui ne veut pas dire qu’elle va bien. Il y a toute une série d’indicateurs inquiétants : la récession, qui sera sans doute autour de 3%, les revenus réels de la population, les investissements, qui vont baisser en 2015. Historiquement, ces derniers sont le talon d’Achille de l’économie russe et aujourd’hui, ils sont plus faibles que d’habitude. La priorité du gouvernement russe devrait être de porter le taux d’investissement à environ 30% de la richesse produite. Audelà des déclarations, il faut imaginer un nouveau modèle de développement et mettre en œuvre des politiques permettant de retrouver la confiance. La Russie doit réfléchir aux moyens de retrouver une croissance entre 3 et 5% pendant 15 ou 20 ans.
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La version intégrale de l’entretien sur fr.rbth.com/33739
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« Les investissements correspondants ont été planifiés sur 10, 30, 50 ans : ils ne peuvent pas être remis en cause tous les matins. Nous n’avons donc pas l’intention de changer nos plans », confirme Jacques de Boisséson. Bonne nouvelle pour la Russie, le pays attachant une grande valeur à l’expérience du groupe. Certains pensaient que la mort accidentelle de l’ancien PDG de Total, Christophe de Margerie, allait changer la donne. « Mais sa disparition en octobre 2014 n’a pas eu d’impact sur les grands projets du groupe en Russie », remarque Andreï Polichtchouk, analyste du secteur pétrogazier pour Raiffeisen Bank. Parmi les projets phares du moment : Yamal LNG.
Des obstacles subsistent Les projets de Total sont toutefois contrariés par le contexte. « Au sujet du financement du projet Yamal LNG, nous devons composer avec les sanctions américaines. Les autorités des États-Unis ont en effet interdit à leurs investisseurs de financer la compagnie russe Novatek et ses filiales, dont fait partieYamal LNG. Par extension, l’interdiction s’applique aussi aux autres acteurs qui voudraient
Yamal LNG Le schéma implique la construction d’une usine pouvant produire 16,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié par an. Les investissements dans ce projet basé sur le gisement de Tambei du Sud, en Sibérie occidentale, sont évalués à 23,6 milliards d’euros, répartis entre le russe Novatek, Total et la China National Petroleum Corporation.
Les sanctions ont-elles suscité un mécontentement de l’élite des affaires contre le pouvoir russe ? Le calcul qui a, semble-t-il, été fait à Bruxelles et qui consistait à créer une faille entre Poutine et les hommes d’affaires russes est une construction de l’esprit de la part de personnes qui ne comprennent rien à la Russie. Même si certaines entreprises sont affectées, si certains pensent que la Russie a beaucoup à perdre en affrontant l’Occident, les gens qui émettent des réserves sont avant tout des citoyens russes qui restent parfaitement loyaux envers Poutine et leur pays. Propos recueillis par FLORA MOUSSA
Le pouvoir mise sur l’autosuffisance malgré les obstacles
Pour Total, la Russie garde tout son attrait SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
Ce qui se passe actuellement, c’est que les choses vont plus vite et prennent plus d’ampleur que ce qui se serait passé en temps normal. Par exemple, les projets gaziers [sino-russes, ndlr] ont été évoqués dès 2006 et, tôt ou tard, ils se seraient faits. Là où les industriels occidentaux, particulièrement français, sont inquiets, c’est de voir que sur certains projets où ils étaient bien placés, ce sont d’autres qui raflent la mise. L’exemple le plus parlant est le projet de TGV Moscou-Kazan. Sans la crise ukrainienne, la Chine aurait pu gagner in fine, mais ça se serait passé différemment. Si le contexte des sanctions et de non-
Une marche arrière est-elle possible ? Il n’y aura pas de marche arrière ni d’un côté ni de l’autre. En revanche, il y aura des réflexions sur la façon de sortir de tout cela. Tout le monde a intérêt à ce que ça s’arrête. L’Ukraine, qui est en train de couler, mais aussi les Américains, les Européens et les Russes, qui ont intérêt à trouver une solution.
financer en dollars les projets de cette société russe », détaille-t-il. Yamal LNG devra donc être financé dans une autre monnaie. « Le problème est complexe mais nous sommes en train de trouver une solution. Une partie du financement devra notamment venir de Chine », conclut Jacques de Boisséson. L’accord sur le financement de Yamal LNG prévoyant une participation chinoise est attendu en juillet, souligne Andreï Polichtchouk. Fin avril le directeur financier de Total, Patrick de La Chevardière, escomptait un investissement chinois de 13,5 milliards de dollars (12,2 milliards d’euros). Alexandre Kourdine ne pense nullement que ce projet soit voué à l’échec : « Il est soutenu par les autorités russes et les investisseurs asiatiques sont très intéressés. Yamal LNG sera peut-être un peu retardé, mais rien de plus ». Au final, si des éléments de conjoncture viennent perturber la marche des investissements français en Russie, les projets économiques à long terme ne sont pas menacés par le contexte politique. « Au contraire, un partenaire étranger qui montre sa volonté de continuer à travailler en Russie malgré les sanctions est très apprécié », conclut l’expert.
Total a décidé il y a plusieurs années de faire de la Russie le pays numéro un du groupe en matière de production.
Selon l’Institut Gaïdar, le volume de crédits accordés aux entreprises a baissé de 25% en glissement annuel entre les mois de janvier-février 2014 et 2015.
Un fonds de développement Pour résoudre ce problème, les autorités ont adopté plusieurs mesures, notamment la création d’un fonds fédéral de développement de l’industrie, doté d’une enveloppe de 364 millions d’euros et destiné au financement de projets répondant aux besoins de production nationale. Début mai, 800 demandes avaient déjà été reçues pour un montant total de 5,1 milliards d’euros. Parmi les projets sélectionnés figure la fabrication de wagons de marchandises et de pièces en aluminium pour l’industrie automobile. Les investissements chinois viennent aussi pallier le défi financier : début mai, deux des principales banques russes ont obtenu des crédits d’un montant total de 1,45 milliard d’euros auprès de leurs partenaires chinois. L’argent servira au développement de l’industrie russe, notamment à la production de manganèse métallique, largement utilisé dans la production d’alliages qui sont actuellement importés d’Ukraine.
Encadrement et productivité Néanmoins, la substitution des importations est également freinée par une série d’autres facteurs, notamment
le manque de cadres qualifiés. « La mise en œuvre du programme nécessite l’implication de cadres supplémentaires capables de créer les produits susceptibles de remplacer les importations éliminées », explique Alexeï Kozlov, analyste en chef de la banque d’investissement UFS. La faible productivité constitue un autre obstacle, car elle effraie de nombreux investisseurs. Comme l’a indiqué le ministre russe du Développement économique Alexeï Oulioukaïev, la productivité en Russie est deux fois inférieure à celle des leaders mondiaux. Le pays produit environ 20,95-21,86 euros de PIB (produit intérieur brut) par heure, soit 60% de moins que les ÉtatsUnis. Evgueni Iassine, de l’École des hautes études en sciences économiques, estime que la question clé qui déterminera le succès de la substitution des importations consiste précisément à améliorer cet indicateur. La politique volontariste du gouvernement peut-elle réussir ? Si le secteur agro-industriel semble en mesure d’afficher prochainement une belle croissance, l’industrie se développera plus lentement, conclut Timour Nigmatoulline : « La substitution des importations est un processus assez long. La construction et l’utilisation à plein de nouveaux sites de fabrication prennent plusieurs années. Dans l’agriculture, il faut compter un à trois ans. Dans les industries mécaniques, entre trois et cinq ans ».
RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH) PUBLIE 29 SUPPLÉMENTS DANS 22 PAYS POUR UN LECTORAT TOTAL DE 26,8 MILLIONS DE PERSONNES ET GÈRE 22 SITES INTERNET EN 16 LANGUES. LES SUPPLÉMENTS ET CAHIERS SPÉCIAUX SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), ET DIFFUSÉS DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX SUIVANTS: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • HANDELSBLATT, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • NEDELJNIK, GEOPOLITI KA, SERBIE • LE JEUDI, TAGEBLATT, LUXEMBOURG • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES, FOREIGN POLICY, INTERNATIONAL NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATSUNIS • THE ECONOMIC TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • HUANQIU SHIBAO, CHINE • LA NACION, ARGENTINE • EL PAÍS, CHILI • EL PAÍS, PÉROU • EL PAÍS, MEXIQUE • FOLHA DE S.PAULO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • JOONGANG ILBO, JOONGANG R MAG, CORÉE DU SUD • AL AHRAM, ÉGYPTE • THE NATION, PHUKET GAZETT, THAÏLANDE. COURRIEL : FR@RBTH.COM. POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER FR.RBTH.COM. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)
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SCIENCES & TECHNIQUES
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SCIENCES BIOMÉDICALES Des scientifiques russes ont réalisé une première en imprimant des glandes thyroïdes
Reproduction organique : les promesses de l’impression 3D
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Un laboratoire russe mise sur l’impression en trois dimensions de glandes thyroïdes humaines et vise des « constructions » plus complexes après un test d’implantation sur des souris. VICTORIA ZAVIALOVA RBTH
En mars dernier, le laboratoire moscovite Bioprinting Solutions est parvenu à imprimer une glande thyroïde sur une bio-imprimante. L’implantation de cette « construction » sur des souris devrait, en cas de réussite, ouvrir la voie à l’impression d’une glande humaine. Les résultats de l’expérience ne seront connus qu’en juillet, mais le directeur du laboratoire Vladimir Mironov ne doute pas du succès. Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 665 millions de personnes souffrent de pathologies de la glande thyroïde aujourd’hui dans le monde. Or un dysfonctionnement oncologique de la thyroïde ne permet pas de résoudre le problème de façon médicamenteuse. La transplan-
tation d’organes et de tissus provenant de donneurs est également impossible, car l’immunosuppression (baisse des défenses immunitaires) nécessaire pour une opération de ce type provoque une croissance de la tumeur, explique le cancérologue Andreï Poliakov de l’Institut Guertzen de Recherches oncologiques de Moscou. Il s’avère qu’aucun traitement immunosuppresseur n’est nécessaire, selon lui, pour la greffe d’organes et de tissus créés par bio-impression 3D.
La bio-imprimante mise au point par la société russe Bioprinting Solutions.
ment la glande thyroïde qui a été le premier organe greffé sur l’homme. Cependant, Vladimir Mironov affirme que d’ici deux à trois ans, on pourra imprimer des vaisseaux sanguins, de la peau, des cheveux, mais aussi du cartilage, des os et des tissus adipeux.
Comment ça marche Les chercheurs ont utilisé la technologie d’impression 3D existante, à l’aide de laquelle on peut obtenir du plastique ou des métaux, et l’ont adaptée pour un matériau biologique, les cellules. Ce processus est nommé « production par couches ». L’imprimante originale conçue par les chercheurs se compose de trois éléments principaux : le système mécanique de positionnement, la tête d’impression et le système de contrôle. En fait, c’est un robot capable de se déplacer en trois dimensions. Le processus de bio-impression se déroule comme suit : tout d’abord, on vaporise un gel, une fine couche de fibrine blanche. Ensuite, les mini-tissus sont disposés par-dessus, sous forme de sphères,
Une « construction organique » Les chercheurs russes n’appellent pas leur produit imprimé « organe », mais « construction organique ». « Notre construction est composée de plusieurs types de tissus, possède des vaisseaux sanguins et des fonctions au nouveau de l’organisme », explique M. Mironov. Le choix de la glande thyroïde ne doit rien au hasard : c’est en effet un organe d’une structure relativement simple, et très pratique pour les travaux de recherche scientifique. Et c’est précisé-
Applications Des compagnies pharmaceutiques utilisent déjà des constructions organiques imprimées pour étudier la toxicologie de leurs produits : un test sur une seule couche peut ne pas montrer de toxicité, tandis qu’un test sur un organe imprimé en trois dimensions peut donner le résultat opposé.
qui sont par la suite fondues en structures en trois dimensions. La construction imprimée sera implantée par les chercheurs sur des souris, comme lors d’une greffe d’organes classique. La thyroïde des rongeurs a été détruite avec de l’iode radioactif. Par conséquent, le niveau d’hormones dans leur organisme a chuté. Une fois la construction organique acceptée (environ un mois après la transplantation), le taux d’hormones thyroïdiennes devra se redresser. Vladimir Mironov ne doute guère que la thyroïde imprimée fonctionnera.
Des économies à long terme Selon M. Mironov, l’infrastructure de greffe d’organes imprimés peut être réalisée en Russie. « Mais il faudra un travail collectif des sphères gouvernementales et des investisseurs privés. Cela nécessitera des investissements de l’ordre de plusieurs millions de dollars, mais permettra sur le long terme au système de santé du pays d’économiser de l’argent sur les soins délivrés ».
INNOVATION Elles vont « reconstruire » la Bastille et proposer des robots commerçants
Des jeunes pousses russes en démonstration détruite au XVIIème siècle. « Grâce à notre installation, le flux touristique de la ville pour la saison passée a crû de près de 30% », indique Mme Sorina. Cette année, la société a lancé le projet Domaine d’Altun. Il s’agit d’une reconstruction de l’aspect architectural de l’une des plus belles demeures aristocratiques du XIXème siècle. Au printemps, pour les touristes et les habitants de SaintPétersbourg, Piligrim XXI a créé une application consacrée au légendaire croiseur Aurore, symbole de la révolution d’Octobre.
Au festival Futur en Seine, du 11 au 14 juin à Paris, la Russie sera représentée par des projets dans les domaines de la réalité augmentée et des stratégies de promotion. RBTH
Cette année, plusieurs jeunes pousses russes participeront au festival international des innovations numériques Futur en Seine. Parmi elles, le service de réalité augmentée Piligrim XXI, qui permet de combiner une visite réelle des attractions avec un voyage dans le temps, et Promobot, robot intelligent conçu pour attirer des clients. Le premier lance le projet intitulé Fort de la Bastille qui permettra aux touristes de reconstituer sur l’écran de leur appareil la prison détruite. Promobot, quant à lui, viendra au festival avec son robot sociable afin de lui apprendre le français.
La Bastille reconstituée Le touriste dirige sa tablette ou son smartphone sur les ruines d’un château ou sur un champ ayant naguère été le théâtre d’une bataille célèbre et, quelques secondes plus tard, l’écran affiche l’image de ce lieu tel qu’il se présentait il y a plusieurs siècles. Les auteurs de Piligrim XXI ont pour ambition d’insuffler une nouvelle vie à l’industrie du tourisme grâce à leur application. D’ici juin, ils envisagent de reconstituer la place de la Bastille à Paris dans sa figuration historique pour permettre aux touristes de visualiser la célèbre prison qui l’occupait avant sa destruction. « Le fort apparaîtra précisément là où il se trouvait jusqu’au XVIIIème siècle », nous explique Diana Sorina, co-fondatrice de la start-up. « Les Russes sont
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traditionnellement passionnés par la culture française, ils connaissent bien l’histoire de ce pays. Nous sommes persuadés que notre ‘Bastille’ deviendra une nouvelle attraction sur la riche carte touristique de Paris. Dès cet été, chacun pourra non seulement admirer la prison gratuitement, mais, s’il le souhaite, également la détruire. Cette dernière option sera payante », précise-telle avec malice. Les créateurs de la jeune pousse en ont eu l’idée en 2013 quand ils ont été sollicités par l’administration de l’oblast de Volgograd (sud-ouest de la Russie). En prévision de la Coupe du monde de football de 2018 en Russie, les autorités locales se sont fixé pour objectif d’attirer des touristes. La plupart des monuments d’architecture significatifs de cette région ayant été détruits durant la Seconde Guerre mondiale, elles se sont tournées vers la réalité virtuelle. Actuellement, Piligrim XXI propose déjà trois parcs de réalité augmentée. La première application a été lancée l’été dernier dans la ville lettone de Ludza. Il s’agit d’une reconstruction d’envergure de la forteresse de l’Ordre de Livonie,
Réconstitution virtuelle du domaine d’Altun, dans la région de Pskov (nord-ouest de la Russie).
Le service Piligrim XXI permet de combiner une visite réelle des attractions avec un voyage dans le temps
Promobot : le rêve des employeurs français ? Les auteurs du projet Promobot, un robot conçu pour attirer des clients, espèrent trouver des partenaires en France capables de les aider à enseigner la langue française à l’appareil. Oleg Kivokourtsev, co-fondateur de la jeune pousse, précise que le robot sait déjà communiquer en anglais et dispose d’un vocabulaire de 70 000 mots. « Le français est une langue plutôt compliquée. C’est pourquoi nous aimerions travailler avec des concepteurs locaux », explique M. Kivokourtsev, ajoutant que pour le moment, le robot ne sait dire que des phrases générales dans la langue de Molière. Promobot est un robot unique capable de garder en mémoire les personnes avec qui il a été en contact. Il est capable d’afficher des documents promotionnels sur son écran et aide les clients à s’orienter dans l’espace. Selon les concepteurs, Promobot entre en concurrence avec le personnel administratif des entreprises. Il peut analyser le nombre de personnes ayant visité un lieu, déterminer leur sexe et leur âge en numérisant leur visage et
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Promobot lors de la Conférence internationale de la robotique à Skolkovo, près de Moscou.
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Jeunes pousses russes sur
détecter même leur humeur. Par ailleurs, contrairement aux enquêtes, le robot recueille les informations de manière autonome. Cette option est utile pour les spécialistes marketing qui souhaitent mieux connaître leurs principaux consommateurs. Promobot se déplace de manière indépendante grâce à une plateforme équipée de capteurs infrarouges qui lui permettent d’éviter différents obstacles. Il utilise les technologies existantes de reconnaissance vocale de Google. Ensuite, le texte est transmis au service disposant d’une immense base linguistique qui permet d’apporter une réponse détaillée. En Russie, 130 promobots ont déjà été vendus. L’institut technologique de Moscou est l’un des plus gros clients de Promobot : il a acquis 50 robots afin d’étudier les particularités de la communication entre un humain et une machine. Selon M. Kivokourtsev, en France, Promobot a déjà intéressé une grande chaîne d’épiceries, mais la transaction est encore au stade des négociations.
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POLITIQUE & SOCIÉTÉ
DIPLOMATIE Après une année glaciale, les contacts reprennent avec les États-Unis et se poursuivent avec l’Union européenne
Le dialogue réamorcé entre la Russie et l’Occident
Les experts russes jugent diversement ce que Moscou peut attendre d’une implication directe des États-Unis dans le processus de Minsk. « Nuland n’est pas la négociatrice la plus accommodante pour la Russie, et elle fera tout pour empêcher que la crise soit résolue selon les conditions de Moscou », explique Dmitri Souslov. « Pour la Russie, une intervention des Américains dans le format de Minsk n’est pas souhaitable actuellement, car l’objectif principal est le rétablissement du dialogue avec l’Allemagne », estime Oleg Barabanov. Néanmoins, Dmitri Souslov juge qu’un retour de la diplomatie américaine dans le jeu a ses points positifs : « Jusqu’à une date récente, les États-Unis représentaient le point de vue de Kiev. Désormais, Washington pourrait devenir un acteur recherchant un règlement politique et non l’escalade militaire. Oui, la vision américaine diffère de la vision russe, mais au moins, il ne s’agit plus de régler la question du Donbass par les armes ». L’implication des États-Unis a son importance pour la Russie, car elle réduit la marge de manœuvre des Ukrainiens. « Kiev n’écoute que ceux qui lui disent des choses plaisantes. Aussi, le pouvoir ukrainien cherche toujours le partenaire avec qui il est le plus à l’aise. Alors quand tous les partenaires parlent d’une seule voix, cela devient un argument puissant », explique Andreï Souchentsov, associé gérant de l’agence analytique Politique extérieure.
La visite des patrons du Département d’État américain en Russie et le voyage du chef de la diplomatie russe à Bruxelles témoignent d’une volonté de trouver une issue à la crise ukrainienne. GUEVORG MIRZAYAN POUR RBTH
La diplomate américaine Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe, était à Moscou les 17 et 18 mai. Il s’agissait de sa deuxième visite en quelques jours : elle avait d’abord accompagné son responsable John Kerry pour sa rencontre avec Vladimir Poutine à Sotchi avant de se rendre en Ukraine, revenant ensuite dans la capitale russe pour des pourparlers avec ses homologues au sein du ministère des Affaires étrangères, Grigori Karassine et Sergueï Ryabkov. Le 19 mai, c’était le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui se rendait à Bruxelles pour évoquer la question de l’Ukraine entre autres sujets de coopération souhaités.
La guerre doit rester froide Certains observateurs russes voient dans ce sursaut d’activité diplomatique une inflexion de la stratégie de Washington dans les relations avec Moscou. « Début mai, un groupe de représentants influents du Parti démocrate s’est formé autour du secrétaire d’État John Kerry. Ce groupe désire que les ÉtatsUnis soient plus à l’écoute de la réticence de nombreux pays européens face au risque de détérioration supplémentaire des relations avec la Russie. Tout cela a conduit à la visite de Kerry à Sotchi », explique Oleg Barabanov, professeur de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou et expert en chef du Club Valdaï. « Kerry a de la sorte choisi une nouvelle stratégie pour les États-Unis : cesser d’ignorer le processus de Minsk et
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Victoria Nuland lors de sa visite à Moscou.
s’y joindre pour reprendre l’initiative et mener à son terme la résolution de la crise ukrainienne », estime l’expert. Dmitri Souslov, directeur adjoint du Centre des études complexes et européennes de l’École des hautes études en sciences économiques, ne partage pas cet avis : « il est prématuré de parler d’une percée, d’un réchauffement ou de concessions de la part de Washington. Les États-Unis cherchent simplement à empêcher une nouvelle escalade en Ukraine et une détérioration des relations russo-américaines en cette période de campagne présidentielle ». Pour lui, « les pragmatiques au sein de l’administration Obama ne sont pas intéressés par une escalade, car la Maison
Blanche serait alors poussée à apporter un soutien militaire à l’Ukraine et nous pourrions nous rapprocher très rapidement d’une situation conduisant in fine à une confrontation entre la Russie et l’OTAN ».
Le poids des partenaires de Kiev Entre-temps, l’Ukraine reste la principale pomme de discorde. Les accords de Minsk, qui fixent les paramètres du règlement de la crise en Ukraine, ont constitué le thème central des négociations entre Nuland et les diplomates russes. Les pourparlers ont mis en évidence les divergences de vues sur la décentralisation et la réforme constitutionnelle en Ukraine.
En ligne
La Russie tente de renouer le dialogue avec l’Occident fr.rbth.com/33717
Un appel aux Européens À Bruxelles, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, s’adressant au Conseil des ministres de l’UE, a demandé aux Européens de faire pression sur Kiev pour concrétiser la réforme constitutionnelle et organiser les élections dans les régions qui se sont écartées du pouvoir central, notamment le Donbass. Il s’est aussi prononcé pour la levée des sanctions. Par ailleurs, lors du sommet du Partenariat oriental de Riga le 20 mai, les représentants de l’UE ont fait passer un message d’apaisement envers Moscou : l’élargissement de l’Union n’est pas à l’ordre du jour, n’en déplaise à l’Ukraine et à la Géorgie, qui cherchent à s’éloigner de la Russie.
HUMANITAIRE Les difficultés d’intégration en Russie et le calme relatif dans la province ukrainienne inversent les flux migratoires
Les réfugiés du Donbass songent au retour Joaillier, il devient simple ouvrier
MIKHAIL MORDASOV
En avril, le Service fédéral des migrations (FMS) a constaté que des réfugiés ukrainiens en Russie commençaient à rentrer chez eux, rassurés par la trêve des combats. MARINA OBRAZKOVA RBTH
Nina, son mari et leur nouveau-né ont quitté l’oblast de Lougansk pour la Russie en septembre 2014. À l’époque, le sud-est de l’Ukraine était le théâtre d’opérations militaires actives. La ville de cette famille ukrainienne, Rovenky, côtoyait la ligne du front. Rovenky n’était pas dans la ligne de mire. Mais à la périphérie, des bombardements ont provoqué la mort de cinq personnes, se souvient la jeune femme. Face au danger, la famille a décidé de fuir. « J’ai des
Revirement pour une jeune famille qui avait fui les troubles en Ukraine pour trouver refuge en Russie.
parents à Kamensk-Ouralski, dans l’oblast de Sverdlovsk [dans l’Oural, ndlr]. Ils ont promis de nous aider, et nous sommes partis les rejoindre », se remémore le jeune mère. Le couple et son enfant ont été accueillis avec bienveillance par leurs proches comme par la population locale en général. Apprenant que la jeune famille ukrainienne était en difficulté, les habitants de la ville lui ont immédiatement fourni des aliments pour bébé, ainsi que des meubles et des vêtements. « Mais, bien sûr, sans la guerre, nous ne serions pas partis. On est toujours mieux chez soi qu’ailleurs », raconte Nina. Après réflexion, elle ajoute : « Quoique, peut-être serions-nous quand même partis, mais uniquement si nous avions trouvé un très bon travail ».
Dans la rude réalité de l’Oural, le mari de Nina a trouvé un emploi, mais fort éloigné de ses qualifications. Igor était un spécialiste joaillier hautement qualifié. Il a dû se contenter de travailler en tant que simple ouvrier dans une usine métallurgique. Son expérience de créateur de bijoux s’est avérée inutile, tout comme son diplôme d’études supérieures. « Le plus gros problème rencontré était financier. Nous sommes contraints de vivre dans un appartement en location avec un seul salaire de 20 000 roubles maximum [350 euros, ndlr]. Ce moisci, l’usine n’a pas rempli ses quotas, et le salaire de mon mari a été réduit de 30% », se lamente sa jeune femme. Nina aurait bien voulu travailler, mais elle n’a personne pour garder son bébé de dix mois. L’option de la nounou n’est financièrement pas réaliste. Elle s’est lancée dans la recherche d’un emploi à mi-temps. « Je suis prête à tout faire, même travailler comme femme de ménage, mais je ne trouve pas de travail à temps partiel. Je me suis renseignée au centre d’embauche, j’ai posté des annonces sur les réseaux sociaux. Mais sans résultat », déplore Nina. Par ailleurs, la famille est en butte à des tracasseries administratives. L’asile temporaire peut être accordé gratuitement, mais pour obtenir un permis de séjour temporaire, il faut présenter une traduction certifiée conforme des documents. Ce service coûte entre 5 000 et 6 000 roubles (entre 87 et 105 euros) par personne, une somme inabordable pour le ménage. L’autre problème de taille pour Nina est l’enregistrement sur le lieu de résidence, une formalité obli-
En chiffres
1 200 000 Ukrainiens se sont réfugiés dans d’autres régions de leur pays (données datant de la fin mars 2015).
800 961 personnes ont quitté l’Ukraine pour les pays voisins, selon l’ONU.
660 000 Ukrainiens ont trouvé refuge en Russie.
gatoire pour tous les étrangers. Les propriétaires d’appartements hésitent à déclarer leurs locataires pour éviter d’avoir à payer les taxes locatives. Or, la déclaration est exigée pour toute démarche administrative.
Le chemin du retour La jeune femme estime qu’elle et sa famille seront bientôt contraints de retourner en Ukraine, faute de parvenir à s’intégrer. « Beaucoup de mes amis ont fui en Russie à cause de la guerre, mais presque tous sont rentrés chez eux à cause de problèmes pécuniaires ou administratifs ». La situation est moins complexe dans les grandes villes. Nina explique qu’une de ses connaissances est parvenue à faire son trou à Ekaterinbourg : « Son époux y a trouvé un travail convenable, leur enfant va à l’école, et la famille n’a pas l’intention de retourner en Ukraine », dit-elle. « Nous pourrions aussi rester en Russie si les choses s’étaient passées autrement, on se plaît ici, mais nous allons probablement rentrer ». Actuellement, tout est calme à Rovenky et la ville a été épargnée par les hostilités. Il faut espérer que la situation ne se dégradera pas, sinon les réfugiés qui sont rentrés chez eux devront de nouveau quitter leur foyer. Les statistiques du FMS confirment qu’un mouvement de retour des Ukrainiens s’est amorcé. « Avec la trêve [dans le Donbass, ndlr], les migrations de réfugiés en Russie sont faibles. Nous constatons plutôt des départs. Mais il serait prématuré de parler d’un départ massif », a indiqué une responsable de l’office moscovite de l’organisme à l’agence RIA Novosti.
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Mercredi 27 mai 2015
OPINIONS
LA CHINE SE RAPPROCHE M FEDOR LOUKIANOV POLITOLOGUE Président du Conseil pour la politique étrangère et la politique de défense
oscou et Pékin ont fait un pas décisif l’un vers l’autre. Les documents signés lors de la visite du président chinois Xi Jinping en Russie font apparaître une attitude radicalement nouvelle par rapport à ce qui pouvait s’observer jusqu’ici. La coopération croît depuis le début des années 2000, mais les déclarations l’emportaient sur les réalisations. Les deux mémorandums d’accord rendus publics le 8 mai sont concrets et exhaustifs. Les intentions politiques englobent toutes les sphères, allant de l’agriculture à l’espace en passant par l’Internet, ainsi que les principaux modes de gestion des crises internationles. Tout est dans la formule suivante : « La création d’un mécanisme d’échanges et de coopération entre l’administration du président russe et l’appareil du Comité central du Parti communiste chinois, ainsi que le Comité central pour l’inspection disciplinaire du Parti communiste Chinois/ministère du Contrôle de la RPC [République populaire de Chine, ndlr] ». Cette formule bureaucratique renvoie à un véritable partenariat stratégique dont l’objectif consiste à coordonner les projets. Ce partenariat suggère un vrai renforcement des relations, malgré les différends. Un document distinct porte sur le « raccordement » de la ceinture économique de la Route de la soie et de l’Union économique eurasiatique, qui ne se développeront plus uniquement en parallèle, mais de manière de plus en plus imbriquée. Pour résumer, les mémorandums signés par Moscou et Pékin abordent une nouvelle organisation de l’Eurasie : la dynamique du développement et les initiatives ne se propageront pas d’Ouest en Est, comme c’était traditionnellement le cas, mais en sens inverse. L’essor rapide de l’Asie qui, jusqu’ici, se concentrait sur les espaces maritimes et côtiers du Pa-
L ALEXANDRE GABOUÏEV ANALYSTE Directeur du programme Russie dans la région Asie Pacifique du Centre Carnegie de Moscou
REVUE DE PRESSE MACÉDOINE : UN FOYER D’AGITATION HOSTILE À MOSCOU Moscou voit dans les récents troubles en Macédoine les prémisses d’une nouvelle « révolution de couleur », dont le but serait de punir ce pays pour sa « loyauté » envers la Russie. C’est aussi l’analyse de la presse russe.
LA MACÉDOINE SOUS PRESSION KONSTANTINE VOLKOV ROSSIYSKAYA GAZETA / 20.05 NATALIA MIKHAYLENKO
cifique, gagne désormais le continent. Tous les États sont concernés par de grands projets d’infrastructure porteurs d’un nouvel élan socio-économique. L’intérêt porté par les puissances continentales à leur propre développement coïncide avec le désir de la RPC de construire un corridor vers l’Ouest, en direction des marchés européens et audelà. Dans cette configuration, la question de la concurrence entre Moscou et Pékin en Asie centrale s’estompe : la région ne sera plus une fin en soi, mais un moyen de réaliser des objectifs concrets, importants pour tous les participants. L’évolution de l’architecture eurasiatique n’enchantera pas Washington. Comme les intérêts chinois et russes sont orientés (de manière différente) vers l’Europe, membre constitutif de la communauté transatlantique, les États-Unis suivront
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Les mémorandums signés par Moscou et Pékin inaugurent une nouvelle organisation de l’Eurasie »
BRICS : LA RUSSIE Y VOIT UNE ALTERNATIVE AU G8 e sommet des BRICS prévu du 8 au 10 juillet à Oufa (Bachkirie) sous la présidence russe sera le septième depuis sa création et le cinquième depuis l’intégration de l’Afrique du Sud à cette structure – d’où le « S » (pour South Africa) ajouté à l’acronyme désignant jusqu’alors le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Le terme BRIC avait été imaginé en 2001 par l’ancien économiste en chef de Goldman Sachs, Jim O’Neil, pour désigner les principales économies émergentes et proposer aux clients de la banque un nouvel objet d’investissement. C’est Moscou qui a eu l’idée d’insuffler à cette perspective boursière une dimension politique. En 2006, à l’initiative du président Poutine, la première rencontre interministérielle au format BRIC s’est tenue à New York. Trois ans plus tard avait lieu le premier sommet. Et en l’absence de résultats concrets, Moscou avait pu envoyer un signal à l’Occident, à savoir que la Russie avait d’autres partenaires influents.
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Au fil des ans, l’organisation a élargi sa sphère d’activité. Outre sa contribution à l’établissement de réseaux géopolitiques, elle a commencé à formuler de nouvelles normes internationales. La principale a été la tentative de créer une alternative au système de BrettonWoods, qui régente encore l’architecture financière mondiale dominée par l’Occident. Les pays coordonnent activement leurs positions sur ces sujets au sein du G20. Et en 2014, quand il est devenu clair que le Congrès américain allait bloquer la proposition des « Vingt » de réformer le Fonds monétaire international (FMI) et redistribuer les votes en faveur des pays en développement, les BRICS ont décidé de créer leur banque et leur propre réserve de monnaies nationales – qui permettra sur le long terme de réduire la domination globale de l’euro et du dollar. Les réalisations du groupe sont pour l’instant limitées. L’une des raisons tient à un mode de fonctionnement bureaucratique. Les BRICS constituent l’une des rares organisations dont les som-
L E CO U R R I E R D E S L E C T E U R S , L E S O P I N I O N S O U D E SS I N S D E L A R U B R I Q U E “ O P I N I O N S ” P U B L I É S DA N S C E S U P P L É M E N T R E P R É S E N T E N T D I V E R S P O I N T S D E V U E E T N E R E F L È T E N T PA S N É C E S S A I R E M E N T L A P O S I T I O N D E L A R É D A C T I O N D E R U S S I A B E Y O N D T H E H E A D L I N E S O U D E R O S S I Y S K AYA G A Z E TA . MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : FR@RBTH.COM RUSSIA BEYOND THE HEADLINES EST PUBLIÉ PAR LE QUOTIDIEN RUSSE ROSSIYSKAYA GAZETA. LA RÉDACTION DU FIGARO N’EST PAS IMPLIQUÉE DANS SA PRODUCTION. LE FINANCEMENT DE RBTH PROVIENT DE LA PUBLICITÉ ET DU PARRAINAGE, AINSI QUE DES SUBVENTIONS DES AGENCES GOUVERNEMENTALES RUSSES. RBTH A UNE LIGNE ÉDITORIALE INDÉPENDANTE. SON OBJECTIF EST DE PRÉSENTER DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA RUSSIE ET LA PLACE DE CE PAYS DANS LE MONDE À TRAVERS UN CONTENU DE QUALITÉ. PUBLIÉ DEPUIS 2007, RBTH S’ENGAGE À MAINTENIR LE PLUS HAUT NIVEAU RÉDACTIONNEL POSSIBLE ET À PRÉSENTER LE MEILLEUR DE LA PRODUCTION JOURNALISTIQUE RUSSE AINSI QUE LES MEILLEURS TEXTES SUR LA RUSSIE. CE FAISANT, NOUS ESPÉRONS COMBLER UNE LACUNE IMPORTANTE DANS LA COUVERTURE MÉDIATIQUE INTERNATIONALE. POUR TOUTE QUESTION OU COMMENTAIRE SUR NOTRE STRUCTURE ACTIONNARIALE OU ÉDITORIALE, NOUS VOUS PRIONS DE NOUS CONTACTER PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE À L’ADRESSE FR@RBTH.COM. SITE INTERNET FR.RBTH.COM. TÉL. +7 (495) 7753114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), PAVEL GOLUB : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, TATIANA CHRAMTCHENKO : RÉDACTRICE EXÉCUTIVE, FLORA MOUSSA : RÉDACTRICE EN CHEF, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, DIMITRI DE KOCHKO : CONSEILLER DE LA RÉDACTION, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, MILLA DOMOGATSKAÏA : DIRECTRICE DE LA MAQUETTE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREÏ ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@ LEFIGARO.FR). EVGUENIA SHIPOVA : REPRÉSENTANTE À PARIS (E.SHIPOVA@RBTH.COM, 06 67 42 20 42 ) © COPYRIGHT 2015, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS. ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À FR@RBTH.COM OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 7753114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ILLUSTRATEURS. LES LETTRES DE LECTEURS SONT À ADRESSER PAR COURRIEL À FR@RBTH.COM OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). RUSSIA BEYOND THE HEADLINES N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS. RBTH ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE. CE SUPPLÉMENT A ÉTÉ ACHEVÉ LE 22 MAI 2015
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Au sommet d’Oufa, les dirigeants russes pourront présenter leur pays comme le leader du monde ‘non occidental’ »
de près la mise en œuvre de cette initiative émergente. Il reste que les partisans du rapprochement sino-russe ne doivent pas se faire d’illusion sur la portée des intentions de Pékin : dans un avenir prévisible, la Chine n’ira pas jusqu’à la création d’une alliance militaro-politique avec la Russie. Lors de sa visite d’État aux États-Unis, prévue en septembre prochain, le président chinois s’efforcera de renforcer et de développer les relations bilatérales entre les deux pays, cruciales pour Pékin comme pour Washington. C’est la réalité de la mondialisation. Cela étant, les relations sino-russes entrent dans une nouvelle phase, sans précédent dans l’histoire. Les conseils des experts devront guider le rapprochement mais le tournant est amorcé. Article initialement publié dans ROSSIYSKAYA GAZETA
mets ne marquent pas la fin de la présidence d’un État, mais son début. L’ordre du jour est préparé pendant un an par le pays qui préside, mais c’est le suivant qui prend les décisions. Ce manque de synchronisation constitue une entrave à bien des initiatives. Actuellement, c’est surtout la dimension symbolique qui compte pour Moscou. Après le rattachement de la Crimée et le début de la guerre dans l’Est de l’Ukraine, l’Occident a tenté d’isoler la Russie. Sous le coup de sanctions, Moscou a été exclu du G8. Le défilé de la Victoire sur la place Rouge est devenu un symbole encore plus marquant de son isolement. Dans ce contexte, au sommet d’Oufa, les dirigeants russes pourront présenter leur pays comme le leader du monde « non-occidental ». La présidence du groupe des BRICS permet également à la Russie de se positionner comme membre d’une union alternative à l’ordre dominant. Aux côtés d’une économie chinoise en passe de devenir la plus puissante au monde mais aussi de pays dynamiques d’Asie du sud, d’Amérique latine et d’Afrique, elle peut affirmer ne pas avoir besoin ni l’intention de réintégrer le G8. Quels que soient les résultats concrets d’Oufa, ils seront moins importants que la portée symbolique du sommet, puisque jusqu’ici les BRICS n’ont fait leurs preuves que dans le lancement de nouvelles idées.
Les militants pro et anti-gouvernementaux rassemblés dans la capitale macédonienne, Skopje, sont résolus à aller jusqu’au bout en défendant leurs positions. En même temps, les deux parties réalisent qu’une guerre n’est dans l’intérêt de personne, y compris des Albanais. Beaucoup de Macédoniens sont persuadés que des terroristes d’Al-Qaïda et de l’État islamique, soutenus par des Américains, sont derrière l’attaque contre Kumanovo, perpétrée le 9 mai dernier.
UNE RÉVOLUTION DE COULEUR DÉMASQUÉE DARIA TSERIOULIK-FRANZ
NEZAVISIMAYA GAZETA / 19.05 Moscou n’exclut pas que l’Occident déstabilise délibérément la Macédoine en raison de la position « pro-russe » des autorités du pays qui soutiennent, entre autres, le projet de gazoduc Turkish Stream [après l’annulation du South Stream, ndlr]. D’ailleurs, la Russie n’est pas seule à établir des similitudes avec la situation en Ukraine : les Albanais estiment que la crise ethnique en Macédoine risque de déborder sur d’autres pays balkaniques et d’entraîner une ingérence russe.
LE JEU DE L’UNION EUROPÉENNE SERGUEÏ LOVINOV
NOVYE IZVESTIA / 19.05 Consciente du danger que représente l’émergence d’un nouveau foyer d’instabilité dans les Balkans, l’Union européenne tente de persuader les Macédoniens [pouvoir et opposition, ndlr] de s’asseoir à la table des négociations. Selon des analystes russes, l’UE défend ses propres intérêts ; ils rappellent des tentatives passées de faire dévier Skopje de sa ligne politique.
Préparé par MARIA SOKOLOVSKAÏA
D’AUTRES POINTS DEVUE SUR L’ACTUALITÉ FR.RBTH.COM/OPINIONS DANS LA RUBRIQUE OPINIONS SUR
MERKEL ET LE RENOUVEAU DU PATRIOTISME RUSSE
LEVÉE DES SANCTIONS CONTRE L’IRAN : QUELLES CONSÉQUENCES POUR LA RUSSIE ?
fr.rbth.com/33637
fr.rbth.com/33351
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MAGAZINE
SOUVENIR Evgueny Smurgis, le rameur d’océan remémoré dans une page insolite de l’amitié franco-russe
L’étrange destin d’un rêve naufragé D’autres rencontres ont lieu les années suivantes, chaleureuses et souvent surprenantes. Grâce à une poignée d’obstinés, la barque de Smurgis a été exposée aux Fêtes maritimes de Douarnenez dont le thème était, en 2004, les explorations polaires.
Témoignage d’un défi à la nature
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Evgueny voulait relier l’Atlantique au Pacifique. À la rame. En solitaire. Son embarcation a chaviré dans le golfe de Gascogne. Mais son aventure avortée a tissé un lien entre sa ville natale en Russie et une commune française, qui conserve l’épave soigneusement. ANNIE HÉRAL-VIEAU POUR RBTH
Le 13 novembre 1993. Sur la côte charentaise la tempête fait rage, une de ces tempêtes d’automne fréquentes dans le golfe de Gascogne, et qui viennent s’engouffrer dans l’étroite passe entre Oléron et le continent. Evgueny Smurgis s’est amarré au Fort Boyard : il rame depuis La Rochelle et une chape de fatigue et de mélancolie s’est abattue sur son rêve. Épuisé, face à une Nature impérieuse, il sera englouti dans les heures qui suivent. Son bateau, le MAX-4, s’il n’a pas été spécialement conçu pour résister aux tempêtes, a tout de même connu les déchaînements des mers du nord de l’Europe et conduit son rameur cette année-là de Mourmansk jusqu’à Londres, entre juillet et septembre. Les mois suivants, le voici à Saint-Guénolé, à La Rochelle, et finalement à Maumusson, la mauvaise passe où il fait naufrage. Un chalutier repère la coque du canot renversée, l’épave est remorquée. C’est celle d’une barque russe, qui porte le logo et les étapes de son voyage « autour du monde », Vokrug Sveta. Comment peut-on être rameur en ce lieu, à cette époque de l’année ? Et russe ? La passe est si dangereuse, une des plus dangereuses au monde disent certains, et les naufrages sont si fréquents, touchant de près les habitants de nos côtes. Mais la disparition d’un rameur
VASSILIY GALENKO(3)
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De gauche à droite : Evgueny Smurgis le solitaire, vu de dos en 1972 lors de la mise à l’eau d’un bateau (1) ; le Max-4 à l’exposition de Douarnenez en 2004 (2) ; le rameur sur les eaux de la Tamise lors de son escale londonienne (3).
Biographie
Evgueny Smurgis Né en 1938 à Orenbourg, Evgueny Smurgis, qui a fait des études pour devenir professeur de gymnastique, a pratiqué très tôt l’aviron. En 1969, il entame un périple qui le conduira en 14 années de Riga à Vladivostok où il est accueilli en héros en 1983. En 1988, parrainé par le journal Vokrug Sveta, il part de Tiksi pour faire la boucle PacifiqueAtlantique (retour prévu par le Canada). Entre 1967 et 1993, il aura parcouru en 710 jours 48 000 km, record inégalé. Père d’un fils décédé, Evgueny Smurgis a pour descendante une petite-fille à Lipetsk où est installée sa famille.
Le bateau a été confié à la mairie de La Tremblade par les autorités de Lipetsk, ville où vivent encore des membres de la famille de Smurgis ; l’état de la coque, la beauté préservée de sa ligne, la modestie de ses matériaux témoignent de l’incroyable défi qu’un homme seul a naguère lancé à la nature. C’estVassiliy, ami et coéquipier d’Evgueny, qui nous a conté son histoire : comment ce rameur hors du commun, meneur d’hommes, a entraîné quelques amis dans ses voyages, entre Riga et Vladivostok, à travers l’URSS de l’époque, par le riche labyrinthe russe de rivières et de lacs ; pourquoi il naviguait l’été, faute de pouvoir briser les glaces hivernales ; et avec quelle énergie il s’employait, à la mauvaise saison, comme bûcheron dans la taïga, ou chasseur de gibier sur les mêmes territoires extrême-orientaux de Primorié, finançant ainsi ses voyages. Vassiliy Galenko, éditeur du journal d’aventure russe bien nommé Vokrug Sveta, a fait la connaissance de Smurgis en 1983 pour l’interviewer puis s’est joint comme rameur à la petite équipe pour les dernières étapes menant du lac Baïkal à Vladivostok. Embarqué dans une péripétie effrayante, et un détour par le détroit de Tartarie vers la mer du Japon, il n’a d’autre issue que de suivre le mouvement. Evgueny, grand triomphateur de cet épisode et accueilli comme tel à Vladivostok, décide de ramer désormais sur l’océan et n’aura de cesse de mettre son projet en œuvre.
Confidences du journal de bord
EKATERINA CHIPURENKO
russe... déraisonnable au point de s’y engager à bord d’une sorte de coquille de noix, et cela malgré d’incessantes mises en garde, a-t-on appris plus tard. Un journal local nous a informés brièvement du drame, des causes connues, ignorant le destin qui a obstinément conduit Evgueny jusqu’ici.
Improbable rencontre Ce sont les membres d’un petit musée maritime local qui se sont immédiatement intéressés au bateau, une embarcation de sept mètres, dotée alors de deux rames imposantes et d’une minuscule cabine. Les objets trouvés à bord ont été répertoriés. Des roubles, des épinglettes au logo « Vokrug Sveta », des médailles frappées à l’aigle impérial, des gobelets en bois peint de couleurs vives : c’est un monde singulier qui se dévoile aux yeux des Charentais.
Il n’y a plus de doute sur les distances parcourues et, grâce aux objets quotidiens désormais dérisoires – une gourde, un petit réchaud, un couteau usé, une petite icône –, pas de doute non plus sur l’étrangeté d’un personnage qui a entrepris un si périlleux voyage. Au printemps suivant, un hommage est rendu au rameur, en présence des édiles locaux et d’une délégation russe. Quelques mois après la disparition d’Evgueny Smurgis, dont le corps a été retrouvé six jours plus tard et rapatrié, c’est le premier rendez-vous francorusse, tellement improbable dans ce tranquille et modeste bourg de bord de mer, à des milliers de kilomètres de Tiksi, le point de départ de l’aventure. Immédiatement, des questions communes sont posées : que deviendra l’épave, devenue encombrante, et voulons-nous pérenniser le lien suscité par l’événement ?
Parti de Tiksi, Smurgis avait gagné Mourmansk puis Londres avant de mettre le cap sur le sud jusqu’à son naufrage.
Quand Smurgis part de Mourmansk, en juin 1993, après plusieurs étés de navigation depuis Tiksi, plus de 3 000 km à l’est, franchissant les banquises, il n’a connu que le froid, et le relatif dégel des côtes de l’extrême nord. Son modeste canot à fond plat a surtout affronté les glaces et les congères puis, à la fin de l’été, les furieuses tempêtes de la mer du Nord. Arrivé par miracle à Londres, avec un retard d’un mois sur sa feuille de route, il fait escale quelques semaines pour réparer son bateau. Devant lui, la voie est libre, l’hiver européen n’est pas l’hiver russe, La Manche puis l’océan lui semblent favorables et il rame vers le sud. Il est mal équipé, certes, mais le froid n’est plus sibérien, et les tempêtes... il en a vu d’autres. Le 12 novembre au petit matin, passant La Rochelle, il décrit dans son journal de bord « une droite ligne de lumière qui se dresse vers le haut », vraisemblablement le pont de l’île de Ré. « Je lève l’ancre, je passe sous le pont, rien de spécial... j’attendais quelque chose de fabuleux comme la suite de mon rêve, des guerriers du Moyen-Âge, des flambeaux... ». Même s’il n’est qu’à demi-sérieux, dans le clair-obscur de l’aube, Evgueny rêve d’une lumineuse transparence, une sorte de Jérusalem céleste, l’espace idéal qu’il lui tarde d’atteindre. C’est ainsi, nous ditVassiliy, que négligeant les mises en garde et sa fatigue, le grand vainqueur du froid russe, celui qui savait vivre dans les glaces, voire en tirer profit, s’est perdu, en courant après son rêve, dans les eaux tièdes de l’Atlantique.
L A R U S S I E AU - D E L À D E L’ I M AG I N AT I O N Joyaux : • Kostroma : au pays de Snégourotc hka, la petite fille russe des neiges • Les Kouriles du Sud, terre de méditation • Lac Baïkal : randonnées le jour et feux de bois la nuit sous le ciel Sibérien
f r. rbth .co m /to u r i s m e
Capitale
• Mosc s : ou en tr amw architec tural et ay : éclectisme at in st es ss de : ru • ix s ruelles D rie U te • bé ne fête cô Si s le la r enneigé de su s rd sa no ns fin : es incroyable annuels les le désert du ues ns da d de e Saint-P événements manque • Une bala ds, taïga et moustiq Russie étersbo r la au u rg à ne i de • Cinq sables ch pas ions de sk endroit 12 des stat s insolit Moscou • Le Topes du K remlin d e
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RÉGIONS TOURISME Plongée au cœur d’une culture septentrionale, riche en art rupestre et musical dans un cadre naturel intact 1
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Sur les traces des anciens Caréliens SHUTTERSTOCK/LEGION-MEDIA(3);RIA NOVOSTI
peuple de « Corels », ancêtres des Caréliens modernes. De nombreuses colonies furent bâties à cette période. Kurkijoki (rivière des grues, en carélien), située à 42 km de la ville, est une colonie de peuplement unique entourée d’anciennes forteresses et de villages – Linnavuori, Linnamäki et Iaamäki étant les plus connues. La dernière accueille, chaque année en juin, un festival ethnographique appelé « berceau du peuple carélien ».
Située dans le nord de la Russie, la Carélie est l’âme sœur de la Scandinavie, avec laquelle elle partage des paysages à la beauté austère et un héritage unique. EKATERINA MOUKHINA POUR RBTH
Depuis la nuit des temps, les Caréliens, un petit peuple finno-ougrien, étaient installés sur les rives du nord-ouest du lac Ladoga et dans le sud-est de la Finlande. À partir des XIIème et XIIIème siècles, leurs terres se trouvèrent incluses dans la Rus de Novgorod (étape de la formation de l’État russe ayant succédé à la Rus de Kiev). Selon une évolution remontant à l’an 1227, ils se convertirent à l’orthodoxie, puis intégrèrent la Russie. Aujourd’hui, la majeure partie des Caréliens (dans une proportion de 75%) vivent sur le territoire de la République de Carélie. Le peuple carélien s’installa principalement dans le district de Lakhdenpokhski, un endroit idéal pour la pêche et pour la vie, où les longs fjords pittoresques du lac Ladoga pénètrent profondément dans les terres et sont parsemés de petites et grandes îles. Les attaques des peuples voisins étant fréquentes, les Caréliens furent contraints de bâtir leurs habitations sur des collines, souvent sur des pentes abruptes difficiles d’accès, afin de pouvoir surveiller de loin l’arrivée des cohortes ennemies. Ces colonies, qui abritaient également les populations rurales en cas de besoin, furent surnommées « linnavuori » et « linnamäki » (forteresses sur les collines, en carélien). La singularité de ces lieux réside dans le fait qu’ils conservent le plus souvent d’anciens noms caréliens de rivières, lacs et villages.
Spécialiste de la poésie épique carélienne et finnoise, Elias Lönnrot a recueilli contes et chants des anciens Caréliens transmis de génération en génération
Lakhdenpokhia La région de cette ville recèle un ensemble d’anciennes habitations caréliennes remontant au Moyen-Âge. Les découvertes archéologiques sont ici littéralement sous vos pieds : il arrive encore que les autochtones découvrent un bracelet de bronze du Xème siècle ou une lance à la pointe métallique. Aux IXème et XIIème siècles, Lakhdenpokhia vit apparaître le
Le district de Poudojski Il s’agit d’un autre territoire des anciens Caréliens dont la visite est captivante. C’est ici, sur le lac Onega, qu’au lever et au coucher du soleil, le « Livre de pierre du Nord » s’ouvre devant les rares voyageurs, offrant une multitude de pétroglyphes apparus il y a six à sept mille ans, avant les pyramides égyptiennes. Les pétroglyphes de Carélie sont soigneusement réalisés dans des endroits d’une beauté époustouflante : sur de grands rochers plats occupant des îlots au milieu de la forêt. Plus de 1 200 « images » parsèment 21 kilomètres, depuis l’embouchure de la rivière Volda jusqu’aux îlots Petit et Grand Turia. Les pétroglyphes représentent la pêche et la chasse au cerf, ainsi que des scènes de la vie quotidienne. Les caps Peri Nos et Bessov Nos (nez du démon, en russe) concentrent le plus grand nombre de pétroglyphes. Le nom du second n’est d’ailleurs pas anodin : une image de mi-homme mi-démon orne un rocher du lac Onega, son corps traversé par une fissure dans la pierre. Si les pétroglyphes de Carélie se refusent à vous, prenez la direction du nord pour admirer les pétroglyphes de la mer Blanche. Ici, les Caréliens ont laissé derrière eux l’image d’un skieur avec un seul ski sur toute la longueur de la roche. On considère qu’il s’agit là de la première représentation du sport alpin au monde.
Le lac Onega Si vous poursuivez votre découverte du district Poudojski, vous ne pouvez éviter le lac Onega, principal plan d’eau des anciens Caréliens mais aussi des Européens modernes. C’est le second lac d’eau douce en Europe, une eau à bien
Pour s’y rendre Le meilleur moyen d’explorer la Carélie consiste à rayonner depuis de la capitale régionale, Petrozavodsk. Vous pouvez prendre un train de nuit depuis Moscou ou Saint-Pétersbourg, ou bien un avion (2 heures de vol).
Où se loger Situé à proximité du centre historique de Petrozavodsk, l’hôtel Karelia & SPA offre une vue sur le lac Onega. Les tarifs commencent à 65 euros la nuit, et montent à 175 euros pour les suites de luxe. Plusieurs agences de tourisme offrent leurs services dans les environs.
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Vue sur le lac Ladoga (1) ; une jeune femme en vêtements traditionnels dans le musée-réserve de l’architecture en bois de Kiji (2) ; un mystérieux pétroglyphe du lac Onega (VIèmeVème siècles avant J.-C.) (3).
Où se restaurer Le restaurant Karelskaïa Gornitsa propose une vaste gamme de plats traditionnels caréliens simples, mais savoureux. Les plats à base de poisson occupent une place centrale dans le menu.
des égards plus pure que celle du lac Baïkal. D’une profondeur maximale de 127 mètres mais de trois mètres en moyenne, le lac Onega collecte plus de 110 cours d’eau et, comme Baïkal, n’en alimente qu’un – le Svir.
de manière codifiée et ritualisée : par exemple en tricotant ou en tissant, en cueillant des baies ou en préparant les voyages des hommes. Les femmes locales conservaient et transmettaient les runes à la gloire des héros de Kalevala, tout en inventant de nouveaux chants consacrés à leur vie quotidienne. Aujourd’hui, l’esprit de Kalevala est transmis par les vieilles femmes caréliennes. Elles portent des costumes nationaux, chantent des chants anciens et en inventent de nouveaux. La tradition des anciens Caréliens est également conservée à Kalevala – on y fabrique de la vaisselle, des fleurs et des couvre-chefs pour le bania (sauna) à base de d’écorce de bouleau. Le bania chauffé à la fumée occupait une place spéciale dans la vie des Caréliens. Il servait à accomplir des rituels magiques et était un lieu tabou : il fallait y parler à voix basse et veiller scrupuleusement à sa propreté. Les artisans locaux fabriquent même des chapelles-amulettes avec l’écorce de bouleau. Kalevala préserve religieusement le pin d’Elias Lönnrot – c’est sous ce pin qu’en 1834-1835, il notait les runes des chanteurs caréliens.
Olonets Le village de Kalevala La rive nord-ouest du lac Ladoga est une autre patrie ancienne des Caréliens, qui recèle le village légendaire de Kalevala, jadis nommé Oukhta. C’est ici que le grand voyageur et spécialiste de poésie épique carélienne et finnoise Elias Lönnrot recueillit scrupuleusement les contes et les chants des anciens Caréliens, transmis de génération en génération. La tradition runique du nord de la Carélie est vieille de plusieurs siècles, mais grâce à Kalevala, la culture runique des villages caréliens fut conservée jusqu’à nos jours et acquit une renommée mondiale. Les runes recueillies par Lönnrot remontent au milieu du premier millénaire. On ne les chantait pas sans raison, mais
En ligne
Les églises de Kiji, l’île sacrée du Grand Nord russe fr.rbth.com/11909
La seule ville de la république où les Caréliens sont majoritaires est le chef-lieu du district d’Olonets. L’itinéraire le plus fréquenté traverse les petits villages du sud de la Carélie, qui conservent encore les anciennes coutumes d’Olonets. Vous traverserez le village des joailliers deYurgelitsu, le village des chasseurs et des pêcheurs de Kuiteža, ainsi que la Grande Selga avec ses anciennes isbas caréliennes. Chaque village dispose de son protecteur, célébré tous les ans. Olonets est la ville de la région la plus riche en festivals. En automne, on y organise celui de la poésie carélienne et du costume national ; en hiver, on y élit Pakkaine, le Père Noël carélien – qui n’est pas une vieille barbe, mais un jeune garçon espiègle.
RECETTE SOUPE DE SAUMON À LA CRÈME ET À LA VODKA Les soupes de poisson avec du lait ou de la crème sont très populaires en Finlande et en Carélie. Généralement, immédiatement après l’ajout du poisson, on retire cette soupe du feu pour la laisser reposer. Préparation : 30 min Cuisson : 30 min Reposage : 15 min Ingrédients pour 4 personnes 1,5 l de bouillon de crevettes • 400 g de filet de saumon • 4 pommes de terre • 1 oignon • 250 ml de crème à 30% de matières grasses minimum • 110 g de beurre • 3 cuillères à soupe de beurre fondu • 30 g de farine • 30 ml de vodka • zeste et jus d’un quart de citron • feuilles de 3 brins d’aneth • 3 feuilles de laurier • pain de seigle • beurre • citron • herbes aromatiques.
Andreï Shmakov
Chef cuisinier de l’hôtel Metropol Moscou, M. Shmakov participera en juin 2015 aux Saisons de la Gastronomie francorusse à Monaco.
Pour le service : sel • poivre fraîchement moulu. Préparation : 1. Émincer l’oignon et l’aneth. Couper les pommes de terre en grands dés de 2x2 cm. Couper le saumon en dés moyens de 1x1 cm. 2. Allumer l’autocuiseur. Sélectionner le mode « Soupe ». 3. Étape « Friture ». Régler la minuterie sur 7 min. Utiliser l’option « remuer ». Dans le panier de l’autocuiseur, faire fondre l’oignon dans du beurre fondu pendant 5 min. Ajouter 10g de beurre et la farine, laisser revenir pendant 2 min. 4. Étape « Cuisson ». Régler la minuterie sur 20 min. Ajouter les pommes de terre, le laurier et 1 litre de bouillon. Le bouillon doit couvrir entièrement les légumes. Cuire pendant 10 min. Ajouter le sau-
mon. Couvrir avec le reste du bouillon et la crème, mélanger. Cuire en mode « remuer continuellement » pendant 10 min. À une minute de la fin de la cuisson, ajouter l’aneth, le zeste et le jus de citron et la vodka. Assaisonner avec du sel et du poivre. Éteindre l’autocuiseur. 5. Laisser la soupe reposer pendant 15 min avec le couvercle fermé. Retirer les feuilles de laurier. Verser la soupe dans les assiettes et assaisonner avec les herbes aromatiques. Servir avec du pain, du beurre et du citron.
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"Saveurs soviétiques"
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Mercredi 27 mai 2015
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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
CULTURE
PORTRAIT L’adieu à une étoile de la danse classique qui a défié le temps et le pouvoir soviétique
Plissetskaïa, la légende du Bolchoï
RIA NOVOSTI; DPA/VOSTOCK-PHOTO
Elle a conquis à la vitesse d’un éclair le monde du ballet. Puis a régné pendant près de 60 ans, inspirant de grands chorégraphes, incarnant une esthétique exigeante et une volonté de fer. ANNA GALAÏDA POUR RBTH
Maïa Plissetskaïa nous a quittés à l’âge de 89 ans. Cette sublime étoile, qui a passé près de 60 ans sur scène, est partie sans jamais avoir permis au monde de la connaître dans le rôle de « vieille dame » : sa foulée sur ses talons hauts était restée légère, sa stature royale et sa silhouette élégante. Elle était déjà unique et irremplaçable lorsqu’elle dansait. Elle l’est restée jusqu’à sa dernière apparition en public.
Une étoile est née Dès sa plus tendre enfance, Plissetskaïa fut maîtresse de sa propre destinée. Elle n’a laissé à personne d’autre le soin de définir sa place dans le monde du ballet. Elle a su très tôt maîtriser les finesses de son art, malgré le départ de sa famille vers l’océan Arctique (entre 1932 et 1936), puis la répression dont a été victime son père. Elle a vécu ses dernières années d’études pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais dès cette époque, les premiers pas de la jeune diplômée sur la scène du Bolchoï créèrent l’événement. En ces temps de guerre et de faim, les amateurs de ballet étaient prêts à donner tout ce qu’il leur restait pour voir Don Quichotte, où la ballerine débutante de 17 ans effectuait des variations durant une petite minute à la fin d’un très long ballet de quatre heures. Pendant ce solo, Maïa Plissetskaïa s’emparait de la scène à bras-le-corps. Idéalement proportionnée, dotée d’une coordination parfaite, elle avait la capacité de virevolter et d’exécuter des pas gigantesques d’une façon jugée exceptionnelle dans la profession. Encore aujourd’hui, l’enregistrement de son Lac des cygnes de 1957, ainsi que les extraits de Don Quichotte et Laurencia de 1963 captivent le spectateur. Ce qui n’est guère étonnant car Maïa Plissetskaïa était en avance de 50 ans sur les autres ballerines, très naturelle-
ment : c’est toute sa personnalité, son tempérament, son caractère qu’elle exprimait en dansant. Serge Lifar, maître du ballet de l’Opéra de Paris a écrit à son égard : « Maïa est la fille magnifique de Terpsichore. [...] Plissetskaïa est l’incarnation de l’art, de la perfection et de l’éternel ».
Le caractère est la destinée Le caractère de Plissetskaïa s’est avéré être son principal atout. C’est lui qui en a fait une artiste désirée par les plus grands chorégraphes soviétiques. Il l’a aidée à ne pas abandonner lorsqu’elle a été exclue des premiers triomphes du ballet soviétique à l’étranger : en effet, elle n’avait pas été retenue pour une tournée à Londres en 1956. Son premier voyage en Occident (une tournée du Bolchoï aux États-Unis en 1959) l’a immédiatement hissée dans l’Olympe des stars à côté de Natalia Doudinskaïa, Margot Fonteyn ou Alicia Alonso. En dehors de la scène, Plissetskaïa allait à l’encontre des clichés sur les citoyens soviétiques : elle ne possédait ni l’humilité paisible de Oulanova, ni la distance intellectuelle de Richter, ni le « tape-à-l’œil » de Vichnevskaïa. Les gens étaient frappés par son ouverture et son insouciance, comme si elle n’avait pas sur le dos ces « critiques en civil » obligatoires lors des voyages à l’étranger. À l’instar de Noureev, elle se faisait facilement des amis et des fans à l’Ouest, où elle se rendait dans des concerts et expositions non recommandés, s’immergeant dans une vie que la plupart du temps les artistes soviétiques ne voyaient pas, même à l’étranger. Cette ouverture « excessive » du point de vue de l’idéologie soviétique lui coûtait cher : le pouvoir, qui lui rendait hommage en public, la tyrannisait en privé, la mettant sous surveillance et imposant des restrictions rigoureuses sur son répertoire.
Une vision révolutionnaire En dépit de ces pressions, Maïa Plissetskaïa n’a pas cherché à fuir l’Union soviétique. Et pourtant, quel pays aurait refusé d’offrir l’asile à une telle étoile ? Plus tard, elle a expliqué qu’elle était restée dans son pays pour son époux Rodion Chtchedrine, un des com-
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Il l’a dit
«
Maïa est comme une flamme dans le monde de la danse. Elle incarnait la profondeur chorégraphique que je recherche en permanence dans mon travail »
MAURICE BÉJART DANSEUR ET CHORÉGRAPHE
positeurs soviétiques les plus marquants. Elle ne regardait pas indifféremment le ballet occidental lors de ses tournées. Elle l’appréciait. Alors que les autres se contentaient des quelques premières de Iouri Grigorovitch et des « bricolages » de ses imitateurs, elle était quasiment seule à dénoncer le monochromatisme esthétique qui s’installait dans le ballet soviétique depuis les années 60. Maïa Plissetskaïa était émue par le modernisme du dernier chorégraphe des Saisons russes de Diaghilev, Serge Lifar, le néoclassicisme puissant de l’Américain Jerome Robbins, le tempérament de Maurice Béjart, l’avant-gardisme latino-américain d’Alberto Alonso. Le caractère de Plissetskaïa lui a donné la chance de danser les ballets de Béjart, qui avait créé pour elle Isadora et Léda. Elle a interprété Phèdre de Lifar sur la scène de Moscou avec le ballet de Nancy, et ouvert les portes du Bolchoï à Alberto Alonso (dont le Carmen Suite, ouvertement provoquant pour l’époque, était discuté presque jusqu’au niveau gouvernemental), à Roland Petit (qui a mis en scène pour elle La Rose malade) et au maître de la danse contemporaine Gigi Caciuleanu (qui a adapté pour Plissetskaïa et Patrick Dupond La folle de Chaillot), ou encore à Mats Ek. La longévité de sa carrière est due en partie à son hymen avec Chtchedrine. C’était une osmose où l’un inspirait l’autre. Lui a composé pour elle Anna Karenina, La Mouette, La Dame au petit chien. De son côté, elle a non seulement dansé sur sa musique, mais a chorégraphié une partie des ballets mis en scène sur les œuvres qu’il lui avait dédiées. Elle a quitté le Bolchoï en 1988. Depuis lors, elle vivait entre Moscou, Munich, où travaille son époux, et Trakai, en Lituanie. Jusqu’à ses derniers jours, elle a démontré un intérêt passionné pour toutes les chorégraphies nouvelles et sortant de l’ordinaire, tout en continuant à monter sur scène. La danse ne constituait pas une profession pour Plissetskaïa, mais un état d’esprit par lequel son caractère l’aidait à contrôler son corps en permanence. C’est pourquoi, dans les souvenirs de ceux qui l’ont vue ou ont entendu parler d’elle, Maïa ne cessera jamais de danser.
Biographie
Maïa Plissetskaïa Entrée au Bolchoï en 1943, elle a été sacrée dix-neuf ans plus tard « prima ballerina assoluta ». Durant la deuxième moitié des années 1980, elle a été directrice artistique du ballet de Rome et de Madrid. De nombreux chorégraphes russes et occidentaux ont créé des ballets spécialement pour elle. Maïa Plissetskaïa est aussi l’auteur de trois chorégraphies. En 2005, à 80 ans, elle a interprété au Kremlin l’Ave Maïa que lui avait dédié Maurice Béjart.
À L’AFFICHE JOURNÉE MONDIALE DE LA RUSSIE VENDREDI 12 JUIN À 20H30 SALLE GAVEAU, 45 RUE LA BOÉTIE, PARIS
Les célébrations du 12 juin, fête de la souveraineté russe, dépasseront les frontières nationales. Cette année, de multiples manifestations seront organisées aux quatre coins du monde par la fondation caritative Klassika. Les scènes les plus prestigieuses, dans les capitales d’Europe, d’Asie et d’Amérique accueilleront les concerts de cinq célèbres collectifs, dont chacun est emblématique de la culture russe. Cinq pays, quatre continents, 550 artistes, près de 10 000 spectateurs et des millions de téléspectateurs dans 44 pays du monde participeront à la célébration de la fête nationale russe. Les villes engagées dans le projet sont Jérusalem, New York, Rio de Janeiro, Pékin et Paris. Dans la Ville Lumière, le chœur national académique russe Sveshnikov se produira à la salle Gaveau. Le programme fera parcourir au public toute l’histoire de la musique chorale russe : folklore et chants anciens le conduiront au classicisme et au romantisme ; suivront des chefsd’œuvre de Tchaïkovsky et Rakhmaninov, des compositions des maîtres de la « nouvelle école russe » pour finir par des créations des compositeurs de l’école de Moscou de l’époque d’après 1917 jusqu’à nos jours. En ce 70ème anniversaire de la Victoire de 1945, le chœur national russe interprétera sa propre version du célèbre Chant des partisans, d’Aram Khatchatourian. › www.russian-day.ru/enu/paris/
GASTRONOMIE : LES SAISONS FRANCORUSSES DE MONACO 12-18 JUIN 2015, MONACO Les Saisons gastronomiques francorusses annuelles de Natalia Marzoeva se tiennent en 2015 dans le cadre de l’Année de la Russie à Monaco et proposent un programme varié alliant cuisine et culture. Lors du Dîner de gala prévu le 16 juin à l’Hôtel Monte-Carlo Bay, 12 chefs cuisiniers russes et monégasques présenteront des plats inspirés des dessins du peintre Mikhail Chemiakin pour le ballet Casse Noisette au Théâtre Mariinsky. Par ailleurs, la légendaire chanteuse de jazz Nino Katamadze se produira au cours d’un récital à cette occasion. Du 14 au 19 juin, un menu spécial "à quatre mains" réalisé par des chefs russes et monégasques étoilés Michelin vous sera proposé dans les meilleurs restaurants de Monaco : Café de Paris, Le Vistamar, Blue Bay, Elsa Hôtel Monte-Carlo Beach et L’Hirondelle. Pour plus d’informations, on pourra consulter le programme détaillé sur le site officiel. Réservation obligatoire. › www.sgrfrance.com
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Le 24 juin
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