Mercredi 24 juin 2015
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C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U
MOSCOU FACE AU DILEMME SYRIEN Entretien avec Alexeï Malachenko, spécialiste des religions et de la sécurité, sur la menace que pose l’État Islamique pour la Russie et sur l’évolution de la politique du Kremlin vis-à-vis de la Syrie.
DOSSIER La Russie accueillera, du 8 au 10 juillet à Oufa, le septième sommet des pays émergents
Les BRICS prêts à faire bloc Le point sur les enjeux qui seront débattus par les chefs d’État et de gouvernement des cinq grandes économies émergentes.
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ONG : L’AIDE SCIENTIFIQUE VISÉE PAR LA LOI Deux fondations scientifiques sont désignées sous l’appellation d’« agents de l’étranger », jugée infamante par les organisations non gouvernementales en Russie. PAGE 4
LA BAISSE DU ROUBLE : UN PLUS POUR LE TOURISME La dépréciation de la devise nationale, observée depuis décembre 2014, a fait de la Russie une destination touristique plus accessible que jamais pour les étrangers. PAGE 5
De gauche à droite : Vladimir Poutine (Russie), Narendra Modi (Inde), Dilma Rousseff (Brésil), Xi Jinping (Chine) et Jacob Zuma (Afrique du Sud).
C’est tout un programme que la Russie, pays hôte, a inscrit à l’ordre du jour, notamment la création de nouvelles institutions financières. Avec un défi : faire converger les intérêts des uns et des autres. GUEVORG MIRZAYAN, NIKOLAÏ SOURKOV POUR RBTH
Apparue à ses débuts comme une simple union formelle entre pays émergents attractifs pour les investisseurs boursiers, le groupe des BRIC – devenu BRICS
depuis l’adhésion de l’Afrique du Sud – s’est transformé en un club des pays unis non seulement par des caractéristiques économiques mais aussi par leur position commune sur certains grands dossiers mondiaux. Leur sentiment « de sous-représentation dans les organisations internationales occidentales » est l’un des facteurs principaux qui consolident ce bloc de cinq États, estime Dmitri Souslov, de l’École des hautes études en sciences économiques.
Vers un monde multipolaire Le groupe s’est fixé comme objectif principal de favoriser une transition vers un monde multipolaire régi par le droit international. Or, les BRICS évoluent en premier lieu non pas vers la création d’outils alternatifs de gouvernance mondiale mais vers le renforcement de ceux déjà existants, explique Dmitri Souslov : « Puisque l’Occident ne veut pas partager ses positions dominantes et les utilise à des fins politiques, les BRICS sont en
EPA
train de créer des institutions mondiales parallèles. Il ne s’agit pas, par exemple, de remplacer la Banque mondiale par la Banque de développement des BRICS, mais d’unir tous ces fondements de la gouvernance mondiale ». Selon Sergueï Vesselovski, de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou, les BRICS ne cherchent pas à mettre en place une organisation centralisée à part entière. SUITE EN PAGE 2
RÉGIONALISATION L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) se réunit parallèlement aux BRICS SERVICE DE PRESSE
« LES IDIOTS » RUSSES À AVIGNON Kirill Serebrennikov, metteur en scène russe invité au festival d’Avignon avec son spectacle « Les Idiots », s’exprime sur le théâtre et son rôle dans la société. PAGE 7
Sécurité et développement : l’Eurasie se mobilise Lutte contre l’État islamique et stratégie de développement sont au menu du sommet de l’OCS, une union régionale regroupant la Russie, la Chine, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kazakhstan, qui se tiendra lui aussi à Oufa, dans la république russe de Bachkirie, du 8 au 10 juillet. OLEG FOMITCHEV POUR RBTH
Menace islamiste sur l’Asie centrale
l’extrémisme et le terrorisme, consistait à protéger les frontières de ses pays membres contre l’Afghanistan, des cargaisons importantes de drogues, mais également des recruteurs et des combattants de la nébuleuse terroriste Al-Qaïda, pénétrant régulièrement depuis cet État sur le territoire des pays voisins. Toutefois, la géographie des intérêts communs de l’organisation s’est désormais élargie pour intégrer le Proche-Orient : les membres de l’OCS sont confrontés à la menace de l’État islamique. Car les éléments de cette organisation terroriste islamiste pénètrent activement sur le territoire de l’Afghanistan, déjà instable.
Jusqu’à récemment, le principal objectif de l’OCS, créée initialement pour lutter contre le séparatisme,
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La menace terroriste émanant de l’État islamique (EI), ainsi que la stratégie de développement du bloc à l’horizon 2025, seront au cœur des discussions du sommet de l’OCS, qui marquera le point culminant de la présidence russe de l’organisation.
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Mercredi 24 juin 2015
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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
DOSSIER
BRICS Le sommet de juillet a pour objectif ambitieux la création de nouvelles institutions financières
Pour un autre ordre économique Doter le groupe des BRICS de ses propres institutions financières est l’un des principaux objectifs de la Russie au sommet d’Oufa. Mais les experts sont réservés sur les perspectives de viabilité d’un tel projet.
la Grèce devienne l’un des premiers pays à bénéficier de l’aide de la banque des BRICS. La dette totale de ce pays européen s’élève à 313 milliards d’euros, soit 177% de son PIB. « L’établissement d’un équivalent du FMI basé sur des contributions par les pays des BRICS est l’une des nombreuses étapes vers une ‘dé-dollarisation’ progressive de l’économie mondiale », affirme Anton Soroko, analyste chez Finam Investment Holding. L’orientation principale prévue pour ses activités est le financement de projets d’infrastructures à long terme.
Principales richesses économiques des membres des BRICS
ANTON BALAKIREV POUR RBTH
Moscou s’est fixé des objectifs très ambitieux pour le 7ème sommet des BRICS, qui accueillera les chefs d’État de la Chine, de l’Afrique du Sud, du Brésil et de l’Inde les 8 et 9 juillet prochain à Oufa, dans l’Oural. La Russie table sur la création d’une banque de développement et d’un fonds commun de réserves de change, comme alternatives respectivement à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI). La mise en place de ces institutions financières est appelée à donner une nouvelle dynamique à l’association entre les cinq États.
Indicateurs économiques comparés des cinq pays membres
Obstacles à l’horizon
Un système financier alternatif Un accord sur la création du fonds commun de réserves de change des BRICS a été signé au Brésil lors du sommet précédent. Son capital de base devrait s’élever à 88 milliards d’euros. Les pays des BRICS contribueront selon leur taille : la Chine à hauteur de 36,3 milliards d’euros, la Russie, le Brésil et l’Inde de 15,8 milliards et l’Afrique du Sud de 4,3 milliards. Le fonds fonctionnera comme une caisse d’entraide. « L’accord-cadre de création du fonds ne comporte pas d’obligations directes ; les engagements financiers deviendront indispensables lorsque les banques centrales des pays membres signeront un accord de compensation », déclareValery Abramov, de l’Académie présidentielle russe d’économie nationale et d’administration publique (RANKhiGS). Pour Alissen Alissenov, autre expert du RANKhiGS, la Russie a un intérêt tout particulier à la création du fonds, car les sociétés russes sont touchées par les sanctions financières prises par l’Occident contre la Russie, et de facto coupées du système financier mondial.
En chiffres
300 milliards de dollars (265 milliards d’euros), tel est le volume d’échanges commerciaux entre les pays membres du groupe, selon le ministère russe du Développement économique. ALENA REPKINA
Le second projet des BRICS est la Nouvelle banque de développement, qui offrira des prêts permettant d’investir dans toute une série de projets institutionnels ou d’infrastructures dans d’autres pays. Durant la première phase de développe-
ment, le capital de la banque s’élèvera à 8,8 milliards d’euros. Son siège sera en Chine, et son premier dirigeant sera un représentant indien. Début mai, le vice-ministre des Finances russe, Sergueï Storchak, a proposé que
Les pays émergents font bloc autour d’une autre idée de la gouvernance mondiale SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
« Pour l’instant, aucun pays de ce groupe n’est prêt à assumer la lourde responsabilité de regrouper tout le monde autour de lui en prenant la direction économique et politique », explique-t-il. Ce ne sera pas non plus un bloc orienté vers une intégration horizontale comme l’Union européenne. « Il est impossible pour les BRICS de s’intégrer, et ce pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, les pays membres sont situés à une très grande distance les uns des autres ; ensuite, ils se caractérisent principalement par leur rapport très délicat à leur propre souveraineté et à leur liberté d’action », souligne le rédacteur en chef du magazine Russia in global affairs, Fedor Loukianov. Selon M. Souslov, il est peu probable que les BRICS se dirigent vers une réelle institutionnalisation. Ils garderont plus probablement la forme d’un forum avec un système de présidence tournante.
« Le groupe des BRICS peut être un outil permettant de réformer le système mondial dans son ensemble »
Toutefois, pour améliorer leur efficacité dans le format actuel, ils doivent perfectionner leur coordination dans tous les domaines, estime l’académicien Gueorgui Tolaraïa. « Pour conjuguer leurs positions en politique extérieure, ils doivent commencer par signer une déclaration de principes sur lesquels les BRICS appuient leur action, à l’image de l’accord de Bali [pour les pays de l’Asie du SudEst (ASEAN), ndlr]. Il faudrait aussi créer une commission intergouvernementale (...) pour coordonner leur collaboration économique », explique l’expert.
Pourquoi la Russie a besoin des BRICS Au vu du fort potentiel des BRICS, la Russie accorde une grande importance à sa participation au groupe. Par ailleurs, elle joue elle aussi un rôle crucial dans ce bloc. « Même si la Russie n’est pas le pays le plus puissant du groupe, elle contribue
à son unité : c’est le seul pays membre qui a des liens cordiaux avec tous les autres, déclare Dmitri Souslov. Ensuite, c’est le seul pays membre qui souhaite la mise en place d’un nouvel ordre mondial. La pensée stratégique russe place l’existence des BRICS dans un cadre idéologique ». Les BRICS sont d’autant plus importants pour Moscou que l’on assiste à de nouveaux désaccords avec l’Occident. Ce groupe peut en effet être un outil per-
Les priorités de la présidence russe Quoique les principaux objectifs de la présidence russe des BRICS relèvent du secteur monétaire et financier, Moscou envisage de mettre l’accent sur le renforcement de la stabilité stratégique et le règlement des conflits régionaux, notamment au Proche-Orient. Il est en outre prévu d’évoquer les thèmes suivants : politique migratoire, mesures pour la jeunesse et rôle de l’État dans le domaine des médias.
Bien que les décisions définitives concernant l’établissement de ces nouvelles organisations soient attendues à Oufa, certains experts affirment que les BRICS ont plusieurs défis à relever pour parvenir à monter un club mondial alternatif. Il s’agit en particulier de la concurrence de la Banque asiatique d’investissement infrastructurel (AIIB), créée par la Chine. « L’AIIB remplit en effet un rôle similaire », confirme M. Soroko. Pour Alexeï Kozlov, analyste en chef de la société d’investissement UFS, la plus forte concurrence qui pèse tant sur la Banque de développement des BRICS que l’AIIB reste celle des organismes d’investissement occidentaux, dont les objectifs et les fonctions sont identiques. Autre problème : la croissance de certains membres des BRICS est en deçà du rythme des années précédentes. Selon l’agence Moody’s, seules la Chine et l’Inde sont parvenues à maintenir cet indice à 7%, alors que la Russie et le Brésil se préparent à une récession, l’analyste Jim O’Neill, inventeur de l’acronyme BRICS, allant jusqu’à estimer que la crise actuelle pourrait bien pousser les deux pays hors du groupe. Mais selon Alexeï Kozlov, d’autres facteurs existent, qui maintiendront la cohésion du club. « Les BRICS ont évolué d’un groupe de pays liés uniquement par leur taux de croissance économique à une union géopolitique, une force géopolitique », conclut l’analyste.
mettant de réformer le système mondial dans son ensemble, sans se limiter à sa composante économique. C’est justement pour cette raison que la Russie a lancé une discussion concernant les questions de sécurité avec les autres pays des BRICS, et ses partenaires, inquiets de l’instabilité croissante dans le monde, ont soutenu cette initiative.
Une volonté partagée Donner aux BRICS un format géopolitique peut paraître judicieux pour la Russie, mais aussi pour d’autres membres. Ainsi, lors du Forum académique des BRICS qui s’est tenu fin mai à Moscou, H H S Viswanathan, chef de la délégation indienne, a déclaré qu’« aucun pays ne peut faire face aux défis mondiaux tout seul » et c’est pourquoi « le changement de l’ordre mondial est en marche ». La représentante de l’Afrique du Sud, Shisana Olive, a de son côté ajouté que les experts des cinq pays avaient défini cinq sphères d’activité pour les BRICS au cours de consultations : l’économie, la sécurité, la justice sociale et la qualité de vie, l’administration publique et les innovations. Selon elle, « les BRICS sont un outil très important qui offrira des moyens alternatifs de gouvernance mondiale ».
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INTERNATIONAL
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QUESTIONS & RÉPONSES
Syrie : « si le Kremlin abandonne Assad, qui doitil soutenir ? » D’après des sources diplomatiques citées dans les médias, la Russie serait en passe de modifier sa politique à l’égard de la Syrie, voire de tourner le dos au régime du président Bachar El-Assad. Ce dernier a subi des revers militaires importants face à l’État islamique (EI). Si le régime d’Assad tombe, la Russie pourrait faire face à un renforcement de l’EI à proximité de ses frontières, alors que l’entité islamiste cherche à prendre pied dans le Caucase du Nord et dans certains États de l’espace postsoviétique à majorité musulmane. L’expert en religions Alexeï Malachenko partage avec nous différentes hypothèses en réponse à la montée en puissance de l’EI. Les médias craignent désormais que le régime du président Bachar El-Assad finisse par tomber s’il est privé du soutien de la Russie. Partagez-vous ces craintes ? Je crois que la Russie a adopté une politique très intelligente à l’égard d’Assad du point de vue de ses propres intérêts nationaux. D’une manière générale, Moscou n’a pas subi autant de revers que prévu initialement. Tout changement de politique vis-à-vis d’Assad renvoie moins à la flexibilité de la Russie qu’à une sorte d’ambivalence. Mais une autre question se pose : si le Kremlin abandonne Assad,
qui doit-il soutenir ? La Russie doitelle venir en aide à une coalition [d’opposition, ndlr] obscure qui comprend des islamistes et des nationalistes, dont quelques-uns prétendument modérés ? Au final, non seulement la Russie, mais également le monde entier pourraient être confrontés à un dilemme et devoir choisir entre un régime autoritaire particulièrement sinistre et l’EI. Il n’y a pas d’autre choix, car tout discours sur la démocratie au Proche-Orient est une fable pour enfants. Compte tenu de la position du Kremlin, qui doit trouver un difficile équilibre entre le soutien au régime d’Assad et la menace que présente l’EI, Moscou et Washington parviendront-ils à un compromis sur la Syrie ? Jusqu’ici, personne n’a pu proposer de compromis, et il est inutile de spéculer sur la question. Mais le fait est que le problème syrien est un cas propre au Proche-Orient. C’est pourquoi il serait erroné de rechercher un consensus sur la Syrie uniquement et de traiter tous les autres problèmes ensuite. En fait, la Syrie est un problème complexe dont le règlement est forcément complexe. Le monde du Proche-Orient est multipolaire et sans consensus entre tous les acteurs, aucun progrès n’est possible. Mais on n’en voit pas le signe. L’oppo-
REUTERS
ALEXEÏ MALACHENKO POLITOLOGUE Spécialiste des religions et de la sécurité au Centre Carnegie de Moscou
sition syrienne qui avait participé aux négociations n’était pas la vraie opposition, celle-ci étant constituée d’extrémistes qui croient avoir les moyens de gagner la guerre. L’erreur principale des Américains et des Européens est de ne pas avoir saisi la complexité de la situation et d’avoir pensé que dans le pire des cas, les extrémistes formeraient une sorte d’Al-Qaïda, alors que nous avons vu un phénomène qualitativement différent [avec l’EI, ndlr]. Récemment, une étudiante de l’Université d’État de Moscou a décidé de quitter sa famille et de rejoindre l’État islamique. S’agit-il d’une exception ? Pour la Russie, c’est un épisode encore assez exceptionnel, plutôt qu’une tendance. On parle beaucoup de renforcer l’éducation patriotique chez les jeunes. Certains croient naïvement que ça les retiendrait de porter le hijab ou de rejoindre l’État islamique. Mais il y a une grande différence entre le hijab et la kalachnikov. Nous avons plus de 16 millions de musulmans en Russie qui défendent leur religion très activement. Le patriotisme à marche forcée n’est pas la meilleure façon de résoudre le problème [de l’attrait de l’EI, ndlr].
Des membres de l’organisation terroriste État islamique à Raqqa, dans l’est de la Syrie, en juin 2014.
En ligne
La version intégrale de l’entretien est disponible sur russia-direct.org
La propagande de l’ État islamique représente-t-elle une menace sérieuse ? Pour l’instant, la menace est grossièrement exagérée. Mais en même temps, nous ne devons pas oublier la propagande de l’EI transmise dans plus de 23 langues, dont le russe, non sans résultat : entre 1 700 à 3 000 ressortissants russes ont rejoint l’État islamique.Déçus, certains reviennent. Il serait exagéré de penser que ceux qui reviennent constituent une grave menace. Reste qu’une agitation sociale causée par la crise dans le Caucase du Nord pourrait se transformer en radicalisme religieux. Malgré la menace de l’EI, la Russie n’a pas encore rejoint la coalition pour combattre l’État islamique... La Russie est aujourd’hui telle un promeneur solitaire qui cherche sa propre voie. Mais le fait qu’elle ne participe pas directement à la campagne contre l’État islamique est à son avantage, car la lutte contre l’EI est perçue par les musulmans, mêmes modérés, comme une lutte contre l’islam. Propos recueillis par PAVEL KOCHKINE, RUSSIA DIRECT
Sécurité et développement à l’ordre du jour SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
Maria Nebolsina, chercheuse à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou (MGIMO), explique que les combattants de l’EI se concentrent principalement dans les provinces Nord de l’Afghanistan, à la frontière avec les pays d’Asie centrale. L’expert souligne que l’influence de l’EI pourrait déstabiliser encore plus la situation dans ces pays, qui font déjà face à leurs propres organisations extrémistes. Ainsi, selon l’ONG International Crisis Group, jusqu’à 4 000 ressortissants des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale combattent pour l’EI au Proche-Orient. Moscou juge désormais l’EI plus dangereux qu’Al-Qaïda. Lors de la conférence Sécurité et stabilité dans la région de l’OCS, qui s’est tenue à Moscou le 4 juin, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a proposé aux membres de l’union de répondre à cette menace en apportant un « soutien politique au rétablissement de la paix et de la stabilité en Afghanistan ». Le ministre a également souligné que les membres de l’organisation devraient coordonner leurs efforts avec les pays observateurs (dont l’Afghanistan) afin « d’empêcher toute tentative d’implication des citoyens dans les mouvements radicaux, ainsi que d’identifier les terroristes potentiels et les combattants qui reviennent au pays après avoir participé à des conflits armés ». Timofeï Bordatchev, directeur du programme eurasien du club international de discussion Valdaï a expliqué à RBTH que les membres de l’OCS pouvaient prendre des mesures concrètes dans trois domaines principaux : « Premièrement, ils peuvent mettre en place
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FAITS SUR L’OCS
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L’OCS a été créée en juin 2001 par les présidents de six États : la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.
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un échange d’informations entre les services de renseignements. L’OCS a instauré une coopération efficace en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. C’est l’axe le plus développé de la coopération. Deuxièmement, ils peuvent lancer un dialogue à grande échelle avec l’Iran, une force directement opposée à l’EI, et l’impliquer dans les activités de l’OCS. Troisièmement, ils peuvent développer la coopération avec l’Organisation du Traité de sécurité collective [OTSC, une union militaro-politique comprenant six anciennes républiques soviétiques, parfois appelée "OTAN russe"] ».
Les dirigeants des six pays membres de l’OSC lors du sommet annuel à Douchanbé (Tadjikistan), en septembre 2014.
Plateforme de développement Un autre événement important attendu au prochain sommet est l’adoption de la Stratégie de développement de l’OCS à l’horizon 2025 et le lancement de la procédure d’adhésion de deux nouveaux pays, l’Inde et le Pakistan, qui disposent actuellement du statut d’observateurs. Les détails de la Stratégie de développement n’ont pas encore été rendus publics, mais les diplomates russes assurent que l’OCS n’envisage pas de se transformer en un bloc militaro-politique. « La dimension militaire de l’OCS et les forces collectives ne sont pas à l’ordre
L’organisation compte également cinq États observateurs : l’Afghanistan, l’Inde, l’Iran, la Mongolie et le Pakistan
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La Russie a assumé la présidence tournante de l’Organisation de coopération de Shanghai le 15 septembre 2014.
du jour. Ce rôle est assumé par l’Organisation du Traité de sécurité collective », explique-t-on au ministère russe des Affaires étrangères. Ainsi, la coopération économique constituera l’axe prioritaire de l’activité de l’OCS. Les diplomates expliquent qu’il s’agit avant tout de projets régionaux importants, tels que l’initiative russe d’intégration l’Union économique eurasienne (UEEA), ainsi que le lancement ambitieux par la Chine de la création d’une infrastructure commerciale dans la région, lа Ceinture économique de la Route de la Soie (CERS). L’OCS pourrait devenir une plateforme de développement de coopération entre ces deux mégaprojets, sachant surtout que la Russie et la Chine font, d’après les diplomates russes, tout leur possible pour éviter une concurrence entre ces deux organisations. Timofeï Bordatchev estime toutefois qu’il ne peut y avoir aucune concurrence entre l’UEEA et la CERS, car la nature de ces projets n’est pas la même. « La CERS propose surtout des investissements, alors que l’UEEA crée un cadre juridique », explique l’expert. « Pour les Chinois, l’intégration eurasienne encadre les conditions juridiques relatives à leurs investissements ». En d’autres termes, on tend vers une symbiose. « Le jumelage de l’UEEA et de la CERS est une décision rationnelle. La règlementation technique russe, inspirée de la règlementation européenne, formera la base de la règlementation technique de l’UEEA. Ainsi, les Chinois, qui cherchent finalement à se rapprocher de l’Europe, travailleront en réalité dans le cadre des normes et exigences européennes », conclut Timofeï Bordatchev.
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POLITIQUE ET SOCIÉTÉ
ONG Deux fondations visées par la loi sur les « agents de l’étranger »
DROITS DE LA FEMME Entre l’islam et la laïcité
Quand la loi se heurte aux traditions locales et religieuses Un cas de mariage apparemment forcé en Tchétchénie a mis en évidence une réalité choquante pour les Russes : dans certaines régions, le droit national a bien du mal à se faire respecter.
TASS
« La science en Russie. Attentes et réalité ». Lors d’une manifestation de soutien à la fondation Dynastie.
L’aide scientifique est-elle suspecte ? EKATERINA SINELCHTCHIKOVA RBTH
En Russie, la liste des organisations à but non lucratif classées « agents de l’étranger » continue à s’allonger. Fin mai, deux organismes d’éducation scientifique y ont été inscrits. Il s’agit de la fondation Dynastie, créée par Dmitri Zimine, plus grand mécène russe dans le domaine de la science, et de la Mission libérale du directeur de recherche de l’École des hautes études en sciences économiques, Evgueni Yassine.
Question d’image La loi sur les « agents de l’étranger » est entrée en vigueur en juillet 2012. Sont ainsi qualifiées les ONG qui sont financées, même partiellement, de l’étranger et qui mènent des activités politiques. L’objectif officiel est d’informer les citoyens. « Quand ces ONG disent que chez nous tout va mal, tout le monde doit savoir qui se cache derrière leurs paroles », a déclaré l’auteur de la loi, le député Alexandre Sidiakine en juin 2012. Aujourd’hui, la liste comprend 68 organisations (dont la plupart sont des ONG de défense des droits de l’homme) et sur ce chiffre, 38 ont été inscrites en 2015, 13 autres fin 2014. Les ONG qui se voient attribuer ce statut doivent fournir des rapports comptables trimestriels, se soumettre à un audit indépendant une fois par an et indiquer sur tous les documents que ces derniers sont préparés par un « agent de l’étranger ». De nombreuses ONG inscrites sur la liste contestent le statut « d’agent », cherchant à sauvegarder leur réputation. « Je n’ai évidemment pas l’intention de dépenser mon argent personnel sous la marque d’un État étranger dont je ne connais pas le nom », a déclaré Dmitri Zimine à propos de l’inscription de Dynastie sur la liste, lors d’un entretien avec Interfax. Il a précisé qu’il cessait le financement de la fondation. La direction de la Mission libérale a pour sa part annoncé qu’elle allait se battre pour défendre son nom. « Nous sommes patriotes », affirment ses responsables qui se disent « l’agent de personne ».
Activité politique démentie Nombre des ONG visées par le statut d’« agent » nient se livrer à des activités politiques. Une seule organisation
Elle l’a dit
«
La loi sur les ONG « agents de l’étranger » ne revêt pas de caractère prohibitif, mais avec le temps, de nombreux « agents » décident de fermer, car ils perdent leur public en raison du nouveau statut discriminant ».
MARIA KANEVSKAÏA DIRECTRICE DU CENTRE HUMAN RIGHTS RESOURCE
s’est inscrite volontairement sur la liste depuis l’adoption de la loi. « Dans les faits, n’importe quelle organisation de défense des droits de l’homme [disposant de financements de l’étranger, ndlr] peut être qualifiée d’agent de l’étranger », estime Alexandre Brod, membre du Conseil présidentiel pour le développement de la société civile et les droits de l’homme. La chose est possible, car la loi ne définit pas la notion d’« activité politique ». Dynastie et Mission libérale ont notamment été qualifiées d’ONG politiques orientées pour avoir organisé des séminaires et des conférences portant sur la situation politique actuelle. Les défenseurs des droits de l’homme réclament depuis longtemps que la loi soit au moins révisée. Toutefois, Ekaterina Schulman, politologue et chargée de cours à l’Institut des sciences sociales, estime que, dans sa version actuelle, la loi offre au ministère de la Justice « un instrument puissant de répression qui le propulse au rang de structure des forces de l’ordre ». Le flou de la définition permet ainsi une application arbitraire.
Des financements importants Cependant, le fait que, selon les statistiques du ministère russe de la Justice, les apports financiers au tiers secteur depuis l’étranger aient été multipliés par plus de 10 en deux ans (pour atteindre 1,1 milliard d’euros en 2014), constitue pour certains un argument convaincant en faveur de telles mesures. « Certains pays étrangers considèrent réellement les organisations publiques et le tiers secteur comme un instrument permettant d’exercer une influence sur la politique intérieure de la Russie », explique Constantin Kostine, président du Fonds de développement de la société civile, se référant notamment à la loi « sur la lutte contre l’agression russe » adoptée aux États-Unis. « Elle suppose l’octroi de financements à différentes ONG russes et à la contestation de la censure pour les médias et ressources en ligne interdits », explique-t-il. La loi russe sur les agents étrangers n’a « rien de grave », estime M. Kostine : elle n’interdit rien et s’inscrit parfaitement dans la « construction de la législation russe ». « Rappelons qu’en Russie le financement des organisations politiques depuis l’étranger est interdit, comme c’est le cas dans tout pays souverain », souligne-t-il. Quant au flou à propos des « activités politiques » dans la loi, il convient de réfléchir à leur définition, juge-t-il, « pour que les organisations puissent clairement comprendre où se situe la limite ».
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES ONG EN RUSSIE
POUR RBTH
Fin mai, les médias russes se sont enflammés pour un fait divers, qui a indigné de nombreux citoyens : Louisa Goïlabieva, âgée de 17 ans, aurait été mariée de force à un colonel du ministère tchétchène de l’Intérieur, âgé de 46 ans et déjà marié. Le président tchétchène Ramzan Kadyrov a approuvé l’union, tandis qu’à l’échelle fédérale, le médiateur russe pour les droits des enfants, Pavel Astakhov, a refusé d’intervenir en l’absence d’une plainte.
Sous le joug des us et coutumes
ONG « indésirables » Fin mai, la Russie a adopté une loi permettant d’attribuer le statut d’organisations « indésirables » aux organisations non gouvernementales étrangères et internationales susceptibles de présenter une menace pour l’ordre constitutionnel, la défense ou la sécurité du pays. Dans un entretien avec RBTH, Anton Ichtchenko, un des promoteurs, a souligné que la nouvelle loi constituerait un « instrument de réaction rapide » permettant de « prévenir les tentatives de déstabilisation de la situation dans le pays depuis l’extérieur », et qu’elle était en place juste « au cas où ». Les défenseurs des droits de l’homme s’inquiètent du flou juridique qui ouvre la porte à d’éventuels abus.
De nombreux défenseurs des droits de l’homme constatent que la condition des femmes dans certaines républiques du Caucase du Nord s’aggrave. Ekaterina Sokirianskaïa, de l’organisation non gouvernementale multinationale International Crisis Group, indique que les mariages forcés présentent un problème radicalement nouveau pour la Tchétchénie : « Avant, il était considéré comme honteux de forcer une femme à se marier. Mais aujourd’hui, d’après nos activistes sur place, les hauts fonctionnaires abusent de leur fonction ». Les us et coutumes traditionnels locaux jouent un rôle notoire, car les droits des femmes sont plus souvent bafoués dans le Caucase du Nord que dans les autres régions russes. « Au Daguestan, en Tchétchénie et en Ingouchie, les traditions sont fortes. C’est moins le cas en Ossétie du Nord ou en Kabardino-Balkarie. La religion joue également un rôle », explique-t-elle. Le retour en arrière a commencé par l’habillement. En 2008, la Tchétchénie a adopté un code vestimentaire. Les femmes ne sont autorisées à pénétrer dans les écoles et dans les établissements publics que si elles sont vêtues de jupes longues, de blouses à manches longues et de foulards couvrant les cheveux. « Avant, la société tchétchène était plus tolérante : durant la guerre, je me promenais à Grozny en pantalon et personne ne s’intéressait à moi. Même aujourd’hui, les gens ordinaires ne font aucun cas de ce que portent les femmes. Cette question préoccupe surtout les autorités locales qui utilisent les traditions dans leurs intérêts politiques », lâche Mme Sokirianskaïa. Elle indique que dans d’autres républiques musulmanes de Russie, au Tatarstan par exemple, l’islam est plus souple et le pouvoir ne l’impose pas comme idéologie officielle. En Tchét-
Les limites de l’action civique Le pouvoir fédéral ne peut guère influer sur la situation. Mme Sokirianskaïa rappelle le cas de Sergueï Bobrov, directeur de la Commission d’enquête sur des crimes d’honneur fin 2013 : « on a exercé des pressions sur lui, et il a été rapidement remplacé ». Les lois russes sont appliquées de manière très limitée. « La loi, c’est Kadyrov », résumet-elle. Les ONG font ce qu’elles peuvent. « La Tchétchénie compte six ou sept organisations de défense des droits des femmes. Elles aident à résoudre certains problèmes, souvent en privé. Mais elles ne sont pas en mesure de résister ouvertement », explique-t-elle. « Pour le moment, le travail des ONG se résume à la lutte contre les conséquences. Les sondages montrent que les femmes veulent connaître leurs droits et les moyens de se protéger, mais d’autres femmes vont dans le sens inverse », confirme Saida Sirajoudinova, présidente du Centre d’étude des questions globales de la modernité et des problèmes régionaux. Il ne faut pas s’attendre à un sursaut d’initiatives civiques. Les femmes russes ne sont prêtes à combattre ni pour les droits de leurs compatriotes, ni pour les leurs propres, comme l’ont montré les discussions récentes sur l’éventuelle interdiction des avortements en Russie, explique Natalia Bitten, journaliste et militante du groupe d’initiative Pour le féminisme. « Les femmes possédant un diplôme supérieur et un statut social élevé affichent un potentiel personnel et politique élevé. Elles sont préoccupées par la situation des femmes dans le Caucase du Nord, et elles savent ce qu’il faut faire – elles font appel à l’État, aux structures des forces de l’ordre », précise-t-elle. Toutefois, l’exemple du mariage tchétchène prouve que, pour le moment, leurs efforts ne sont pas couronnés de succès. L’expérience historique pourrait leur venir en aide. Notamment, celle de l’Union soviétique où le tribunal prenait la défense de la mère lors des divorces. « La législation russe doit protéger les femmes, notamment des lois et traditions religieuses », conclut Mme Sokirianskaïa.
RIA NOVOSTI
Deux fonds d’éducation scientifique ont été ajoutés à la liste des organisations non gouvernementales derrière lesquelles l’État soupçonne une tentative d’ingérence étrangère.
ANASTASIA VITIAZEVA
chénie, une femme qui fume risque l’arrestation, et des liaisons hors mariage peuvent se solder par des crimes d’honneur, dont le nombre va croissant. Actuellement se déroule à Grozny le procès de Sultan Daourbekov, qui a étouffé sa fille âgée de 38 ans. Elle était divorcée et élevait un fils. Les voisins avaient vu un inconnu la déposer devant sa maison. Au tribunal, un des témoins a rappelé au juge que le président Kadyrov avait justifié les crimes d’honneur.
Deux jeunes femmes respectueuses du code vestimentaire, à Grozny en 2012.
Mode d’emploi : Comment une ONG peut-elle cesser d’être « agent de l’étranger » ?
« Memorial » échappe à la dissolution : une victoire de la société civile ?
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Mercredi 24 juin 2015
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ÉCONOMIE TOURISME Une perte d’image compensée
La baisse du rouble : un atout pour faire rebondir la fréquentation La faiblesse de la monnaie depuis décembre 2014 fait de la Russie une destination touristique plus accessible que jamais. Mais le pays paie la dégradation des relations diplomatiques. ALEXANDRE BRATERSKI POUR RBTH
« Que pensez-vous du film ‘Tolstoï, le dernier automne’ ? », demande à une jeune guide une touriste polonaise, postée devant la tombe modeste de l’écrivain à Iasnaïa Poliana. La guide lui adresse un sourire confus et se met à chercher dans sa tête les mots en anglais pour lui répondre. Dans le groupe, un touriste balbutie en russe, et tous finissent par trouver un langage commun : l’amour porté à Léon Tolstoï unit le monde entier. Les week-ends et les jours fériés, la maison de Tolstoï près de Toula (193 km au sud de Moscou) enregistre un afflux significatif de visiteurs, dont de nombreux étrangers. La faiblesse du rouble a ses avantages : le coût d’un séjour en Russie a considérablement baissé, augmentant d’autant l’attrait de cette destination. Les statistiques de l’Agence fédérale pour le tourisme (Rostourisme), chargée du développement de ce secteur en Russie, confirment qu’en décembre 2014, après une chute brutale de la monnaie, la fréquentation était repartie à la hausse, (35%) a indiqué Nikolaï Korolev, vice-président de Rostourisme, dans un entretien récent avec l’agence TASS. Toutefois, le nombre de touristes étrangers pour l’année 2014 a baissé de 3%.
Une image dégradée Vladimir Kantorovitch, de l’Association des voyagistes russes (ATOR), explique que la faiblesse actuelle de sa monnaie est le seul atout majeur de la Russie en matière de tourisme. L’avantage qu’elle constitue est en effet contrebalancé par
un gros inconvénient : la dégradation du climat diplomatique entre la Russie d’une part, l’Union européenne et les ÉtatsUnis de l’autre. « Ce n’est pas directement lié au tourisme, mais les gens préfèrent voyager vers des destinations qui conservent de bonnes relations avec leur pays », souligne M. Kantorovitch. Les représentants des voyagistes partagent cet avis : « Malheureusement, la dépréciation du rouble a naturellement coïncidé avec la détérioration de l’image du pays sur le marché extérieur, ce qui empêche la Russie de devenir plus attractive pour les étrangers », note Alexandra Lanskaïa, directrice exécutive de Patriarshy Dom Tours qui se spécialise dans les visites de sites culturels organisées pour les touristes étrangers. Rostourisme a conscience que la richesse du patrimoine culturel russe ne suffit pas et qu’il convient de promouvoir l’image du pays en tant que destination touristique. Dans ce but, l’Agence ouvre notamment des bureaux à l’étranger. Le premier a été récemment inauguré à Dubaï ; d’autres devraient suivre en Allemagne et en Chine.
410 000 touristes de Chine
indiquent que les rues des grandes villes sont sans danger – la question des visas peut être un obstacle. L’obtention d’un visa de tourisme est associée à une forte dose de bureaucratie, explique M. Kantorovitch. Un assouplissement serait selon lui possible et opportun : « Personne ne nous empêche de supprimer les visas de manière unilatérale », indique-t-il, rappelant que la suppression mutuelle des visas avec Israël a conduit à une hausse de 50% du nombre de touristes israéliens en Russie.
Hébergement haut de gamme mais manque de petits hôtels
Le visa : un frein à desserrer Tandis que les efforts portent sur l’amélioration du marketing, les spécialistes occidentaux notent certaines évolutions positives. Début mai, l’image touristique de la Russie a progressé de 18 points pour passer de la 63ème à la 45ème place selon le classement du prestigieux Travel & Tourism Competitiveness Report, publié par le Forum économique mondial et le Strategy Partners Group. La Russie a été bien notée pour ses attractions culturelles et la communication aérienne, alors que le niveau de sécurité et la difficulté à obtenir des visas lui ont valu des points négatifs. Si l’appréciation concernant la sécurité peut être contestée – de nombreux étrangers
350 000
RIA NOVOSTI
En ligne
L’industrie russe du tourisme passe au virtuel fr.rbth.com/33931
L’hébergement constitue une autre question d’importance. Les investisseurs étrangers dans l’hôtellerie conservent toute leur confiance dans le potentiel de la Russie : un hôtel quatre étoiles de 110 lits, le Dedeman Park Izmailovo Moscow, vient d’être ouvert par un groupe turc dans la capitale. Toutefois, si les enseignes des grandes chaînes mondiales sont suffisamment nombreuses à Moscou, la ville souffre d’un manque d’hôtels modestes plus accessibles. La municipalité envisage la construction de petits établissements dans le centre-ville que les hôteliers pourraient exploiter en location pour une durée de 49 ans. En province, la situation concernant l’accueil est également compliquée. Ces dernières années, des complexes hôteliers et touristiques de classe mondiale ont vu le jour dans les régions les plus attractives en matière de loisirs, tels qu’Altay Resort en Altaï et le Grand Hotel Rodina à Sotchi. Mais la crise a freiné les ambitions. Récemment, le ministère
162 000
touristes
touristes des États-Unis
d'Allemagne
D’où viennent les toursites ? Le nombre de touristes étrangers a globalement diminué de 3% en 2014. La Chine, l’Allemagne et les États-Unis sont les premières provenances.
des Sports, chargé de l’organisation de la Coupe du Monde de football de 2018, a renoncé à la construction de 25 nouveaux complexes hôteliers dans les villes qui accueilleront la compétition. La maîtrise de la langue anglaise pose un problème d’un autre ordre auquel il faudra s’attaquer. Le manque général de connaissance linguistique du personnel hôtelier irrite les étrangers, qui ne comprennent pas non plus que leurs questions posées en anglais aux employés du métro restent sans réponse. Toutefois, la situation s’améliore : des indications en anglais apparaissent dans le métro, et une police touristique parlant cette langue passe-partout a été créée au sein du ministère de l’Intérieur.
Les transporteurs s’adaptent à la crise En 2015, les règles du jeu sur le marché russe du transport aérien international ont commencé à changer de manière brutale : la dépréciation du rouble en fin d’année 2014 a entraîné une baisse de la demande intérieure, poussant une série de compagnies aériennes européennes et asiatiques à supprimer des liaisons sur Moscou. Du coup, les transporteurs aériens étrangers se sont intéressés au potentiel de la province russe. En 2014 et 2015, les compagnies FinAir, FlyDubai et Etihad Airways ont proposé de nouveaux vols vers l’intérieur de la Russie. Cet intérêt pour les régions est lié au fait que le marché de Moscou est devenu hautement concurrentiel et génère donc moins de revenus. Et les aéroports régionaux sont prêts à offrir aux compagnies des réductions tarifaires, explique le directeur commercial du tour-opérateur russe Tez Tour.
AVIATION CIVILE Le salon du Bourget confirme l’intérêt du marché chinois
La production russe met le cap sur l’Asie L’industrie aéronautique russe se réoriente progressivement vers l’Est. Or, ce « virage » pourrait également profiter aux partenaires habituels de Moscou, notamment la France. ANNA KOUTCHMA RBTH
Cette année, la Russie avait de quoi étonner les visiteurs du salon du Bourget qui vient de fermer ses portes : la Corporation aéronautique unifiée (OAK) a présenté pour la première fois à l’étranger un simulateur de vol du futur avion MS-21. De plus, le Sukhoï Superjet 100 (SSJ-100) a été présenté avec une finition inhabituelle, adaptée aux besoins de la compagnie mexicaine Interjet. En particulier, la treizième rangée de sièges est absente et les toilettes sont séparées pour les hommes et les femmes. De cette façon, l’entreprise russe a démontré qu’elle était prête à adapter sa production aux souhaits des clients. Et qu’il s’agisse du SSJ-100, déjà en production en série, ou du MS-21 qui s’y prépare, les deux avions intéressent de nombreux pays, en particulier la Chine. L’industrie aérospatiale russe, à l’instar de l’économie du pays dans son en-
semble, met le cap sur l’Asie. Ainsi, l’OAK a annoncé à la fin du mois de mai qu’elle prévoyait des livraisons massives de Superjet 100 en Chine. Dans ce but, Moscou et Pékin créeront une compagnie de leasing commune, qui sera enregistrée sous juridiction chinoise.
Un marché en pleine croissance Un accord en ce sens a été signé le 8 mai dernier. Il pourrait être question de la livraison en Chine et sur le marché d’Asie du sud-est d’environ 100 appareils, pour un montant total d’environ trois milliards de dollars (2,6 milliards d’euros). « C’est un événement historique. Nous avons beaucoup parlé du marché chinois et nous rêvions d’y pénétrer. Dans les quinze prochaines années, il s’y vendra environ 1 300 avions », a déclaré le dirigeant de l’OAK, Iouri Slioussar. « La capacité du marché chinois sur les vingt années à venir est de plus de mille avions », note de son côté Andreï Kramarenko, expert indépendant du secteur aéronautique. Selon lui, les débouchés sur le marché chinois sont pour le constructeur russe une bonne façon de maintenir la production en série, car les autres marchés potentiels sont déjà occupés. Pour la partie chinoise, la tech-
« Les débouchés du marché chinois sont pour le constructeur russe une bonne façon de maintenir la production en série »
nologie du SSJ-100 et son prix compétitif sont des facteurs séduisants. La Chine se trouve également parmi les acheteurs potentiels d’un autre avion de ligne russe : le futur moyen-courrier au fuselage étroit MS-21, dont la production en série doit débuter en 2018. Un autre partenaire commercial de la Russie, l’Égypte, est également intéressé par les deux appareils. L’OAK prévoit de mener des négociations avec des représentants de la compagnie Egypt Air en vue de la fourniture de SSJ-100.
Des retombées en France Les débouchés sur les nouveaux marchés de l’OAK profiteront également aux partenaires européens de la corporation. Le MS-21 et le Superjet sont produits en collaboration avec des entreprises françaises, et de nouvelles commandes sont synonymes de charge de travail accrue pour Snecma (moteurs), Thales (avionique), Zodiac (systèmes de carburant) et pour d’autres sociétés qui sont pour le moment les seuls fournisseurs de l’un ou l’autre des systèmes des avions russes. De plus, l’OAK est prête à envisager la possibilité d’une participation des entreprises françaises en cas de produc-
SERVICE DE PRESSE
Le Sukhoi Superjet 100 est le premier appareil commercial mis au point par la Russie depuis deux décennies.
tion de nouvelles versions du SSJ-100. « La création d’une nouvelle version signifie toujours la mobilisation de plus de potentiel de production et des tâches spécifiques pour les fournisseurs de systèmes, qui doivent adapter leur production à la nouvelle version de l’avion », déclare Oleg Panteleyev, dirigeant du bureau d’analyses de l’agence Aviaport. Selon cet expert, les partenaires français pourraient même localiser leur production en Russie, compte-tenu du fait qu’en raison de la dévaluation du rouble, produire en Russie est aujourd’hui plus rentable qu’en zone euro.
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OPINIONS
UE-RUSSIE : L’INÉVITABLE « DÉGEL » L VLADIMIR TCHERNEGA POLITOLOGUE Consultant du Conseil de l’Europe, docteur ès sciences juridiques, émissaire extraordinaire et plénipotentiaire
a prochaine rencontre des dirigeants et chefs de gouvernement européens, prévue les 25 et 26 juin, ne changera sans doute pas la donne en ce qui concerne les relations entre l’Union européenne et la Russie. Les sanctions en vigueur ont d’ores et déjà été prorogées et ne devraient pas être renforcées (à moins d’une aggravation de la situation dans le sud-est de l’Ukraine). Les principaux pays de l’UE, l’Allemagne et la GrandeBretagne en particulier, ne souhaitent pas renoncer à faire pression sur la Russie, mais sont contraints de prendre en compte la réticence apparente de certains pays, dont la Grèce, la Hongrie et Chypre, à durcir les sanctions existantes. L’UE, de toute évidence, éprouve également une certaine lassitude à l’égard du pouvoir ukrainien actuel qui réclame de plus en plus d’aide, sans pour autant écouter les conseils de ses « amis européens », notamment en ce qui concerne le respect des accords de Minsk. Enfin, l’UE est consciente du rôle de la Russie dans le règlement des problèmes internationaux pressants (le programme nucléaire iranien, l’avancée de l’État islamique en Syrie et en Irak). Globalement, il faut partir du principe que le « gel » des relations entre la Russie et l’UE pourrait durer assez longtemps, car il n’a pas été provoqué par les seuls événements d’Ukraine. Au contraire, dans une certaine mesure, la crise ukrainienne est le résultat des contradictions croissantes qui émaillent ces relations. La volonté des deux parties de coopérer, dictée surtout par les intérêts économiques, laissait petit à petit place à une concurrence à mesure que l’UE pénétrait dans l’espace postsoviétique sous l’impulsion de la logique du « nouvel empire européen » naissant. Il faut reconnaître que ce dernier est assez attractif, et c’est l’un des facteurs principaux de la « force douce »,
IORSH
mais comme tout autre empire, tôt ou tard, il devait titiller son unique rival, la Russie. L’exemple de l’Ukraine est à cet égard très parlant car, pour la première fois de son histoire, l’UE s’est ouvertement lancée dans une lutte pour le projet d’« euro-intégration » d’un pays qui ne répondait absolument pas à ses critères d’adhésion. L’idéologisation accrue, après la chute du communisme, de la politique extérieure occidentale faisant de la démocratie et des droits de l’homme, dans les pays occidentaux, une sorte de « religion laïque », a également renforcé la rivalité entre l’UE et la Russie au sein de l’espace post-soviétique. L’exportation de ce modèle est devenue un objectif majeur de sa politique extérieure. Dans ce contexte, les problèmes du jeune État ukrainien, notamment la cohabi-
«
La Russie et l’UE devraient, tôt ou tard, parvenir à un compromis qui, naturellement, demandera des concessions de chaque côté »
QUID DU GEL DES ACTIFS RUSSES EN BELGIQUE ET EN FRANCE ? «
L
DMITRI GOLOLOBOV JURISTE Professeur invité de l’université de Westminster, ex-chef du département juridique de Ioukos
a semaine dernière, différents médias ont rapporté le gel d’avoirs bancaires russes en Belgique [et en France, ndlr], faisant notamment état de la saisie des actifs de l’Archevêché orthodoxe russe de Bruxelles. Certains médias se sont même empressés d’annoncer que la Belgique « avait déclaré la guerre à la Russie ». En réalité, il s’agit de la mise en application, attendue depuis un certain temps, de la décision de la cour d’arbitrage de La Haye, qui a condamné la Russie à rembourser 50 milliards de dollars aux actionnaires de Ioukos [groupe pétrolier démantelé peu après l’arrestation en 2003 de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, ndlr]. Il s’agit par conséquent d’une affaire commerciale qui ne saurait être assimilée à un différend politique. Par ailleurs, aucun actif russe appartenant à l’État ou à des entreprises privées n’a été saisi. Les agences chargées de la mise en œuvre des décisions de justice
ont intimé à 47 organisations belges, russes et internationales, enregistrées en Belgique, de dresser sous 15 jours la liste des biens et actifs de la Fédération de Russie en leur possession. Chose qu’elles feront, naturellement. [En France, des comptes ont été gelés dans une quarantaine de banques, ainsi que 8 ou 9 immeubles, ndlr]. Les organismes privés déclareront ne pas posséder de biens appartenant à la Russie. Ceux qui détiennent des biens revenant formellement à l’État russe feront valoir leur immunité. Si, après cela, il reste encore quelque chose à saisir (et je ne pense pas qu’il reste grand-chose), ces actifs, non protégés par l’immunité, seront saisis puis éventuellement vendus. Mais tout cela n’arrivera pas de sitôt. Jusqu’ici, il n’est pas question de la saisie d’actifs de Rosneft, de Gazprom, ou des banques d’État russes. Par ailleurs, toute dénonciation des cas de mise en œuvre des décisions de la justice comme une attaque « contre la Russie » serait une
L E CO U R R I E R D E S L E C T E U R S , L E S O P I N I O N S O U D E SS I N S D E L A R U B R I Q U E “ O P I N I O N S ” P U B L I É S DA N S C E S U P P L É M E N T R E P R É S E N T E N T D I V E R S P O I N T S D E V U E E T N E R E F L È T E N T PA S N É C E S S A I R E M E N T L A P O S I T I O N D E L A R É D A C T I O N D E R U S S I A B E Y O N D T H E H E A D L I N E S O U D E R O S S I Y S K AYA G A Z E TA . MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : FR@RBTH.COM RUSSIA BEYOND THE HEADLINES EST PUBLIÉ PAR LE QUOTIDIEN RUSSE ROSSIYSKAYA GAZETA. LA RÉDACTION DU FIGARO N’EST PAS IMPLIQUÉE DANS SA PRODUCTION. LE FINANCEMENT DE RBTH PROVIENT DE LA PUBLICITÉ ET DU PARRAINAGE, AINSI QUE DES SUBVENTIONS DES AGENCES GOUVERNEMENTALES RUSSES. RBTH A UNE LIGNE ÉDITORIALE INDÉPENDANTE. SON OBJECTIF EST DE PRÉSENTER DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA RUSSIE ET LA PLACE DE CE PAYS DANS LE MONDE À TRAVERS UN CONTENU DE QUALITÉ. PUBLIÉ DEPUIS 2007, RBTH S’ENGAGE À MAINTENIR LE PLUS HAUT NIVEAU RÉDACTIONNEL POSSIBLE ET À PRÉSENTER LE MEILLEUR DE LA PRODUCTION JOURNALISTIQUE RUSSE AINSI QUE LES MEILLEURS TEXTES SUR LA RUSSIE. CE FAISANT, NOUS ESPÉRONS COMBLER UNE LACUNE IMPORTANTE DANS LA COUVERTURE MÉDIATIQUE INTERNATIONALE. POUR TOUTE QUESTION OU COMMENTAIRE SUR NOTRE STRUCTURE ACTIONNARIALE OU ÉDITORIALE, NOUS VOUS PRIONS DE NOUS CONTACTER PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE À L’ADRESSE FR@RBTH.COM. SITE INTERNET FR.RBTH.COM. TÉL. +7 (495) 7753114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), PAVEL GOLUB : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, TATIANA CHRAMTCHENKO : RÉDACTRICE EXÉCUTIVE, FLORA MOUSSA : RÉDACTRICE EN CHEF, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, DIMITRI DE KOCHKO : CONSEILLER DE LA RÉDACTION, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, MILLA DOMOGATSKAÏA : DIRECTRICE DE LA MAQUETTE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREÏ ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@ LEFIGARO.FR). EVGUENIA SHIPOVA : REPRÉSENTANTE À PARIS (E.SHIPOVA@RBTH.COM, 06 67 42 20 42 ) © COPYRIGHT 2015, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS. ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À FR@RBTH.COM OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 7753114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ILLUSTRATEURS. LES LETTRES DE LECTEURS SONT À ADRESSER PAR COURRIEL À FR@RBTH.COM OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). RUSSIA BEYOND THE HEADLINES N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS. RBTH ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE. CE SUPPLÉMENT A ÉTÉ ACHEVÉ LE 19 JUIN 2015
Au cours des vingt dernières années, on ne relève que deux cas semblables (...) Personne à ce jour n’est parvenu à recouvrer des milliards de dollars auprès de la Russie »
tation ardue des parties occidentale et orientale du pays, son régime économique oligarchique et la paupérisation de la population ont été ignorés au profit de l’établissement d’un régime « véritablement démocratique », vu comme la panacée contre tous ces maux. L’élargissement de l’UE a, depuis le début, été soutenu par les États-Unis qui cherchaient par tous les moyens à limiter la renaissance à terme de la Russie comme grande puissance. L’intégration de l’Ukraine dans l’UE et, à l’avenir, dans l’organisation atlantique qu’est l’OTAN revêtait une importance particulière pour Washington, car la perte d’influence de la Russie sur l’Ukraine, affaiblissait considérablement ses positions dans cette région d’Europe. C’est pourquoi l’affrontement de la Russie et de l’Occident sur l’Ukraine n’est
réaction à très courte vue. Dans les faits, au cours des vingt dernières années, on ne relève que deux cas semblables : l’affaire de la célèbre entreprise suisse Noga, qui a fini par abandonner les poursuites devant des frais de justice colossaux sans avoir pu obtenir le moindre remboursement de la part de la Russie, et l’action en justice intentée par l’homme d’affaires allemand Franz Sedelmayer contre la Fédération de Russie, dans laquelle le bâtiment de la mission commerciale russe en Suède a finalement été saisi et vendu. Toutefois, l’affaire Sedelmayer n’a pas de quoi encourager les créanciers : le montant du recouvrement ne représente que quelques millions d’euros, alors que la décision n’a toujours pas été pleinement exécutée. Personne à ce jour n’est parvenu à recouvrer des milliards de dollars auprès de la Russie – même si nous savons tous que tout a un début. Il ne fait aucun doute que les actionnaires de Ioukos ne s’en tiendront pas là. Ils ont déjà déclaré avoir lancé la procédure de mise en application de la décision de la cour d’arbitrage aux États-Unis et en Allemagne. La procédure et les règles varient en fonction des différentes juridictions ; nous pourrions donc assister à une nouvelle tentative de saisie d’actifs russes d’ici
pas près de s’effacer. En rattachant la Crimée et en apportant son soutien aux républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, la Russie a tenté de freiner l’expansion de l’UE et de l’OTAN au sein de l’espace postsoviétique. Mais il se trouve que par là même, elle a posé les bases d’une certaine révision de l’ordre international en Europe. Évidemment, l’Occident se sentant plus fort, notamment sur le plan économique, cherche à l’en empêcher et recourt ainsi à une pression psychologique, politico-diplomatique et surtout économique sur la Russie. L’histoire prouve que les situations de ce type sont réglées soit par la guerre, soit par le compromis. Dans le cas de la Russie et de l’UE, les parties devraient, tôt ou tard, parvenir à un compromis qui, naturellement, demandera des concessions de chaque côté. La nature de ces concessions dépendra surtout de la mesure dans laquelle la Russie « se pliera » (ou ne « se pliera » pas) sous la pression des sanctions. À long terme, l’élaboration d’un nouveau modus vivendi est inévitable, car la Russie et l’UE ont besoin l’une de l’autre tant sur le plan économique que pour assurer la sécurité du continent. L’idée d’un espace économique unique allant « de Lisbonne à Vladivostok », proposée récemment par Angela Merkel et avancée précédemment par la Russie, en est la preuve. Il est désormais clair que la crise en Ukraine ne pourra être surmontée que par un effort conjugué. Dans leur majorité, les Russes appartiennent à la culture européenne, un fait rarement contesté. De plus en plus d’Européens comprennent que l’éloignement mutuel profite à certains pays tiers, en premier lieu les ÉtatsUnis, mais non à nos propres peuples. Il n’existe tout simplement pas d’alternative à la création patiente des conditions de notre nouveau rapprochement.
un mois, comme d’ici un an. Et si, en Grande-Bretagne, une récente décision dans l’affaire qui oppose La Générale des Carrières et des Mines à FG Hemisphere Associates LLC [2012] UKPC 27 rend l’éventuelle saisie des actifs de Rosneft et de Gazprom quasiment impossible, dans les autres juridictions, la question pourrait déboucher sur des procédures judiciaires de grande ampleur. Indépendamment de l’issue des tentatives menées par le groupe Menatep [la banque associée à Ioukos, ndlr] en vue de saisir les actifs de la Russie en Belgique et partout dans le monde, il paraît évident que cette situation découle de la position absolument passive de la Russie à l’égard des procès internationaux relatifs à l’affaire Ioukos. Si Moscou continue d’espérer que la situation « se résoudra d’ellemême », tôt ou tard, ces actifs seront effectivement saisis et vendus. Le dernier épisode pourrait avoir un effet positif en montrant à la Russie que le temps est venu de se battre réellement contre les actionnaires de Ioukos ou de négocier avec eux. Cette affaire pourrait finir par ressembler un peu trop à la guerre de Cent ans. Article initialement publié sur le site de RBC DAILY
D’AUTRES POINTS DEVUE SUR L’ACTUALITÉ FR.RBTH.COM/OPINIONS DANS LA RUBRIQUE OPINIONS SUR
LA RUSSIE N’A RIEN À GAGNER À UNE DÉSAGRÉGATION DU TRAITÉ NUCLÉAIRE FNI
LE SPECTRE DE L’ISLAMISME RADICAL POURRAIT RAPPROCHER MOSCOU ET WASHINGTON
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Mercredi 24 juin 2015
CULTURE
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ENTRETIEN AVEC KIRILL SEREBRENNIKOV
CRITIQUE THÉÂTRALE
« Le théâtre a été inventé pour éviter la révolution »
« LES IDIOTS » RUSSES DÉBARQUENT À AVIGNON
INVITÉ AU FESTIVAL D’AVIGNON AVEC SON SPECTACLE « LES IDIOTS », LE METTEUR EN SCÈNE RUSSE S’EXPRIME SUR L’ART SCÉNIQUE. Les Idiots
Vous êtes depuis 2012 le directeur artistique du Gogol Centre. Comment ont évolué les relations entre le théâtre et l’État dans cet intervalle ? Ce que nous observons avec le scandale de l’opéra Tannhäuser à Novossibirsk [censuré par les autorités, ndlr], c’est une tentative de contrôler le théâtre. Or, le théâtre a été inventé pour éviter la révolution dans la rue. C’est une soupape de sécurité. Quelle est la nécessité du carnaval ? La population déverse toute l’énergie négative accumulée pendant l’année dans cette folie. Ce sont les origines du théâtre. Les spectateurs viennent pour voir sur scène des choses révoltantes, qui restent dans un espace confiné. Un espace spécial qui permet d’éjecter n’importe quelle énergie, qu’elle soit heureuse, négative ou autre, pour que la vie suive son cours normal.
Voyez-vous, en Russie, des évolutions positives dans le domaine de la culture ? Nous vivons un moment crucial. Le parlement pourrait adopter une nouvelle loi sur la culture que le secteur attend depuis de nombreuses années. J’ai lu le projet et à mon avis, c’est une loi importante. Elle prévoit de nombreuses mesures protectionnistes et formule des idées conceptuelles comprenant des notions comme l’actionnisme ou l’industrie culturelle.
Le théâtre est-il toujours en vogue en Russie ? Bien sûr. En tout cas, nous le voyons d’après le public. Nous accueillons l’intelligentsia, aussi bien scientifique que créatrice, nous avons beaucoup de spectateurs d’un peu plus de vingt ans. Nous savons que nombre de gens viennent pour la toute première fois au théâtre et qu’ils choisissent notre théâtre pour l’occasion. C’est un public merveilleux dont nous ne pouvons que rêver. Nous faisons tout pour que nos spectateurs soient plus nombreux. Je crois que plus l’existence sera pénible, plus nombreux seront les spectateurs au théâtre.
Vous êtes invité dans d’importants festivals européens de théâtre. Qu’est-ce qui explique cette renommée à l’étranger?
Représentation du 6 au 11 juillet 2015 dans la cour du Lycée SaintJoseph. 62 Rue des Lices, Avignon.
Biographie Physicien de formation, Kirill Serebrennikov est cinéaste, metteur en scène et réalisateur. Étudiant, il touche à la mise en scène au studio d’amateurs « 69 » et à partir des années 90, il s’impose sur la scène professionnelle. Parallèlement, il réalise plusieurs téléfilms, ainsi que des longs métrages très remarqués dans les grands festivals. Nommé en 2012 directeur artistique du Théâtre dramatique Gogol de Moscou, Serebrennikov le transforme en un espace d’art moderne, le Gogol Center. Kirill Serebrennikov est lauréat d’une série de récompenses, dont le prix du Festival de cinéma de Rome.
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C’est le résultat de deux ans d’activités du Gogol Center. Le théâtre a été invité dans tous les grands festivals de l’année : au Wiener Festwochen à Vienne, au Festival d’Avignon et au BITEF à Belgrade. Ce sont les principaux festivals européens de théâtre. À chaque fois, nous présentons des spectacles différents.
Pourquoi avez-vous choisi pour Avignon Les Idiots, d’après Lars von Trier ? Les organisateurs ont choisi entre plusieurs pièces. Les Idiots ont rencontré un grand succès en Allemagne, lors de notre tournée au théâtre Schaubühne. Ce spectacle a été remarqué par les médias internationaux.
Vous avez réalisé de nombreuses mises en scène à l’étranger. Où vous-êtes vous senti le plus à l’aise ? Je me sens très à l’aise en Allemagne
ou par exemple à Riga. Le spectacle que j’ai mis en scène au Théâtre national de la capitale lettonne, qui évoque la vie et l’œuvre du poète Janis Rainis, a été un véritable succès. Les spectateurs se lèvent à la fin pour chanter l’hymne national. Je suis heureux d’avoir pu toucher la fibre sensible des Lettons. Je reçois sans cesse de nouvelles propositions dont l’une des dernières est très flatteuse pour moi : mettre en scène Salomé à Stuttgart l’année de l’anniversaire de Strauss ! C’est du sérieux. En outre, je mettrai en scène un spectacle d’après Kafka à Prague et Boris Godounov en France. La France est la puissance théâtrale numéro un. Je souhaite vivement travailler avec plusieurs comédiens français et allemands. Je pense que j’aurai l’occasion de coopérer avec des artistes français. Propos recueillis par MARINA OBRAZKOVA
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La culture russe dans tous ses états sur
Après une longue interruption, un spectacle russe sera à l’affiche du festival d’Avignon : Les Idiots, de Kirill Serebrennikov, basé sur le film éponyme de Lars von Trier. Serebrennikov est de ces metteurs en scène qui troublent en permanence l’ordre public. Il possède en Russie la même aura de provocateur que von Trier en Europe. Ainsi, son intérêt pour le chef de file du « Dogme » danois semble tout sauf accidentel. Au Gogol Center, que Serebrennikov dirige depuis deux ans, est sortie une trilogie consacrée à des films européens marquants transposés à la scène contemporaine russe : Rocco et ses frères de Visconti, La peur dévore l’âme de Fassbinder et Les Idiots de von Trier. Dans cette mise en scène, Serebrennikov a déplacé le sujet d’une intrigue psychologique à une intrigue sociale, et livre un avis très direct sur l’état de la société russe contemporaine. Dans l’adaptation théâtrale du jeune dramaturge Valery Pecheïkine, tout est plus cruel que dans l’œuvre originale. La Russie a de gros problèmes de tolérance, et les jeunes maximalistes sont prêts à aller jusqu’au bout dans leur protestation, broyés à mort par l’intolérance de la société. L’un d’entre eux devient fou, un autre est emprisonné, le troisième, après avoir aspergé d’acide le portrait d’un politicien célèbre, est tué par des ouvriers qui ne comprennent pas la plaisanterie. Les héros de Lars von Trier deviennent des artistes-activistes radicaux rappelant le groupe artistique russe Voïna (dont sont issues les Pussy Riot). Ils volent dans les magasins, organisent des provocations dans des lieux publics, insultent leurs clients riches et refusent ostensiblement de recevoir de l’argent. Les auteurs du spectacle y rajoutent encore un peu de sel, en s’attaquant aux plaies sociales les plus sensibles, dont la « chasse aux sorcières » (l’une des scènes parodie le procès des jeunes femmes de Pussy Riot, jugées pour leur « prière punk » dans une cathédrale). Le thème du procès sert de fil rouge à l’histoire : tous les membres du groupe passent derrière les barreaux. Cependant, ce n’est pas à une révolution politique qu’appellent Les Idiots, mais à une libération intérieure. Par ailleurs, la pièce se fait l’avocat des « autres », ceux qui ne peuvent y parvenir seuls : les personnes malades. La société s’efforce de ne pas les remarquer, de les parquer dans des ghettos médicalisés où ils ne dérangeront pas. Dans le final, l’héroïne, incarnée par l’actrice Oksana Fandera, danse avec des artistes trisomiques. Leurs visages sincèrement radieux rendent cette scène incroyablement forte, car elle montre la vérité, sans mascarade et sans artifices.
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MARINA CHIMADINA
EXPOSITION La galerie Vallois accueille du 4 juin au 7 juillet des œuvres d’une figure du mouvement Sots Art
Léonid Sokov, le tailleur de pensées Il est rare de rencontrer un esprit aussi libre que l’est Léonid Sokov. « Songes sur le Pop Art » est une exposition qui tranche par son approche corrosive et humoristique. ELLÉA TCHETOV POUR RBTH
Au-delà de l’idéologie comme objet de consommation, fondement de la pensée du Sots Art (« sots » est une contraction du mot « socialisme »), c’est la rencontre explosive entre l’idéologie et la société de consommation que met en scène, dès ses débuts, Léonid Sokov, artiste russe émigré aux États-Unis depuis 1979. Un clash qui se transformerait presque en histoire d’amour. « Coup de foudre entre Marilyn Monroe et Staline », ainsi pourrait-on paraphraser les toutes premières œuvres de Sokov qui mettent en scène deux icônes du XXème siècle. L’une
La lumière d’une fenêtre, 2014.
est artiste et américaine, l’autre, idéologue et soviétique. « Le Pop Art ne peut exister dans une société de déficit total. En URSS, l’art n’était pas une réponse à l’image commerciale, mais à la propagande. D’où l’apparition du Sots Art », résume le commissaire de l’exposition, Andreï Erofeïev. Chez Léonid Sokov, cette étude en perspective des mouvements artistiques s’est affinée avec le temps et a pris du relief. Son exposition Songes sur le Pop Art mène la pensée vers des réflexions subtiles sur l’essence même de l’œuvre-création : l’ébauche est-elle déjà œuvre ? Un ouvrage non abouti est-il voué à le rester ? L’incarnation d’une œuvre vingt ans après fait-elle de la pensée un produit périmé ? Réalisées en 2014 sur des esquisses des années 1970, les sculptures inédites de Sokov balayent l’idée d’une obsolescence artistique. L’artiste taille dans ses réflexions,
trace les contours, découpe, épannèle, ébauche le songe pour une finition à la dimension tant scénique que réflexive. « Créer est une émotion instantanée. L’artiste ne crée pas un objet, il reproduit avec flair et justesse la perception du monde de façon existentialiste », a confié Léonid Sokov à RBTH. Son travail autour de l’ombre incarne bien l’idée d’une réalité inversée. Plus lourde, plus massive et plus grossière que l’objet en question, on s’y heurte brutalement. « Cette ombre, c’est l’idée platonicienne matérialisée. C’est le mythe qui transforme l’homme ordinaire en légende. Mais il ne s’agit en fait que d’une ombre parfois un peu trop pesante », décrypte l’artiste. Qu’il s’agisse d’une fenêtre aux contours rigides, ou encore du piédestal sur lequel sont posées les statues de bronze miniatures des deux dictateurs des années 1930, poursuivis par une gigantesque forme obscure, l’ombre force le regard à se figer sur l’impalpable. Et
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Diaporama : Les songes sur le Pop Art de Léonid Sokov fr.rbth.com/33889
pourtant, quoi de plus réel que l’ombre à l’ego démesurée d’Hitler et de Staline ? Derrière cette pesanteur de l’histoire, Sokov conserve une approche décalée qui restitue à l’art toute sa fonction poétique. L’onirisme par le subversif ! Ses créations jouissent d’un espace de dérision qui lui permettent de s’approprier les mots-objets, de se jouer volontairement des cultures, allant jusqu’à transgresser leurs propres frontières. « Ne pas s’approcher, je bute », lit-on en russe sur une planche attachée à Shurik, un des personnages du sculpteur. L’artiste turbulent est volontairement insolent, ostensiblement indécent. Une vulgarité sobrement étudiée, reflet d’une fraction de la société jugée impropre, que l’idéologie tente d’éradiquer. Absurdité du système et non de l’art. L’échelle, dont l’ascension reste vaine car des vitres ont bloqué son accès, est une belle métaphore de ce non-sens et de la violente déraison qui agite l’Homme.
Mercredi 24 juin 2015
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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
MAGAZINE
CARNET DE VOYAGE Seul au volant pour relier l’Atlantique au Pacifique
À L’AFFICHE VLADIMIR SPIVAKOV « À LA BAGUETTE » DU FESTIVAL DE COLMAR DU 3 AU 14 JUILLET
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Sur la route de Vladivostok Dans son livre « La Transsibérienne en solitaire », le journaliste Gérard Pinguet raconte son amour de l’aventure et de la Russie à chaque étape du périple qui l’a conduit de Brest à Vladivostok. JEAN-LOUIS TURLIN POUR RBTH
« J’ai décidé de partir seul, de marcher sur les traces de Michel Strogoff, le héros de Jules Verne. Mais la comparaison s’arrête là ». Certes. Dans l’introduction de son livre, qui vient de paraître, Gérard Pinguet, journaliste (au Télégramme de Brest) et photographe, situe d’emblée l’ampleur du défi : « plus de 14 000 kilomètres sur des routes inconnues, dans des contrées lointaines, parfois inhospitalières ». Plus précisément 14 887 km parcourus en un mois et demi et 47 étapes, de l’été 2012 (auxquels s’ajouteront 17 735 km pour le voyage retour). Qui n’a rêvé de se lancer sur la route mythique de Vladivostok ? Le voyageur lambda choisit le plus souvent le chemin de fer pour découvrir la variété géographique, ethnique et culturelle de la Russie au gré des haltes du Transsibérien. Il faut un goût plus prononcé de l’aventure pour partir seul au volant de sa voiture avec une connaissance rudimentaire de la langue russe (comme de celle des pays d’Europe de l’Est traversés pour gagner la Russie).
L’aventure humaine L’aventure, c’est celle qui le conduit par exemple à sortir des sentiers (très relativement) battus pour choisir, entre trois itinéraires allant de Tobolsk à Omsk, celui précisément qualifié « Aventure » qui emprunte sur 200 km une piste de terre longeant la rivière Irtych. Survient un orage monstre qui transforme la piste en champ de boue et voit notre voyageur trouver secours auprès de trois solides gaillards, des pêcheurs rentrant d’une partie dominicale, qui l’aideront à dégager son véhicule embourbé. C’est aussi, voire surtout, l’aventure humaine qui passionne Gérard Pinguet, pas du genre à refuser une invitation à dîner chez l’habitant. À Saint-Pétersbourg, la mère de son guide « m’embrasse comme du bon pain, me dit que je peux revenir dès que je le souhaiterai, m’emballe de la nourriture pour mon voyage de demain, (…) me dit que se risquer sur les routes de Russie jusqu’àVladivostok est une pure folie (…). Un moment inoubliable, cette soirée familiale ». Lorsqu’il entre dansVladivostok un mois
plus tard, il est « klaxonné, applaudi comme un héros, des gens ouvrent leur fenêtre, me saluent, me font des bravos. Ils sont heureux de voir qu’un Français a parcouru plus de 14 000 km pour se rendre dans cette ville lointaine. Heureux de voir qu’il n’y a pas que les Chinois, les Coréens et les Japonais qui s’intéressent à eux. J’en ai les larmes aux yeux. Bientôt, sur ma droite, la récompense suprême : l’océan Pacifique, une immense baie, puis une plage de sable fin… ».
Gérard Pinguet
Rendez-vous avec l’Histoire Entre-temps, que de rencontres, que de découvertes… À Tobolsk, ville fondée par les cosaques à la fin du XVIème siècle, où furent exilés le Tsar Nicolas II et les siens d’août 1917 à avril 1918 dans une maison devenue un lieu de pèlerinage à la mémoire des Romanov, la famille impériale exécutée, Gérard avait rendezvous avec « un certain Minsalim Timergazeev, un chaman spécialisé dans la sculpture sur os, principalement de rennes ». Personnage folklorique, paré des accoutrements propres à son rôle (large tunique rouge à franges, chapeau pointu), le mage aux longs cheveux blancs assortis d’une moustache et d’un collier de barbe propose d’initier son visiteur : « Demande pardon à l’ours de l’avoir tué ». Mais la séance se termine à la vodka puis se prolonge autour d’une table bien garnie dans la salle à manger privée du Red Café, « à côté d’un magasin vendant des coiffes musulmanes en velours brodé et des poupées costumées », où les convives sont accueillis par « la ravissante Leila et sa mère » qui servent des « raviolis de mouton à la crème à tomber. Quelle merveilleuse soirée, totalement inattendue ! ». L’itinéraire n’évite pas les traces les plus sombres de l’histoire du pays. Gérard Pinguet a suivi celles du Goulag que décrit l’historien de l’URSS stalinienne, Nicolas Werth, dans son livre La route de Kolyma. Poursuivant son chemin vers Vladivostok, le Breton a traversé cette contrée de la Sibérie orientale grande comme deux fois la France où « un million de personnes furent contraintes aux travaux forcés », dont la moitié ne survécurent pas. Dix mille forçats moururent sur les 180 000 prisonniers employés à la construction de la ligne ferroviaire BAM (Magistrale BaïkalAmour), une voie stratégique de plus de 4 200 km conçue comme alternative au Transsibérien jugé « vulnérable par sa proximité avec la frontière chinoise ». Et que dire de la « Route des os », ainsi
LA RUSSIE AU-DELÀ DE L’IMAGINATION Joyaux : • Kostroma : au pays de Snégourotchka, la petite fille russe des neiges • Les Kouriles du Sud, terre de méditation
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Biographie
Capitales : • Moscou en tramway : éclectisme architectural et ruelles enneigées • Une fête sans fin : les événements annuels de SaintPétersbourg à ne pas man quer
Né à Paris, père de cinq enfants, Gérard Pinguet a mené pendant plus de trente ans une carrière de journaliste à France Inter puis France Info et la poursuit au Télégramme de Brest. Réinstallé en Bretagne, la terre de ses ancêtres, il a par deux fois relié Brest à Vladivostok et organise des expéditions accompagnées en Russie.
Éditions Filosphère
Tours : • Cinq visites de Moscou ites insol à ne pas rater • Un week-end à Irkoutsk Destina ti • Dix d ons : estin vacance ations pour p ass s incroy ables su er des russes r les cô • Une tes balade dans le de la S désert ibérie : du nord sables moustiq chauds, ues taïga e t
nommée parce qu’elle est censée contenir « des millions de cadavres de personnes exterminées sous Staline »… Gérard voulait se rendre à Iakoutsk, la capitale de la République de Sakha et la ville réputée la plus froide du monde, sur la rive gauche de la Lena, un fleuve qui traverse la Sibérie sur 4 270 km du sud au nord. Mais il était du mauvais côté, la construction d’un pont « n’est prévue qu’en 2016 » et « la route n’est pas goudronnée pour l’instant » – entre Iakoutsk et Magadan, « on l’appelle l’autoroute de l’Enfer : plus de 1 200 km sur une piste de terre, surélevée de six mètres, sans protection », entièrement gelée l’hiver mais transformée en gigantesque bourbier à la fonte des glaces.
Vue de Vladivostok la nuit (1) ; grandes crues en Sibérie (2) ; le phare d’Egersheld à l’entrée du port de Vladivostok (3) ; la ligne ferroviaire Baïkal-Amour (4).
› www.festival-colmar.com/index.php
FESTIVAL DE L’ART RUSSE À CANNES DU 23 AU 27 AOÛT Sur la Croisette, le Festival de l’art russe entend témoigner de la solidité des relations d’amitié qui unissent de longue date la Russie et la France. Musique, danse, arts du cirque, peinture, gastronomie : autant de domaines où les talents vous feront rêver de la Russie et voyager à travers le pays. Sans oublier la « Nuit Russie », les rendez-vous Cinéma et les manifestations gratuites qui animent Cannes tout au long de la journée. › www.cannes-destination.fr/evenementscannes/festival-art-russe
Avis aux amateurs ÀVladivostok, Gérard sera rejoint pour le voyage retour par les siens, notamment son épouse russe qu’il avait rencontrée au cours de l’une de ses nombreuses visites en Russie : « Kira travaillait à bord du train faisant la liaison entre Moscou et Saint-Pétersbourg, nous explique l’auteur du livre dans sa maison familiale sur la côte bretonne près de Lorient. C’était au temps de l’Union soviétique et sa liberté de mouvement était limitée ; c’est moi qui, quelques années plus tard, lui ai fait découvrir la Russie ! ». Le livre se présente, tout au long de ses quelque 460 pages, comme un journal de bord où sont minutieusement consignés les faits et gestes du voyageur, ses rencontres, ses impressions, mais aussi les descriptions minutieuses des sites et des monuments visités ainsi que de leur contexte historique. Les détails logistiques nous sont « épargnés », mais ils ont évidemment une importance primordiale pour entreprendre un tel périple. Gérard s’est spécialisé dans les voyages d’accompagnement en Russie, qui s’adressent à tous les amateurs d’aventure et de découverte, notamment « aux gens qui aiment rouler et aux passionnés de photo », un public dont il se veut « l’ange gardien » tout au long du chemin. Un guide à distance, en quelque sorte, qui tend la main à tous les amoureux de la Russie, abstraction faite du contexte politique. Gérard Pinguet a découvert et veut faire découvrir un autre pays, loin des clichés et des préjugés hérités du passé : « La Russie d’aujourd’hui est un pays neuf où Lénine fait bon ménage avec les Romanov et le culte orthodoxe. Qui l’eût cru ? ».
LORI/LEGION MEDIA(3);TASS
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Le Festival International de Colmar est une formidable fête de la musique classique qui s’attache à soutenir les jeunes musiciens, sous l’impulsion de son directeur artistique, le chef d’orchestre russe Vladimir Spivakov. Pour la XXVIIème édition, cette grand-messe de la musique rendra hommage à Maurice André, le plus grand trompettiste classique du XXème siècle, et mettra à l’honneur les instruments à vent.
RENDEZ-VOUS ALPIN DU GRAND CLASSIQUE DU 24 AU 30 AOÛT, ANNECY
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Le Festival d’Annecy propose des concerts exceptionnels de musique classique au sein des plus beaux sites historiques de la « perle des Alpes françaises ». Au programme : des œuvres de Tchaïkovski, de Schumann, de Fauré, de Rachmaninov, de Dvořák et d’autres génies de la musique classique, interprétées par des artistes et des collectifs de renommée mondiale, dont le pianiste Denis Matsuev et l’Orchestre philharmonique de SaintPétersbourg, mais aussi par de jeunes exécutants talentueux. › www.annecyclassicfestival.com
Avec Cédric Gras, découvrez une Russie insoupçonnée : fr.rbth.com/32761
COMMENCEZ VOTRE DÉCOUVERTE DE LA RUSSIE PAR UNE PLONGÉE DANS LE MONDE SOUTERRAIN DU MÉTRO MOSCOVITE
AFFAIRES À SUIVRE RENCONTRES DE LA GRANDE EUROPE DU 27 JUILLET AU 2 AOÛT, PARIS Paris accueillera la troisième édition du forum international de la jeunesse Rencontres de la Grande Europe, organisé par l’Association des jeunes pour une grande Europe qui promeut une plus grande coopération sur le continent. Dans le cadre du colloque visant à établir des liens de confiance entre les jeunes de tous les pays d’Europe, les participants de l’Union européenne et de la Communauté des États indépendants (CEI) débattront des grands sujets d’actualité. › www.greater-europe.com
Pour en savoir plus sur les lieux les plus pittoresques de Russie, rendez-vous sur fr.rbth.com/tourisme
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