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C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U
LUTTE ANTICORRUPTION : QUEL MESSAGE ? Deux gouverneurs et une dizaine de hauts fonctionnaires ont été mis en examen depuis le début de l’année. Reste à savoir s’il s’agit d’une campagne d’inspiration politique ou de cas isolés.
La Russie, une étape sur la route des réfugiés syriens
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POUTINE ANNONCE LA COULEUR Un expert en relations internationales, Gueorgui Bovt, dissèque le discours prononcé par Vladimir Poutine à la tribune des Nations unies. PAGE 6
VISITE CHEZ LES ÉLEVEURS DE RENNES EN LAPONIE RUSSE
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Dans la toundra de la péninsule de Kola, le ciel est soit écarlate, soit plongé dans la nuit polaire. Découverte en traîneau tiré par des chiens.
Tandis que l’Europe est confrontée à l’une des crises migratoires les plus graves de son histoire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Russie semble épargnée : selon les dernières
statistiques, seuls 12 000 Syriens se trouvent actuellement sur le sol russe. Pour de nombreux réfugiés, la Russie ne représente qu’une étape temporaire sur la route vers l’Europe.
Dans ce contexte, les organismes de défense des droits de l’homme s’interrogent sur le rôle de la Russie dans la gestion de la crise migratoire, certains souhaitant un rôle plus actif
des pouvoirs publics. Mais pour les autorités russes, c’est la sécurité nationale qui prime. LIRE NOTRE DOSSIER EN PAGES 4 et 5
MARCHÉ DU TRAVAIL La crise et la montée du chômage provoquent une vague de mécontentement
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ELLE ÉDITE DES AUTEURS RUSSES EN FRANCE Natalia Turine vit en France mais a la culture russe dans la peau. Elle s’exprime sur son récent recueil de nouvelles. PAGE 8
Un climat social agité, mais peu troublant pour le pouvoir
modrome de Vostotchny, grève des chauffeurs de minibus à Irkoutsk et piquet de grève à Tcheliabinsk : les travailleurs ont recours à ce type d’actions face à l’impossibilité d’agir dans le cadre d’une procédure juridique appropriée, estiment les analystes du centre. Les syndicats restent largement à l’écart.
Les limites de la contestation Le premier semestre 2015 a enregistré un nombre record de manifestations de salariés. Toutefois, ces mouvements sociaux où les syndicats se font discrets revêtent un caractère ponctuel. Pour l’heure, ni les experts ni le pouvoir n’y voient le risque d’une explosion sociale ou d’une contestation politique. EKATERINA SINELCHTCHIKOVA RBTH
Le premier semestre 2015 a pulvérisé le record des sept dernières années en matière de contestation par les salariés. C’est ce que constate le Centre des droits sociaux et du travail, une organisation non gouvernementale, dans un compte rendu analytique : « Les six premiers mois de cette année ont été marqués par 189 manifestations, soit 45% de plus que l’année dernière ». Manifestations contre les arriérés de salaires au cos-
Maria Goubareva, gynécologue de la polyclinique № 121 à Moscou, a participé à deux rassemblements à la fin de l’année dernière. Les médecins exigeaient alors un arrêt des licenciements en masse dans leurs rangs et le limogeage des fonctionnaires responsables du secteur.
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77 % des lecteurs estiment que le site de RBTH s’adresse au grand public, pas seulement à celui qui s’intéresse particulièrement à la Russie. * Les statistiques sont basées sur un sondage public, effectué le 15 mars 2015 sur le site de RBTH.
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POLITIQUE & SOCIÉTÉ mission, c’est aussi une forme de protestation révélatrice de tensions sociales pouvant déraper », explique Rostislav Tourovski.
La grogne monte, en restant loin de gagner la sphère politique
Explosion sociale peu probable
SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
« ‘Non’ à la fermeture des hôpitaux ! » : slogan d’une manifestation à Moscou.
TASS
« Le gouvernement a alors pris des mesures sous forme de paiements et nous a promis le paradis. Les manifestations se sont calmées. Mais rien n’a changé, les licenciements continuent », fait remarquer la gynécologue. Toujours d’après le Centre des droits sociaux, les ouvriers du bâtiment, de l’industrie et des transports manifestent plus souvent que les employés de la santé publique, mais tous ces mouvements ont un trait commun : les syndicats officiels ne se rangent que très rarement de leur côté. « Le syndicat officiel se trouve entièrement sous l’influence du département de la Santé, déplore Maria Goubareva. Je l’ai quitté, car il ne défend pas nos intérêts. Aujourd’hui, je suis membre du syndicat indépendant Deïstvie (Action) et ce dernier aide les médecins, mais nous sommes si peu nombreux que ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer… ». « J’estime que tous les litiges doivent être réglés par la voie légale, par le biais de la justice », indique pour sa part le président de l’Union des automobilistes de Sibérie, Alexeï Chabanov. En avril dernier, les chauffeurs de minibus d’Irkoutsk (à 4 203 km de Moscou) ont refusé de prendre le volant pendant plusieurs jours après que les autorités locales eurent rejeté leur demande de majoration des tarifs, dont ils touchent une partie. Le syndicat local n’a pas soutenu le mouvement. « Certes, les conducteurs subissent des pertes, mais dans tous les cas, ce n’est pas une grève qui réglera le problème », estime M. Chabanov. Selon lui, les autorités majoreront obligatoirement les tarifs, il faut juste attendre. Si elles refusent, le syndicat se dit prêt à étudier d’autres moyens que la grève.
Des syndicats d’un genre nouveau « À l’échelle nationale, les syndicats ne remplissent pas pleinement leur mission et ont davantage tendance à coopérer avec les autorités et le monde des affaires qu’à défendre les intérêts des ouvriers. Ce qui fait que la demande en faveur de syndicats réels existe », assure Rostislav Tourovski, chef du Laboratoire des études politiques régionales de la Haute école d’économie. C’est sans doute grâce à cette demande
En ligne
La Russie confrontée à la réhabilitation du stalinisme fr.rbth.com/480923
qu’existe depuis vingt-cinq ansYedinstvo (Unité), le syndicat indépendant du géant automobile AvtoVAZ, qui se qualifie de « syndicat de type nouveau ». Yedinstvo se flatte d’organiser régulièrement des manifestations sous des formes diverses et variées. « Les violations des droits des travailleurs augmentent en période de crise et les travailleurs se rassemblent d’euxmêmes pour manifester. Ou bien ils fuient AvtoVAZ, ils démissionnent et nul besoin de les licencier. Mais la dé-
Devant la diminution des ressources, ni les autorités ni les sociétés privées ne feront de concessions importantes, estime le politologue, qui pense par ailleurs qu’une explosion sociale est peu probable. « Tôt ou tard, le mouvement de protestation se dissout face à l’absence d’accord sur les revendications, faute de mécanisme politique approprié ». Au niveau fédéral non plus, personne ne s’attend à une confrontation de grande ampleur. « J’ai vu récemment les statistiques du ministère du Travail sur le chômage durant les deux premiers trimestres. Ces données infirment la probabilité d’une explosion sociale », explique Valéri Riazanski, président de la commission de politique sociale au Conseil de la Fédération (Chambre haute du Parlement russe). Les statistiques du ministère sont remises ultérieurement au Service des statistiques de Russie. D’après les données de ce dernier, le pays a enregistré seulement trois grèves au cours du premier semestre de cette année. « Les statistiques officielles ne répertorient sans doute pas tous les cas – seulement les manifestations annoncées – mais je ne pense pas que nous devions nous attendre à un vaste mouvement », juget-il, ajoutant que les autorités ont d’ores et déjà imaginé la mise en place de « mécanismes amortisseurs ». Et de conclure : « à un moment donné, le centre fédéral a transmis aux régions certains pouvoirs, notamment financiers et de gestion, parce qu’elles connaissent mieux la situation du marché chez elles. Aujourd’hui, des ressources sont débloquées non seulement pour compenser une absence provisoire d’emploi, mais aussi pour le recyclage ou des travaux publics rémunérés. Des ressources importantes y sont octroyées. Grâce à ces mesures, il sera possible d’atténuer les problèmes qui se dressent aujourd’hui devant l’économie ».
JUSTICE Vague d’arrestations dans les hautes sphères politiques régionales, pour des affaires de malversations
Intensification de la lutte anti-corruption ? Depuis le début de l’année, deux gouverneurs et plus d’une dizaine de hauts fonctionnaires ont été mis en examen en Russie. Reste à savoir s’il s’agit d’une campagne ou de cas isolés. EKATERINA SINELCHTCHIKOVA RBTH
La législation anti-corruption s’est sérieusement améliorée ces dernières années en Russie. Tout est dans son application
En chiffres
94% des affaires de corruption débouchent sur une condamnation.
« Le bon moment » Selon Rostislav Tourovski, chef du Laboratoire des études politiques régionales de la Haute école d’économie, l’élimination des « intouchables » est un atout électoral pour les autorités fédérales. Un atout qui peut servir également de bâton pour renforcer la verticale du pouvoir. Toutefois, il est plus pratique de déployer une campagne non pas au niveau fédéral, où la lutte anticorruption risque de déstabiliser dangereusement les élites, mais au niveau des gouverneurs, selon M. Tourovski. À en juger par les déclarations du Comité d’enquête de Russie, ce dernier était depuis longtemps au courant de l’existence du groupe criminel organisé par Gaïzer. Mais il a laissé au gouverneur la possibilité de briguer un deuxième mandat en 2014. Le porte-parole du Comité d’enquête,Vladimir Markine,
plique par le souhait d’éviter toute liaison entre ce scandale de corruption et les campagnes électorales : les élections régionales se sont déjà tenues et les élections législatives auront lieu l’année prochaine, ce qui fait que « c’est le bon moment ». Il se peut également que Viatcheslav Gaïzer ait perdu un influent parrainage, ajoute-t-il.
Rien de systémique
TASS
Le pays a connu à la mi-septembre la plus sérieuse vague d’arrestations de l’histoire récente de la Russie. La répression a touché jusqu’au gouverneur de la république des Komis (nord-ouest de la Russie), Viatcheslav Gaïzer. Avec lui, son adjoint et plus d’une dizaine de membres des élites politiques régionales ont été mis en examen pour association de malfaiteurs. Selon l’enquête, les fonctionnaires ont privatisé pendant plus de neuf ans des biens publics par le biais d’entreprises avec la participation de membres de leurs familles. Les perquisitions chez ces fonctionnaires et dans leurs bureaux ont permis de saisir des dizaines de kilos de bijoux, une collection de montres d’une valeur de 26 000 à près d’un million d’euros chacune, plus de cinquante cachets de sociétés engagées dans des systèmes offshore, ainsi que des documents financiers blanchissant les actifs volés pour un montant total de plus d’un milliard de roubles (14,2 millions d’euros). La « décapitation » de la république des Komis a provoqué un choc dans les élites. Gaïzer semblait intouchable, car il faisait partie des cinq dirigeants régionaux les plus efficaces selon la Fondation du développement de la société civile (pro-Kremlin). Lors des élections
de 2014,Viatcheslav Gaïzer a reçu près de 80% des voix, tandis qu’aux élections de septembre à l’Assemblée régionale, il était tête de liste du parti au pouvoir Russie unie. C’est le deuxième cas d’arrestation d’un gouverneur dans l’exercice de ses fonctions depuis le début de l’année : début mars, le gouverneur de la région de Sakhaline (Extrême-Orient russe), Alexandre Khorochavine, et ses trois complices ont été mis en examen, soupçonnés d’avoir touché un dessous-detable. À l’heure actuelle, il figure comme suspect dans deux affaires de pots-devin de respectivement 5 millions et 205 000 euros.
L’avis d’une experte en criminologie Selon Anna Razogreïeva, de l’Université fédérale du Sud, près de 80% des accusés pour corruption sont coupables d’avoir touché ou proposé des pots-de-vin d’une somme inférieure à 10 000 roubles (environ 140 euros). Les grosses affaires restent rares dans les dossiers parvenant à la justice. Par conséquent, il est difficile de parler d’intensification de la lutte contre la corruption au vu des statistiques officielles. Le nombre des délits enregistrés est en baisse (49 513 en 2012 contre 32 060 en 2014). Par contre, des verdicts de culpabilité sont plus fréquemment prononcés, avec la condamnation des prévenus dans 94% des affaires de corruption.
a déclaré dans une interview « qu’avant d’arrêter les membres du groupe, il était nécessaire de disposer d’un nombre suffisant [...] de preuves solides ». À première vue, la situation dans la région était très calme, commente Rostislav Tourovski. La décision du Comité d’enquête de faire éclater l’affaire au grand jour à ce moment précis s’ex-
Tous ces « nettoyages » ne sont que des cas isolés « qui n’ont rien à avoir avec une lutte systémique contre la corruption », a affirmé pour sa part à RBTH Dmitri Gorovtsov, vice-président de la commission de sécurité et de lutte anti-corruption de la Douma (Chambre basse du parlement russe). Anton Pominov, directeur général de Transparency International Russia, est entièrement d’accord. « Sinon les dossiers sur les pots-de-vin versés par les sociétés Daimler, Hewlett-Packard et Bio-Rad auraient eu une suite, fait-il remarquer. Les sociétés sont condamnées à des amendes, mais pour ce qui est des fonctionnaires qu’elles soudoyaient, nous ne voyons rien du tout ». D’après lui, la législation anti-corruption s’est sérieusement améliorée ces dernières années en Russie et « tout va bien » pour elle. « Cependant, ce qui est beaucoup plus important, c’est l’application de cette législation dans la pratique », souligne M. Pominov, en ajoutant qu’il reste de gros problèmes, notamment une garantie insuffisante de la primauté du droit et une application sélective des lois.
RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH) PUBLIE 37 SUPPLÉMENTS DANS 30 PAYS POUR UN LECTORAT TOTAL DE 28,4 MILLIONS DE PERSONNES ET GÈRE 22 SITES INTERNET EN 16 LANGUES. LES SUPPLÉMENTS ET CAHIERS SPÉCIAUX SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), ET DIFFUSÉS DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX SUIVANTS: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • HANDELSBLATT, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • NEDELJNIK, GEOPOLITI KA, SERBIE • LE JEUDI, TAGEBLATT, LUXEMBOURG • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES, FOREIGN POLICY, INTERNATIONAL NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATSUNIS • THE ECONOMIC TIMES, THE NAVBHARAT TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • HUANQIU SHIBAO, CHINE • LA NACION, ARGENTINE • EL PAÍS, CHILI • EL PERUANO, PÉROU • EL PAÍS, MEXIQUE • FOLHA DE S.PAULO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • JOONGANG ILBO, JOONGANG SUNDAY, CORÉE DU SUD • GULF NEWS, AL KHALEEJ, ÉMIRATS ARABES UNIS • THE NATION, PHUKET GAZETT, THAÏLANDE • THE AGE, SIDNEY MORNING HERALD, AUSTRALIE. COURRIEL : FR@RBTH.COM. POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER FR.RBTH.COM. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)
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ÉCONOMIE
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HAUTES TECHNOLOGIES Vers une stratégie révisée pour favoriser les jeunes entreprises et les initiatives régionales
Innovation et décentralisation
GETTY IMAGES
La Russie mise sur ses jeunes pousses, en pleine croissance dans le secteur des hautes technologies. Le défi sera de les intégrer dans un paysage économique ouvert et qui ne se dessine plus seulement au sommet. VICTORIA ZAVIALOVA RBTH
La Russie continue d’accroître sa capacité d’innovation : 12 nouveaux parcs technologiques accueillant plus de 775 start-ups ont vu le jour dans le pays au cours des huit dernières années. Les acteurs étrangers du secteur sont très attentifs à cet essor. La preuve ? En septembre 2016, le pays accueillera la Conférence mondiale des parcs scientifiques et zones d’innovation, organisée par l’association internationale des parcs technologiques (IASP). Dans un entretien avec RBTH, Jean-François Balducchi, président de l’IASP, a expliqué que la hausse rapide du nombre de parcs technologiques, notamment dans les régions, est l’un des avantages de la Russie qui ont convaincu les organisateurs de la conférence. La géographie de l’innovation russe s’étend effectivement. Ainsi, en 2014, Togliatti et l’oblast de Sverdlovsk ont apparu sur la carte des centres de développement, et en 2015, Nijni Novgorod y a fait son entrée également. Dominique Fache, un des fondateurs du parc technologique Sophia Antipolis, approuve cette tendance, ajoutant que les innovations doivent venir des régions – précisément de villes telles que Tomsk, Kazan ou Novossibirsk. « Les grands projets portés par le gouvernement ne suffisent pas. L’innovation ne peut être gérée depuis le centre », estime-t-il.
Open Innovation : les jeunes pousses en vedette L’année prochaine est susceptible d’être celle des start-ups en Russie : la manifestation phare du gouvernement russe, Open Innovation, qui se tiendra à Moscou du 28 octobre au 1er novembre, définit les principaux axes du développement technologique du pays pour les années à venir. Cette année, les jeunes pousses occupent une place de choix dans le programme du Forum. Les experts saluent cette tendance. « À travers le monde, ce sont les PMEPMI qui constituent la principale force motrice du développement économique, assure Edward Crawley, le président du Skolkovo Institute of Science and Technology (Skoltech). Pour stimuler leur essor, il faudra former et inspirer une nouvelle génération d’entrepreneurs et établir des liens plus étroits entre la science et la production industrielle ». M. Balducchi considère de son côté que la Russie est actuellement confrontée à
INVESTISSEMENTS Malgré les difficultés, des PME s’implantent
la nécessité de créer un environnement propice au développement des start-ups. « Il faut stimuler leur croissance, leur ambition. Le problème est que les startups doivent être internationales, ouvertes sur le monde », estime l’expert. Par ailleurs, la taille du pays complique l’accès des jeunes pousses au marché mondial, car « plus le pays est grand, plus il est difficile pour les développeurs de se voir comme faisant partie du reste du monde », précise-t-il.
Le marché russe reste attractif vu de France Sans attendre l’accueil à Moscou, en décembre, du French Tech Hub, incubateur et accélérateur de start-ups, des jeunes pousses françaises étendent avec succès leurs activités en Russie.
« Les grandes entreprises sont comme des éléphants » C’est le transfert des technologies et la commercialisation, non le manque de projets intéressants, qui constituent le principal problème en Russie, souligne à son tour Dominique Fache, qui a dirigé les représentations des grandes compagnies énergétiques, dont Schlumberger, en Russie pendant plus de vingt ans. « Les grandes entreprises, telles que RZD et Gazprom, sont la force de la Russie. Mais les grandes entreprises sont comme des éléphants – elles ne sont pas suffisamment réceptives à l’innovation. Elles ont du mal à travailler avec des petites start-ups. J’ai décidé de créer une organisation – Russian Technology Foundation – qui se chargera de ce transfert des technologies. Elle cherchera et mettra en œuvre les nouveaux projets. Nous avons déjà signé des accords avec plusieurs compagnies énergétiques russes », explique-t-il à RBTH. M. Fache estime que les grandes entreprises doivent revoir leurs dépenses en innovation et en recherche. « Le groupe Schlumberger était un leader du marché, parce qu’il investissait près de 5% de ses bénéfices dans l’innovation », rappelle-t-il. De nombreuses grandes entreprises russes sous-investissent dans les projets scientifiques, ce qui explique leur vulnérabilité consécutive aux sanctions occidentales, explique l’entrepreneur, pour rappeler que « certaines plateformes pétrolières russes sont équipées en composants occidentaux à 90% ». M. Fache est persuadé que la Russie est capable de remplacer les technologies étrangères, mais il lui faudra du temps. Le pays doit réformer son économie, mais plutôt que poursuivre des objectifs courttermistes, comme la substitution des importations, il doit chercher à devenir un acteur à part entière du marché mondial de l’innovation, souligne Edward Crawley. « La Russie a toutes les ressources intellectuelles nécessaires pour conduire une telle transformation dans les dix prochaines années, assure le patron de Skoltech. Pour cela, il faut établir un lien entre les entreprises et la science, mieux comprendre le marché intérieur et international et investir. Tout cela est faisable ».
La plateforme communautaire de covoiturage BlaBlaCar de Frédéric Mazzella a fait son apparition en Russie en 2014. Elle a été rejointe un peu plus tard par StarOfService, un site de mise en relation des professionnels indépendants avec les particuliers, et par Kameleoon, un logiciel de personnalisation puis d’A/B Testing (technique consistant à comparer les performances réalisées par une page web avec celles obtenues par une ou plusieurs variantes).
Bi BIOLOGIE
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In
INGÉNIERIE
d’internautes, c’est la clientèle potentielle sur le marché russe.
2 000 c’est le nombre de start-ups apparaissant chaque année en Russie.
Affaires à suivre
VOYAGE D’ÉTUDE SUR L’INNOVATION 26-31 OCTOBRE Découvrir la Russie sous le prisme du numérique et de l’Open Innovation en deux étapes : Kazan, nouvelle capitale IT russe, puis Moscou. Au programme, un panorama complet de l’écosystème russe du numérique et de l’innovation : incubateurs, parcs IT, grands groupes, forum international Open Innovation et rendez-vous B2B individuels. › russiantechtour.com
StarOfService a été lancé en juin 2015 dans 80 pays à la fois, notamment en Grande-Bretagne, au Mexique et au Brésil. Cette start-up voit un grand potentiel de croissance dans les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et, selon Lucas Lambertini, l’un des co-fondateurs du site, la Russie est désormais inscrite sur la carte de l’expansion mondiale. Ce pays « est un marché que nous considérons comme important et mature pour notre projet. L’intérêt pour les nouvelles technologies est énorme en Russie », explique Lucas Lambertini à RBTH. Les dimensions du pays ont un peu intimidé StarOfService, mais la jeune pousse mise sur les personnels locaux. « Nous avons décidé de nous entourer d’une très bonne équipe sur place. Recruter des personnes compétentes et russes était la clé ! », fait-t-il remarquer.
Les deux pays se ressemblent à bien des égards. Nicolas Brusson, cofondateur de BlaBlaСar, cite en exemple la répartition des revenus et l’organisation du système des transports en Russie et en France. « Après la Russie, la plateforme est arrivée en Inde et ce payslà est tout autre : le réseau des transports intérieur est mauvais et le gouffre entre les riches et les pauvres est extrê-
DIX AVIONS ENTRÉS DANS LA LÉGENDE DE L’AVIATION RUSSE be.rbth.com/392803
El
ÉLECTRONIQUE
As ASTROPHYSICS
mement large », souligne Nicolas Brusson. En outre, la Russie est l’un des plus grands marchés du commerce en ligne avec plus de 80 millions d’utilisateurs de plus de 16 ans. BlaBlaCar a recruté un million d’usagers à l’issue des dix premiers mois de ses activités dans le pays. Pour ce qui est de StarOfService, « plusieurs milliers de clients russes s’inscrivent chaque semaine, note Lucas Lambertini. Les Russes ont une vraie culture de consommation de service, ce qui est, bien sûr, important dans notre domaine ». La crise en Russie a frappé de plein fouet les start-ups françaises. Kameleoon travaille en France dans le domaine des médias, notamment avec les grands journaux. En Russie, le service déploie ses activités surtout dans le secteur du commerce en ligne qui connaît un développement vigoureux dans le pays. Les principaux clients sont les grandes entreprises de distribution d’articles de sport, notamment le russe Sportmaster et le français Décathlon qui a fait son apparition dans le pays assez récemment. « À l’heure actuelle, les principaux marchés du commerce en ligne sont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Mais dans quinze ans, la Russie pourrait se hisser au premier rang, estime Jean-Noël Rivasseau, fondateur de Kameleoon. D’ailleurs, l’entreprise n’a presque pas de concurrents dans le pays », affirme-t-il à RBTH.
Casse-tête bureaucratique
Le commerce en ligne : un fort potentiel en Russie
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Un recrutement axé sur le personnel local
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Le Top-5 des produits russes les plus innovants fr.rbth.com/258871
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Toutefois, poursuit-il, la crise en Russie empêche la jeune entreprise de se développer aussi rapidement qu’elle le souhaiterait ou le pourrait : à la suite de la dégringolade du rouble, le prix des services de Kameleoon est devenu trop élevé pour les clients russes. Aujourd’hui, la start-up prévoit d’embaucher davantage d’informaticiens russes afin de réduire ses dépenses. Autre gros problème : la bureaucratie. « Le principal casse-tête est la comptabilité. Le système bureaucratique est très lourd en France, mais il l’est encore plus en Russie », déplore Jean-Noël Rivasseau. V. Z. RBTH
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MÉDECINE
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CE DONT PARLENT LES COSMONAUTES be.rbth.com/383145
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MALADIES OCULAIRES : POURQUOI DES ÉTRANGERS VIENNENT SE SOIGNER EN RUSSIE be.rbth.com/168289
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DOSSIER
CRISE MIGRATOIRE D’UN CÔTÉ, LES MESURES PRISES PAR MOSCOU POUR VENIR EN AIDE AUX PERSONNES DÉPLACÉES PAR LA GUERRE EN SYRIE ; DE L’AUTRE, LES QUESTIONS SÉCURITAIRES
RÉFUGIÉS SYRIENS : FAIRE ÉTAPE OU PLUS EN RUSSIE Les organisations humanitaires attendent plus de l’État, qui craint les infiltrations terroristes. À défaut de s’y installer, les réfugiés considèrent la Russie comme un pays de transit. PAVEL KOCHKINE, MARINA OBRAZKOVA RBTH
saiera d’abord d’y trouver un emploi. « Je n’ai pas l’intention de déménager dans un camp de réfugiés, souligne-til. Je parle l’anglais, j’ai une profession, je chercherai donc de meilleures options ». Il se dit pressé pour ne pas compromettre l’avenir de ses enfants. « Ils ont à peine commencé à s’intégrer en Russie. Si nous partons dans deux ou trois ans, ils devront tout recommencer à zéro pour s’acclimater à un nouveau pays ». Deux semaines après l’entretien, RBTH a appris qu’Ahmad avait quitté la Russie pour l’UE.
PAVEL KOSHKIN
Ahmad dit avoir choisi la Russie car il pensait ne pas pouvoir obtenir de visa pour l’Union européenne ou les pays arabes.
Des attentes déçues Muez Abu Al-Jadael, journaliste syrien et militant des droits de l’homme, aborde la crise sous un angle différent. Luimême réfugié politique, ayant obtenu la protection de la Suède, il aide aujourd’hui à distance ses compatriotes à s’adapter à la vie en Russie, en leur apportant une assistance juridique, par le truchement d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’associations de défense des droits de l’homme. Il assure que les deux principaux défis auxquels il a été confronté sont « la corruption et la bureaucratie ». De plus, il existe un risque d’abus des droits de l’homme envers les réfugiés qui, selon M. Abu Al-Jadael, peuvent être exploités par certains employeurs, y compris ceux d’origine syrienne. « L’absence de soutien et les difficultés liées à l’officialisation de leur statut en Russie poussent les Syriens à opter pour l’Europe », assure de son côté le journaliste syrien Mounzer Halloum, basant ses propos sur l’expérience vécue par ses connaissances installées aujourd’hui dans l’Union européenne. Les statistiques officielles du FMS semblent confirmer cette tendance : en 2015, 7 103 Syriens sont arrivés en Russie et 7 162 ont quitté le pays. Le FMS ne donne pas de statistiques sur la destination des réfugiés. Toutefois, en analysant ces chiffres, il ne faut pas omettre que la Russie est également utilisée comme pays de transit vers l’Europe. Et il semble que cet itinéraire gagne en popularité. Comme l’a confié à RBTH un citoyen syrien candidat à l’exil, « il est moins onéreux et plus sûr de rejoindre la Norvège ou la Finlande par la Russie du nord ».
Passer la frontière à vélo La Russie est également utilisée comme pays de transit par les réfugiés syriens. L’un des itinéraires favoris de ces derniers leur fait prendre d’abord l’avion de Beyrouth à Moscou, puis le train jusqu’à la ville de Mourmansk (nord). Enfin, de rejoindre la frontière avec la Norvège à vélo : d’après la loi en vigueur en Russie, il est interdit de traverser la frontière à pied. Selon la Direction norvégienne de l’immigration (UDI), près de 500 réfugiés sont entrés sur le territoire du pays par la Russie cette année, et ce nombre semble être en hausse constante.
ALENA REPKINA
Des obstacles administratifs à l’obtention du statut de réfugié Selon le FMS, 12 000 personnes sont arrivées en Russie de Syrie depuis 2011, 2 000 d’entre elles ont obtenu l’asile temporaire dans le pays, 2 666 ont reçu un permis de séjour temporaire, 2 029 un titre de résident pour une durée de cinq ans et 5 000 autres attendent la décision de la justice concernant leur statut. Les statistiques réunies par l’ONG des droits de l’homme Human Rights Watch indiquent qu’une douzaine
AP
Tandis que les organisations humanitaires estiment que la Russie devrait participer plus activement à la gestion de la crise migratoire, les autorités mettent en avant les questions de sécurité. Le cas d’Ahmad reflète la problématique de la situation. Ce musulman chiite de 40 ans, nous reçoit dans un appartement du sudouest de Moscou. Avant la guerre civile, il vivait en Syrie avec sa femme et leurs deux enfants dans la ville d’Al Mleha, à six kilomètres de Damas. Après avoir travaillé cinq ans en tant que chef cuisinier dans un restaurant moyen-oriental de Londres, il est retourné en Syrie et a utilisé l’argent qu’il avait gagné pour ouvrir une boutique de prêt-à-porter et un élevage de poulets. À la suite de la guerre qui a frappé le pays en 2011, son élevage de poulets a été détruit et son appartement confisqué par des extrémistes qui le considéraient comme un infidèle. Ahmad a dû déménager à la périphérie de Damas, mais son quartier est rapidement devenu la cible de bombardements. Un jour, son épouse a vu une voiture exploser et déchiqueter plusieurs écoliers. Quand les obus se sont mis « à siffler au-dessus de nos têtes, maisons et écoles et tuer des civils pacifiques », Ahmad a décidé de fuir pour sauver sa famille. Il est arrivé en Russie en 2013 avec un visa touristique. Il y a obtenu un asile temporaire dans un second temps, ce qui lui a permis de trouver un emploi dans un restaurant de la capitale russe. Pourtant, en 2014, le Service fédéral des migrations (FMS) a refusé de prolonger son statut et ordonné la déportation de sa famille. Ahmad a fait appel de la décision et attend actuellement avec angoisse la décision du tribunal. « Les papiers sont un gros problème pour moi, dit-il. Je n’ai pas besoin de l’aide du gouvernement, je veux simplement vivre comme n’importe qui – je veux pouvoir travailler et pourvoir aux besoins de ma famille ». L’avenir de ses enfants est une autre source de soucis. Ils se sont facilement adaptés à leur nouvelle vie en Russie – ils parlent correctement le russe et ont récemment commencé à étudier dans une école ordinaire. Mais c’est l’incertitude qui préoccupe Ahmad : il ne sait simplement pas combien de temps ses enfants pourront continuer à vivre en Russie. Interrogé sur l’éventualité d’un déménagement de sa famille vers l’Union européenne, comme la plupart des réfugiés syriens, Ahmad répond qu’il es-
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de Syriens seulement ont obtenu le statut de réfugiés. « En 2012, quand le HCR [Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ndlr] a demandé aux représentants des pays signataires de la convention sur les réfugiés d’introduire un moratoire sur leur déportation en Syrie, les autorités russes ont affiché leur fidélité aux réfugiés et ont même commencé à préparer les papiers pour ces derniers, explique Svetlana Gannouchkina, présidente du Comité d’assistance civile. Mais lorsque les réfugiés ukrainiens ont commencé à affluer dans le pays l’année dernière, les Syriens ont été pratiquement oubliés ». Elle affirme que les autorités moscovites ont même commencé à déporter des Syriens alors que la situation en Syrie s’aggravait. Toutefois, Nikolaï Smorodine, directeur adjoint du FMS, affirme que la position du pays quant aux réfugiés syriens n’a pas changé. « Nous accordons l’asile aux Syriens compte tenu de la situation en Syrie, et le ministère des Affaires étrangères en rend régulièrement compte au FMS ».
Vrais et faux réfugiés L’ONG Amnesty International appelle la Russie à accepter les réfugiés de Syrie et d’autres pays du Proche-Orient de manière plus active, comme l’a dit le directeur de la branche russe de l’organisation Sergueï Nikitine à la presse russe. Elena Bourtina, directrice adjointe du Comité d’assistance civile, considère que la législation russe actuelle est, en fait, favorable aux réfugiés et que si la Russie accepte peu de réfugiés, c’est « plutôt la conséquence d’une politique gouvernementale ». Entre-temps, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré que les réfugiés syriens pouvaient utiliser la Russie comme point de transit, mais que la question de l’accueil des réfugiés ne se posait pas. Autre argument opposé à l’accueil des réfugiés syriens : le risque de voir les terroristes de l’État islamique (EI) pénétrer en Russie en se faisant passer pour des réfugiés. Alexeï Grichine, président du cabinet d’experts russe Religion et Société, acquiesce. « L’EI a activement utilisé les flux de migrants dans ses propres intérêts », souligne M. Grichine à RBTH. C’est pourquoi, dans l’esprit des autorités russes, la dimension sécuritaire du problème prime pour le moment sur les autres aspects de la crise.
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Vendredi 16 octobre 2015
DOSSIER
Né sur la base du Comité d’assistance civile, le centre d’éducation et d’adaptation aide les enfants et leurs parents à surmonter une foule de problèmes auxquels ils doivent faire face dans un pays qui leur est encore étranger.
BÉNÉVOLAT Une structure au service de la scolarisation des enfants de réfugiés
Objet : l’intégration culturelle Le Centre d’éducation et d’adaptation pour les enfants de réfugiés, qui existe en Russie depuis près de vingt ans, aide à maîtriser le russe, mais aussi à s’adapter au nouveau pays.
TRIBUNE
TROIS AVIS SUR L’ACCUEIL DES RÉFUGIÉS SYRIENS ALEXANDRE JOURBINE COMPOSITEUR
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ADAM HANNA JOURNALISTE SYRIEN RÉFUGIÉ EN RUSSIE
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EVGUÉNI GRICHKOVETS ÉCRIVAIN, DRAMATURGE ET METTEUR EN SCÈNE
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DARIA LIOUBINSKAÏA RBTH
Originaire de Grozny, Aminat est arrivée à Moscou en 2000, alors que la deuxième guerre de Tchétchénie battait son plein. Ses frères, sa sœur et elle-même ne disposaient pas de tous les documents nécessaires pour avoir le droit de s’inscrire dans une école ordinaire. C’est le Comité d’assistance civile – la première organisation sociale de charité pour les réfugiés en Russie – qui a aidé ses parents à les réunir et leur a parlé des leçons dans son centre d’adaptation pour enfants. « Ma sœur y suivait des cours d’anglais et je lui ai collé aux pattes. Pas pour les cours, mais simplement parce que le centre était intéressant et chaleureux : on pouvait y passer de bons moments, les gens se montraient souvent généreux... Je suis encore en contact avec certaines de ces personnes – le professeur d’anglais par exemple », raconte Aminat à RBTH. Ce professeur parlait beaucoup de la vie à Moscou, essayant autant que possible de familiariser les élèves à la nouvelle réalité. Après l’école, Aminat est entrée à l’Université d’État des Sciences humaines de Russie puis, diplôme en poche, est revenue au centre pour y travailler en tant qu’administratrice.
Fournir une assistance pédagogique et psychologique Créé en 1996, le centre aide les enfants et leurs parents à surmonter les nombreux problèmes auxquels ils doivent faire face dans leur pays d’accueil. Pour beaucoup, c’est même la seule possibilité de recevoir une éducation. « On a une famille d’Afghanistan qui est dans ce cas. Le père, Haroun, a fui en Russie après que les Talibans ont tué son propre père et menacé le reste de sa famille. Haroun vit déjà à Moscou depuis trois ans et n’a toujours pas reçu de sta-
Au-delà du russe, les enfants apprennent aussi les mathématiques et reçoivent de l’aide dans les autres matières. SERVICE DE PRESSE(3)
L’expérience passée montre que ces enfants ont toutes les chances de se forger un avenir digne de ce nom
tut officiel : aucun de ses neuf enfants ne peut donc étudier dans une école russe », explique Olga Nikolaenko, directrice du centre. Réunir les documents nécessaires n’est pas toujours le principal obstacle : nombreux sont les enfants qui ne peuvent pas être admis à l’école car ils ne parlent pas le russe. Au centre, l’enseignement commence donc dès l’âge pré-scolaire. Autre problème : celui de l’abandon. « Les enfants arrêtent souvent leur scolarité parce que les programmes sont différents de ceux qu’ils ont connus ou en raison d’une période trop importante passée loin des bancs de l’école », témoigne Olga. C’est pourquoi, au-delà du russe, les élèves apprennent aussi les mathématiques et peuvent recevoir une assistance dans les autres matières. Le centre aide par aileurs les enfants réfugiés à surmonter leurs problèmes psychologiques. « Nous avons accueilli il y a un an et demi Maurice, cinq ans, et Djad, sept ans. Leur mère Reina avait réussi à les sortir de Syrie sous les bombardements. Ils étaient traumatisés, très fermés. Aujourd’hui, grâce au travail de notre psychologue, ils sortent progressivement de leur coquille », dit Olga.
Un exemple à suivre Actuellement, 73 enfants étudient au centre. « La plupart sont originaires de
Syrie, d’Afghanistan, du Congo et des anciennes républiques soviétiques comme le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizstan. Quelques-uns viennent d’Ukraine et du Yémen », précise la directrice. L’expérience passée montre que ces enfants ont toutes les chances de se forger un avenir digne de ce nom. Olga poursuit : « Une fille tadjique qui avait appris la physique au centre a réussi à entrer à l’Université Bauman [la plus prestigieuse école d’ingénieurs de Russie, ndlr]. Le garçon tchétchène, Amirkhan, est allé étudier en Amérique avec l’aide du centre, et travaille aujourd’hui dans le secteur bancaire ». Le 1er septembre, le centre a reçu des bonnes nouvelles : Marichal, du Congo, et Djad, de Syrie, ont enfin pu intégrer une école russe. « Nous avons eu beaucoup de chance, avoue Olga. C’est une bonne école privée avec de petites classes. Nous nous sommes entendus pour payer une petite somme en accord avec le directeur. Et l’argent nécessaire a été rassemblé avec l’aide de bénévoles ». Jusque là, Djad s’était vu refuser l’entrée dans 16 écoles. « Lui et sa mère sont donc très heureux », conclut Olga. Devoir accompli, mais сette initiative complètement bénévole reste modeste : le centre n’a pas pour le moment d’équivalent à Moscou. Une lacune à combler...
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e qui se passe actuellement avec les réfugiés est une tragédie. Mais, je suis certain que l’Europe y survivra. Ses pays, notamment la France et l’Allemagne, peuvent s’appuyer sur une société très solide. Ils accueilleront ces réfugiés et les digéreront, comme jadis l’Amérique. Ce qui me préoccupe plutôt, c’est le destin de la Russie, car nous n’avons même pas conscience qu’un nombre colossal de Chinois vivent sur le territoire de notre pays de manière clandestine. Pour résoudre ce problème, il faut avoir une économie forte, ce que nous ne possédons pas, mais que possède l’Europe. es principaux pays européens devraient venir en aide aux réfugiés. L’Europe vieillissante reçoit la chance de se développer grâce à des gens sains et pleins d’énergie, compte tenu que la plupart des réfugiés sont jeunes. Il faut leur offrir une chance de travailler [...] et de s’intégrer dans la société européenne. Mais l’essentiel est que l’Occident contribue à la cessation des guerres dans les régions que fuient ces gens. Il faut en outre veiller à ce qu’une vague de terroristes ne déferle pas sur l’Europe. Mais j’ai bien peur qu’ils n’y soient déjà nombreux. ’Union européenne, les États-Unis et la Russie [devraient aider les réfugiés, ndlr]. Les gens qui affluent aujourd’hui en Europe doivent recevoir un refuge provisoire et rentrer une fois la paix rétablie dans leurs pays. Mais l’Europe, phénomène historique et géographique unique, fait actuellement face à une situation sociale qui est une menace pour le Vieux continent. Il faut aider les réfugiés, mais ne nous leurrons pas. Beaucoup de ceux qui, aujourd’hui, les embrassent et leur offrent des chocolats, organiseront au printemps des piquets de grève et des meetings pour exiger leur départ. Extraits d’un article de KOMMERSANT
P O U R E N S AV O I R P L U S S U R L E S R É F U G I É S S Y R I E N S E N R U S S I E L’ESCALE RUSSE DES MIGRANTS SYRIENS
LA VIE DES RÉFUGIÉS SYRIENS EN RUSSIE
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OPINIONS
L’ONU : PLUS QU’UNE TRIBUNE ? L GUEORGUI BOVT POLITOLOGUE Rédacteur en chef du magazine Rousski mir
e président russe Vladimir Poutine a déjà prononcé trois discours depuis la tribune des Nations unies, le dernier remontant à 2005. Cette fois-ci, les attentes étaient particulièrement fortes : trop tendues sont actuellement les relations entre la Russie et l’Occident, trop grande est l’incompréhension mutuelle sur les objectifs et les agissements de chacun. Presque tous les orateurs qui ont précédé Vladimir Poutine à la tribune de l’ONU ont évoqué la Seconde Guerre mondiale. D’une part, pour rendre hommage à l’anniversaire de la Victoire, d’autre part, pour rappeler qu’il s’agissait d’un « pont » vers les temps modernes où l’accent est mis sur la prévention des conflits. À cet égard, on déplore le manque d’efficacité de l’ONU, que nombre de voix appellent à réformer sans pouvoir trouver mieux que le schéma adopté à la conférence deYalta, mentionnée parVladimir Poutine. Pour le président russe, le « système de Yalta » a été « payé au prix de deux guerres mondiales » et a réussi « à épargner au monde des bouleversements majeurs ». Pour ce qui est des réformes de l’Organisation, une initiative appelle à limiter le recours au droit de veto par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Cette proposition a un aspect conjoncturel : plusieurs pays veulent priver la Russie du droit de veto dans le contexte de la crise ukrainienne. Pour l’instant, l’idée n’est soutenue que par un peu plus d’un tiers des pays membres. Si l’on fait abstraction de la crise ukrainienne et du désir de « punir » Moscou, personne ne peut prévoir l’impact d’une éventuelle suppression du droit de veto sur le fonctionnement des Nations unies. La menace du veto pousse les « grandes puissances » à rechercher un compro-
IORSH
mis. Comme l’a fait remarquer Vladimir Poutine, l’ONU « ne suppose pas une unanimité… L’objectif central de l’Organisation est d’encourager à trouver des compromis ». Ce qui était inattendu dans le discours de Vladimir Poutine, c’est sa critique de l’URSS pour « ses tentatives de lancer des expériences socialistes dans d’autres pays », ce qui a débouché parfois sur les désastres que l’on sait. Tout le monde a compris l’insinuation : selon Poutine, de telles tentatives se matérialisent actuellement dans « l’exportation des révolutions ». L’allergie aux révolutions est une idée fixe du Kremlin, mais le fait est que le droit international moderne, notamment les documents de l’ONU, se sont révélés impuissants face aux situations dans lesquelles des pays entiers se retrouvent en ruines, sans institutions d’État fonctionnelles, à la suite de révolutions soutenues de l’étranger. La Libye a déjà
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Si l’on fait abstraction du désir de « punir » Moscou, personne ne peut prévoir l’impact d’une éventuelle suppression du droit de veto à l’ONU »
EMPÊCHER DAMAS DE TOMBER AUX MAINS DE L’ÉTAT ISLAMIQUE «
L
FEDOR LOUKIANOV POLITOLOGUE Président du Conseil pour la politique étrangère et la politique de défense
orsque les manifestations contre le règne autoritaire de la minorité religieuse – alaouite – conduite par Bachar el-Assad ont embrasé la Syrie en 2011, les opinions sur l’avenir du pays étaient partagées. En Occident, en Turquie et dans les pays du Golfe, les observateurs s’attendaient à une chute rapide du régime de Damas selon le scénario tunisien (révolte intérieure) ou le schéma libyen (ingérence extérieure). En Russie, ils relevaient la particularité du cas syrien : une population aux obédiences religieuses diverses, une armée efficace, une classe dirigeante unifiée et le puissant soutien de l’Iran laissaient entrevoir un tout autre déroulement. La suite des événements a montré que Moscou avait une meilleure lecture des particularités de la situation en Syrie. La position russe – en faveur des autorités officielles de Damas et en opposition résolue à toute ingérence étrangère – s’est révélée comme la plus cohérente à défaut de produire des résultats. Depuis 2011, la situation s’est
détériorée, malgré la destruction des armes chimiques et après les vaines tentatives d’unir l’opposition contre Assad. Puis la brusque apparition de l’État islamique (EI) a changé la donne.
subi une « démocratisation » de ce genre. La Syrie est au bord d’une catastrophe semblable. Contrairement à toute attente, le dirigeant russe n’a pas donné le détail des désaccords sur la Syrie entre Moscou et Washington, réservant le sujet pour son tête-à-tête avec Barack Obama. Sur le dossier ukrainien, politiquement explosif, l’homme fort du Kremlin ne s’y est arrêté que pour réitérer la position officielle de Moscou. Mais fidèle à lui-même, il ne pouvait s’empêcher de vilipender une nouvelle fois « la mentalité des blocs » (qui se manifeste dans l’élargissement de l’OTAN) et les tentatives de domination unilatérale. Et si, une heure plus tôt, Barack Obama déclarait que les sanctions contre la Russie resteraient en vigueur,Vladimir Poutine a répliqué : « Les sanctions unilatérales adoptées en contournant l’ONU visent des objectifs politiques et, en outre, permettent d’éliminer des concur-
d’ailleurs dans l’ensemble du ProcheOrient. Les diplomates russes ont toujours insisté qu’il ne s’agissait pas de sauver Assad, mais les principes (pas d’ingérence, pas de nuisance) et que l’objectif numéro un était de maintenir le statu quo. Cette politique a échoué et le statu quo n’a plus cours en Syrie. Tandis que l’Ouest juge que la temporisation a laissé la porte ouverte à l’EI, ironiquement devenu la seule force efficace d’opposition à Assad, la Russie estime que l’entêtement occidental [contre Assad, ndlr] a annihilé les chances d’une transformation en douceur du régime. Quoi qu’il en soit, il s’agit désormais d’éviter la chute de Damas aux mains des islamistes, qui symboliserait l’abandon irréversible de la modernité au Proche-Orient. Les centaines de milliers de personnes qui fuient en Europe l’ont compris : il n’y a pas de place pour ceux qui sont tournés vers l’avenir là où flotte le drapeau noir.
Par centaines de milliers, les Syriens Acteurs et conflits divers et multiples qui fuient La situation est aujourd’hui embrouilen Europe lée à l’extrême, les divers acteurs étant mêlés à des conflits différents les uns ont compris des autres : les forces du régime d’As- qu’il n’y avait sad contre l’État islamique et ce qui est qualifié d’« opposition modérée » ; l’EI pas de place contre Assad et l’opposition ; l’opposi- pour ceux qui tion contre tous. Et c’est sans parler des sont tournés Kurdes menant leur propre guerre contre la Turquie qui, sous prétexte de vers l’avenir Vers une enclave défensive de combattre l’EI, tente de régler la ques- là où flottte type « Israël alaouite » ? tion du Parti des travailleurs du Kurle drapeau On peut raisonnablement penser que distan (PKK). là où les efforts russes pourraient porL’espoir de voir émerger d’un tel im- noir de l’État ter leurs fruits serait dans la création broglio une solution en Syrie est tout à islamique » d’un périmètre défensif autour d’une fait irréaliste, d’autant que la communauté internationale est désespérément divisée sur les options susceptibles de résoudre la crise. Il ne peut y avoir désormais de « victoire » en Syrie, comme
L E CO U R R I E R D E S L E C T E U R S , L E S O P I N I O N S O U D E SS I N S D E L A R U B R I Q U E “ O P I N I O N S ” P U B L I É S DA N S C E S U P P L É M E N T R E P R É S E N T E N T D I V E R S P O I N T S D E V U E E T N E R E F L È T E N T PA S N É C E S S A I R E M E N T L A P O S I T I O N D E L A R É D A C T I O N D E R U S S I A B E Y O N D T H E H E A D L I N E S O U D E R O S S I Y S K AYA G A Z E TA . MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : FR@RBTH.COM RUSSIA BEYOND THE HEADLINES EST PUBLIÉ PAR LE QUOTIDIEN RUSSE ROSSIYSKAYA GAZETA. LA RÉDACTION DU FIGARO N’EST PAS IMPLIQUÉE DANS SA PRODUCTION. LE FINANCEMENT DE RBTH PROVIENT DE LA PUBLICITÉ ET DU PARRAINAGE, AINSI QUE DES SUBVENTIONS DES AGENCES GOUVERNEMENTALES RUSSES. RBTH A UNE LIGNE ÉDITORIALE INDÉPENDANTE. SON OBJECTIF EST DE PRÉSENTER DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA RUSSIE ET LA PLACE DE CE PAYS DANS LE MONDE À TRAVERS UN CONTENU DE QUALITÉ. PUBLIÉ DEPUIS 2007, RBTH S’ENGAGE À MAINTENIR LE PLUS HAUT NIVEAU RÉDACTIONNEL POSSIBLE ET À PRÉSENTER LE MEILLEUR DE LA PRODUCTION JOURNALISTIQUE RUSSE AINSI QUE LES MEILLEURS TEXTES SUR LA RUSSIE. CE FAISANT, NOUS ESPÉRONS COMBLER UNE LACUNE IMPORTANTE DANS LA COUVERTURE MÉDIATIQUE INTERNATIONALE. POUR TOUTE QUESTION OU COMMENTAIRE SUR NOTRE STRUCTURE ACTIONNARIALE OU ÉDITORIALE, NOUS VOUS PRIONS DE NOUS CONTACTER PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE À L’ADRESSE FR@RBTH.COM. SITE INTERNET FR.RBTH.COM. TÉL. +7 (495) 7753114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), PAVEL GOLUB : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ADJOINT, VSEVOLOD PULYA : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, TATIANA CHRAMTCHENKO : RÉDACTRICE EXÉCUTIVE, FLORA MOUSSA : RÉDACTRICE EN CHEF, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, DIMITRI DE KOCHKO : CONSEILLER DE LA RÉDACTION, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, MILLA DOMOGATSKAÏA : DIRECTRICE DE LA MAQUETTE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREÏ ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@LEFIGARO.FR). EVGUENIA SHIPOVA : REPRÉSENTANTE À PARIS (E.SHIPOVA@RBTH.COM, 06 67 42 20 42 ) © COPYRIGHT 2015, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS. ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À FR@RBTH.COM OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 7753114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ILLUSTRATEURS. LES LETTRES DE LECTEURS SONT À ADRESSER PAR COURRIEL À FR@RBTH.COM OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). RUSSIA BEYOND THE HEADLINES N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS. RBTH ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE. CE SUPPLÉMENT A ÉTÉ ACHEVÉ LE 9 OCTOBRE 2015
sorte d’« Israël alaouite », une enclave capable de se défendre (avec un appui extérieur) et de constituer un obstacle à l’expansion incontrôlée de l’EI. L’ana-
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rents économiques ». Ayant sans doute en vue les projets de création des zones de libre-échange transatlantique et transpacifique, il a condamné « la formation d’unions économiques exclusives fermées », en proposant d’examiner le sujet aux Nations unies et au sein de l’Organisation mondiale du commerce. « Il semble qu’on veuille nous placer devant un fait accompli : les règles du jeu ont été réécrites au gré d’un nombre restreint de pays. Ce qui risque de déséquilibrer l’économie internationale », a souligné le président russe, en laissant entendre qu’il engagerait des débats sur ce dossier au niveau du G20, un cadre dont la Russie n’a pas été exclue, à la différence du G8. Moscou s’y manifestera vraisemblablement en commun avec Pékin, car les États-Unis ne cachent pas que le partenariat transpacifique est créé dans une grande mesure en contrepoids à la puissance croissante de la Chine. Vladimir Poutine a également fixé les priorités dans le contexte mondial : éviter toute ingérence dans les affaires de pays souverains et soutenir les gouvernements légitimes, surmonter la « mentalité des blocs » en faveur de l’intégration économique, lutter ensemble contre les défis globaux et revenir à « la bonne volonté » figurant à la base des documents fondamentaux des Nations unies. Dans la foulée, il a rencontré Barack Obama – pour la première fois depuis deux ans dans le cadre de négociations officielles. Les deux hommes se sont efforcés réciproquement de convaincre de leur bonne foi leur interlocuteur. À en juger par la tonalité des discours du président américain et du chef de l’État russe, la conversation qui les attendait s’annonçait difficile. Mais l’ONU aura eu le mérite d’offrir aux deux hommes l’occasion de renouer le dialogue.
logie est effectivement vague, mais le mécanisme est le même. À en juger par les nombreux contacts diplomatiques de l’été dernier qui ont vu Moscou accueillir une série de visiteurs proche-orientaux, l’activité déployée actuellement par la Russie ne devrait pas être une surprise. Objectivement, le fait que Moscou est prêt à prendre des risques en faveur d’un « Israël alaouite » est dans l’intérêt de tous, sauf de l’EI. Ce qui n’empêche pas les dirigeants occidentaux de s’inquiéter de la présence militaire russe en Syrie tout en appelant à la mobilisation contre l’EI comme vient de le faire le premier ministre britannique David Cameron. À supposer que l’EI soit vaincu et que s’ensuive une lutte pour le contrôle de la Syrie, on peut comprendre les préoccupations de l’Occident qui ne tient absolument pas à voir la Russie revendiquer un rôle clé dans la future nation. Toutefois, le scénario de loin le plus probable n’est pas la défaite de l’EI par une coalition internationale, ni la renaissance de la Syrie sur de nouvelles bases, mais le regroupement des adversaires des islamistes se battant pour leur survie sur des territoires circonscrits. Dans ce cas, l’Occident aurait intérêt à ne pas empêcher la Russie d’agir, et devrait même l’y encourager. Article initialement publié dans ROSSIYSKAYA GAZETA
UNE PUBLICATION REGROUPANT DES ANALYSES E XCLU SIV E ME NT CO NSACRÉ E S AUX DÉ FIS E T AUX CH ANCE S CO MP L E XE S Q U I DÉ TE RMINE NT L E S RELATIONS AMÉRICANO-RUSSES
Rapport mensuel de septembre DÉCRYPTER LES TRANSFORMATIONS SOCIALES EN RUSSIE En dépit de la plus forte baisse de leurs revenus depuis 1998, les Russes affichent un niveau d’optimisme élevé quant à leur avenir, et la cote de popularité du président Vladimir Poutine a grimpé en flèche. Alors qu’à la période de « vaches grasses » des années 2000 a succédé la crise économique actuelle, causée par la chute des prix de pétrole et les sanctions occidentales, la société russe est passée du « ruban blanc », le mouvement de contestation des années 2011-2012, à l’indifférence politique et l’apathie civique. Ceci peut-il être simplement l’effet de la propagande nationale et de la mainmise des autorités sur le débat public ? Quel est le degré de fiabilité de ces sondages et d’où sortent-ils ? I N S CR IVEZ-VOUS AUJ OUR D' H UI ET OBTENEZ : • 30 % DE R ÉDU C T IO N S U R VOT R E AB O NNEMENT ANNU EL • 12 NUMÉROS PAR AN • ACC ÈS TOTAL AUX AR C HIVES DES P U B LIC AT IO NS
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RÉGIONS
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GRAND NORD Rencontre avec les habitants d’un village situé au-delà du cercle polaire
Visite chez les éleveurs de rennes en Laponie russe GEOPHOTO
Dans la péninsule de Kola le ciel est soit écarlate, soit plongé dans la nuit polaire. Les maisons sont montées sur des traîneaux et le vent est si puissant qu’il soulève les chiens dans les airs. DARIA GONSALEZ RBTH
Tatiana prépare la soupe traditionnelle à base de renne et de légumes. À l’intérieur du logis, il fait bon, une odeur de baies et de résine de pin plane. Les peaux de rennes sont étalées sur les planches de bois, près de l’entrée, le poêle flambe. Les conserves de mûres jaunes et d’airelles tintent au gré des rafales de vent. À la pointe est de la péninsule de Kola se trouve Gremikha, le « village des chiens volants ». Il n’est accessible qu’en bateau et par beau temps uniquement. L’hiver, avec la tempête de neige et la mer agitée, on peut y rester coincé pendant des semaines. « Nous possédons un appartement à Lovozero [localité de l’oblast de Mourmansk, ndlr] et une maison aussi. Mais nous ne pouvons pas y tenir nos rennes. Nous y passons une fois par mois pour nous approvisionner et aller aux bains », raconte Tatiana. Elle ouvre la porte et le froid glacial s’engouffre
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et fige l’intérieur de la maison. Pour le commun des mortels, il est impossible de tenir plus de cinq minutes dehors.Valeri, manteau ouvert, poitrine au vent, coupe le bois. Tatiana, emmitouflée dans une malitsa (manteau traditionnel en peau de renne), tente d’en recouvrir son mari. Leurs yeux et leur visage rougi par le froid reflètent le ciel écarlate les surplombant. Durant la nuit polaire, qui dure du 10 décembre au 3 janvier, le ciel ne s’éclaircit que durant deux heures. L’aube fait place instantanément au coucher et le soleil pointe à peine à l’horizon, déversant dans le ciel son camaïeux de rouge. Près de la maison fume Micha. Il orga-
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IMPRESSIONS DE VOYAGEURS Zubkovaek (Russie) : Nous avons visité cette belle région début avril. Un endroit étonnant : rennes, neige, promenades en motoneige, pêche. Submergée par les émotions. Mark121 (Grande-Bretagne) : J’ai participé quatre fois à des safaris en motoneige. Souvent, nos randonnées démarraient d’une base située près de Lovozero et comprenaient des nuitées chez les habitants locaux. Nous avons toujours été exceptionnellement accueillis et bien nourris.
nise des balades en traîneaux ou en motoneige à Lovozero et, l’été, des randonnées dans la péninsule de Kola. Parfois, il propose aux touristes de visiter des familles d’éleveurs qui leur font faire des tours de rennes pour une somme modique. « À Mourmansk, il existe un programme de soutien aux Saamis [peuple autochtone, ndlr], leur offrant de l’argent, des rennes, raconte-t-il. Mais nous, les Komi, on est un peuple de Carélie et même si on vit ici, on ne peut pas en bénéficier. On nous dit : rentrez chez vous avec vos rennes. Pourtant, je suis né ici et j’ai grandi ici, pourquoi devrais-je partir ? Alors, on reste et on s’entraide, explique Micha. Il est dur de lutter en solitaire. Chez les rennes, le troupeau suit son chef. S’il court, tous courent, jusqu’à l’épuisement. Pour ne pas sentir le froid... En solitaire, c’est plus dur, pour tous... ». Tatiana sert la soupe dans le silence, regardant la fenêtre : les rennes essaient de se débarrasser des amas de poils gelés dans leur pelage et tentent de se protéger du vent. « Non, nous n’avons pas peur. Nous sommes ensemble, sourit Tatiana. Ce qui est ennuyeux, ce sont les chiens. Les chasseurs ne les enferment pas la
Balade dans les rues piétonnes entre les stations de métro Okhotny Ryad et Teatralnaïa
OKHOTNY RYAD ET LA PLACE DU MANÈGE La balade commence au métro Okhotny Ryad - suivez les indications pour la place du Manège.
LA PLACE ROUGE ET LA CATHÉDRALE SAINT-BASILE Pour rejoindre la place Rouge depuis la place du Manège, passez par les Portes de la Résurection, érigées au XVIème siècle. À l’autre bout de la place Rouge, vous trouverez l’attraction la plus photographiée de Russie, la cathédrale Saint-Basile.
T R AV E L 2 M O S C O W. C O M
LES RUES ROJDESTVENSKAÏA ET KOUZNETSKI MOST Si de Detsky mir vous vous dirigez vers le métro Kouznetski most, vous vous retrouverez dans la rue piétonne Rojdestvenskaïa. Elle traverse Kouznetski most, autre rue piétonne qui vous amènera au TsOuM.
Base touristique Laponie russe : 40€/nuit par personne. Base touristique Yulinskaya Salma : 35€/ nuit par personne dans une grande maison d’hôtes ; 145€ dans une petite maison d’hôtes pour 6-8 personnes.
LE TSOUM ET LE BOLCHOÏ Le célèbre grand magasin soviétique TsOuM est aujourd’hui l’un des centres commerciaux les plus luxueux de Russie. Le bâtiment du théâtre du Bolchoï se trouve juste en face.
LE PASSAGE TRETIAKOVSKY Vous le reconnaîtrez immédiatement à son arc, haut comme un bâtiment de trois étages. C’est la seule rue de Moscou créée avec de l’argent privé, celui des frères mécènes Tretiakov dans les années 1870.
PASSAGE PAR LE GOUM Le GOuM (Principal Magasin Universel) était l’unique magasin de l’URSS où l’on pouvait trouver de tout – du saucisson de cerf de premier choix aux bas les plus fins pour dames.
Où se loger
DESTSKI MIR Le magasin Detsky mir (Le monde des enfants), bâti à l’époque de Staline, est devenu une version socialiste de Disneyland. La terrasse sur son toit offre l’un des meilleurs points d’observation de la capitale.
3,2 km 50 min
SERGEY RUSANOV/ RIA NOVOSTI
nuit. Un chien de chasse est capable d’égorger un renne. Que peut on faire à deux contre une meute ? ». « Quand les rennes auront terminé tout le lichen, nous changerons de pâture et nous nous déplacerons vers un autre endroit. Notre maison est montée sur un traîneau. C’est facile de se déplacer », explique la maîtresse de maison. Une grande cabane couverte de peau de rennes et de feutre, se dresse en retrait, entourée de piquets plantés dans la neige destinés à sécher le linge et un épouvantail fait de branchage et de chiffons. Sur les piquets, des vêtements qui ne semblent pas vouloir sécher. La nuit tombe très vite. À croire que pour voir vraiment la lueur du jour, il faudra attendre le printemps.
RUE NIKOLSKAÏA La rue est devenue piétonne en 2013. C’est une promenade agréable à l’européenne avec des lanternes, des bancs et des parterres de fleurs. Les façades des immeubles des XVIIème-XIXème siècles ont été restaurés.
Vendredi 16 octobre 2015
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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
MAGAZINE
ENTRETIEN AVEC NATALIA TURINE
À L’AFFICHE
La culture russe dans la peau
LES VIRTUOSES DE MOSCOU À PARIS
nemi de son pays. Aujourd’hui on peut revenir. Moi encore aujourd’hui, quand je traverse la frontière, j’ai ce petit serrement de cœur, c’est animal, c’est dans nos tripes.
ÉDITRICE, AUTEUR, PHOTOGRAPHE ET ANIMATRICE TÉLÉ, NATALIA TURINE VIENT D’ÉDITER EN FRANCE UN RECUEIL DE NOUVELLES D’ÉCRIVAINS RUSSES
Biographie
PUBLIC SÉNAT
Natalia Turine nous reçoit à Paris sur son « lieu de travail », un appartement haussmannien épuré : un appareil photo sur son trépied, une bibliothèque baroque, un coffre russe. Natalia, selon quels critères avez-vous choisi les auteurs de votre recueil ? Sur la couverture sombre de ce livre est dessiné un couperet, une guillotine. Pour moi, la guillotine c’est quelque chose à quoi un écrivain doit être confronté. Quand il écrit, il doit être prêt à devenir célèbre peut-être, placé sur un piédestal, mais ce piédestal peut être aussi un échafaud, nul ne le sait... Je veux dénicher ces gens qui ont des choses qui dérangent à dire, qui sont différents et qui n’ont pas la patience ni les moyens de faire ce long chemin de croix qu’est la fabrication d’un livre, avec ses multiples étapes. Ces genslà méritent de vrais livres et n’auront pas de seconde chance.
Publié aux éditions Daphnis et Chloé et Louison Éditions avec une préface de Mazarine Pingeot.
Avec ce recueil, leur donnez-vous une chance de se faire connaître ? Je ne prétends pas leur donner une chance, non, ce sont eux qui me donnent la chance de les connaître et de les faire connaître. C’est pourquoi j’ai proposé à Alla Demidova, Mikhaïl Chichkine ou Dimitri Bykov, entre autres, de les publier en France. Quels sont les auteurs russes, d’après
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vous, qui peuvent prétendre à un large public français ? Des auteurs tels que Limonov, (qui connaît un regain de popularité depuis le livre d’Emmanuel Carrère), ou Sorokine, dont les œuvres ont été traduites, ont un certain succès en France, mais je doute que les lecteurs français entrent massivement dans ces univers très russes. Cela peut être une sorte de mode, sans véritable adhésion. Quant aux œuvres de Maxime Kantor, elles font appel à des références culturelles compliquées. Avec sa satire de l’establishment moscovite, il a créé une polémique en Russie. Ni d’un parti ni d’un autre, il est inclassable, et ne parle pas directement à un large public occidental. [Le 7 janvier prochain cependant sortira en France une œuvre de Maxime Kantor aux éditions Louison, ndlr].
Née dans une famille de diplomate russe, Natalia Turine vit en France de 1973 à 1980, puis fait des études à l’Institut des langues étrangères de Moscou. Par la suite, sa carrière fait de nombreux aller-retours entre la France et la Russie. Elle intègre en 1987 la chaîne de télévision russe Gosteleradio, puis rentre en France et collabore à l’ex-Antenne 2 (l’émission de Thierry Ardisson) et FR3. De retour en Russie en 1995, elle travaille pour la télévision d’État et publie dans le magazine littéraire russe Snob ses premières nouvelles et ses photographies.
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Ce livre porte le beau titre de Nostalgia. La nostalgie est-elle une singularité du peuple russe ? Le terme n’est pas russe, mais dès qu’on n’est plus en Russie, on est dans un état de nostalgie terrible ! On ne s’acclimate pas vraiment à un autre monde ; même si on s’assimile et fait semblant, il y a toujours quelque chose qui nous ronge, chez nous les Russes. Dans les années 70, on retirait le passeport à quelqu’un qui quittait la Russie, comme si le citoyen qui partait allait devenir un en-
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Nostalgie du pays ou nostalgie du passé ? Les deux se confondent. Dans la nouvelle d’Elena Pasternak, qui décrit avec finesse et nuance le monde de son enfance, la maison où elle vivait avec toute sa famille, on retrouve cette nostalgie du passé, brutalement confrontée à un basculement de ce bel équilibre. Les frontières sont ténues entre la nostalgie de ce monde perdu, la résolution de retrouver des repères, et l’espoir d’un monde nouveau sans renoncer au passé. De même, la nouvelle d’Edouard Limonov met en scène deux demi-frères dont c’est la première rencontre. Elle porte en elle toute la nostalgie d’un monde quasi pastoral face à un univers urbain qui n’est pas dénué de poésie mais apparaît médiocre et vaguement effrayant. Que va-t-il sortir de cette rencontre ? Il y a de surcroît, dans presque toutes ces nouvelles, des errances, des grands lieux vides et désaffectés, et des figures parentales très présentes qui sont à la fois ancrées dans le passé et poussent au rêve. Et pourtant, un irrésistible aimant a attiré de nombreux Russes hors de leurs frontières... Si, grâce à tous ces écrivains, je parle de nostalgie, c’est parce que nous tous, nous faisons partie de la génération qui voulait partir librement. Nous avons appris les langues étrangères sans jamais sortir de chez nous, nous avons appris à connaître la littérature française – parfois mieux que les Français eux-mêmes, oserai-je dire – sans jamais, par exemple, avoir vu les lieux où se déroulait tel ou tel roman. Nous connaissons l’architecture italienne sans jamais avoir mis les pieds en Italie. Bref, nous étions très curieux de voir ce qu’il y avait à voir ! Et de vivre cette liberté, dans ce paradis sur terre qu’était l’Occident. Ce désir de « paradis sur terre » n’était-il pas utopique ? Il y avait toujours des « ambassadeurs clandestins » qui nous ramenaient des livres de chez vous, des magazines, des vêtements, mais on voulait vivre dans cette beauté, dans cet autre climat. On avait de l’Occident une idée beaucoup plus intellectuelle qu’il ne l’est vraiment. Ceci éclaire-t-il le sous-titre un peu déroutant de « mélancolie du futur » ? Oui, c’est cela notre nostalgie, la mélancolie du futur : on rêvait d’un monde dont on savait qu’il existait là-bas, et que peut-être un jour il nous serait donné d’y aller. Maintenant, on sait qu’effectivement, ailleurs, il y a un autre monde, et qu’il n’est pas meilleur, il est différent. Aujourd’hui après plus de vingt ans passés en France, diriez-vous que vous vivez dans une double appartenance ? C’est un concept européen que la double appartenance. Moi, je suis russe. Je fais la différence entre nationalité et citoyenneté. On peut critiquer son pays, et revendiquer sa nationalité. J’ai un passeport français. Mon passeport, c’est mon état « civil », mais je suis de culture russe. L’Occident ne nous fait plus rêver. Nous n’avons plus de rêves, nous allons peutêtre commencer à vivre pour de vrai... Propos recueillis par ANNIE HERAL-VIEAU, POUR RBTH
UNE AVARIE À L’IMPRESSION A RETARDÉ LA SORTIE DE CE NUMÉRO INITIALEMENT PRÉVUE LE 14 OCTOBRE. NOUS PRIONS NOS LECTEURS DE NOUS EN EXCUSER.
LE CALENDRIER DES PROCHAINES PARUTIONS EST LE SUIVANT : 10 et 25 novembre 16 décembre
LE 30 OCTOBRE, 8 AVENUE DU MAHATMA GANDHI
Les Virtuoses de Moscou, dirigés par le maestro Vladimir Spivakov, ouvrent la deuxième saison musicale de la Fondation Louis Vuitton. Les étoiles russes investiront l’Auditorium le temps d’une soirée exceptionnelle autour de Mozart, Tchaïkovski et Chostakovitch. En ouverture de programme, Vladimir Spivakov et Laurent Korcia donneront ensemble le sublime concerto pour deux violons de Jean-Sébastien Bach. › fondationlouisvuitton.fr
VILLAGE RUSSE DU 15 AU 19 OCTOBRE ESPLANADE DES INVALIDES, PARIS
Le Village d’Automne reçoit pour la première fois des artistes représentatifs de la diversité des créations d’art en Russie, dont des peintres, graveurs et stylistes. Une exposition exceptionnelle d’hologrammes, offerte par la ville de Saint-Pétersbourg. › 7enfete.com
SALON DU LIVRE DU 23 AU 24 OCTOBRE, CRSC, 61 RUE BOISSIÈRE, PARIS Le Centre de Russie pour la Science et la Culture de Paris vous invite à son IXe Salon du livre, manifestation incontournable visant à promouvoir la littérature russe et russophone en France. Ouvrages présentés en langue russe ou en langue française, évoquant la Russie. › russiefrance.org