Mercredi 25 novembre 2015
fr.rbth.com
Visions de la Russie Distribué avec
Parmi les autres partenaires de distribution : The Daily Telegraph, The New York Times, The Washington Post, La Repubblica, etc.
C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U
ARTISTE ET MILITANTE POUR LE CLIMAT Olga Kisseleva a imaginé Urban DataScape, une installation multimédia interactive sur les problématiques liées à l’espace urbain, qu’elle expose sur les berges de la Seine en prévision de la Conférence sur le changement climatique.
Terrorisme : face à un même défi, un même combat
PAGE 8
LA TRUFFE DE CRIMÉE ET LA MORILLE DE SIBÉRIE S’INVITENT Conséquence de la dévaluation du rouble et de l’embargo alimentaire, des entreprises se tournent vers la production locale pour satisfaire la demande croissante d’ingrédients haut de gamme. PAGE 6
DESTINATION « LA SUISSE RUSSE »
Forte émotion dans la population russe après les attentats de Paris. Gerbes, bougies et icônes ont été déposées en masse devant l’ambassade de France à Moscou, alors que la Russie avait aussi été frappée. LIRE EN PAGES 4 ET 5
TASS
Après avoir accueilli les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, le village montagnard de Krasnaïa Poliana joue la carte d’une destination touristique toutes saisons. PAGE 7
À lire en ligne
DETTE UKRAINIENNE : LA RUSSIE ASSOUPLIT SA POSITION
CORBIS/EAST NEWS
DOSSIER La COP21 pourrait guider la politique environnementale de la Russie pour les années à venir
Changement climatique : il faudra s’adapter Pour réduire les risques du réchauffement climatique, la Russie va devoir élaborer d’urgence des programmes régionaux d’adaptation. La Conférence de Paris pourrait lui fournir un encouragement et un appui en ce sens. GLEB FEDOROV RBTH
La restructuration consentie comme une solution pour sauver l’économie du pays. FR.RBTH.COM/542119
Les inondations de juillet 2012 sur la côte russe de la mer Noire, les plus désastreuses de l’histoire du pays, ont fait 171 morts. Les régions montagneuses du territoire de Krasnodar ont enregistré jusqu’à cinq mois de précipitations en deux jours. Le niveau des rivières est brusquement monté et l’eau,
mélangée à la boue, a déferlé sur les localités voisines. À Krymsk, la ville la plus éprouvée, le niveau de l’eau a augmenté de sept mètres. La violente crue qui a commencé à trois heures du matin a pris au dé pourvu non seulement la population, mais aussi les autorités qui ont d’ailleurs été reconnues coupables : le système d’alerte n’a pas fonctionné, alors que les canalisations et le lit de la rivière Adagoum ne pouvaient absorber de si grands volumes d’eau. Trois ans plus tard, une équipe de chercheurs russes et allemands a prouvé qu’un autre responsable était à l’origine de cette anormale et tragique montée des eaux : le climat. Dans un article publié en juillet dernier par le magazine Nature Geoscience, les scien-
tifiques ont fait la liaison entre l’inondation de Krymsk et l’élévation de la température des couches supérieures de la mer Noire, de deux degrés depuis 1984. Les données scientifiques indiquent clairement la nécessité pour les villes de s’adapter au changement climatique. Toutefois, seule Saint-Pétersbourg peut se vanter pour l’instant de disposer d’un plan approprié. Adoptée cette année, la Stratégie climatique de SaintPétersbourg a été élaborée au cours de quatre années sur la base de l’expérience de la Finlande, du Danemark, de la Grande-Bretagne et de l’Inde. SUITE EN PAGES 2 ET 3
VOTRE SOURCE FIABLE D’ACTUALITÉS ET D’ANALYSES SUR LA RUSSIE * 83 % des lecteurs font confiance à rbth.com pour recueillir les avis d’experts russes sur les grandes questions. 81 % des lecteurs estiment que rbth.com fournit des informations et des analyses allant au-delà de la couverture dans les autres médias.
77 % des lecteurs estiment que le site de RBTH s’adresse au grand public, et pas seulement à un lectorat spécialisé concernant la Russie. * Statistiques basées sur un sondage public effectué le 15 mars 2015 sur le site de RBTH.
Rendez-vous sur un réseau en ligne mondial à l’accent russe : fr.rbth.com
Mercredi 25 novembre 2015
2
Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
DOSSIER
ENVIRONNEMENT
ADAPTATION FORCÉE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
EPA
Inondations à Tosno, dans l’oblast de Leningrad, en avril 2013. SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
Cette Stratégie définit – pour la première fois en Russie – les moyens de prévenir les risques et d’adapter la ville au changement climatique, notamment aux inondations, étant donné que d’ici à 2100, le niveau de l’eau dans le golfe de Finlande pourrait monter d’un mètre, rendant inefficaces les systèmes actuels de protection de la ville. Or, il n’existe toujours pas de plan d’adaptation ni pour Moscou, qui a subi une vague de chaleur en 2010, ni pour les régions extrêmeorientales, qui ont vécu en 2013 la plus grande inondation depuis un siècle, ou encore pour l’Arctique qui, en raison du réchauffement et de l’érosion de la côte, perd tous les ans un territoire qui fait huit fois la taille de Saint-Marin. Le plan national adopté en 2011 est resté lettre morte, car il a été remis pour matérialisation au ministère russe du Développement régional, qui a ensuite été dissous, rappelleVladimir Tchouprov, responsable du département Énergie de Greenpeace Russie. Désormais, les régions doivent compter sur elles-mêmes.
Une « pause » de 10 à 15 ans Entre-temps, la grande différence entre l’accord qui devrait être signé dans le cadre de la Conférence de Paris sur le climat (COP21) et le Protocole de Kyoto est de déplacer l’accent pour le faire passer de la baisse des émissions de gaz à effet de serre à l’examen des moyens de s’adapter au climat en mutation. De ce point de vue, le sommet de Paris est d’actualité pour la Russie où l’adaptation n’en est encore qu’à ses débuts. Cependant, d’après Alexeï Kokorine, directeur du programme Climat et Énergie du WWF Russie, l’intérêt principal du sommet résidera moins dans l’élaboration d’un programme en vue de limiter les émissions (les débats sur le problème se sont poursuivis sans relâche ces dernières années, sans aboutir), que dans l’importance des ressources qui seront débloquées par les grandes économies à destination des pays les plus vulnérables au réchauffement climatique, et dans quels délais elles pourront être fournies. Selon les experts, l’enjeu est de 100 milliards de dollars d’ici à 2020. En d’autres termes, Paris « signifie une pause de 10 à 15 ans dans une baisse réelle des émissions ‘compensée’ par une aide importante aux pays faibles », ex-
plique Alexeï Kokorine. Les pays développés s’arrangeront pour faire peser le fardeau financier sur les entreprises privées, tandis que les pays pauvres tenteront d’obtenir un maximum de ressources publiques. Étant donné que la Russie fait partie d’un groupe intermédiaire de pays assez développés pour ne pas prétendre à une aide financière, mais pas assez forts pour devenir donateurs, elle ne sera pas à l’ordre du jour du sommet. Mais le défi pour Moscou sera de déterminer comment s’intégrer à un processus de développement à faible empreinte carbone sans pour autant détraquer une machine économique qui dépend fortement des secteurs énergétiques traditionnels. Les engagements que le pays se dit prêt à prendre ont de quoi impression-
En chiffres
7
années sur les dix les plus chaudes en Russie depuis 1936 ont été enregistrées au XXIème siècle.
ner – la Russie promet d’ici à 2030 de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 25% à 30% par rapport à 1990. Mais ils signifient en fait que d’ici à la date butoir, il est peu probable que le pays réduise ses émissions, vu que cellesci sont d’ores et déjà moins importantes qu’en 1990. Les écologistes prévoient que la Russie poursuivra sur la même voie, en encourageant dans la mesure du possible l’adaptation d’une part, et de l’autre, le développement des énergies vertes qui ne fournissent pour l’instant qu’environ 1% de l’électricité du pays.
Le tournant « vert » Il importe de souligner que les autorités ont conscience de la réalité incontournable du changement climatique. Lors de l’Assemblée générale des Na-
À savoir
UNE ÉVOLUTION MESURABLE La vitesse moyenne du réchauffement par décennie en Russie est de 0,42 degré (19762014). Dans l’Arctique, cet indice est de 0,66 degré (1985-2014).
tions unies, Vladimir Poutine, qui a confirmé qu’il participerait au sommet de Paris, a placé cette question parmi les plus importantes auxquelles est confrontée l’humanité. Le chef du département écologique au ministère russe du Développement économique, Vladimir Maximov, confirme que depuis la signature par Vladimir Poutine du décret sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2013, la réponse au défi du réchauffement climatique n’est plus au point mort dans le pays. Mais la résolution que l’État manifestera dans le développement de l’énergie verte et des dispositions d’adaptation dépendra dans une large mesure des résultats du sommet de Paris et de la décision de signer ou de ne pas signer l’accord envisagé.
EFFET DE SERRE Le cercle vicieux des émissions massives de gaz
Les lacs sibériens, accélérateurs de problèmes climatiques majeurs La fonte du pergélisol serait irréversible, selon les chercheurs russes. Les études menées sur le plateau de l’Arctique et sur le continent tendent à le prouver. YANA PTCHELINTSEVA POUR RBTH
Source de gaz à l’effet de serre, les lacs thermokarstiques ont depuis peu commencé à s’agrandir. Sur les images satellites, certaines de ces masses d’eau formées par la fonte du pergélisol et riches en carbone sont méconnaissables par rapport à leur état d’il y a quelques années, et, à certains endroits, les zones côtières se sont décalées de 65 mètres en deux ou trois ans seulement. Ce phénomène fait depuis plus de vingt ans l’objet d’étude de scientifiques de l’Université d’État de Tomsk (Sibérie). La recherche est menée dans la région subarctique de la Sibérie occidentale.
En ligne
Journal d’une exploratrice de l’Arctique fr.rbth.com/541553
« C’est dans l’eau que le carbone organique des sols, également appelé tourbe, se transforme en dioxyde de carbone (CO2) le plus rapidement, indique Sergueï Kirpotine, directeur du centre de recherches BioKlimLand à l’Université de Tomsk. La Sibérie subarctique est recouverte à plus de 80% de lacs thermokarstiques, mais ni l’ampleur du flux de dioxyde de carbone ni la composition chimique de l’eau n’ont encore été évaluées ». Lors de l’étude, les chercheurs ont découvert que les petits lacs – ceux d’une surface inférieure à 300 mètres carrés, littéralement indétectables par satellite et ne figurant sur aucune carte – émettent beaucoup plus de gaz à effet de serre que les lacs plus étendus. La toundra sibérienne compte des millions de ces lacs minuscules. En raison de leur taille négligeable, ils n’étaient pas du tout comptabilisés dans
les modèles d’échange de carbone jusqu’à récemment. La fonte croissante du pergélisol en Sibérie occidentale fait craindre aux scientifiques que les grands lacs thermokarstiques ne se décomposent en une multitude de petits lacs. « Cela pourrait provoquer une hausse majeure des gaz à effet de serre et une dissolution des émissions organiques de carbone dans les rivières et l’océan Arctique », explique M. Kirpotine.
En chiffres
67% du territoire russe sont dans la zone du pergélisol.
Une situation encore plus inquiétante au large Le processus en cours sur le plateau continental arctique est un problème encore plus inquiétant que les lacs thermokarstiques. Les scientifiques d’une autre université de Tomsk ont étudié ces changements et noté que les émissions de carbone sous la forme de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone
RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH) PUBLIE 37 SUPPLÉMENTS DANS 29 PAYS POUR UN LECTORAT TOTAL DE 30 MILLIONS DE PERSONNES ET GÈRE 22 SITES INTERNET EN 17 LANGUES. LES SUPPLÉMENTS ET CAHIERS SPÉCIAUX SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), ET DIFFUSÉS DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX SUIVANTS: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE-BRETAGNE • HANDELSBLATT, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • NEDELJNIK, GEOPOLITIKA, SERBIE • LE JEUDI, TAGEBLATT, LUXEMBOURG • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES, FOREIGN POLICY, INTERNATIONAL NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATS-UNIS • THE ECONOMIC TIMES, THE NAVBHARAT TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • HUANQIU SHIBAO, CHINE • LA NACION, ARGENTINE • EL PAÍS, CHILI • EL PERUANO, PÉROU • EL PAÍS, MEXIQUE • FOLHA DE S.PAULO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • LA RAZON, BOLIVIE • JOONGANG ILBO, JOONGANG SUNDAY, CORÉE DU SUD • GULF NEWS, AL KHALEEJ, ÉMIRATS ARABES UNIS • AL-AHRAM, ÉGYPTE • THE NATION, PHUKET GAZETT, THAÏLANDE • THE AGE, SIDNEY MORNING HERALD, AUSTRALIE. COURRIEL : FR@RBTH.COM. POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER FR.RBTH.COM. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)
Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
Mercredi 25 novembre 2015
3
DOSSIER ENVIRONNEMENT La structure de la filière énergétique russe reste axée sur les fossiles
COP21 : comment concilier des objectifs divergents De l’aveu des écologistes, l’application de la loi russe de 2009 sur l’efficacité énergétique reste trop complexe. Le statu quo perdurera à défaut de la mise en place d’un mécanisme contraignant les entreprises à investir. La COP21 pourrait déboucher sur des solutions. LOUIS BONAVENTURE POUR RBTH
Premier producteur mondial d’énergies fossiles et quatrième émetteur de gaz à effet de serre (GES), la Russie se devait d’être présente à Paris pour le sommet de la COP21. Et pour cause : 90% de l’énergie produite en Russie vient du carbone (pétrole, charbon et gaz), 82% de ses rejets de GES sont générés par la production énergétique et cette dernière constitue 70% de ses exportations. Compte tenu du poids du secteur énergétique dans l’activité du pays, difficile de passer rapidement à une économie dé-carbonée car cela impliquerait de revoir toute la conception et la structure de la filière énergétique russe. C’est un peu comme si l’on demandait à la France de s’affranchir du nucléaire du jour au lendemain.
Décalage entre la Russie et l’UE Pour Alexandre Nekrassov, directeur exécutif de l’Association des entreprises françaises pour le développement de l’efficacité énergétique et la sécurité écologique (U4E), la structure de la filière énergétique russe, axée sur le pétrole, le charbon et le gaz, explique le « décalage entre l’approche de l’Union européenne qui prône un mixage énergétique [fossile-renouvelable, ndlr] et celle de la Russie qui se concentre sur l’optimisation de l’efficacité énergétique ». Fin 2008, un rapport de la Banque mondiale estimait que l’optimisation de la totalité de la filière énergétique permettrait à la Russie d’économiser jusqu’à 45% de sa consommation totale d’éner-
gie primaire (avant transformation). L’ampleur des pertes constitue tout de même la consommation annuelle d’énergie primaire d’un pays comme la France. C’est dans cet esprit qu’en 2009, Dmitri Medvedev, à l’époque président de la Fédération de Russie, a promulgué une loi sur l’efficacité énergétique dont l’objectif était de réduire d’au moins 40% par rapport à 2007 les émissions polluantes d’ici à 2020. Ses cibles : l’électroménager, l’immobilier et le secteur public au sens large. Une politique qui a produit des résultats grâce aux « contrats d’efficacité énergétique », ceux-ci favorisant le financement des investissements dans les technologies propres par les économies d’énergie qu’elles permettent de réaliser.
Message compris dans l’industrie « Le géant de l’aluminium Rusal est ainsi parvenu à diviser par deux sa consommation énergétique », fait remarquer Alexandre Nekrassov. Le problème, c’est que ces incitations ne sont pas assez utilisées par le secteur pétrolier, tout comme les collectivités locales, qu’il s’agisse des transports, de l’éclairage public ou encore de l’immobilier. « L’innovation comporte un risque. Même si le système fonctionne, les élus locaux ne souhaitent pas forcément l’assumer devant leurs électeurs », poursuit le directeur d’U4E. En fin de compte, il pourrait y avoir un décalage entre la baisse réelle des émissions et les objectifs annoncés à l’horizon 2020. « Il n’y pas d’incitation économique : ni taxe carbone, ni marché du carbone ou encore une combinaison des deux, ce qui fait que l’État n’est pas en mesure de contraindre les entreprises à réguler leur intensité carbone [quantité de CO2 émise relative à leur croissance, ndlr] », déplore Vladimir Tchouprov, responsable du département Énergie de Greenpeace Russie.
3
POINTS CLÉS SUR LES ÉNERGIES ALTERNATIVES
1
9% des ressources hydriques mondiales sont concentrées en Russie. À ce jour, l’énergie hydraulique fournit 21 % de la production russe d’électricité.
2
La Russie possède un potentiel énorme de production d’énergie éolienne (jusqu’à 30% des besoins nationaux en électricité).
3
L’énergie solaire est sousexploitée. Mais la croissance du photovoltaïque pourrait être multipliée par 25 de 2016 à 2020.
GETTY IMAGES
Les énergies renouvelables restent marginales en Russie Quant au renouvelable, il estime qu’« il arrive tard et au mauvais moment ». En effet, outre qu’il va à l’encontre de l’équilibre budgétaire, la faiblesse actuelle du prix du baril n’incite pas à investir dans l’alternative que constituent les énergies renouvelables. « Le prix du pétrole est bas et les prix de l’énergie aussi par rapport à la situation internationale », poursuit l’expert de Greenpeace, pour qui les énergies renouvelables restent marginales en Russie puisqu’elles ne constituent que 1% de la production électrique du pays, contre 5% en Chine, 7% aux ÉtatsUnis et de 25% à 40% en Allemagne, selon les conditions météorologiques. Accroître les subventions ou les incitations étatiques, qu’il s’agisse du renouvelable comme de l’efficacité énergétique, « semble difficile compte tenu des difficultés actuelles de l’économie », ajoute Vladimir Tchouprov, « sachant que la priorité des autorités reste la maîtrise de l’inflation et la stabilisation des taux d’intérêt ».
Une énergie trop bon marché Alexeï Kokorine, directeur du programme Climat et Énergie du WWF Russie, estime pour sa part que si certains grands groupes investissent dans
Pollution industrielle à Moscou.
En ligne
La Russie n’échappera pas à la construction durable fr.rbth.com/32107
l’efficacité énergétique, la question reste secondaire pour les petites et moyennes entreprises. « L’instabilité du cadre légal et fiscal, ainsi que les différences de mises en application régionales, empêchent les PME de se projeter au-delà de quelques années. C’est la raison pour laquelle elles négligent l’efficacité énergétique, qui se mesure sur le long terme, regrette l’expert. En soi, les idées développées par les autorités sont bonnes, mais compte tenu des problèmes rencontrés dans leur mise en œuvre, les buts sont inaccessibles ». Une opinion partagée par Vladimir Tchouprov, pour qui « une incitation économique, comme la hausse des prix de l’énergie, est nécessaire pour sortir du statu quo actuel ». D’où l’importance de la présence à Paris de Vladimir Poutine, plus au plan intérieur qu’international, estiment les défenseurs russes de l’environnement. Elle signale aux régions l’intérêt que le pouvoir central porte au réchauffement et, par conséquent, à l’amélioration de l’efficacité énergétique. Alexandre Nekrassov résume les enjeux : « c’est une étape importante pour le dialogue entre les groupes russes et internationaux. J’attends de cette COP21 qu’elle permette d’entériner un programme de solutions sur lesquelles nous pourrons travailler ».
Émissions de gaz à effet de serre en Russie
SHUTTERSTOCK/LEGION-MEDIA
exercent déjà un impact significatif sur le climat de la Terre. « Il y a cinq ans, nous avons découvert que les émissions massives de méthane qui se produisent dans les mers de l’Arctique de l’ouest représentent à peu près le double des émissions dans l’ensemble des océans du monde », indique Igor Semiletov, géochimiste à l’Institut océanologique du Pacifique et à l’Université polytechnique de Tomsk. En 2014, une équipe internationale de chercheurs dirigée par M. Semiletov est partie pour l’océan Arctique à bord du brise-glace scientifique Oden. Les chercheurs ont été les premiers à examiner les eaux du plateau de l’Arctique de l’ouest externe à une profondeur de plus de 45 mètres. Les scientifiques ont
TATIANA POSPELOVA
découvert que les émissions de carbone sur le plateau étaient beaucoup plus intenses que prévu. Jusqu’à plusieurs milliers de grammes de méthane par mètre carré sont émis au quotidien, ce qui montre que le pergélisol sous-marin de l’Arctique a été sévèrement dégradé. Quelque 700 « trous de méthane » de ce type, chacun d’une taille allant jusqu’à 800 mètres de diamètre, ont été retrouvés sur le plateau. « Nous trouvons de plus en plus de preuves qui confirment notre hypothèse sur le rôle prédominant du plateau continental de la Sibérie dans le changement de l’équilibre terrestre en méthane aujourd’hui et au cours des 400 dernières années au minimum », conclut Igor Semiletov.
C’est dans l’eau que le carbone organique des sols se transforme en dioxyde de carbone le plus rapidement. ALENA REPKINA
La Russie se classe au quatrième rang mondial en termes d’émissions de gaz à effet de serre, derrière la Chine, les États-Unis et l’Inde. Le pays s’engage à réduire ses émissions, d’ici à 2030, de 25 à 30% par rapport au niveau constaté en 1990. Selon les dernières données disponibles, en 2012, la Russie est parvenue à diminuer ses émissions de près de 31% par rapport à 1990. Toutefois, il convient de noter qu’après une baisse importante enregistrée à la fin des années 1990, le taux des émissions a recommencé à grimper au début des années 2000. Ceci s’explique par la forte croissance économique ayant marqué la première décennie du XXIème siècle, accompagnée de l’augmentation du nombre de véhicules (l’émission de CO2 par les automobiles a été multipliée par 2,5 de 2001 à 2011) et le développement du secteur des hydrocarbures.
In
INTERNET
Ch CHIMIE
Bi BIOLOGIE
FR.RBTH.COM/TECH
In
INGÉNIERIE
DIX AVIONS ENTRÉS DANS LA LÉGENDE DE L’AVIATION RUSSE fr.rbth.com/392803
El
ÉLECTRONIQUE
As ASTROPHYSICS
Es
Pa PALÉONTOLOGIE
MÉDECINE
ESPACE
CE DONT PARLENT LES COSMONAUTES fr.rbth.com/383145
Me
Ph PHYSIQUE
MALADIES OCULAIRES : POURQUOI DES ÉTRANGERS VIENNENT SE SOIGNER EN RUSSIE fr.rbth.com/168289
Mercredi 25 novembre 2015
4
Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
INTERNATIONAL & POLITIQUE
TERRORISME Moscou reconnaît un attentat dans la destruction du vol à destination de Saint-Pétersbourg
La Russie est aussi dans le collimateur de l’État islamique REUTERS
Les attentats de Paris et l’explosion de l’Airbus A321 dans le Sinaï devraient déboucher sur une convergence des efforts de Paris et de Moscou contre les menaces de l’organisation terroriste. Le point sur la situation en Russie. ALEXEÏ TIMOFEÏTCHEV RBTH
Le 12 novembre, l’État islamique (EI, organisation terroriste interdite en Russie) a publié une vidéo dans laquelle il avertit la Russie. Très bientôt, le sang coulera à flot, dit le message chanté en russe. Les experts estiment que l’EI présente une menace réelle pour la Russie, mais appellent à ne pas la surestimer, même après les événements tragiques récents.
Talons d’Achille éventuels Les observateurs soulignent deux « talons d’Achille » dans la sécurité du pays. Depuis le conflit tchétchène au début des années 1990, le Caucase du Nord est la région russe la plus instable. Pour les experts, les liens entre l’EI et les commandos caucasiens sont évidents. Il y a environ un an, les terroristes de l’EI ont déclaré leur intention de « libérer » cette région, notamment la Tchétchénie, pour y créer un « califat islamique ». Aujourd’hui, « même les dirigeants des petites bandes du Caucase russe ont fait allégeance à l’EI », confirme Sergueï Gontcharov, président de l’Association des anciens combattants de l’unité antiterroriste d’élite Alfa. Cependant, les forces de l’ordre maîtrisent assez efficacement les extrémistes dans la région dotée d’un système de lutte anti-terroriste. Ivan Konovalov, directeur du Centre de la conjoncture stratégique, souligne qu’aucun attentat n’a été commis depuis près de deux ans au Daghestan, l’une des républiques les plus instables du Caucase russe jusqu’à une époque récente. Il précise que les services spéciaux et les dirigeants de chaque république travaillent à la prévention des attentats. « L’EI comprend que s’il tente une opération d’envergure, il sera immédiatement mis sous pression par les autorités locales », commente l’analyste. Les frontières Sud du pays sont un autre point faible de la Russie pour de nombreux experts. M. Gontcharov explique que les services de sécurité et le contrôle aux frontières dans des pays comme le Turkménistan et l’Ouzbékistan laissent à désirer : « les terroristes pourraient facilement pénétrer dans notre pays ». Pour autant, la situation n’est pas alarmante. La Russie n’a pas de frontière directe avec ces pays, alors que la frontière la plus longue, celle avec le Kazakhstan, est contrôlée. Par ailleurs, avant de rejoindre l’Asie centrale, les combattants devront traverser la Turquie, l’Arménie et la Géorgie, « ce qui n’est pas aussi simple que l’on pourrait croire », estime Alexeï Fenenko, de l’Institut des problèmes de sécurité internationale de l’Académie des sciences de Russie.
Les aéroports, les gares et les centrales nucléaires… Une attention particulière est actuellement accordée par les forces de l’ordre aux grandes villes de la partie européenne de la Russie. Ce sont elles qui pourraient être ciblées en premier lieu par les islamistes cherchant à donner la plus grande résonance à leurs actions, indiquent les spécialistes. Les points les plus vulnérables dans les villes sont les
transports publics, les gares et les aéroports. Les extrémistes pourraient également s’attaquer aux oléoducs et gazoducs, à toutes sortes d’entrepôts et aux centrales nucléaires. Pour prévenir les attaques, les services spéciaux se concentreront pour l’instant sur l’identification des cellules terroristes et des centres de recrutement. Le travail de renseignement sera renforcé, estiment les observateurs. Il est en outre essentiel d’accentuer les contrôles des migrants. La Russie accueille de nombreux ressortissants des pays d’Asie centrale – 3,6 millions en 2014, selon le Service fédéral des migrations. Certains d’entre eux pourraient être liés à l’EI. « L’objectif sera d’identifier les personnes suspectes en amont, dès les premières étapes », précise Mikhaïl Alexandrov, du Centre de l’analyse militaire et politique. Par ailleurs, le cas récent deVarvara Karaoulova, étudiante dans une des meilleures universités de Russie et accusée d’avoir tenté de rejoindre les rangs de l’EI, prouve que les partisans des extrémistes peuvent se recruter dans un environnement social inattendu – dans la capitale prospère de la Russie, plutôt que dans le Caucase du Nord instable. « Nous avons une expérience suffisante
Un vibrant hommage Les fleurs, bougies et icônes disposées avec soin aux abords de l’ambassade de France à Moscou constituaient une pile impressionnante de sept à dix mètres de longueur et quatre à cinq m de largeur. Les Moscovites ont affiché leur solidarité dans des messages écrits à la main : « Prions pour la France », « Non à la guerre », « Je suis Paris », « Sois fort, Paris, la Russie sera toujours proche de toi ».
pour répondre à ces défis et menaces », indique le ministre russe de l’Intérieur, Vladimir Kolokoltsev. Les experts confirment que les services spéciaux du pays sont assez bien préparés pour les missions anti-terroristes. Leurs méthodes diffèrent de celles employées par les services spéciaux occidentaux. Plus précisément, les forces de l’ordre russes passent plus de temps sur le terrain, dans les « points chauds », tandis que les Américains, par exemple, « sont trop friands de technologies », selon Ivan Konovalov.
La Russie a confirmé mardi 17 novembre que le crash de l’A321 dans le Sinaï égyptien, qui a fait 224 morts le 31 octobre, était un attentat. Sur la photo : épave de l’appareil.
Rapprochement avec la France Après les attentats tragiques récents, une collaboration dans la lutte anti-terroriste se dessine entre la France et la Russie. La visite cette semaine du président François Hollande à Moscou en est la preuve. Dans le contexte de sa rencontre avecVladimir Poutine, les experts attirent l’attention sur la réaction de la société et de la presse russes aux attaques du 13 novembre. Ivan Konovalov souligne que les Russes ont fait preuve de compassion malgré les différends qui, depuis un an et demi, définissent les relations entre la Russie et les pays occidentaux. La réaction de la société a été d’autant plus vive que la Russie a récemment été
En ligne
À Moscou, le vibrant hommage des Russes ordinaires fr.rbth.com/540661
victime, elle aussi, d’un attentat islamiste contre l’Airbus dans le Sinaï, rappelle l’analyste.
Une menace extérieure plus qu’intérieure Les experts appellent à ne pas surestimer l’ampleur de la menace que présente l’EI. Ils précisent que, pour cette organisation terroriste, la Russie représente le contraire d’un adversaire commode. Les islamistes ne peuvent compter sur un réel soutien complice à l’intérieur du pays, tout en étant assurés que toutes les forces de l’ordre seront mobilisées pour les combattre. À ce titre, ce n’est pas un hasard s’ils ont frappé la Russie hors de ses frontières en s’attaquant à un avion en Égypte. Toutefois, de nouvelles attaques de ce type ne peuvent être exclues. Par ailleurs, Alexeï Fenenko estime que les principaux dangers présentés par l’EI sont liés à l’éventuelle déstabilisation de la Turquie, qui, à son tour, déstabiliserait l’ensemble du Caucase et renforcerait l’État islamique en Afghanistan. Dans ce dernier cas, une explosion est à craindre au Tadjikistan, qui garde encore des traces de la guerre civile sanglante du milieu des années 1990.
OPÉRATION MILITAIRE EN SYRIE La Russie a intensifié ses frappes contre les positions de l’État islamique
Une action efficace mais insuffisante La Russie a remporté quelques succès tactiques en Syrie. Toutefois, les ressources militaires actuellement engagées sont insuffisantes pour porter un coup sévère à l’État islamique, estiment les experts.
En chiffres
58
SERGUEÏ BALMASSOV POUR RBTH
Le 17 novembre, suite à la confirmation officielle de l’attentat contre l’avion А321, la Russie a fortement intensifié son activité en Syrie. Le nombre de bombardements menés par les forces aériennes russes a augmenté et la puissance de ces bombardements a doublé avec l’utilisation de missiles de croisière contre les terroristes de l’ État islamique (EI, organisation terroriste interdite en Russie) et, pour la première fois, le recours aux bombardiers stratégiques à long rayon d’action. Les frappes russes visaient les provinces d’Alep et de Deir ez-Zor, ainsi que Raqqa, la capitale non officielle de l’EI.
Renforcement des moyens ? Les experts émettent des avis globalement positifs sur la campagne des forces aériennes russes, précisant toutefois qu’elle reste d’une amplitude insuffisante pour causer des dommages sérieux au sein de l’EI. « Les actions de l’aviation militaire russe sont très efficaces, mais leur modeste intensité n’a permis de remporter que des succès tactiques », explique Konstantin Sivkov de l’Académie des problèmes géopolitiques et ancien chef de l’un des bureaux de l’état-major russe. « Cette situation témoigne de l’insuffisance des forces. Les dernières frappes menées par les missiles de croisière et les raids de l’aviation à long rayon d’action visent à remédier à cette situation ». M. Sivkov estime que pour porter un « coup véritablement mortel » à l’EI, Mos-
AP
Un avion de combat Sukhoï Su-30 russe sur la base militaire de Hmeimim (Lattaquié, Syrie).
cou devrait faire passer le nombre d’avions impliqués dans l’opération à 150200, au lieu des 95 actuels. L’opération russe contre l’EI en Syrie a commencé le 30 septembre. À ce jour, elle implique un groupe d’aviation mixte, posté sur la base aérienne de Hmeimim (ouest) et composé de 46 avions et 24 hélicoptères, ainsi que de 25 bombardiers stratégiques et 7 navires de combat affectés à la Marine russe qui effectuent des tirs de missiles depuis la mer Caspienne. Depuis le début de l’intervention, l’aviation russe a effectué plus de 1 600 missions contre des cibles terroristes. Les bases russes en Syrie sont couvertes par des moyens de défense aérienne, dont les systèmes de défense antimissile à courte portée Pantsyr-S1 et moyenne portée Buk-M2. Ils devraient dissuader les terroristes de tenter d’utiliser des avions civils, indique Saïd Aminov, rédacteur en chef de la revue Vestnik PVO, qui précise que ces armements ne constituent pas une menace pour l’aviation alliée des pays de l’OTAN. « Il n’y a pas de [systèmes de missiles sol-air, ndlr] S-400 sur ces bases. Nous en avons trop peu pour nous permettre de découvrir la Russie. Quant à la "découverte" de certains com-
Appareils russes, dont 12 avions d’attaque au sol Su-25SM, 12 bombardiers Su-24M, 6 bombardiers polyvalents Su34, 4 chasseurs Su-34SM et 24 hélicoptères étaient basés en Syrie au début de l’opération.
12 avions supplémentaires, dont 8 bombardiers polyvalents Su-34 et 4 chasseurs Su-27, ont été déployés en Syrie fin novembre.
posants des S-400 en Syrie, notamment la nouvelle station radar, celle-ci est autosuffisante et ne fait pas partie du S-400. Elle sert à rapidement détecter les cibles aériennes », explique-t-il.
En appui aux forces terrestres Alexandre Ermakov, expert militaire du Conseil russe des Affaires internationales, précise à son tour que grâce au soutien aérien russe, l’armée syrienne a pu passer à l’offensive. « Bien qu’elle [l’offensive, ndlr] soit plus lente que souhaité, la reconquête des territoires occupés par les terroristes inspire l’optimisme. Le Commandement de la Fédération de Russie estime que l’opération de l’armée syrienne au sol est globalement efficace, mais est quelque peu déçu par son rythme », nuance M. Ermakov. Konstantin Sivkov considère que pour réussir, l’opération doit impliquer « l’armée de terre iranienne, qui compte environ 100 000 à 120 000 hommes, mais aussi les forces aériennes ». Par ailleurs, « outre la Syrie, des frappes doivent être effectuées en Irak, afin d’empêcher l’ennemi de créer des "zones protégées" », affirme l’expert. Spécialiste de l’arabisme, le chercheur Dmitri Evstafiev estime qu’à ce stade, la campagne militaire russe ne vise pas à apporter un appui-feu direct aux troupes syriennes, mais à « permettre à [Bachar] el-Assad de souffler pour compléter, reformer et dûment préparer de nouvelles troupes et à contester la supériorité, désormais évidente, des combattants terroristes en matière de CCC (Command, Control, Communications). De ce point de vue, l’opération est tout à fait réussie. [...] Effectivement, ce serait bien de l’intensifier, du moins pour une courte période, mais ça, c’est une décision politique », conclut l’expert.
Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
Mercredi 25 novembre 2015
OPINIONS
INVERSION DES PRIORITÉS « L FEDOR LOUKIANOV POLITOLOGUE Président du Conseil pour la politique étrangère et la politique de défense
’année 2015 est marquée par une horrible symétrie : elle a commencé par un attentat contre le journal hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et elle finit par les récentes attaques de Paris, les plus tragiques de l’histoire du terrorisme en France. En somme, la France est habituée à la violence politique en tant que foyer de nombreuses révolutions, d’une décolonisation douloureuse, de mouvements gauchistes et de rébellions d’immigrants. Ce qui bouleverse aujourd’hui, c’est une misanthropie ouverte et démonstrative de « l’ennemi » : ni revendications, ni slogans, simplement des meurtres. Le terrorisme pur, uniquement pour semer la peur et briser la volonté. Mais, fait paradoxal, ces attentats s’inscrivent difficilement dans la notion de terrorisme qui, dès le début du XXIème siècle, s’est transformée en un cliché des plus répandus. George W. Bush, alors qu’il était à la Maison blanche, a tenté de rassembler la communauté internationale sous la bannière de la lutte contre « le terrorisme international », ce dernier devant remplacer le rôle de mal universel que jouait le communisme soviétique. Ce fut un échec, car il s’est rapidement avéré que cette notion recouvrait différentes formes de terrorisme, chacune ayant ses racines et ses causes. Identiques en apparence, elles sont le produit de la mondialisation et de l’ouverture dans le domaine de la communication, qui permet aux extrémistes sur différents continents de se copier les uns les autres sans jamais se parler. En d’autres termes, il n’existe pas de moyen commun de venir à bout du terrorisme, ce qui signifie qu’il ne peut y avoir de « coalition mondiale ». Ce qui se passe aujourd’hui ne peut sans
doute pas être qualifié de terrorisme au sens propre du mot. Le groupe extrémiste État islamique [EI, interdit en Russie, ndlr], est le symptôme d’une fracture systémique au Proche-Orient. La région se transforme en un énorme cratère qui ne cesse d’engloutir des pays et des populations entiers tout en crachant une lave mortelle. La question n’est plus vraiment de savoir s’il sera possible de vaincre l’EI et ses structures militaires grâce à des opérations armées, même menées en commun. Depuis l’expérience de la présence soviétique en Afghanistan jusqu’aux tentatives américaines en matière de reconstruction institutionnelle (« nation building »), que ce soit en Afghanistan, en Irak ou en Lybie, il est évident que les victoires militaires ne solutionnent rien. La recomposition d’un État est un objectif quasiment impossible à réaliser pour les acteurs internationaux. Et voici que fleurissent, sur les ruines des systèmes étatiques précédents, les formes les plus archaïques d’organisation de la vie politique. Toutefois, ce n’est pas en édifiant des murs et des barrières qu’on s’en mettra à l’abri. L’effondrement proche-oriental engendre une nouvelle grande migration qui enraye la machine politique européenne. Le problème majeur, c’ est la divergence des trajectoires entre les États et les sociétés. À la tragédie de Charlie Hebdo, les Français ont répondu par une manifestation de solidarité et d’union, concrétisée par une marche contre la xénophobie qui a rassemblé des millions de personnes. Ceux qui quittaient vendredi 13 novembre le Stade de France ciblé par les terroristes, ont entonné La Marseillaise spontanément. C’était impressionnant
En élargissant l’espace de sécurité au détriment de l’espace de liberté, le 13 novembre est de nature à légitimer la droitisation latente »
5
et cela prouve que la société réalise tout le sérieux du moment sans pour autant désespérer. Mais elle attend de l’État qu’il la défende et la protège. Avec ce « vendredi noir », le Rubicon est vraisemblablement franchi. Tout comme le 11 septembre 2001 a marqué un tournant de la politique américaine vers la sécurisation en élargissant l’espace de sécurité au détriment de celui de liberté, le 13 novembre 2015 est en mesure de « légitimer » la droitisation latente de la politique européenne. Peu importe le nombre de voix que totaliseront les partis de droite, car dans la situation actuelle, c’est l’électorat modéré qui se déplacera vers la droite. Ce qui se répercutera inévitablement sur la structure et l’évolution de l’Union européenne. L’afflux de réfugiés l’été et l’automne derniers a fait apparaître des lézardes sur l’axe nord-sud et encore plus sur l’axe est-ouest. On a constaté avec étonnement qu’il n’existait pas de politique commune sur la migration, l’un des problèmes les plus aigus qui inquiètent la société, même si dans
d’autres domaines, l’uniformisation et l’harmonisation ont permis de faire de grands progrès. L’incompréhension des Européens ordinaires à l’égard des tâches et des objectifs de la structure toujours plus complexe de l’UE n’a fait que croître, ce qui était déjà le cas. Les électeurs en étaient restés à des notions nationales, tandis que les élites raisonnaient au niveau paneuropéen et surtout dans la logique administrative et bureaucratique propre à la Commission européenne. Jusqu’à un moment donné, il était possible de concilier les deux. Mais l’horreur de la vague de violences qui a déferlé sur Paris risque de bouleverser définitivement les priorités. Et dans ce cas-là, ou bien les politiques devront amorcer un tournant à droite, pour tenir compte des aspirations et des préoccupations de la société, ou bien les idéaux d’intégration devront être imposés de force, ce qui signifiera un recul par rapport au paradigme démocratique existant jusqu’ici.
de troupes russes dans ce pays. Un front anti-terroriste commun ne se profile pas non plus. Mais la coordination des opérations entre Moscou et l’Occident deviendra plus étroite après les attentats de Paris et le sommet du G20 en Turquie, où le dossier a été examiné dans un contexte qualitativement nouveau. À la lumière des nouveaux dangers dont l’Occident et la Russie ont pris conscience, leurs relations sont aujourd’hui meilleures qu’elles ne l’avaient été il y a un an. Ainsi, Moscou intensifiera ses frappes contre les positions de l’EI tout en s’abstenant de coups contre les forces qui constituent pour l’Occident la fameuse « opposition modérée ».Toutefois, la Russie n’a pas réussi pour l’instant à obtenir de la part de l’Occident la liste des sites contrôlés par les groupes qu’il considère comme « modérés » afin de ne pas les bombarder. Ce qui témoigne d’un niveau extrêmement bas de confiance entre les parties. Pour autant, la coordination devient d’ores et déjà plus étroite concernant ceux que les deux parties estiment nécessaire de frapper. La première preuve en est le coup porté contre la « capitale » de l’EI en Syrie, Raqqa, par les forces spatiales de Russie
immédiatement après la déclaration de Poutine sur la « punition ». Pour ce qui est d’une opération terrestre, certains experts estiment impossible de vaincre l’EI autrement, indiquant que les forces du président syrien Bachar el-Assad et des Kurdes sont insuffisantes, mais la situation est bien plus compliquée. L’EI, qui accorde une attention soutenue aux sourates de la période mecquoise dans sa propagande et son « idéologie », désire livrer « une dernière et décisive bataille » terrestre aux « forces de Rome », soit à l’Occident. Une bataille qui, selon une prophétie de l’islam, doit avoir lieu aux environs de la cité syrienne de Dabiq, proche de Raqqa. Si cette interprétation des intentions de l’EI est juste, les attaques de Paris et l’attentat contre l’Airbus russe sont un défi, une « invitation à la bataille » de la part des fanatiques. Si cette « invitation » reste sans réponse, il y en aura d’autres. C’est la confirmation que nous sommes confrontés aujourd’hui au défi le plus sérieux lancé à la civilisation moderne par les fanatiques et les obscurantistes. Pour l’instant, l’examen de cette réponse est entravé par des débats sur des sujets qui, dans l’actuelle situation, sont tout à fait secondaires.
Article initialement publié sur le site de ROSSIYSKAYA GAZETA
FACE AU TERRORISME, UNE POSSIBLE UNION SACRÉE DMITRI DIVINE
A GUEORGUI BOVT POLITOLOGUE Rédacteur en chef du magazine Rousski mir
près la série d’attentats en France, la Russie et l’Occident sont contraints de reconnaître un fait : nous avons un ennemi commun, le terrorisme international, et tout spécialement l’État islamique [EI, interdit en Russie, ndlr]. Cet ennemi doit être vaincu par des efforts communs. Les autres désaccords doivent être repoussés au deuxième, voire au troisième plan. La Russie a déclaré que le crash de son Airbus A321 en Égypte avait été provoqué par un attentat à bord, ce qui permet au président du pays,Vladimir Poutine, d’affirmer, désormais devant l’Occident également, que « la cause des Russes en Syrie est juste ». La « vengeance » pour la disparition de 224 passagers de l’avion est devenue une affaire de principe nationale. Le président a promis de punir les criminels, en rappelant l’article 51 de la Charte de l’ONU qui prévoit « le droit naturel de légitime défense ». La Russie promet, pour la première fois de son histoire, une récompense de 50 millions de dollars pour des informations qui aideront à capturer les terroristes. Bien que Poutine ait évoqué avec prudence les notions de « vengeance » et de
« châtiment », son porte-parole, Dmitri Peskov, a été plus direct, en disant que les services secrets avaient reçu l’ordre précis d’« éliminer » tous ceux qui ont trait à cet attentat. Soit sans jugement. D’ailleurs, le rappel de l’article 51 et le ton du discours du président ont fait clairement comprendre à l’opinion russe que cette « punition » serait semblable à l’opération lancée par les services secrets israéliens qui avaient traqué dans différentes régions du monde et éliminé, sans complexités judiciaires, les terroristes palestiniens complices de la prise en otage et de la mort de sportifs israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. Quelles seront les conséquences de la reconnaissance officielle d’un attentat par Moscou ? Il est peu probable que la Russie décide de couper les liaisons aériennes avec les autres pays présentant une menace terroriste élevée. Bien que formulée par certains députés russes, j’estime que cette mesure extraordinaire ne serait prise que dans le cas où le danger terroriste monterait d’un cran. En ce qui concerne la Syrie, l’augmentation du nombre de frappes contre les terroristes ne débouchera pas sur une opération terrestre avec la participation
«
La coordination des opérations entre Moscou et l’Occident se fera plus étroite après les attentats de Paris et le sommet du G20 »
L E CO U R R I E R D E S L E C T E U R S , L E S O P I N I O N S O U D E SS I N S D E L A R U B R I Q U E “ O P I N I O N S ” P U B L I É S DA N S C E S U P P L É M E N T R E P R É S E N T E N T D I V E R S P O I N T S D E V U E E T N E R E F L È T E N T PA S N É C E S S A I R E M E N T L A P O S I T I O N D E L A R É D A C T I O N D E R U S S I A B E Y O N D T H E H E A D L I N E S O U D E R O S S I Y S K AYA G A Z E TA . MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : FR@RBTH.COM RUSSIA BEYOND THE HEADLINES EST PUBLIÉ PAR LE QUOTIDIEN RUSSE ROSSIYSKAYA GAZETA. LA RÉDACTION DU FIGARO N’EST PAS IMPLIQUÉE DANS SA PRODUCTION. LE FINANCEMENT DE RBTH PROVIENT DE LA PUBLICITÉ ET DU PARRAINAGE, AINSI QUE DES SUBVENTIONS DES AGENCES GOUVERNEMENTALES RUSSES. RBTH A UNE LIGNE ÉDITORIALE INDÉPENDANTE. SON OBJECTIF EST DE PRÉSENTER DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA RUSSIE ET LA PLACE DE CE PAYS DANS LE MONDE À TRAVERS UN CONTENU DE QUALITÉ. PUBLIÉ DEPUIS 2007, RBTH S’ENGAGE À MAINTENIR LE PLUS HAUT NIVEAU RÉDACTIONNEL POSSIBLE ET À PRÉSENTER LE MEILLEUR DE LA PRODUCTION JOURNALISTIQUE RUSSE AINSI QUE LES MEILLEURS TEXTES SUR LA RUSSIE. CE FAISANT, NOUS ESPÉRONS COMBLER UNE LACUNE IMPORTANTE DANS LA COUVERTURE MÉDIATIQUE INTERNATIONALE. POUR TOUTE QUESTION OU COMMENTAIRE SUR NOTRE STRUCTURE ACTIONNARIALE OU ÉDITORIALE, NOUS VOUS PRIONS DE NOUS CONTACTER PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE À L’ADRESSE FR@RBTH.COM. SITE INTERNET FR.RBTH.COM. TÉL. +7 (495) 7753114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), PAVEL GOLUB : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ADJOINT, VSEVOLOD PULYA : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, TATIANA CHRAMTCHENKO : RÉDACTRICE EXÉCUTIVE, FLORA MOUSSA : RÉDACTRICE EN CHEF, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, DIMITRI DE KOCHKO : CONSEILLER DE LA RÉDACTION, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, MILLA DOMOGATSKAÏA : DIRECTRICE DE LA MAQUETTE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREÏ ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@LEFIGARO.FR). EVGUENIA SHIPOVA : REPRÉSENTANTE À PARIS (E.SHIPOVA@RBTH.COM, 06 67 42 20 42 ) © COPYRIGHT 2015, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS. ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À FR@RBTH.COM OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 7753114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ILLUSTRATEURS. LES LETTRES DE LECTEURS SONT À ADRESSER PAR COURRIEL À FR@RBTH.COM OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). RUSSIA BEYOND THE HEADLINES N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS. RBTH ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE. CE SUPPLÉMENT A ÉTÉ ACHEVÉ LE 20 NOVEMBRE 2015
TRANSFORMER LES MONOLOGUES EN DIALOGUE Une édition analytique exclusivement focalisée sur les défis complexes et les perspectives des relations russos. américaines.
russia-direct.org/subscribe
Mercredi 25 novembre 2015
6
Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
ÉCONOMIE
PRODUITS PHARMACEUTIQUES Entrée en vigueur d’une mesure visant à diminuer radicalement les importations
Pour la fabrication maison des médicaments vitaux TASS
Le gouvernement russe entend promouvoir la fabrication locale des produits pharmaceutiques, ce qui joue en faveur des producteurs étrangers implantés en Russie. KIRA EGOROVA RBTH
En mai 2015, le premier ministre russe Dmitri Medvedev a demandé au gouvernement d’enclencher un processus de substitution aux importations dans le secteur pharmaceutique. Cette nouvelle politique devrait principalement jouer en faveur des sociétés étrangères qui disposent déjà d’unités de fabrication en Russie, pensent les acteurs du marché. « Pour les entreprises étrangères déjà implantées dans le pays, cela promet un retour sur investissement plus rapide, et celles qui n’ont pas encore d’usine en Russie vont être poussées à y relocaliser leur production », estimeViktor Dmitriev, directeur général de l’Association russe des producteurs pharmaceutiques (ARPP).
Une mesure qui devrait inciter les fabricants étrangers à produire en Russie et entraîner une baisse des prix d’achat
Aujourd’hui, pratiquement toutes les entreprises pharmaceutiques de renommée mondiale ont une représentation en Russie. En revanche, seules quelques-unes peuvent se vanter d’avoir des usines en province. C’est le cas de certains géants du marché comme le groupe français Sanofi, le suisse Novartis, AstraZeneca (Suède/Grande-Bretagne) et Novo Nordisk du Danemark.
Vers un rééquilibrage D’autres grands noms comme l’américain Pfizer et l’allemand Bayer cherchent depuis longtemps des partenaires russes par l’intermédiaire desquels ils pourraient localiser en partie ou totalement leur production. Les autorités russes ont fixé à 90% la part des médicaments « vitaux » et « importants » (ceux que le gouvernement achète dans le cadre des programmes sociaux) qui devraient être de production russe en 2018, contre 65% aujourd’hui.
En chiffres
90% des médicaments vitaux devront être produits en Russie en 2018, contre 65% aujourd’hui.
Selon le Service fédéral russe de la statistique Rosstat, la part des médicaments russes sur le marché national représente 55% de l’assortiment mais seulement 20% en valeur monétaire. Dans le même temps, la consommation de médicaments innovants sur le marché russe est constituée à 90% de produits importés.
Des retombées positives diverses Dans ces conditions, de telles mesures gouvernementales « vont inciter les producteurs étrangers à localiser leur production en Russie et mener à une baisse des prix d’achat et de vente des médicaments au détail », pense Viktor Dmitriev. « C’est un choix qui a déjà fait ses preuves au Japon, par exemple, pays qui a adopté ces mesures il y a plusieurs années. Et comme nous sommes actuellement sous le coup de sanctions, c’est la meilleure décision tant du point de vue politique qu’économique et réglementaire », commente-t-il.
Les sociétés étrangères qui produisent déjà en Russie envisagent de leur côté l’avenir avec confiance. « Nous voyons dans cette stratégie de substitution aux importations des possibilités supplémentaires d’étendre nos activités en Russie, en coopération avec les compagnies locales », estime Thibault Crosnier Leconte, directeur général de Sanofi Pasteur (filiale de Sanofi spécialisée dans les vaccins) en Russie. En particulier, le producteur français prévoit de lancer la production, en Russie, de son fameux vaccin pour les enfants dans les usines de la société russe Nanolek à Saint-Pétersbourg – les détails du contrats ont été fixés lors du Forum économique que cette ville avait accueilli en juin 2015. Aujourd’hui, un enfant sur huit en Russie est vacciné à l’aide d’un produit de Sanofi. « Cette localisation de la production a aussi des conséquences positives sur le plan social, dans la mesure où elle rendra nos vaccins accessibles à tous les enfants russes », ajoute M. Leconte. Sanofi Pasteur prévoit de lancer ce processus de localisation en 2016 en commençant par un transfert de savoir-faire et de systèmes de contrôle-qualité. Le transfert de technologies est prévu pour 2019. L’usine de Saint-Pétersbourg devrait produire jusqu’à 10 millions de doses chaque année, « ce qui permettra de satisfaire pleinement la demande de ce vaccin en Russie », affirme M. Leconte. La Russie est un marché attractif pour les sociétés pharmaceutiques étrangères qui produisent des médicaments par synthèse chimique, pense M. Dmitriev. « Nous avons la force de production et les cerveaux pour y arriver. De plus, les entreprises étrangères s’ouvrent, grâce à la Russie, des débouchés vers l’Union économique eurasiatique et la CEI [Communauté des États indépendants, ndlr] – un marché de 250 millions de personnes », ajoute-t-il. Malgré tout, de nombreuses sociétés étrangères spécialisées dans les biotechnologies pourraient y réfléchir à deux fois avant de s’implanter en Russie. « La production en elle-même est complexe, peut prendre des semaines, et le marché russe se révéler trop petit. Cela ne sera pas rentable pour tout le monde », conclut Viktor Dmitriev.
AGROALIMENTAIRE Des entrepreneurs russes se précipitent dans la brèche ouverte par l’embargo sur les aliments européens
Truffe de Crimée ou morille de Sibérie ? L’offre de qualité se développe rapidement, sans pour autant satisfaire pleinement – pour l’instant – l’immense appétit des Russes pour les ingrédients haut de gamme.
Les produits locaux cotés
TATIANA BAKOURSKAÏA RBTH
En 2013, Natalia Novitskaïa a monté sa propre entreprise et s’est lancée dans la culture de champignons rares. À la demande des restaurants moscovites, sa société, Russian Mushrooms, importait des champignons gastronomiques d’Europe et, parallèlement, mettait en place un réseau de cueilleurs en Russie. « Au départ, nous voulions nous spécialiser dans la truffe, dont il existe plus de dix sortes différentes, et en fournir la totalité à la restauration de Moscou », raconte Natalia, qui était autrefois directrice des ventes d’une maison d’édition. Ses projets ont changé en 2014 avec l’entrée en vigueur de l’embargo alimentaire. Il a fallu se réorienter entièrement vers la livraison de truffes noires de Crimée et de morilles coniques de Sibérie. Dans ce nouveau contexte, « notre clientèle s’est élargie, car les chefs se sont vus contraints de chercher des substituts », explique Natalia. L’embargo alimentaire a été un tour-
SERVICE DE PRESSE
L’entreprise de Natalia Novitskaïa alimente Moscou en truffes noires de Crimée.
nant pour de nombreuses petites et moyennes entreprises russes capables de répondre à la demande de produits de qualité qui s’était formée dans le pays. Les restaurateurs, les grossistes et les consommateurs se sont tournés vers les producteurs locaux en mesure de proposer une bonne alternative aux importations, allant de la viande et du lait aux produits gastronomiques. Les éleveurs sont gagnants. Selon l’indice national de production industrielle, au cours des neuf premiers mois de 2015, la production de viande en Russie a augmenté de 14% et celle de fromage de 23% par rapport à la même période de
Avec la dégringolade du rouble, les matières premières russes ont gagné en popularité chez les étrangers. Aujourd’hui, de très nombreux agents d’achat arpentent la Sibérie et la région du lac Valdaï (oblast de Novgorod), indique Natalia Novitskaïa, directrice générale de Russian Mushrooms. « Des Chinois et des Turcs, des Allemands comme des Français arrivent et rachètent tout, peu importe le prix », précise la dirigeante d’entreprise.
Découvrez notre projet spécial
Cap sur le marché russe Un guide du monde des affaires franco-russe, où des entrepreneurs français vous dévoilent les détails du climat économique et partagent leur expérience de l’activité commerciale en Russie.
l’année précédente. Ces nouvelles conditions ont nettement profité aux secteurs agraires en vogue, tels que les fermes écologiques. « Le volume des ventes de viande et de lait de notre ferme a augmenté de 35 à 40% cette année », affirme Elena Boutko, gérante du projet TsarPripas, marque commerciale de la ferme écologique Zaretchié située près de Moscou. « Nous attribuons cette croissance à deux facteurs : la diminution de l’offre et l’intérêt grandissant pour les produits écolo ». Zaretchié a ouvert en 2011 et, depuis, est devenue la plus grande ferme écologique en Russie. L’exploitation s’étend sur cinq hectares et compte 3 000 têtes de bétail (dont la race bovine AberdeenAngus, célèbre pour sa viande marbrée) et 5 000 volailles, dont les traditionnels canards, poules et oies, mais également des dindes et des cailles. La ferme envisage un service de livraison de viande dans les restaurants moscovites.
Fromages et charcuterie : le défi La chute brutale du rouble fin 2014 a obligé les restaurants moscovites à économiser sur les fournitures. Les champignons rares onéreux ont été abandonnés en premier dans tous les cas. « Avant la dévaluation du rouble, nous vendions en moyenne 10 kg de truffes
par semaine ; aujourd’hui, au mieux, on est à 2 kg », dit Natalia Novitskaïa. Pour pallier le ralentissement, il a fallu rechercher de nouvelles solutions. Russian Mushrooms a alors commencé à proposer aux restaurants des denrées moins coûteuses. « Notre succès du moment est la girolle noire, utilisée par tous les restaurants moscovites. Nous avons en outre inventé et lancé un nouveau produit – la pomme de pin salée et marinée », dit fièrement Natalia. Bien que l’embargo ait poussé les petites entreprises à activement remplacer les importations, la demande en faveur de certains types de produits n’est pas entièrement satisfaite. « La chose vraiment difficile à remplacer, ce sont les fromages et la charcuterie. Même si certains font des produits de qualité, les volumes restent trop modestes », estime Eldar Kibirov, copropriétaire du restaurant moscovite RED. Ainsi, au printemps 2015, la ferme Zaretchié a commencé à produire son propre jambon selon une procédure accélérée. Aujourd’hui, il se vend au détail sur Internet au prix de 280 roubles (4 euros) pour 100 gr. Un prix très raisonnable qui devrait séduire les palais frustrés par l’embargo. Et qui sait ? Un jour, peut-être, le jambon de Moscou sera-t-il prisé à l’étranger.
Mercredi 25 novembre 2015
Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
7
RÉGIONS VILLÉGIATURE Sports de montagne en toutes saisons sur les pentes d’un des sites les plus pittoresques du Caucase du Nord
Destination « la Suisse russe » Devenue célèbre grâce aux Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, Krasnaïa Poliana est une destination très prisée des touristes que la chute du rouble retient ou amène en Russie.
1
NADEJDA GREBENNIKOVA POUR RBTH
Plein à craquer, le train rouge vif Lastotchka (Hirondelle) quitte le quai de la dernière station de la côte pour prendre d’assaut la montagne. Le rapide monte facilement la pente, accélère sans bruit sur la voie construite spécialement pour les Jeux olympiques d’hiver de 2014 et met le cap sur Krasnaïa Poliana. Trois quarts d’heure après le départ de Sotchi, il arrive dans ce paradis montagnard des amateurs d’activités en plein air. Pressés par les guides locaux, les touristes se dispersent dans les trois stations de vacances : Gorki Gorod, Gazprom et Roza Khoutor. La terrasse d’observation offre une vue imprenable sur le réseau de pistes de ski, le centre de biathlon et le réseau de routes et d’hôtels des trois stations. On dirait une ville européenne – c’est du moins la façon dont s’imaginent la Suisse les Russes qui ne sont jamais allés dans ce pays. De décembre à mars, la foule de touristes y est très dense. Les restaurants dressent des listes de clients une semaine à l’avance, tandis que les hôtels affichent « Complet » plusieurs mois avant la haute saison. Toutefois, de mai à novembre, les hôtels de luxe restent vides, de même que leurs spas et centres de bien-être, leurs magnifiques restaurants, leurs pubs en vogue et leurs centres commerciaux avec salles de cinéma et parcs aquatiques. Les touristes estivaux sont des visiteurs d’un jour qui veulent se reposer à la montagne sans trop débourser.
GETTY IMAGES
2
3
Sentiers de montagne TASS(2)
1 - Des skieuses immortalisent l’instant avant la descente. 2 - Vue sur Krasnaïa Poliana. 3 - La station de ski Roza Khoutor.
En ligne
Les Solovki, un archipel de spiritualité dans le Grand Nord russe fr.rbth.com/483537
aujourd’hui, il n’est possible de s’y lancer qu’en compagnie d’un guide. Cependant, Krasnaïa Poliana accueille aussi ceux qui ne redoutent pas de malmener leurs pieds et leurs épaules sous le poids de leur sac à dos. Ils ne sont pas nombreux et dès qu’ils descendent du train, ils se dirigent vers le téléphérique de Gazprom. Cette station est limitrophe de la réserve du Caucase avec ses énormes étendues de forêts vierges et ses pâturages en haute montagne. C’est un territoire unique en son genre et l’une des plus grandes réserves de forêts en montagne d’Europe, dont la plus grande partie n’a jamais été touchée par l’activité de l’homme. Il n’est pas rare d’y rencontrer, même sur des itinéraires populaires et dans des stations touristiques fréquentées, des animaux sauvages, des lièvres et des écureuils mais aussi des chamois et des ours. Cette année, les randonnées dans la réserve sont devenues tellement populaires que des refuges ont été ouverts pour les marcheurs « du dimanche ». Désormais,
il est possible de partir en montagne muni de son seul porte-monnaie.
Eldorado des skieurs Olga et Anatoli Sidorov sont venus de la région de Mourmansk (nord-ouest de la Russie). Cette année, ils font partie des « touristes paresseux » : ils seront bientôt parents et ne sont pas venus pour faire du sport. D’un œil incrédule ils scrutent les environs, suspendus au-dessus des pistes sans neige sur leur télésiège. S’ils sont satisfaits de leur séjour, ils reviendront en hiver. « Nous faisons du ski et du surf des neiges depuis plusieurs années tant à Khibiny où nous habitons qu’en Finlande voisine », raconte le couple. Mais après la chute du rouble, les voyages à l’étranger sont devenus trop chers, ce qui a amené ces amateurs de sports d’hiver à Krasnaïa Poliana. « Nous avons testé les télésièges. Ils sont confortables et montent assez vite, ce qui signifie des files d’attente pas trop longues, poursuivent les époux. Les pistes
semblent intéressantes et très diversifiées ». Au sommet des montagnes, à une altitude d’environ 2 300 mètres, l’automne règne en maître. Le soleil éblouit, mais ne réchauffe presque plus et les visiteurs remettent leurs écharpes et leurs capuchons pour se protéger du vent violent. Comme c’est souvent le cas à la montagne, le temps se détériore en l’espace de quelques minutes, un front orageux arrivant du nord. Le ciel noir est déchiré par des éclairs et l’écho du tonnerre résonne sur les rochers. Les touristes s’empressent de prendre les derniers selfies sur fond de trombes d’eau et retournent en courant au téléphérique. Plus le temps dans les montagnes se dégrade, plus les sportifs sont heureux, car l’humidité et le froid sont pour eux les précurseurs des chutes de neige à venir. Encore quelques jours et les pentes se couvriront d’une épaisse couche de poudreuse, réveillant Krasnaïa Poliana de son songe d’été et la plongeant dans le tourbillon touristique d’hiver.
Où se restaurer L’auberge Trikoni propose une cuisine caucasienne et européenne à des prix raisonnables (environ 30€ par personne). Elle a obtenu le Certificat d’excellence de TripAdvisor.
ad
Homme assez jeune au corps musclé et au regard perçant,Vatchagan Assatrian, originaire de Guelendjik (200 km de Sotchi), rêve de déménager dans les montagnes. Pour le moment, il hésite entre Krasnaïa Poliana et la Suisse. Vatchagan est un grand amateur de randonnées périlleuses. « C’est la première fois que je viens à Roza Khoutor. J’essaie de repérer les sentiers pour monter à pied. Je veux demander l’aide d’un guide local parce qu’hier, à la station voisine de Gorki Gorod, je n’ai pas pu trouver le chemin pour redescendre », raconte-t-il. Roza Khoutor et Gorki Gorod, situées sur la même crête, sont réputées pour offrir des vues à vous couper le souffle. Elles attirent surtout les amateurs de promenades tranquilles. Un selfie dans une cabine du téléphérique constitue la distraction favorite des visiteurs de ces stations. Les touristes plus audacieux peuvent emprunter des itinéraires menant à des sommets aux appellations un peu gothiques, telles que Pyramide noire ou Poteau de pierre. Il y a cinq ans, ces sentiers étaient accessibles à tous, mais
7
La Foire des régions de Russie : cadeaux de Noël, souvenirs, sucreries toutes les couleurs de la saison venues des quatre coins du pays.
T R AV E L 2 M O S C O W. C O M
an
lu la
e
èg
e
du
Patinoire ouverte, entrée libre. Tous les soirs, les visiteurs pourront admirer le ballet sur glace « Le Lac des Cygnes ».
Exposition-marché de Noël en forme de carte de la Russie. Au centre, un sapin de Noël de 17 mètres brille de tous ses feux. Un manège animé.
de
6
ac
e
Pl
ac
M
Pl
1
Ré
Okhotny Ryad
Les principales manifestations se dérouleront dans le « Triangle d’or » : Place du Manège - Rue Okhotny Ryad - Place de la Révolution.
La plus grande boule de Noël du pays. À l’intérieur de cette gigantesque décoration d’un diamètre de 17 mètres, un spectacle multimédia vous attend.
vo
5
Durant les fêtes de la fin d’année, le centre de la capitale russe se transforme en un gigantesque royaume enchanté. Du 18 décembre au 10 janvier, la fête ne cesse pas une seconde. Cet hiver, Moscou accueille le festival Voyage dans le monde de Noël. À cette occasion, 36 emplacements festifs vont garnir la carte de la ville. Les visiteurs pourront assister à des pièces de théâtre, flaner sur des marchés animés et faire des découvertes gastronomiques typiques.
8
ti
Hô
on
te
Ru
lM
e
os
O
kv
kh
a
ot
ny
Ry
9
La plus grande piste de luge de Russie : 7 mètres de hauteur, 100 mètres de longueur. Laissezvous porter par le vent !
3
Place de la Révolution
2 4
Restaurant central pour enfants Le plus grand magasin Autour de la de Noël patinoire, une zone du pays restauration : des plats appétissants pour tous les goûts.
Mercredi 25 novembre 2015
8
Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
CULTURE
ART NUMÉRIQUE Au service de la planète bleue
Olga Kisseleva, une artiste russe engagée pour le climat La COP21 s’annonce aussi comme une plateforme de mobilisation artistique dont le but est d’appréhender la complexité des défis climatiques via des approches créatives. ELLÉA TCHETOV POUR RBTH
Invitée sur les Berges de Seine dans le cadre d’ArtCOP21, un programme-relais des meilleures initiatives culturelles visant à sensibiliser sur le climat en marge du sommet de l’ONU, Olga Kisseleva porte une réflexion moderne sur les enjeux climatiques et les problématiques liées à l’espace urbain.
Un code-barres géant pour « naviguer » dans tout Paris L’artiste russe a imaginé Urban DataScape, une installation multimédia interactive qui oscille entre le réel et le virtuel. Conçue en forme de code Datamatrix monumental, l’ œuvre permet, une fois scannée via un smartphone, de se connecter à une sorte de « paysage des données » offrant aux promeneurs la possibilité de naviguer virtuellement dans tout Paris. Pionnière dans cette dimension de l’art numérique, Olga Kisseleva explore ici le « langage parisien », au travers des couleurs et codes artistiques de la ville. Composée de cubes en bois recyclés, l’œuvre est un clin d’œil aux impressionnistes, et pas seulement parce qu’elle est exposée à côté du Musée
ARCHIVES PERSONNELES(2)
Info pratique
BIOGRAPHIE
Pour retrouver Urban DataScape, rendez-vous sur les Berges de Seine, à proximité du pont de la Concorde (arrêt bus et RER C “Musée d’Orsay”). Du 4 au 10 décembre, l’œuvre sera présentée au Grand Palais dans le cadre de l’exposition Solutions COP21.
Olga Kisseleva d’Orsay. Les pixels de bois en exposition sont une version moderne du pointillisme, courant artistique issu du néoimpressionnisme.
Questionnement urbain et art militant Grâce à des onglets qui permettent de trier les diverses informations (historiques, écologiques, économiques) en trois volets, Paris, Monde et Web, l’œuvre-application devient autant un champ de connaissances qu’un espace de questionnement sur la multiplication des données informatiques, leur fonction et la place de l’art dans le monde d’aujourd’hui. « Les données dévoilées sont reliées aux thématiques de la COP21 : on y retrouve des informations réelles sur le climat, l’écologie, la qualité de l’air et de l’eau et les émissions de CO2 en temps réel,
Diplômée de l’Académie d’art et d’industrie Stiglitz de SaintPéterbourg, elle s’installe en France au milieu des années 1990. Maître de conférences à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, elle est fondatrice du laboratoire Art & Science qui joue un rôle pionnier dans le domaine de la création contemporaine et de la recherche.
explique Olga Kisseleva. L’objet dans sa fonction représente, au-delà de sa présence plastique, un labyrinthe symbolique. Or, le rôle de l’art dans la société est de nous faire sortir de ce labyrinthe ». À la fois ludique et visuelle, l’installation est une « pièce militante » qui a pour rôle de sensibiliser la population aux enjeux climatiques et environnementaux. L’artiste ne doute pas d’avoir choisi la bonne méthode pour favoriser une prise de conscience du public. « Le langage numérique que j’utilise est aussi celui que tout le monde parle au quotidien », précise-t-elle à RBTH.
Derrière le numérique, l’humain Ce qui intéresse Olga Kisseleva et qui se reflète dans ses œuvres, ce sont les problématiques auxquelles est confrontée la société. L’environnement, les nouvelles technologies et leur impact, mais aussi l’histoire et les sciences sont autant de préoccupations contemporaines dont elle s’empare. Dans sa démarche et sa quête artistiques, elle expérimente beaucoup, en
repoussant les limites qui séparent l’art de représentations purement matérielles. Ayant choisi de s’exprimer à travers des installations interactives où l’inspiration se nourrit des médias et de la science, Olga Kisseleva dispose d’une palette très variée faisant notamment appel à l’Internet, la réalité virtuelle et d’autres techniques de communication. L’artiste explique ainsi son choix : « avec les nouveaux outils qu’il a acquis, l’homme a accéléré le processus évolutif dans de nombreux domaines, notamment celui de la destruction de la nature. Mais dans le même temps, ces mêmes outils nous permettent de déployer notre intelligence pour repenser notre relation à la nature et la reconstruire ». Une démarche artistique à la fois scientifique et intuitive, qui s’aventure au-delà d’une pensée binaire. Olga Kisseleva expose régulièrement en France et Russie. Sa prochaine exposition, Self Organisation, explorera le monde de l’après-pétrole. Elle sera présentée en décembre au musée d’art contemporain Garage, à Moscou.
CINÉMA
Perles du nouveau cinéma russe à Honfleur Le programme du Festival de Honfleur reflète les tendances du cinéma russe tel qu’il a évolué en 2015 : il rajeunit et voit arriver de plus en plus de débutants, tandis que l’initiative dans la réalisation de films d’auteur revient souvent aux femmes. Si la production nationale récente ne compte pas de chef d’œuvre, Honfleur affiche plusieurs films sincères et intelligents sur les grands problèmes de nos jours. Des dix réalisations en compétition, six sont l’œuvre de jeunes cinéastes qui se lancent dans l’exploration artistique, mais n’oublient pas de traduire les intérêts de la génération qui a grandi en Russie post-soviétique. Le problème de la migration clandestine, qui inquiète aujourd’hui l’Europe et la Russie, chamboule l’âme, tel un cri de détresse, dans le film de la néophyte Daria Poltoratskaya, Adieu Moskwabad. Il étale au grand jour l’insupportable climat d’humiliation que
Dans le cadre du Festival du cinéma russe de Honfleur, la Galerie Danielle Bourdette (5 quai Saint-Étienne) accueille une exposition photo de Georgy Rozov, Le Métro de Moscou.
subissent les Tadjiks à la recherche, dans un Moscou morose, d’un abri et d’un salaire. Le sujet des travailleurs migrants, ces gens d’autres religions ou d’autres traditions qui changent l’image culturelle du pays, est l’un des plus débattus en Russie, ce qui explique son intérêt pour les jeunes réalisateurs. Dans les films Foyer, doux foyer d’Alexandre Bassov, Elle de Larissa Sadilova et Norveg d’Aliona Zvantsova (ce dernier est en compétition), il est examiné du point de vue des « intrus » traités par les autochtones comme des sous-hommes. Autre nom du nouveau cinéma russe, celui deVictor Dement, réalisateur de La Trouvaille, qui, tout comme Léviathan d’Andreï Zviaguintsev et Les Nuits blanches du facteur Alexeï Triapitsyne d’Andreï Kontchalovsky, traduit un sentiment d’isolement dans l’air raréfié d’un pays gigantesque. Le film nous reporte dans une région du Grand Nord dont le silence menaçant est très bien reproduit
par le directeur de la photographie, Andreï Naïdionov. Le héros, un garde-pêche, est l’unique représentant du pouvoir dans une petite localité dont il dicte les règles qui en régissent la vie selon son idée de la loi et de la morale. Ce drame est celui d’un homme qui ne trouve plus sa place dans la société, mais qui, tentant de sauver un enfant abandonné dans la forêt, change d’attitude envers ses semblables. Frère Deyan, de Bakour Bakouradzé, exigera du spectateur de savoir lire les nuances jusque dans le silence de l’image : c’est du cinéma d’auteur, un monde où l’on entre lentement et difficilement. Il n’est pas donné au spectateur de comprendre immédiatement qu’il a affaire à un drame concernant un tyran jadis tout puissant qui décidait du sort de populations et d’entités étatiques entières, mais qui aujourd’hui est un vieillard poltron redoutant la vengeance. Le film est basé sur l’histoire du général serbe Ratko Mladic ac-
EN LIGNE
Entretien avec le président du jury, Stéphane Freiss fr.rbth.com/533767
cusé de génocide, qui a réussi à échapper à la justice pendant quinze ans. Parmi les réalisateurs connus : Alexandre Kott, dont le drame Insight a été primé aux festivals de Berlin et de Tokyo. Le film illustre une tendance nouvelle pour le cinéma russe puisqu’il s’intéresse, une fois n’est pas coutume, au sort des handicapés. La fantasmagorie Orléans d’Alexeï Prochkine, dans la catégorie Hommages, met en scène le Diable, véritable exécuteur dans une ville de province peuplée d’habitants malhonnêtes. De cette tragi-comédie, tournée d’après le scénario du maître de la dramaturgie russe Iouri Arabov, il est très facile de tirer un parallèle avec le roman de Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite. Pour nombre de films actuels, des festivals comme celui de Honfleur figurent parmi les rares moyens de se frayer un chemin vers le spectateur exigeant. La Russie voit certes rajeunir son cinéma, mais aussi son public qui place trop souvent, hélas, les films au niveau d’une bouteille de Pepsi et d’un paquet de pop-corn. VALERY KITCHINE, POUR RBTH