JEUDI 7 MAI 2015 Distribué avec
Ce cahier de quatre pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta, qui assume l’entière responsabilité se son contenu PA R M I L E S A U T R E S PA R T E N A I R E S D E D I S T R I B U T I O N : T H E D A I LY T E L E G R A P H , T H E N E W YO R K T I M E S , L E F I G A R O , L A R E P U B B L I C A E TC .
ANALYSE Le Kremlin s’inquiète de falsifications de l’histoire, mais les experts sont divisés
70ème anniversaire de la Victoire : la bataille pour l’histoire
En juin 1945, l’URSS et ses alliés célèbraient la victoire sur l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Alors que l’on s’apprête à en commémorer le 70ème anniversaire, il convient de rappeler le bilan sans précédent d’un conflit qui fit 50 millions de morts. Outre ce chiffre astronomique et terrifiant, la Seconde Guerre mondiale a laissé derrière elle des centaines de millions de témoins à travers le monde, dont chacun garde des souvenirs singuliers. Les témoignages de cette guerre, notamment les souvenirs d’anciens combattants ou des récits relatant l’expérience d’enfants emportés dans la tourmente, ont inspiré à RBTH l’idée de lancer le projet « La guerre méconnue ».
Nous vous invitons à le découvrir dans les pages de ce numéro spécial, mais aussi sur notre site Web : LAGUERREMECONNUE. LU.RBTH.COM
À la veille du 9 mai, des appels retentissent à nouveau en Russie pour la résistance à la falsification de l’histoire. ALEXEÏ TIMOFEÏTCHEV RBTH
l’Allemagne et de l’Ukraine » pendant les années de guerre. D’autres paroles remarquées sont venues du président de l’Ukraine Petro Porochenko, déclarant que « Hitler et Staline ont déclenché la boucherie sanglante de la Seconde Guerre mondiale » en tentant de « briser et partager l’Europe ». La position des autorités russes à propos de telles déclarations a été exprimée par le président Vladimir Poutine lors d’une réunion du
comité d’organisation des célébrations des 70 ans de la victoire. Il a dénoncé des « tentatives de détourner, de falsifier les évènements de cette guerre », et des tentatives de « saper la force et l’autorité morale de la Russie contemporaine, de la priver de son statut de pays victorieux », afin « d’utiliser des spéculations historiques dans des jeux géopolitiques ». SUITE EN PAGE 2
FOTOSOYUZ/VOSTOCK-PHOTO
Les autorités russes affirment haut et fort l’importance de préserver la vérité historique sur les tenants et aboutissants de la Seconde Guerre mondiale, qui est appelée en Russie la Grande Guerre patriotique. Très irrités, les officiels russes
disent répondre à des déclarations faites dans les pays voisins de la Russie à propos du rôle de l’Union soviétique dans la victoire sur l’Allemagne nazie. Les mots du ministre polonais des Affaires étrangères Grzegorz Schetyna ont eu un grand écho en Russie, lorsqu’il a déclaré que le camp de concentration d’Auschwitz avait été libéré par des Ukrainiens, ainsi que ceux du premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk, parlant de « l’invasion soviétique de
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1945-2015
ANALYSE ASSISTE-T-ON À UNE TENTATIVE DE CERTAINS ÉTATS D’ALTÉRER LA MANIÈRE DONT L’HISTOIRE EST RACONTÉE ?
70 ANS APRÈS : UNE BATAILLE POUR L’HISTOIRE
SERGUEÏ LARENKOV(2)
LA SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
La réaction des autorités russes et d’une part significative de la société à des déclarations abruptes concernant le rôle de l’URSS dans la guerre s’explique par le caractère extraordinairement sensible de ce thème.
« Formules émotionnelles » Parallèlement, les historiens russes ne sont pas tous d’accord avec cette démarche. L’historien du centre de défense des droits de l’homme Memorial Nikita Petrov considère que le problème ne se pose pas de la façon dont le formule Vladimir Poutine. « Je n’ai jamais vu dans une publication historique sérieuse, ou une déclaration officielle du Conseil européen, ou de leaders nationaux, de falsifi cation de l’histoire. On en donne une appréciation qui nous déplait, mais ce n’est pas une falsification de l’histoire », déclare M. Petrov. Il appelle les mots des politiciens d’Europe de l’Est des « réserves », des « déclarations orales » et des « formules émotionnelles », que l’on ne doit pas prendre au sérieux car elles ne reflètent pas la position officielle des États qu’ils représentent. Selon Michael Carley, professeur d’histoire à l’Université de Montréal, il est indispensable de séparer clairement des opinions différentes sur un sujet donné parmi des historiens professionnels d’une manipulation de l’histoire
par des politiciens. Comme l’a dit Carley dans un entretien pour RBTH, les États-Unis, après 1945, sont rapidement devenus de plus en plus hostiles à l’égard de l’Union soviétique. Cela s’accommodait mal avec la sympathie qui existait dans la société américaine pour l’héroïsme et le sacrifice du peuple soviétique dans la lutte contre le fascisme. Cette sympathie provenait également de la conscience du fait que l’URSS, jusqu’au débarquement des forces alliées en Normandie en 1944, combattait pratiquement seule en Europe contre l’Allemagne. C’est pourquoi, selon l’historien, il était indispensable de faire en sorte que les Américains oublient l’apport décisif de Moscou dans la défaite des nazis. Les résultats de cette démarche sont encore visibles aujourd’hui, affirme Carley, quand la majorité des étudiants de son cours sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, à la question de qui avait apporté la plus grande contribution à la victoire contre le nazisme, nommaient les États-Unis, et non l’URSS. De nombreux historiens russes partagent l’avis de Carley, considérant que les questions historiques sont souvent utilisées dans les intérêts de la politique courante. L’historien et politologue de l’Université d’État de Moscou Dmitri Andreïev considère que la conjoncture politique contemporaine a conduit à « l’intensification des tentatives de nos opposants idéo-
Au coin d’une rue, un char surgit Dans les mains du pilote de navire Sergueï Larenkov, un appareil photo devient une machine à voyager dans le temps. Depuis six ans, il consacre tout son temps libre à réaliser des collages photographiques dans lesquels il relie les photos d’archives des villes russes et européennes prises pendant la guerre et les images contemporaines. Sergueï a réalisé un projet sur Moscou, Vienne, Prague, Berlin, Paris, la Normandie, Kiev, Odessa, Sébastopol, Kertch et bien d’autres. « Je suis moi-même fasciné à l’idée de pouvoir effleurer l’histoire, de montrer l’ampleur des guerres passées et leurs conséquences, de rendre hommage à l’héroïsme de notre peuple », raconte l’artiste.
En ligne
Découvrez plus de collages de Sergueï Larenkov sur lu.rbth.com/33455
logiques de réexaminer certains des faits établis de la Grande Guerre patriotique ». L’historien Alexandre Dioukov, dirigeant du fond Mémoire historique lie même les déclarations des dirigeants d’Europe de l’est avec la politique contemporaine et, en guise d’exemple de ce à quoi peut mener la manipulation de l’histoire, cite la situation en Ukraine. Auteur d’un livre sur les crimes antisémites des nationalistes ukrainiens durant la Seconde Guerre mondiale, Dioukov note qu’il existe en Ukraine une « glorification de l’ONU [Organisation des nationalistes ukrainiens] et de l’AIU [Armée insurrectionnelle ukrainienne]. On a nié que ces formations aient commis des crimes. On a dit qu’elles s’étaient battues pour ‘la vraie nation ukrai-
La réaction des autorités russes et d’une part significative de la société s’explique par le caractère sensible de ce thème »
nienne’ », a déclaré Dioukov. Selon lui, ce travail « de réécriture de l’histoire » dure plusieurs années et a conduit à une montée de l’intolérance dans la société. Les historiens ukrainiens voient les choses autrement. Selon nombre d’entre eux, l’AIU s’est battu à la fois contre les nazis et contre les communistes. Certains historiens russes reconnaissent ces faits, tout en soulignant la portée limitée de cette résistance. « Des affrontements ont pu avoir lieu en 1944, quand les Allemands se retirèrent de la rive droite du Dniepr. Dans d’autres cas, ils ont eu affaire à la police ou à des formations collaborationnistes, et combattaient contre les Polonais – ce qui donna lieu au Massacre de Volhynia », estime ainsi Boris Sokolov.
REPORTAGE Une archéologie de la bataille de Moscou
À la recherche des empreintes de la guerre Impressionné par l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, le photographe JS Cartier a entrepris un périple en Russie pour immortaliser les traces encore visibles de la bataille de Moscou. MARIA TCHOBANOV POUR RBTH
« Photographe des traces » serait une définition juste pour l’artiste francoaméricain JS Cartier. Âgé aujourd’hui de 82 ans, cet homme a entrepris dans le passé une série de voyages émouvants visant à immortaliser en photos des vestiges et des témoins de guerres. Après avoir mis près de douze ans sur son projet dédié à la Grande Guerre, Cartier, qui a passé son enfance sous l’occupation allemande, décide de réaliser un travail de mémoire sur la Seconde Guerre mondiale. Le conflit sur le front de l’Est fascine JS Cartier depuis son enfance. Il se souvient que les médias français étaient obnubilés par la guerre entre l’Allemagne et l’URSS. « C’était quelque chose de mythique, d’impressionnant, on imaginait une bataille de Titans, d’un côté des ‘rouges’, communistes, de l’autre – la force invincible des Allemands. Les
Sur les traces de la guerre Biographie
JS Cartier Né en 1932 à Paris, il étudiait à l’école Ruskin de dessin et beaux-arts (Oxford). Dans les années 1970, il entame sa carrière de photographe. En 2005, il est récompensé par l’Académie française pour son ouvrage Traces de la Grande Guerre, Les vestiges oubliés de la mer du Nord à la Suisse.
échos de ce choc titanesque se répercutaient dans la tête des spectateurs, que nous étions en France : je connaissais par cœur tous les noms de grandes batailles », raconte le photographe. Plusieurs décennies après, animé par cette passion, il décide de voir de ses propres yeux des empreintes de ce conflit. Il part en 2005 en Russie avec son inséparable chambre photographique 4X5 à la découverte de traces et de témoins de la bataille de Moscou, la première grande défaite de l’armée allemande.
Bien documenté et renseigné sur les lieux de déroulement des batailles, Cartier prépare soigneusement son itinéraire. Il passe par Istra, Rouza, Borodino, Volokolamsk, Zoubtsov, Viazma, Rjev – villes qui ont vécu des combats pour le contrôle de Moscou. Il cherche à repérer des empreintes de la guerre sur les murs des bâtiments, dans des paysages, sur les anciens champs de bataille, comme celles, restées de la Première Guerre mondiale en Europe. Cette tâche s’avère très compliquée, car après la guerre Joseph Staline a ordonné d’effacer complètement toutes ces traces. Heureusement, Cartier y rencontre des « poiskoviks », brigades de fouilleurs enthousiastes qui cherchent des restes de soldats qui gisent, un peu partout dans le sol russe.
Lorsque le passé se met à parler Au fur et à mesure de son voyage, il rencontre une multitude de témoins de la guerre. À Volokolamsk, JS Cartier visite la place où les nazis ont pendu des membres du Komsomol [organisation de la jeunesse communiste, ndlr]. Après que les Soviétiques aient libéré
Le photographe découvre que derrière le personnage clef de la propagande soviétique se cache une charmante jeune fille »
la ville, ils ont rependu les corps de ces jeunes pour qu’un reporter étranger prenne en photo cette preuve de l’atrocité nazie. Témoin de cet épisode tragique, la vieille Evdokia, trouve une place sur une des photos de Cartier. À Petrischevo, petit village aux allures tristes et pauvres, JS Cartier prend en photo deux fillettes souriantes qui papotent à côté du monument érigé à la mémoire de Zoïa Kosmodemianskaïa, torturée et tuée par les Allemands pour ses actes de sabotage. Dans un minuscule musée dédié à cette jeune martyre, le photographe découvre, très ému, que derrière ce personnage clef de la propagande soviétique se cache une charmante jeune fille, passionnée par la littératu re, la musique et la peinture. Tirés sur le papier, les clichés en noir et blanc immortalisent des moments vécus par JS Cartier au cours de ses deux déplacements en Russie. « Mon projet, c’était de faire quelque chose de précis, historiquement exact et en même temps émotionnellement très chargée. Je voulais essayer de démontrer l’inanité des guerres », dit l’artiste.
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DOSSIER SPÉCIAL
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ENTRETIEN avec un témoin direct de la guerre
Dans l’enfer de la guerre, avec une caméra pour toute arme
Ces héros inconnus : les « Sorcières de la nuit » aux trousses de l’aviation allemande
Dans un entretien accordé à Russia Beyond The Headlines, Boris Sokolov, un opérateur soviétique de 95 ans, relate la signature de l’Acte de capitulation de l’Allemagne nazie ainsi que son travail au front. MICHAIL BOLOTINE RBTH
Vous êtes-vous retrouvé au front dès le début de la guerre ? J’avais 21 ans en 1941. À cause de la guerre, nous avons abrégé nos études dans mon école supérieure de cinéma [l’Institut Guerassimov – ndlr]. J’étais sur le point de passer mon diplôme. L’établissement commençait tout juste à former des équipes de cameramen. J’ai présenté une demande, mais elle a été rejetée. Les premiers à être engagés étaient bien sûr ceux qui avaient déjà de l’expérience. Pourquoi était-ce si important pour vous ? Le pays tout entier était engagé dans la guerre ! « Tout pour le front, tout au nom de la victoire », tel était l’impératif du moment. Je voulais à tout prix y participer, mais, malheureusement, je ne me suis retrouvé au front qu’en 1944.
ARCHIVES PERSONNELES
BIOGRAPHIE
Boris Sokolov
Au moment de l’offensive, vous aviez peur ? Oui, la peur était omniprésente, mais dès qu’on commençait à travailler, on l’oubliait. Et pourtant nos pertes furent importantes. Au cours de la guerre, 258 cameramen ont filmé plus de 3,5 millions de mètres de pellicule 35 mm. Un sur cinq a été tué, sans compter les blessés. On me demande souvent si quelqu’un nous couvrait pendant le tournage. Non, personne, nous étions seuls. Y avait-il des interdictions de tourner ? Par exemple, les retraites ? Non, on pouvait tout filmer. Mais c’était à la censure de décider s’il fallait le rendre public ou non. Je n’étais pas sur le front lorsque notre armée reculait, mais mes camarades disaient que les retraites étaient très peu tournées. Parfois les opérateurs voulaient filmer une retraite, mais les soldats ou les réfugiés priaient de ne pas le faire, accompagnant même leur demande de menaces.
En 1941, Boris Sokolov a été envoyé aménager des fortifications pour défendre Moscou. Par la suite, il est rentré aux studios qui ont été évacués à Alma-Ata, à l’époque, la capitale de la République soviétique du Kazakhstan. En 1944 il s’est retrouvé au front, qui se trouvait près de Varsovie. Boris Sokolov s’est vu décerner deux ordres de l’Étoile Rouge et 31 médailles.
La peur était omniprésente, mais dès qu’on commençait à travailler, on l’oubliait
Quel est le tournage qui vous a le plus marqué ? La signature de l’Acte de capitulation
de l’Allemagne, bien sûr. Nous avions pour mission de fi lmer la délégation allemande. J’ai été surtout frappé par le comportement du feld-maréchal Keitel [chef du commandement suprême de la Wehrmacht, ndlr]. Quel était son comportement ? Celui d’un vainqueur et non d’un vaincu. À sa descente d’avion, il salua de son bâton de maréchal, alors qu’il n’était accueilli que par les gardes. Il n’y avait aucune personnalité officielle. Dans la salle de signature, il salua également de son bâton de maréchal, mais personne ne lui répondit. Lorsque Keitel a signé l’Acte, il me semblait que la guerre était finie. Le soulagement était
le sentiment éprouvé par tout le monde. Malheureusement, je me trompais. Mais à ce moment-là, c’est ce que j’ai ressenti. Le moment où le drapeau de la Victoire a été planté sur le Reichstag n’a pas été filmé par vous, d’après ce que je sais. Ne le regrettez vous pas ? Pas du tout. Au moment du tournage, personne ne pensait à l’importance de ce drapeau dans le vent. Ce n’est que plus tard que le Reichstag est devenu le symbole de la Victoire. Il aurait très bien pu ne pas le devenir. Je ne me souviens même plus où j’étais à ce moment-là. Tout le monde sait aujourd’hui que le tournage du drapeau de la Victoire sur le Reichstag était une mise en scène… Pendant les combats les drapeaux, qui étaient plus de dix, ont été plantés tour à tour à différents étages du Reichstag, passés par les fenêtres. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un drapeau a fait son apparition sur le toit. Toutefois, nous ne pouvions pas filmer la nuit, il y avait trop peu de lumière. Nombreux sont ceux qui qualifient ce tournage de mise en scène, mais c’est une reconstitution des faits.
JS CARTIER
Sur ses photo on voit Anatoli Kachine, un vétéran de Volokolamsk en veste couverte de médailles, poser devant une photo de lui prise en 1941. Pour cet ancien combattant le portrait fait par le photographe français a été le dernier, selon la lettre de sa fille, reçue par Cartier à son retour en France. Une colonne commémorative construite pour le centenaire de la bataille de Borodino, défigurée par les impacts des balles et des obus en 1941. Une lignée de tombes communes, érigées par les « poiskoviks », avec pour seule décoration des vieux casques posés sur des monticules de terre. En 2008 da n s le l iv re R u s sie. 1941 - 1942. Traces de la bataille de Moscou, résultant de ces deux voyages, JS Cartier écrit : « J’espère néanmoins que cet humble effort trouvera un écho chez nos compatriotes d’Europe occidentale, pour qui le Front de l’Est n’est qu’un lointain souvenir et que ce modeste travail servira à leur rappeler l’immense dette que nous avons envers le peuple russe. Sans leur sacrifice, il nous aurait fallu souffrir et attendre de longues années avant d’être délivrés du joug nazi ».
Ivanovskoe Intérieur de l’église de l’Ascension, ruinée en 1941 au cours de la bataille de Moscou.
Durant les premiers mois après l’attaque surprise de l’Allemagne nazie contre l’Union soviétique (en juin 1941), le gouvernement du pays a reçu une grande quantité de lettres venant de femmes pilotes d’écoles, qui demandaient qu‘on les envoie en mission afin de combattre au même titre que les hommes. Marina Raskova, détentrice du titre Héros de l’Union soviétique, a avancé l’idée de mettre en place un régiment féminin. Les demandes des volontaires ont commencé à être acceptées dès l’automne 1941. À l’issue d’une formation accélérée, le 46e régiment a été formé. Il est devenu l’unique régiment féminin au monde de bombardiers de nuit. Le 27 mai 1942, le régiment des « Sorcières de la nuit » (un surnom donné ensuite par les Allemands, prouvant la crainte qu‘il leur inspirait) comptant 115 jeunes femmes de 17 à 22 ans est arrivé au front. Les femmes avaient à leur disposition de petits biplans Polikarpov Po2 et effectuaient les attaques en pleine nuit. À l’approche des positions allemandes, elles coupaient le moteur pour ne pas être repérées et effectuaient le bombardement en vol plané. Les pilotes du 46e régiment de Taman décoré de l’Ordre du Drapeau rouge et de l’Ordre de Souvorov ont effectué environ 24 000 missions de combat.
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LES RAISONS DE LA VICTOIRE DE 1945 L’ARMÉE ROUGE EN PREMIÈRE LIGNE
L MICHAEL JABARA CARLEY HISTORIEN
Professeur d’histoire à l’Université de Montréal, spécialiste des relations internationales au XXème siècle et de l’histoire de la Russie et de l’Union soviétique.
«
' Allez-vous nous laisser nous battre tout seuls ? ', avait dit Staline à Churchill. Roosevelt était acquis à l’idée d’un second front »
e 3 juillet 1941, onze jours après que la Wehrmacht eut envahi l’URSS, Ivan Maïski, l’ambassadeur soviétique à Londres, rencontra le ministre des Affaires étrangères britannique, Anthony Eden, pour évoquer la situation militaire. Selon M. Maïski, attaquer l’URSS a été la première grosse erreur commise par Hitler. « La Russie est éternelle » et ne peut pas être vaincue. Cependant, elle avait besoin d’aide. Le gouvernement britannique pouvait-il organiser un débarquement sur les côtes françaises ? Il s’agissait de la première des nombreuses demandes soviétiques concernant l’ouverture d’un second front à l’ouest. Durant l’été 1941, la Grande-Bretagne n’était pas en mesure de débarquer sur les plages françaises : l’armée britannique n’avait pas encore remporté la moindre bataille contre la Wehrmacht. Tout en comprenant la situation, Joseph Staline demanda à Winston Churchill s’il ne pouvait pas envoyer des divisions britanniques combattre sur le front soviétique. Churchill était effrayé à l’idée d’envoyer des Tommies dans le hachoir à viande du front de l’Est. Les services de renseignement de l’armée britannique estimaient que l’Armée rouge serait vaincue en quatre à six semaines. Ce même été, la GrandeBretagne commença à envoyer du renfort, des chars et des avions de chasse, mais en petite quantité : 200 chasseurs et quelques centaines de véhicules. Ce n’était qu’une goutte d’eau dans la mer face aux besoins soviétiques. Les pertes de l’Armée rouge au cours des six premiers mois de la guerre étaient inimaginables : trois millions de soldats disparus, tués, blessés ou prisonniers de guerre. Les pertes civiles étaient inimaginables, conséquence du génocide orchestré par les nazis. L’Armée rouge n’e n pou r s u iva it pa s moi n s le combat. Londres avait beau dire faire de son mieux pour aider celle-ci, même l’opinion du pays en doutait. L’ambassadeur britannique à Moscou, Sir Stafford Cripps, accusa son propre gouvernement de fuir le combat et de laisser l’Armée rouge subir toutes les pertes, précisant que l’opinion en URSS disait la Grande-Bretagne prête à « se battre jusqu’à la dernière goutte de sang russe ». Les choses n’allaient pas mieux du côté du Département d’État américain, profondément hostile à Moscou. Par bonheur, le Président Roosevelt s’efforça de surmonter la résistance antisoviétique « bureaucratique » et, en novembre 1941, annonça l’extension du prêt-bail à l’URSS. Puis, en décembre 1941, la situation changea : l’Armée rouge remporta une victoire stratégique dans la bataille de Moscou, brisant ainsi l’aura d’invincibilité de la Wehrmacht. Les agents des
renseignements britanniques durent alors manger leur chapeau. Au sein du Foreign Office, on en vint à craindre que l’Armée rouge gagne la guerre sans l’aide de la Grande-Bretagne. Le second front en France redevint d’actualité. Roosevelt, qui avait reconnu son importance dès le début, se heurtait à Churchill sur ce point. Staline était furieux que les Britanniques se défilent. Le Premier ministre britannique se rendit alors à Moscou en août 1942 pour tenter d’apaiser sa colère. « Nous perdons 10 000 soldats par jour, lui dit Staline, allez-vous nous laisser nous battre tout seuls ? ». L’Armée rouge affrontait 80% des forces allemandes en Europe. Mais Churchill avait une autre idée : celle d’une stratégie qui consistait à attaquer l’Italie, la mettre rapidement hors d’état de nuire puis se diriger vers les Balkans pour bloquer l’avance de l’Armée rouge. En février 1943, la victoire de l’Armée rouge à Stalingrad scella le sort de l’Allemagne nazie. L’Afrique du Nord était le seul endroit où les Britanniques et les Américains affrontaient les forces terrestres allemandes – et encore, il ne s’agissait que de trois divisions alors que sur le front soviétique, Berlin en avait déployé 183. En septembre 1943, les forces britanniques et américaines débarquèrent en Italie. La prétendue guerre éclair dans « la botte » fut un fiasco, les alliés n’atteignant Rome qu’en juin 1944. Le Président Roosevelt mit enfin le holà. À la conférence de Téhéran en novembre 1943, il s’allia avec Staline et insista sur l’importance d’ouvrir un second front en France. Churchill n’était pas d’accord mais finit par accepter. La priorité fut donnée à la planification de l’invasion en Normandie. Au moment où les Alliés débarquèrent en France en juin 1944, le sort du fascisme en Europe était scellé depuis longtemps. Mais Staline n’en fut pas moins satisfait du soulagement que le Débarquement apporta à ses forces armées. N’empêche que sans le second front en France, les Anglais et les Américains auraient vu se réaliser leur crainte que l’Europe soit libérée par la seule Armée rouge.
LE DEUXIÈME FRONT A ASPIRÉ LA LUFTWAFFE
L ALEXEÏ ISSAÏEV HISTORIEN
Candidat ès sciences historiques et auteur de plusieurs livres sur la guerre de 1941-1945.
«
La réaffectation des forces aériennes allemandes à l’Ouest offrait une marge de manœuvre à l’aviation soviétique »
a coopération en matière d’organisation des opérations a toujours été la composante la plus complexe de la stratégie s’appliquant à une coalition. Certes, les frappes simultanées sur différents fronts offrent des avantages manifestes, mais dans la pratique, cette synchronisation rencontre d’importantes difficultés. Or, dans le cas de la Seconde Guerre mondiale, il n’y avait pas de coopération réelle ni de coordination des opérations entre l’URSS et ses alliés occidentaux. Toutefois, les causes en étaient liées à des problèmes objectifs qui n’avaient rien à voir avec la politique. Au cours de la préparation de la campagne de l’été 1944, les difficultés d’approvisionnement en munitions avaient contraint l’Armée rouge à repousser le début de l’opération Bagration en Biélorussie qui, de ce fait ne put absolument pas être synchronisée avec le débarquement en Normandie. De la même manière, en janvier 1945, de mauvaises conditions climatiques obligèrent le commandement soviétique à retarder l’entrée en Pologne. En conséquence, lorsque l’offensive Vistule-Oder fut lancée, la crise dans les Ardennes était déjà terminée. Dans les deux cas susmentionnés, un lancement avancé des opérations aurait conduit les troupes soviétiques à assumer un risque d’échec élevé. De la même manière, les alliés occidentaux ne jugeaient pas opportun de concentrer leurs efforts sur l’organisation de convois arctiques au risque de devoir affronter une crise en Méditerranée. L’ouverture d’un second front en Europe a fait pendant longtemps l’objet de violents débats politiques. Les ÉtatsUnis et la Grande-Bretagne ont même été accusés de retarder l’ouverture du deuxième front dans le but d’épuiser l’URSS.
TATIANA PERELYGUINA
Pourtant, la thèse de la grande difficulté technique que représentait l’invasion par la mer paraît plus crédible. Le principal problème résidait dans la conquête d’un port maritime permettant d’assurer un flot ininterrompu d’une grande quantité de troupes (un petit contingent aurait rapidement été rejeté à la mer). Le raid de Dieppe en 1942 a montré que les Allemands étaient conscients de cette menace. La défense des ports français était bien préparée. Par ailleurs, la prise d’un port ne garantissait pas le succès, car son infrastructure pouvait être détruite par les Allemands battant en retraite. C’est pourquoi le débarquement des alliés ne put avoir lieu qu’après l’élaboration du projet de formation d’un port provisoire directement sur une plage normande, avec un brise-lames, des quais flottants Mulberry et une défense antiaérienne robuste. Par ailleurs, n’oublions pas que les Américains étaient la principale force motrice derrière cette opération et que le président Roosevelt tentiat absolument à ce que le débarquement en France ait lieu en 1944. S’il fallait résumer le rôle joué par le second front et les alliés occidentaux dans la victoire contre l’Allemagne en une phrase, on pourrait dire en gros que « les Anglais et les Américains ont brisé le cou de la Luftwaffe, alors que l’URSS a rompu la colonne vertébrale de l’armée de terre allemande ». En effet, 75% des soldats allemands tués sont tombés sur le front germano-soviétique. Même après le débarquement de Normandie et l’ouverture du second front en Europe, les Allemands subissaient trois fois plus de pertes sur le front de l’Est que sur celui de l’Ouest. D’un autre côté, après la concentration de la quasi-totalité des forces armées allemandes à l’Est en 1941, de larges contingents de la Luftwaffe étaient progressivement réaffectés au front de l’Ouest et à la défense aérienne du Reich. Les attaques en plein jour des bombardiers américains accompagnés d’avions de chasse constituèrent une sorte de « pêche à l’appât vivant » pour les pilotes allemands. Les pertes d’avions à l’Ouest surpassèrent celles de l’Est en automne 1942 et pendant la première moitié de 1943. Ainsi, en juillet 1943, les Allemands perdirent 558 avions sur le front de l’Est, 711 en Méditerranée, 526 à l’Ouest et dans la défense du Reich. En 1944, le front germano-soviétique ne totalisait que quelque 20% des pertes irréparables d’avions de guerre de la Luftwaffe. À la veille du débarquement de Normandie, 2 340 des 4 475 avions de la Luftwaffe se trouvaient sur le front de l’Ouest. Il faut noter que la réaffectation des forces aériennes allemandes à l’Ouest offrit une large marge de manœuvre à l’aviation soviétique. Il est impossible de surestimer la contribution des militaires soviétiques. La victoire fut remportée au prix de millions de leurs vies, de leur héroïsme, de leur abnégation, de leur combat. Néanmoins, l’ouverture d’un deuxième front accéléra la victoire contre l’Allemagne et permit de sauver la vie de très nombreux soldats soviétiques.
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