La culture comme outil de promotion internationale des villes : enjeux et limites

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LA CULTURE COMME OUTIL DE PROMOTION INTERNATIONALe DES VILLES, ENJEUX ET LIMITES L’exemple du Quartier des Spectacles à Montréal Laura Roudeix - Mémoire École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon Année 2015-2016 Encadrant : Corine Védrine


MOTS CLÉS RÉSUMÉ / ABSTRACT

RÉSUMÉ : Il existe aujourd’hui un panel exhaustif de métropoles de taille, de spécialisation et d’ambition différentes sur la carte mondiale. Leur point commun serait de, chacune à leur manière, vouloir exister au sein de cet échiquier international. Pour y parvenir, elles se spécialisent, et redoublent d’efforts financiers et communicationnels afin de se bâtir une « image de ville ». L’enjeu pour les planificateurs urbains tels que les architectes et les urbanistes est, dans ce contexte, de composer avec ces nouvelles stratégies concurrentielles, visant à placer une ville au rang de métropole mondiale. La ville moderne, dans sa définition et son organisation, a subi une transformation d’échelle et de spatialité majeure au cours du XX ème siècle. Les phénomènes de la mondialisation et de la globalisation, aussi bien acclamés que critiqués, ont eu pour tendance de modifier l’échelle à laquelle se pense la ville. La question de la planification urbaine se complexifie ; les acteurs, publics comme privés, se multiplient, et les enjeux relatifs au cadre de vie et à l’image urbaine en viennent à dépasser les frontières. Le modèle de la ville, aujourd’hui, est quelque chose qui s’exporte, qui se diffuse et qui rayonne.

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A travers cette pluralité d’échelles, d’enjeux et d’intérêts, quelle place pour les populations et les communautés locales ? En tant que futurs planificateurs des villes, quel regard porter et quelle posture adopter face à cette complexité, à la rencontre de l’espace vécu, habité, et de la ville perçue, communiquée ? Dans cette étude, nous nous intéresserons aux villes qui ont pour stratégie de se placer en tant que métropole mondiale, et qui cherchent à y parvenir à travers l’utilisation de la culture comme moteur de développement urbain. L’exemple de Montréal et du Quartier des Spectacles constituera notre étude de cas, afin d’analyser les nouveaux enjeux de la ville contemporaine, et les impacts d’une telle stratégie sur l’espace urbain dans ses dimensions à la fois spatiales et sociales.


MOTS CLÉS : Culture - Métropoles - Mondialisation - Image - Identité

ABSTRACT : There is an exhaustive panel of metropolises of size, specialization and ambition different on the world map today. Their common point would be of, each in their own way, to want to exist within this international chessboard. To reach there, they specialize, and double communication and financial efforts to build a “city image”. The stake for the urban planners such as the architects and planners is, in this context, to compose with these new competitive strategies, to place a city to the rank of world metropolis. The modern city, in its definition and its organization, underwent a major transformation of scale and spatiality during the 20th century. The phenomena of the globalization, so applauded as criticized, had for tendency to modify the scale in which thinks the city. The question of the urban planning become more complex ; the number of public and private actors multiply, and the stakes relative to the living environment and to the urban image come there to overtake the borders. The model of the city, today, is something which is exported, which spreads and which shines. Through this plurality of scales, stakes and interests, what places for the populations and the local communities? As the future town planners, which look to carry, and which posture to adopt in front of this complexity, on the meeting of the lived space, and the received, communicated city? In this study, we shall be interested in the cities which have for strategy to take place as world metropolis, and which try to reach there through the use of the culture as the motor of urban development. The example of Montreal and the “Quartier des Spéctacles” will constitute our case study, to analyze the new stakes in the contemporary city, and the impacts of such a strategy on the urban space, in these spatial and social dimensions. |3


SOMMAIRE

INTRODUCTION....................................................................6 PARTIE A / Montréal, métropole culturelle...................20 1. Montréal, une métropole avant tout Québécoise.........................................22 2. Montréal, d’une ville post-industrielle à une ville culturelle.........................28

a. Origines : l’exposition 67, moteur de culture.................................28 b. Montréal aujourd’hui : un pari culturel réussi.................................30

PARTIE B / La Place des Arts : confrontation des enjeux identitaires avec des ambitions internationales..........36 1. Le Québec, de la Grande Noirceur à la Révolution Tranquille....................37 2. Le contexte Nord-américain : l’équipement culturel comme symbole de modernité.....................................................................................................41 3. Un emplacement stratégique : une place au croisement de deux mondes

a. Au cœur d’une fracture linguistique...............................................43 b. Une nouvelle image pour le centre-ville........................................48 c. Passage marqué de la religion à la culture...................................51

4. « La Place des Autres » : une appropriation longue..................................53 a. La symbolique négative de la monumentalité moderniste..............54 b. Les outils urbanistiques au service d’une appropriation progressive.......................................................................................55


PARTIE C / Le projet du Quartier des Spectacles : l’expression d’une politique culturelle mondialisante...................................................................60 1. De la reconquête des marqueurs urbains locaux à l’appropriation du modèle de la ville événementielle comme outil du rayonnement international..................................................................................................61 a. Montréal ville festive.....................................................................61 b. Développement de l’orientation culturelle post Place des Arts.......65 c. La culture, lecture d’une politique « glocale »...............................68 2. Faire la ville événementielle : constats et analyse......................................73

a. Pérenniser l’espace événementiel.................................................75 b. Répercutions démographiques : à qui s’adresse cette culture ?....82

BIBLIOGRAPHIE / ICONOGRAPHIE.................................87

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INTRODUCTION


Il existe aujourd’hui un panel exhaustif de métropoles de taille, de spécialisation et d’ambition différentes sur la carte mondiale. Leur point commun serait de, chacune à leur manière, vouloir exister au sein de cet échiquier international. Pour y parvenir, elles se spécialisent, et redoublent d’efforts financiers et communicationnels afin de se bâtir une « image de ville ». L’enjeu pour les planificateurs urbains tels que les architectes et les urbanistes est, dans ce contexte, de composer avec ces nouvelles stratégies concurrentielles, visant à placer une ville au rang de métropole mondiale. La ville moderne, dans sa définition et son organisation, a subi une transformation d’échelle et de spatialité majeure au cours du XX ème siècle. Les phénomènes de la mondialisation et de la globalisation, aussi bien acclamés que critiqués, ont eu pour tendance de modifier l’échelle à laquelle se pense la ville. La question de la planification urbaine se complexifie ; les acteurs, publics comme privés, se multiplient, et les enjeux relatifs au cadre de vie et à l’image urbaine en viennent à dépasser les frontières. Le modèle de la ville, aujourd’hui, est quelque chose qui s’exporte, qui se diffuse et qui rayonne. A travers cette pluralité d’échelles, d’enjeux et d’intérêts, quelle place pour les populations et les communautés locales ? En tant que futurs planificateurs des villes, quel regard porter et quelle posture adopter face à cette complexité, à la rencontre de l’espace vécu, habité, et de la ville perçue, communiquée ? Dans cette étude, nous nous intéresserons aux villes qui ont pour stratégie de se placer en tant que métropole mondiale, et qui cherchent à y parvenir à travers l’utilisation de la culture comme moteur de développement urbain. L’exemple de Montréal et du Quartier des Spectacles constituera notre étude de cas, afin d’analyser les nouveaux enjeux de la ville contemporaine, et les impacts d’une telle stratégie sur l’espace urbain dans ses dimensions à la fois spatiales et sociales. //////////// La mondialisation est un terme apparu au 20ème siècle et désigne un phénomène à la fois économique et culturel, caractérisé par la libéralisation et l’intensification des échanges de manière générale entre les différents pays du monde. Il s’applique aussi bien à l’économie (flux financiers, déréglementations des échanges commerciaux, etc), qu’aux communications (des personnes avec les nouveaux transports, et de l’information par les nouvelles technologies) (Martin, 1998). Il a pour première conséquence de mettre en relation presque instantanée l’ensemble des villes inscrites au sein de ce système, qui deviennent les nœuds d’un réseau à l’échelle mondiale. Ces nouvelles fenêtres ainsi ouvertes permettent la diffusion d’images et de modèles, et donnent la possibilité aux villes de s’auto-évaluer et de se comparer entre elles. Quelques explications historiques devraient permettre de remettre en contexte l’émergence et les conséquences de ce phénomène sur les métropoles d’aujourd’hui. |7


Au début du XXème siècle, et à l’apogée de la révolution industrielle, les villes dont l’influence était la plus remarquée à l’échelle mondiale étaient principalement les berceaux de méga-industries ultra-productives, aux infrastructures lourdes et aux effectifs d’employés élevés (ex, Ford au États-Unis). Ainsi, cet archipel de lieux, tel qu’il existait à l’époque, n’était pas polarisé par les villes en tant qu’entités urbaines, mais plutôt par des territoires productifs au sein desquels la taille et le monopole des entreprises déterminaient le dynamisme des villes qui les accompagnaient. Suite à la Seconde Guerre Mondiale, les techniques de productions changèrent de nouveau, tendant à minimiser le nombre d’employés à une même tâche, à fragmenter les différentes étapes de fabrication (production/commercialisation), et à diminuer l’emprise bâtie des infrastructures industrielles (Glaeser, 2011). Ces années furent aussi marquées par l’accélération de la mobilité des biens, des personnes (transports), et de l’information (communications). La primauté du lieu, dans sa dimension spatiale et géographique, s’effaça, au profit du périmètre de diffusion de ses ressources économiques : ce fut la fin de la tyrannie de la distance (Glaeser, 2011). Grâce à la division du travail, les industries, par exemple, n’étaient plus contraintes de concentrer leurs activités en une seule spatialité, mais pouvaient désormais délocaliser certaines taches de production à travers le monde. La libéralisation du marché, ainsi que la main d’œuvre bon marché disponible dans les pays en voie de développement, évacuèrent rapidement la question du lieu de production, pour ne laisser aux grandes villes occidentales que les fonctions de direction. Les entreprises devinrent ainsi libres du choix de leur localisation, les nouveaux moyens de transport et de communications rendant la question de la distance obsolète. La question urbaine qui se posa ensuite fut de trouver les moyens par lesquels les villes pouvaient attirer et maintenir les sièges sociaux en leur sein. « [...] plus les entreprises eurent recours à leur capacité de dispersion, moins les régions urbaines se concurrencèrent sur la base de leur tissu industriel et plus ces dernières furent contraintes de se concurrencer sur le terrain de l’attractivité qu’elles avaient à offrir à l’investissement industriel en matière de travail et de marchés comme en matière d’atouts physiques et sociaux que les entreprises pourraient alors exploiter à leur propre avantage.» (Harvey, 2004, p42)

Les regards étant tournés non plus sur les territoires, mais sur les entités urbaines en elles-mêmes, une lutte débuta entre les atouts dont pouvaient se doter les villes pour devenir attractives : ainsi débuta la concurrence interurbaine d’aujourd’hui.

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La présence de ces firmes internationales, ainsi que le libre échange des biens, des informations, et des flux financiers, ont conduit aujourd’hui à l’émergence de connexions plus ou moins tangibles entre les villes. Celles-ci sont devenues les polarités d’un réseau international, à l’intérieur desquelles se croisent à la fois données et individus, et constituent les supports charnières entre échanges


mondiaux et marchés locaux. La place de chacune des villes sur cette toile se mesure en fonction de la nature, du nombre, et de l’intensité des liens qu’elles entretiennent avec les autres(Sassen, 2009). Dans ce contexte, les villes usent de stratégies afin soit, de s’inscrire sur cette toile, d’entretenir leur place, ou bien d’augmenter leur importance au sein du réseau. Plusieurs théories tendent à dire que la diversification des activités semble être la stratégie la plus adoptée, mais également la plus probante, quant au potentiel d’attractivité des villes contemporaines(Dogan, 2004). Les villes ayant le plus rapidement rebondi à ce changement d’économie sont celles qui disposaient déjà d’activités variées, qui, une fois renforcées, ont pu compenser la perte des industries productives (exemple, New-York). Au contraire, les villes trop dépendantes de l’activité économique industrielle ont connu (où connaissent encore) une longue période de récession, comme par exemple la ville de Détroit aux États-Unis (Glaeser, 2011). La diversification de ces activités constitue donc un outil de taille dans la concurrence mondiale, s’opposant au modèle de la ville industrielle monofonctionnelle, maintenant désuet (Dogan, 2004). Au delà de l’enjeu économique des sièges sociaux, d’autres fonctions urbaines sont également éligibles à la création de liens inter-urbains à travers le monde. On distinguera deux catégories : les fonctions «endogènes», qui découlent de l’essence de la ville en soi, de ses habitants et de son patrimoine historique et social, comme les coutumes et les valeurs locales ou encore les modes de gouvernance, et les fonctions «exogènes», dont l’émergence découle d’un contexte beaucoup plus large, et qui est le produit de concepts plus génériques qui ne sont pas dépendants des ressources locales, tels que l’éducation, la connaissance en général, les arts, les techniques ou les loisirs. Si l’existence de cette pluralité de domaines semble être nécessaire, il s’agit également pour les villes de mettre en avant l’un d’entre eux, afin de véhiculer une image singulière auprès du monde et des investisseurs ou visiteurs potentiels. Dans le contexte actuel, on peut observer auprès de certaines métropoles une tendance pour la requalification et la rénovation des centre-villes, par le biais du développement des équipements culturels. La culture dans la ville est un thème à la fois millénaire et contemporain. On oppose souvent le terme culture à celui de nature, en définissant la culture comme l’ensemble des savoir-faire qui ont permis à l’homme de s’extraire de son « état de nature » (Rousseau, 1762). Sur la base de cette définition, la culture s’applique à bien des domaines. La particularité de cette dernière est en effet de questionner à la fois des fonctions « endogènes » de la ville, et les fonctions « exogènes », applicables à l’échelle mondiale et relatives à l’évolution de nos sociétés. A l’échelle urbaine, elle s’exprime à travers les équipements qui la diffusent (écoles, bibliothèques, musées), et par l’usage qui est fait de l’espace public. |9


Depuis les années 70, les grandes villes multiplient les projets d’équipements publics culturels, dans un but de promotion internationale. À titre d’exemple, les Grands Travaux initiés par François Mitterand en France dans les années 80, ont donné naissance à des projets d’équipements culturels majeurs dans Paris tels que la pyramide du Louvre, l’Institut du Monde Arabe, ou la Bibliothèque nationale de France, mais également dans de nombreuses autres villes du pays. Le Louvre, véritable icône de la capitale française, affiche 10 millions de visiteurs en 2012 dont 70% d’étrangers1. Ce constat soulève la question de « réputation » touristique qui contribue au rayonnement d’une ville. Plus récemment, les projets à vocation culturelle qui font le plus parler d’eux sont sans conteste le Musée Guggenheim à Bilbao où encore Millenium Park à Chicago. L’intervention urbaine et architecturale sur la ville de Bilbao s’est notamment fait remarquer par son impact sur l’économie de la ville dans son intégralité, à la fois en termes de bénéfices pour la ville et en nombre d’emplois créés, qui indirectement a valorisé l’image de la ville aux yeux du monde. Comme nous l’explique David Harvey dans ses études sur l’impact du capitalisme sur les villes, cette utilisation de la culture dépasse la simple intervention architecturale du musée ou d’une bibliothèque, pour véhiculer une image dynamique et attractive d’une ville, ce qui contribue à la mise en concurrence des métropoles. «Mais il s’agit là de bien plus que d’investissements physiques. La ville doit se montrer innovante, attrayante et créative en matière de style de vie, de culture savante et de mode. […] La concurrence acharnée dans ce domaine débouche sur des luttes géopolitiques sur le terrain de l’impérialisme culturel.» (Harvey, 2004, p57)

Plusieurs recherches, comme celles de Richard Florida ou François Ascher, ont déjà eu pour sujet de questionner cette augmentation notable des villes faisant le choix de placer la culture au centre de leur politique de développement urbain. Leur intention, qui sera aussi la mienne au cours de cette analyse, était de croiser les nouveaux enjeux relatifs à la mondialisation avec cette notion de culture, afin d’analyser quelles étaient les nouvelles dynamiques urbaines, économiques, démographiques et sociales des villes. Pour eux, comme pour David Havey, cette notion de culture est inhérente au processus d’accumulation de capitaux à la fois humains et financiers au sein des villes : pour conserver une économie florissante et connectée avec le monde entier, elles doivent concentrer aussi bien l’argent, et donc les grandes sociétés, que les idées, en se montrant novatrices. Cette capacité à créer, à produire du nouveau, impacte à la fois la réputation professionnelle et touristique de la ville. Un cadre dynamique et productif d’idée est stimulant pour les nouvelles sociétés et travailleurs, et une ville originale et inédite suscite la curiosité des visiteurs potentiels. Ainsi, la culture devient l’instrument économique des villes. A l’échelle de l’espace urbain, l’usage singulier qui est fait de l’espace, autrement dit la mise

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1 Site officile du Louvre http://www.louvre.fr/sites/default/files/rapport_activite/fichiers/pdf/ louvre-frequentation-musee-louvre-chiffres_0.pdf


en scène des pratiques locales et de cette culture « endogène », peut constituer la mise en scène de l’attractivité des villes, et contribuer à la fabrication d’une image de ville originale. Sa matérialisation la plus commune est l’événement ponctuel qui anime la ville de manière inhabituelle. Elle peut s’appuyer sur une fonction commerciale, comme les marchés, les foires ou les braderies, ou culturelle à travers les festivals et les expositions. Aujourd’hui, en étant assimilés par le système capitaliste de la mondialisation, on s’aperçoit que ces deux fonctions finissent par se confondre. En parallèle de ces spectacles urbains, un panel de services se met en place dans des rues désormais uniquement piétonnes et en lien direct avec les espaces publics qui les accueillent : restaurants, bars, cafés, boutiques en tous genres, etc... On pourrait donc à la fois parler de la spectacularisation et de la commercialisation de la culture. « Le marketing de la ville et de son image et l’empaquetage de la vie urbaine comme des petites parts commerciales, vendues à des touristes bourgeonnants et aux industries de services, se sont enracinés dans la plupart de nos villes. Le spectacle de la vie urbaine s’est transformé dans un spectacle commercial. […] Les marchandises culturelles comme les musées, les expositions et les événements forment une urbanité colonisée. La reconquête de la ville par le capital (après des décennies de négligences voulues, de de-territorialisation et de vidage) a produit une ville revancharde qui s’est laissé tomber dans la fantasmagorie de marchandise spectaculaire. » (Swyngedouw, kakika,

2005, p169)

La critique perçue et faite aujourd’hui est celle de la production d’une ville basée sur des habitants, des visiteurs, ou des investisseurs potentiels, et donc latents, plutôt que sur les populations locales, directement confrontées aux reconfigurations spatiales de l’espace urbain. Dans une posture de recherche, les premiers questionnements qui me sont apparus au regard de ces problématiques se sont orientés autour de cette ambivalence des villes contemporaines, qui veulent à la fois mettre en avant l’originalité de leur culture « endogène », tout en développant des valeurs « exogènes » qui contribuent à l’élaboration d’une image vendeuse de leur ville sur l’échelle mondiale. Nous pourrions ainsi nous demander si la mise en scène et la commercialisation d’une culture locale n’aurait pas tendance à la transformer en culture globale, et à lui faire perdre son authenticité et sa crédibilité locale ? Plus loin, quelles sont les répercussions d’une telle stratégie sur l’espace urbain en soi, sur sa perception comme sur ses usages, et sur les dynamiques démographiques et sociales des populations sur place ? Si, pour tenter d’apporter une réponse à ces questions, mon intention première a été de vouloir analyser de manière très théorique différentes villes mettant en avant le développement culturel comme moteur de redynamisation urbaine, l’année que j’ai passée à Montréal en tant qu’étudiante en échange m’a permis d’éprouver certaines des problématiques évoquées précédemment. En effet, cette dernière fait partie des villes contemporaines à se fabriquer une | 11


image de marque à travers la promotion à la fois de son originalité culturelle locale (ville francophone en Amérique du Nord), et de sa position en tant que métropole culturelle mondiale. De plus, cette stratégie promotionnelle axée sur le développement de la culture s’est concrétisée ces quinze dernières années par la mise en place d’un Plan Particulier d’Urbanisme, qui a pour but assumé de faire du centre-ville un quartier dynamique, créatif, festif et commercial. Pour ces raisons, mais également parce cette ville dispose d’une histoire politique, sociale et identitaire (et donc culturelle) singulière, j’ai choisi d’appuyer l’analyse des notions évoquées précédemment sur l’étude de cas de Montréal, et de la politique d’aménagement de son centre-ville. //////////// Montréal est une ville de plus en plus présente sur l’échiquier mondial. Bien qu’elle aie mis plusieurs décennies à sortir de la crise d’après-guerre (Collin, 2003), elle affirme son nouveau rôle de métropole canadienne, perdu au cours du 20ème siècle au profit de Toronto, par la diversité de ses activités, notamment dans les « industries du savoir » (les hautes technologies, la communication et l’information), caractéristiques de la mondialisation (Martin, 98). Ce nouvel essor, qui s’amorce au début des années 2000, est le résultat d’un long travail de restructuration à la fois économique et politique, et est issu d’une volonté aussi bien locale que régionale (province du Québec). De par ces origines francophones, le Québec a toujours souhaité véhiculer une image en lien avec ses racines, plutôt qu’associée à son État d’appartenance, le Canada. Pour cette raison, et depuis plus de 50 ans, la question de l’indépendance du Québec se pose, ayant tendance à diviser l’opinion publique québécoise. Si un référendum est venu plus ou moins mettre fin au débat par la victoire en faveur du maintien du Québec dans la fédération canadienne, il n’en reste pas moins que le Québec tient à affirmer sa singularité au sein du Canada et de l’Amérique-du-Nord. La présence d’une métropole attractive sur le territoire reste cependant une condition pour bénéficier d’une visibilité à l’échelle mondiale. Pour cette raison, la province du Québec a donc fait le choix de concentrer ses efforts financiers sur le développement de la ville de Montréal et de son image, au désavantage de villes plus petites comme celle de Québec (Collin, 2003). Après quelques tentatives durant le 20ème siècle, comme l’accueil de l’Exposition Universelle de 1967, et depuis le début de ce second millénaire, la ville jouit enfin d’une renommée mondiale dans plusieurs domaines. Implantée le long du fleuve Saint-Laurent, sur ce que l’on appelle « l’Île de Montréal », la ville s’inscrit dans une situation géographique singulière. Celle-ci s’est développée autour d’un port de marchandise, qui constitue aujourd’hui le centre historique de la ville, aussi appelé le « quartier du Vieux-Port ». Ce secteur portuaire, ainsi qu’une aire d’une dizaine de kilomètres carrés alentours, forment l’arrondissement actuel de Ville-Marie, qui constitue la région administrative du 12 |


centre-ville. Ce centre est en réalité une accumulation de plusieurs polarités, chacune incarnées par des quartiers aux spécialités et aux identités très marquées (Quartier des affaires, Quartier Latin, Quartier Chinois, etc). Ils sont identifiables grâce à leur échelle, à l’emploi de langages architecturaux différents, mais aussi grâce à leur aménagement et leur mobilier urbain singulier. Cette pluralité d’ambiances permet de contrer la monotonie de la trame orthogonale répétitive. Si son étalement s’est pendant longtemps contenu au contour de son île, le développement de ses réseaux a conduit à l’intégration de certaines de ses communes périphériques dans un nouvel ensemble métropolitain que l’on appelle la Région Métropolitaine de Montréal, ou le Grand Montréal. La réputation de Montréal passe en partie par son aspect multiculturel et ouvert sur le monde, et il est par exemple ambigu, dans certaines parties de la ville, de savoir si l’on doit aborder les personnes que l’on croise en français ou bien en anglais. Cette volonté de s’ouvrir aux autres cultures s’illustre notamment par la forte présence de visiteurs étrangers de courte et de longue durée (tourisme, études, travail). Montréal possède quatre universités de plus de 40 000 étudiants chacune, dont l’Université de Montréal, qui accueille 9 000 étudiants étrangers chaque année, et cumule 450 partenariats avec des universités dans 50 pays différents. Elle est également connue pour être la « ville des festivals » : tout au long de l’année, ces festivals, ainsi que d’autres types de manifestations culturelles, ont lieu au sein de la ville (concerts, expositions, colloques, etc). Ces événements activent la ville ponctuellement, mais de manière très récurrente, notamment en été. Le projet qui a suscité mon intérêt se situe dans le centre-ville de Montréal, dans l’arrondissement « Ville Marie », qui avait déjà été le sujet d’une rénovation urbaine vers 1960, celle-ci étant axée sur les principes modernes tels que l’insertion de l’autoroute dans la ville et l’élévation de gratte-ciel par la construction en béton et acier standardisé. La fracture physique que cette intervention coûtera à la ville révélera les failles des idées modernes et poussera les autorités locales et les acteurs de la planification à porter une attention particulière sur ce quartier, et sur l’importance de redonner à la ville une image de centre-ville fédérateur. Mais un projet d’une telle envergure (1km²) nécessite des financements publics et privés, encore trop timides à la fin du 20ème siècle. C’est en 2002, lors du Sommet de Montréal, que le projet « Quartier des Spectacles » est enfin évoqué, avec le soutien de la province du Québec et du gouvernement du Canada. L’enjeu est de taille : redonner à la ville un centre concentrant un grand nombre d’activités, et dont l’identité serait suffisamment affirmée, afin d’être reconnue et appropriée par les habitants et par le public étranger comme image représentative de la ville. Défi d’autant plus difficile que le périmètre d’action est cerné par des quartiers aux caractéristiques très marquées : le Quartier Latin au nordest, le Quartier Chinois au sud, et le Centre d’Affaire, aussi nommé Quartier | 13


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Cartes réalisées sur vues satellites Google Earth©


International, à l’ouest. Dès le milieu du XIXème siècle, le quartier abrite des filiales de l’Université Laval, puis de l’école Polytechnique, HEC, l’Université de Montréal et enfin de l’UQAM dans les années 70, qui dispose encore d’un grand nombre de bâtiments situés dans le quartier. Il abrite également depuis plus d’un siècle les plus grandes salles de spectacle de la ville, dont le Théâtre Français, aujourd’hui Metropolis, considéré comme un véritable monument national. Les années 60 marquent un basculement politique fort, par la mise en place du gouvernement libéral, qui verra à travers la question identitaire québécoise l’outil de la cohésion sociale comme de la revalorisation économique. Montréal devient alors l’égérie de cette nouvelle image québécoise, qui se veut moderne, cultivée et ouverte sur le monde. Le Québec, la ville, et même le gouvernement canadien débloquent des fonds afin de lui permettre de devenir la ville hôte de l’exposition Universelle Terre des Hommes en 1967, ce qui embraye le pas à ce qu’on nomma « les Grands Projets de Montréal », à savoir la construction du métro, du quartier d’affaires, et un grand nombre de projets de restructuration urbaine. La Place des Arts et la Grande Salle de concert du centre-ville se veulent les nouvelles icônes de cette ville, qui prétend à une renommée mondiale, et marque le début d’une stratégie urbaine qui place la culture au cœur du développement de la ville. Le premier Festival International de Jazz à Montréal en 1979 marque le premier d’une longue liste d’événements culturels révélateurs de l’identité festive de la ville sur le plan mondial. Cet ensemble urbain, constitué par l’objet architectural de la salle et de l’espace public de la Place des Arts, sera de nombreuses fois remis en question sur le plan spatial, pour finalement servir d’élément structurant rayonnant au développement du Quartier des Spectacles dans les années 2000. Aujourd’hui, ce quartier, qui est annoncé comme le centre multiculturel de la ville, est très prisé par les touristes tout au long de l’année. En été, la circulation automobile est interrompue, transformant la rue en véritable espace public, celles-ci sont alors complètement investies par un grand nombre de personnes, même pendant les jours où il n’y a pas de festival. La grande majorité des espaces publics du quartier ne sont jamais neutres, étant constamment investis par des installations artistiques, des kiosques, etc. Le mobilier urbain joue d’ailleurs un grand rôle dans l’identité de cette partie de la ville, et dans les usages qu’il apporte en lien avec l’activité quotidienne comme avec la tenue des événements festivaliers. Le Quartier des Spectacles est aujourd’hui, sans nul doute, considéré comme le centre culturel et festif de la ville. Nous pourrions alors nous demander quelles différences d’enjeux ont conduit à l’évolution de la Place des Arts et à la création du Quartier des Spectacles. Par quels moyens la ville de Montréal est elle parvenue à allier la question identitaire au Québec à son envie de reconnaissance internationale ? Si ce projet, en partie réalisé, semble avoir réussi son pari d’incarner l’image d’une ville culturelle, | 15


festive et attractive aux yeux du monde, que peut on dire des conséquences d’une telle stratégie sur la nature de l’espace urbain, et sur la démographie de la ville? C’est ce paradoxe d’échelles et d’intentions, juxtaposé à la richesse du contexte socio-culturel québécois, qui m’a conduit à croiser mon questionnement au sujet de la culture, avec la compréhension et l’analyse du contexte montréalais. Cette approche double, entre l’étude d’un phénomène global, et les enjeux soulevés par une culture locale, pourrait donc être problématisée de cette manière : Que nous apprend le passage de la Place des Arts à la création du Quartier des Spectacles à Montréal sur l’utilisation de la culture comme outil de promotion internationale ? Et de quelle manière nous permet-il d’interroger l’articulation des enjeux locaux avec des stratégies aux ambitions plus globales? Cette analyse, grâce à l’étude de cas, aura pour objectif de comprendre les nouvelles dynamiques des villes contemporaines, qui se servent de la culture afin de prétendre à une place significative sur le plan mondial. Il sera question de mettre en parallèle l’évolution du contexte montréalais et ses enjeux socioculturels, avec les étapes marquantes du développement urbain du centre-ville. Nous tenterons de démontrer le rôle qu’ont joué la question identitaire et le modèle événementiel du festival dans l’élaboration des stratégies urbaines, ainsi que leurs impacts sur la ville et l’espace public. MÉTHODE /////////// Afin de répondre à la problématique posée, la mise en place d’une méthode de recherche basée sur un développement graduel, aussi bien dans l’échelle, du global au local, que dans la temporalité, des origines aux constats actuels, semble pertinente. Les bases théoriques ont été amenées grâce à un corpus bibliographique, composé de plusieurs types d’essais théoriques et de recherches universitaires. La lecture des travaux d’Edward Glaeser, Paul Bairoch, Mattei Dogan, Saskia Sassen ou encore David Harvey, ont notamment aidé à cerner certains enjeux qui ont à trait à l’application d’une économie globalisante aux nouvelles dynamiques de la ville. Les approches de Richard Florida et de François Ascher, au sujet de la transformation des villes à travers l’utilisation/instrumentalisation de la culture, ont, quant à elles, influencé mon regard sur la production de la ville et de son urbanité, au sens de l’émergence d’un nouveau type d’habiter et du profil « créatif » des personnes auquel il est destiné. Des études de cas proposées au sein de recherches universitaires ont pu nourrir ma réflexion quant à l’extension du terme « culture » à l’attrait multiculturel et événementiel des villes. Les travaux des chercheurs tels que Philippe Cahudoir (Lyon), Isabelle Garat (Nantes), ou Erik Swyngedouw et Maria Kaika (Manchester), m’ont permis d’analyser la question du festival et de ses impacts sur l’espace urbain. Enfin, pour ce qui est de la confrontation des différentes cultures et des échelles au cœur des projets de développement 16 |


urbain, les études réalisées par Ghislain Dubois et Jean-Paul Ceron ou encore par le groupement Laurent Viel, Gonzalo Lizarralde, Fella Amina Maherzi, et Isabelle Thomas-Maret, m’ont aussi aidé dans la compréhension de certains enjeux, et de la relation entre les intérêts privés et publics qui prennent place au sein du processus d’élaboration des projets urbains des grandes villes. Pour ce qui est du regard porté au contexte local du Québec et de Montréal, les écrits d’auteurs tels que Fernand Martin et Jean-Pierre Collin ont pu constituer la base de mon questionnement au sujet de la position particulière de la ville sur le plan international. La compréhension des enjeux socio-culturels, politiques et urbains, a quant à elle était possible grâce aux discussions avec certains professeurs de l’Université de Montréal, et à une recherche documentaire orientée au sein de la Bibliothèque des Archives Nationale de Montréal (articles dans les journaux locaux et films documentaires). La rencontre avec Georges Adamszyck, ancien directeur à l ‘Université du Québec à Montréal (UQAM), et aujourd’hui professeur à l’Université de Montréal (UdeM), mais également membre du jury d’évaluation des concours publics pour l’Orchestre Symphonique de Montréal (2002), et de la Bibliothèque des Archives nationales du Québec (2000), deux projets situés au sein du Quartier des Spectacles, a été le point de départ d’une recherche beaucoup plus axée sur l’histoire et l’évolution de la ville. Il a notamment attiré mon attention sur l’importance des jeux d’acteurs dans le cadre du projet du Quartier des Spectacles, mais aussi et surtout, sur les premières intentions projetées à travers les grands projets de restructuration urbaine du centre-ville dans les années 60. Il a confirmé l’hypothèse émise que Montréal avait connu un basculement au cours du XX ème siècle, qui avait conduit à la fabrication d’outils urbains permettant de mettre en avant son ouverture culturelle, et de transformer des institutions locales en source d’économie touristique. Il a notamment nourri une réflexion sur la question de « visibilité » internationale et de la place du concours international au sein de cet enjeu. Approcher certains organisateurs d’un colloque qui avait eu lieu en 2013 sur le thème des 50 ans de la Place des Arts m’a également permis d’avoir accès à plusieurs recherches et retranscriptions écrites de conférences au sujet de l’évolution du projet, et du rôle de la culture dans le développement du centre-ville de Montréal. Enfin, la lecture et l’analyse de documents officiels, publiés par les instances publiques de Montréal, du Québec, ou du Canada, m’ont également permis à la fois de prendre connaissance des éléments de communication du projet, et d’établir le portrait socio-démographique actuel de la ville. Ces documents ont constitué la matière principale de l’étude de cas fournie au sujet du Quartier des Spectacles, afin de tirer certaines conclusions quant aux répercussions d’une politique urbaine axée sur la culture, dans toutes ses formes et toutes ses dimensions. Il est important de mentionner que ma présence sur le lieu d’étude, et l’expérience que j’ai faite de la ville, ont également participé à l’élaboration des hypothèses de | 17


recherches, et au développement d’un regard critique à la fois sur le projet en soi et sur les études faites sur le sujet de la ville événementielle. PLAN /////////// Dans un premier temps, un regard porté sur la place de Montréal à l’échelle globale, nous permettra de nous interroger sur « le rang » qu’elle occupe, et sur le rôle qu’a pu jouer la culture dans son ascension en tant que métropole culturelle mondiale. Il s’agira également de questionner l’origine de ces ambitions, et les moyens mis en place par les pouvoirs publics afin de maintenir Montréal au sein du réseau des villes créatives aujourd’hui. Puis, à travers un développement chronologique, nous tenterons de mettre en avant l’évolution des enjeux socio-culturels à différentes échelles, ainsi que celle du projet initial de la Place des Arts. Cet enchaînement temporel permettra d’inscrire le projet du Quartier des spectacles dans son contexte d’émergence, et de questionner l’apport des valeurs endogènes d’une population sur les caractéristiques d’une ville culturelle contemporaine. Nous nous demanderons ensuite si l’utilisation du festival comme outil d’activation urbaine est issue de la culture locale, ou si elle fait partie d’une stratégie marketing de promotion d’une ville festive et attractive. Dans cette continuité, nous tenterons d’évaluer les incidences spatiales que peuvent avoir ce type d’événements sur l’espace public et la fabrication de la ville. Enfin, une analyse concrète du projet et des caractéristiques du centre-ville de Montréal, basées sur l’état actuel de la démographie sociale et économique de Montréal, nous permettra d’amorcer un regard critique sur ce type d’intervention basée sur la culture dans les villes.

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PARTIE A / Montréal, une métropole moyenne


Nous savons d’ores et déjà que Montréal dispose depuis une dizaine d’années d’une certaine influence, mais quels sont les signes qui nous permettent d’affirmer qu’elle a bel et bien gagné le rang de métropole internationale, et dans quelle mesure la culture a-t-elle contribué à cet avènement ? Métropole : nf. sing. « Ville principale d’une région ou remarquable dans un domaine particulier », Encyclopédie Universalis

S’interroger sur le statut de métropole de la ville devrait nous permettre de replacer Montréal dans son contexte nord-américain et canadien, afin d’identifier vis-à-vis de quelle « région » de référence il est possible de parler de primauté de la ville vis-à-vis d’autres. Il s’agira d’établir ce qu’induit ce titre pour la ville et ses dynamiques spatiales, humaines et économiques, afin d’occuper une place « remarquable » au sein des réseaux auxquels elle participe. Pour cela, l’analyse de différentes théories qui ont été faites sur le sujet des métropoles, permettra d’identifier les critères selon lesquels Montréal serait éligible à ce titre, et les éventuels outils nécessaires et disponibles pouvant lui permettre de se placer « hors-concurrence ». Enfin, l’hypothèse émise étant que le « domaine particulier » par lequel elle se distingue est celui de la culture, nous essaierons de mettre en avant l’évolution des enjeux de l’utilisation de la culture au Québec à différentes échelles, de souligner les signes de son rayonnement actuel, et de pointer les moyens mis en place aujourd’hui pour entretenir son monopole.

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1. Montréal, une métropole avant tout Québécoise Selon l’étymologie grecque du mot, « métropole » signifierait littéralement «villemère», ou «ville qui a fondé, ou colonisé d’autres villes»1. De ce point de vue, Québec serait plus légitime pour porter le titre de métropole, puisqu’il s’agit de la première véritable ville fondée par les colonisateurs français au XVIème siècle, et qui constituera plus tard le centre à la fois urbain, décisionnel et économique du pays. Cependant, l’établissement de Montréal découle directement de la fondation de Québec, et fait partie du processus de colonisation et d’urbanisation du territoire canadien par la France. Elle est donc de ce fait la deuxième concentration urbaine créée au Canada, ce qui la rapproche de cette vision de la métropole, plus que ses voisines canadiennes. De plus, c’est aujourd’hui Montréal, et non pas Québec, qui a pris l’avantage pour ce qui est du rayonnement à l’échelle mondiale. En effet, Québec n’apparaît jamais dans les classements des villes, au profit de Montréal qui, déjà d’être une ville démographiquement plus importante (800 000 habitants pour la région métropolitaine de Québec contre 4 millions à Montréal2), a su tirer ses épingles du jeu pour se forger un profil attractif à l’échelle mondiale. Pour nous aider dans cette analyse, plusieurs critères ont été établis par des théoriciens et urbanistes afin de déterminer et d’évaluer le statut de métropole d’une ville. Les principales études qui serviront de base à cette analyse, seront celles de Mattei Dogan, chercheur en sociologie et membre du CNRS, de Saskia Sassen, sociologue et économiste principalement connue pour ses théories sur l’économie monde, de Fernand Martin, économiste et professeur à l’Université de Montréal, spécialisé quant à lui sur le cas particulier de Montréal, et enfin de François Ascher, urbaniste et sociologue, qui opte pour une approche centrée sur la nouvelle place des industries du savoir et du potentiel innovant des villes. On associe souvent la dénomination de « grande ville » pour évoquer les métropoles. Nombreux sont les classements des « X plus grandes villes du monde », et il est vrai que la démographie peut être un critère dans l’évaluation du poids d’une ville sur la toile mondiale. Mattei Dogan, par exemple, développe une thèse sur l’émergence des villes géantes, qui consiste à analyser l’impact que peut engendrer la concentration d’une population en un même lieu, et sur les dynamiques des échanges qui peuvent exister entre les villes de cette même

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1 Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (http://www.cnrtl.fr/etymologie/) 2 Statistiques Canada, site gouvernemental (http://www.statcan.gc.ca/)


catégorie.3 (Dogan, 2004) Ce que l’on peut déjà dire, c’est que Montréal ne tient pas son statut de métropole d’une population à l’effectif spectaculaire. En effet, les villes géantes auxquelles Dogan fait allusion comportent entre 8 et jusqu’à presque 40 millions d’habitants (la ville la plus peuplée au monde aujourd’hui est Tokyo avec 38 millions d’habitants), ce qui est loin d’être le cas de Montréal, qui dispose aujourd’hui d’à peine 4 millions d’habitants4. Cependant, M. Dogan affirme également que l’importance d’une ville se lit également à travers son poids démographique vis-à-vis de son ensemble territorial. En prenant les villes canadiennes comme référence de comparaison, Montréal occupe une place notable à l’échelle du pays. Elle est la seconde ville la plus peuplée après Toronto (6 millions d’habitants), suivie par Vancouver (2,5 millions). Le nombre limité de grandes villes sur un même territoire comme celui du Canada pourrait ainsi assurer à ces dernières une renommée presque évidente (dans un pays peu peuplé, c’est la capitale qui représente l’État à l’échelle mondiale, même si elle-même n’est pas d’une importance majeure). Maintenant, si on considère l’ensemble territorial auquel appartient Montréal comme sa province, le Québec, alors on s’aperçoit que Montréal et sa région métropolitaine concentrent quasiment la moitié de la population du Québec (4 millions d’habitants à Montréal pour 8,2 Québécois). Étant donné l’engagement politique particulier du Québec vis-à-vis des autres provinces, à savoir une recherche d’autonomie et la promotion d’une identité québécoise singulière, le poids démographique de Montréal prend une réelle importance, quant au rôle de vitrine québécoise qu’occupe la ville sur le plan mondial. M. Dogan met également en avant les spécificités géographiques d’un pays, pouvant être plus ou moins à l’avantage des villes. Celui-ci s’appuie sur le constat que les plus grandes métropoles sont en grande majorité fondées au bord de voies maritimes navigables (océans, mers, fleuves, canaux, etc), leur assurant des connexions notamment marchandes avec le reste du monde. On comprend ainsi l’importance des villes telles que Vancouver, Toronto et Montréal pour le Canada, qui se situent à proximité de l’eau. Montréal, par exemple, doit en grande partie son statut de métropole à son port de marchandises, relié au monde par l’océan, et aux États-Unis grâce au Fleuve Saint-Laurent. La proximité des États-Unis en question a joué un rôle notable dans le développement des villes canadiennes et de Montréal. Le Canada, après avoir longtemps commercé essentiellement avec le Royaume-Uni (son colonisateur) grâce à l’exportation de céréales et de bois, s’est vu au cours du XIX ème siècle privé (ou libéré?) de cette exclusivité britannique. Devenant ainsi libre de ses mouvements, mais en même temps abandonné par son principal acheteur / 3 Dogan Mattei, « Introduction. Quatre cents villes géantes au sommet du monde », Revue internationale des sciences sociales 2004/3 (n° 181), p. 383-400. 4 D’après les chiffres officiels diffusés par la ville. (http://ville.montreal.qc.ca/)

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fournisseur, le Canada s’est naturellement tourné vers son voisin géographique. De plus, le pays s’étant essentiellement développé autour de l’exploitation agricole de ses terres et se reposant sur l’importation de produits manufacturés en provenance des RU, il encaissait un retard industriel substantiel vis-à-vis des États-Unis qui avaient gagné leur indépendance politique et économique 100 ans auparavant. C’est ainsi que le rôle de fournisseur d’objets manufacturés s’est transféré aux États-Unis, et que ces derniers sont devenus le premier pays avec lequel le Canada exporte et importe des marchandises5(Bairoch, 1997). Pour faciliter ces échanges, des connexions physiques ont dû être créées ou améliorées entre les deux États, notamment du point de vue routier, ferroviaire, et fluvial.

Le réseau routier Canadien, 20086; Le réseau ferré du Canada, 20127

Sur ces deux cartes, qui font respectivement état du réseau routier et du réseau ferroviaire au Canada aujourd’hui, on constate d’ores et déjà de la proximité des métropoles canadiennes (Montréal, Toronto, Vancouver) avec les ÉtatsUnis. De plus, surtout au regard de celle de droite, on constate clairement l’imbrication des réseaux américains avec ceux canadiens, et ce de manière encore plus affirmée à l’est, autour des grands lacs. Ces schémas spatiaux traduisent la connexion et l’interdépendance des villes canadiennes vis-à-vis des villes américaines. Sur la base de ce type de schémas, qui illustrent la desserte en réseaux d’un territoire, Dogan parvient à analyser le rapport qu’entretiennent les villes entre

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5 Bairoch Paul, Victoire et Déboire tome 1, édition Gallimar, 1997, Chap La révolution industrielle et le démarrage des pays développés extra-européens 6 Site de Statistique Canada (http://www41.statcan.gc.ca/2008/4006/grafx/htm/ceb4006_000_map1-fra.htm) 7 Atlas des chemins de fer – Association des chemins de fer du Canada, 2012 (http://www.voisinage.ca/)


elles, à travers les concepts des villes monolithiques et des villes multipolaires. Contrairement à Paris, dont l’hégémonie rayonne et dessert les villes de province, créant un schéma de toile d’araignée (ville monolithique), le Canada ne dispose d’aucune ville se détachant par sa centralité territoriale ou modale (réseaux). Au contraire, elles font toutes parties d’un réseau uniforme plutôt longiligne, qui correspond à la définition des villes multipolaires. Selon la définition donnée par M. Dogan, la particularité d’une ville multipolaire, comme pourrait l’être qualifiée Montréal, est de pouvoir occuper une place aussi importante que ses concurrentes grâce au développement d’un secteur singulier, moins développé par les autres métropoles. S. Sassen8, de son coté, en définissant le concept de « ville globale », analyse les dynamiques qui font d’une ville une métropole influente sur le plan mondial. Elle développe l’idée qu’un des critères permettant d’évaluer le poids d’une métropole est sa concentration de centres décisionnels, que ce soit politiques ou bien économiques. Nous pouvons d’ores et déjà écarter l’aspect politique du portrait de la ville de Montréal, puisque cette fonction, à l’échelle de la province du Québec, est occupée par la ville de Québec, dans laquelle se trouve l’Hôtel du Parlement (où siègent l’Assemblée Nationale du Québec et le Conseil Exécutif), ainsi que le Secrétariat aux Affaires Intergouvernementales Canadiennes. Pour ce qui est de la centralité économique, S. Sassen appuie l’importance de la présence de sièges sociaux dans une ville comme indicateur d’attractivité mondiale. Le Québec concentre 578 sièges sociaux, dont 405 se situent à Montréal, ce qui est moitié moins que son voisin l’Ontario, qui lui détient 1137 sièges sociaux, dont 734 sont situés à Toronto9. Ce constat nous apprend qu’à l’échelle canadienne, Montréal ne jouit pas d’une supériorité pour ce qui est de l’attractivité des entreprises. En revanche, au regard de la province du Québec, celle-ci occupe un rôle économique clé, puisqu’elle concentre 70 % des sièges sociaux, ce qui la présente comme moteur central des investissements et de l’attractivité économique de la province. De plus, Montréal et sa région métropolitaine ont obtenu la première place parmi « les importantes métropoles des Amériques pour la meilleure stratégie d’attraction des investissements directs étrangers », d’après le classement «American Cities of the Future 2013-2014» de FDI Magazine (Foreign Direct Investisment), ce qui prouve qu’elle dispose tout de même d’atouts qui pourraient peut-être faire basculer ce désavantage en sa faveur dans les années à venir. 8 Sassen Saskia , « Introduire le concept de ville globale », Raisons politiques 2004/3 (no 15), p. 9-23. 9 Groupe SECOR : Les sièges sociaux au Québec – Leur évolution, leur contribution et leur expansion - Présentation du rapport d’analyse réalisée pour le Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises, 2013

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La disgrâce dont est victime Montréal vis-à-vis de Toronto est en partie explicable par l’instabilité à la fois politique et linguistique du Québec (Martin, 1998), qui rend le contexte peu stable et difficilement abordable pour des investisseurs étrangers, dont la langue de transaction est le plus souvent l’anglais. Pour appuyer cette thèse, nous pourrons citer F. Martin, qui met en avant le passé industriel de Montréal, qui en conserve la trace par son nombre important d’emplois dans le secteur manufacturier, et les possibilités qui s’ouvrent à elle afin de tirer son épingle du jeu. De manière générale, il avance qu’une métropole peut s’imposer à l’échelle mondiale grâce au développement de ses industries basées sur le savoir. Il s’agit là exactement des secteurs qui nous intéressent. « Il (le savoir) est fonction de la culture et des aménités urbaines. Son transfert ne se fait que par face-à-face, dans un environnement favorable. Il alimente des industries dont la production est faite « sur-mesure », par exemple, les industries culturelles. Les industries du savoir se font concurrence surtout par la qualité et pas par les coûts, alors que pour les productions standardisées la concurrence se fait sur les coûts, influencés par les bas salaires. »10 (Martin, 1998, p143)

L’urbaniste et sociologue François Ascher, développe une théorie assez précise au sujet de ce basculement des villes contemporaines, d’une dynamique productive à une dynamique créative. Il développe l’idée que les métiers proposés par les entreprises, et donc les capacités attendues envers les employés, se spécialisent de plus en plus, nécessitant des niveaux de qualification de plus en plus poussés. Ce qui conforte la théorie de F. Martin sur le niveau de l’éducation. Ce nouveau type de travailleurs hautement qualifiés constitue un grand potentiel à la fois créatif et productif pour une ville. « L’idée est donc (pour les urbanistes, en particulier) de créer les conditions les plus attractives possibles pour ces créatifs qui, par leur présence, attireront les entreprises et les investisseurs. »11(Ascher, 2008, p.77)

De ce fait, l’aptitude des villes à se montrer innovante et attractive aujourd’hui, selon Ascher, relève de leur capacité à mettre ces personnes en relation. Ce dernier met l’accent sur les espaces de la ville qui permettent à des personnes isolées de se rencontrer et de faire émerger de nouvelles idées, bref, d’innover. « Il s’agit notamment de développer, dans les grandes villes, des lieux qui permettent à ces professionnels non seulement de trouver toutes les spécialités dont ils peuvent avoir besoin, mais aussi de trouver des gens, des situations et des choses qu’ils ne cherchaient pas, mais qu’ils pourraient utiliser de façon créative. » (Ascher, 2008, p.77/78)

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10 Martin Fernand, « Montréal : les forces économiques en jeu, vingt ans plus tard », L’Actualité économique, vol. 74, n° 1, 1998, p.129-153. 11 Ascher François, « Les nouvelles dynamiques urbaines dans le contexte d’une économie de la connaissance et de l’environnement », Annales des Mines - Réalités industrielles 2008/1 (Février 2008), p. 75-79.


Ces espaces, supports de rencontres et d’échanges créatifs, peuvent aussi bien s’agir d’équipements, des écoles par exemple, comme d’espaces moins définis programmatiquement, tels que les espaces publics. Ascher appuie l’importance de ces espaces ouverts à tous qui connaissent un regain d’engouement en réaction à la virtualisation des échanges par les nouveaux réseaux sociaux internet. « [...], cela nécessite également l’existence de lieux où le hasard, le fortuit, l’imprévu, le non programmé sont possibles et exploitables. Les espaces publics en général – les rues, en particulier – jouent, de ce point de vue, un rôle renouvelé, et ce n’est pas un hasard si les urbanistes redécouvrent depuis quelques années l’importance de ce type de lieu. Mais les grands événements, les parades, les prides, les festivals, les kermesses, qui rassemblent des gens dont la vie quotidienne ne serait pas susceptible de les faire se rencontrer, sont autant d’occasions, que des individus créatifs sont susceptibles de mettre éventuellement à profit. » (Ascher, 2008, p.78)

De ce point de vue là, avec sa soixantaine de festivals pour l’année 201512, nous pouvons d’ores et déjà dire que Montréal dispose d’atouts culturels pour la mise en relation de ce potentiel humain créatif. Il s’agira alors de déterminer de quelle manière se manifeste cette nouvelle industrie créative au sein de la ville de Montréal, et quels ont été les outils mis en place par la ville afin de permettre leur émergence. À travers ces différentes analyses, et les chiffres plaçant constamment Montréal en deuxième ou troisième position derrière Toronto et Vancouver13 sur le plan mondial, nous pouvons comprendre que Montréal trouve sa place sur le plan canadien avant tout par sa position au sein d’un réseau à la fois spatial et économique. L’application du schéma des villes multipolaires au réseau des métropoles canadiennes, auquel Montréal appartient, met en avant la nécessité pour celle-ci de trouver le domaine qui lui permettrait de se distinguer à l’échelle du pays comme à l’échelle mondiale. La partie suivante permettra d’éprouver l’hypothèse que Montréal a bel et bien fait le choix de développer cette industrie basée sur la créativité et le savoir, à travers le développement de ses événements culturels et des équipements qui leur serviront de support, en la replaçant dans son contexte à la fois historique et actuel.

12 Calendrier des Festivals 2015, Site de la Ville de Montréal (http://ville.montreal.qc.ca/culture/calendrier-des-festivals-2015) 13 Toronto Region Board of Trade, « Toronto as a Global City : Scorecard on Prosperity », 2015

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2. D’une ville post-industrielle à une ville culturelle Aujourd’hui, Montréal reçoit annuellement près de 8 millions de touristes par année, dont à peu près 20 % de provenance étrangère, ce qui fait d’elle la deuxième ville la plus visitée au Canada après Toronto. Les revenus engendrés par le tourisme ont été estimés pour l’année 2013 à environ 2,5 milliards de dollars. Durant l’année 2014/2015, la ville a accueillit 47 congrès dont 25 congrès internationaux et 22 nationaux14. Et pour ce qui est du Quartier des Spectacles, la Place des Festivals, objet de notre étude, figure dans le top 10 des places publiques urbaines dans le monde selon le site Landscape Architects Network15. (16) L’enjeu de cette partie sera d’introduire les événements historiques, politiques et sociaux, qui ont initié la transition entre le Montréal post-industriel de l’aprèsguerre, et le Montréal culturel d’aujourd’hui. Puis il s’agira de mettre en évidence l’investissement dont fait preuve, aussi bien la ville, que la province du Québec et le Canada, pour développer ces industries culturelles. a. Origines : l’exposition 67, moteur de culture « La réalisation de ce grand projet s’inscrit dans ce que l’économiste Jean Fourastié a nommé les « Trente glorieuses » (1945-1973), soit les années d’après-guerre marquées par la reconstruction des pays dévastés, une croissance économique soutenue, une situation de plein-emploi et le baby boom. »17(Demers, Lamothe, 2015)

Les années 60 sont marquées par l’arrivée du maire Jean Drapeau au pouvoir, et par l’émergence grandissante de la question de l’indépendance du Québec visà-vis du Canada. En plus d’être engagé dans cette question d’identité nationale, Jean Drapeau est un homme d’ambition qui rêve de voir Montréal devenir une ville dynamique sur l’échelle mondiale. Pour cela, il donnera à Montréal les

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14 Communiqué de Presse sur le Site du Palais des Congrès de Montréal, le 20 Mai 2015 (http:// congresmtl.com/2015/05/le-palais-des-congres-de-montreal-accueille-un-nombre-record-detouristes-daffaires/) 15 Landscape Architects Network : site internet tenu par des professionnels de l’aménagement, référençant et évaluant les différents projets d’aménagement d’espaces extérieurs urbains et/ou paysagers 16 Rapport annuel 2013 de Tourisme Montréal, «organisme privé à but non lucratif» , «visant à favoriser Montréal comme destination touristique auprès des clientèles extérieures» 17 Demers clément, Lamothe Bernard, Les 50 ans de la Place des Arts, sous le direction de Louise Poissant, Presses de l’Université du Québec, Canada, 2015, Chap. Comment une ville exprime la culture


projets à la hauteur de ces rêves : tout un projet de renouvellement urbain du centre-ville est lancé, comprenant la création d’un réseau souterrain de métro, la construction de la Place Ville Marie (quartier des affaires), ou encore l’ouverture de l’autoroute Décarie qui posera plus tard sa somme d’inconvénients urbains. Dans ce début de période post-moderniste, on assiste également à l’essor de la problématique de la pratique de l’espace urbain par le piéton18. C’est d’ailleurs à la même époque, en 1963, qu’est inaugurée la salle de concert Wilfrid-Pelletier, à l’époque appelée « la Grande Salle », et la Place des Arts, qui constitue l’étude de cas de cette analyse. Dans cette période d’opposition nationale, un nouvel enjeu québécois venait de naître : comment ne faire qu’un, et s’affirmer en tant que tel, dans un pays où chacun a sa propre définition du « un ». La plus grande peur de la part de la population opposée à l’indépendance du Québec était l’autarcie et l’isolation, tout autant économique que politique. Accueillir l’Exposition Universelle devait prouver à l’ensemble de la population que le Québec, et Montréal, étaient capables d’occuper une place singulière aux yeux du monde, et qu’il pourrait défendre son indépendance par son ouverture sur le monde. L’idée première de postuler en tant que ville hôte de l’Exposition Universelle a donc été, avant tout, de se servir du pouvoir rassembleur de la culture pour véhiculer un sentiment d’appartenance, afin de diffuser l’image d’un peuple uni et d’une identité forte. Dans un contexte annonçant l’émergence de la mondialisation et d’une économie globale, l’idée adjacente était également de se servir de cet événement mondial comme levier pour ouvrir Montréal sur l’extérieur, et de générer d’éventuels partenariats économiques avec l’étranger. Cette émulsion intense de projets, de construction et de créativité, a, dans une relation de cause à effet, boosté le développement de l’industrie du savoir. Tous les talents sur place ont été mobilisés pour la mise en place de l’exposition : architectes, ingénieurs, designers, paysagistes... Cela a activé une sorte d’essor de dynamisme dans ces domaines attenant à la création et à l’innovation. L’ouverture du domaine d’étude Design de l’Environnement à l’UQAM (Université du Québec à Montréal) témoigne de cette volonté de former des jeunes québécois prêts à nourrir cette industrie culturelle naissante19. L’ambition de se servir de l’Exposition Terre des Hommes comme tremplin pour promouvoir la ville aux yeux du monde entier fut remplie : sur les six mois, elle recevra près de 50 millions de visiteurs, ce qui fait d’elle la troisième exposition la plus fréquentée de l’histoire (après Osaka en 1970 (64 millions) et Shangai en 2010 (70 millions)). 18 Roy Jean, Proulx Daniel, série documentaire «Les 30 journées qui ont fait le Québec moderne» : Ouverture de l’Exposition Universelle de Montréal 19 Roy Jean, Proulx Daniel, série documentaire «Les 30 journées qui ont fait le Québec moderne» : Ouverture de l’Exposition Universelle de Montréal

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Comme le développe Philippe Chaudoir dans son analyse des événements éphémères à caractère international au cour du XX ème siècle20, les expositions universelles illustrent ce passage dans l’imaginaire des villes : de la ville représentante d’une économie, d’une architecture, d’une culture nationale, à une ville en soi, porteuse de ses propres valeurs. De ce fait, même si c’est le Canada qui était représenté dans les pavillons de l’Exposition, c’est bien Montréal, en tant que ville hôte, qui récoltera les retombées de cet événement et se forgera une image de ville internationale. « Ce que signifie l’apparition de la ville événementielle, c’est donc le passage d’une visibilité internationale des villes comme représentantes des États nations, à une présence des villes, sans intermédiaire, dans une logique de concurrence internationale et interurbaine.» (Chaudoir, 2007, p.3)

En accueillant les Jeux Olympiques à Montréal une décennie plus tard, Montréal confirme cette montée en force, et apparaît une nouvelle fois comme actrice mondiale majeure et symbole d’ouverture. Autre conséquence liée à l’Exposition Universelle, elle permet aux Québécois de s’ouvrir à la richesse de la diversité culturelle. Cette découverte d’autres cultures ainsi que ce regain d’attention portée à la ville, donnèrent goût, autant à la population qu’aux dirigeants politiques, à l’enjeu de la culture et de l’ouverture sur le monde comme moteur d’économie et de promotion internationale. b. Les outils mis en place pour faire de Montréal une métropole culturelle mondiale Ces événements, ainsi que tous les moyens mis en œuvre pour leur réalisation, témoignent de cette volonté naissante, avant tout provinciale et municipale, de mettre en avant cette image de Montréal multiculturelle. Bien qu’il a semblé difficile de faire ressortir l’avance économique de Montréal vis-à-vis des autres métropoles canadiennes, et plus notamment de Toronto, dans la grande majorité des domaines, il s’agira ici de mettre en avant la volonté et les efforts aussi bien politiques, économiques, et surtout urbanistiques, pour aujourd’hui conforter la place de Montréal au sein du Canada, et la promouvoir aux yeux du monde en tant que métropole culturelle québécoise. En se penchant sur les dépenses à la fois nationales, provinciales, et municipales au titre de la culture, on s’aperçoit très vite que Montréal est de loin la ville du Québec qui bénéficie le plus de soutien financier dans le domaine de la culture. Comme nous le montre le tableau comparatif de ces dépenses à 30 |

20 Chaudoir, Philippe , « La ville événementielle : temps de l’éphémère et espace festif », Géocarrefour, Vol. 82/3 | 2007, mis en ligne le 26 mars 2008


l’échelle des différentes municipalités du Québec, l’investissement financier local de la ville de Montréal dans ce domaine représente quasiment la moitié des dépenses recensées dans la province entière. Elles sont en moyenne 20 fois supérieures aux dépenses des autres municipalités du Québec (Tableau n°1). Ces chiffres démontrent, au-delà de la disparité d’importance démographique, de l’engagement municipal de la ville pour maintenir cette effusion en termes de représentation et d’innovation au sein de la ville.

Tableau n°1 : Dépenses culturelles des municipalités en services rendus, régions administratives et ensemble du Québec

Source : Institut de la statistique du Québec http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/culture/depensesculturelles/municipal/depense_ service.html

Du point de vue national, autrement dit de l’engagement financier du Canada dans le développement de la culture au sein de ses différentes agglomérations, le tableau comparatif des dépenses fédérales au titre de la culture nous apprend que l’État s’engage de manière plus importante dans le financement des industries culturelles du Québec que de celles de l’Ontario (tableau n°2). Bien que cet écart (assez minime) puisse s’expliquer par le fait que l’Ontario est une province plus autonome financièrement que le Québec, ces chiffres démontrent également que le Québec, malgré sa volonté déclarée d’autonomie, est toujours relativement tributaire du soutient financier du Canada.

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Tableau n°2 : Tableau des dépenses totales de l’administration fédérale au titre de la culture, selon la fonction et la province ou le territoire, pour l’année 2009/2010

Source : http://www.statcan.gc.ca/pub/87f0001x/2012001/t005-fra.htm Site gouvernemental des statistiques au Canada. (équivalent INSEE)

Il est intéressant de noter l’importance du financement du domaine « cinéma et vidéo », ainsi que « multidisciplinaire et autres activités » : le soutien financier fédéral pour le Québec est au moins deux fois plus élevé que celui pour l’Ontario. Depuis une dizaine d’années, Montréal tend à développer toutes les formes de support de représentation (instituts, écoles, musées, etc), autour de la thématique du cinéma et de l’image en général. Le cinéma québécois est d’ores et déjà bien représenté sur la toile mondiale, surtout depuis les cinéastes engagés de la révolution tranquille (années 60). Plus récemment et dans cette lignée des cinéastes mettant en scène cette culture québécoise, on peut notamment citer Xavier Dolan (Mommy, 2014) ou Denis Villeneuve (Incendies, 2011), reconnus internationalement (nominations et récompenses nombreuses au Festival de Canne, festival de Deauville, de Berlin, etc). Du point de vue des « autres activités », il me semble important de souligner le parti-pris de Montréal de mettre en avant une vision très actuelle et novatrice des arts et des médias numériques, ce qui représente un domaine que les autres villes du Canada ne tendent pas vraiment à développer. On pourrait par exemple pointer la création en 1996 de la SAT, la Société des Arts et Technologies. Située dans le périmètre du Quartier des Spectacles, cet institut contient à la fois salles de représentation et laboratoires de recherche. Des ateliers sont organisés tout au long de l’année pour rendre accessible ce nouvel 32 |


« art scientifique », basé sur l’expérimentation des nouvelles technologies, aussi bien visuelles que sonores. Une simple recherche sur Indeed, site de recherche d’emploi à l’échelle de l’Amérique du Nord, dans la catégorie « nouveaux médias », nous apprend que Montréal propose 250 emplois dans le domaine, tandis que Toronto n’en propose que 60, et Vancouver 4...21 Également, déjà mentionné précédemment, le Design représente une source de recherche et un moteur d’événements et d’image important. Depuis 1991, la ville s’est dotée d’un Bureau du Design au sein du service du développement économique, qui a pour mission de soutenir le développement et la formation des designers à Montréal, mais également d’en assurer la promotion et le rayonnement international. Le département Design et Environnement de l’UQAM, par exemple, accueil nombre de conférenciers reconnus mondialement dans le domaine. Sans oublier la création du Centre Canadien d’Architecture en 1979, puis de la Maison de l’Architecture du Québec en 2001. En guise d’aboutissement, Montréal a rejoint le réseau des Villes Créatives de l’UNESCO dans la catégorie Design en 2006. Sur ce registre des connexions internationales et de la globalisation des problématiques urbaines, il paraît important de mentionner que Montréal a participé en 2002 à l’élaboration de l’Agenda 21 de Culture, qui fait de la culture le « quatrième pilier du développement durable », et qui met en place un certain nombre d’objectifs et de valeurs à injecter au sein des villes.

21 Site internet INDEED : http://emplois.ca.indeed.com/

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///////////////////////////// Si ce premier regard à l’échelle mondiale n’a pas pu permettre de faire ressortir Montréal comme première Métropole canadienne, nous avons pu cependant dégager son rôle majeur au sein du Québec, et de la représentation de ce dernier aux yeux du Canada et du monde. Ce changement de vision, d’une ville semblable à toutes les autres métropoles canadiennes, bercées par la culture et la langue américaine, à une véritable métropole culturelle, incarnant un héritage singulier riche de ses différences, constituera le levier de tous les grands projets de la ville depuis les années 60, comme celui de la Place des Arts qui aboutira plus tard au Quartier des Spectacles. L’hypothèse que nous émettrons à travers cette analyse, sera que le Quartier des Spectacles à Montréal constitue l’une des preuves que Montréal a su se réapproprier la montée des industries basées sur le savoir et la création, afin de doter la ville d’une nouvelle source d’attractivité à la fois professionnelle et touristique. Afin d’éprouver cette piste, il s’agira d’établir les dynamiques de développement culturel et urbanistique qui auraient pu permettre à la ville de jouer un rôle dans le réseau actuel des métropoles culturelles mondiales. De plus, le Quartier des Spectacles s’inscrivant dans la continuité spatiale et programmatique du projet de la Place des Arts inaugurée en 1963, il s’agira également de cerner l’évolution des enjeux et des outils à la fois urbanistiques, politiques, économiques et sociaux, qui ont permis et conduis Montréal à faire évoluer le projet original.

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PARTIE B / La place des Arts : confrontation des enjeux identitaires avec des ambitions internationales


1. Le Québec : de la Grande Noirceur à la Révolution Tranquille Depuis sa découverte par le Français Jacques Cartier au milieu du XVIe siècle jusqu’à nos jours, le Québec a toujours été confronté à un dilemme opposant deux cultures : celle de ses premiers colons, dont l’héritage perdure à travers l’emploi du Français, et celle de ceux qui l’ont colonisé par la suite, les Anglosaxons. Exception francophone dans un territoire tel que l’Amérique du Nord (25 millions de km² et 530 millions d’habitants), le Québec a toujours fait figure d’ovni culturel. Même après l’obtention de l’indépendance du Canada en 1867, le Québec demeura étranger au sein de sa nation à travers sa langue. La question qui se pose au Québec depuis cette date pourrait être résumée de cette manière : face à un pays comme celui du Canada, 11e plus grande puissance économique au monde, et dans lequel on parle la langue la plus utilisée dans les échanges internationaux, comment faire valoir une culture latine orpheline d’une mère France située à plus de 5 000 km au-delà de l’océan Atlantique ? Dès la création du Canada et jusqu’au milieu du XXème siècle, la gestion économique du Québec se fait sous le giron anglophone du Canada, et les institutions, notamment en matière d’éducation, sont sous la direction du clergé catholique. Autour de cet enjeu de gouvernance, l’opinion publique québécoise a, depuis toujours, été divisée entre l’intégration des valeurs canadiennes et religieuses, et une quête d’autonomie à la fois politique et économique. Cette divergence d’opinion politique au sein de la population québécoise s’analyse de manière plutôt aisée lorsqu’on se penche sur le profil linguistique et social des Québécois : Le Québec a toujours été composé d’une majorité francophone, en grande partie ouvrière et agricole, dotée d’un niveau d’instruction relativement bas, et d’une minorité (qui s’avère de plus en plus minime) anglophone, plutôt aisée, occupant les postes les plus hauts placés (au début des années 60, 83 % des personnes travaillant dans l’administration québécoise étaient anglophones22). Au regard de ce fait, il serait facile d’associer les idées conservatrices aux anglophones, et les idées indépendantistes aux francophones. Pour autant, il existe, et il a toujours existé, une grande partie de la population francophone qui, tout en affirmant leur singularité culturelle, ne désire pas se détacher du Canada, aux vues de son poids à la fois économique et politique à l’échelle internationale. Pour cette raison, la gouvernance politique au Québec n’a jamais cessé d’alterner entre des partis conservateurs, le plus souvent unionistes (pour le 22 Jacques Cossette-Trudel, série documentaire «Une révolution tranquille», 2007 (support Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=wZ401Oz-OJM)

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rattachement du Québec au Canada), et des partis libéraux, aux ambitions émancipatrices. (voir frise) Cependant, il est important de voir, qu’à travers cette divergence, pour ce qui est du degré d’autonomie qui devrait être accordé au Québec, que l’ensemble des partis au pouvoir depuis 1936 cherche à obtenir la reconnaissance, de la part des autorités canadiennes, d’une identité culturelle singulière. En 1944, le parti conservateur de l’Union Nationale remporte les élections provinciales, mettant ainsi Maurice Duplesis à la tête du gouvernement. Ce parti défend une idéologie qui place la religion, la francophonie et la ruralité au cœur de son discours. Duplessis accepte et encourage la gestion de l’enseignement par le clergé. Tout en restant fédéraliste, il désire l’obtention d’un statut particulier pour le Québec, en défendant une identité marquée par ces valeurs, et une province plus autonome dans sa gestion politique. Premier ministre jusqu’en 1960, les années du mandat de Duplessis sont aujourd’hui qualifiées de période de Grande Noirceur, en raison de l’obscurantisme des méthodes d’enseignement et de la morale catholique, cumulé à l’omniprésence de la pègre à Montréal et de la corruption au sein des services publics montréalais. Le gouvernement est accusé de ne pas assez s’impliquer dans la démocratisation de l’éducation et des arts, tous deux considérés alors comme réservés aux élites catholiques anglophones. « Quand, dans ma génération, nous parlons de «grande noirceur», nous évoquons le contrôle pervers de la sexualité, le mépris de l’industrie, de l’art, de l’économie et le refus de la pensée scientifique.» (Godbout, 2010)23

Durant le gouvernement Duplessis, c’est Camillien Houde qui est le Maire de Montréal de 1947 à 1954. C’est ce dernier qui, pour la première fois, fera émerger un projet pour une nouvelle salle de concert en centre-ville, et pour les équipements l’accompagnant. Cette idée est née dès la fin du XIXe siècle, du besoin d’une salle suffisamment spacieuse et adaptée techniquement afin d’accueillir l’Orchestre Symphonique de Montréal. De plus, même si la ville dispose de nombreuses salles de représentation, celles-ci ne fournissent ni la capacité d’accueil, ni la prestance architecturale nécessaire afin d’y accueillir les plus grands artistes internationaux. « La construction d’une salle de concert est ardemment désirée de notre public musicien. Nous ne sommes pas sans ressentir, tous plus ou moins consciemment, dans quel état de déchéance la Métropole du Canada est placée de par l’inexistence d’une bonne salle de concert où nous puissions recevoir les grands virtuoses et les grands chefs d’orchestre. La construction d’une salle ferasans aucun doute une meilleure réputation à notre ville. » (Richard,

2015)24

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23 GODBOUT Jacques, Pour éclairer la «grande noirceur», Le Devoir, quotidien montréalais, 28 septembre 2010, Québec 24 RICHARD G., La Place des Arts, «Prétexte d’insertion culturelle dans un programme de rénovation urbaine», 2015, citant « Nous aurons une salle de concert », Cahiers de la Quinzaine, 22 novembre 1930


La nouvelle salle de spectacle qui serait proposée devait donc répondre à ce besoin de monumentalité dans les équipements culturels de la ville de Montréal. Le premier projet, envisage la mise en place d’un ensemble d’équipements qui accompagnerait la salle de spectacle principale. Ce complexe regrouperait de cette manière des espaces de représentation, de répétition, et d’enseignement de la musique. Cette idée, de proposer une diversité d’activités, orientées vers différents types d’usages, de publics et de temporalités, est à l’image des nouveaux Arts Center américains de l’époque. En 1950, plusieurs articles rédigés par Pacifique Plante, un ancien policier, et publiés dans le quotidien montréalais Le Devoir, dénoncent la corruption au sein des services municipaux de la ville, et notamment de la Police. Ce dernier accuse le service public de fermer les yeux sur les agissements de la pègre, alors à la tête des plus grandes maisons clauses, cabarets et casinos, en échange de pots-de-vin. Dans la même année, et au regard de ces révélations, un grand nombre de Québécois, pour la grande majorité des travailleurs et des investisseurs dans l’industrie, ainsi que certains syndicats ouvriers, s’unissent afin de créer le Comité de Moralité Publique, qui débouchera sur l’ouverture d’une enquête de moralité, aussi appelée « Enquête Caron », du nom du juge qui mettra en place cette commission. Pacifique Plante et Jean Drapeau se feront les avocats du Comité de Moralité, et permettront à ce dernier de gagner l’opinion publique quelques années seulement avant le décès de Maurice Duplessis.25 Le scandale politique stoppera l’élan de Houde en faveur d’un projet de renouvellement urbain et d’une salle de concert. Pour les mêmes raisons, et même si C. Houde n’est pas soupçonné de complicité, la légitimité des conservateurs sera remise en cause, et ce dernier perdra les élections municipales de 1954 au profit de Jean Drapeau, nouvelle figure de la moralité et de la modernité québécoise. C’est ce dernier qui fera renaître le projet 6 ans plus tard. En 1960, la victoire du Parti Libéral Québécois (PLQ) aux élections générales, sous la direction de Jean Lesage, marque un tournant dans la défense d’un Québec fort de son identité francophone. Cette élection représente un basculement dans la gestion du Québec : les francophones reprennent le pouvoir exécutif afin de redonner au Québec une gouvernance plus locale, détachée du chaperon anglophone (aussi bien canadien qu’américain, vis-à-vis des firmes privées installées aux Québec) et catholique. Sans vraiment parler d’indépendance, le PLQ cherche à obtenir une autonomie du Québec en matière de gestion politique, sociale et économique. Ces intentions se traduisent par l’instauration d’institutions sous la direction du gouvernement provincial, et de la reconquête des grandes firmes présentes sur le territoire du Québec. On appelle cette période de grand changement et de réformes politiques la Révolution Tranquille. 25 Denys Chouinard, Archives de Montréal, Il y a cinquante ans, un tournant dans la vie politique municipale : l’Enquête Caron, 1950-1954, 2004

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Du point de vue économique, il s’agit donc pour le PLQ de se réapproprier les entreprises motrices de son économie. Or, l’atout de ce territoire est l’abondance de ses ressources naturelles, dont l’exploitation avait été cédée aux entrepreneurs américains pendant la gouvernance de Maurice Duplessis. La nationalisation, en 1963, de la principale compagnie de production d’électricité au Québec, HydroQuébec, par le rachat de toutes les parts privées de l’entreprise par le gouvernement, incarne cette volonté des Québécois de redevenir « maître chez eux »26. Il s’agit ici d’un symbole fort, celui de la victoire du peuple québécois sur la domination des investisseurs privés, aussi bien canadiens qu’américains, aux premières heures de la mondialisation. Cette réappropriation, politique et intellectuelle, d’un territoire qui fut entièrement fondé par les francophones, passe notamment par un regain de légitimité pour la langue française, pendant longtemps considérée comme langue populaire et parlée par les personnes peu instruites. Pour cela, un Ministère des Affaires Culturelles sera mis en place en 1961, auquel se rattachera l’Office de la Langue Française, permettant de protéger et de promouvoir le français dans différents domaines. Intention qui devra attendre 1974 pour se concrétiser au travers de la Loi 22 qui fera du français la langue officielle au Québec. En 1977, la loi 101 complétera cette dernière en rendant obligatoire l’emploi de la langue française au travail, en politique et sur tous les affichages urbains27. Le but visé est de faire de la population québécoise un peuple libre, cultivé et en bonne santé. Ainsi, dans la foulée de l’élection, apparaissent le ministère de l’éducation et les premiers projets pour la démocratisation du savoir et de la culture, comme celui de la création d’un réseau de bibliothèques interrégionales. Un grand pas à la fois politique et social, car jusqu’ici, la population québécoise francophone disposait d’un niveau d’éducation peu élevé, et donc d’une faible marge d’élévation sociale. Le gouvernement Lesage met également en place l’assurance-maladie, rendant les frais d’hospitalisation gratuits, et donc accessibles à tous. La culture et les arts, jusqu’ici considérés comme « élitistes et bourgeois », représente un grand enjeu de réappropriation par le peuple québécois. Cette période correspond également à l’apogée de la chanson populaire québécoise aux textes engagés. À la télévision, la chaîne privée Télé Métropole s’introduit sur les ondes pour promouvoir une culture plus humoristique et populaire, et pour contrer la chaîne Radio Canada, chaîne nationale plus centrée sur l’information et sur la culture scientifique. Au cinéma, c’est l’émergence des grands cinéastes québécois au sein même de l’ONF (Office National du Film canadien). Ces derniers (Michel Brault, Gilles

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26 Slogan de René Lévêque lors de la campagne pour les libéraux en 1960 27 Jacques Cossette-Trudel, série documentaire «Une révolution tranquille», 2007 (support Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=wZ401Oz-OJM)


Groulx, etc) initieront un genre de documentaires ultra réalistes, tournés caméra à l’épaule dans les communautés défavorisées et rurales québécoises. Cet avènement de la culture canadienne francophone reflète ce regain de légitimité de la langue française, et l’adhérence commune de la population québécoise à diffuser cette singularité linguistique, à la fois comme identité d’un peuple, et comme outil de dynamisation économique. En 1974 a lieu la Superfrancofête à Québec, festival qui met à l’honneur la culture francophone du Québec, mais aussi des autres pays dont le français est la langue officielle. Dans la lignée de l’Expo 67, elle symbolise à la fois cette volonté de promouvoir une identité locale, tout affichant sont ouverture sur le monde et sur les cultures étrangères. Elle marque aussi l’émergence du festival comme événement festif qui rassemble, et qui permet de générer une attractivité culturelle et économique ponctuelle. C’est dans ce contexte d’un peuple qui, après avoir été si longtemps dépossédé de sa culture maternelle (le français, en tant que langue, mais aussi en tant qu’identité culturelle) et de son autonomie, commence à revendiquer sa singularité et sa force d’intention, que le maire de Montréal Jean Drapeau relancera le projet d’un complexe culturel de rayonnement international. Ce projet aura pour but à la fois de concrétiser cette volonté de démocratisation de la culture, et de pourvoir Montréal d’équipements culturels à la hauteur des grandes villes mondiales. Il s’inscrit dans la lignée des grands projets urbains pour le développement et l’ouverture sur le monde de Montréal, aux côtés de l’Exposition Universelle Terre des Hommes, ou encore de la mise en place du premier métro.

2. Le contexte Nord-américain : L’équipement culturel comme symbole de modernité

Le projet de la Salle Wilfrid-Pelletier, est évoqué pour la première fois par le maire de Montréal Camillien Houde en 1946, lorsque la Révolution Tranquille n’avait pas encore débuté. Il s’agissait alors de donner au centre-ville un complexe dédié à la production et à la diffusion des arts. Reconfigurer et redynamiser le centre urbain, grâce à l’implantation de nouveaux équipements culturels, s’inscrit dans un contexte nord-américain qui voit fleurir ce nouveau type d’aménagements, souvent d’une emprise au sol très importante et accompagnés d’espaces extérieurs travaillés.

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Dans les années 50, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis ressortent comme les grands vainqueurs à la fois politiques et économiques du conflit. L’issue favorable pour la France et l’Angleterre ayant été tributaire de l’aide américaine, la jeune nation étasunienne jouit de cette position salvatrice en distribuant des aides à la reconstruction en Europe. En effet, les ÉtatsUnis, mais aussi le Canada, n’ayant pas subi de dégâts matériels, et ayant participé à l’effort de guerre en fournissant, entre autres, des équipements militaires aux forces françaises et anglaises durant l’affrontement, ont pu faire accroître leur économie, grâce au développement de nouvelles technologies et de leurs industries, leur permettant une entrée fulgurante dans la période des 30 Glorieuses (1945/1975). Aux États-Unis, cette période de boom démographique et économique permet notamment aux foyers américains de s’enrichir, et voit apparaître les premiers centres commerciaux. Des milliers de couples accèdent à la propriété grâce à la construction des premières banlieues pavillonnaires, ce qui a pour conséquence de vider les centre-villes des classes moyennes de plus en plus nombreuses. Cette nouvelle démographie urbaine, rendue possible grâce à la démocratisation de l’automobile et d’un réseau de transport orienté vers le transport routier, reconfigure les dynamiques des centre-villes, désertés à la fois par les industries et les habitants. En 1950, la plupart des métropoles américaines et canadiennes, qui ont connu, grâce à la révolution industrielle, une croissance démographique rapide (NewYork est passée de 700 000 habitants en 1850 à 3,5 Mi en 1900, pour atteindre les 7 millions en 1950), se retrouvent avec une quantité de problèmes urbains à résoudre, les principaux étant l’omniprésence d’habitats insalubres et informels, et l’engorgement automobile des rues. Avec les nouvelles ressources financières dont se sont dotées les ÉtatsUnis, durant et après la guerre, une vague de renouvellement urbain traverse la plupart des grandes villes américaines, suivies de très près par celles du Canada. Résoudre des problèmes tels que les logements insalubres en ville, relève déjà à cette époque de l’image qui est donnée à voir aux yeux du monde entier. Car n’oublions pas de mentionner l’entrée, timide mais bien présente, dans la mondialisation, avec la démultiplication des médias, la rapidité de communication, et l’importance donnée aux images. Cette question d’image et de symbole sera plus qu’exploiter par les États-Unis à cette époque, qui marque le début de la Guerre Froide avec l’URSS. Il s’agit de montrer aux yeux du monde entier, mais plus particulièrement à la Russie, que l’Amérique est le symbole des libertés, de la connaissance et de l’ouverture sur le monde (s’opposant ainsi au modèle dictatorial et nationaliste de l’URSS). Et quoi de mieux que la culture pour promouvoir l’image d’un peuple ouvert et instruit. 42 |


Ainsi, entre 1955 et 1970, l’Amérique-du-Nord verra ses villes se doter l’une après l’autre d’équipements culturels majeurs, qui ne sont en réalité que les prétextes d’une restructuration du tissu et de la programmation des centre-villes, à commencer par New York et le projet du Lincoln Center, en plein cœur de Manhattan. Le Canada n’en sera pas en reste, en témoigne le projet du Centre National des Arts à Ottawa, et celui de la Place des Arts et de la salle Wilfrid Pelletier à Montréal.

Le Lincoln Center for Performing Arts à New-York, inauguré en 1962, et son plan28

Le Centre National des Arts à Ottawa, projet qui né au début des années 60, pour ouvrir ses portes en 1969, et son plan29

28 Photographie : http://www.layoverguide.com/2014/07/laguardia-layover-new-york.html/ lincoln-center-in-new-york-city-ny-2 Plan : Lincoln Center, Underground Parking Plan, 1964, New York City Parks Photo Archive 29 Photographie : http://www.esbq.ca/fr/calendrier/auditions-a-ottawa-2 Plan : http://urbsite.blogspot.fr/2014/02/rideau-centre-history-part-4-nac-vsthe.html

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Après la « grande noirceur » qu’a connue le Québec sous la gouvernance conservatrice, les années 60 marquent la transition d’un Québec traditionaliste à un Québec moderne, ouvert sur le monde. Les années 60, en plus de cette inscription dans les 30 Glorieuses, où croissance démographique se mêle à une croissance économique, est également marquée au Canada par l’approche de l’anniversaire du centenaire de la fédération canadienne (création 1867). Cet événement constitue un prétexte rêvé afin de légitimer la mise en place de projets iconiques de grande envergure, symboles d’unité et de modernité, permettant à Montréal de rivaliser avec ses voisines canadiennes et américaines. « Dans le contexte qui mène à la venue de l’Exposition Universelle Terre des Hommes en 1967, Drapeau privilégie la modernité comme vitrine au regard de l’Autre. Il désire redonner le titre de métropole du Pays à Montréal, la situer parmi les capitales culturelles du monde et, surtout, en faire la première ville du XXIe siècle. »30(Cha, 2015, p34) « Bref, dotée d’une salle démesurée, Montréal pourrait d’emblée faire partie du circuit des grandes villes nord-américaines où passent les troupes en tournée. »

(CHA, 2015, p36)

3. Un emplacement stratégique : une place au croisement de deux mondes

« La place des Arts de Montréal est née d’une vision – d’un rêve – de situer Montréal au rang des grandes capitales de la modernité et d’un mythe reposant sur la volonté de s’implanter sur un lieu fondateur ancré dans l’histoire géographique de la ville. » (Cha, 2015, p33)

a. Au cœur d’une fracture linguistique L’identité de Montréal, depuis longtemps déjà, est tiraillée entre une population anglophone et une population francophone. Cette scission se traduit, encore aujourd’hui, de manière assez flagrante, sur la répartition à la fois spatiale, démographique et programmatique de la ville. Montréal est dotée de différents quartiers aux identités très marquées. Beaucoup d’entre eux sont identifiés en fonction de leur appartenance linguistique. En arrivant à Montréal, on s’aperçoit très vite de la réalité spatiale de cette scission, car l’ensemble des quartiers à consonance anglophone se situent dans l’ouest de la ville, et que les quartiers

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30 CHA, Jonathan, dans Les 50 ans de la Place des Arts, sous le direction de Louise Poissant, Presses de l’Université du Québec, Canada, 2015, Chap. La Place des Arts, Du rêve moderniste au Quartier des spectacles, p34


francophones se concentrent à l’est. Cette répartition prend acte le long d’une frontière à la fois physique et mentale : le boulevard Saint-Laurent. Cet axe Nord/Sud est en fait l’un des premiers axes de développement de la ville. Tracé perpendiculairement aux berges du fleuve Saint-Laurent, avec comme point de départ le centre historique et le port de la ville, cet axe avait pour première fonction de diriger l’étalement urbain plus loin dans les terres.

Carte réalisée par moi-même, sur la base du document «Annuaire Statistique de la ville de Montréal» Source : Statistiques Canada, Recensements de 2006 et de 2011, Compilation de Montréal en Statistiques, Ville de Montréal, 2011

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Encore aujourd’hui, cette partition n’est pas seulement imaginaire. La différence d’identité se perçoit facilement lorsque vous interpeller des personnes dans la rue ou dans des commerces, et que celles-ci vous répondent en anglais de plus en plus automatiquement lorsque vous allez vers l’Ouest. Un exemple simple est celui des cinémas. Les cinémas qui se situent à l’ouest de l’axe Saint-Laurent proposent tous sans exception les versions originales des films, sans sous-titres évidemment. À l’inverse, ceux à l’Est projettent des films uniquement doublés en Québécois31. Le seul cinéma proposant des versions originales sous-titrées en français se situe... en plein sur le Boulevard Saint-Laurent. Si aujourd’hui le Français est la langue officielle (depuis 1974 et la loi 101), en 1960, lorsque Jean Drapeau initie le projet de la salle Wilfrid -Pelletier et de la Place des Arts, le français souffre alors d’une discrimination d’usage, notamment dans le milieu des affaires et dans l’enseignement. À cette époque donc, l’anglais est associé à une classe bourgeoise privilégiée, tandis que le français incarne la langue du peuple, des ouvriers, et souvent de la débauche. Dans une intention de faire de ce nouvel équipement un symbole d’unité, et de confier au peuple québécois un lieu à leur image, Jean Drapeau arrête son choix sur un emplacement susceptible de constituer une articulation entre les deux cultures et les deux populations de Montréal : un îlot situé à proximité du boulevard Saint-Laurent, et de l’axe est/ouest de développement du centre-ville moderne : la rue Sainte-Catherine, aujourd’hui la plus grande artère commerciale de la ville.

L’îlot choisi pour ériger la place des arts et ses bâtiments, compris entre les rues Sainte-Catherine (sud), Jeanne Mance (à l’ouest), Ontario (au nord), et Saint-Urbain (à l’est)32

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31 Les doublages au Québec ne sont pas les mêmes qu’en France : sans employer directement l’accent québécois, ce sont les verbes et les expressions propres au Québec qui sont utilisés. 32 Sur la base d’une vue aérienne de la ville de 1949, Archives de Montréal (http:// archivesdemontreal.com/)


« Montréal voit grand et la Place des Arts se représente comme le coeur culturel et physique de la métropole. Au référent antique s’adjoint le mythe de la frontière. À proximité du boulevard Saint-Laurent, limite imaginaire de « l’ouest anglais » et de « l’est français », la Place des Arts veut agir comme trait d’union et « vaincre l’antagonisme qui oppos[e] l’ouest à l’est[en choisissant] un emplacement à mi-chemin. In medio stat virtus de dire Drapeau. » Ce nouveau pôle du centreville contrebalance la présence de la Place Ville Marie dans le centre-ville ouest et affirme la présence francophone tout en poursuivant des buts clairs d’unir l’ouest et l’est et de surpasser le mythe de la frontière.»33 (Cha, 2015, p38/39) Ma perception de l’espace linguistique sur place :

On comprend ainsi la transcription physique de cette question d’identité à travers la ville de Montréal, mais aussi les enjeux soulevés par l’emplacement géographique choisi pour la Place des Arts en 1963. L’idée est de créer un espace fédérateur, de donner à la ville un lieu symbole d’une unité montréalaise.

33 CHA, Jonathan, dans Les 50 ans de la Place des Arts, sous le direction de Louise Poissant, Presses de l’Université du Québec, Canada, 2015, Chap. La Place des Arts, Du rêve moderniste au Quartier des spectacles, p38/39

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b. Une nouvelle image pour le Centre-ville En plus de cette différence de langue, l’association du côté Est à une catégorie sociale ouvrière, peu instruite et dépravée, et du côté ouest à une élite intellectuelle et religieuse, constitue une barrière à l’unité de la population Montréalaise. Il faut dire que le côté Est du centre-ville est réputé depuis les années 20 pour ses cabarets affriolants, la prostitution et les jeux illicites, fréquentés aussi bien par les Canadiens que par les américains, à l’heure où la prohibition fait rage de l’autre côté de la frontière. Le long du boulevard Saint-Laurent, des rues Saintes Catherine, Saint-Denis ou encore Clark, les établissements se multiplient, et font la réputation sulfureuse de Montréal à l’époque. On appelle alors cette partie du centre-ville le quartier du Red Light, en référence à la multiplication des enseignes lumineuses le long de ces axes.34

Aperçut de la rue Sainte-Catherine en 194635

Ces établissements, en grande partie illégaux, sont régis par les barons de la pègre montréalaise, à l’origine du scandale de 1950. Durant la décennie séparant 1950 de 1960, le quartier du Red Light passe d’une image festive populaire au symbole de la corruption et du gouvernement conservateur.36

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34 PROUX Daniel, “Livre Le Red Light de Montréal », VLB éditeur, 1997 35 Rue Sainte-Catherine, 1946,VM95-Y1-1A, “Chronique Montréalité No 39 : La Rue SainteCatherine, Depuis 1758» , Archives de Montréal. (http://archivesdemontreal.com/2015/05/25/ chronique-montrealite-no-39-la-rue-sainte-catherine-depuis-1758/) 36 BRODEUR, Magaly, Vice et corruption à Montréal 1892-1970. Presse de l’Université du Québec, 1982


En choisissant un îlot au sein du quartier chaud de Montréal, Jean Drapeau a pour intention de redonner une image respectable à la partie est du centreville, et donc indirectement d’améliorer la réputation des francophones. Il s’agit également de marquer la fin de cette période de « grande noirceur » par l’arrivée des libéraux au pouvoir en 1960, et d’afficher cette volonté de faire devenir Montréal une référence en tant que métropole moderne.

Emprise du quartier du Red Light au début du XXème siècle à gauche, et aujourd’hui à droite37.

Ajouté à cela, comme toutes les villes industrielles du début du XXème siècle en Amérique du Nord (comme New-York ou Chicago), le centre de Montréal dispose à la fin des années 50 d’un nombre important de quartiers ouvriers, dont les habitations sont précaires et insalubres. En 1954, le conseiller municipal de Montréal, et président du « Comité consultatif pour l’élimination des taudis et pour l’habitation à loyer modique », Paul Dozois, lance Le «Projet de rénovation d’une zone d’habitat défectueux et de construction d’habitation à loyer modique «. Les intentions générales sont de repérer les quartiers ou règnent pauvreté et insalubrité en ville, d’initier un processus de démolition, et de proposer le relogement de leurs habitants à travers un projet de renouvellement de l’habitat à prix bon marché. 37 Sur un fond aérien de la ville réalisé en 1949 (Archives de Montréal), et des propos issus de PROUX Daniel, “Livre Le Red Light de Montréal », VLB éditeur, 1997

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À gauche, carte des secteurs à réhabiliter par le comité dirigé par P. Dozois en 195438 À droite, replacement dans son contexte du secteur situé à proximité de l’îlot choisi pour la Place des Arts.39

L’intention sous-jacente est également de faire diminuer le crime organisé et la délinquance des jeunes, encouragés par un tissu resserré et un réseau interîlots à l’abri du contrôle policier. De plus, les îlots choisis se situent en grande partie dans le quartier du Red Light évoqué précédemment. Le plan Dozois est loin de remporter l’opinion publique en raison de l’envergure des démolitions prévues. Et même si le comité finit par se concentrer uniquement sur l’îlot du centre-ville, le nouveau maire de Montréal Jean Drapeau et son équipe restent septiques à l’idée d’importer du logement bon marché dans le nouveau cœur de la ville, qu’ils envisagent comme dynamique et générateur de services et d’emplois. Selon eux : « la construction d’un vaste complexe de HLM risque de créer un « mur de béton » entre l’est du centre-ville, francophone, résidentiel et populaire, et l’ouest, anglophone, affairé et prospère. Pour Drapeau, qui critique la vision de la ville sous-jacente de ce rapport, le centre-ville doit être tourné vers les affaires et le secteur tertiaire et non vers la fonction résidentielle. »40 (Mercure-Jolette, 2015)

Le projet débouchera finalement par l’érection des habitations Jeanne Mance, un projet aux aires modernistes constitué de 5 barres HLM en béton posées au milieu de grands espaces végétalisés consacrés aux piétons.

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38 «Projet de rénovation d’une zone d’habitat défectueux et de construction d’habitation à loyer modique», p. 5A, plan n° 1, 1954. Archives de la ville de Montréal, cote CA M001 VM103‑(S)3‑D3 39 Sur la base d’une photo aérienne de la ville de 1949, Archives de Montréal 40 Frédéric Mercure-Jolette “Le « Plan Dozois » : Quelques Leçons de L’histoire de L’urbanisme et Des Politiques de Rénovation Urbaine à Montréal - Métropolitiques.”, le 01/04/2015 http://www. metropolitiques.eu/Le-plan-Dozois-quelques-lecons-de.html.


À gauche, image des taudis du centre-ville41 et à droite, le Projet Jeanne-Mance durant le chantier42

De plus, même si le quartier dégage une image insalubre et immorale de la ville, il contient cependant un bon nombre de salles de représentation emblématiques de la ville, s’étalant le long du Boulevard et de la rue Sainte-Catherine. « Le choix du site de la Place des Arts peut être interprété dans la continuité de la vocation de spectacle et de culture qu’a eue, depuis un siècle, le Faubourg Saint-Laurent, avec ses grandes salles : Monument-National, Gesù, Théâtre Français (devenu le Métropolis), Gayety (devenu le Théâtre du Nouveau Monde), cinéma Impérial (devenu le Centre Sandra & Leo Kolber). Mais il est probablement plus juste de le considérer comme l’expression de la volonté du maire Drapeau, défenseur de la moralité publique, de redorer ce quartier réputé malfamé, en y implantant un temple de la « culture d’élite » opéra, musique, danse et théâtre classiques, par opposition à la « culture populaire » clubs, théâtre burlesque, boîtes de jazz, boîtes à chanson, et aux activités d’artistes militants, tels ceux qui fréquentent, entre 1947 et 1960, l’université ouvrière, précisément nommée Place des Arts, qu’anime à Montréal le syndicaliste communiste Henri Gagnon. » (Demers, Lamothe, 2015, p194)43

c. Passage marqué de la religion à la culture Si le centre-ville en question concentre à l’époque un nombre important de salle de spectacle, ces dernières sont à l’image du centre « est » de Montréal. Le centre « ouest » quant à lui est le siège des principales paroisses et institutions 41 «Les quartiers disparus de Montréal : la mise en œuvre du plan Dozois dans le Red Light. 1957.» 42 Archives de Montréal (http://archivesdemontreal.ica-atom.org/habitations-jeanne-mance) 43 DEMERS clément, LAMOTHE Bernard, Les 50 ans de la Place des Arts, sous le direction de Louise Poissant, Presses de l’Université du Québec, Canada, 2015, Chap. Comment une ville exprime la culture

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catholiques, fortement conspuées au cours des 10 dernières années pour leur oppression morale. L’îlot choisi contient en grande partie des bâtiments de nature religieuse, et lors du début des travaux, c’est une vingtaine d’entre eux qui se voit être démolie. « […] les principaux édifices démolis sont l’Académie commerciale catholique de Montréal49, les édifices de la Commission des écoles catholiques de Montréal, l’Institut et la chapelle Dominique-Savio (connus aussi sous les appellations d’institut Nazareth et d’oratoire Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus), l’école Notre-Dame, le Woodhouse Department Store (Vineberg’s Limited) et l’International Ladies Garment Worker Union (ILGWU). » (Cha, 2015, p43)

Oratoire Sainte-Thérèsede-l’Enfant-Jésus sur la rue Sainte-Catherine avant sa démolition, 196044

Par cette cette action, Jean Drapeau envoi un message au québécois, mais aussi au monde entier, que l’heure du conservatisme, du passéisme, et de la discrimination est révolu. Avec la destruction de ces églises, c’est l’image de la domination et de l’oppression catholique qui est balayée. Et puisque c’est l’art qui était dénigré par le clergé, et laissé accessible qu’aux classes les plus aisées, c’est l’art qui deviendra le moteur du nouveau centre, redonné aux Montréalais, et ce, quelque soit leur langue ou leur catégorie sociale. On comprend donc, à travers ce portrait du centre-ville à la fin des années 50, les enjeux à la fois urbanistiques et identitaires que soulèverait l’implantation du projet de la Place des Arts à cet emplacement riche de sens. On comprend également les attentes et les espoirs des Montréalais à l’annonce d’une place annoncée comme le symbole du nouveau Québec, uni et fier. Il faudra attendre 1963 pour que la Place des Arts et la Grande Salle soient inaugurées, se dévoilant au regard et au jugement d’une population en attente d’une reconnaissance. 52 |

44 Archives de la Société de la Place des Arts de Montréal


« […] toutes ces questions convergeaient d’une manière ou d’une autre vers la question de l’identité québécoise et des différentes formes de nationalisme qui allaient être projetées sur l’institution culturelle naissante.» (CHA, p44) « Le monument par excellence de Montréal deviendra l’image clé de la modernité de la métropole, le lieu offert aux touristes étrangers.» (CHA, p49) « La Place des Arts allait-elle promouvoir la culture québécoise ou accueillir des artistes américains ? Fallait-il voir en cet édifice un lieu de résistance à la culture de l’Autre ou, au contraire, un instrument d’intégration du Québec aux sociétés

4. La Place des Autres : une appropriation longue industrialisées ? La Place des Arts était-elle un monument dédié aux arts, aux Québécois, à l’Europe, à New York, à Montréal ou à Jean Drapeau ? Les questions se multiplièrent, divisant l’opinion publique et mettant dos à dos francophones et anglophones, l’élite économique et les intellectuels de gauche, les factions séparatistes et les fédéralistes, pour ne citer que ces groupes. La polémique dura des mois». »45 (Gildas, 1999)

Au fur et à mesure que le projet avance, et même avant son inauguration, la « Grande Salle » et sa Place des Arts sont critiqués pour leur dimension internationale, volontairement énoncée par le maire Jean Drapeau. L’opinion publique perçoit alors le projet comme le manifeste d’une architecture offerte aux étrangers et au public anglophone, destinée à être le support des arts dits conventionnels, alors peu abordables pour les classes moyennes (concerts classiques, opéra, etc). Le 21 Septembre 1963, durant l’inauguration de la Grande Salle, la population montréalaise manifeste sur la Place des Arts, brandissant des pancartes dénonçant : « La Place des Arts, la Place des Autres »(Cha, 2015). L’accueil pour ce nouvel équipement, qui avait pour but d’apaiser les rancœurs, est sans appel : la Place des Arts divise au lieu de réunir. Nous utiliserons cette partie afin d’éclairer les raisons de la réception négative du projet par les habitants de Montréal (majoritairement francophones) et les évolutions ayant permis d’aboutir au projet du Quartier des Spectacles dans les années 2000.

45 Illien, Gildas . La Place des Arts et la Révolution tranquille : les fonctions politiques d’un centre culturel, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1999 (cité par J. Cha, Les 50 ans de la Place des Arts, 2015)

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a. La symbolique négative de la monumentalité moderniste Du point de vue architecturale, la conception de la Grande Salle (aujourd’hui Salle Wilfrid-Pelletier) est acclamée par la profession à travers le monde entier, pour ses formes simples, épurées et harmonieuses, qui s’inscrivent dans la pensée moderniste de l’époque. (Cha, 2015) Alors comment expliquer que cette beauté des formes n’ait pas su étouffer le scepticisme du public montréalais ? Plusieurs réponses semblent pouvoir être apportées à travers l’analyse morphologique, architecturale et urbanistique, du projet à l’époque. Comme évoqué précédemment, l’ensemble de l’îlot de la Place des Arts est envisagé dans la continuité du courant moderne, ce qui implique une certaine vision de ce qu’est l’édifice dans la ville. La place, est tout l’espace entourant la Grande Salle, lui est entièrement dévoué, dans un souci de mise en scène et de monumentalité. Le problème de l’engorgement automobile des rues oriente ce type de méga-intervention architecturale (à l’échelle non pas d’un bâtiment, mais de tout un îlot) vers l’urbanisme de dalles, qui, en surélevant le niveau de référence de l’ensemble, permet d’intégrer des stationnements en rapport direct avec la voiries environnantes. De plus, ce décaissement fait figure de podium et accentue la monumentalité des bâtiments qui y trônent. Mais la monumentalité est-elle quelque chose de bénéfique pour les villes, et pour Montréal ? L’architecture et le « bâtiment monument » moderne ne sont pas seulement associés au savoir-faire architectural du XX ème siècle, car ils ont aussi été l’outil de représentation du culte et de la propagande pour tous les régimes dictatoriaux du siècle. On peut citer l’architecture fasciste italienne, ou communiste russe. L’architecture moderne peut donc être aussi perçue comme un signe de manipulation de la part des autorités, ce qui n’est pas une vision à écarter dans notre analyse, puisque Montréal sortait à peine du scandale de la corruption des conservateurs. De plus, la racine du mot « culte » nous permet de mettre en lien la monumentalité des édifices modernes avec celle des édifices religieux, eux aussi symboles de la manipulation et de l’oppression pour les Montréalais durant la Grande Noirceur des années 50. Nous pourrions alors parler de « maladresse » quant à l’emploi du vocabulaire architectural moderne dans le cadre d’un équipement voué à réconcilier la population montréalaise avec sa ville et sa gouvernance. Du point de vue urbain, la réalisation des projets modernes comme le complexe culturel de Montréal permet de confronter l’urbanisme de dalle et la réalité du contexte du centre-ville vécu : les habitants comme les pouvoirs publics s’aperçoivent très vite que « la galette » de béton, sur laquelle viennent se poser les différents équipements, anéantie les éventuelles possibilités de relations, 54 |


physiques comme visuelles, entre la Place des Arts et la rue. Nous pourrions donc émettre l’hypothèse qu’ériger un bâtiment de cette envergure, décidé à faire évoluer la renommée mondiale de la ville, a pu paraître prématurée, dans un contexte où l’intérieur de la ville et l’imaginaire des Montréalais étaient encore marqués par des années de discrimination sociale et linguistique. b. Les outils urbanistiques au service d’une appropriation progressive Partant du constat de cet échec, le Maire Jean Drapeau ne baisse pas les bras quant à son intention de redonner à Montréal un centre-ville à l’image de ses habitants. Au court des 30 années qui suivront l’inauguration de la Place, l’îlot de la Salle Wilfrid-Pelletier et les moyens d’accéder à la place seront reconfigurés à deux reprises.

Photographie du complexe de la Place des Arts46, 1967, Plan et coupe et schématiques

Ce schéma fait état de l’agencement initial de la Place des Arts en 1967. L’édifice principal est la salle Wilfrid-Pelletier, le bâtiment plus secondaire en bas à droite est le Théâtre Maisonneuve. On peut voir que le traitement de la seule partie au même niveau que la rue, le quadrilatère en bas à gauche, qui constitue l’espace initial de la Place des Arts, est plutôt dépourvu d’aménagement paysager, et que le dessus du socle en est quant à lui dépourvu totalement. En 1976, la prolongation de l’escalier qui donne l’accès à la salle permet de diluer l’aspect monumental de l’ensemble par un accès légèrement processionnel, ou tout du moins séquentiel, rythmé par différents paliers, et amené par un escalier diagonal, dévié de l’axe Nord Sud de la parcelle. 46 Fonds d’Archives de la Société de la Place des Arts de Montréal

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Photographie du complexe de la Place des Arts47, 1976, plan et coupe schématiques

L’accès est rendu moins frontal de cette manière, et permet une connexion à la fois plus directe et plus douce de la salle avec l’espace de la rue. La Place des Arts est encore végétale, mais le traitement paysager est cette foisci plus soigné. Cependant, une distance méfiante perdure entre la Place et les Montréalais. L’arrivée des années 80 marque le bilan urbanistiquement décevant et sociologiquement catastrophique des interventions modernistes au sein des villes (bitumisation des sols, perte de l’espace de la rue, vandalisme...). La question du piéton et de la réappropriation des espaces publics se pose, et les aménagements de places et d’espaces paysagers en lien avec la rue apparaissent comme la réponse la plus évidente. En 1983, un concours ouvert uniquement aux architectes québécois est lancé pour la mise en œuvre du nouveau Musée d’Art Contemporain de la ville de Montréal. L’emplacement choisi est l’espace restant dans la partie ouest de l’îlot. Le concours est également l’occasion se reconfigurer le quadrilatère de la Place des Arts qui n’emporte pas encore l’adhérence générale du public québécois.

Photographie du complexe de la Place des Arts48, 1993, plan et coupe schématiques

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47 Fonds d’Archives de la Société de la Place des Arts de Montréal 48 Fonds d’Archives de la Société de la Place des Arts de Montréal


Lors du concours, les élus municipaux trouvent la grande partie des propositions encore trop monumentale, s’inspirant, non plus du vocabulaire moderniste, mais de celui des théâtres antiques grecs, avec comme référence ultime l’Acropole d’Athènes. Pour eux, les symboliques de grandeur doivent s’effacer au profit d’un nouvel aménagement d’une échelle plus humaine, permettant à la fois de fermer l’îlot de la place, et d’améliorer son rapport à la rue49. Le projet choisi, celui des architectes Jodoin Lamarre Pratte et associés, est donc un bâtiment qui s’inscrit modestement dans son contexte : il renforce les limites de la place et évoque la colonnade de la salle Wilfrid-Pelletier, sans pour autant donner l’impression de surplomber l’espace. Ce résultat est en partie rendu possible par son inscription et son accessibilité faite au niveau de la rue, et non pas sur le « podium » du socle en béton. Dans la continuité séquentielle de l’esplanade graduelle de 1976, le nouvel aménagement de la place est constitué d’un large escalier en arc de cercle, telles les marches d’un amphithéâtre inversé, et l’ancienne allée est transformée en bassin pouvant servir de patinoire l’hiver. Comme en 76, l’axe d’arrivée est dévié de la perspective frontale avec la salle, rendant l’arrivée plus progressive vers cette dernière. Le nouveau parcours est accompagné par le revêtement au sol qui rayonne du centre de la Place vers la rue, tel un appel lancé aux passants, et par la présence du musée, qui à la fois cerne l’espace et en signifie son entrée. Cette multiplication de strates séquence l’espace, et modifie le vocabulaire statique du concept de place, au profit du terme d’Esplanade. Le nouveau musée et « l’Esplanade de la Place des Arts » seront inaugurés en 1992, et connaissent un succès immédiat auprès des Montréalais. « « Le nouvel amphithéâtre en plein air qu’est devenue la Place des Arts117 », extension de son institution, s’ouvre vers la ville et redonne un rôle clé à l’emblématique rue Sainte-Catherine qui constitue sa continuation. Cet aménagement aura été le carton d’invitation du peuple, tant attendu depuis près de trente ans. La « Place des autres » est devenue « Notre place ». » (Cha,

2015, p60)

49 CHA, Jonathan, « La Place des Arts, Du rêve moderniste au Quartier des spectacles », dans Les 50 ans de la Place des Arts, sous le direction de Louise Poissant, Presses de l’Université du Québec, Canada, 2015

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///////////////////////////// Replacer le projet de la Place des Arts permet de comprendre les enjeux identitaires soulevés par la requalification du centre-ville de Montréal. L’histoire singulière du Québec, dans sa lutte pour améliorer la réputation de la langue française et le niveau de vie des francophones, met en exergue les besoins de reconnaissance vis-à-vis de ses habitants, et le poids symbolique que peut incarner l’architecture. Les difficultés d’acceptation de la Place des Arts comme symbole populaire témoignent de la complexité d’appliquer des valeurs culturelles locales à un espace, et des limites sociologiques du caractère universel de l’architecture moderniste. Mais l’appropriation progressive de la Place, rendue possible, comme nous avons pu le voir, par les transformations morphologiques de cette dernière, révèle quant à elle le pouvoir que peut avoir la forme de l’espace public sur les mentalités. Cette évolution de l’imaginaire accordé à cette place traduit enfin l’importance de la prise en compte du contexte socio-culturel local dans la conception de l’espace urbain aujourd’hui, et pourrait remettre en question « l’architecture objet » décontextualisée contemporaine.

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L’importance des industries créatives et de l’événementiel dans les métropoles contemporaines, démontrée dans la partie À, ainsi que l’héritage scénique et festif du quartier, permettent de légitimer le choix d’une orientation culturelle dans la perspective de faire de Montréal une métropole à l’échelle mondiale. Ce rappel chronologique des différentes évolutions du centre-ville permet également d’inscrire le projet actuel du Quartier des Spectacles, qui s’articule tout autour de l’îlot de la place des Arts de la salle Wilfrid-Pelletier, dans son contexte spatial et historique.


La suite de cette recherche aura pour but de questionner l’émergence d’un projet urbain, non plus circonscrit à un îlot, mais appliqué au développement de tout un quartier. Nous nous demanderons alors, dans l’héritage du conflit urbain entre identité locale et réputation internationale, comment « […] valoriser la ville pour l’inscrire dans les logiques concurrentielles au risque d’un certain élitisme et à travers les thématiques de l’image et du rayonnement de la ville » (Chaudoir, 2007, p.4) ? Dans un premier temps, il s’agira d’amener la naissance du projet en présentant l’évolution à la fois de l’aménagement du quartier, de la pratique, et de la signification de l’espace urbain par les Montréalais, en mettant en avant l’émergence du festival extérieur. Il s’agira d’introduire le projet à travers les nouveaux enjeux urbains contemporains, apportés par l’intensification du phénomène de la mondialisation, qui devraient nous permettre d’interroger le choix d’une stratégie quant à l’image de la ville à produire dans une optique de compétitivité mondiale. Le second temps de cette analyse mènera à l’exploration des deux principaux enjeux mis en avant par le Plan Particulier d’Urbanisme du Quartier des Spectacle, à savoir l’appui de la présence des festivals au sein de la ville, et la position à tenir face à la menace spéculative dans le quartier, à travers les différentes problématiques urbaines que chacune de ces intentions soulève.

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PARTIE C / Montréal métropole culturelle : le Quartier des Spectacles


« […] les thématiques du développement économique local, prises dans le double jeu de l’attractivité et de la concurrence, ne peuvent plus reposer sur la seule proposition matérielle d’une offre comme pouvait l’être celle des zones d’activités. Il s’agit bien aujourd’hui de repenser ce développement économique à travers une action collective complexe qui mêle valorisation des réseaux, services apportés aux entreprises, innovation économique et sociale, marketing territorial ou urbain, appui à un environnement de la créativité (formation, recherche), voire à la mise en oeuvre de nouvelles formes de gouvernance locale. » (Chaudoir, 2007, p.3)

1. De la reconquête des marqueurs urbains locaux à l’appropriation du modèle de la ville événementielle comme outil du rayonnement international a. Montréal ville festive Comme le montre la frise illustrant la chronologie de l’apparition des festivals à Montréal, les années 80 sont marquées par la montée de ce type d’événements au sein de la ville. Comment expliquer le choix de cette période pour l’émergence des festivals qui font aujourd’hui la réputation culturelle et festive de Montréal ? Quel(s) impact(s) sur la nature et sur la pratique de l’espace public de la ville ?

Les précédentes parties ont révélé que l’identité des Québécois a, jusqu’à très récemment, été un sujet qui avait tendance à diviser plutôt qu’à rassembler. La partie de la population francophone, qui a toujours été en majorité numéraire

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au Québec, a longtemps été victime d’une certaine discrimination sociale, l’empêchant d’avoir accès à un certain type de divertissement (arts « classiques » bourgeois). Cette oppression institutionnelle a donné lieu en réponse à un type de distraction beaucoup plus populaire et festif, mais aussi plus informel (spectacles burlesques, cabarets, etc). En conduisant à l’émergence d’un nouveau modèle d’institution, et donc d’un support pour la créativité nouvelle, la majorité linguistique et culturelle s’est conduite comme ont pu le faire d’autres minorités oppressées à travers le monde (exemple de l’émergence du Jazz en Amérique). Déjà à l’époque de l’entre-deux-guerres, c’est cet aspect festif qui donnait à Montréal sa réputation. De plus, la doctrine religieuse en place à l’époque avait pour tendance de réprimer ce genre d’activités basées sur le vice, ce qui encourageait encore plus les francophones à célébrer de manière ostentatoire leur liberté de mœurs. La révolution tranquille, qui a enclenché le processus de relégitimisation de la population francophone sur son territoire, a permis de faire de ce côté festif la singularité du peuple québécois et de la ville de Montréal. Les québécois ont pu de cette manière quitter les cabarets pour rejoindre la rue, et montrer au monde entier leur manière de faire la fête. Cette fierté d’être à la fois québécois et francophone est devenue, à travers les années, la marque de fabrique du Québec et de Montréal, et le festival semble en être sa manifestation la plus directe. L’oppression dont ont été victimes les Québécois francophones, avant l’arrivée du gouvernement libéral de Jean Lesage en 1960, aurait donc contribué à renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté (québécoise et francophone), et favorisé l’émergence d’une « contre-culture », qui semble aujourd’hui être totalement intégrée à l’héritage culturel du Québec. Ce lien social et culturel contribue d’ailleurs encore aujourd’hui à la diffusion de cette philosophie québécoise, lors d’événements tels que les Francofolies de Montréal (depuis 1989), qui ont pour but de promouvoir les artistes francophones, et qui regroupent aujourd’hui près d’un million de spectateurs chaque année50. Si les premières éditions prenaient place dans la salle de spectacle du Spectrum rue Sainte-Catherine, et se terminaient par une cérémonie de clôture sur la Place des Arts, les Francofolies deviennent rapidement un événement estival et s’extériorisent pour donner lieu aujourd’hui à une multitude de scènes à travers la ville. Ce point au sujet des saisons auxquelles ont lieu les festivals nous permet de nous arrêter sur la situation climatique particulière du Québec, dont les hivers durent 6 mois et sont rudes, contraignant les habitants a rester en grande partie cloîtrés chez eux à cette période. De ce fait, lorsque le beau temps revient au printemps (en Mai!), on peut sentir une certaine euphorie générale, qui emmène la tenue des festivals jusqu’aux derniers instants de l’été. L’été à Montréal, 62 |

50 Site des francofolies : http://www.francofolies.com/a-propos.aspx


c’est tous les jours la fête. Cette contrainte climatique pourrait donc en partie expliquer cet engouement pour les événements qui se tiennent en extérieur. Il est important ici de pointer le fait que les organisateurs publics et privés tentent aujourd’hui de mettre en place des festivals tout au long de l’année, et non plus seulement en été. Le festival de l’Igloofest’, qui donne lieu à plusieurs concerts de musique electro, de nuit et sous une température d’environ -30°, et qui regroupe plusieurs milliers de jeunes chaque année, témoigne de cette volonté de tirer profit tout au long de l’année de l’attractivité générée par ces événements.

Les Tams-Tams qui envahissent le pied du Mont-Royal dès le mois de Mai jusqu’à Octobre51 Le festival IglooFest de 201552

On a déjà mentionné l’importance de l’exposition Terre des Hommes en 1967 dans le tournant culturel qu’à pris Montréal au cours des années qui suivirent. La tenue d’un événement tel que celui-ci, implique une grande activité au sein d’espaces extérieurs. Cette euphorie festive a due, sans nul doute, marqué les esprit et initier le pas aux événements extérieurs ponctuels. Jean Drapeau avait d’ailleurs tenté de prolonger l’exposition après sa tenue officielle, ce qui n’avait pas suffisamment été source d’attractivité et de profit, élargissant le déficit déjà existant de la ville. Le caractère éphémère de ce type de manifestation, auxquelles appartient le festival, interroge également le statut de l’espace lorsqu’il n’est pas occupé par l’événement. On pourrait donc émettre l’hypothèse que la tenue de l’Exposition Terres de Hommes aurait pu amorcer une réflexion sur la production de l’espace polyvalent, support de différents types d’usages et de temporalités. De plus, si l’Exposition Universelle avait réussi à activer l’espace public au cours des 6 mois durant lesquels elle avait eu lieu, la gouvernance locale de Jean Drapeau 51 Photographie : http://www.chrishenschel.com/2013/05/tam-tams-montreal/ 52 Photographie : http://www.igloofest.ca/fr/photos

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avait été confrontée, dans les années qui suivirent, à la question de comment pérenniser cette attractivité à long terme. On pourrait émettre l’hypothèse que la forme du festival comme événement mettant en scène la ville parvient à réaliser cette diffusion à long terme, grâce à son aspect ponctuel mais cyclique, en se réitérant chaque année. Cette récurrence permet également de maintenir l’attention des publics par l’attente de la nouvelle édition. Nous avions également souligné l’engouement de la population pour l’ouverture sur le monde qu’Expo 67 avait suscité. Les festivals aux titres internationaux qui prendront place par la suite à Montréal seront représentatifs de cette volonté de faire de la ville un lieu d’échange et de diffusion, à la fois de la culture québécoise mais aussi des cultures étrangères (Festival International de Jazz, festival International du film sur l’art, festival international des Nuits d’Afriques, etc). Et même lorsque les festivals n’auront pas pour objet de promotion les cultures du monde, mais la culture québécoise en tant que telle (comme le festival Juste Pour Rire par exemple), ces événements connaîtront une renommée mondiale qui contribuera à faire de Montréal la Ville des Festivals. Plusieurs de ces facteurs ainsi que l’héritage d’une culture populaire pourraient donc expliquer en grande partie cette montée des festivals qui a lieue dans les années 80, période consécutive à la révolution tranquille et aux réformes qui ont permis d’officialiser la culture francophone populaire, et l’appropriation de ce type d’événement par la population québécoise. L’analyse que nous avons fournie jusqu’ici nous permet donc d’établir différents atouts que peut apporter la tenue de festivals dans une ville, dans un contexte de concurrence mondiale. Premièrement, par son aspect éphémère et extérieur, le festival sollicite et « active » l’espace urbain de manière ponctuelle, ce qui confère à l’espace urbain une nature et une temporalité d’usage plurielles. Ainsi, le festival peut apparaître comme générateur d’un nouveau type d’espaces publics, plus souples et polyvalents, et sa répétition dans le temps et l’espace semble conduire à l’activation et la diversification constante de l’espace de la ville. Cet espace aux attributs nouveaux devient, lors de son activation par le festival, un lieu propice à faire se rencontrer des personnes d’âges, de cultures, de valeurs et d’idées différentes, ce qui, selon des théoriciens comme F. Ascher où R. Florida, pourrait constituer un atout de force dans le potentiel novateur et créateur d’une ville. Pour finir, se fondant sur les attributs endogènes de la culture locale (héritage politique et social), le festival incarne les valeurs de la population qui le met en place, et devient l’outil de promotion « d’un modèle de société » (Garat, 2005). « sous le registre festif où sont étroitement entremêlés fêtes et festivals, la recherche est celle de la cohésion ou de la mise en spectacle de la cohésion 64 |


sociale, offrant ainsi à la société l’image inverse de la fracture et du délitement du lien social.»53(Garat, 2005, p.266)

La suite de cette analyse devrait pouvoir nous permettre de comprendre les stratégies politiques locales pour la mise scène de ce type d’événements dans l’espace urbain, et leurs répercussions sur l’équilibre à la fois spatial, économique et démographique d’un morceau de ville, ici le Quartier des Spectacles. b. Développement de l’orientation culturelle post Place des Arts L’émergence des événements comme les festivals, que nous venons de resituer dans le contexte socio-culturel du Québec, se développe en parallèle du nouvel intérêt porté aux équipements dans la ville. À travers l’analyse de l’évolution construite du complexe de la Place des Arts et de ces équipements, nous avons déjà pu constater de l’influence que pouvait avoir la transformation physique d’un espace sur la perception et l’appropriation d’un lieu. Suite à la création du Musée d’Art Contemporain, l’ensemble de la Place des Arts rempli enfin son ambition de devenir l’îlot structurant et rayonnant du développement du centre-ville. L’analyse de l’évolution programmatique bâtie dans ce secteur, au cours des années qui séparent l’inauguration de la Place des Arts de l’initiative nouvelle du Quartier des Spectacles, à savoir entre 1963 et 2002, devrait nous permettre de comprendre les logiques de développement mises en place, ainsi que la nature des restructurations qui auront lieu au sein de ce nouveau cœur de la ville. Lorsque Jean Drapeau initie le projet de la Place des Arts et de la salle WilfridPelletier en 1963, son intention est avant tout d’améliorer la réputation du quartier en modifiant son orientation programmatique, et le faire devenir le centre culturel de la ville. Au cours des années qui suivront, plusieurs équipements à vocation culturelle feront leur apparition dans les alentours de la Place des Arts, comme le Théâtre Maisonneuve et le Musée d’Arts Contemporains, afin de supporter cette nouvelle programmation. En complément de ces trois équipements majeurs, d’autres bâtiments plus modestes, et intégrés au tissu du centre-ville, seront créés où améliorés : plusieurs anciennes salles de spectacle, comme le Métropolis ou le Théâtre du Nouveau Monde, feront l’objet d’un agrandissement où d’une rénovation. La question du patrimoine et des emblèmes du Montréal festif francophone deviennent des outils idéaux pour revaloriser la culture populaire du quartier, et compléter de manière efficace l’ajout de programmes plus conventionnels. Cette politique de restauration et de remise en valeur est appuyée en 1987 par la loi pour la protection des « biens culturels », qui permet notamment aux municipalités d’évaluer et de classer certains de ses édifices au titre de monument ou de site patrimonial. 53 Garat, Isabelle, « La fête et le festival, éléments de promotion des espaces et représentation d’une société idéale », Annales de géographie 2005/3 (n° 643), p. 265-284. DOI 10.3917/ ag.643.0265

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Sources iconographiques en fin de document.


Comme le montre la carte présentée ici, un grand nombre de salles de représentation seront soit rénovée, soit créée au cours des années 1990. Ce développement, à travers les constructions nouvelles comme la rénovation du patrimoine existant, s’organise entre deux polarités : celle de la Place des Arts et ses trois équipements majeurs à l’est, et les bâtiments de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à l’Ouest. L’implantation de l’UQAM, dans les années 1970, joue un rôle crucial dans le basculement du quartier vers l’intellectualisation des services proposés. L’université, la seule publique à Montréal, rachète dès 1973 plusieurs parcelles bâties qui constitueront les pavillons des différents départements d’étude.

On peut voir sur cette carte54 que les premiers bâtiments qui ont été acquis par l’université se situent autour du croisement de la rue Saint-Denis et de la rue Sainte-Catherine, dans la partie est du centre-ville, et que son développement s’est effectué au cours des années 1990 plus à l’ouest, avec notamment l’occupation de l’îlot au nord de celui de la Place des Arts. L’ensemble de ces bâtiments les plus anciens vers l’Est constitue la limite du Quartier des Spectacles aujourd’hui. Les investissements publics majeurs dans le quartier, tel que ce type d’acquisition, témoignent de la volonté d’institutionnalisation du centre-ville : à travers l’occupation généralisée des institutions, l’espace et ses usages deviennent 54 Sur la base du plan du campus de l’UQAM (http://carte.uqam.ca/)

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de plus en plus contrôlables. Cette expansion du campus de l’université permet d’illustrer l’importance, déjà évoquée par F. Ascher, de développer les équipements supports de l’enseignement, pour générer un intérêt auprès des publics jeunes, et permettre la production d’une génération « créative ». « Montréal, métropole culturelle s’inscrit dans la principale stratégie de développement de la Ville : faire de Montréal une ville de savoir, fondée sur l’acquisition des connaissances, la culture, l’innovation et le développement économique. Trois enjeux majeurs sont sous-jacents à cette politique : l’accessibilité, le soutien aux arts et à la culture la qualité culturelle du cadre de vie des Montréalais l’affirmation de la coopération comme voie indispensable vers la réussite Ainsi pourra se perpétuer l’effervescence créative de Montréal. »55

Une des parties suivantes permettra d’interroger les éventuels impacts sociodémographiques de la création d’une telle concentration de connaissances et d’équipements culturels au sein d’un même quartier central. La partie qui suit aura quant à elle pour objectif de recontextualiser la naissance du Quartier des Spectacles au sein des nouveaux enjeux mondiaux, notamment autour de la question de la concurrence inter-urbaine, du rayonnement international des villes, et des partenariats culturels. c. La culture, lecture d’une politique « glocale » Dans leur étude sur les nouvelles dynamiques architecturales, politiques, économiques et sociales, du développement urbain, dans le contexte de la mondialisation et de la globalisation, Erik Swyngedouw et Maria Kaika, respectivement professeurs de géographie et de sociologie à l’université de Manchester, caractérisent la ville contemporaine (sous leur terme « postmoderne ») par la mise en tension des enjeux économiques mondiaux avec les problématiques humaines et culturelles locales. Cette contradiction d’échelle, difficilement appréhendable en tant qu’urbaniste, architecte ou bien simple citoyen, est retranscrite sous le néologisme des villes « glocales »56. Cet entrelacement des échelles, nous allons tenter de le révéler, à travers la lecture de l’évolution récente des politiques culturelles mises en place par la ville de Montréal. Ces intentions politiques et économiques, retranscrites à travers des intentions urbanistiques, sont à analyser dans leur concomitance avec l’émergence puis le développement du Quartier des Spectacles. Nous avons vu que la ville de Montréal avait connu deux vagues de développement de ses infrastructures culturelles dans son centre-ville, la première ayant eu lieu pendant les années 1970, et la seconde durant les années 1990, dans la

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55 Site du Service de la Culture à la ville de Montréal (http://ville.montreal.qc.ca/culture/mandat) 56 Erik Swyngedouw, Maria Kaika, « La production de modernités urbaines « glocales » : explorant les failles dans le miroir », Géographie, économie, société 2005/2 (Vol. 7), p. 155-176.


continuité de l’inauguration du Musée d’Arts Contemporains et de la nouvelle Place des Arts (1992). Au même moment, à l’occasion de la journée internationale de la Terre Nourricière, se tient à Rio de Janeiro le Sommet de la Terre, organisé par l’Organisation des Nations unies (ONU), qui vise à faire du développement durable la priorité principale des états membres. Ces sommets, apparus en 1972, ont lieu tous les 10 ans. Sur la base d’une préoccupation avant tout environnementale et écologique, les années 1990 marquent un tournant dans la définition de ce que représente le développement durable dans le monde. L’environnement n’est plus considéré uniquement dans son caractère naturel, ses ressources et leur exploitation, mais aussi maintenant culturel, au sens de tout ce que créé l’homme par la transformation de cette nature. Elle interroge la qualité de vie, les droits de l’homme ou encore l’accès à l’éducation. À l’issue de cette rencontre, les pays membres, dont le Canada, rédigèrent et s’engagèrent à respecter des objectifs visant à défendre et promouvoir le développement durable, à l’échelle nationale comme à l’échelle locale, consignés dans un document nommé Action 21, ou Agenda 21. Dix ans plus tard, au même moment où se concrétise l’idée d’un quartier culturel au centre de la ville de Montréal, des métropoles, dont Rome, Barcelone, et Montréal, se réunissent à Porto Alegre au Brésil pour une « Réunion Mondiale de la culture ». Leur objectif est d’aboutir à l’élaboration de politiques culturelles communes, mais applicables à l’échelle locale. Ces intentions seront finalement concrétisées par la rédaction d’un Agenda 21 de la Culture, délibérément inspiré de l’Agenda 21 de 1992, car s’appuyant sur des principes du développement durable, comme l’égalité sociale ou l’accès à l’éducation. La même année, le nouveau maire de Montréal Gérald Tremblay organise le Sommet de Montréal, qui a pour but de « convenir d’une vision commune du devenir de la nouvelle ville »57, et au cours duquel sera évoqué pour la première fois l’intention de faire du centre-ville de Montréal un quartier à part entière, puisant son identité à travers ses infrastructures et ses événements culturels. Le terme « vision commune » soulève l’implication de plusieurs acteurs, et donc de plusieurs échelles. Cet entrelacement d’une vision globale, celle du gouvernement canadien et québécois de promouvoir Montréal en tant que métropole culturelle, et d’une vision locale, à l’échelle de la ville et de ses habitants, se matérialise par la création du Partenariat du Quartier des Spectacles, une première en termes de partenariat public/privé. Comme son prédécesseur, G.Tremblay inscrit ce sommet « dans une démarche visant à positionner Montréal et à lui assurer une place dans le peloton de tête en Amérique du Nord. »58, défi facilité par la réputation culturelle mondiale qu’a déjà acquise Montréal grâce aux divers événements et projets évoqués au cours de cette analyse. L’équipe municipale 57 Site de la ville de Montréal, présentation du Sommet de Montréal (http://ville.montreal.qc.ca/ portal/page?_pageid=2137,2657439&_dad=portal&_schema=PORTAL) 58 Idem

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ne repart donc pas de zéro, comme cela avait pu être le cas sous Jean Drapeau, mais entame un défi autre qui est celui du maintien, voir de l’expansion, de ce rayonnement à l’échelle mondiale. Les discussions sont orientées selon 5 axes de réflexion, dont le premier, intitulé « Montréal, métropole de création et d’innovation, ouverte sur le monde » semble le plus applicable à notre analyse. Les quatre autres thématiques s’articulent respectivement autour des thématiques les suivantes : « métropole de développement durable », « métropole agréable à vivre », « métropole démocratique », « une administration performante au service du citoyen », qui sont en réalité la synthèse des sujets mis en avant par l’Agenda 21 de la Culture établi à Porto Alegre. En 2004, l’organisation des Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), qui « représente et défend les intérêts des gouvernements locaux et régionaux sur la scène mondiale »59, adopte l’Agenda 21 de la Culture, grâce à la mise en place d’une Commission de la Culture, dirigée par les villes de Montréal, Angers, Barcelone, Lille, Mexico, Milan, et Buenos Aires. Montréal nous prouve de cette manière son engagement pour le développement durable d’une part, mais aussi et surtout, sa participation à des initiatives mondiales, et sa capacité à jouer un rôle sur les politiques internationales. Son rôle clé au sein de cette Commission de la Culture nous indique également son intérêt porté à l’application des engagements mondiaux, non plus seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle régionale et locale. Cette rupture dans la hiérarchie des échelles vient confirmer l’idée développée par Philippe Chaudoir, au sujet de l’autonomisation des villes vis-à-vis de leur État60. Cette même année à Montréal, la consultation publique pour l’élaboration du Plan Particulier d’Urbanisme du Quartier des Spectacles est lancée. Un autre signe de la volonté municipale d’inscrire Montréal parmi les références culturelles mondiales : l’inscription de la ville au réseau des Villes Créatives de l’Unesco en tant que Capitale du Design. Au début des années 90, Montréal avait débuté par ouvrir son Service à la Culture à des spécialités plus spécifiques, dont la ville voulait faire la promotion, comme le prouve la création du Bureau du Design en 1991. Son rôle, à savoir lancer « des initiatives qui visent à stimuler la création en design et à favoriser le rayonnement des designers montréalais sur les scènes locales et internationales. »61, se concrétise lors de l’inscription de Montréal à l’UNESCO. La diffusion de ce « titre » contribue à la construction de l’image culturelle de la ville, et à l’avènement de son statut de métropole mondiale. En 2005, après plusieurs consultations et enquêtes, et dans la continuité du travail amorcé lors du Sommet de 2002, la ville de Montréal met en place une

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59 Site du CGLU : http://www.uclg.org/fr/organisation/a-propos 60 Chaudoir, Philippe , « La ville événementielle : temps de l’éphémère et espace festif », Géocarrefour, Vol. 82/3 | 2007, mis en ligne le 26 mars 2008 61 Site du bureau du design (http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=9597,121083429&_ dad=portal&_schema=PORTAL)


« Politique du Développement Culturel de la Ville », dans laquelle elle place la culture comme « l’un des propulseurs les plus cruciaux de son rayonnement, de son dynamisme économique, et de sa prospérité future. »62. Les grands axes de cette politique sont l’aménagement du territoire, les loisirs et les sports, les valeurs sociales, et l’économie63, en consonance évidente avec les thèmes développé par l’Agenda 21. « Dans cette compétition entre grandes villes du monde, Montréal jouit de plusieurs atouts, notamment sa puissance créatrice et sa convivialité. […] Si le dynamisme culturel et l’esprit d’innovation comptent pour beaucoup dans la réussite des grandes villes, ils ne suffisent pas : une mission doit être définie, des objectifs de développement culturel fixés et, pour les atteindre, des stratégies doivent être déployées. C’est la voie dans laquelle s’engage Montréal, avec ses citoyens, ses milieux culturels, et ses partenaires. »64

Cette ligne de conduite, qui agit en quelque sorte à la manière d’un manifeste, permet d’entériner la position de Montréal, en tant que précurseur et chef de file des métropoles mettant directement en application les prérogatives de l’ONU, et qui revendiquent l’utilisation de la culture, à la fois comme génératrice de nouvelles dynamiques locales et outil pour son rayonnement international. En 2007, « Montréal, Métropole Culturelle » est le nom donné à l’association, entre les différentes gouvernances (Canada, Québec, Ville de Montréal) et les organismes privés, qui vise à donner une structure d’organisation, de gestion et d’aides financières, aux événements et aux équipements culturels, dans le but commun de faire de Montréal une métropole culturelle mondiale. « Parmi les priorités identifiées, notons un accès plus large des citoyens à la culture, des investissements dans les infrastructures culturelles, le financement des organismes artistiques et un rayonnement de Montréal au Québec, au Canada et à l’étranger. »65

Dès sa création en 2007, un « Plan d’Action 2007-2017» est lancé. Il constitue l’application concrète de la « Politique du Développement Culturel de la Ville » mise en place en 2005. Les priorités énoncées sont les suivantes : « Améliorer l’accès à la culture ; investir dans les arts et la culture ; enrichir la qualité du cadre de vie ; favoriser le rayonnement de Montréal au Québec, au Canada et à l’étranger ; fournir à Montréal les moyens d’une métropole culturelle. »66

En plus de porter le projet du Quartier des Spectacles, et face à son ambition et ses perspectives de réussite, ce plan propose la multiplication de «pôles 62 « Montréal, métropole culturelle : Politique de Développement Culturel de la Ville de Montréal 2005-2015», Ville de Montréal, 2005 63 Idem 62 64 Idem 62 65 Site de «Montréal, Métropole Culturelle» (http://montrealmetropoleculturelle.org) 66 Plan d’Action 2007-2017 édition 2013, Montréal, Métropole Culturelle

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culturels» à travers la ville, pôles pouvant être matérialisés à travers les entités de « Quartiers Culturels ». « […] le concept de quartier culturel s’inscrit dans une nouvelle mouvance, celle des approches intégrées du développement urbain qui mettent de l’avant des principes de transversalité, d’horizontalité, de partenariat et de coproduction en réseau. […] Ce concept inclusif et rassembleur lie les enjeux urbanistiques et culturels tout en évoluant selon les principes du développement durable et de l’Agenda 21 de la culture. » « Consolider et [de] développer des espaces culturels urbains uniques, aux multiples facettes et de mettre en valeur les richesses patrimoniales, artistiques, architecturales, naturelles, commerciales et ethnoculturelles des quartiers de Montréal »67

L’apparition de cette nouvelle notion de décentralisation de la culture met en avant la prise de conscience des pouvoirs politiques, des conséquences du développement d’un centre unique qui pourrait faire basculer l’équilibre sociodémographique de la ville par son hyper-concentration d’attractivité, d’emplois, de savoirs, et de ressources financières. Cette intention s’inscrit dans l’intention véhiculée depuis les années 60 de rendre la culture accessible à tous et partout (rappelons la mise en place du réseau des bibliothèques inter-municipales). De plus, l’application d’un développement axé sur la culture la ville permet de véhiculer l’image d’une ville entière, d’un système de fonctionnement et d’une politique urbaine homogène, plutôt que du centre-ville lui-même. La mise en place des Quartiers Culturels ne se concrétisera qu’en 2013, soit 6 ans plus tard. En 2012, alors que le sommet Rio+20 de l’ONU déclare la Culture étant le « quatrième pilier du développement durable », le gouvernement du Québec lance l’initiative de l’élaboration d’un agenda 21 de la culture propre à la ville de Montréal : nouveau message envoyé au monde entier qu’elle a fait le choix de faire reposer son développement sur ses capacités à rayonner à l’échelle internationale, et à devenir l’un des symboles d’une société moderne instruite, démocratique et ouverte sur le monde. « [...] cette déclaration internationale affirme que la culture, dans toute sa diversité, est nécessaire pour trouver les réponses aux défis se posant à l’humanité actuellement »68 Au sujet de la déclaration faite au Sommet

Rio+20.

La chronologie de ces éléments, ainsi que la poursuite pour Montréal d’une quête à la reconnaissance internationale, nous confirme l’hypothèse émise en premier lieu de notre analyse, que Montréal s’inscrit réellement au sein des nouveaux enjeux mondiaux. Elle nous montre que cette intention de devenir une référence

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67 Ville de Montréal, service de la Culture (http://ville.montreal.qc.ca/culture/projet-de-mise-enoeuvre-des-quartiers-culturels) 68 La culture quatrième pilier du développement durable – Document de la Ville de Montréal au sujet de l’application du plan Culture 21


en tant que ville culturelle mondiale s’est plus précisément concrétisée ces quinze dernières années, avec son implication plus directe au sein d’organisations nongouvernementales mondiales, et à travers des partenariats qui dépasse l’échelle du Québec et du Canada. L’ensemble de ces démarches et autres engagements pris, nous permet de confirmer l’analyse portée par Philippe Chaudoir, que les villes tendent à s’autonomiser, en diffusant l’image d’elles-mêmes avant l’image de leur pays. Cependant, nous pouvons aussi lire que les États comme le Canada, ont d’une certaine manière conscience du pouvoir de leurs villes, à travers notamment leur participation et leur soutien (financier surtout) au sein de partenariats multi-acteurs comme Montréal, Métropole Culturelle. En regardant l’idée développée par P.Chaudoir dans l’autre sens, nous pourrions déceler qu’en réalité, les villes, en devenant leur propre représentante, deviennent aussi les outils publicitaires et donc économiques, d’un État moins médiatisé à l’échelle mondiale. Les différents partenariats à l’échelle locale, du Québec ou de la Ville de Montréal comme celui qu Quartier des Spectacles, nous montrent que la construction de la ville s’effectue aujourd’hui grâce à ce type de réseaux, qui permettent de faire le lien entre les intérêts des différentes échelles de gouvernance, et de mettre en commun les différents moyens et outils de ces différents acteurs. La suite de cette analyse devrait nous permettre d’analyser la mise en pratique dans la ville de ces intentions politiques à toutes les échelles, et la manière dont l’aspect festif de Montréal est réinjecté dans les projets qui les matérialisent.

2. Faire la ville événementielle : constats et analyse

Comme nous avons pu le voir précédemment, le projet du Quartier des Spectacles est évoqué pour la première fois en 2002 lors du Sommet de Montréal. Intégrée au sein de son intention de faire de Montréal une « métropole de création et d’innovation, ouverte sur le monde », la mise en place du projet a pour but de « renforcer » le centre-ville de Montréal. Les bases développées lors de ce sommet débouchent en 2004 sur l’élaboration d’un Plan Particulier d’Urbanisme. L’exposé des moyens d’interventions mis en place afin de concrétiser ces intentions constituera la base de notre analyse, qui visera à replacer ces éléments, propres à la ville de Montréal, dans le contexte de la compétition inter-urbaine.

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Documents issus du Plan Particulier d’Urbanisme Secteur Place des Arts, 2004

Dans le document que constitue le Plan Particulier d’Urbanisme du Secteur de la Place des Arts, présentant les mutations envisagées pour le quartier, le constat est établi que : - L’orientation culturelle du quartier n’est pas suffisamment affirmée, notamment par l’absence d’espaces extérieurs aménagés pour la tenue des festivals, et par des équipements culturels qui ne sont, quant à eux, pas assez mis en valeur : « Les grands événements culturels continuent à dépendre de la présence de terrains vacants : la « ville des festivals » ne dispose toujours pas d’espaces urbains aménagés à cette fin. » […] « Les nombreuses salles de spectacle représentent un héritage qui reste encore trop souvent menacé, même s’il est parfois mis en valeur (l’Impérial, le Métropolis, le Monument National) » (PPU,

2004)

- Les pressions foncières exercées sur le quartier risquent de densifier la surface bâtie et d’augmenter l’occupation résidentielle, mettant en péril l’existence des espaces dégagés qui permettent d’accueillir les événements culturels. « L’ancrage des activités culturelles et des festivals est soumis aux pressions du marché immobilier et demeure fragile » […] « S’il n’est pas bien planifié et bien réalisé, le développement résidentiel est susceptible de provoquer des conflits avec les activités récréatives et culturelles (festivals, animations des places, »

(PPU, 2004)

- Les voiries et les chaussées ne sont pas adaptées à une pratique piétonne intensive, et donc à la tenue d’événements extérieurs : « La géométrie des principales artères est surdimensionnée et il y a un important potentiel d’espaces à récupérer à même les chaussées. Dans le contexte actuel, où l’aménagement urbain des quartiers centraux accorde plutôt la priorité aux piétons et au transport collectif et actif, une révision en profondeur du réseau de voiries s’impose. » (PPU, 2004) 74 |


En guise de conclusion, il est affirmé que « Ces faiblesses nuisent au rayonnement de Montréal en tant que «métropole culturelle». » (PPU, 2004) Ce dernier constat mis en avant par le PPU souligne l’entrelacement des intentions à différentes échelles : celle de l’enjeu de l’image internationale de la ville, et celle de la matérialité des enjeux spatiaux et économiques du quartier. a. Pérenniser les espaces festivaliers « En s’inscrivant ainsi durablement dans une ville, un festival transforme à des degrés divers et pendant des durées variables, des espaces urbains en espaces festivaliers. [...] La volonté d’inscrire un festival de manière durable dans le temps pousse différents acteurs à l’inscrire de manière durable dans l’espace. Une telle inscription spatiale peut devenir le point d’appui pour contrôler, maîtriser l’espace urbain, mais aussi l’élément déclencheur de conflits : la pérennisation d’un événement représente un enjeu d’appropriation de l’espace. »69 (Gravari-Barbas, Veschambre, 2005, p.286)

Comme le prouve ce résumé établi par le PPU de 2004, l’attention des pouvoirs publics est avant tout portée sur l’aménagement des espaces non bâtis du quartier, autrement dit rues et espaces publics, comme supports des événements culturels extérieurs, ainsi que sur la nécessité de contrer l’élan de spéculation immobilière, conséquente à l’augmentation récente de l’attractivité du quartier. « La composante principale du PPU consiste donc à aménager, sur des terrains vacants, sur des espaces de voirie excédentaires et sur des espaces publics existants, aux abords de l’îlot de la Place des Arts, un ensemble de nouveaux lieux publics de très grande qualité, provisoirement désignés sous les noms de : Place du Quartier des spectacles, Esplanade Clark, Promenade des Festivals, Place de l’Adresse symphonique, et incluant un important tronçon de la rue Sainte-Catherine. » (PPU, 2004)

Documents issus du Plan Particulier d’Urbanisme Secteur Place des Arts, 2004 69 Gravari-Barbas Maria, Veschambre Vincent, « S’inscrire dans le temps et s’approprier l’espace: enjeux de pérennisation d’un événement éphémère. Le cas du festival de la BD à Angoulême », Annales de géographie 2005/3 (n° 643), p. 285-306.

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Afin de répondre à ces enjeux, les perspectives d’aménagement du quartier reposent sur quatre espaces publics principaux, qui constituent les « plateaux des festivals », et qui, mis en relation via des connexions visuelles et physiques, constitueront le « parcours des festivals ». L’idée sous-jacente est de mettre le piéton au cœur de la circulation du quartier, et plus principalement des espaces qui serviront de support à la tenue des festivals. En parallèle à ces espaces non bâtis, un équilibre programmatique est envisagé à travers l’implantation d’équipements à vocation culturelle sur le pourtour de ces espaces dégagés, afin de leur fournir un cadre bâti, mais aussi de maintenir l’interaction rue/bâtiment grâce au travail des rez-de-chaussée. Présentation des 4 espaces : « La place du Quartier des Spectacle » (aujourd’hui Place des Festivals), par son nom, nous indique qu’elle occupe un rôle central dans l’aménagement général du quartier. Longeant le côté ouest de l’îlot de la Place des Arts, et donc la rue Jeanne Mance, elle a pour vocation première de compléter l’espace original de la Place des Arts, en tant que support scénique et espace public. Elle prend plus d’importance que les trois autres espaces, car elle est le seul à être connecté directement avec la Place existante et la rue Sainte-Catherine. L’enjeu est donc de créer un lien entre le nouvel espace et la rue, que la topographie rendait jusqu’ici dissociés. En continuité avec le niveau de la rue, la nouvelle place serait totalement mise en scène grâce à son dégagement et à son cadre bâti. L’intervention dans cette zone, au niveau de la chaussée en elle-même, consiste à réduire le nombre de voies de circulation (de 5 à 3 voies), et à créer des trottoirs de 10m de large, supprimant ainsi le stationnement sur rue dans cette partie du centre-ville. Le projet de l’Esplanade Clark, située perpendiculairement à la rue SainteCatherine, a pour but de remettre en valeur la rue Clark, qui était (et qui est toujours) constituée d’espaces vacants mal entretenus, servant à la livraison et au stockage technique des îlots bâtis environnants, mais qui pourtant appartiennent en grande partie au domaine public. L’endroit est d’ailleurs réputé pour concentrer un grand nombre de SDF et de junkies. Le nouvel espace à l’angle nord-est de l’îlot de la Place des Arts, appelé Promenade des Festivals, devrait permettre de diminuer le trafic automobile sur la rue Sherbrook, et de reconfigurer l’espace vacant délabré pour qu’il puisse accueillir une partie des festivals saisonniers. De plus, ce petit îlot se situe en lien direct avec l’angle du complexe de la Place des Arts, où devait s’ériger la Maison Symphonique de Montréal (finalement inaugurée en 2011), et devait donc proposer un espace pouvant servir de scène extérieure à cet équipement. L’intervention sur la rue Sainte-Catherine vise, quant à elle, à prolonger l’espace public de la Place des Arts et de la Place des Festivals à la rue. Elle y est décrite 76 |


Recomposition des propositions faites par le PPU de 2004, sur une vue satellite Google EarthŠ, avec les photographies des espaces tels qui existent aujourd’hui.

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comme un « espace public linéaire », permettant de distinguer ce tronçon de la rue Sainte-Catherine vis-à-vis des autres rues du centre-ville, notamment par l’effacement de la limite trottoir/chaussée et la suppression des stationnements automobiles. Aujourd’hui, l’ensemble Place des Festivals et rue Sainte-Catherine est entièrement fermé à la voiture durant la période estivale, laissant ainsi ces espaces se remplir de la foule des touristes et des festivaliers H24. Au sujet de cette piétonnisation, que l’on constate dans ce projet pour la ville de Montréal, mais qui apparaît de manière récurrente à travers les centres des grandes villes mondiales, il semble important de relever certains enjeux soulevés par cette nouvelle géographie des centre-villes adaptés à la déambulation piétonne. Les espaces travaillés en direction du piéton sont orientés vers deux types de publics : les habitants locaux, désireux d’un cadre de vie apaisé, martyrisé depuis les années 50 par la montée en flèche de l’automobile en ville, et les touristes, qui ont pour objectif la visite, la déambulation et la distraction. Pour ce second type d’usager piéton de la ville, il s’agit de faire l’expérience de l’espace, à travers notamment les services tertiaires que constituent les commerces et les restaurants : on pourrait alors parler de « l’espace de la consommation » comme de la « consommation de l’espace ». Cet espace praticable à pied représente en effet un enjeu économique : la rue devient la vitrine géante d’un centre commerciale extériorisé. On assiste à la réciprocité des deux concepts : alors que l’apparition du centre commercial venait répondre à la perte de l’espace de la rue, cédé à l’automobile, les rues piétonnes commerçantes des centres d’aujourd’hui s’attachent quant à eux à reproduire le schéma proposé par ces derniers, à savoir la concentration de commerces facilement joignables entre eux. Cumulé à l’engouement grandissant des populations pour ce qui « se goûte, se sent, à ce qui se passe en direct, avec les autres, au milieu des autres», [...] on assiste à une dynamique qui redonne de l’importance à l’espace public, en général, et à la rue, en particulier.» (Ascher, 2008, p.78)

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Il est intéressant de voir que les nouveaux espaces publics proposés par le PPU de 2004 intègrent le fonctionnement et l’apport commercial de la rue SainteCatherine, qui borde l’îlot de la Place des Arts au sud. Quelques recherches, déjà présentées dans cette analyse, permettent de replacer le rôle de cette rue au sein de la ville à travers ces diverses évolutions. On a vu qu’aux grandes heures du quartier du Red Light, la rue Sainte-Catherine, ainsi que son allié perpendiculaire la Boulevard Saint-Laurent, concentraient les grandes scènes québécoises francophones. Avec la suppression de la plupart des enseignes, et les efforts mis en place par la ville pour redorer l’image du centre-ville, il est question de faire de cet axe structurant l’artère commerciale principale de la ville. La dissémination des espaces culturels à travers le quartier a permis de rétablir cette relation directe entre les rez-de-chaussées et la rue. De plus, ces nouveaux équipements sont rendus d’autant plus visibles depuis le dégagement


opéré par la Place des Arts, et accessibles, par la ligne verte du métro, dont les principaux arrêts se répartissent le long de la rue Sainte-Catherine.

Carte «des principales composantes commerciales», Plan d’Urbanisme consultable en ligne sur le site de la Ville de Montréal

La piétonnisation des espaces de la ville répond parfaitement aux attentes du tourisme de longue distance : en arrivant par avion, la chaîne du transport aéroport/transport en commun/marche est totalement adaptée à la pratique de la ville. En revanche, si l’on pense au tourisme de proximité, autrement dit des Québécois n’habitant pas à Montréal, ou encore aux travailleurs habitant en périphérie, mais exerçant en centre-ville, qui se rendent en ville en voiture, quelle place pour la circulation et le stationnement de ces usagers? Il s’agit d’un problème récurrent à toutes les villes contemporaines d’envergure un peu conséquente, celui des embouteillages des entrées de villes aux heures de pointes. Aujourd’hui, il faut plus de temps pour parcourir deux kilomètres en périphérie sur l’autoroute, que pour traverser à pied un centre-ville un lundi à 18h. Il semble donc pertinent de noter que, nulle part au travers des documents fournis par la ville de Montréal, il est question de solutions apportées à la congestion automobile des quartiers périphériques à celui du Quartier des Spectacles. Pourtant, la question du stationnement automobile constitue aujourd’hui le plus gros obstacle à la concrétisation de l’Esplanade Clark, dont les travaux n’ont toujours pas débutés70. 70 Shaffer, Marie-Eve. “L’esplanade Clark Encore à L’étude.” Métro. Accessed November 7, 2015. http://journalmetro.com/actualites/montreal/344380/lesplanade-clark-encore-a-letude/.

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Pour ce qui est de la relation périphérie/centre-ville, on peut en revanche noter que le développement du réseau des trains de banlieue de ces dernières années vise à compenser cette difficulté d’accessibilité automobile en ville. Pour avoir vécu à Montréal, et même si mon école n’était pas directement située dans le centre, j’ai pu constater qu’un grand nombre des étudiants qui habitent en banlieues éloignées, prennent leur voiture pour se rapprocher de la ville, mais s’en servent uniquement pour atteindre des gares ou bien des stations de métro situées en périphérie de l’agglomération, pour ensuite via ces transports rejoindre l’université. Pour en revenir à la construction de ce nouveau type d’espace, à la fois espace public, vitrine ouverte, et espace scénique, les outils employés relèvent de l’aménagement paysager, du mobilier urbain, de l’éclairage, et de la manipulation des règles d’urbanisme. En effet, comme on peut le remarquer sur les plans présentés, les espaces sont occupés en moyenne à 50% par des surfaces végétalisées. Cette présence intensive d’espaces plantés peut s’expliquer par l’importance environnementale redonnée aux rues depuis une trentaine d’années, et qui apparaît en réaction à l’urbanisme bitumé froid et hostile du modernisme. Le mobilier urbain proposé est quant à lui envisagé de deux manières : permanente et amovible. Ainsi, les éléments permanents participeront à la structuration de l’espace et à la fonction repère diurne et nocturne, et les éléments mobiles permettront l’appropriation des espaces lorsqu’il n’y a pas de festivals et seront stockables facilement lors de leur tenue. Ce nouveau mobilier devrait être traité en lien étroit avec l’élaboration des nouveaux systèmes d’éclairage, devant permettre la mise en lumière de la ville et des événements. Cette importance de l’éclairage n’est pas seulement propre aux villes événementielles, elle concerne la plupart des centre-villes des pays développés, qui cherchent à se forger une image de ville nocturne, symbole d’attractivité festive, et permet souvent de renforcer l’aspect sécuritaire des lieux. Ce sera finalement l’agence des architectes Daoust Lestage et les designers urbains du groupe GPA qui remporteront les concours publics pour l’aménagement de la Place des Festivals et son mobilier. Cette intention portée à la création d’un mobilier urbain inédit pour les villes, qui se démarque dans son paysage non plus en tant qu’équipement discret, mais en tant qu’œuvre d’art en soi, dévoile un autre type de concurrence inter-urbaine, celle de la course au mobilier le plus original, iconique et fonctionnel (Voir image de la place Schouwburgplein à Rotterdam). Enfin, le PPU envisage de modifier les réglementations urbaines dans certains secteurs afin de contrôler la densification du quartier aux abords de ces espaces publics, de maintenir la programmation culturelle des rez-de-chaussée et éviter leur résidentialisation, et enfin, de conserver le lien visuel entre les différents espaces constitutifs du quartier. 80 |


« Ces nouveaux paramètres permettent entre autres une densification aux abords des stations de métro Place des Arts et Saint-Laurent, un encadrement des lieux publics, de même que l’inclusion d’activités culturelles dans les nouveaux projets immobiliers. » (PPU, 2004) Il est important d’indiquer que la loi au Québec autorise les pouvoirs publics à exproprier des personnes si le besoin en est constaté, dans l’optique de renforcer une orientation singulière, ici les services en lien avec la culture. Pour conclure, il est clairement énoncé dans le projet du Quartier des Spectacles, que l’accent est mis sur des espaces avant tout extérieurs, paysagers et publics. Ce type d’intentions illustre le basculement initié dans les années 90, d’un urbanisme s’appuyant sur la production bâtie, à travers l’apport d’un nouvel équipement principal qui requestionne l’orientation programmatique et restructure l’espace urbain environnant, à un développement généré par l’apport d’espaces publics de qualité, mis en réseau et proposant une diversité d’usages. Si nous venons de mettre l’accent sur les intentions qui ont été portées sur ces espaces publics supports d’événements, il faut également noter que le projet se dotera, au cours de la décennie consécutive au Plan Particulier d’Urbanisme, de plusieurs nouveaux équipements culturels, reposant non plus sur la mise en valeur du patrimoine, mais bel et bien sur la qualité des objets architecturaux construits. Nous pouvons à ce titre citer la Grande Bibliothèque des Archives Nationales au croisement de la rue Maison-Neuve et Saint-Denis, à proximité des pavillons de l’UQAM, construite entre 2001 et 2004, et qui constitue le premier concours international au Québec. Ou encore la Maison de l’Orchestre Symphonique de Montréal, issu d’un partenariat public/privé, qui vient compléter l’îlot de la Place des Arts. Inaugurée en 2009, la Place des Festivals a été le premier des espaces exposés dans le PPU à voir le jour. Elle joue aujourd’hui le rôle qui lui était destiné, à savoir l’emblème du quartier, à la fois point de repère et support des festivals les plus médiatisés (Festival international de Jazz, etc). En ayant vécu une année à Montréal, j’ai toujours vu cette place occupée par des expositions ou des activités temporaires ludiques. Quelques aspects du projet nous permettent cependant de mettre en avant certains bémols, notamment au niveau de la friction entre intentions projectuelles et réalité des acteurs et des habitants. Premièrement, l’un des quatre espaces cités dans cette partie (l’Esplanade Clark) n’est toujours pas parvenu à prendre forme, principalement en raison des différences d’intérêts politiques et économiques des acteurs qui ne parviennent pas à s’entendre sur la nécessité ou non d’y intégrer un parking souterrain pour répondre aux besoins des nouveaux espaces de bureaux du quartier. | 81


Également, nous pouvons ouvrir cette partie sur l’un des aspects du quartier qui est tu dans l’ensemble des documents et diagnostiques délivrés par la ville : la présence importante d’itinérants (SDF), le trafic et la prise de stupéfiants, et la délinquance. En effet, si un projet de cette envergure a pour tendance de rendre les espaces ultra exposés et donc surveillés, il implique que d’autres soient sousaménagés et mis à l’abri des projecteurs. Je n’ai peut-être pas suffisamment de données me permettant d’établir de véritables conclusions concernant l’impact qu’a eu le projet du Quartier des Spectacles sur la population itinérante en centreville, mais je peux d’ores et déjà soulever la question. Durant l’année où j’ai vécu à Montréal, j’ai pu constaté de la présence concentrée des itinérants aux abords de la station Berri UQAM, à l’est du Quartier des Spectacles. Ces personnes sont à l’évidence en état de détresse mentale et physique. Quelle place pour ce type d’occupation de l’espace urbain dans nos villes contemporaines ? Comment interroger le droit à la ville à travers des projets tels que celui-ci ? La suite abordera cette question de l’impact démographique et social sur les populations des villes, à travers l’analyse du recensement actuel de Montréal. Le but de cette dernière partie sera d’établir le portrait de la population de la ville, en y analysant les faits saillants qui distinguent le type d’habitants du centre-ville de sa périphérie. Il s’agira d’en faire ressortir les principales caractéristiques afin d’apporter une amorce de réponse à l’une des problématiques lancées à l’origine de ce travail de recherche, soit l’impact d’une politique culturelle de rayonnement international sur l’équilibre urbain et social d’une ville. b. Répercutions spatiales et démographiques d’une politique de développement urbain basé sur la culture « S’il n’est pas bien planifié et bien réalisé, le développement résidentiel est susceptible de provoquer des conflits avec les activités récréatives et culturelles (festivals, animations des places,) [...] Si des investissements importants ne sont pas réalisés rapidement dans le domaine culturel, Montréal risque de perdre des événements importants, voire son statut de métropole culturelle » (PPU, 2004) « Dans un contexte où la hausse des valeurs foncières risque d’entraîner l’exclusion des artistes et des artisans du quartier, le PPU préconise une utilisation multifonctionnelle des terrains et bâtiments de propriété publique. De plus, par souci de compatibilité d’usages, l’habitation serait exclue au pourtour des places publiques à l’exception peut-être des ateliers-résidences pour artistes. » (PPU, 2004) À travers l’analyse du Plan Particulier d’Urbanisme, nous avons pu voir que l’une des priorités portées par les pouvoirs publics était celle de lutter contre la spéculation foncière dans le quartier, et l’implantation de logements, « susceptible 82 |


de provoquer des conflits avec les activités récréatives et culturelles ». La stratégie adoptée pour court-circuiter ce processus a été de racheter les terrains non bâtis ou en friche, afin d’en faire des espaces extérieurs de représentation type esplanade, et d’y implanter en périphérie des équipements publics à vocation culturelle. Mais il est important ici de considérer le « centreville » à proprement dit, non pas uniquement circonscrit par le périmètre du Quartier des Spectacles, mais de l’ouvrir à celui de l’arrondissement Ville-Marie, qui comporte à la fois le centre historique, culturel, et le centre d’affaire.

Carte shématique de la composition des quartiers au sein de l’arrondissement villeMarie - Fond vue satellite Google Earth©

À cette échelle, et même si le projet a permis d’exploiter et de revaloriser toutes les parties appartenant au domaine public du secteur Place des Arts, certains signes nous informent que le phénomène de la spéculation n’a pas vraiment pu être évité. En effet depuis ces dix dernières années, des dizaines de projets immobiliers d’une grande ampleur ont émergé au sein du quartier. Sur le site « HabiterMontréal »71, on peut voir que l’arrondissement Ville-Marie, qui représente le centre-ville dans lequel s’inscrit le Quartier des spectacles, comporte aujourd’hui 38 projets immobiliers résidentiels, un nombre en moyenne cinq fois supérieur aux autres arrondissements. Il est aussi intéressant de voir que les deux arrondissements qui suivent Ville-Marie dans cette lancée immobilière sont Mercier-Hochelaga71 http://www.habitermontreal.com/fr/map-items?b=31

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Maisonneuve (19 projets), et le Sud-Ouest (16 projets) : deux arrondissement qui bordent celui de Ville-Marie à l’Est et à l’Ouest. La non-expansion de ce phénomène vers le nord s’explique par la nature du tissu peu dense et résidentiel du quartier du Plateau Mont-Royal.

Carte extraite du site «HabiterMontréal», répertoriant les projets en cours de construction et déjà disponbles à l’achat dans le périmète de l’arrondissement Ville-Marie

Alors de quel « conflit » parle-t-on ? Selon moi, l’ennemi majeur de Montréal, mais aussi de toutes les grandes villes qui tendent à redynamiser leur centre, aujourd’hui, réside dans la gentrification du quartier, que l’apport de nouveaux logements impliquerait : le quartier est aujourd’hui à vocation tertiaire et récréative, on n’y habite pas (ou peu), on y travaille, ou bien on y pratique l’espace urbain. Si cet équilibre venait à changer, les nouveaux logements qui s’y implanteraient seraient forcément d’un loyer plus élevé que la moyenne de la ville, aux vues de l’attractivité actuelle du quartier. Une gentrification de la population y habitant conduirait à l’association du quartier à une classe sociale élevée, aux risques de le faire baisser dans l’estime populaire, et d’annihiler tous les efforts faits ces cinquante dernières années pour maintenir la cohésion sociale. Aujourd’hui, à quoi peut-on déceler les signes de cette gentrification, et y a-til d’autres conséquences sociales et démographiques sur la répartition des populations à Montréal ? Pour répondre à cette question, nous nous appuierons principalement sur l’atlas socio-démographique publié par la Ville de Montréal en 201172.

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72 Atlas socio-démographique : Région Métropolitaine de recensement de Montréal, 2011


Valeur moyenne des logements (prix m²), et prix moyens des loyers mensuels

Avec comme première source d’analyse les prix immobiliers, aussi bien à l’achat qu’en location, on remarque que le centre-ville concentre d’importantes zones rouge foncé, qui indiquent les valeurs les plus élevées. Si la valeur des biens en propriété reste assez homogène dans cette partie de la ville (plutôt très élevés), nous pouvons voir, qu’au contraire, les prix à la location sont assez disparates : les tâches les plus foncées sont encerclées par des tâches claires. Ainsi, nous assistons, non-seulement à des disparités de valeurs entre centre et périphérie, mais également aujourd’hui au sein même de cette centralité. Plusieurs pistes sembleraient expliquer ce type d’inégalités. Dans un premier temps, nous pouvons citer le contexte favorable au développement de la spéculation foncière. On pourrait définir cette dernière par le fait d’acheter et de bâtir sur un terrain, et de se baser sur la prospection de l’évolution favorable de la conjoncture locale, afin de prétendre à un prix de revente ou de location d’une valeur plus élevée (retour sur investissements). Le contexte d’une ville dans laquelle les politiques urbaines publiques visent à redynamiser un quartier, par l’amélioration du cadre vie, de l’accessibilité, de ses équipements et de ses services, constitue un cadre idéal pour favoriser l’émergence de ce type de stratégie économique immobilière. Ainsi, on assista, dès lors que le PPU pour le Quartier des Spectacles eut été adopté, à une vague massive de rachats et d’investissements d’un grand nombre de parcelles aux alentours du secteur de la Place des Arts. Ainsi, des projets, parmi ceux cités plus haut dans l’énoncé, verrons le jour au cours des années concomitantes à l’élaboration et la construction du quartier, sans pour autant être occupés aujourd’hui. En effet, la spéculation foncière induit également la notion de plus-value, qui s’acquièrt lorsque le quartier et ses commodités (services, aménagement, transports...) sont optimales. Sur cette base, et sur la perspective d’un plan d’action prenant fin au cours de l’année 2017 (si un nouveau n’est

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pas lancé d’ici là), on peut supposer que certains de ces logements attendront encore deux années avant d’être proposés à la vente.

Photographies présentes sur les sites des agences immobilières qui proposent ces nouveaux «condominiums» (logements en co-propriété) à la vente (http://www.samcon.ca/condo/118-lemetropol.html).

Ce nouvel apport bâti, de logements comme de bureaux, sous-entend la nécessité d’un renouveau de la population, demandeuse d’habiter et/ou de travailler dans ce quartier. Il est alors intéressant de se pencher sur le profil d’habitants/travailleurs qui est visé à travers ces opérations immobilières. Nous avons vu que le centre-ville de Montréal concentrait aujourd’hui des « poches » d’habitations de valeurs et de loyers très élevés : cela sous-entend l’existence potentielle d’acheteurs/loueurs aux moyens appropriés. Ce qui nous amène à parler du phénomène de la gentrification. Lorsque l’on entend parler de gentrification à Montréal aujourd’hui, les gens font souvent référence au Plateau Mont-Royal, situé au nord du quartier des Spectacles, bel et bien représenté par une tâche plus foncée sur la carte. Pourtant, lorsque nous avons évoqué les projets immobiliers proches du quartier des spectacles, celui-ci était loin de faire partie de ceux où la spéculation était la plus forte. Alors comment expliquer le phénomène ? En réalité, pour avoir vécu dans ce quartier, le Plateau-Montréal est l’un des plus « typiques » de Montréal, architecturalement parlant, mais aussi pour son ambiance, sa végétation, etc. Pour ces raisons, il est très prisé par les immigrants provisoires (étudiants) et permanents (qui deviennent résidents). Deux faits pourraient expliquer la gentrification de ce quartier : l’augmentation du nombre d’immigrants et leur grande proportion de jeunes adultes (tableaux n°3 et n°4), ainsi qu’un prix de l’immobilier très abordable vis-à-vis des prix européens par exemple. Pour ce qui est du nombre de nouveaux immigrants, il est en effet passé d’environ 13 000 par an dans les années 70 à 30 000 pour la période 2006/2011 (chiffres déduits du tableau n°3).

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Tableau n° 3, à gauche : Population immigrante selon la période d’arrivée, agglomération de Montréal, 2011 Tableau n° 4, à droite : Population immigrante selon l’âge à l’immigration, agglomération de Montréal, 2011 Source : «Montréal en Statistiques», données en ligne de la Ville de Montréal. http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6897,67885704&_dad=portal&_schema=PORTAL

Ainsi, on assiste à une forte nouvelle demande en logements à laquelle il faut répondre. Il faut savoir qu’à Montréal, les prix de l’immobilier sont relativement attractifs au regard des prix qui s’envolent dans des métropoles telles que Paris Londres ou New-York. (voir tableau n°5). Les nouveaux immigrants ne sont pas forcément conscients de cet écart de prix, et ont tendance à prendre pour référence de prix celui du loyer qu’ils payaient auparavant. Donc, partant du fait que le Plateau Mont-Royal est très prisé, et que les immigrants, notamment français, sont prêts à mettre le même prix d’un loyer en région parisienne, les propriétaires montréalais profitent de cette situation pour proposer des prix bien plus élevés que la valeurs des habitations, entraînant hausse des loyers en Tableau n° 5 : Le prix des loyers dans certaines villes internationales Montréal en Statistiques

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général et donc, gentrification. Cet exemple, même si n’étant pas directement situé dans le quartier des Spectacles, nous indiquent l’une des manières dont peut se manifester la paupérisation des centre-villes des métropoles. Nous avons déjà évoqué la forte augmentation de l’immigration à Montréal ces dernières années. Maintenant, si l’on regarde l’âge de ces nouveaux arrivants (tableau n°4), on s’aperçoit que les catégories les plus représentées sont les personnes âgées de 25 à 44 ans, et celles de 15 à 24 ans. Ces chiffres nous permettent de supposer qu’une grande partie de ces migrants sont à considérer parmi les « classes actives », autrement dit occupant un travail, et que l’autre partie nécessite des places dans les établissements d’enseignement pour les

Concentration des personnes de 15 à 24 ans, 2011

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Concentration des personnes de 25 à 64 ans, 2011


Concentration des immigrants, 2011

accueillir. Ces cartes nous permettent de constater que le centre-ville constitue un berceau d’accueil pour les nouveaux immigrants, et nous confirment également l’hypothèse que le quartier concentre la grande majorité de la population jeune de la ville, à savoir les « classes actives » et les étudiants. Cette présence étudiantes dans le centre-ville s’explique en partie par le fait que Montréal possède aujourd’hui quatre universités de plus de 40 000, don plusieurs milliers en provenance de l’étranger. Ceci ajouté à la croissance des nouvelles industries du savoir et des postes demandant une haute qualification comme le mentionne F. Ascher, nous pourrions nous demander si nous n’assistons pas à l’intellectualisation des populations vivant en ville. La carte de la concentration des personnes diplômées aurait tendance à

Concentration des personnes de 15 ans et plus ayant un diplôme, 2011 | 89


confirmer cette hypothèse.

À gauche, Concentration des ménages propriétaires, 2011 À droite, Concentration des ménages locataires, 2011

Si l’on regarde maintenant les cartes qui répertorient les secteurs où l’on accède à la propriété de ceux disponibles à la location, on s’aperçoit que les logements à louer se concentrent dans le centre, tandis que les logements en accession se situent majoritairement en périphérie. Nous pourrions analyser ces données en les associant aux faits mis en avant précédemment, à savoir que les habitants qui résident en centre-ville sont plus concernés par le travail et les études, dont une partie non négligeable est issue de l’immigration. Ainsi, nous pourrions supposer que la concentration d’emplois liés aux industries du savoir, qui se veulent mobiles et polyvalentes (Ascher, 2008), amène une catégorie de résidents de courte durée (contrat d’une année, stages, etc). Phénomène amplifié par l’émergence du tourisme d’affaire (conférence, colloques, etc), qui nécessite des séjours de seulement quelques jours. La présence d’une population étudiante, quant à elle, implique également cette notion d’habitat à durée provisoire : les étudiants ne conservent leur logement en générale que pour la durée de leurs études. De plus, l’ouverture culturelle dont fait preuve le Québec, par la multiplication des partenariats de type mobilité étudiante, aurait tendance à exacerber le phénomène par la venue d’étudiants étrangers pour des durées allant de 6 mois à une année. Enfin, si les cartes traitant de la répartition linguistique nous confirment les disparités est/ouest déjà évoquées, elle nous précisent cela dit que les populations vivant en centre-ville auraient plus tendance qu’en périphérie à parler à la fois l’anglais et le français. On pourrait lire cette information en 90 |


la recoupant avec la nécessité croissante de parler anglais dans les relations internationales, nécessité d’autant plus ressentie si Montréal a pour ambition de multiplier ses partenariats culturels comme économique avec l’étranger. Cette dernière donnée nous révèle encore une fois le caractère multi-culturel de la ville, ou plutôt de son centre, qui semblerait avoir réussi le pari d’allier sa culture locale (francophone) aux exigences de la concurrence internationale.

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///////////////////////////// Grâce à l’étude morphologique et urbaine du projet, nous avons pu mettre en avant l’apparition d’un nouveau type d’espace public pluriel, à la fois lieu de sociabilité, support des déplacements piétons, et espace scénique. Leurs singularités résident dans leur composition paysagère et morphologique, la combinaison d’un mobilier urbain fixe et mobile, par le travail d’un éclairage inspiré du langage scénique, et l’effacement de la limite rue/espace public dans une logique de piétonnisation. La ville culturelle et festive de demain pourrait donc devenir une surface plane, qui constituerait l’espace public, sur laquelle viendrait s’implanter des objets architecturaux, servant de décor au spectacle à la fois quotidien et événementiel mis en scène dans leurs interstices. Le mobilier urbain qui l’accompagne ne devient plus seulement le support d’une information, d’une fonction, mais devient le porteur d’un message en soi : « Regardez moi, je suis à l’image du caractère créatif et innovant de ma ville, je ne me trouve nulle part ailleurs ». Nous pourrions déduire de cette analyse que la mise en valeur des festivals a permis l’affirmation de la culture et des valeurs endogènes à la population locale, tout en répondant à la recherche d’une attractivité touristique, tant régionale, nationale, et mondiale. En contrepartie, la critique de la commercialisation de cette même identité locale semble aussi pouvoir émerger. Un équilibre serait donc à trouver, entre des interventions qui servent l’image internationale de la ville (application des principes de l’agenda 21, architecture objet, etc), et celles qui améliorent réellement le cadre de vie et l’environnement urbain des habitants. Car, si le développement des industries culturelles et touristiques a permis à la fois de redynamiser le centre-ville, et de rendre accessible la connaissance sous toutes ses formes à l’ensemble des populations, la question se pose du déséquilibre démographique urbain engendré. Certaines réponses apportées par le projet du Quartier des Spectacles semblent vouloir limiter le phénomène de gentrification, mais en même temps risquent de conduire à la sectorisation de la ville : un centre dans lequel on travaille et l’on se divertit, bordé par une périphérie que l’on habite. Les disparités relevées dans cette dernière partie nous amènent à questionner la mixité urbaine et le droit à la ville. Quelle ville pour les personnes n’étant pas hautement diplômées ou n’étant pas artiste ?

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CONCLUSION

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Si l’objectif initial de cette recherche était d’interroger la confrontation entre une culture locale, et les nouveaux enjeux relatifs à la concurrence inter-urbaine mondiale, Montréal nous prouve que la rencontre de ces deux échelles peut s’effectuer de manière constructive et bénéfique pour le développement de la ville et de ses habitants. L’ensemble des éléments d’analyse fournis ont permis de révéler que l’utilisation de la culture au Québec avait tout autant contribué à maintenir la cohésion sociale locale, par l’affirmation d’une identité populaire, qu’à la construction d’une image singulière, devenue l’outil permettant d’asseoir Montréal en tant que métropole culturelle au sein du contexte concurrentiel mondial. Ce double apport a été rendu possible par la mise en tension ponctuelle de la culture locale et des manifestations de la culture internationale, ayant conduit à une remise en question de l’une par rapport aux autres. Ce type de confrontation a été initié grâce au rejet du projet de la Place des Arts et de la Place WilfridPelletier, qui finalement était nécessaire afin de provoquer le débat de la question identitaire à travers les outils architecturaux et urbains de la ville. L’échec de ce projet a prouvé que l’enjeu local de la paix sociale était une priorité à placer avant les problématiques économiques et de rayonnement mondial. De plus, les actions mises en place en faveur de la démocratisation de la culture, de l’éducation, et du soutien à la création, ainsi que les transformations apportées à la Place au cours des années 70, 80, et 90, attestent de la prise de conscience des politiques locales de la nécessité de «soigner l’intérieur», avant de penser à l’image véhiculée vers l’extérieur. Nous avons pu, à plusieurs reprises, constater l’impact de certains événements internationaux sur cette définition d’identité locale. L’exposition 67 par exemple, a permis une forme de reconnaissance des valeurs populaires à travers le modèle événementiel et l’ouverture culturelle sur le monde. Ainsi, l’émergence du festival, comme manifestation culturelle endogène au Québec, résulte en réalité de la rencontre d’échelles et d’enjeux différents mais complémentaires. Ce type d’événement, et le regain d’attractivité économique qu’il a généré, a permis l’appropriation locale progressive de cette ambition d’ouverture, et de rayonnement international, comme valeur commune. Les années 90 sont marquées par un basculement du propos culturel, des préoccupations locales aux enjeux internationnaux. La participation de Montréal à des sommets et autres regroupements qui questionnent les valeurs d’une communauté internationale naissante, témoignent de l’émergence d’une culture globale et de l’homogénéisation des modèles sociétaux. A partir de cet instant, Montréal aura pour objectif d’inscrire les valeurs qui lui sont propres parmi la définition de ces modèles. En plus de ses singularités, Montréal recherche de cette manière à devenir une référence en terme de qualité de son cadre de vie aux yeux du monde, ce qui atteste d’une stratégie autant médiatique que marketing, visant à attirer les nouveaux investisseurs et les nouveaux | 95


consommateurs (touristes). Une fois l’idée acceptée que la culture populaire puisse être utilisée à des fins promotionnelles, des projets comme ceux initiés à travers le Quartier des Spectacles deviennent légitimes. Elle autorise même les pouvoirs publics locaux à exproprier des habitants si la finalité d’un projet contribue à la mise en valeur du patrimoine culturel et de sa visibilité, ce qui aurait pour tendance de vider le centre de ses habitants initiaux. La question que soulève cet exemple, au regard de la situation démographique actuelle de la ville, serait celle du paradoxe qu’incarne ce centre culturel, qui se veut l’icône d’une identité populaire locale, mais qui, pourtant, est destiné aux touristes et aux investisseurs étrangers. On assiste de cette manière aujourd’hui à Montréal à la résurgence de clivages sociaux qui viennent déconstruire l’équilibre qui avait été trouvé à travers les travaux et les réformes de la Révolution Tranquille. Si l’élitisme dénoncé au début des années 60 était celui des classes anglophones, il s’agit aujourd’hui d’un déséquilibre qui intervient entre un centre et ses périphéries. Les discriminations spatiales, sociales et économiques observées sont celles qui permettent d’associer une population jeune et mobile détenant savoirs et richesses au centre-ville médiatisé. Le centre bénéficie ainsi de sa propre dynamique de renouvellement de ses habitants, basée sur la fluctuation et la mobilité du travail international. Il devient indépendant économiquement (tourisme et commerces) et humainement, ce qui peu à peu conduit à son autarcie vis-à-vis de sa périphérie. C’est aujourd’hui une critique de cette fabrication d’une ville destinée aux nouveaux consommateurs de l’espace urbains qui pourrait être faite, au sujet du Quartier des Spectacles comme à celui des projets médiatiques qui s’inscrivent dans des stratégies culturelles internationales (Bilbao, les Capitales Européennes de la Culture, etc). Si mon intention initiale était d’ailleurs d’analyser Montréal en tant qu’élément constitutif d’une analyse comparative me permettant de questionner la confrontation des cultures locales avec les nouveaux enjeux globaux à travers différentes villes au sein des pays développés, le contexte québécois complexe et l’omniprésence culturelle dans les intentions urbaines de la ville durant les cinquante dernières années, m’ont amené à la conclusion que Montréal n’est en réalité comparable avec aucune autre ville. Montréal, et sa politique culturelle de développement urbain, se distinguent d’autres exemples tels que Bilbao ou Chicago, dans lesquels une intervention donnée à caractère culturel, pointée dans le temps et l’espace, a permis un regain soudain d’attractivité, ou tout du moins d’attention des médias, pour la ville. A l’inverse, le projet du Quartier des Spectacles s’inscrit dans une continuité d’intentions et de projets, et découle d’une histoire politique, sociale, linguistique et urbaine très ancrée dans la ville et dans les esprits de ses habitants. En raison de cette inscription beaucoup plus ancienne et fondée sur certaines valeurs 96 |


endogènes québécoises, on pourrait accorder à Montréal plus de légitimité et de crédibilité quant à l’utilisation de la culture comme générateur de projets urbains. Ceci m’amène à dire que la préexistence d’un contexte et d’une identité locale affirmée dans une ville quelle qu’elle soit aurait tendance à lui assurer un placement «hors-concurrence» et une situation d’exemplarité. Ne se basant sur aucun modèle de ville en terme de culture, elle devient elle-même une référence en la matière. Elle a d’ailleurs bien assimilé ce monopole, et tente à travers la culture, et notamment ses politiques urbaines et architecturales, de conserver et d’affirmer cette exception. Les concours internationaux, par exemple, ont été introduits au Québec seulement très récemment (fin des années 90), et leurs participants sont souvent soumis à la condition de se présenter aux côtés d’une agence québécoise. On assiste de cette manière à une forme de protectionnisme de la culture québécoise, qu’il est dommage de voir phagocytée par les nouvelles dynamiques économiques et touristiques auxquelles s’adonne la ville aujourd’hui.

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BIBLIOGRAPHIE / ICONOGRAPHIE

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IMAGES : - Page 66, Photographie de l’Église du Gesù : https://patrimoine.uqam.ca/autres-activites-et-nouvelles/563-visitesguidees-a-l-eglise-du-gesu.html - Page 66, Photographie du Cinéma Imperial, 1995 : http://cinemaimperial.com/pages/historique.php - Page 66, Photographie du Théâtre du Nouveau Monde : http://www.lametropole.com/blog/jean-paul-sylvain/les-filles-du-crazyhorse-au-tnm - Page 66, Photographie du Théâtre du Monument International : http://roydupuis-partners.over-blog.com/article-roy-dupuis-au-theatrerecapitulatif-83177646.html - Page 66, Photographie du Club Soda: http://www.clubsoda.ca/fr/ClubSoda - Page 66, Photographie de la Société des Arts Technologiques: http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/314833/artsnumeriques-apres-la-renovation-la-sat-version-4-0 - Page 66, Photographie du Métropolis : http://www.quartierdesspectacles.com/fr/lieu/24/metropolis/page-1 - Page 66, Photographie du Théâtre Saint-Denis : http://theatrestdenis.com/fr/propos-de-nous/theatre/ - Page 77, Photographie de l’Esplanade Clark : http://journalmetro.com/actualites/montreal/344380/lesplanade-clarkencore-a-letude/ - Page 77, Photographie de la rue Sainte-Catherine : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rue_Sainte-Catherine_ Montreal_09.jpg - Page 77, Photographie de la Place des Festivals : http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_dad=portal&_ pageid=7097,71577715&_schema=PORTAL

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