UNE ARCHITECTURE PARTICULIÈRE L’architecte face à la déterritorialisation de l’habitat individuel Laura Roudeix
Mémoire d’Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon
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PRÉAMBULE
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Donner du sens J’entreprends aujourd’hui l’exercice de la HMONP avec un questionnement tout aussi personnel qu’universel, interrogeant à la fois ma responsabilité en tant qu’architecte-citoyen, et le rapport de l’architecture au monde. Deux ans et demi après mon diplôme, dont deux années d’expérience continues auprès de l’Agence Dank Architectes, support de cette mise en situation professionnelle, il me paraît nécessaire de prendre un certain recul critique sur ce que j’estime pouvoir être ma place au sein des multiples facettes que la profession d’architecte offre. Donner du sens à cette pratique m’apparaît aujourd’hui indispensable, dans un contexte où la cohérence semble justement troublée par l’association complexe mais inévitable des enjeux politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Saisissant cette occasion d’une critique introspective, à travers l’humilité d’un parcours balbutiant, je suis en quête d’une pratique responsable, qui préfère les questions aux réponses, la réflexion à l’empressement, l’engagement plutôt que la passivité.
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Le regard, parfois naïf, mais surtout curieux et impliqué que je porte aujourd’hui est celui d’un espoir d’une pratique sensée. Le renoncement est aujourd’hui exclu, le doute indispensable, et l’espoir toujours permis.
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1.
0. -
SOMMAIRE
Préambule Ex-nihilo nihil fit
8
Rien ne vient de rien
1. Parcours au fil des échelles 2. Une pratique sur mesure 3. Sortir du lot
Représentations
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Raisons et conséquences de la déterritorialisation de l’habitat individuel
2.
1. La caricature des styles : uniformisation et décontextualisation des modèles 2. Enjeux et postures actuels
Dess(e)in Stratégie pour l’émancipation de l’architecture vis-à-vis de ses représentations 1. Au delà de l’intuition, la construction du récit 2. Le détail, outil d’une réappropriation technique
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30
... 4. 3.
SOMMAIRE
Matérialisation
44
Pour une architecture singulière, artisanale, locale, et transversale. 1. Manière(s) de faire 2. Matière(s) de faire
Implication
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/ Le temps c’est de l’argent / Architecture et humilité
Conclusion
64
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Je suis née et j’ai grandi près d’Ambert, petite ville de la vallée de la Dore située dans le parc naturel du Livradois-Forez (63). La maison dans laquelle j’ai grandi est située dans un hameau d’une dizaine de maisons : c’est l’ancienne école de ce qui était auparavant un village. Comme la majorité des maisons voisines, d’anciennes ou actuelles petites exploitations agricoles, sa structure est en pierres apparentes. Les propriétaires précédents, venant de Clermont-ferrand, avaient rénové en grande partie la maison, intérieurs et extérieurs. Sans doute dans un soucis d’apporter de la modernité à cette bâtisse au langage vernaculaire, ils ont fait recouvrir les pierres des murs de façade par un crépis beige. La maison est encore aujourd’hui la seule maison enduite du hameau.
0.
Ex-nihilo nihil fit,
Rien ne vient de rien
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1.
Parcours au fil des échelles
Il y a maintenant 10 ans, j’entamais un baccalauréat en Arts Appliqués, formant à la culture et à la conception dans les domaines du design et des métiers d’arts. Cette formation sur trois ans, m’a permis de faire mes premières armes en termes de dessin, de culture artistique et architecturale. Au travers d’une démarche fondée sur l’analyse et l’expérimentation, j’ai pu explorer les fondements du design graphique, d’espace, et d’objet. Plus que tout, j’ai pu aborder l’imbrication des dimensions esthétique, fonctionnelle et sémantique des figures qui composent notre environnement. A la fois vu, utilisé et diffusé (médias), le dessin d’un objet impacte à la fois la personne qui en fera l’usage et participe à l’expression d’une culture qui témoigne des savoir-faire et des tendances au cours d’une période donnée. La fabrication et le mode de production m’ont été présentés comme interdépendants de la manière dont les objets sont pensés. Le mouvement des Arts and Crafts ainsi que certaines monographies d’architectes à la double casquette architecte/designer, capables de lier les échelles entre elles, ont eu beaucoup d’impact sur mon désir de devenir architecte.
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L’enseignement de l’école d’architecture de Lyon a répondu à ce titre de manière tout à fait complémentaire. De ma formation j’ai principalement retenu et apprécié l’imbrication des échelles, entre architecture et urbanisme notamment. Les regards croisés des domaines artistique ou sociologique, ont fait écho aux dimensions sémantique et culturelle évoquées plus tôt. Le domaine d’étude Stratégie et Pratique Architecturales Avancées (SPAA) en dernière année, a pour moi été la concrétisation des liens pouvant être créés entre la lecture des paysages, des cultures, et l’emploi des formes et des 8 | 72
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matériaux. Il m’a permis d’expérimenter une démarche pouvant lier l’échelle du territoire avec celle du détail architectural. Aux cours des expériences qui ont précédé la mise en situation professionnelle (MSP) support de cette HMONP, deux d’entre elles ont marqué mon parcours et ma sensibilité. Un stage tout d’abord, au sein de l’agence Playtime1 à Lyon m’a notamment permis d’aborder les aspects les plus concrets du projet en m’intégrant à des phases PRO, EXE et DET, dont les tâches sont pourtant rarement confiées à des stagiaires. J’en ai retenu la précision du dessin (à la main puis informatique) et l’implication nécessaire des entreprises dans le processus d’élaboration des détails. J’ai pu participer à ces échanges qui, grâce à l’association des ambitions de l’architecte et des savoir-faire de l’entreprise, permettent d’initier l’expérimentation. Plus qu’ailleurs et pour la première fois dans mon parcours, j’ai aperçu la nécessité pour l’architecte d’acquérir une base de connaissances techniques, des matériaux et de leur mise en œuvre, telle une bibliothèque personnelle et mentale. Puis, après l’obtention de mon diplôme, j’ai intégré un cabinet d’urbanisme, URBEO2. J’ai pu à ce moment participé à des études pour le remplacement des RNU (règlement national d’urbanisme) par des PLU dans des petites communes rurales, en Auvergne, en Ardèche et dans la Marne. Contribuer à l’élaboration de règlements impactant directement l’implantation, la volumétrie et les matériaux des bâtiments à construire, m’a fait réaliser l’importance du rôle des urbanistes et des politiques territoriales dans la production du cadre bâti et des paysages urbains et ruraux.
1. PLAYTIME N. Degremont et L. Mayout, 37 rue Pierre Dupont, 69001 Lyon. Stage de Master, 2015
2. URBEO Sylvain Pierre, 8 quai Antoine Riboud 69002 Lyon CDD, 2016 | EX NIHILO NIHIL FIT |
Cette dernière expérience a aussi révélé les limites de ces règlements d’urbanisme, qui en viennent parfois à contraindre les possibilités d’évolution des tissus, et empêcher la réinterprétation et l’expérimentation architecturale, et m’a encouragé à me tourner de nouveau vers l’échelle du bâti, de la matière et des individus. 9 | 72
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2.
Une pratique sur-mesure En quête d’architecture, et marquée par mon passage chez Playtime un an et demi auparavant, je cherchais avant tout une agence pouvant m’intégrer au sein d’un suivi global des projets, soit couvrir l’ensemble des phases, de l’esquisse à la réception du projet en passant surtout par toutes les phases relatives au chantier. Du peu d’expérience que j’avais à l’époque, je ne montrais alors pas de préférence quant aux programmes sur lesquels travailler, mais partais tout de même d’un a priori selon lequel des projets de petites taille pouvaient permettre un dessin plus précis et un suivi plus complet. C’est à travers cette vision partagée du détail et de l’accompagnement des projets jusqu’au chantier que les associés de Dank Architectes m’ont permis d’intégrer leur équipe.
3. L’agence ne dispose pas d’assistant administratif et ne fait pas appel à des économistes.
Il s’agit d’une “jeune agence”, c’est à dire à la fois récente et fondée par trois associés de moins de 35 ans, précédents camarades d’études à l’école de Grenoble. C’est une petite structure : avant mon intégration à l’équipe l’agence ne comprenait qu’une salariée, présente à leurs côtés depuis 2 ans. Les associés ont à leur charge la gestion administrative de l’agence et le suivi économique des projets3, ce qui, de mon point de vue de jeune professionnelle en devenir, a pour avantage une compréhension plus globale des enjeux relatifs à la pratique en son nom propre.
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Leurs projets s’articulent principalement autour de l’habitat individuel pour des clients particuliers, situés dans toute la région Auvergne Rhône Alpes mais plus particulièrement dans le centre lyonnais et sa couronne périurbaine, et les grandes aires urbaines de Savoie et Haute-Savoie. Il s’agit majoritairement de constructions , de rénovations et d’extensions de maisons individuelles, et de rénovations d’appartements. Quelques logements collectifs et bâtiments tertiaires sont aussi à leur actif, dans une proportion minime, type de programme qu’ils souhaiteraient il me semble développer davantage. 10 | 72
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Au moment de mon recrutement, l’agence faisant face à l’augmentation de leurs commandes, les trois associés souhaitaient engager et former une seconde salariée voulant s’impliquer sur l’ensemble des phases du projet, celle déjà présente ne souhaitant pas particulièrement être intégrée aux chantiers. C’est avec un grand enthousiasme que j’ai donc saisi cette opportunité d’expérience, à la mesure de ma curiosité quant aux aspects à la fois technique, économique et opérationnel des projets. Dès le départ, eux comme moi souhaitions m’impliquer de manière totale dans les projets, à travers toutes les phases, et auprès de tous les acteurs, pour mener à moyen terme à une autonomie. J’ai donc au cours de ces deux dernières années participé au dessin des projets en dialogue avec les attentes des clients, puis à l’affinement des détails et aux échanges avec les artisans, jusqu’à la coordination et le suivi de chantier. J’en retiens l’attention portée pour chacune des échelles, notamment lorsque qu’il s’agit d’explorer les solutions techniques permettant d’exprimer les intentions archietcturales du projet. Concevoir auprès d’une clientèle de particuliers, à la fois maîtrise d’ouvrage et usagers directs de l’architecture proposée, m’a également fait prendre conscience de la pédagogie nécessaire afin de permettre l’articulation des sensibilités individuelles avec les enjeux architecturaux soulevés par chaque projet.
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3.
Sortir du lot
La personnalisation est une forte demande de la clientèle particulière qui démarche Dank Architectes. A leurs yeux, il s’agit de la majeure plus-value apportée par la collaboration d’un architecte : un projet sur mesure, correspondant à leurs goûts et leurs habitudes. Lors des premiers entretiens, les expressions « maison originale » ou « pas comme tout le monde » sont récurrentes. Si, d’un point de vue architectural, répondre au cas par cas aux attentes des clients et aux particularités des sites sonne comme une évidence, plusieurs constats spécifiques à la production de l’habitat individuel auprès d’une clientèle privée semblent rentrer en contradiction avec une approche singulière et localisée des projets.
4. Archigraphie 2018, Observation de la profession d’architecte, Ordre des architectes 5. SDES, DREAL Auvergne-RhôneAlpes, Enquête EPTB (évolution des prix des terrains à bâtir) 2016
Dans un premier temps, il semble de plus en plus difficile aujourd’hui de déceler les singularités des attentes d’une clientèle dont les profils personnels, l’âge, le statut familial, et socio-professionnel, tendent à s’uniformiser. Les études faites sur ce sujet montrent que, parmi les 5 % des foyers ayant choisi de faire appel à un architecte pour la construction de leur maison (contre 60 % auprès des constructeurs4), la majorité d’entre eux sont âgés de 30 à 49 ans, en couple, avec ou dans l’intention d’avoir des enfants, et sont issus des catégories socio-professionnelles supérieures5. La sur-représentation des jeunes familles et des professions libérales dans la clientèle de Dank Architectes atteste de ces statistiques et révèle une certaine homogénéité des profils, et donc des aspirations.
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De plus, la surabondance des images relatives au cadre de l’habitat, diffusées via les revues et les émissions spécialisées comme par les réseaux sociaux (Pinterest, Instagram), tributaires des effets de mode, alimente un imaginaire partagé, basé sur l’esthétique et la mise en scène de l’architecture. Reléguées au rend de « suggestion de présentation », ces images conduisent à la dématérialisation 12 | 72
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de l’objet architectural au profit de l’image. L’utilisation de l’imagerie 3D dans la communication des projets appuie cette tendance pour la virtualisation de l’espace, qui trouve une existence en dehors des lieux. En parallèle de ces représentions partagées, les processus et les outils de conception propres au milieu de la construction tendent à s’homogénéiser dans un objectif de rentabilisation du temps dédié à la conception et à la mise en œuvre des projets. Dans la mesure où ce type de rationalisation s’appuie sur la standardisation des éléments issus des modes de production industrialisés, cela pourrait avoir pour conséquence l’uniformisation des réponses architecturales, quelque soit le type de programme concerné. Dans cette logique de produire beaucoup et rapidement, la question de la qualité environnementale, pourtant cruciale à l’heure d’une crise écologique avérée, est quant à elle minimisée voir totalement contredite. Du point de vue culturel comme intra-professionnel, le constat est une tendance à l’association de l’habitat à un produit générique commercialisable, dont la formalisation devient indépendante de l’identité des lieux comme des habitants. Au sein de ce contexte visant à l’uniformisation et la délocalisation de l’architecture, il s’agira d’interroger les conditions d’une production architecturale innovante et singulière, non pas dans un soucis d’originalité mais d’expression des spécificités d’une situation donnée.
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En quoi une approche « sur-mesure » des projets pourrait-elle être l’outil d’une relation plus immédiate entre l’architecture et la réalité matérielle des lieux dans lesquels elle s’insère ? L’analyse du processus de conception et de réalisation à travers les différentes phases du projet, de la rencontre du client à la mise en œuvre du chantier, permettra de dégager les contraintes qui aujourd’hui pourraient mener à une production architecturale homogénéisée. 13 | 72
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En s’appuyant sur les situations rencontrées au cours de cette MSP et sur les pratiques alternatives émergentes, cet exposé vise à débattre des raisons et des conditions pouvant mener à l’affirmation d’une posture ancrée dans les ressources culturelles, géographiques, et architecturales locales.
6. Younes, Chris, et Bonzani Stéphane, « Représenter, imaginer, projeter ». Le Portique, n° 25, L’architecture des milieux (2012).
Les recherches récentes menées notamment par la philosophe Chris Younes, et soutenues par de nombreux architectes et urbanistes, autour de la notion de Milieu, me servira entre autre de support théorique afin d’alimenter ce postulat visant « l’abandon de modèles et la revalorisation de l’art de s’adapter aux situations locales en prenant en compte les mutations liées à la globalisation »6.
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Si l’exposé qui suit s’appuie principalement sur l’exemple de l’habitat individuel rencontré au cours de cette MSP, il a pour but de porter une réflexion plus globale sur la pratique de l’architecture face à l’homogénéisation des modèles et des procédés de fabrication.
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Le spectacle règne, la représentation des choses tend à supplanter les choses elles-mêmes qui, de fait, deviennent chaque jour plus virtuelles, non parce qu’elles ont cessé d’exister physiquement, mais parce que leur présence matérielle n’est plus leur principale manière d’exister.” Eric Lapierre1
1.
Représentations
Raisons et causes de la déterritorialisation de l’habitat individuel
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1. Citation page précédente : Eric Lapierre, «Tradition et spontanéité», pour la Maison de l’architecture de Picardie, 2006
DETERRITORIALISATION “Le territoire, comme substrat de la localisation des activités humaines, peut sembler dépassé : investissements, activités productives paraissent de plus en plus s’affranchir de certaines logiques territoriales de nature «physique» (distances euclidiennes, ressources).” Définition donnée par le portail GéoConfluences de l’ENS Lyon
Pour résumer cette idée et convenir du sens qui lui est attribué tout au long de ce récit, la déterritorialisation évoque la décontextualisation des activités humaines (économiques, politiques…) vis-à-vis d’un espace physique localisé. Ce phénomène de dissociation entre l’homme et l’espace serait la conséquence de la dématérialisation des frontières physiques induite par la globalisation des échanges (communications, transports, marchés…).
| REPRÉSENTATIONS |
Appliquer à l’architecture, ce terme permet d’illustrer la décontextualisation du projet architectural vis-à-vis de son environnement (le lieu, sa géographie, ses ressources), dont la partie suivante permettra de replacer au sein d’un contexte de globalisation et d’industrialisation de la production de l’habitat individuel et des images qui s’y rapportent.
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La caricature des styles : uniformisation et décontextualisation des modèles
/ Industrialisation, modernité et tradition A la fin de la seconde guerre mondiale en France, le gouvernement provisoire du général De Gaulle met en place le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU). Deux axes de recherches sont privilégiés : l’expérimentation de l’habitat collectif et la normalisation de la maison individuelle, tout deux ayant pour but de reloger rapidement et à moindre coûts des milliers de français. Pour cela, et grâce à la modernisation de l’industrie du bâtiment, l’emploi de procédés constructifs et de matériaux standardisés est encouragé.
Chantier expérimental la Cité du Merlan à Noisy le Sec à l’initiative du MRU. Source : Grand Paris Métropole
Dans les années qui suivent, des sociétés de construction se spécialisent dans la production de maisons individuelles à bas prix sur catalogue, une économie rentable grâce à la rapidité de mise en œuvre des matériaux et à la quantité significative de production. | REPRÉSENTATIONS |
A l’exception de l’habitat agricole, la maison a longtemps été associée à une forme de privilège réservé aux catégories aisées, permettant de s’extraire des villes et jouir d’un rapport plus direct avec la nature incarné par le jardin. Grâce au coût de commercialisation restreint, la maison individuelle est rendue accessible à tous. 19 | 72
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Dès le début des années 20’s pourtant, les architectes du courant moderne avaient déjà cherché à s’approprier l’industrialisation des matériaux de construction, en revendiquant la nécessité de réinventer l’expression architecturale qui en découle. La standardisation de l’habitat, afin de le rendre plus fonctionnel et moins coûteux, faisait alors partie des sujets de leurs expérimentations. La formalisation développée tentait à s’extraire des codes traditionnels afin d’importer une certaine vérité constructive au travers de l’expression des matériaux et des systèmes constructifs. L’opinion publique jugea à l’époque quant à elle cette esthétique froide et inadaptée à la notion de confort induite par l’habitat. De ce constat, et malgré des procédés de fabrication et des matériaux issus d’une production industrialisée généralisée, les constructeurs de maisons individuelles comprennent que le succès du produit repose sur l’évocation des techniques dites « traditionnelles ». Les blocs de béton couverts par l’enduit se substituent à la pierre et les maisons dites «de maçons» l’emportent sur des tentatives d’emploi du bois et des structures métalliques, jugés trop fragiles face au caractère immuable de la maison. Tapie, Guy. Maison individuelle, architecture, urbanité. Editions De l’Aube, 2005
« Des maisons préfabriquées, certes, mais à condition que la note industrielle ne soit pas trop visible, que la silhouette s’en émancipe et maintienne à l’extérieur des signes qui la rapproche de la maisonnette traditionnelle. » Guy Tapie
| REPRÉSENTATIONS |
Les constructeurs appuient alors leurs réponses formelles sur l’opposition radicale et littérale des codes modernistes développés en grande partie par le Corbusier : le toit à deux pans se systématise face au toit plat, les fenêtres carrées ou verticales répondent aux bandeaux, les murs porteurs sont emballés dans des couches de finitions extérieures comme intérieures pour contrer l’expression structurelle, et la rigidité des plans, induite par la nature des matériaux utilisés, contredit la flexibilité des cloisonnements proposée par le plan libre. 20 | 72
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Les cinqs points, Le Corbusier, 1910-1929 Dans l’ordre, l’affirmation d’une structure légère, un cloisonnement libéré, les fenêtres bandeaux, et les toits terrasses - en face, les constats opposés de l’architecture «traditionnelle»
Cette tendance émergente du camouflage systématique des matériaux de construction industriels, traduit la valeur plus importante accordée à l’image perçue de la maison plutôt qu’à la nature des éléments qui la composent. | REPRÉSENTATIONS |
L’apparition des procédés de préfabrication de la maison individuelle permet également d’illustrer la dissociation du lieu d’extraction, de transformation et de conditionnement des matières premières, de celui de leur mise en oeuvre. 21 | 72
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// Lieu et matière Les représentations de la maison individuelle les plus anciennes s’appuient sur les modèles historiques de l’habitat traditionnel. Qu’il s’agisse de l’habitat agricole ou des maisons de maîtres, la formalisation de ces programmes s’est construite à travers l’expression des matériaux disponibles et des procédés constructifs des époques qui leur sont associées. Afin d’accentuer l’écho traditionnel des modèles et de contredire les éventuelles critiques d’une uniformisation des langages, certains constructeurs introduisent des références à l’architecture locale, s’appuyant davantage sur une esthétique symbolique qu’une réalité constructive.
Tapie, Guy. Maison individuelle, architecture, urbanité. Editions De l’Aube, 2005
“Alors qu’une frange des architectes modernes (Sauvage, Lods, Prouvé, Le Corbusier) tente de représenter l’esthétique de la maison en conformité avec un mode de production industriel, les concepteurs et constructeurs engagés dans la mouvance régionaliste vont tenter d’occulter la dimension de la grande série, en la noyant sous des signes traditionnels surajoutés. » Guy Tapie
| REPRÉSENTATIONS |
C’est lorsque est atteint ce point de rupture entre esthétique et procédé de fabrication, que le cliché l’emporte sur la vérité, que la notion de contextualisation doit nécessairement être interrogée :
Aimé Michel, article paru dans La Maison Française, numéro spécial, 1954.
“Originellement conçu pour un climat, un mode de vie, un ensemble de fonctions données, les éléments de l’architecture locale ont été transportés n’importe où puis ont rapidement dégénéré [...]. Prévus pour un type de construction massif [...], ils se sont adaptés à de nouvelles gammes de matériaux plus pratique et moins coûteux et à une mise en oeuvre plus rapide tout en cherchant à évoquer le caractère local par des procédés relevant de la mise en scène théâtrale : [...] l’utilisation à des fins purement décoratives d’une plastique autrefois fonctionnelles, les matériaux inadéquats ou traités en décors.” Michel Aimé L’architecture vernaculaire doit elle pour autant complètement s’extraire d’une production architecturale se voulant contemporaine ?
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Au travers des réponses formelles et constructives apportées aux conditions climatiques locales et l’emploi des matériaux extraits localement, l’architecture vernaculaire déploit une culture du « disponible », exploitant les spécificités géographiques, culturelles, et matérielles des lieux, pouvant servir d’exemple quant aux liens possibles entre contexte et architecture.
Enjeux et postures actuels
2.
/ Tendances et représentations Nous ne pouvons pas évoquer la maison sans sa portée anthropologique. La forme, les matériaux et la taille de l’habitat sont quoiqu’il arrive rattachés aux capacités matérielles et financières des foyers, démontrant d’une appartenance sociale. La généralisation du modèle pavillonnaire à travers la seconde moitié du Xxème siècle a conduit à l’association symbolique des langages régionalistes et traditionnels à l’architecture populaire.
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De manière plus affirmée au cours du XXIème siècle, l’emploi d’un langage architectural « contemporain » se popularise à son tour, dans une volonté d’extraction des styles surannés proposés par les maisons sur catalogues. S’appuyant sur la réinterprétation des codes initiés par la modernité, cette esthétique se définit par l’emploi de volumes géométriques épurés, creusés ou étirés, de grandes ouvertures, et l’expression affirmée des matériaux comme le béton, l’acier, ou le bois. Ces critères constituent une part majoritaire des demandes faites aux architectes intervenant sur l’habitat individuel, constat confirmé par les échanges auprès des clients rencontrés au sein de la MSP chez Dank Architectes. 23 | 72
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I3 / Projet MURB Dank Architectes 2015
Face à ce renversement des tendances, les constructeurs se sont à leur tour réapproprier cette notion de modernité via l’évocation de ces dispositifs architecturaux afin de rompre avec la connotation populaire qui leur est associée et de toucher une clientèle plus large et certainement plus jeune.
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Extrait du catalogue de modèles proposé par PopUp House, constructeurs de maisons préfabriquées passives depuis 2012, Source : www.popup-house. com/ 24 | 72
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La notion de mode relègue l’architecture au statut de produit dont les signes esthétiques, au même titre que la « marque » d’un vêtement, témoignent d’un statut social. Il faut aujourd’hui s’interroger sur les conséquences de l’influence des « tendances » éphémères sur la production de l’architecture qui s’inscrit pourtant dans une pérennité de l’objet. L’importance donnée à ces langages, ou styles, qu’ils soient traditionnels ou modernes, a conduit à l’emploi de formes stéréotypées dont il semble difficile de justifier la pertinence des références architecturales du point de vue culturel, géographique, ni même fonctionnel. Leur détournement, que ce soit vis-à-vis d’un pays ou d’une culture d’origine, ou d’un mouvement initié par la profession, a également été encouragé par la profusion d’images diffusées au travers des médias.
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Extrait des résultats de recherche «Maison contemporaine» sur Pinterest - Novembre 2018 www.pinterest.fr 25 | 72
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Grâce à la photographie et internet, des clichés en provenance de différents lieux et différentes époques ont pu devenir accessibles à tous, et d’une certaine manière être exportés à travers le monde, comme l’ont pu être certaines espèces d’aliments ou d’animaux découvertes avec le Nouveau Monde. D’autre part, du fait de la surabondance de ces représentations, l’importance de l’image en vient à supplanter l’expérience du lieu en soi. Dans cette dominance pour ce qui est vu, le rôle de la matière est minimisé face à l’aspect qu’il renvoie. La commercialisation grandissante de matériaux de synthèse, imitant parfois des matériaux naturels, démontre notamment de la victoire remportée de l’image sur l’essence des choses. Au sein de la profession, l’image, indispensable à la communication du projet, en vient même parfois plus importante que le projet en soi. La modélisation 3D dans les concours en est l’exemple : le jury s’intéresse t-il vraiment au fonctionnement du plan après que lui ait été présenté une image sensée synthétiser les intentions du projet ? Les photographies qui seront prises, puis retouchées d’un projet terminé n’auront elles pas plus de valeur que le résultat réel puisque ce seront elles qui seront diffusées?
// Matérialité révélée
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Face à l’émergence de ces deux phénomènes que sont la décontextualisation et la dématérialisation de l’architecture, les jeunes générations d’architectes font preuve d’initiatives afin de réaffirmer le lien entre la matière, de sa transformation à sa mise en oeuvre, et les lieux dans lesquels s’insèrent les projets. Deux postures se dégagent notamment au sein de la production architecturale des maisons individuelles. La première consiste à l’emploi d’une esthétique fonctionnaliste et industrielle, visant à affirmer la vérité des matériaux et le soin du détail plutôt qu’à les masquer derrière des assemblages grossiers. Le rapport au lieu est 26 | 72
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étudié non pas de manière formelle ou esthétique, mais par l’implantation du projet dans le site.
SPRAY Architecture et Gabrielle VellaBoucaud, Maison individuelle à SaintBresson (55), 2014
La seconde propose une inscription plus marquée dans les territoires, à travers la ré-interprétation des techniques et des matériaux propres à l’architecture vernaculaire, pour la relation directe qu’elle propose avec son environnement. Le circuit court des matières et les savoir-faire des artisans locaux y sont privilégiés.
Simon Teyssou & associés, Maison individuelle à Lacapelle del Fraisse (15) , 2011 | REPRÉSENTATIONS |
La reconnaissance et la pertinence de ce type de postures est appuyée par leur représentation notable au sein des Albums des Jeunes Architectes & Paysagistes (AJAP) ces dernières années, comme par exemple le Collectif GENS en 2012, Studio Lada et B. Bouchet en 2014 (cf. partie 3.). 27 | 72
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Les postures présentées servent ici de point de départ à une réflexion, appuyée par les études de cas concrètes rencontrées au cours de cette mise en situation professionnelle chez Dank Architectes, sur les relations possibles entre architecture, matérialité et contextualisation. Comment sensibiliser une clientèle de particuliers, dont la culture et les références sont conditionnées à la fois par des caricatures banalisantes de l’architecture et une symbolique sociale très ancrée, aux richesse disponibles des lieux et des matières? Quelle place peut-être donnée à la matière au sein du processus de conception?
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Telles sont les interrogations qui motivent cet angle d’approche vis-à-vis d’une pratique envisagée, dont les conditions seront débattues au cours de ce mémoire.
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Le milieu, c’est l’équilibre, une manière de se situer entre les choses, de ne pas croire aux “débuts” ex nihilo, mais à des transformations plus patientes; avoir conscience des interdépendances, se méfier des certitudes des manuels et des normes.” F. Bonnet
2.
Dess(e)in
Les conditions de l’Êmancipation du processus de conception du projet architectural
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1. Citation page précédente : Frederic Bonnet, « Matérialité et esprit des lieux », Extension du domaine de l’urbanisme, 2014
Les représentations culturelles rattachées à la maison individuelle qui viennent d’être décrites démontrent que l’image et l’esthétique tendent à supplanter la réalité physique et sensorielle de l’architecture. En parallèle, la normalisation induite au travers des procédés de construction de plus en plus industrialisés et réglementés encourage l’uniformisation de la production architecturale, quelque soit le type de programme concerné. D’un point de vue d’architecte, il me semble nécessaire d’interroger le poids de ces représentations sur le processus de conception, et d’en explorer les stratégies alternatives.
1.
Au delà de l’intuition, la construction du récit
/ Comparer et viser juste
| DESS(E)IN |
Le terme projet s’inscrit de fait dans une temporalité future : il exprime ce qui n’est pas mais qui tend à devenir. Le projet est donc en premier lieu une idée, ou un ensemble d’idées, dont la représentation mentale est possible grâce à la capacité humaine de se projeter, d’imaginer. Les clients comme l’architecte se fabriquent le récit imaginaire de l’expérience de l’espace : un ensemble de séquences architecturales, dont les relations entre elles génèrent l’identité et l’âme du projet. Chaque situation de projet dispose d’un potentiel de récits dont l’architecte a pour rôle de révéler et d’illustrer dans l’ensemble de ses dimensions (spatiale, sensorielle, poétique...). 32 | 72
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Ce récit est fondé par la sensibilité individuelle des habitants en devenir (leur histoire), mais aussi par toutes les formes de représentations liées à l’habiter (cf partie précédente). Lors des premiers rendez-vous, l’enjeu majeur est de comprendre le lieu du projet et les attentes des clients, pour ensuite proposer des réponses architecturales permettant d’articuler les deux. Au sein de l’agence Dank Architectes, cela passe par des entretiens poussés et la visite systématique des lieux. Lors des échanges avec les clients, il s’agit de comprendre leurs habitudes de vie, les différents usages et les ambiances qu’ils associent, consciemment ou non, à chaque pièce et au jardin, et la manière dont ils imaginent ces relations dans le projet. Cela permet à l’architecte d’entrevoir le récit que les clients ont déjà débuté au travers du lieu. En prenant soin de ne pas la tenir pour contrainte établie, cette histoire sert de point de départ au projet. En amont de l’esquisse, l’approche proposée par l’agence est d’intégrer une phase d’expérimentation nommée Scénarios. Elle consiste en l’exploration de trois récits possibles, générés par la rencontre des spécificités du site avec les besoins et les envies du client. Les trois projets sont illustrés par des plans et des images 3D. Des maquettes numériques “blanches” épurées, contrastées parfois par l’évocation schématique de certains matériaux, doivent permettre de concentrer le propos sur la composition spatiale, la volumétrie du projet et son rapport au site plutôt qu’à sa finalité esthétique. Pour encourager le débat, chacun des scénarios doit proposer des volumétries et des dispositifs spatiaux radicalement différents pour permettre la comparaison et éviter le consensus mou (il ne s’agit pas de simples variantes concernant la position d’une porte ou la taille d’une fenêtre).
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Cette démarche a plusieurs intérêts qui profitent à la qualité et au bien-fondé du projet. En premier lieu, cela permet de démontrer aux clients qu’il n’existe pas une seule réponse formelle, un seul récit, à leur demande. D’autre part, en travaillant l’une des propositions au plus proche du tableau 33 | 72
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qu’ils ont décrit, cela permet de leur signifier l’importance accordée à leurs envies, tout en illustrant les possibles contradictions de l’image qu’ils ont façonnée avec la réalité physique du lieu. Ce type de réponse par la démonstration permet selon moi de générer un échange réel entre les idées des clients et le savoir technique et spatial apporté par l’architecte. Plutôt que d’imposer une vision figée du projet, la comparaison des scénarios amènent le client à remettre en question ses présupposés sur la maison, ses dimensions et ses usages. Au travers du choix qui lui est offert, le client devient acteur du processus de conception. Ensemble, l’architecte et le futur usager conviennent d’une histoire exprimée au travers des partis pris du projet. C’est ce récit qui permettra de justifier l’ensemble des arbitrages qui seront faits tout au long du processus de conception/réalisation. S’il arrive que le projet retenu se rapproche de la première intuition des clients, ce n’est jamais sans l’apport des questionnements posés par les deux autres scénarios.
1.
2.
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Projet MBO, Dank Architectes, Maison individuelle en Isère, Vues axonométriques des trois propositions en phase Scénarios
3.
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Cette complémentarité des idées n’est possible qu’à travers la démonstration des possibilités qu’offrent les sites et les programmes. Si l’intuition du client se construit au travers de son vécu personnel et d’un imaginaire culturel, celle de l’architecte est issue d’un savoir technique et savant acquis à la fois par sa formation et son expérience, celle-ci n’excluant pas une part de subjectivité. A mon sens, cette phase d’exploration permet d’argumenter les raisons de cette intuition tout en ouvrant la voie à d’autres récits. Ainsi le projet peut d’une certaine manière se libérer des représentations qui lui sont attachés. Cette analyse doit cependant être nuancée quant aux conséquences possibles de cette approche pouvant être jugée démagogique. La radicalité étant perçue pour nombre de professionnels comme un gage de qualité, ce type d’approche pourrait largement soulever les critiques d’une architecture appauvrie, diluée au travers d’intentions juxtaposées. De plus, le nombre important d’illustrations nécessaires à communiquer les scénarios laisse court auprès du client à l’interprétation d’une facilité de production et d’altération du projet. L’acte de dessiner, de produire des plans et des images, pourrait donc être minimisé, laissant à penser que le projet pourrait être modifié à tout moment.
// Les limites d’une schématisation
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A ce stade, deux raisons justifient la schématisation des illustrations relatives au projet : cibler l’attention sur les dimensions spatiale et fonctionnelle du projet, et consacrer un temps raisonnable (rentable?) au développement des trois récits pour une phase se voulant “préliminaire”. Pour permettre la comparaison, les trois projets doivent être représentés selon un niveau de détail similaire, inférieur à celui d’une esquisse (ciblée sur un seul projet et auquel on attribue un choix plus affirmer de matériaux). Cela permet une certaine “progression” dans le projet, qui s’affine au fur et à mesure des échanges avec le client. Il nous arrive 35 | 72
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régulièrement de penser à des détails de mise en oeuvre d’un matériau au cour de cette phase : des croquis de bardage, d’encastrement des menuiseries ou d’acrotère surgissent dès les premiers plans. Cependant, ce saut d’échelle est difficile à saisir par les clients, et en cela, le zoom progressif des étapes de conception (scénarios, esquisse, APD…) leur permet de s’approprier pas à pas le projet, au fil des partis pris validés. Cependant, cette simplification pourrait selon moi parfois desservir le propos architectural. Dans l’exemple du projet MBO, pour une maison neuve dans une petite commune de l’Isère, l’une des trois propositions faites en phase scénario présentait une simplicité de volume (plan rectangulaire et toiture à deux pans) dans un soucis de compacité et de cohérence avec les typologies environnantes (Cf. image 2. p.34). Le récit architectural de cette proposition s’appuyait davantage sur la juste implantation du bâtiment, la configuration singulière des espaces intérieurs, et les détails de mise en oeuvre (choix des matériaux, traitement des façades et de la toiture) plutôt que sur la volumétrie du projet. Si le plan à bel et bien pu démontrer les qualités spatiales de cette proposition auprès des clients, la schématisation du modèle 3D a quant à elle conduit leur imaginaire à l’association d’une volumétrie optimisée au langage standardisé des maisons catégorisées de «traditionnelles».
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2.
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Projet MBO Phase Scénarios SCN n°2, à gauche, plan du niveau courant, et à droite, image 3D
En plus d’illustrer l’ancrage des représentations évoqué précédemment, cet exemple est révélateur des limites d’une illustration simplificatrice de l’architecture. Au cours de cette phase, les matériaux et les systèmes constructifs ne sont volontairement pas ou très peu évoqués, afin de cibler le questionnement sur l’organisation du projet, sa volumétrie et son rapport au site. Bien que la question constructive fasse partie des questionnements qui mènent à l’élaboration des projets, celle-ci n’est quasi jamais utilisée comme argument déterminant de l’identité d’un scénario, cela afin de ne pas « enfermer » les propositions dans une matérialité dont il est difficile d’anticiper l’appréciation par le client. De mon point de vue, en évoquant les solutions constructives auprès du client dans un second temps, la matière est présentée comme solution et non comme moyen : la solution suggère une réflexion en deux temps ; la question spatiale puis la réponse constructive ; le moyen propose d’articuler les deux ; le dispositif constructif au service de la spatialité.
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Je m’interroge sur les conséquences de cette absence de propos au sujet de la matière aux cours des phases où le client est supposé s’approprier les intentions architecturales du projet qu’on lui suggère : est-ce que cela n’encourage t-il pas la tendance actuelle de dissociation de l’architecture de sa réalité physique?
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Bien que je comprenne l’intérêt pédagogique du zoom progressif d’une expression formelle schématique au détail constructif, évoquer la trame ou les épaisseurs induites par le choix d’un matériau pourrait contribuer à la singularité des propositions architecturales émises à ce stade, et de sensibiliser le client à l’impact de la matière sur l’espace.
2.
Le détail, outil d’une réappropriation technique
Une démarche sur mesure induit qu’à chaque projet correspond un récit singulier, et suggère la réinvention permanente des possibilités d’assemblages entre les différents composants de l’architecture. Il s’agira d’interroger la place laissée à l’appropriation de cette dimension technique par les architectes dans un contexte de normalisation grandissante des procédés de fabrication, de mise en œuvre et de représentation de l’architecture.
/ Tout e(s)t parties du tout
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La profession d’architecte est souvent définie par sa capacité de synthèse des différentes dimensions du projet : celles des échelles et celles des disciplines. L’architecte passe en effet d’une représentation aboutie d’un objet dans son environnement au détail d’exécution isolé. Cette capacité de raisonnement à la fois global et particulier est rendue d’autant plus nécessaire face à la segmentation opérationnelle de la construction induite par la classification des domaines et des corps de métier. Le processus de conception est marqué par une série d’allerretours entre globalité et fragmentation qui concernent à la fois le mode de penser et celui de représenter. 38 | 72
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La phase PRO (Etudes de Projet) est la temporalité du tout et des parties du tout : l’architecte doit aborder chaque détail de manière à la fois globale et indépendante. La conception des détails répond au besoin d’articulation des disciplines entre elles : la synthèse évoquée plus haut se matérialise grâce au dessin. A chaque discipline sont associées des consignes « types » de mises en œuvre des différents matériaux et produits, illustrées par des détails qui regroupent les conditions minimums pour en assurer la qualité. Sans l’intervention d’un architecte, les entreprises n’ont pas prétexte à les remettre en question, d’autant plus que leur respect à la lettre leur garantit d’être couvertes par l’assurance décennale. De quelle marge d’interprétation dispose dans ce cas l‘architecte afin de s’émanciper de ces modèles?
Couvertine filante avec déport aligné à la maçonnerie 12
Poutre bois section 12x35cm pour continuité de la remontée d'étanchéité et de la couvertine
Niv. Sup. dalle haute NGF 249.21
Projet RGV, Dank Architectes, extension d’une maison à Caluire et Cuire, Phase PRO, détail de couvertine et d’encastrement des menuiseries
2 couches d'isolant croisées ép. 8cm
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25
Bande stérile Niv. Arase acrotère NGF 249.67
Isolant minéral (lot ME)
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Châssis CF1 de 7 cm d'épaisseur (cadre dormant périphérique encastré, accès à la parclose par l'extérieur)
M5 50
Façade Nord Isolation intérieur 12cm CF1, Châssis fixe
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Le sur-mesure n’implique pas le rejet systématique d’une certaine forme de standardisation qui est de toute manière induite par la normalisation des produits commercialisés, mais plutôt la réinterprétation des interfaces de rencontre entre les différents éléments d’une construction. Sur le chantier, réinventer ces détails implique une coordination beaucoup plus complexe et précise. En suivant des détails types, les rôles et les interventions des entreprises sont clairement définies et les chevauchements dans le temps et l’espace de leurs interventions plutôt limités. Pour mener à l’effacement de la technique et ne laisser paraître que l’expression de l’intention architecturale, la succession logique des corps de métiers doit être remise en question au profit d’un dialogue plus transversal entre les corps de métier. Sortir des détails types impose des échanges et une confiance entre l’architecte et les entreprises concernées. Il faut à la fois justifier d’un certain savoir, et donc d’une crédibilité, auprès de l’entrepreneur ou de l’artisan, et parvenir à exprimer l’intention architecturale recherchée. En amont de l’établissement des devis par les entreprises, nous rencontrons les sociétés que nous comptons consulter afin de bénéficier de leur avis sur la faisabilité des propositions des détails de mise en œuvre. Cela permet d’impliquer les entreprises dans l’histoire à laquelle il leur est proposé de participer, et de comprendre la finalité recherchée. Cette relation interroge le type d’entreprises à même de nouer de tels échanges dont nous évoquerons les caractéristiques plus loin.
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Avant cela, j’aimerais souligner la question du temps dédié à ces phases de conception. Ce degrés de précision et de singularité implique une anticipation importante de chacun des aspects, esthétique comme technique de la construction. Dans le cas du projet d’extension RGV, chaque composition de mur est différente, adaptée à sa situation par rapport à une topographie en pente (certaines parties enterrées ont pour fonction de soutènement) et à son exposition (type de menuiseries et d’occultations).
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Nous sommes souvent confrontés à la contradiction d’une ambition professionnelle visant la qualité et l’attention (qui nécessitent du temps) avec les contraintes temporelles de plus en plus réduites fixées par les clients, bien qu’elles admettent plus de flexibilité qu’au sein des marchés de maîtrises d’ouvrage publiques ou professionnelles par exemple (promotion privée et collectivités). Nous en revenons inévitablement à l’incompatibilité des critères de qualité, rapidité et économie. L’échelle du programme de la maison individuelle ainsi qu’une maîtrise d’ouvrage privée semblent donc constituer un support d’expérimentation dont la souplesse opérationnelle permet à l’architecte de s’approprier les enjeux techniques.
// Les limites de l’hyper-modélisation Pour ce qui est des outils de conception/représentation, à l’heure où le BIM (Building Information Modeling, modélisation 3D assistée par des données) tend à s’imposer parmi les agences, j’aimerais questionner la pertinence de ce type de logiciel dans la production d’élément d’exécution aussi précis et singulier que ceux précédemment décrits. Dank Architecte produit ses documents depuis plusieurs années avec le logiciel Revit. L’intérêt de ce type de modélisation est de générer en parallèle toutes les représentations nécessaires afin d’illustrer le projet : plans, coupes, élévations… y-compris modèle 3D avec simulation des matériaux. Alors que les représentations en deux dimensions proposent une réflexion appliquée à des parties extraites de la globalité du modèle, je trouve ce type d’outil particulièrement pertinent dans leur capacité à lier ces dimensions entre elles pour en démontrer leur comptabilité. | DESS(E)IN |
Ces logiciels fonctionnent sur la base d’une bibliothèque d’objets paramétrés, dont les caractéristiques sont pour la plupart issues de produits industrialisés. Chaque modèle d’objet dispose d’une certaine marge d’adaptation, 41 | 72
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notamment dans son dimensionnement, mais modifier leurs caractéristiques engage parfois leur faisabilité réelle de production. Cela implique-t-il que la manière de penser le projet devient inévitablement tributaire des caractéristiques des produits industrialisés? Cela pouvant aller jusqu’à questionner les monopoles des lobbys marketing et de la fidélisation des marques vis-à-vis des entreprises comme source d’homogénéisation des réponses techniques à apporter aux questions architecturales. Contrairement au réalisme technique nécessaire aux phases d’exécution du projet, l’intégration d’éléments standardisés trop en amont du projet ne constitueraitil pas un frein à la création ? Aux côtés de Dank Architectes, l’ensemble des détails constructifs sont réalisés en deux dimensions, à la fois justes dans le dimensionnement et les propositions d’assemblages, et suffisamment schématique afin de permettre une marge d’interprétation des solutions. Le détail transmet de cette manière une intention qui n’est pas figée, et permet ensuite d’alimenter les échanges auprès des artisans quant au type de produits pouvant y répondre. Si il n’est bien entendu pas crédible de se passer totalement des éléments issu de la fabrication industrielle, il s’agit ici de fonder les réponses avant tout sur les connaissances et les sensibilités humaines que sur les suggestions informatisées générées par une gamme de produits et d’assemblages pré-déterminés. Il me semble que pour les premières phases, temporalité de l’expérimentation, l’emploi d’un logiciel aussi normé risquerait de contraindre les propositions par un impératif de précision technique. En revanche, cet outil est certainement le plus adapté afin de modéliser un projet abouti, dont l’on connaît l’ensemble des produits employés et la manière de les assembler.
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Dans le cas de la démarche de Dank Architectes, impliquant les entreprises dans la conception des détails, la phase PRO est rendue instable au sens productif du terme : le projet gagne en complexité et en qualité au travers des échanges qui sont possibles avec les entreprises. 42 | 72
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De plus, cette modélisation est-elle réellement adaptée dans des cas d’intervention sur l’existant? Si le bien en question est très ancien, il y a des chances pour qu’aucun des éléments de la construction ne soit issus d’un mode de fabrication industrialisé. Les fenêtres ont été faites surmesure par des artisans, le sol et les murs ont subi l’assaut du temps, rien n’est d’aplomb, et rien n’est identique. Le gain de temps apporté par ce type de modélisation, fondé sur la répétition d’éléments aux caractéristiques pré-définies, en devient complètement contredit par la nécessité de modéliser l’ensemble des éléments et des types d’assemblage. Pour terminer, cet outil semble donc peu adapté à une approche singulière et sur mesure des projets telle que défendue au sein de ce mémoire, en démontre la nécessité ressentie par certains architectes de préserver l’usage du dessin en deux dimensions dans une phase de conception technique. L’apport de solutions techniques normalisées proposé par le logiciel pourrait davantage correspondre à des projets ne pouvant pas se passer d’une part de rationalisation, autrement dit sur des programmes d’échelle plus importante comme le logement collectif ou certains équipements.
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“
Neuve ou recyclée, naturelle ou artificielle, inventée ou traditionnelle, chaque projet d’architecture consomme de la matière. Et même si la grande majorité des constructions neuves tend à se construire de manière « standardisée », les architectes ne sont pas plus condamnés au catalogue qu’ils ne le sont à imaginer que l’épiderme de structure de béton caractérisée par les bureaux d’études et les industriels. » Collectif AJAP 14
3.
MatĂŠrialisation
Pour une architecture singulière, artisanale, locale, et transversale.
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1. Citation page précédente : OBRAS - Collectif AJAP14, Nouvelles Richesses, 2016
1.
Alors que les images diffusées au travers des médias tendent à fabriquer une vision à la fois esthétisante et généralisante de l’architecture, il apparaît nécessaire pour l’architecte de saisir cette quête d’identité comme l’opportunité de replacer l’espace et le lieu au sein d’une réflexion plus matérielle et localisée.
Manière(s) de faire / Transversalité : l’apport des savoir-faire des entreprises dans le processus de conception
Bonnet, Frédéric, « Matérialité et esprit des lieux », Extension du domaine de l’urbanisme, 2014.
“ La manière de faire relie le projet à des histoires concrètes, sur un territoire qui a ses ressources propres, et lui donne un sens commun » F. Bonnet Au fil des projets et des collaborations avec les entreprises, je me suis aperçu que tous les modèles de sociétés n’étaient pas forcément réceptifs au type de collaboration que je viens d’évoquer, ou du moins, que l’organisation pouvait parfois en être plus complexe. De manière générale, les petites entreprises, voire très petites entreprises, se montrent les plus concernées dans ce travail d’échanges et de conseils à la conception.
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Il me semble en réalité que cela relève davantage du degrés d’implication de l’interlocuteur en face duquel nous nous trouvons : si celui-ci à un rapport direct avec le chantier, qu’il soit lui-même exécutant (c’est le cas d’un artisan), ou l’ayant déjà été auparavant, son intérêt est plus grand car la relation entre le dessin et la mise en œuvre du détail est pour lui plus tangible. Dans le cas des plus grosses entreprises, les rôles et hiérarchies sont clairement définis, et il peut arriver que nos interlocuteurs soit davantage des gestionnaires pour lesquels le lien entre dessin et réalité du chantier apparaît plus distant. Les entreprises disposant d’un bureau d’étude intégré sont également plutôt réceptives à cette anticipation par le dessin et force de proposition vis-à-vis des solutions techniques à apporter. 46 | 72
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Je crois également que les grandes entreprises se désintéressent de plus en plus des programmes individuels, trop petits pour être rentables. D’autant que travailler aux côtés d’architectes leur requière plus de temps car les détails d’assemblage sont souvent plus complexes, demandent plus de réunions sur place et de coordination avec les autres entreprises. Alors que les grandes sociétés reposent sur des marchés importants et une stabilité financière, les petites entreprises sont davantage tributaires d’un carnet de commande fluctuant. Pour y répondre, ils sont également plus ambitieux et désireux de se perfectionner, à la fois dans un soucis de concurrence (proposer un savoir-faire que les autres n’ont pas), et car plus familiers avec des projets de petite taille et un suivi minutieux et particulier des projets. La question de la rentabilité, souvent contradictoire avec la prise de risque et le temps à adjoindre à l’expérimentation, semble moins pesante sur leur implication. Inversement, dans certaines configurations architecturales et techniques, l’agence a déjà été confronté à la nécessité de faire appel à des entreprises de plus grande échelle qui disposent de technologies auxquelles les TPE n’ont pas accès. De manière générale, la remise en question et l’expérimentation m’apparaît plus aisée auprès des petites structures dont le nombre d’interlocuteurs est limité et où les frontières entre dessinateur et artisan/ouvrier tendent à s’effacer. Bouchet, Boris, «Pour une architecture des milieux - Boris Bouchet en Auvergne». D’Architectures, n°211, 2012.
B. Bouchet, D’A n°211 47 | 72
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“La relation [architecte et artisan] est non seulement efficace économiquement, mais elle est également passionnante sur le plan architectural car elle offre une grande liberté dans le dessin, sans catalogue de mesures imposées : nos bâtiments en bois sont dessinés comme des objets de design, avec plusieurs types de bardage, des épaisseurs, des retraits et des assemblages complexes.”
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Dans la mesure où ils font appel à des connaissances spécifiques autour d’un matériau et de ses modes d’assemblages, les domaines de la serrurerie, de la menuiserie ou de la charpente par exemple sont des disciplines très techniques dont les savoir-faire sont ceux de l’artisanat. Ces corps de métier se montrent les plus forces de proposition quant à l’adaptation des détails selon les projets. En démontre la collaboration de l’agence avec une entreprise locale de construction bois (charpente, ossature bois, isolation, couverture et zinguerie) située dans l’est lyonnais pour une extension de maison sur le plateau de la Croix-Rousse. De plus en plus de clients ont pour réticence le bois employé en façade, pour son usure rapide et non-homogène. Dû principalement à l’entretien induit par ce type de bardage, on assiste à l’attrait grandissant des clientèles particulières, rejoignant celui des promotions immobilières, pour les parements de façade en panneaux de matériaux composites comme le Viroc par exemple.
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Afin de réintégrer le matériau bois et d’apporter une réponse au problème du vieillissement en façade, la technique du bois brûlé a été proposée dès la phase d’esquisse du projet. Ce procédé, grâce à des brûlures successives en surface du bardage permet de le rendre imputrescible et d’éviter les changements d’aspect dus aux intempéries et à l’ensoleillement. Celui-ci conserve son aspect noirci aux reflets argentés. Cependant peu d’entreprises ont développé cette technique en région lyonnaise, ou tout du moins, personne à l’agence n’en connaissait. Suite aux premières propositions faites en phase PRO, l’architecte en charge du projet s’est tourné vers cette société lyonnaise avec laquelle Dank Architectes avait déjà collaboré à plusieurs reprises. Celle-ci connaissait la technique mais ne l’avait jamais expérimenté. Suite à la présentation du projet, l’entreprise nous a fourni des échantillons test de différents degrés de brûlage, avec ou sans brossage, avec ou sans application d’une huile naturelle. Une fois le procédé clairement défini avec l’entreprise, et l’aspect validé par les clients, les marchés ont pu être ajustés et signés. Ce projet sera livré fin 2018.
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Il me semble qu’une gratuité formelle est souvent attribuée aux architectes par l’opinion publique, mais aussi par les entreprises qui les « accusent » d’être déconnectés de la réalité technique et matérielle du projet. Cette posture assume une forme de modestie de l’architecte qui, en dépit des hiérarchies imposées par son statut, révèle et associe les connaissances des artisans afin de crédibiliser son propos architectural au travers du dessin.
Projet ENOU, DANK Architectes A gauche, essais réalisés par l’entreprise, à droite, résultat final
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Projet ENOU, DANK Architectes Mise en oeuvre du bois brulé en façade.
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// Le contre-exemple de l’entreprise générale Qu’en est-il des entreprises générales, modèle soutenu par la loi Elan et de plus en plus représenté sur le bassin lyonnais, qui propose une prestation multi-lots construite sur la base d’un ensemble de sous-traitances ? Pour avoir collaboré avec l’une de ces entreprises au cours de cette MSP, il semble évident que ce modèle soit davantage lié à une logique de rationalisation et d’optimisation du temps de travail que de l’adaptation et de la transversalité des compétences. La sous-traitance multiple et l’absence de spécialisation imposent un « flou » général vis-à-vis du suivi de chantier : aucune certification pour l’architecte des qualifications des ouvriers sur place, qui ne sont d’ailleurs jamais les mêmes d’une semaine à l’autre. De plus, l’architecte et le chef d’entreprise échangent au sujet du projet, et ce dernier a pour charge de coordonner les différentes entreprises, ce qui a pour conséquence la segmentation des échanges et la perte d’informations. Au cours du chantier en question, les consignes que nous donnions étaient dans la plupart des cas simplifiées sur place, et nous n’avons jamais vu un seul des plans que nous avions transmis aux mains des ouvriers...
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Si il semblerait excessif de généraliser cette expérience singulière à l’ensemble des entreprises générales, le constat peut être fait d’une organisation minimisant le rôle de l’architecte sur les chantiers et favorisant l’absence d’investissement des différents acteurs y prenant part.
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L’ensemble des coopérations et des échanges rendus possibles au travers des projets de l’agence me pousse aujourd’hui à croire davantage en une approche artisanale alliant les forces de propositions des entreprises aux intentions spatiales portées par l’architecte, comme terrain fertile à la collaboration et l’invention dans le cadre d’une conception sur-mesure des projets. Faire appel à des entreprises locales permet également plus de disponibilités de la part des artisans qui peuvent plus facilement se rendre sur les chantiers en cas d’urgence. Les distances entre lieu de fabrication et lieu de mise en œuvre sont elles aussi plus réduites. Si l’échelle des petites entreprises semble davantage compatible à cette vision transversale, l’apport technique d’entreprises plus importantes exploitant les technologies industrialisées dans un but d’adaptation à des situations architecturales singulières ne doit pas être négligé comme support d’innovation.
1. LINK Architectes Chazalon Glairoux Lafond - architectes associés, 4 rue de la Bourse, 69001 Lyon. AJAP 2018
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Même si l’échelle de l’habitat individuel semble plutôt adaptée afin d’intégrer des structures locales, et s’extraire des dynamiques d’industrialisation de la construction, certaines agences exerçant sur des programmes diversifiés parviennent encore à allier une approche architecturale singulière au travers des savoir-faire locaux, comme en est l’exemple de Link Architectes1 à Lyon. Lors d’une conférence « l’Architecture Autrement », à la Confluence Institute for Innovation and Creative Strategies in Architecture à Lyon, ces derniers nous avaient présenté leur partenariat avec une petite entreprise locale de maçonnerie qui avait accepté d’expérimenter pour la première fois le béton teinté dans la masse, dans le cadre d’un projet de cinéma à Feurs. Grâce aux échanges avec l’artisan, ils avaient également pu déterminer des solutions techniques permettant la réalisation d’un porte à faux important au dessus du parvis du bâtiment.
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La « manière de faire », à travers la relation architecte/ entreprise, semble donc primordiale dans l’affirmation du lien entre architecture et matérialité du projet.
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LINK Architectes, Chantier pour un cinéma à Feurs (42) Vue 3D du projet, et photo du prototype échelle 1 réalisé par le maçon.
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Matière(s) de faire De nos jours, la ressource la plus privilégiée par la construction est le sable, composant de base du béton, issu principalement de carrières terrestres situées à travers le monde entier, mais également extrait des fonds marins. Tout comme l’eau, les ressources en sable de la Terre ne sont pas illimitées, et l’extraction industrielle de ces ressources tend à mener à moyen termes à leur épuisement, provoquant ainsi des catastrophes naturelles sans précédent. Face à la surabondance de ces techniques d’industrialisation à la fois lourdes écologiquement et décontextualisées des milieux dans lesquels les constructions s’insèrent, plusieurs agences et groupements inter-professionnels cherchent à revaloriser l’emploi de matières à la fois saines et issues de gisements locaux, tout en ré-explorant des savoir-faire anciens et parfois oubliés. “Faire avec la réalité de chaque milieu, c’est ainsi transformer cette matière disponible - physique et immatérielle - en source de conception. La recherche d’une matérialité naturelle interroge par là même les modes opératoires du processus morphogénétique du projet architectural. Le choix et la forme de la matière ne sont plus une décision détachée des enjeux contextuels, ou prise a posteriori d’une définition conceptuelle, mais une réalité simultanée et constitutive du projet architectural.” PE Loiret et S Joly
Loiret PaulEmmanuel, Joly Serge, Les matérialités naturelles, un ancrage terrestre, Les Philotopes n° 12 «MaT(i)èr)erre(s)», décembre 2016
/ Retour aux sources
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Au fil des projets auxquels j’ai pu participé au cour de mon expérience chez Dank Architectes, j’ai pu constaté de l’absence d’exigences marquées de la part des clients quant au caractère écologique des matières mises en œuvre au cours du projet. Comme développé précédemment, la culture des images a notamment encouragé cette perte d’intérêt pour la matière, sa constitution et la manière dont elle est mise en œuvre. 53 | 72
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Sur ce filon du « paraître », les industriels développent de plus en plus de matériaux imitant l’aspect des matériaux naturels comme la pierre ou le bois, n’en proposant que l’esthétique et nullement les caractéristiques physiques. A travers ce mensonge, qui ne touche pas seulement le domaine de l’architecture, nous assistons à une forme de travestissement et d’artificialisation des objets qui nous entourent. On assiste aujourd’hui à l’émergence d’une architecture de parement, qui tend à supplanter l’architecture autrefois massive et expressive. La surabondance des normes et des réglementations appliquées à la construction a notamment favorisé la protection systématique des matériaux structurels, et encouragé cette architecture de « couches » (exemples ITE et norme RT2012, réglementation incendie...).
Loiret PaulEmmanuel, Joly Serge, Les matérialités naturelles, un ancrage terrestre, Les Philotopes n° 12 «MaT(i)èr)erre(s)», décembre 2016
« L’emploi de matières naturelles telles que la pierre, le bois, la terre, les fibres, comme ressources de construction est probablement à même de véhiculer des émotions, voire une esthétique favorisant un rapport au monde particulier. [...] Elles permettent de revenir à l’essentiel. Elles opposent des fondamentaux, l’archaïque et l’archétypal, à la mode, au consumérisme et à la superficialité. Véritable alternative aux matières artificielles mortes qui colonisent nos environnements, elles convoquent une esthétique du vivant.” PE Loiret et S Joly
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Les filières des matériaux massifs comme la pierre survivent grâce à leur emploi dans les domaines de la rénovation patrimoniale ou pour des programmes plus institutionnels que l’habitat individuel. Cependant des architectes, comme l’a démontré récemment l’exposition « Pierre » au Pavillon de l’Arsenal à Paris, tentent de réinventer les usages de ce matériau au travers des programmes de bureaux ou de logements collectifs. L’habitat individuel reste quant à lui marginal dans l’emploi de la pierre qui nécessite un conditionnement et une logistique de mise en œuvre encore lourds. Les matériaux naturels comme la terre ou la paille sont aujourd’hui soutenus par des initiatives d’architectes et de collectifs qui visent à encourager la recherche et 54 | 72
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l’expérimentation des caractéristiques physiques des matériaux, appliqués à des programmes de tout ordre et de toute échelle. En région Auvergne Rhône Alpes, des architectes issus de la jeune génération ré-exploitent notamment la technique vernaculaire du pisé de manière contemporaine en l’associant à d’autres matériaux, comme c’est le cas de Boris Bouchet (63) ou de l’Atelier Kara développé par Timur Ersen (26), qui développe la double casquette architecte/ouvrier.
La maison pour tous, Four 38080 Architectes : Onsite Architecture Photo en cours de chantier, murs en pisé et charpente en bois, réalisé par l’Atelier Kara, Timur Ersen
“Pourtant, s’inscrire dans une tradition ne consiste pas à reproduire stérilement un ensemble de formes surannées, mais bien plutôt à réinventer en permanence une culture singulière, constituée de l’ensemble des expériences menées dans le même champ par d’autres architectes, parfois depuis des siècles. S’inscrire dans une tradition n’implique pas un respect servile, mais exige au contraire de la réinventer en permanence pour la redéfinir et la maintenir vivante.” Eric Lapierre
Lapierre, Eric, “Tradition et spontanéité », pour la Maison de l’architecture de Picardie, 2006
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La référence à l’architecture vernaculaire est non pas employée de manière passéiste mais de façon à allier des matériaux issus de filières locales, comme peuvent l’être la terre, le bois ou la paille, et des savoir-faire humains plutôt que technologiques. L’impact environnemental de ce type de chantier est donc limité grâce à la réduction des étapes de transformation du matériau et aux circuits courts que 55 | 72
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cela suggère. L’exemple des agences Gens1 et Studio LADA2 en AlsaceLorraine démontrent des possibilités d’innovation quant à l’association de techniques traditionnelles et modernes.
1. GENS Réhabilitation pour une maison individuelle, Zutzendor (67), 2015 Agence basée à Nancy (54) et Paris, AJAP 2012
2. Studio LADA Maison individuelle en paille, Dompierre (88), 2012 Collectif d’architectes basé à Nancy (54)
// Sensibilisation
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Au sein de la production actuelle de maisons individuelles dominée par les constructeurs, ce sont les structures maçonnées à base de bloc de béton, ou « parpaing », qui sont largement employées. Sortir de ce qui est aujourd’hui perçu comme la norme relève de la prise de risque pour les futurs habitants qui investissent leur argent et projettent leur avenir au sein de la construction. La maison maçonnée inspire encore aujourd’hui la confiance d’une technique maîtrisée apportant la solidité de l’abri. Via une grande campagne de communication visant à promouvoir une architecture plus écologique, le bois à 56 | 72
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retrouvé un certain plébiscite auprès des clientèles les plus sensibilisées, notamment au sein des milieux ruraux. Au travers d’une rationalisation des modes de transformation, et d’un encadrement plus normé autour de sa mise en œuvre, la filière bois est parvenue à s’imposer comme la principale alternative aux constructions maçonnées. Aujourd’hui et dans le domaine de l’habitat individuel, l’emploi d’autres techniques et matériaux est de fait tributaire de l’engagement du client dans des partis pris qui dépassent les préoccupations purement esthétiques du projet. L’aspect économique d’une construction, réel investissement à l’échelle d’un foyer familial, est aujourd’hui l’une des principale préoccupation des clientèles particulières, qui tend à supplanter l’enjeu qualitatif de le construction. La dépense est quoiqu’il arrive perçue comme immédiate, et la vision de « durabilité », qu’il s’agisse de la pérennité des matériaux, ou de la consommation d’énergie plus réduite, perçue comme lointaine. Si cet argument pourrait plus facilement être défendu auprès des clientèles qui parviennent à faire appel à des architectes dont la posture se doit d’être écologiquement engagée, quels moyens restent-ils pour sensibiliser les classes les plus modestes se tournant auprès des modes de construction plus industriels?
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L’engagement et le rôle des politiques est ici indispensable. Les règlements d’urbanisme permettent aujourd’hui d’encourager la recherche d’une architecture plus intégrée et responsable, notamment au travers des limitations imposées à l’imperméabilisation des sols. Cependant, les critères portés sur l’emploi des matériaux sont encore très marqués par des enjeux d’ordre esthétiques. Le refus des matériaux laissés bruts est par exemple encore récurent au sein des PLU, confirmant la tendance grandissante, pourtant pas indispensable, de « l’emballage » des matériaux structurels. En revanche, l’accent est mis sur la limitation des parements « imitant » des matériaux naturels. L’architecture se voulant contemporaine est quant à elle reléguée au rang « d’exception » au sein de ces règlements. 57 | 72
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Pour un même programme et surface équivalente dans un lieu donné, l’architecture contemporaine devra systématiquement justifier des matériaux et des techniques « hors-normes » par un argument paysager ou environnemental, lorsqu’une construction au langage standardisé, dont l’implantation et le choix des matériaux ne sont pas toujours justifiés, sera toujours considérée plus légitime. Il serait alors peut-être temps que les politiques relatives à la production architecturale se détachent d’un conditionnement d’ordre esthétique au profit de la qualité matérielle et écologique des projets, cela afin de représenter réellement les enjeux « d’intérêt public » relatifs à l’architecture. Que ce soit au travers de ces règlements ou des subventions d’état accordées pour l’intérêt environnemental des constructions, la notion du « local » devrait être davantage soutenue. En manque de reconnaissance et d’autonomie, relégitimer et encourager l’emploi de matériaux locaux et de techniques vernaculaires pourrait permettre à des territoires de valoriser à la fois une identité culturelle et une forme d’indépendance économique vis-à-vis de la généralisation des procédés de constructions.
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Mathias Rollot , architecte et enseignant chercheur à l’Ecole d’Architecture de la ville et des territoires de Marne-laVallée, au sujet de cette posture visant à placer au coeur de le genèse du projet les matières et les savoir-faire locaux :
Rollot Mathias, «Les Territoires du vivant. Un manifeste biorégionaliste.» Editions François Bourin, 2018.
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« Et je crois que leurs réinterprétations des conditions actuelles de la construction pour générer des œuvres cohérentes – c’est à dire originales et en accord avec leur époque, le site et le programme à la fois – peuvent faire figure de référence parmi d’autres. Quant à l’avenir des espaces auxquels ils ont contribué, […] ces pratiques pourraient être le moteur d’un réinvestissement des filières constructives locales, des compétences artisanales d’une région et des héritages capables de se transmettre au sein des communautés, tout cela en promouvant une économie en circuit court apte à offrir aux territoires une autonomie qui leur manque pour l’heure.” Mathias Rollot
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4.
Implication “Le temps c’est de l’argent” Cet adage teinté d’un pragmatisme radical semble cependant aujourd’hui des plus réalistes quant aux enjeux économiques actuels soulevés par la profession d’architecte et des mutations touchant le domaine de la construction. Le temps passé sur un projet, c’est ce que vend un architecte. A mon sens, moins le temps passé est important, et plus cela engage la qualité du projet livré. Comment estimé alors le temps minimum à consacrer à un projet, à une tâche en particulier? Le fait d’attribuer une durée prédéfinie de réflexion et de production sur une question donnée n’iraitil pas à l’encontre d’une attention “sur-mesure” accordée au projet? D’un autre côté, ne pas déterminer de limite temporelle au processus de conception semble risqué du point de vue de la rentabilité d’une agence. De mon point de vue, nourrit par les échanges auprès des maîtres d’ouvrage au cours de cette MSP, il semble de plus en plus difficile de justifier de ce temps passé auprès des clients qui ne perçoivent que les résultats de la réflexion. Comme exprimé au cours de ce mémoire, l’objet fini prime sur le processus de conception, effacé par la rapidité de production et l’instantanéité des images.
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Le suivi de chantier semble la première victime de cette incompatibilité entre temps dédié et facturation. Les aléas de chantiers étant nombreux et imprévisibles, comment estimer le temps à dédier aux réunions, à la rédaction des comptes rendus, à la gestion humaine et opérationnelle lors des moments de crise, si tant est qu’un moment de calme puisse exister? On le voit aujourd’hui, le manque de reconnaissance et les heures nécessaires au suivi découragent beaucoup de professionnels à ne plus proposer la coordination des chantiers parmi leurs missions. Ce débat était notamment d’actualité au sein de 60 | 72
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l’agence Dank Architectes lors des derniers mois de cette expérience. Pourtant, le temps du chantier, pour y avoir été confrontée parfois de manière autonome, est le moment charnière qui relie la profession d’architecte à l’acte de bâtir, ne nous résumant pas à de simples intellectuels dont la pensée s’affranchit de tout rapport à la réalité physique des choses. Renoncer au suivi de chantier, en le reléguant à un maître d’oeuvre indépendant par exemple, m’apparaît comme l’abandon du récit qui cherche à être narré au travers du projet. Quelles solutions s’offrent alors à nous, jeunes professionnels en devenir, qui sommes encore attachés au lien permis par l’architecture entre pensée et matérialité? Après de nombreux échanges avec des amis eux aussi diplômés d’état, et ceux qui d’ores et déjà exercent en leur nom propre, force est de constater que la remise en question de la facturation au pourcentage des travaux semble l’une des préoccupations que nous partageons de manière générationnelle.
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Cette dernière a pour moi l’inconvénient d’instaurer une relation inévitablement méfiante du client envers l’architecte puisque son profit sera forcément proportionnel à l’ampleur et au coût du projet qu’il propose. L’architecture s’adressant à une clientèle de particuliers en est d’autant plus concernée : l’architecte défend directement les intérêts d’un client dont le budget est souvent le fruit d’un investissement sur toute une vie. A ce stade de ma réflexion, partagée il me semble par mes pairs, la facturation au temps passé apparaît comme l’une des solutions pouvant être apportée. A travers l’estimation du temps à dédier pour chaque tâche, selon l’échelle du projet et la nature des travaux, il me semble que ce type de facturation pourrait assouplir la répartition du temps attribué selon les situations et les budgets. En dissociant la nature du travail réalisé de celle du coût induit par les choix architecturaux, cela pourrait dissocier ces derniers de la notion de rentabilité, et donc de rétablir une forme d’impartialité de l’architecte, posture davantage légitime auprès du client. 61 | 72
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A travers le refus de l’uniformisation des réponses architecturales, comme des dispositifs de conception et de facturation qui leurs sont associés, l’engagement des architectes se veut aujourd’hui nécessairement réformateur. Bonnet, Frédéric, « Matérialité et esprit des lieux », Extension du domaine de l’urbanisme, 2014.
“Il n’y a pas d’autre recette qu’une attention constante, et le temps consacré [...] à la qualité du dessin, et à la réalisation. Ce temps est un engagement : parce que nous ne sommes plus rémunérés pour assurer cette tâche, nous nous y consacrons de manière militante.” Frédéric Bonnet Architecture et humilité Résumer l’architecture à des mots-clés dans une barre de recherche conduit selon moi à la catégorisation systématique des styles employés, encourageant les caricatures et les raccourcis vides de sens. Pourtant, à l’heure de l’ultra médiatisation, j’ai pour inquiétante impression que communiquer et promouvoir un travail devient tributaire de cette visibilité accordée parmi la surreprésentation des images. L’architecte tout comme l’architecture doivent à mon sens s’extraire de ces dynamiques qui en engagent l’intégrité vis à vis de son intérêt public et collectif.
Lapierre, Eric, “Tradition et spontanéité », pour la Maison de l’architecture de Picardie, 2006
“ L’architecture consiste à animer les constructions, à leur donner une âme pour inscrire dans leur matière inerte un souffle vital qui en fera des lieux habités. Cette tâche n’a rien à voir avec les questions de la nouveauté formelle ou du style.” Eric Lapierre Je crois en effet que la notion de signature, si elle se résume par des caractéristiques esthétiques et par un but en soi, est complètement inappropriée et anecdotique face aux enjeux sociaux et écologiques qui se jouent aujourd’hui.
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En revanche il n’est pas exclu que l’affirmation des choix passés par l’architecte, que ce soit en termes de processus de conception ou de réalisation, ou quant aux matériaux employés, mène à la construction d’une posture exigeante et permanente, valant pour 62 | 72
L’inscription d’un architecte dans un territoire, et l’expression des matériaux et des savoir-faire locaux peuvent aussi faire figure de fil connecteur entre les productions, comme l’expriment les réalisations de Simon Teyssou et Boris Bouchet en Auvergne par exemple. “Ce n’est donc pas en accumulant les “ tics ” stylistiques personnels, mais bien plutôt en essayant d’être le plus général possible, que l’on parvient à la véritable expression : ce ne sont pas ses manies personnelles que doit exprimer l’architecte, c’est l’architecture elle-même en tant qu’ensemble de concepts opératoires.” Eric Lapierre
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signature.
Lapierre, Eric, “Tradition et spontanéité », pour la Maison de l’architecture de Picardie, 2006
Il s’agit ici d’affirmer une forme d’humilité de la part de l’architecte, qui use de ses savoirs et de sa subjectivité non pas comme une forme d’expression personnelle décontextualisée, mais afin de révéler les récits possibles au travers d’un lieu et d’une situation donnée. Ainsi l’architecture répond à mon sens de la manière la plus cohérente à l’exigence de l’intérêt public.
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CONCLUSION Si au cours de ce mémoire l’accent a été mis sur la distanciation de l’architecture projetée vis-à-vis de la matérialité concrète de l’espace, il s’agit bien évidemment de dénoncer de fait l’éloignement de l’architecture à l’égard de ses acteurs comme de ses usagers. Du point de vue des acteurs, dont nous faisons partie, nombre de nos tâches tendent à se faire substituer par des procédés de plus en plus normés et automatisés. L’omniprésence des logiciels paramétriques tend à fournir des réponses, déduites par les industriels et les réglementations, avant même que les questions ne soient posées. Les différents acteurs de la conception, comme de la réalisation, sont classés selon des catégories étanches, assignés à des rôles définis, ce qui fragmente les étapes du projet et ne laisse que peu de place aux aller-retours entre les échelles, engageant de facto sa cohérence globale. Si cette mise en situation m’a permis d’aborder la question de l’usager de manière privilégiée via la typologie du logement individuel, je souhaiterais explorer d’autres programmes, dédiés au public notamment, tout en y appliquant la même attention portée aux relations entre l’espace, le lieu et les individus. Le postulat de réponse que j’espère avoir l’occasion de défendre au cours de la pratique professionnelle qui m’attend s’impose donc comme la valorisation des aspects humains et matériels rattachés à l’architecture.
| CONCLUSION |
Humain par le biais de tout ce que peut nous apprendre les individus que nous rencontrons. D’une part, valoriser la place de ceux qui façonnent, les artisans auprès desquels, grâce à leurs connaissances et leurs savoir-faire, nous en apprenons plus sur l’art de bâtir qu’à travers n’importe quel livre. Cette transversalité se traduirait, je crois, au sein d’une pratique dont la structure serait à “taille humaine”. D’autre part, en impliquant davantage l’usager, qu’il soit désigné ou universel, au coeur de la réflexion architecturale. En s’enrichissant de chaque rencontre, la formation à la 64 | 72
profession d’architecte s’effectue de manière constante au gré des expériences. Matériel dans tout ce qui se rapproche de la réalité de l’acte de construire, des techniques de dessin au choix éclairé des matériaux. Il ne s’agit pas de refuser ou réfuter l’image, indispensable à la communication de notre travail, mais de l’utiliser réellement comme moyen d’expression d’une idée et non pas comme finalité d’un projet. La place du chantier dans notre profession doit être je le crois défendue, et je n’imagine pas, peut-être en raison de ma jeunesse et ma naïveté, exercer cette profession sans accompagner les projets dans leur réalisation. Cette expérience au sein de l’agence Dank Architectes, et l’exercice de la HMONP, ont confirmé l’intuition que j’avais construite jusqu’ici, à savoir que le “pas de côté” espéré vis-à-vis d’une pratique tendant à se dématérialiser ne pouvait s’effectuer sans l’acquisition d’une expérience et de connaissances propres à la technicité et la matière. Enfin, repenser les conditions de la pratique architecturale nécessite à mes yeux l’implication des architectes dans la sensibilisation des populations quant aux enjeux sociaux et environnementaux actuels. Affirmer une architecture du «disponible», en révélant les richesses des lieux et des individus, fait à mon sens partie des réponses pertinentes quant à l’urgence d’une prise en compte du réel.
| CONCLUSION | 65 | 72
BIBLIOGRAPHIE Au sujet de la maison individuelle : / Fol Jac, sous la direction de, «Futur de l’habitat», éditions JeanMichelPlace, Paris, 2008 / Nussaume Yann, sous la direction de, «La maison individuelle. Vers des paysages soutenables ?», éditions de La Villette, Paris, 2012 / Nussaume Yann, sous la direction de, «La maison individuelle», éditions Le Moniteur, Paris, 2006 / Tapie Guy. «Maison individuelle, architecture», urbanité. éditions De l’Aube, 2005. Notion de milieu et pratiques associées :
| BIBLIOGRAPHIE |
/ Bonnaud Xavier, «Honorer la consistance matérielle du monde pour continuer à habiter la Terre», dans la revue Les Philotopes n°12, Décembre 2016 / Bonnet Frédéric. «Matérialité et esprit des lieux», in Extension du domaine de l’urbanisme, édition Parenthèse, Marseille, 2014. / Bouchet Boris. «Pour une architecture des milieux» / Boris Bouchet en Auvergne ». D’Architectures, n° 211 (2012). / Febvre Jacqueline, «Un objet-milieu de plus en plus numérique : la télécommande», dans la revue Les Philotopes n°9 : Objet-Milieu, Octobre 2012 / Lapierre Éric, «Experience - Tradition et spontanéité», pour la Maison de l’architecture de Picardie, 2006 http://www.ericlapierre.com / Loiret Paul-Emmanuel & Joly Serge, «Les matérialités naturelles, un ancrage terrestre», dans la revue Les Philotopes n°12 : MaT(i)erre(s), Décembre 2016 / OBRAS & COLLECTIF AJAP 14, «Nouvelles Richesses», catalogue du pavillon français - 15ème exposition internationale d’Architecture, Biennale de Venise 2016, éditions Fourre-Tout
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/ Rollot Mathias. Les Territoires du vivant. Un manifeste biorégionaliste. Editions François Bourin, 2018. / Teyssou Simon, Bouchet Boris, et Leconte Christine. «La quête de la qualité architecturale de l’habitat social est-elle manacée?» D’Architecture n°266, Octobre 2018. / Younes Chris, et Bonzani Stéphane. «Représenter, imaginer, projeter». Le Portique, n° 25 : L’architecture des milieux, 2012. Sitographie des agences citées : Dank Architecte - http://www.dankarchitectes.com/ Boris Bouchet Architectes - http://borisbouchet.com/ Atelier du Rouget, Simon Teyssou & associés http://www.atelierarchitecture.fr/ Link Architectes - https://www.link-architectes.com/ AJAP 2018 GENS - http://www.gens.archi/ LADA- http://www.studiolada.fr/ AJAP 2014 Atelier Timur Ersen - http://www.timurersen.com SPRAY Architectures - http://www.sprayarchitecture.com WAW ARchitectes - http://www.waw.archi/
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| CV |
CURRICULUM VITAE Laura Roudeix Née le 19/11/1993 à Ambert (63) 7 rue du Lac, 69003, Lyon
| CURRICULUM VITAE |
Projet «Jouer des tours» lauréat du concours Vitalit’y, Emploi de la pierre de Bourgogne et du pin du jura pour un aménagement fluviale à Dôle, Septembre 2018. En collaboration avec Luc Doin 68 | 72
Diplôme d’Etat d’Architecte ENSAL Domaine d’étude SPAA
Juin 2016
MASTER 2 ENSAL Domaine d’étude SPAA 2015-2016
2016
MASTER 1 UDEM, Université de Montréal 2014-2015
2014
DIPLÔMES
PLAYTIME, Lyon Agence d’architecture N. Degremons et L. Mayout Stage Eté 2015
URBINO, Lyon Agence d’urbanisme Pierre Piessat Stage Eté 2013
| CURRICULUM VITAE |
2012
URBEO, Lyon Agence d’urbanisme Sylvain Pierre Sep.-Déc. 2016
Jui. 2017
Bac à Lauréat STI Atrs Appliqués Lycée Ernest Hemingway Nîmes (30)
LICENCE Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon 2011-2014
DANK Architecte, Lyon Agence d’architecture Mars 2017 Déc. 2018
INITIATIVES PERSONNELLES
HMONP ENSAL 2018
| CV |
2018
Sep. 2018
Festival Polyculture (42) Participation aux chantiers de cabanes Projets de G. Oriol & Luc Doin
PARCOURS FORMATION PROFESSIONEL
Co-lauréate Concours Vitalit’y Aménagement fluvial Bois et pierre , Dôle, Jura Avec Luc Doin
2020
Juin 2011 69 | 72
REMERCIEMENTS Je tiens particulièrement à remercier, Thibaut Chanut, Gilles Dietrich et Steven Guigoz, pour leur bienveillance et la confiance qu’ils ont su m’accorder au fil des projets. Justyna et l’ensemble des membres de la Terrasse des Architectes pour leur sympathie et leur bonne humeur. Mes amis, pour leur écoute et leur attention. Ma famille, qui n’a jamais cessé de m’encourager. Et enfin, Luc Doin, solide rempart contre le doute.
revenant à la maison individuelle, la jeune génération a bouleversé des “ Enreprésentations convenues et sans doute ouvert des pistes d’investigation et des démarches nouvelles pour ce projet. Grâce à de tels déplacements, ces architectes trouvent des manières de faire des maisons qui ne sont peut-être plus des renoncements”. Guy Tapie
Laura Roudeix Mémoire d’Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre Janvier 2019 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon Mise en situation professionnelle DANK Architectes Tuteur Gilles Dietrich Encadré par Julien Joly