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Arthur de Pins continue de marquer une génération

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Le manga oublié

Le manga oublié

Arthur de Pins croise d’abord les bancs des Arts Décoratifs où il étudie l’animation avant de se tourner vers la bande dessinée. Son envie ? Raconter des histoires, mettre en scène et surtout faire vivre ses personnages. Un univers drôle et monstrueux : Zombillénium, ça vous parle ?

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Vous avez fait des études dans l'animation, qu’est-ce qui vous a orienté vers la bande dessinée ?

L’animation prend beaucoup de temps, d’argent et énormément de personnes pour travailler dessus. Il m’est arrivé pour certains de mes courts-métrages d’avoir passé tellement de temps à chercher des financements qu’une fois que le producteur a dit : « C’est bon, on peut faire le film ! » et bien je n’étais plus dedans, je n'avais plus envie de le faire. Puis j’ai fait de l’illustration et je suis arrivé à la BD. J’ai toujours eu le désir de raconter des histoires. Je me suis rendu compte que c'était bien plus spontané. Pour la BD, il faut uniquement une feuille et un crayon, et on peut démarrer ! Après, je travaille sur ordinateur mais disons que le chemin entre l’idée et la réalisation est plus simple alors que l’animation nécessite énormément de temps. Bien sûr, j’aime toujours l’animation et j'aimerais beaucoup faire un long-métrage d’animation mais j’essaye plutôt d'alterner entre les deux. Nous sommes un grand nombre à faire comme ça. Quand j’étais aux Arts Déco de Paris, j’avais une spécialité Animation. Dans ma session, il y avait Merwane Chabane (Mécanique Céleste), Pénélope Bagieu (Culottées) et finalement beaucoup ont bifurqué vers la BD, pour les raisons que je viens d’évoquer.

Quelles sont vos influences ?

Ma plus grosse influence est l’illustrateur Edmond Kiraz. C’était un illustrateur qui était connu pour Jour de France, il a aussi fait une série de dessins qui s'appelle Les Parisiennes. Il était essentiellement connu pour dessiner des femmes. Au-delà, graphiquement, il faisait un personnage sans trait, sans contour, juste avec des couleurs. C’est à mi-chemin entre dessin, peinture et illustration. Tout ça avec un style et des personnages très stylisés. D’ailleurs Kiraz a influencé Monsieur Z, qui lui aussi m'a influencé. Parce que Monsieur Z est le premier illustrateur à utiliser le dessin vectoriel pour faire de l’illustration.

Pour Zombillénium, j’ai été très influencé par les films de monstres, mais aussi par le cinéma social anglais. Je cite souvent ce film anglais : Brassed Off (Les Virtuoses). C’est l'histoire de personnes qui travaillent dans une mine, l’un des ingrédients de Zombillénium. Les influences peuvent venir aussi du cinéma. De toute façon, parmi les auteurs de BD, les influences sont assez multiples. Je crois que c’est Ludovic Debeurme qui disait : « Si vous voulez faire de la BD, il ne faut pas voir la BD comme influence, il faut lire beaucoup de livres et regarder beaucoup de films. » Finalement c’est un peu tout ce qui nous arrive.

Réaliser une première BD sensuelle, Péchés mignons, puis passer à une BD avec des monstres, quel a été votre déclic d'artiste pour Zombillénium ?

L’envie de faire une BD de monstres est venue en premier. Les monstres j’en dessinais quand j'étais ado, j’ai toujours adoré ça. C’est un univers que j’ai mis de côté pendant mes études, quand je suis arrivé aux Arts Déco. Les professeurs étaient excellents, j’ai vraiment beaucoup aimé cette école mais disons que les professeurs essayaient aussi de gommer ce côté un peu geek qu’on pouvait avoir. Pendant mes études, les professeurs avaient tendance à nous dire : « Bon, tu es gentil avec tes petits Mickey, maintenant tu vas t'intéresser à des choses un peu plus sociales, un peu plus actuelles et surtout regarder autour de toi ». C’est très bien, je les remercie pour ça, mais cet univers de monstres, je l’ai rangé dans une petite boîte en me disant que je vais plutôt faire des trucs autobiographiques ou des histoires qui parlent du quotidien. Puis, cet univers de monstres est revenu comme un boomerang il y a une dizaine d’années, lorsque le rédacteur en chef de Spirou m’a demandé de faire une couverture spéciale Halloween. D’ailleurs, sur la couverture, on y trouve tous les monstres de Zombillénium. C’est en faisant cette couverture que cet univers m’est revenu. J’ai réalisé que c’était un univers qui m’avait manqué. Par contre, entre temps, j’avais plongé le nez dans des thématiques sociales. J’ai décidé de faire un mélange des deux. Je fais une BD avec des monstres parce que j’aime ça. En revanche la question c’est : qu’est-ce que les monstres pourraient faire de leur journée ? Après tout, ils pourraient travailler. S'ils travaillent, ils ont une entreprise, des syndicats, un DRH, un patron, etc. Finalement, ils ont un peu les mêmes problèmes que nous. Voilà comment est né Zombillénium. Pour moi, c’est plus Péchés Mignons qui était une parenthèse.

D’où vous vient l’inspiration pour vos personnages de Zombillénium ?

Bon, il faut que je fasse gaffe à ce que je dis, parce qu’après il ne faut pas que je sois trop vexant. Disons que pour les monstres sympas, bon même si ce n'est pas un monstre : Gretchen est inspiré d’une copine. Francis est inspiré inconsciemment de mon père. En fait, il y a plusieurs années, mon père a eu un poste dans une petite entreprise. Il s’était fait licencié pour se faire remplacer par un manageur avec des dents longues et il est vrai qu’à l’époque je l'avais mal vécu. Je pense que j’ai inconsciemment replacé cet épisode dans Zombillénium. Je ne m’en suis pas rendu compte, ce sont mes frères qui me l’ont dit : « Olala mais c’est incroyable, Francis on dirait papa ! ». C’est une manière de raconter les personnes de mon entourage, des clins d'œil de leur quotidien, que ce soit un personnage de premier plan ou plus secondaire. Je n’arrête pas de mettre des copains dans Zombillénium, c’est une sorte de private joke.

On remarque très rapidement dans Zombillénium, que ces personnages renvoient à une notion de hiérarchie, est-ce là votre représentation de notre société ? Ou cela provient-il d’une expérience personnelle en entreprise, une expérience syndicale ?

En fait, cela ne vient pas d’une expérience professionnelle, je n’ai pratiquement jamais travaillé en entreprise. Je l’ai plutôt vécu à travers le récit d’amis. Dans mon entourage, c’était plutôt les vampires (directeurs), des gens qui faisaient de grandes écoles. D’ailleurs après nos études, j’ai vu se métamorphoser, d’une certaine manière, l’étudiant avec qui on partageait des galères. Il mettait un costume, une cravate et tout d’un coup, il se mettait à devenir un manager et parlait bizarrement des gens qui étaient en dessous de lui. Donc, c’est vrai qu’entre les catégories socioprofessionnelles et les monstres, l’idée est venue complètement naturellement. Alors, je précise que ce sont vraiment des catégories socioprofessionnelles et pas que professionnelles, car il ne s’agissait pas d’une question de place dans l’entreprise. Dans Zombillénium, il peut y avoir aussi des zombies qui ont des postes hauts-placés. Pour moi, dans la société, je vois des zombies, des vampires, des loups-garous et des démons. Parfois il y a des tensions, alors évidemment les démons sont un peu les patrons du CAC 40. Ils vivent complètement dans une autre sphère. Ils sont plutôt vers le bas, puisqu’ils sont dans les Enfers, ils possèdent les âmes des gens, ils possèdent les âmes des autres monstres. C’est encore une analogie avec tous ces patrons qui sont complètement déconnectés de la réalité. En fait, je voulais que dans Zombillénium les gens aient surtout de la sympathie pour les zombies, mais pas que. Il peut y avoir des vampires sympas comme Francis. Mon rêve, c’est que tous les monstres s’entendent bien. tu prends les fables de la Fontaine, ce ne sont pas des monstres mais des animaux, ou même, Zootopie. Moi, c’est les monstres et ça me convient bien. On me dit souvent : « Ah untel, il a les dents qui rayent le parquet, untel s’est fait vampirisé par machin ». Finalement, l’analogie existe dans la vie.

S’il y a des instituteurs ou institutrices qui nous lisent, ne soyez pas trop méchants avec vos élèves qui dessinent et qui veulent faire du dessin animé ou de la BD plus tard, parce que voilà ce que cela donne. vous allez vous retrouver dans un film et avoir un rôle de méchant.

Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler pour le clip de Skip The Use ? Une collaboration pour Zombillénium ? Est-ce une extension de votre vision ?

Le projet de film Skip The Use est né en 2011 avec mon producteur. Ça remonte quand même, c’était il y a 10 ans. L’une des premières choses que l’on s’est dit, c’est qu’il nous fallait un groupe de rock. Comme c’est un film avec des monstres, on ne pouvait pas faire une soundtrack avec de la harpe. Je n’ai rien contre la harpe mais il nous fallait une musique adéquate. Je connaissais des groupes de rock mais pas connus comme Skip The Use. L’épouse de mon producteur est originaire du Nord et il se trouve, par une espèce de connexion du Nord, qu’elle avait un moyen d’accéder à Mat Bastard de Skip The Use. Nous les avons rencontrés à la fin de l’un de leurs concerts. Tout s’est très bien passé et on s’est tous appréciés. Très tôt, ça devait être en 2012, nous avons proposé à Mat et au groupe de faire la BO, car nous devions faire un pilot pour le film (à noter un pilot, c’est quelques minutes d’animation pour présenter et montrer le style du film). Nous nous sommes dit : « On va faire une pierre deux coups et notre pilote sera le clip de Nameless World ». Par la suite, Mat a collaboré au film pour une chanson (« Stand as one »). Les musiques instrumentales ont été réalisées par Eric Neveux, un autre compositeur. Et cerise sur le gâteau ! C’est quand même Mat qui fait la voix de Sirius et c’est génial. Au départ, les autres voix de doublage étaient des comédiens professionnels mais une réflexion m’est apparue : « Tiens, il a l’air d’être un assez bon comédien le Mat ». On lui a fait faire des essais et ça a cartonné !

Une suite du film Zombillénium est-elle envisagée ?

Un projet de série pour la télévision.

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