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Train pour Angoulême annulé ? Restez en gare !
from Le 48 Pages
by le48pages
Alors que le milieu de la médiation culturelle s’effondre de par les restrictions imposées par l’épidémie mondiale, le festival d’Angoulême a choisi de reporter la date de sa manifestation à janvier 2022. Depuis 1974, le festival international de la bande dessinée d’Angoulême se déroule en janvier et propose des expositions, débats et rencontres entre les principaux auteurs francophones et leurs publics. Néanmoins avec la nécessité de rompre la tradition pour des raisons sanitaires, les organisateurs du festival d’Angoulême n’ont pas, pour autant, voulu abandonner leurs fidèles de janvier.
Pour répondre à certaines attentes, le festival annonce, dans un communiqué intitulé « Festival 2021, un diptyque », que « fin janvier, dans le but de respecter son rendez-vous habituel avec vous et de faire vivre le 9e Art, le Festival mettra en oeuvre un certain nombre d’actions dans le respect des mesures sanitaires qui seront en vigueur. Les Prix de son palmarès, Les Fauves, seront remis aux lauréats à cette occasion et l'exposition du Grand Prix 2020, Emmanuel Guibert, se tiendra au musée d'Angoulême sur une durée exceptionnelle de fin janvier à fin juin. »
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Cette idée de « diptyque » serait donc salvatrice afin de préserver l’identité du festival hivernal, mais on peut aussi considérer que cette division de l’événement dans le temps lui permet de se réorganiser et de redéfinir la manière de communiquer autour de la bande dessinée.
Le Festival une mission de médiation un festival virtuel
Les organisateurs du festival se rendent très bien compte de l’importance de leur événement, l’esprit même du festival se trouve dans la communication qu’il fait. Aussi, cet événement n’est pas important simplement d’un point de vue culturel. Le festival international de la bande dessinée a aussi et bien sur un poids économique, social et même éducatif. En effet, « les festivals apportent un éclairage sans équivalent sur les artistes et les arts qu’ils promeuvent. Ils permettent une rencontre avec des publics très divers, les amateurs assidus comme les néophytes, les enfants comme les adultes ». Ainsi, alors que le secteur culturel souffre, le festival d’Angoulême se doit de faire acte de présence afin de combler le vide forcé par l’épidémie mondiale. Le festival s’est donc démultiplié pour l’année 2021 et a décidé de s’établir sur divers supports afin de toucher le plus de monde.
Un festival virtuel
La polyvalence d’internet, la gratuité de l’accès à la retransmission en direct, la possibilité de poster des commentaires, tout cela fait de ce premier festival virtuel une véritable tentative de mimique du festival originel. Un tel événement ne pourra évidemment pas remplacer la joie de la foule et l’effervescence des rencontres bien physiques dans la ville d’Angoulême.
Néanmoins, la possibilité offerte par le virtuel permet d’envisager non pas un remplacement mais une extension du festival. À l’ère du numérique les festivals se développent, se modernisent et s’adaptent à la technique et à la demande du public. Cela se constate, notamment avec les concerts ou les festivals du cinéma qui se font en ligne, notamment le festival Gérardmer dont la programmation prévoyait des lives Instagram avec des réalisateurs.
Ainsi, la conférence mise en place par le festival au mois de janvier ne fait pas révolution dans le milieu des événements culturels, surtout en période d’épidémie où l’usage du direct est considérablement accentué. Mais, cela témoigne bien d’une volonté de toucher et de prolonger l’action de médiation auprès d’un public distant et virtuel.
Mais où est la bande dessinée ?
En revanche, l’idée d’un festival virtuel semble bonne, en tant que compromis de l’événement physique, pour des concerts ou des événements cinématographique, elle est assurément moins efficace pour un festival dont le thème concerne à la fois l’art plastique et le livre. La musique ou les films sont facilement retransmissibles par voie internet, cependant pour ce qui est de la littérature, ou du dessin, seuls le partage de scans peuvent permettre de mimer l’objet que représente l’album de bande-dessinée. Car, là est la question à laquelle semble devoir répondre le festival d’Angoulême : où est la bande dessinée ? Si le festival a été créé pour accueillir tous les adorateurs du neuvième art, le compromis du livestreaming ne permet pas de mettre en valeur l’objet qui, à l’origine, réunit créateurs et public.
Le partenariat SNCF - Festival international de la BD
La réponse est donnée sous la forme d’un partenariat entre le festival d’Angoulême et SNCF Gares et Connexion. Bien que le festival d’Angoulême et la SNCF sont en partenariat depuis déjà quinze ans, la SNCF possédant par ailleurs son propre prix et sa propre sélection officiel avec le « Fauve polar SNCF », cette association reste tout à fait originale pour le festival. Dernière branche créée par la SCNF, cette filiale est chargée d’améliorer l’expérience des voyageurs en garantissant confort et sécurité. L’objectif est de transformer la gare en un centre tourné vers la ville elle-même, en y créant un espace culturel, dédié à l’art ou au divertissement du grand public. Cette mission s’est notamment vue avec l’opération « Piano en gare ». Le partenariat avec le festival d’Angoulême n’est donc pas anodin et s’ancre parfaitement dans la politique de la firme ferroviaire.
« La bande dessinée s’expose en gare »
Pour renouer le lien avec l’objet « bande-dessinée », les gares de France, quarante-et-une d’entre elles pour être précis, ont accepté de devenir les lieux d’exposition de la bandedessinée et de ses artistes à l’occasion du projet « le festival s’invite en gare ». Du 17 décembre à la mi-février 2021, 108 expositions de bande dessinée ayant pu mettre en lumière près de 70 artistes ont été déployées dans ces gares françaises. Chaque artiste se voit attribué un espace spécifique où certaines planches de ses oeuvres sont exposées. Une fiche technique, expliquant le parcours de l’artiste, les thèmes qu’il évoque ainsi que des informations supplémentaires sur la maison d’édition en charge de son oeuvre, accompagne les planches, les illustrations et les dessins mis en avant dans les gares. À titre d’exemple, on retrouve, en Gare de Marseille, l’autrice Lisa Mandel avec son album Une année exemplaire ; ou encore Jérémie Moreau avec Le discours de la panthère publié aux éditions 2024. Aussi peut-on évoquer la Gare de Versailles-Chantier qui expose trois artistes, Tatsuya Endo (Spy X Family, tome 1, Kurokawa éditions), Hippolyte et Zabus (Incroyable, Dargaud) et Anne Montel & Loïc Clément (Miss Charity, éditions rue de sèvres).
Le choix de la gare : nouveau lieu de culture ?
Ainsi, en l’absence des musées et des lieux d’expositions traditionnels, les gares se font les nouvelles médiatrices de la culture. Là où le festival est empêché de mettre en oeuvre sa programmation, les gares représentent l’opportunité unique de présenter ses sélections de bande dessinée et d’assurer la première fonction de médiation du festival. Mais le choix de la gare va plus loin que cette simple extension du rôle de médiation. En effet, le lieu en tant que tel est un élément stratégique primordial pour la communication du festival. La bande dessinée, dont l’art est adressée à une étendue de lecteurs allant de 7 à 77 ans, se rapproche de la gare elle-même, qui accueille toutes les générations. La gare, qui est le lieu symbolisant le début ou la fin d’un voyage, rappelle le pouvoir même de la bande-dessinée, et du livre en général, de faire voyager son lecteur. Mais plus généralement, la gare est un lieu ouvert assurant le passage et la transition, si elle est un espace de déplacement, elle permet aussi les rencontres et la transmission. On parle notamment de transport « en commun », par sa sémantique même, la gare évoque le rassemblement et le partage.
Outre cette idée d’une connexion entre les usagers, la gare est tout simplement un carrefour où toutes personnes de touts horizons viennent et vont. Plus qu’un clin d’oeil aux thèmes de la diversité et du voyage, la gare offre une formidable opportunité aux créateurs dont les oeuvres sont exposées à la vue des quelques 10 millions de voyageurs quotidiens. Entre public fidèle et public potentiel fourni par les gares, le festival d’Angoulême s’exposant en gare fait peut-être une encore meilleure publicité que le festival original.
Mais il faut aussi relativiser ce bilan. En effet, une gare ne remplacera jamais complètement un musée ou un lieu d’exposition traditionnel. Le public y reste potentiel et ne vient pas en gare avec pour premier objectif d’assister à un événement culturel. De même, si le festival est scindé en plusieurs temps pour l’année 2021, c’est à cause de l’épidémie mondiale. Dès lors, avec la hausse du télétravail, la mise en place de confinement et de couvre-feu, la fréquentation des gares s’est amoindrie, abaissant donc l’effet potentiel des événements culturels en gare.