AirBnB et le quartier du Panier, à Marseille.

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AirBnB et le quartier du Panier, à Marseille.

Angélica LAVENTURE Alice LEBRUN Léa METLAINE

Sociologie urbaine des villes de la Méditerranée Encadré par Muriel GIRARD et Nadja MONNET ENSA-Marseille // Janvier 2017 1


SOMMAIRE Avant-Propos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1. Une nouvelle forme de tourisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

1.1. Le concept AirBnb

1.2. Une hospitalité monnayable

1.3. La mise à mal du monde hôtelier

2. Le quartier du Panier, à Marseille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

2.1. Un lieu historique

2.2. L’impact de MPM et MP13

2.3 «Le plus vieux village de France» et AirBnb

3. A la rencontre des habitants. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

3.1. «Arrondir ses fins de mois»

3.2. Un business florissant

3.3 Des réticences

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Glossaire

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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AnnexesG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

MOTS-CLÉS

Tourisme AirBnB Le Panier Marseille Néo-libéralisme Gentrification Globalisation 2


AVANT-PROPOS /

1. Cf. Glossaire, page 26. 2. Cf. Définition du concept, page 6. 3. Cf. Retranscriptions des entretiens, page 29.

Étudiantes à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille, nous nous sommes réunies pour les cours de « Sociologie urbaine des villes de la Méditerranée », encadrés par Muriel Girard et Nadja Monnet. Les grands thèmes abordés étant: l’internationalisation des villes, les restructurations urbaines, la circulation des normes, dynamiques de patrimonialisation, l’économie informelle et les pratiques habitantes, entre autres. Nous nous sommes donc questionnées sur des termes à définition complexes tels que: la globalisation, le néo-libéralisme et la gentrification.1 Par ce travail, nous avons essayé de porter un regard sur ces notions, en l’appuyant sur un terrain d’enquête connu pour nous: le quartier du Panier à Marseille. Habitantes et pratiquantes de l’espace urbain de cette ville, il nous est alors paru évident de tenter d’en comprendre les enjeux des mécanismes de sa fabrication urbaine. Afin, de mieux cerner les notions énoncées précédemment, nous avons choisit d’orienter nos recherches sur le tourisme et notamment par le biais du site d’hébergement AirBnb2, concept en croissance permanente, et connu de nombreuses personnes; notamment auquel nous faisons appel à titre personnel lors de voyages à l’étranger. La démarche de notre travail s’appuiera donc sur les cours auquel nous avons assisté, sur des recherches documentaires littéraires, ainsi que cinq entretiens réalisés avec des habitants du Panier.3

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INTRODUCTION /

Selon Marc Augé, il existe une distinction entre un voyageur et un touriste: « le voyageur est un esprit curieux qui ne se satisfait pas du charme et de l’habitude. Il va voir ailleurs et ne déteste pas découvrir les habitudes des autres. Mais il ne fait que passer, ne s’attache pas et reprend sa route ».4 Par ces mots, il le qualifie donc de nomade. En opposition: « le touriste, l’homme des tours, a un programme, spatial et temporel, auquel il se plie. Sédentaire irréductible, il peut se contenter d’un séjour fixe, épicé de quelques spectacles servis à domicile ».5 Selon lui, le touriste se donne illusoirement un sentiment de l’ailleurs, malgré un mouvement inhabituel de son quotidien qu’est le voyage, il tend à trouver des similitudes avec son confort habituel. « Les espaces créés par et pour le tourisme international uniformisent la planète et mettent à mal les attentes et les rêves du voyageur »6,participant alors à la globalisation de notre monde. Le Cahier 17 du Tourisme du Plan Bleu (2017), disponible en ligne, considère touriste: « tout visiteur résidant une ou deux nuit hors de son domicile dans un pays ». Ce cahier du Plan Bleu en partenariat avec l’ONU environnement et la PAM7, font état du tourisme en Méditerranée, mesurant alors les impacts écologiques, patrimoniaux, économiques et sociaux. « Le touriste massifié ne se rend pas compte, mais il terrorise la population à qui il croît apporter une dynamique économique, un développement, tout en lui imposant ses temporalités, ses plats préparés, ses boissons globalisées ».8 L’industrie touristique met parfois à mal des identités 4

4. Préface de l’ethnologue et anthropologue Marc Augé dans: Le Voyage contre le tourisme, coll. “Rhizome”, Etérotopia, 2014 de PAQUOT Thierry, page 5. 5. Ibid. 6. Ibid. 7. Programme des Nations Unies pour l’environnement, et Plan d’Action pour la Méditerranée. 8. PAQUOT Thierry, Le Voyage contre le tourisme, coll. “Rhizome”, Etérotopia, 2014, page 17.


locales, où des lieux en arrivent à être désertés par les populations populaires tant les loyers augmentent. Le tourisme, grand enjeu financier pour le capitalisme s’est alors diversifié depuis quelques années afin de proposer de nouvelles formes de consommation. Nous allons donc nous questionner sur l’impact que peut représenter cette industrie au sein de la ville de Marseille, et notamment pour le quartier du Panier. Il semble intéressant en premier lieu de saisir les différentes offres d’hébergements possibles du marché touristique.

5


1.

UNE NOUVELLE FORME DE TOURISME

L’hébergement est une partie importante des voyages. Durant de nombreuses décennies, les choix les plus classiques étaient l’hôtel, ou les auberges de jeunesse. Cependant, depuis un peu plus d’une décennie on voit émerger d’autres possibilités. Cellesci, permettent de se loger temporairement chez l’habitant, souhaitant instaurer un rapport intime au voyageur avec le lieu qu’il visite. 1.1.

Le concept AirBnB

Le concept crée en 2008 par deux américains Brian Chesky et Joe Gribbia, en Californie, vient de la contraction air bed and breakfast que l‘on pourrait traduire par « lit gonflable et petit-déjeuner ». Présenté comme un service collaboratif, il propose à des particuliers à travers le monde, de monétiser une partie ou l’entièreté de leur logement à d’autres particuliers. Le principe étant de louer pour une durée courte, qui varie de quelques jours à un mois ou deux. Ces locations permettent aux propriétaires de percevoir une rente d’appoint et, aux locataires de passage, de se sentir « chez eux », comme « à la maison » tout en expérimentant une vie ailleurs.

En quelques chiffres, Airbnb, de nos jours, c’est : 200 000 000 de voyageurs, 3 000 000 000 de logements à travers le monde, 191 pays et plus de 65 000 villes.9 6

Fig.1. Capture d’écran de l’accueil du site airbnb.fr en 2014.

9. Données issues du site airbnb.fr, consulté le 06.01.2018.


L’offre étant très concentrée dans les grandes villes, et notamment dans les zones balnéaires, Marseille avec son littoral attire de plus en plus de visiteurs. « L’offre est le fruit de personnes qui ont décidé d’investir dans l’immobilier ou de modifier l‘usage de leurs biens immobiliers. »10 L’offre du site a alors modifié les équilibres du marché locatif, et dont « la société se vante d’avoir redistribué 1 milliard d’euros dans la poche des 300 000 hébergeurs français en 2016 ».11 Aujourd’hui, AirBnb a étendu ses services au delà de l’hébergement. La plateforme propose des expériences tarifées (des cours de surf, de danse, ou de cuisine, entre autres), ainsi que des visites effectuées par des guides locaux. Ayant racheté la société Trip4Real, AirBnb a intégré de nouveaux services sur leur site afin d’accroitre leur offre, et donc leur propre économie. 1.2.

10. Article Paris et les hyper-centres des grandes villes, le business lucratif d’Airbnb en France, Les Décodeurs, paru sur www.lemonde.fr, 04.08.2017, consulté le 05.11.2017. 11. Ibid.

Une hospitalité monnayable

A contrario du Airbnb qui repose sur une hospitalité monnayable chez l’habitant (alternative payante), on retrouve le Couchsurfing qui propose un service d’hébergement temporaire gratuit. Créé en 2004, sous forme d’association à but non lucratif, le Couchsurfing met en relation des personnes proposant ou cherchant un hébergement. Comme le suggère le nom de la plateforme, que l’on pourrait traduire par « un passage de canapé à l’autre », où le voyageur comme un nomade, découvre le monde par le biais du canapé, comme point de rencontre. La plateforme se base sur l’échange, la rencontre et le partage entre hébergeurs et voyageurs. Il est à noter qu’en 2011, l’association qui vivait des dons de ces membres, devient une société commerciale. Certaines options deviennent payantes ou limitées. Par exemple, la demande d’hébergement pour un voyageur est désormais limitée au nombre de 7


dix par semaine. Mais il est alors possible de payer un abonnement au site, afin d’obtenir des privilèges, comme des demandes illimitées par exemple. En quelques chiffres, Couchsurfing représente: 400 000 hôtes, 4 000 000 de voyageurs et 100 000 évènements.12 Mais depuis quelques temps, la croissance et la renommée mondiale de AirBnb, il est possible de constater un phénomène social. Des anciens hébergeurs usant Couchsurfing pour ses valeurs morales et humaines, préfèrent dès lors, utiliser AirBnb à des fins économiques, leur offrant un apport financier, monnayant alors leur hospitalité.13 1.3.

La mise à mal du monde hôtelier

La plateforme de tourisme collaboratif marchand à l’image de Airbnb pour l’hébergement s’étant rapidement développée ces dernières années, a profondément modifié le marché du tourisme. Avec cette alternative, Marseille, peine à remplir ses 6404 chambres disponibles dans les hôtels de sa ville.14 Par ses campagnes publicitaires, AirBnb scénarise et met en avant l’enrichissement individuel des propriétaires. Ces publicités orientées mettent en avant l’occasion de se faire de l’argent en tant que propriétaire. Louer son logement sur Airbnb, n’est donc pas l’occasion de faire des rencontres, de faire découvrir sa ville, mais bien un enjeu financier. Mais le propriétaire ne doit pas négliger la charge de travail à laquelle il devra répondre: accueillir « ses clients » à l’heure de leur choix, rester disponible pour répondre à leurs questions, ranger, libérer de la place dans les placards, nettoyer le logement, laver les draps, les serviettes, etc. En somme, il agit en tant que véritable hôte, qu’il ne faut pas l’oublier, est un métier, dont des formations et des écoles existent pour acquérir ce statut. 8

12. Données issues de Couchsurfing.com, consulté le 06.01.2018. 13. Nous avons pu recueillir ce propos par le biais de discussions avec notre entourage (amis, familles) et par des constations personnelles lors de nos voyages. 14. Donnée issue de l’article Les 6 chiffres de l’hôtellerie en France, paru dans lefigaro.fr, 09.10.2017, consulté le 05.11.2017. 15. In Merkur, n°126, 1958, traduction française dans Culture ou mise en condition?, Paris, Union Générale d’Édition, collection « 10/18 », 1973.


Fig.2

Fig.2 & 3. Publicités affichées à Paris en 2015.

Fig.3 9


La marchandisation de son logement modifie alors les rapports entre les habitants et les voyageurs: le touriste devient une source de revenus, et l’habitant un prestataire de service, mettant à mal l’économie hôtelière de nombreuses villes. Etant un service monnayé, le propriétaire se doit d’être irréprochable, en vue d’une sanction par un mauvais commentaire sur le site, s’il ne respecte pas les critères d’accueil. Hans Magnus Enzensberger l’énonçait déjà en 1958: « le tourisme est l’industrie dont la production et la publicité ne font qu’un: ses clients sont en même temps ses employés ».15 Quand un propriétaire n’a pas le temps, ou qu’il estime ne pas avoir les compétences pour accomplir la mission qui lui est incombée, il lui est alors possible de faire appel à des concierges. Payant une personne qui se chargera de l’accueil des touristes et du nettoyage du logement, à la manière d’une véritable entreprise.

15. In Merkur, n°126, 1958, traduction française dans Culture ou mise en condition?, Paris, Union Générale d’Édition, collection « 10/18 », 1973.

Fig.4. Publicité vue sur facebook.fr le 19.12.2017. 10


La condition hôtelière modifiée, la location de logements AirBnB répond à une demande à l’année, que ce soit pour des séjours à plus ou moins courte durée, pour un voyage d’affaires ou pour des weekend. Les hôtels connaissent alors une forte affluence dès lors que le site ne peut répondre à toutes les demandes, lors de grands évènements (par exemple, quand Marseille a accueillit la coupe de l’Europe de Football en 2016). Les hôteliers font donc face à une nouvelle temporalité, qui n’est plus celle des saisons estivales, où grand nombre de leur chiffre d’affaire se faisait durant cette période.

Afin de mieux cerner le terrain d’enquête de notre travail qu’est Marseille, et notamment le Panier, il nous est apparut important de le présenter. Premièrement selon son histoire et sa dimension sociale, puis par un programme urbain (MPM)16 et un évènement majeur (MP13)17, qui ont permis de grandes requalifications urbaines, et enfin, par son rapport à AirBnb.

16. Marseille Provence Métropole. 17. Marseille Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture. 11


2.

LE QUARTIER DU PANIER, À MARSEILLE

2.1.

Un lieu historique

De la rencontre de l’orient de l’occident, de l’alliance de la terre de la mer, naît une ville de contrastes, réceptacle de tous les courants. Marseille sera la ville d’un port qui lui confère sa dimension: celle de l’échange, du commerce au sens premier du mot. C’est en -600 avant notre ère que les grecs viennent s’établir à Marseille. Au tout début, il n’y a que trois buttes alignées d’Ouest en Est: la butte Saint-Laurent, la double butte des Moulins et de la Roquette, enfin la butte des Carmes. Cette topographie particulière conditionnera l’évolution de la cité. On passe alors d’un terrain vierge à une ville par le biais du tissu grec et romain. La ville de Marseille s’est développée à l’intérieur de ce territoire, clos par des remparts, du VIème siècle avant notre ère jusqu’au XVIIème siècle, quand Louis XIV ordonna une première extension de la ville. Massalia, de son nom grec, qui deviendra par la suite Massilia, puis Marseille; est alors une ville portuaire axée sur les échanges et le commerce. C’est de ce rapport à la mer que naîtra une grande diversité de populations, car le port jouera le rôle important de porte sur la mer Méditerranée. Le Panier deviendra et restera alors un quartier phare de la ville, autant par sa proximité avec le port mais également pour sa mixité sociale. Au sein même de ce quartier (qui n’est toujours pas reconnu en termes de limites administratives), on peut trouver plusieurs strates historiques car beaucoup d’évènements successifs à différentes périodes ont fait et défait l’histoire de cette zone de la ville de Marseille. En effet, entre constructions et déconstructions, le Panier s’est modelé au fil du temps, mais son âme cosmopolite semble avoir subsité. 12


De nombreuses personnes venaient y chercher du travail, quelque soit leur nationalité: italiens, espagnols, corses, maghrebins. Au XVIIIème siècle, Marseille passe du commerce méditerranéen au commerce mondial. Il y a alors une nouvelle vague de migrations massives de travailleurs liée à l’activité portuaire. Cette ouverture sur le monde et l’important essor qu’elle génère sont les bases du fondement d’un nouveau développement interculturel. Les migrations vont même se diversifier, avec par exemple des suisses ou bien des allemands, alors que jusque là c’était principalement des population du pourtour du bassin méditerranéen qui venaient travailler à Marseille. Ces migrations ouvrières vont alors imprégner le quartier du Panier d’une culture dite «populaire». La ville qui n’était qu’une cité de passage, devient un lieu d’installation permanente aux cultures nomades. L’histoire de Marseille c’est surtout l’histoire de ses habitants, une ville fondée sur un mélange de migrations, de traditions et de populations, dont le Panier y a considérablement joué un rôle majeur. Le quartier du Panier est donc un lieu, car il est « identitaire, relationnel et historique ».18 L’identité de ce quartier nous réfère à l’univers des voyages, et elle réside dans la culture de la différence.

Fig.5. © www.hellolaroux.com Fig.6. © http:/photoclubbenesse. canalblog.com 18. AUGÉ Marc, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la sur-modernité, Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1992, p. 100. 13


2.2.

L’impact de MPM et MP13

L’année 2013 restera dans l’histoire de Marseille un jalon essentiel de son développement. Son titre de «capitale européenne de la culture» et son quartier Euroméditerranée en plein renouveau ont permit une restructuration urbaine en profondeur de la façade maritime de la ville. Le Vieux-Port s’est entièrement transformé pour devenir l’une des plus grandes places publiques d’Europe avec une réorganisation totale de la circulation automobile sur son pourtour et la disparition des barrières qui empêchaient l’accès direct à la mer. Autour du J4, qui accueille désormais le Mucem, le quartier s’est lui aussi transformé avec l’aménagement du boulevard du Littoral, la construction du Musée Regards de Provence, la Villa Méditerranée, et la réalisation d’un nouveau parvis tout autour de la cathédrale de la Major. Un peu plus loin, toujours sur ce nouveau boulevard, la réhabilitation du hangar J1 a décidé les autorités du Grand Port Maritime à pérenniser ce lieu au-delà de l’année 2013. Tout à côté, face à la Place de la Joliette, les Terrasses du Port, immense centre commercial, avec une vue imprenable sur les îles du Frioul et du Château d’If, a ouvert ses portes en 2014, tout comme les Voûtes de la Major. D’autres réhabilitations touchent les secteurs comprenant la Rue de la République, les Docks, le fort Saint Jean, le musée d’Histoire rénové, l’hôtel Dieu (un palace 5 étoiles au coeur du centre-ville et à l’entrée du Panier). Le quartier du Panier fait partie de l’opération d’aménagement urbain Euroméditerranée par critère patrimonial, ce qui réside dans le fait que la vieille charité et l’hôtel Dieu sont classés monuments. Cette nouvelle dynamique entraine le territoire vers la Métropole Aix-Marseille Provence avec une idée de rayonnement à l’échelle d’une métropole. 14

Fig.7. © www.marseille.fr


Mais le quartier du Panier, un peu comme un «irréductible gaullois» va seulement assister à des transformations qui s’opèrent autour de lui, qui l’englobent, mais qui ne le touchent pas directement. En revanche, ses limites sont requalifiées, ses portes d’entrées, ou plutôt ses lisières: le secteur de la Joliette, l’avenue de la République et le Vieux Port. Ce vaste programme de restructurations urbaines use de la culture et du patrimoine comme moteur économique. L’année 2013 a mis en avant une nouvelle dimension, inexploitée jusque là, permettant la «fréquentation touristique étrangère à plus de 20 % sur un an (estimation à plus de 10 millions de visiteurs)».19 En 2014, Marseille reçoit même le prix de «la ville européenne de l’année», décerné par l’académie d’urbanisme de Londres. La ville se voit alors médiatisée avec une image positive et de nombreux évènements ont lieu. Tous ces changements, et notamment la rénovation urbaine en cours, participent à un processus de gentrification. Cependant, des catégories sociales diverses cohabitent toujours au Panier et vivent l’altérité.

19. www.marseille.fr, consulté le 18.10.2017 15


2.3.

« Le plus vieux village de France »20 et AirBnB

« La Méditerranée est devenue la première destination du monde pour le tourisme national et international, avec plus de 300 millions d’arrivées de touristes internationaux (ATI) représentant 30 % du nombre total de touristes dans le monde en 2014. Les ATI sont passées de 58 millions en 1970 à près de 314 millions en 2014, avec une prévision de 500 millions d’ici à 2030. La moitié de ces arrivées se font sur le littoral ».21 Marseille se situe dans ce cadre là avec l’aéroport accessible à 15 min en bus depuis la gare du centre ville, et par l’arrivée des bateaux de croisière au port maritime. Le vaste programme engagé pour Marseille 2013 a alors renforcé l’attractivité de la ville. Élevant le quartier du Panier comme un endroit « à la mode », où il fait bon d’y séjourner. La florescence et l’explosion d’appartements destinés à la location touristique à temporalité relativement courte, n’a fait qu’augmenter la paupérisation du quartier et a creusé de nombreuses inégalités sociales, délaissant alors sa population locale. En effet, de nombreux édifices semblent être entièrement destinés à la location de AirBnb, pénalisant des populations qui souhaiteraient résider au Panier à l’année. En faisant une simulation sur le site de la start-up, nous avons pu constater l’importance de l’offre de logements qu’il propose au sein du quartier: - sans date fixe: plus de 300 locations disponibles dans le panier. -en basse saison (du 15 au 23 Janvier): 98 locations sont disponibles. -en haute saison (du 21 Juin au 30 juin), 152 locations sont déjà disponibles à la réservation. Le Panier, a su gardé en apparence, son charme d’antan, le qualifiant alors de «quartier vitrine» et répondant à une forte demande touristique. 16

20. MAMMERI Sofiane et POLI Olivier, L’âme du Panier, le plus vieux village de France, Documentaire, France 3 PACA et Anonyma Prod, 2013, 53 min. 21. Plan Bleu, Centre d’Activités Régionales de l’ONU Environnement / PAM, Cahier 17:Tourisme durable en Méditerranée : Etat des lieux et orientations stratégiques, Mai 2017.


A l’échelle d’un quartier, des centaines de logements sont disponibles à la location temporaire. On peut supposer que les propriétaires ont su tirer profit des bénéfices économiques que leur offre AirBnB, mais qu’en est-il réellement pour les habitants, de ceux qui vivent le Panier au quotidien? Nous nous sommes donc questionnées sur le réel impact que peut avoir AirBnb sur ce quartier. Face à une telle offre de la part du site, le Panier tend-t-il vers le cas de Barcelone, où les habitants confrontés au tourisme de masse ne reconnaissent plus leur ville?22 Les investisseurs préférant louer aux touristes, les habitants ne peuvent plus accéder aux logements en centre-ville. Dès lors, il est possible d’observer un phénomène: les quartiers historiques des centres villes se dépeuplent de leurs habitants et deviennent des parcs d’attraction pour touristes, dont certains en tirent des bénéfices financiers.

22. Dans le documentaire, Bye Bye Barcelona, d’Eduardo Chibás (2014), disponible sur Youtube, des résidents témoignent des effets négatifs du tourisme de masse dans leur ville. Avec aujourd’hui, sur la Rambla, où 8 personnes sur 10 sont des touristes. Thierry Paquot, exprime également cette forte fréquentation dans son ouvrage Le voyage contre le tourisme (2014), où il note que Barcelone est une « ville de 1,6 millions d’habitants qui reçoit chaque année des millions de touristes (15,6 millions en 2013, son record absolu) » page 16. 17


3.

A LA RENCONTRE DES HABITANTS

Nous nous sommes entretenues avec des habitants du Panier, et avons pu constater une diversité d’opinions concernant le AirBnB, mais également des avis partagés. Lors de différentes rencontres in-situ au mois de décembre 2017, cinq entretiens en sont alors ressortis, avec des profils différents, des personnes étant arrivées avant 2013 et, d’autres, arrivées après cette année charnière. Afin de situer les lieux de nos entretiens, et les personnes interrogées, nous avons effectué un récapitulatif présentatif dans le document ci-contre (Fig.8). Il est également possible de consulter la retranscription des entretiens dans son intégralité en annexe page 29.

18


Annie, propriétaire d’un atelier d’un collectif d’artistes, ancienne habitante du Panier

Julien, propriétaire d’un concept-store, travaille et habite au Panier

rue Ste-Françoise rue Ste-Françoise

Lucas, brocanteur, travaille et habite au Panier avec son épouse

rue des Moulins

rue Fontaines des Vents

Philippe et Christine, en arrêt de travail, propriétaires de deux immeubles, habitent le Panier.

rue St-Pons

Carolina, architecte-enseignante, travaille et habite au Panier avec son mari et ses enfants 19


3.1.

« Arrondir ses fins de mois »

A ses débuts, le site apportait une idée séduisante : proposer une offre alternative à l’hôtellerie et aux guides professionnels, offrir une source de revenus complémentaires aux habitants des zones touristiques. Le Panier s’inscrivant dans le circuit pittoresque marseillais, où le touriste cherche « ce qui est à voir, à photographier », et donc à consommer; a vu des habitants proposer leur logement, ou une chambre de ce dernier, les destinant aux touristes. Carolina, architecte et habitante du Panier depuis 2001, s’est laissée séduire par l’idée l’année dernière, mettant un appartement qu’elle possède à la location pour de courts séjours. L’étudiante qui louait à l’année étant partie en stage d’avril à septembre, cela lui est apparu comme une bonne alternative. Or, l’offre étant importante dans le quartier, l’expérience n’a pas été à la hauteur de ses espérances, et s’est vue découragée par la charge horaire d’implication à la semaine. Annie, propriétaire d’un local collectif d’artistes depuis 2013, nous a aussi rapporté l’expérience d’une famille du quartier qu’elle connait, qui use AirBnB en tant que complément de revenus. Famille recomposée de neuf personnes, lorsqu’ils se retrouvent à trois, ils font leur valises, vont chez des amis le temps de la location. On assiste alors à un phénomène de déplacement spatial et temporel appliqué directement à des habitants du quartier au profit de la rente touristique. 3.2.

Un business florissant

Certains y voient un réel enjeu économique au point d’arrêter leurs fonctions pour ne s’occuper que de logements en location AirBnB. Philippe et Christine, propriétaires de deux immeubles dans le quartier, on essayé de mettre leur location en AirBnB l’été 2017, et depuis ont décidé d’arrêter de 20


travailler pendant un an pour se consacrer à la rénovation d’un de leur édifice. Ils ne nient pas le travail d’implication que ce concept représente, mais ils font tout pour se rendre disponibles, parlant « de services ». Ils disent puiser leur satisfaction dans celles des gens qu’ils accueillent. Conscients des changements que l’année 2013 a apporté à leur quartier, ils nous expliquent que la valorisation du patrimoine, notamment la vieille charité avec la place des Pistoles a permit d’améliorer leur cadre de vie urbain. Concernant l’économie locale du quartier, ils affirment que les restaurateurs doivent être contents de cette affluence croissante. Ces propos nous ont aussi été rapportés par Lucas, le «brocanteur, recycleur affectif» comme il se définit, qui de son point de vue de commerçant, le flux touristique contribue à son entreprise. Il nous parle même de l’atmosphère lors de l’arrivée des touristes: « j’aime bien le vendredi soir quand j’entends les roulettes des valises sur les pavés. Je regarde alors par la fenêtre, et je vois des mecs avec leur GPS, et je me dis que c’est cool, on ne va pas être seul ce week-end! ». Mais n’hésite pas non plus à nous évoquer la dualité de son opinion sur le concept AirBnB, en tant qu’humain et habitant du quartier, son avis diverge de son profil de commerçant. 3.3

Des réticences

Pour Lucas, louer son logement via AirBnB, c’est « courir après le pognon ». Il ne veut pas être à la merci des voyageurs, et veut décider lui-même ses horaires, il préfère rester libre et disposer de son temps. Il ne veut pas se sentir obligé de « devoir quelque chose » à la personne, baser une relation sur un service d’hospitalité monnayable. Dans l’entretien avec Carolina, elle nous parle également de cette charge qu’elle n’a pas envisagé 21


de supporter à long terme, après son expérience de location AirBnb, préférant alors louer à l’année. Le temps consacré à l’entretien, et à la préparation de l’accueil des touristes n’est « pas rentable » selon elle, préférant la « tranquillité ». Une de ses clientes, pour qui elle réhabilite un studio lui a aussi confessé préféré louer à l’année, s’assurant de « quelqu’un de stable ». Hormis la charge horaire que AirBnB incombe aux propriétaires, de nombreuses réticences sur le concept se font sentir concernant la perte d’identité du quartier. Selon Julien, gérant d’une boutique d’art, il y a « une perte d’authenticité du quartier ». « Du fait de la spéculation immobilière et de la hausse des prix, on perd l’âme des habitants dû à un turn-over permanent». Il nous rapporte même les propos concernant des gens qui auraient commencé à investir, en expulsant alors des familles résidentes pour se consacrer à la location touristique via AirBnb. Il nous parle « d’investissement spéculatif qui va audelà d’un complément de salaire ».

22


CONCLUSION /

23. Propos recueillis lors de l’entretien avec Julien. 24. Une brigade anti-AirBnb a même été mise en place par la ville, où il est possible de dénoncer anonymement un propriétaire ou un locataire en faute, par le biais d’un site internet, basé alors sur le principe de la délation. ARSENAULT Claire, AirBnB: hors-la-loi à Berlin, d’autres villes tentent de mettre le holà, 23.04.2016, www.rfi.fr, consulté le 02.01.2018. 25. En 2015, le parlement catalan a instauré une taxe de 65 centimes par nuit et par personne. De plus, il est interdit de louer un logement entier, seules deux chambres peuvent être louées en présence du propriétaire et ce, moins de quatre mois par an. AFP, AirBnB: la Catalogne impose une taxe, 15.07.2017, www.lesechos.fr, consulté le 02.01.2018.

Ce travail de terrain et d’échanges nous a permit d’apporter un regard humain et sociologique derrière la machine capitaliste qu’est AirBnB aujourd’hui. Au départ une coopérative, cette start-up a su s’élever au rang de multinationale en seulement 10 ans. La ville de Marseille ayant voulu faire du Panier un quartier attractif, on a assisté à une hausse des prix du marché immobilier, générant alors un processus de gentrification, où de nombreux appartements restent aujourd’hui « vides et inoccupés ».23 Toutes les personnes avec qui nous avons pu nous entretenir s’accordent sur le fait que le Panier est devenu « un pôle touristique ». Le tourisme de masse peut réellement mettre à mal l’identité d’un quartier. Certes, le touriste a une relation temporelle qualifiée de « passage », mais les impacts qu’il génère peuvent avoir de lourdes conséquences sur l’équilibre d’un lieu. Son économie et son identité culturelle s’en voient alors affectés. Afin de lutter contre les effets néfastes de ce néo-libéralisme provoqués par AirBnB, les autorités berlinoises ont décidé d’agir. En effet, depuis le mois de mai 2016, des restrictions ont été mises en place, ne permettant plus aux propriétaires de louer leur logement en entier pour les séjours de courte durée, mais seulement une chambre de leur lieu de résidence, et ce, en leur présence. Par cette restriction, le gouvernement souhaite « redonner l’accessibilité à des logements où la hausse des loyers dopée par la location d’AirBnB était devenue difficile ».24 De l’autre côté de l’Atlantique, le cas du Canada a aussi fait parlé de lui avec des manifestations allant à l’encontre de la start-up mondiale. Tout comme Barcelone, les canadiens ne supportent plus l’ampleur et les impacts occasionnés par le concept, mettant à mal leurs populations locales.25 23


Afin d’enrayer la spéculation des loyers dû aux locations à court termes, certains pays ont alors règlementé la location de logement par AirBnB. L’engouement de ce dernier, a accentué au cours des années, une pénurie de logements dans les grandes villes, faisant concurrence directe au secteur hôtelier. La législation française a mis en place des restrictions sur le nombre de nuitées (120 jours par an).26 Qu’en est-il pour l’avenir du quartier du Panier à Marseille? Ce morceau de territoire méditerranéen devrait-il tendre à de telles mesures afin de préserver son identité historique, sociale et culturelle? Ou au contraire, sa nouvelle nomination au titre de Capitale Européenne de la Culture en 2018, va lui apporter une affluence touristique plus importante, au risque de nuire à son « âme de village d’antan » qui contribue toujours au charme du quartier, tel que nous le connaissons encore aujourd’hui?

26. MACDOUGALL John, AirBnB propose de limiter les locations à 120 nuitées par an à Paris, www.rfi.fr, 28.02.2016, consulté le 02.01.2018. 24


Fig.9 © www.radio-canada.com

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GLOSSAIRE NEO-LIBERALISME / Selon Larousse: « doctrine qui veut rénover le libéralisme en rétablissant ou en maintenant le libre jeu des forces économiques et l’initiative des individus tout en acceptant l’intervention de l’État. » David Harvey, géographe et anthropologue, explique: « en théorie, l’État néolibéral devrait promouvoir de solides droits de propriété privée, le règne du droit et les institutions du libre marché et du libre-échange. Tels sont les agencements institutionnels qui apparaissent essentiels pour garantir les libertés individuelles. Le cadre légal est celui d’obligations contractuelles librement négociées entre sujets juridiques au sein du marché. Le caractère sacré des contrats et le droit individuel d’agir, de s’exprimer et de choisir librement doivent être protégés. L’État doit donc utiliser son monopole de la violence pour défendre à tout prix ces libertés. Par extension, la liberté qu’ont les entreprises et les grandes sociétés (que la loi considère comme des personnes) d’opérer à l’intérieur de ce cadre institutionnel du marché libre et du libre échange est considérée comme un bien fondamental. [...] En même temps qu’est garantie la liberté personnelle et individuelle sur le marché, chaque individu est tenu pour responsable de ses actions et de son bien-être, pour lesquels il peut avoir à rendre des comptes. Ce principe s’étend aux domaines de la protection sociale, de l’éducation, de la santé et même des retraites. [...] Les succès et les échecs individuels sont interprétés en termes de vertus entrepreneuriales ou de faiblesses personnelles [...] plutôt qu’attribués à une quelconque propriété systémique.»27

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27. HARVEY David, Brève histoire du néolibéralisme, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2014, 320 pages.


GLOSSAIRE GENTRIFICATION / Selon Anne Clerval, géographe, « La gentrification désigne une forme particulière d’embourgeoisement qui concerne les quartiers populaires et passe par la transformation de l’habitat, voire de l’espace public et des commerces. Cette notion s’insère dans le champ de la s sociale et implique un changement dans la division sociale de l’espace intra-urbain, qui passe aussi par sa transformation physique. À l’origine, gentrification est un néologisme anglais inventé en 1964 par Ruth Glass, sociologue marxiste, à propos de Londres. Le mot est composé à partir de gentry, terme qui renvoie à la petit noblesse terrienne en Angleterre, mais aussi, plus généralement, à la bonne société, aux gens bien nés, dans un sens péjoratif. Ce nouveau mot a donc à l’origine un sens critique par rapport au processus qu’il désigne. [...] Depuis son invention, la connotation du mot a changé et varie selon les contextes culturels : dans le monde anglosaxon, il est passé dans le langage courant et a en partie perdu sa charge critique à la suite de campagnes de valorisation menée par les promoteurs et les pouvoirs publics, « gentrification » étant alors synonyme de « renaissance » ou de « régénération urbaine », passant sous silence les mécanismes de ségrégation qu’elle recouvre. À l’inverse, en Belgique ou en Allemagne, le terme est toujours perçu comme fortement critique [...]. En France, le terme reste cantonné à la sphère scientifique et est peu utilisé par les médias, qui préfèrent parler des « bobos » ou de « boboïsation » ; paré de l’aura des mots anglais, il ne semble pas faire polémique.»28 28. CLERVAL Anne, extrait de l’article Gentrification, disponible en ligne sur www.hypergéo.eu, consulté le 02.01.2018. 27


GLOSSAIRE MONDIALISATION & GLOBALISATION / Selon Henri Bartoli, économiste, « ce qui se « globalise » tend à devenir un ensemble régi par des règles telles que le tout organisé constitue un «système». » A l’inverse, « ce qui se «mondialise» tisse de multiples liens et interconnexions entre les Etats-nations, les entreprises, les sociétés de telle sorte que les événements, les décisions survenant en un lieu de la planète retentissent plus ou moins intensément sur les individus et les collectivités vivant en d’autres lieux.»29

29. BARTOLI Henri, La mondialisation doit être gouvernée, Revue Quart Monde, N°175 Mondialisation et pauvreté, 2000, disponible en ligne sur www. editionsquartmonde.org, consulté le 02.01.2017. 28


ANNEXES : retranscriptions d’entretiens CAROLINA, Architecte-enseignante, habite et travaille au Panier avec son mari et ses deux enfants. Angélica: Ça fait combien de temps habitez-vous au Panier ? Carolina: Depuis 2001. A: Vous habitiez à Marseille avant ? C: Euh...Oui avant oui. A: Pourquoi avez-vous choisit le Panier ? C: C’est un quartier calme. Il n’y pas de voitures. J’étais aux Réformés avant, il y avait beaucoup de voitures. Du coup quand on est arrivé au Panier, plus de bruits... C’est un quartier calme. A: Êtes-vous propriétaire ? C: Maintenant oui. A: Vous étiez locataire avant ? De la même maison ? C: Oui j’ai changé, mais je suis restée au Panier. C’est un petit immeuble, j’ai tout l’immeuble. Il y a 36m2 par plateau. Voilà... l’agence au rez-de-chaussée, un premier appart de 36m2 et puis nous on vit dans un duplex, avec mon mari et mes enfants. Parce que c’était un bâtiment abandonnée. Il était emmuré, il y avait des parpaing dans les fenêtres, il n’y avait pas de toit, il y avait plus d’eau courante, pas d’électricité, un des étages avait été incendié... Il y a eu une injonction juridique, il tombait pas mais la municipalité a dit au propriétaire : « vous devez faire des travaux sinon vous allez être expropriés ».Mais comme ils ont pas fait les travaux... Nous on a acheté à la ville, avec un cahier des charges. Donc on devait rendre ce bâtiment habitable en un laps de temps assez court. A: Pourquoi ça ? C’est parce qu’il devenait dangereux ? C: Oui. Parce qu’il y avait des problèmes de structures. A: Sinon la ville aurait démolit le bâtiment ? C: Non. Ils ont fait un appel à projet. Et ça c’était un des premiers bâtiments dont la ville a été propriétaire. Et il faut un cahier des charge. Et ils demandent à 29


différentes personnes s’ils veulent acquérir cet immeuble. Et tu montes un projet, on a gagné parce qu’on était propriétaire occupant. Voilà. C’est un appel à projet. Il y avait des investisseurs qui disaient : « Je vais faire tant d’appartements etc. ». Et ,nous on a dit : « c’est trop petit si vous faites à la location vous devez mettre un ascenseur. Si vous mettez un ascenseur il n’y a pas la place. Donc, nous on a bien montré que nous occupant ça marcherait mieux. On a expliqué à la présentation notre point de vue et ça nous a fait gagner des points. Ils ont vu la ville qu’en étant propriétaire occupant, les gens vont faire plus attention aux bâtiments... A: Dans le cadre de la sociologie, on travaille sur le AirBnB, en prenant comme cas d’étude le Panier. Vous en pensez quoi ? C: Moi j’ai pratiqué. Dans l’étage au-dessus de l’agence, nous louons à une étudiante. L‘an dernier elle est partie au mois d’avril, parce qu’elle avait son stage. Donc d’avril à Septembre on a été vide. Comme c’est un meublé, on s’est dit on va faire un AirBnB. Le problème de AirBnB , c’est qu’au Panier il y a beaucoup de personne qui le font. Donc on se disait « ouais ça va être un truc génial » mais en fait non il n’y a pas tant de visites, tant de gens qui venaient dans notre appartement. A: Vous pensez que c’est parce qu’il y a beaucoup d’appartement au Panier sur AirBnB ? C: Oui il y a beaucoup d’offres. A: Pour vous il y a peu de demandes ? C: Non... Mais nous on louait pour au moins trois jours, parce que... L’entretien, les draps...Et euh... Je ne voulais pas les réservations immédiates. Je voulais savoir avant... Mais j’ai des copains qui eux font mais c’est immédiat. Donc le samedi soir tu peux avoir des gens, donc ils faut qu’ils soient là quoi. C’est une autre organisation. Moi, mon bilan par rapport à AirBnB, si 30


je loue tous les mois comme je le fais avec l’étudiante, j’ai gagné pareil que les semaines faites avec AirBnB. Sans le travail en plus... Donc pour nous c’est pas rentable. C’est plus tranquille si tu veux, d’avoir quelqu’un toute l’année au moins en période scolaire, que de s’occuper toutes les semaines, tous les weekends d’avoir quelqu’un etc. A: Pour faire le lien avec le AirBnB et le tourisme. Le Panier est l’un des quartiers les plus connus de Marseille, et vous qui vivez au Panier comment ressentez-vous le tourisme ? C: Là ça a complètement changé. C’est devenu l’horreur presque. On est à la limite d’un seuil de tolérance. Tu as la revue Vocable, bon, c’est en espagnol mais il y a une partie en français. Les barcelonais et les Vénitiens, ils ont tellement eu de touristes, qu’ils ne supportent plus les touristes. Bin la... on voit un peu... Là le samedi t’as les bateaux de croisière, tu ne peux pas traverser la place quoi. Tous les restaurant ils sont pris euh...ça me fait un peu bizarre... t’as pas encore passé le seuil de tolérance des touristes mais ça commence à peser. Tu ne peux pas t’asseoir à ton café parce que toutes les tables sont prises par les touristes. A: Par rapport à cela, les restaurateurs par exemple, il y a-t-il des changements pour s’adapter aux touristes ? C: J’ai vu que avant la restauration c’était assez chère sur la place. Et il ont du s’aligner par rapport à en face au Vieux Port. Ils ont du « baisser un peu les prix » pour s’aligner au cours d’Estienne d’Orves par exemple... A: Pour revenir à la question du logement, connaissezvous autour de vous des gens qui préfèrent louer par le biais de la plateforme AirBnB que les plateformes plus classiques ? C: J’ai deux versions. Par exemple on réhabilite un petit studio en ce moment. Et on avait dit à la propriétaire, c’est repensé pour un AirBnB. Et la 31


proprio elle a dit : « non, non moi je veux quelqu’un. Je veux pas m’occuper d’un AirBnB. Je veux quelqu’un qui soit stable, correcte, et je loue toute l’année comme ça. ». Mais j’ai d’autres copines qui louent carrément tout l’immeuble... Par exemple il y a une famille de 9 qui préfèrent laisser tout son logement. S’il y a quelqu’un qui vient elle laisse tout son logement, et va squatter chez quelqu’un. Economiquement ça lui convient. C’est une famille recomposée donc ils louent la semaine où ils sont trois. Pour eux c’est intéressant. A: C’est une rentrée d’argent ponctuelle ? Ou c’est devenu son travail ? C: Non elle travaille. Pour elle c’est de l’argent en plus. A: Pour revenir sur vos premier propos, vous disiez que le Panier est un « quartier calme ». Cette vision du Panier n’est-elle pas influencée par l’arrivée des touristes ? Entre 2001 à votre arrivée et aujourd’hui remarquez-vous des changements dans la vie du quartier. C: Ce n’est pas le tourisme qui a changé. Le quartier est devenu plus sûr. C’est ce qu’on appelle un turnover. Au début ces familles « un peu bobo »,qui tournaient pas mal tous les trois ans, parce qu’on a une petite école maternelle à la place des moulins. Donc ces jeunes familles... tu peux te balader avec les enfants...les laisser en plus...Comme il y a pas de voitures, il y a un côté sécurisant. Donc jusqu’à l’école maternelle, ils restaient là. Dès qu’ils passaient en primaire soit ils restaient dans une école ou à l’époque était en ZEP, zone d’éducation prioritaire, mais c’était des gens qui avaient deux ou trois nouveaux arrivants... Mais l’école était bien encadré là ça a changé, donc il y avait ... on va dire une population de bobo et qui changeait tous les quatre ans. Ces changements ils se font un peu plus au collège maintenant. Donc ce turn-over ça dure tous les dix ans, ça tourne... parce que les collèges qu’ils 32


proposent à côté sont au vieux port... Laisse tomber quoi... donc ils préfèrent changer de quartier. Donc c’est ce qui a permis d’avoir une population plus stable. C’est des voisins pas tous les trois ans, mais dix ans qu’ils sont là. On les voit on partage ensemble... Tu vois les jardinières au Panier, c’est qu’on est plusieurs à commencer cette initiative. A: Si vous deviez définir le Panier... Qu’est ce qui caractérise votre quartier ? C: Géographiquement c’est une situation privilégiée... Tu prends ta voiture, en 10 minutes t’es sur l’autoroute, n’importe laquelle. Euh...tu as la mer, t’as un coup de blues tu vas devant la cathédrale, tu regardes l’horizon. Pour moi c’est beau... T’en a qui se plaignent pour la voiture : « ouais ta voiture elle est garée loin. » A: Vous la garez où ? C: Je la gare à l’autre bout de la rue ça dépend Avoir la voiture en bas de sa maison ce n’est pas un problème pour moi. Le problème c’est quand mon mari ne sait plus où il l’a garée! Parce qu’on a une voiture pour deux. Mis à part tout ça, tu descends à 11h du soir pour prendre ton pain c’est ouvert... Je n’ai jamais eu peur de rentrer tard le soir.

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ANNIE Propriétaire d’un atelier collectif d’artistes depuis 2003. Angélica: Etes-vous propriétaire de ce lieu ? Annie: Oui. Ang: C’est la mairie qui a impulsé tous ces lieux de collectifs ? An: Tous les locaux appartenait à Marseille habitat. Ensuite, ils ont été distribués et vendus à des prix assez intéressants, dont ici pour faire uniquement des lieux artistiques. C’était le but de la rénovation du périmètre du Panier. Il y avait des rues de bouche et ici, toute cette rue faire des locaux artistiques, des ateliers etc. Au départ, il y a eu une politique qui a fait qu’il y avait les locaux qui appartenaient à la ville, et ces locaux n’étaient pas distribués n’importe comment. Fallait faire un dossier, fallait expliquer ce qu’on allait faire etc. Il y avait un groupe qui analysait les dossiers et après ils nous proposaient un local qui normalement... on n’était pas censé acheter. Moi je l’ai acheté mais il y en a d’autres qui l’ont loué. Mais si on faisait des travaux ce n’est pas eux (*la maire) qui payaient. Vu le prix d’achat par rapport aux travaux... Alice: Comment voyez-vous le changement du Panier par rapport au tourisme ? An: En gros depuis 2013, quand on a été capitale de la culture, ça été un tournant. On a vu beaucoup de touristes Japonais, chinois, qui auparavant ne venaient pas. Mais d’une manière générale il y a eu un bon... Ça a drainé beaucoup de monde. Al: Depuis cette année-là, le ressentez-vous encore ? An: Oui on est sur la vague...On profite encore, les bateaux qui passent... Disons que c’est devenu ici incontournable pour les touristes... Il n’ y a pas beaucoup de pôle artistique à Marseille, c’est le seul pôle artistique ici. Parce que bon... Il y a des boutiques de déco, des concepts store... Il y en a... Mais ici c’est plus des créateurs et... voilà. 34


Ang: Vivez-vous au Panier ? An: J’habitais. J’ai habité pendant 13 ans, mais je viens de déménager. Al: Et vous avez ressentis ce changement en vivant ici ? An: Ah oui complètement. J’y habitais, je travaillais ici ...j’étais complètement immergée dans le quartier... Al: Pourquoi avez-vous déménagée aujourd’hui ? An: Euh... Parce que j’en avais marre du Panier. C’est particulier le Panier...Ça m’a plus des années... mais maintenant j’avais envie d’autre chose...c’est une page qui se tourne mais bon...Ce qu’il y a... c’est une ambiance village. Quand vous y habitez, vous connaissez tout le monde, tout le monde sait ce que vous faites, tout le monde connait vos horaires... Voilà. C’est à la fois... Ça peut être dérangeant comme ça peut-être sécurisant. Moi je l’ai vécu comme quelque chose de sécurisant. Ang: L’afflux de touristes, n’as pas changé cette ambiance village ? An: Non. Quand même, non... le soir les touristes s’en vont. Non... ça reste quand même comme un village. Ang: Les touristes viennent plus passer une journée que dormir dans le quartier ? An: Roh... il y en a qui viennent par euh... AirBnB. Donc ils viennent 4-3 jours... 2 jours voilà. Et il y en a qui viennent à la journée. C’est les cars, surtout les italiens qui viennent à la journée voilà. Sinon les gens viennent en famille... Par contre tout ce qui est organisé euh... Ils traversent le Panier mais ne s’arrêtent nulle part, ils sont derrière un guide. Tous les trucs guidés ce n’est pas eux qui font vivre les gens du Panier en tout cas. Eux ils ne s’arrêtent pas. Ils sont toujours pressés. On croit qu’ils vont visiter la vieille charité, quand ils sont devant ils restent devant 5 mn. Ils prennent une photo d’extérieur et hop ils vont ailleurs donc bon... Ang: Par rapport au AirBnB, avez-vous déjà fait du AirBnB ? 35


An: Moi, je n’ai jamais mis mon appartement en AirBnB. Par contre j’en ai loué le mois dernier par quelqu’un. J’avais des travaux chez moi, je ne pouvais pas rester ... j’ai pris un logement, un duplex par AirBnB, pour un mois. C’est un truc qui fonctionne. Sybille (L’une des créatrice du collectif) : C’est ça en fait ça peut être problématique... Pour l’instant ça va dans le Panier. Mais à Lisbonne, Barcelone... Ça devient un problème, les gens qui ne peuvent plus se loger. Tous les gens louent pour du AirBnB parce qu’ils gagnent plus d’argent. Al: Ça ne se ressent pas trop au Panier ? S: Non je ne crois pas... An: Ici non. Y’a pas beaucoup de gens qui louent des trucs par AirBnB. S: Oui c’est vrai... Après peut être que Richard par exemple, voudra louer ses appartement par AirBnB, plutôt que de les louer. An: Oui mais il les utilise pas ses appartements... Y’a personne dedans et il ne les mets pas sur AirBnB. C’est vraiment des appartements vides, non occupés. Ang: Il y en a beaucoup d’appartements non occupés au Panier ? An: Nous on connait quelqu’un qui a pas mal d’appartements vides même pas loué rien du tout... Al: Connaissez-vous autour de vous des gens qui louent par le biais de AirBnB ? An: J’en connaissais une seule, celle à qui j’ai demandé une location pour un mois. Après autrement je sais qu’il y en a mais je ne suis pas très au courant.

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JULIEN Gérant d’une boutique et collectif de créateur. Angélica: Depuis combien de temps êtes-vous au Panier ? Julien: Nous on est arrivé en 2012. Donc juste avant le MUCEM et euh... tout ce qui a fait que le Panier aujourd’hui est devenu ce...un peu ce pôle touristique de Marseille quoi. Au début c’était pas du tout ça quoi. Il y avait ma boutique, il y avait le Céladon, la galerie de poterie et la boutique de « plus belle vie » quoi c’était un peu tout ce qui avait dans le quartier quoi. Ang: Avez-vous vu la transition ? Ju: Oui. On a vu la gentrification du quartier à fond. Ça reste un petit village dans la ville mais de plus en plus y’a des gens qui rachètent des appartements pour faire du AirBnB. Et du coup tu perds l’âme des habitants en fait parce que c’est que du turn-over. Des gens qui passent, qui se mêlent pas beaucoup à la population et qui repartent. Donc... alors qu’avant t’avais des habitants, donc des gens que tu croises régulièrement avec qui sympathiser, des gens avec qui tu partages un bon moment...Donc ouais y’a ce bon coté du tourisme pour Marseille mais y a après aussi un petit peu cette perte d’authenticité du quartier à cause du manque d’habitants dans le quartier.... Parce qu’il y a une spéculation immobilière, parce que...ouais une hausse des prix. Al: Les personnes avec peu de moyens sont donc obligées de partir ? Ju: Oui, les loyers... Des gens qui ont commencé à investir ici donc expulser des gens pour en faire du AirBnB ou des trucs un peu plus... axés sur le tourisme on va dire. Donc ça c’est un peu dommage quoi. Ang: Vous habitez au Panier ? Ju: Oui. Ang: Depuis combien de temps habitez-vous le Panier ? Ju: 5 ans ... 6ans. J’ai trouvé ce local ici, puis j’ai 37


trouvé un appartement à proximité, le confort, le travail. Ang: Comment voyez-vous le Panier avant votre arrivée ici ? Ju: Je suis Marseillais donc je connaissais déjà... après c’était pas le quartier où on venait trainer et personne venait trainer au quartier non plus quoi. Il y avait une sorte de main mise mafia un petit peu. Ang: Pensez-vous que le Panier est aujourd’hui plus sécurisant ? Ju: Je ne sais pas si on pourrait dire vraiment comme ça...Parce qu’en fait avant quand il y avait... les gens en tout cas qui habitaient le quartier ,dans le Panier, qui étaient là depuis toujours je veux dire que même si il y en avait un qui était un parrain ou ce qu’on veut euh il connaissait tous les gens qui habitaient ici donc au contraire il y avait une certaine sécurité même plus plaisante pour les habitants mais euh aujourd’hui ça craint pas plus que ça... Mais bon pour ça ils ont mis plein de caméra il y a des patrouilles qui tournent deux fois plus qu’avant... Voilà c’est une autre sécurité. C’est pas du tout la même chose. Si on se réfère un peu au monde du gangster, la mafia tout ça... c’était une autre mafia aussi . Beaucoup plus respectueuse c’était pas des petits jeunes qui font des arrachées sur les petites grand-mères. Ça c’était impossible à voir quoi... T’avais même le parrain qui venait pour lui défoncer la gueule en disant « mais attends comment tu agresses une petite mamie ».Mais ça fait partie d’une période que je ne connais pas c’est juste des on dit. Al: Votre logement, Vous êtes propriétaire ou locataire ? *Il a préféré ne pas répondre. An: Pratiquez-vous le AirBnB ? Ju: Non. An: Pourquoi ? Ju: Par conviction. Et tous les problèmes relatifs au AirBnB. Les bedbugs, puces de lit... La loi française maintenant pas rapport aux gens qui font le AirBnB, ouais ça m’intéresse pas trop quoi. 38


Al: La loi française fait en sorte que le AirBnB soit plus contraignant ? Ju: Ouais je crois qu’on est limité à 7000 euros/an. Donc les gens qui souhaitent acheter un appart a l’année c’est fini quoi. A la rigueur on peut le faire pour Juillet-Aout. Mais tant mieux comme je vous disais ça limite le truc... Faut voir aussi dans le AirBnB c’est bien pour les familles qui dans un sens n’ont pas des gros moyens et qui peuvent louer un petit appartement, s’acheter à manger au supermarché ... Donc ça coûte moins cher qu’un hôtel et des trucs comme ça donc il y a le bon côté AirBnB mais il y a le mauvais côté de ce que ça induit sur le Panier. Comme je disais tu perds un peu... Ils expulsent des gens qui sont là depuis des années pour la rentabilité pure et dur quoi. C’est même pas chez eux qu’ils mettent en location comme un complément de salaire c’est vraiment un investissement spéculatif où ils achètent, le louent euh...Quand je loue à la semaine je gagne plus quand je loue au mois mais bon ...Je ne suis pas trop pour...

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PHILLIPE & CHRISTINE Propriétaires de deux immeubles au Panier. Ils ont arrêté de travailler pendant un an pour se consacrer à la rénovation du dernier étage de leur deuxième immeuble. Angélica: On est en socio, on travaille sur la vie du quartier par rapport au tourisme, et on pose des questions, aux habitants, aux marchands, aux usagers du Panier pour savoir un peu comment ils vivent tout ça. On a pris comme point centrale le AirBnB. Phillipe: On a commencé justement à en faire un peu cette année, juste là, enfin pas ici (en chantier), mais à côté dans l’immeuble d’à côté. A: Vous avez les deux immeubles? P: Oui on a les deux. Et on a commencé par retaper un appartement de l’autre côté, avec une petite terrasse, qui était sympa et du coup on l’a mis en location sur AirBnB cette année parce qu’on travaille plus alors fallait bien que les sous rentrent. Et on l’avait jamais fait jusque-là, et donc du coup ça a tourné un petit peu cette été. On avait des gens qu’était très biens, contents, en terme d’accueil. Et le gros point positif c’est qu’on a une autre vision de la ville: les gens, qui viennent de l’extérieur, apprécient beaucoup d’être accompagnés. A: Et vous vous habitez ici? P: Ici oui. On a déménagé dans un studio le temps de retrouver quelque chose de plus habitable. En général on loue dans l’immeuble ici, on loue en location normale. Carolina: Donc la location AirBnB c’était juste... P & Christine: Un appart en attendant. Ch: Après c’est pas mal de boulot, faut s’en occuper, faut être là, pour accueillir P: Et puis dès fois on a un appel, comme quoi ils arrivent tout de suite et faut que l’appartement soit déjà prêt. 40


Ca: C’est parce que vous avez mis en location immédiate. P: Souvent on a eu des personnes, on a eu des gens qui ont fait une location et ça s’est annulé sur leur venue sur Marseille. Ils ont reçu un message: « location non disponible » et puis ils se retrouvaient à venir sur Marseille mais sans location, sans point de chute. Dans ce cas ils se voient faire une location en dernière minute. Ch: Et on en a eu d’autres qui ont réservé quasiment à 10h du soir. P: C’est du service... Ce qu’on a pu constater c’est que les gens sont contents. Leur contentement, leurs sourires au départ. A: Et vous allez continuer? P: L’an prochain? On ne sait pas, possible, on ne sait pas. Alice: Donc globalement ça reste dans l’échange? P: Ça reste quand même dans l’échange. A: Ils ne viennent pas comme dans un hôtel? Ch: Non je pense que ce n’est pas dans la mentalité des gens qui viennent en AirBnB. C’est une autre clientèle, de gens jeunes, très jeunes, qui n’iraient pas à l’hôtel de toute façon. A: Et vous vivez tous les deux ou vous avez des enfants? P: Non pas d’enfants. A: Ok, c’était juste pour avoir un profil. Et sinon la vie de quartier vous là vivez comment? Au Panier? P: Ça fait... On est là depuis... 2000, 2001, donc 16 ans, 17 ans qu’on est là. C’est vraiment une vie de quartier, les gens se croisent, se disent bonjour. Y a une grande tolérance entre les gens. Un voisin va faire du bruit il ne va pas forcément être disputé par les autres. Après y a des problèmes mais comme partout, comme toutes les vies de quartier. Al: Les gens se connaissent plus. Et depuis 2013 ou même avant, vous sentez la présence du tourisme en général? P: Ça on sent le changement, on l’a déjà senti au 41


niveau du stationnement, premièrement. Plus de places en générale, remplacement pour les bus, partout, et puis diminution des places par la municipalité qui en réserve pour elle. Avant les gens s’arrangeaient entre eux, quand il y avait une voiture qui venait, ils s’arrangeaient. Maintenant, stationnements payants, moins de places, en mettant maintenant des vigiles qui tournent, ça a changé. Il y a une démarche de la municipalité de mettre des PV partout, là ils vont mettre un système automatisé de PV avec une voiture qui circule et qui prend les plaques. A présent pour garer votre voiture il faut: d’abord sa carte de résident, pour avoir des places moins chères. Mais il n’y a pas de places concrètement. Et donner son numéro de plaque. Parmi les grands changements, ça en fait partie. Ch: On a la vie beaucoup plus compliqué en tant qu’habitant, quand il s’agit de livrer ou autre, on peut plus. Ils ne sont pas tolérants. Al: Et ça vous reliez ça au tourisme? P: Non, pas au tourisme en soit mais au changement organisationnel qu’il y a dans le quartier et qui est lié au tourisme. Ch: Ils veulent rendre le quartier le plus piéton possible. C’est plus propre, j’en conviens, c’est plus agréable, par contre pour les habitants, certains ont une marge éducative à faire si je puis me permettre, mais nous qui essayons de respecter un peu l’espace de vie des autres. P: La place de Lenche est transformée, ça devient une place à touriste, malheureusement. Alors elle avait son charme quand il y avait pas les parasols et encore les arbres. La municipalité a fait raser tous les arbres de la place de Lenche. Tout le monde était choqué. Et une petite année après ils ont fait une replantation d’arbres. C’est dommage car ils se sont fait mal voir alors qu’ils avaient comme projet de replanter, ils ont fait une mauvaise communication. Une affichette, ça aurait été peut être bien. Après au 42


niveau du tourisme, en effet oui il y a de plus en plus de tourisme ici, pour le moment on le vit pas mal, ça va, ça gêne pas trop dans le quartier. Les touristes passent ici, vont au vieux port, voient la vieille charité, le MUCEM, globalement la transformation, je la jugerais plutôt positive. Al: Ok, du fait de l’économie locale? P: Alors nous l’économie locale, on n’est pas des plus impacté même si on fait du AirBnB ce n’est pas notre revenu principal. A: Sécuritaire peut être? P: Non, non, non. Mais par rapport à l’économie locale, je pense que les restaurants sont très contents. J’en voie souvent des touristes. Ch: Au niveau de la sécurité, à part emménager l’espace de manière à recevoir le touriste de manière plus civilisé je dirais. P: On ne se sent pas en insécurité ici, même si y a eu des évènements ici notamment. Mais ça on ne connait pas, on ne veut pas s’en mêler. Al: Donc toutes ces transformations vous les ressentez comme plutôt positives? P: C’est un ensemble, les transformations se portent sur le Vieux Port, sur la Joliette, le MUCEM, le Panier. Globalement on sent que l’ensemble commence à porter ses fruits. Ch: Les rénovations en bas de la Major par exemple. P: Aujourd’hui la Joliette vous vous baladez tranquillement, il y a 5 ans ce n’était pas la même chose. L’ensemble se transforme. Les problématiques sont des problématiques de vies, du stationnement, quand vous revenez le soir y a pas de places, les seules libres sont celles de la mairie alors qu’ils ne bossent pas la nuit, ils pourraient permettre qu’on s’y gare la nuit, ce serait simple, ce serait humain. Ca: Et là par exemple, les parkings du MUCEM, ils n’ont même pas fait un tarif préférentiel. P: C’est des parkings exploités par le privé. Ch: De ce point de vue-là, comment les habitants vont 43


le vivre, ce n’est pas leur soucis. P: C’est la gestion de la pénurie, comment on crée la pénurie. De toute façon ils souhaitent baisser le nombre de voitures. Ce que je comprends, il y a trop de voitures en ville Ch: Mais ce n’est pas le soucis, ce sont les transports en commun le soucis, y’a pas de développement de transport en commun pour aller loin par exemple. Ca: Comme à Luminy ! P: Je mettais autant de temps à aller en voiture au boulot en voiture, du côté de Bonneveine, qu’à y aller en transport en commun. Pire moins de temps, c’est moitié moins de temps. C’est un peu les points sur lesquels il devrait y avoir un effort de portée, qui serait bien vu par les habitants. Al: Oui globalement y a une valorisation du patrimoine mais sans prise en compte des habitants. P: Ben y a une prise en compte... Ch: Disons que le cadre de vie s’améliore donc il y a quand même un impact. P: Après pour le reste, la rue Jean Galant, niveau entretient on en parlera pas. Disons qu’elle est très rarement entretenue, c’est des rues qui sont exclues du périmètre de nettoyage de la municipalité. Une fois de temps en temps, une fois tous les deux trois mois. Ils s’occupent des rues principales. Ici avant il y avait une sortie d’eau pour faire le nettoyage, un jour le robinet fuyait, au lieu de la réparer ils ont verrouillé et mis du béton. Ca: Donc moi le soir, j’arrose comme ça en face de chez moi, je fais mon carré de nettoyage. P: Par contre on connait un peu des voisins, ici et là et se sont des gens qui cherchent à valoriser le patrimoine aussi. Comme nous, qui cherchent à faire les choses bien, à rendre une nouvelle vie à la rue, à l’immeuble. Ca: Vous avez vu toutes les plantes là? Ben voilà ça c’était une initiative locale. P: On a l’intention de faire la même chose ici, les 44


voisins l’ont déjà fait, d’autres veulent le faire en face. Mais vraiment les gens du quartier, ceux qui habitent, ou même ceux qui sont propriétaire ici et qui n’habitent pas forcément sur place, ceux que l’on connait, ils ont une démarche positive sur la gestion de leur immeuble, ils veulent que les immeubles soient bien faits, qui visent à une amélioration et non pas une exploitation. Et ça fait du bien, c’est un très bon état d’esprit. Il y a plus qu’à la municipalité de faire confiance.

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LUCAS Commerçant Brocanteur, sa femme et lui travaillent et habitent le Panier. Angélica : On est étudiante en architecture, à Luminy, dans le cadre de la sociologie, on étudie le Panier, avec ses habitants, les marchands, tous ceux qui font le Panier. Pour avoir leur aperçu sur Marseille, après Marseille 2013 capitale de la culture. On a quelques questions. Déjà est ce que vous pouvez vous présenter? Lucas : Alors je m’appelle Lucas, je suis commerçant dans le Panier, j’ai commencé dans la rue du Panier, tout en haut de la rue du Panier, la rue du Panier qui était complètement à l’abandon depuis longtemps. Depuis j’ai changé trois fois de boutique, je suis à présent au 56 de la rue des Moulins. Pour des raisons très simples: au bout de deux ans de baux précaires on te demande tellement d’argent que t’es obligé d’aller un peu plus loin. Qu’est-ce que je peux dire d’autre... je suis brocanteur, je dis que je suis recycleur affectif, tout simplement parce que je ne fais pas la brocante comme les brocanteurs traditionnels, je ne cherche pas à faire beaucoup d’argent, je cherche les choses qui me plaisent, et si ça me plait pas, je n’achète pas. Voilà, c’est à peu près tout, ça fait 6 ans qu’on est ici avec ma compagne, on est venu s’installer ici, ma compagne a une boutique aussi. On vit de nos commerces. A: elle est aussi au Panier? L: Juste en dessous. A: Ok, c’est celle qui a le bazar c’est ça? L: Oui, elle parle moins que moi, beaucoup moins que moi. A: Ok. Et vous habitez juste au-dessus c’est ça? L: Ouais pas loin ouais. A: Ah pas loin? L: Je ne vis pas au-dessus de la boutique non. Léa: Ah donc vous êtes commerçant au Panier et 46


habitant. [...] En fait, on étudie les effets des AirBnB au Panier. Via notamment les logements qui sont plus pour des temporalités courtes, de tourisme, plutôt que des logements qui seraient pour des baux à l’année. De votre point de vue commerçant et habitant comment vous voyez le AirBnB ? L: Ben si je vous dis qu’en tant qu’habitant je trouve que c’est, et pas que habitant, habitant de la planète, je trouve que c’est d’une tristesse absolue parce que c’est tout le temps les mêmes choses: c’est ceux qu’ont du pognon qui peuvent acheter sans avoir un manque quelconque. Ce pognon-là ne leur manque pas, donc ils achètent un autre truc, ils le mettent à profit et le louent, sans avoir rien avoir à foutre du lieu. Donc c’est même pas en tant qu’habitant du quartier, c’est en tant qu’habitant de la planète. Mais faut pas que tu me branches sur ce genre de sujet, parce que ça amène beaucoup plus loin que ça, tu vois bien comment la société est et ça va être de pire en pire. Un jour, on aura même plus accès à l’eau, plus assez d’argent pour cela. On se battra. A: Donc vous, vous voyez vraiment le AirBnB comme une boite de profits? L: C’est un truc à profit pour moi oui. A: D’accord. L: Après faut pas faire une généralité, ce n’est pas beau les généralités, toutes façons ça marche jamais; c’est jamais productif de faire une généralité. Je connais une voisine qui a eu dans sa vie un lieu en plus. Elle était propriétaire d’un lieu comme celui-là, elle a voulu en faire une boutique mais elle n’a pas l’âme du commerçant. Ça s’invente pas, c’est bien beau d’avoir décoré de machins mais si tu sais pas accueillir, recevoir, ça marche pas. Elle a essayé, ça ne marche pas. Elle en a fait un AirBnB et ça marche. Elle est meilleure pour ça, de faire un endroit très bien décoré, joli, agréable, voilà. Elle te reçoit correctement, mais elle fait pas du commerce quoi, elle ne fait pas ça toute la journée. Après oui si tu veux que je te parle 47


en tant que commerçant, c’est toujours mieux quand y a des gens dans le quartier, évidement. Y a souvent des petits groupes, ou des petits couples ou des copines comme vous qui viennent, qui descendent de Lyon, Toulouse, Bordeaux, Nancy enfin tout ce que les TGV font en direct maintenant jusqu’à Marseille et ça nous a quand même grandement sauvé, ça a bien marché pour nous et heureusement que Marseille a fait un gros effort à partir de 2013. Je n’ai pas envie d’être trop critique: heureusement qu’ils l’ont fait quand même. Ça faisait 50 ans qu’ils branlaient rien, on laissait cette ville à l’abandon, tout le monde le sait, personne ne le dit, on le sait très bien. C’est simplement parce qu’il y avait une sorte de mafia, de mafia politique qu’était plus forte que n’importe où ailleurs. Quand on parle de mafia politique on parle du politicien qui tient les rênes et on parle de ceux qui tiennent les rênes des syndicats, et bien ceux-là, et avec lui et lui, s’ils s’entendent bien tous les 3. De l’argent qu’on donne pour la région, ils réussissent à en récupérer 10% ou même que 3%, mais 3% de 10 ou 15 ou 20 millions, t’as de quoi largement payer une maison à tes enfants, plus une là ou là ou une dans les calanques, etc. Enfin tu t’en fous, puisque t’es politicien. Lé: Vous êtes là depuis 6 ans c’est ce que vous nous avez dit? L: Oui mais je vis à Marseille depuis 17 ans. A: Et vous viviez où avant? L: J’étais un baroudeur, je n’avais pas de lieu fixe. Alors j’avais des parents en villages de vacances; du coup je me baladais entre les villages de vacances, selon les saisons d’été et les saisons d’hivers, donc je pouvais être un coup ici un coup là-bas. Dans ma vie, j’ai vécu en Normandie, à l’ile de Ré, dans les Vosges dans une montagne perdu, à Super Besse, du côté du Massif central, en Corse pendant près de 10 ans de ma vie, à Paris pendant 7 ou 8 ans. Mais si tu me demandes d’où je viens c’est de la Corse, parce que je suis arrivée là-bas j’avais près de 8 ans, j’en suis 48


partie j’avais 16 ans, entre 8 et 16 ans rappelle-toi de tous tes premiers souvenirs, entre 8 et 16 ans y’en a un paquet: première cuite, premier bisou, avec la langue sans la langue, enfin tu vois ce que je veux dire quoi. Lé: 17 ans à Marseille, et pourquoi depuis 6 ans Le Panier? L: Ah ça c’est ma chérie, elle est incroyable. Elle a réussi à me faire faire des choses que je ne ferais plus jamais dans ma vie. Un jour on est arrivé là et elle m’a dit: « moi j’aimerais bien une boutique dans le Panier », je lui ai dit « mais ça va pas, t’es malade dans ta tête, tu sais ce que c’est le Panier? » « Non pas du tout, mais t’es con de dire ça, moi j’y suis allé au Panier, c’est super. » « Ouais c’est ça moi la dernière fois que j’y suis allé, c’était pour une fête du Panier, je crois que c’était dans les 5 premières années où j’étais là, je suis arrivé en 2000, ça devait être entre 2004 et 2008, j’en sais rien. J’ai faillis repartir à poil d’ici ». Le Panier à un moment c’était un petit peu chaud y avait une espèce d’ambiance, une ambiance de village. L’esprit village dans le quartier il existe toujours, on se connait les uns les autres, on s’apprécie ou non, on le sait on le sait pas pour certains, bref... Mais ça reste une petite ambiance de village globalement, c’est quand même très resserrés les uns sur les autres, faut faire attention. Enfin ici c’est pas un village de vacance comme les villages de vacances où j’habitais enfant, ce qui est beau c’est qu’à la fin de la saison tout le monde s’en va, si t’avais pas envie de dire un secret que t’as dis parce que t’avais trop bu, ben à la fin de la saison tout le monde est parti. Là t’habites toujours ici, tu vois ce que c’est un village? Si t’as déjà vécu un village ben c’est ça. Lé: Un village dans la ville? L: Oui un village dans la ville, mais ça toujours été un village dans la ville, parce qu’au paravent c’était un quartier pauvre, la moitié du quartier s’appelait le quartier St Jean, qu’était un quartier qui s’est fait 49


détruire pendant la guerre, par le régime de Vichy... avec les colabos, de façon à pouvoir faire tomber une bonne partie des résistants et aussi parce que c’était un quartier très insalubre et que ça les arrangeait bien de redémarrer, tu sais après la guerre y a beaucoup de choses qui sont facile à refaire après la guerre. Encore faut-il faire table rase de ce qu’il y avait. Ils ont fait sortir les gens du quartier. A: Et donc maintenant y’a qui? L: Y a toujours les même gens qui y habitent depuis longtemps, très très longtemps. Il y a une petite dame ici, elle me disait « ma grand-mère habitait déjà ici. Ma grand-mère elle a connu ce que je te dis. Ils sont sortis du quartier à midi quarante-cinq, avant que ça pète. Ils sont revenu après et ils y ont toujours habité. » Donc t’as ceux-là, t’as les nouveaux arrivants, comme ma compagne et moi. Comme je disais, un jour elle m’a demandé de venir ici, j’ai fini au bout de quelques mois par trouver le lieu qu’est à côté, sur lequel je bavais en plus. Voilà t’as des gens comme ça qui sont venus s’installer ici. Ils sont vulgairement appelé les bobos, je déteste ce terme. Moi on peut m’appeler bohème et encore voilà... Mais de bourgeois non. J’adorerais l’être mais c’est pas le cas. J’aimerais bien. Ne serait-ce que pour pouvoir payer ma maison plutôt que de la louer tous les mois, ne serait-ce que pour ça. Ne serait-ce que pour que quand je demande à mon banquier un crédit pour payer ma maison, il rigole pas quand je lui dis que je suis brocanteur. « Auto-entrepreneur brocanteur, haha vous l’aurez jamais ». Donc voilà des gens comme ça, et puis comme on le disait aussi des gens qui viennent pour une petite semaine, ou un petit week end, de passage. Qui y-at’il d’autre? À si, il y a toute une population d’artistes qui est venue s’installer entre 2002 et 2010, ils ont osé venir s’installer dans le quartier, rester dans le quartier, parce qu’ils cherchaient aussi simplement un atelier d’artiste et qu’ici, une pièce comme celle-ci tu la louais 50


250euros, même pas, personne voulait venir habiter ici. La place des pistoles, elle a été faite y’a pas si longtemps que ça. Ça restait tout un noyau d’habitations tout pourri. Lé: Mais ça veut dire qu’ici, on pouvait accéder au Panier pour une bouchée de pain? L: Mais il fallait oser y rester et fallait savoir s’imposer aussi. Lé: Et depuis Marseille 2013 et la vitrine qu’a voulu faire Marseille du Panier, un quartier dit « bobo », de quartier le plus vieux de France, qu’en pensez vous de tout ça? L: Non la ville de Marseille elle a rien fait du tout, le plus vieux quartier de France ça fait longtemps qu’il y est et c’est pas grâce à eux qu’il y est. Lé: Mais en restructurant le vieux port, le MUCEM, elle a accéléré son attractivité. L: Je suis d’accord, oui, complètement. Lé: Elle a donné accès au Panier, est ce que les loyers se sont vus augmenter? L: Evidement, les gens qui viennent habiter, qui ressemblent à mon couple, avec qui on s’entend très bien très rapidement, le jour où ils ont envie d’acheter, et qu’ils en ont les moyens, ils partent. Ils vont tous acheter du côté de Longchamp. Parce que là-bas le prix du m2 c’est le vrai prix du mètre carré. Ici ça s’envole. Là, en ce moment, je connais un appartement, il fait pas plus de 70 m2, même moins, entre 60 et 70 mètre carré, ça vaut 320 mille euros, enfin 320 mille euros, de ce côté t’as une vue sur toutes la baie, la côte bleu, et là sur notre dame de la Garde. Tout ça pour dire quoi, je suis tout à fait d’accord avec toi quand tu dis que la ville à voulu en faire un quartier attractif et qui d’un côté s’embourgeoise. La ville a enfin décidé de se bouger les fesses pour redonner un peu de brillance à ce quartier, et je dirais qu’elle l’a fait avec beaucoup de lenteur, tranquille. Ce quartier, qu’est-ce qu’il l’a fait changer? Qu’est-ce 51


qu’il l’a emmené dans ce périple-là? Comment ce quartier a pu être autant détesté par les Marseillais? Ces gens à qui, quand je leur demande « vous êtes de Marseille? » et ils me disent « oui », « ça fait longtemps que vous n’êtes pas venus là? » « 30 ans » « Et pourquoi? » « Parce que ma mère et mon père m’interdisaient d’y mettre les pieds, nous n’avions pas le droit de venir dans ce quartier, c’était interdit ». En même temps tant que tu n’habites pas là et que tu n’es pas à l’intérieur de ce microcosme où que tu es un petit peu blindé, tu peux avoir peur. Mais en même temps y a d’autres choses qui se passent. Un client est venu dans ma boutique, il me dit qu’il a 60 ans, qu’il est né là dans la rue, en dessous là de la rue du petit puits, il me dit je suis né chez moi comme ça se faisait à l’époque. Entre 8 et 12 ans, il descend en bas de chez lui pour descendre la poubelle, comme ça se faisait à l’époque, sauf qu’à cette époque, t’as pas des lumières à tous les 5m, qui t’éclaire parfaitement comme en plein jour. Donc il est un petit peu dans le noir jusqu’au moment où il met sa poubelle, il me dit « je sens une main sur mon épaule, évidement je suis terrifiée, je me retourne, et là j’ai encore plus peur: je vois un homme, grand, avec une cagoule noire, et à la main un flingue, et qui me dit « Antoine qu’est-ce que tu fais dehors, remonte vite à la maison » je fais demitour, je vais vers ma porte mais le monsieur va dans le même sens que moi, j’ai peur mais il me passe devant, juste avant la porte, il continue son chemin, je le regarde. » Il me dit qu’il le voit avancer vers le bar, il rentre dans le bar, il ouvre le bar, il fait « pan pan, pan pan », le môme il est comme ça, il y croit pas, la personne avance vers lui le regarde et lui dit « qu’estce que tu fous ici, je t’avais dit de remonter Antoine dépêche-toi » il remonte chez lui, il explique le coup à sa mère, sa mère le gifle: « je te préviens tu n’as rien vu, t’as compris? ». Ça vient de là, ce genre de petites choses. Le mec, il le connaissait. Pourquoi? Parce qu’Antoine, sa mère et son père ils ne revenaient pas 52


à la maison avant je ne sais pas quelle heure. Alors quand il finissait l’école il vivait dehors, la porte ouverte, chez la voisine, tout le monde était bien cadré, ses parents ne voulaient pas revenir là-dessus. A force, qu’est ce qui s’est passé, personne voulaient venir habiter ici, ceux qui y venaient n’avaient pas d’argent et acceptaient de venir vivre dans des immeubles insalubres. Parce qu’avant, oublies de faire passer ton frigo Américain ou ton canapé en angle dans les escaliers. Donc dans les années 80, Mitterrand passe et dit « Bon, celui qui rachète un vieil immeuble et qui refait des travaux dedans, sera exonéré de charge et celui qui y vit, pendant 10 ans, sera exonéré de patati patata ». T’achetais un immeuble de 4 étages entre 60milles francs et 110milles francs. T’imagines, même toi et moi on peut s’imaginer être propriétaire. Donc les gens qui n’ont pas les moyens de s’offrir un 8ème étage dans Marseille, ben tout d’un coup ils peuvent s’acheter un immeuble et en se faisant, la dernière terrasse tout en haut. Est-ce qu’on peut les appeler des bourgeois ceux-là? Ils se sont donné les moyens pour vivre d’une façon très agréable dans le quartier du Panier. Tout un tas de choses ont été faites et donc il y a une nouvelle génération, un style de gens qui reviennent dans le quartier. Ça a beaucoup changé par rapport à une chose, le quartier du Panier c’est un triangle: le port, le MUCEM, les terrasses du vieux port, la République. Le port qui était tout pourri et tout ça, tout refait, le J1 de l’époque tout refait, la République qui avait été laissé à l’abandon... Donc tout d’un coup, ce quartier triangulaire, tout en haut d’une côte, pleins d’escaliers, où on a un peu peur, on ne sait pas trop, les immeubles sont un peu dégueux, les gens on sait jamais... Ce quartier du bout, où on n’allait pas, ça devient le quartier du milieu. Ce qui fait que quand t’habites là et que tu travailles là, tu ne vas pas faire le tour, tu vas monter puis redescendre. Peut-être au début parce que t’auras peur etc. Mais une fois que 53


t’auras compris que passer par ces petites rues c’est tellement plus agréable et qu’en plus tu t’arrêtes ici à la place des moulins pour lire ton bouquin. Ben ce quartier redevient vivant par simplement le passage. D’un quartier du bout on est passé à un quartier du milieu et ça, ça change tout. L: Alors une autre question, dites-moi tout? J’en ai trop dit, vous n’arrivez plus à me demander. Lé: Non c’est parfait. Ben si on peut recentrer par rapport à ce système d’AirBnB, on a cette double vision. Admettons que vous ayez les moyens d’acheter un immeuble et de le louer, vous préférez le louer à l’année ou en AirBnB? L: Le louer à l’année. A: Pourquoi? L: Parce que c’est plus dans ma façon de faire, dans mon esprit. Le louer en AirBnB tu cours à travers quelques choses derrière lequel j’ai plus envie de courir moi. Si je fais de la brocante par exemple c’est que j’ai plus envie d’aller acheter chez Ikéa. Ma femme elle adore que je l’emmène une fois de temps en temps, maintenant je lui ai dit si tu veux y aller, tu fais comme tu veux, mais tu te démerdes. Parce que moi je ne veux plus acheter des choses qui ont un temps donné de vie et qui vont mourir. Regarde ça c’est plus vieux que toi c’est même plus vieux que moi. Maintenant on fait des choses pour que ça disparaisse. Pour moi AirBnB c’est faire des trucs pour que ça disparaissent. Tu cours après le pognon, tu vois ma décoration faut qu’elle soit impeccable parce que tu comprends si je veux toucher tel ou tel personnes de Paris il faudrait qu’il y est ça et ça. Ah c’est bon je n’ai pas envie, en plus c’est courir après le mec qui te dit « j’arriverai ce soir à 21h », mais comme son train arrive à 21h10 et qu’en descendant sur le port il a trouvé ça trop cool et qu’il s’est arrêté pour manger un plateau de fruits de mer, « bon ben excusez-moi d’arriver à 23h45, ça va je vais vous donner de l’argent ». Alors ça je ne supporte pas, le 54


mec qui fait ça il se prend un taquet et dort dehors, parce que ça c’est de l’irrespect, et ça arrive tous les jours à des gens qui font du AirBnB, que je croise ici et qui me disent « Hé bien j’attends », c’est payé, alors on te doit quelque chose. Lé: C’est payé, alors que le couchsurfing, c’est de la rencontre, y a pas d’argent en compte. L: Ah oui ça ça se fait dans le monde entier c’est ça? Tu reçois quelqu’un et donc tu peux être reçu n’importe où à l’étranger. Lé: Sauf que du coup y’a un autre rapport, une autre relation entre hôte et visiteur. Sauf qu’il y a de plus en plus le phénomène ou justement, les gens qui faisaient du couchsurfing se mettent au AirBnB, le AirBnB, il a des effets néfastes. Ce qui nous y a fait nous y intéresser c’est que justement des gens ne peuvent plus se loger car plein d’appartements sont loués en AirBnB L: Complètement. Après y a aussi pleins de choses. Là on est en train de parler d’une façon très objective de regarder de notre côté, assis peinard au chaud. Maintenant si t’es propriétaire et que ça fait 20 ans que t’es propriétaire et que tous les ans je le vois passer comme ça, énervé et tout, « Ah me parle pas maintenant, c’est pas la peine, déjà j’ai faillis l’enculer là. » « Oh je peux t’aider, je peux faire quelque chose? » et en gros il a été obligé d’aller dans son immeuble là-bas, pour virer des gens qui s’étaient installés, en cassant la porte d’en bas et qui s’installe et ça y est ils sont chez eux. Alors maintenant on se met du coté du locataire « Oh le pauvre locataire, il avait pas moyen de faire autrement » après dans ces cas-là t’en finit plus, dans ces cas là faut pas être propriétaire. Tu vois ce que je veux dire? C’est vachement difficile de se positionner, auprès de qui tu te positionnes. Là Lucien je le connais bien, c’est un chouette bonhomme, t’as besoin d’un coup de main, tu lui demandes. Là il pète un plomb, qu’est-ce que tu vas lui dire, tu vas lui dire « faut pas? » Comment tu sais? T’es pas à sa 55


place, tu le vis pas. Je lui ai dis « mais pourquoi tu t’énerves comme ça? » « Ça fait deux semaine que je viens les voir et que je leur dis sortez s’il vous plait, je vais me mettre en colère vous avez pas peur de moi parce que je suis fin comme un clou mais quand je m’énerve, je deviens fou. » C’est vrai, il est connu dans le quartier pour que, quand il s’énerve il devient fou, tu l’arrêtes pas. Donc il le sait, il se tient, mais ça n’as pas tenu. Il est venu avec sa masse, il a pété la porte et il a dit « t’as 3 minutes pour sortir, vite, vite » Et voilà, il a fait sortir tout le monde. Il me dit tu te rends compte je me suis énervé devant un père, une mère et leurs deux enfants. Tout ça pourquoi parce quand j’appelle la police, ils me disent ouais mais... ». Lé: Du coup ça le remet en question sur est-ce que ce bien-là il veut le louer? L: Evidement. En plus la plupart du temps, c’est affreux de le dire mais c’est la vérité, tu tombes pas sur un petit couple de français bien comme il faut, bien comme on les aime. Du moins comme l’entend la société. Du coup comme la plupart du temps c’est d’une population ou d’une autre qui va être de couleur hé bien tu vois ça va vite chez le marseillais... Au début je ne comprenais pas ce genre de discussion que tu peux avoir avec certains marseillais, l’Algérien n’a pas une très très bonne réputation à Marseille. Maintenant, je sais à cause de quoi. Mais c’est toujours une toute petite minorité qui fait du mal à une grosse majorité. Comment tu fais par rapport à ça... Alors bon ben du coup, parler du AirBnB, ben voilà... Et pourtant quand je pars en voyage je regarde s’il n’y a pas des AirBnB... Tu vois je me suis pas positionné ni pour l’un ni pour l’autre puisque je vous ai répondu en tant qu’être humain et en tant que commerçant. Oui j’aime bien le vendredi soir quand j’entends les roulettes du sac sur le pavé et qu’en regardant par la fenêtre je vois le gars avec son GPS, bien sûr je me dis à c’est cool, on ne va pas être tout seul. J’aime pas quand y’a personne dans les rues, c’est tristounet, 56


déjà tu te gèles dans la boutique avec la porte ouverte mais en plus t’as personne. Donc c’est difficile de se positionner comme ça, mais je pense que de toutes façons ça a un côté très négatif, quoiqu’il advienne. Alors ça veut dire dans c’est cas là qu’est ce qu’on fait alors? Il faudrait faire un peu plus d’hôtel, mais comment remettre l’hôtel à niveau humain? Parce que c’est ça qui nous manque, pourquoi on va plus dans les hôtels? Pourquoi on préfère les AirBnB? Parce qu’on a tout d’un coup le moyen de faire un petit confort: être au chaud et se remplir le ventre. Lé: Et puis se sentir habitant du quartier. L: C’est vrai. Et dès fois c’est tomber sur un lieu atypique, avec un petite terrasse, une vue. Lé: On se sent habitant pendant une semaine. A: Alors que l’hôtel c’est beaucoup plus aseptisé. L: Ben ouais. J’ai des amis de ma compagne qui sont venus l’autre jour. Première chambrée qu’ils ont, juste accolés à la caisse où il y a le moteur de l’ascenseur. Au secours. Chose qui ne te donne plus jamais envie de prendre un hôtel. Bon, vous avez ce qu’il vous faut? A & Lé: Oui, vous nous avez donné plein d’informations. Merci beaucoup.

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BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES AUGÉ Marc, Non-lieux–Introduction à une anthropologie de la sur-modernité, Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1992. HARVEY David, Brève histoire du néolibéralisme, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2014. PAQUOT Thierry, Le Voyage contre le tourisme, coll. « Rhizome », Etérotopia, 2014. Plan Bleu, Centre d’Activités Régionales de l’ONU Environnement / PAM, Cahier 17: Tourisme durable en Méditerranée : Etat des lieux et orientations stratégiques, Mai 2017. ARTICLES AFP, AirBnB: la Catalogne impose une taxe, 15.07.2017, www.lesechos.fr, consulté le 02.01.2018. ARSENAULT Claire, AirBnB: hors-la-loi à Berlin, d’autres villes tentent de mettre le holà, 23.04.2016, www.rfi.fr, consulté le 02.01.2018. BARTOLI Henri, La mondialisation doit être gouvernée, Revue Quart Monde, N°175: Mondialisation et pauvreté, 2000, disponible en ligne sur www.editionsquartmonde.org, consulté le 02.01.2017. BARUCH Jérémie, FERRER Maxime, MOTET Laura, TRAVERE Audrey, Comment Airbnb a investi Paris et l’hypercentre des grandes villes, Les Décodeurs, 04.08.2017, www.lemonde.fr, consulté le 06.10.2017. 58


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