— Numéro cinq —
Conte de la folie forestière Dissimulée dans les fourrés de la profonde forêt, la jeune fille restait figée. La tête enfoncée dans les feuillages, elle guettait. Vêtue de fourrures diverses, son immersion dans les bois était quasi parfaite. Ses genoux s’enfonçaient dans la terre humide et ses mains étaient glacées. L’odeur de musc associée au froid de l’hiver lui piquait les narines. « C’est ici que je ferai mes quartiers » pensa-t-elle, en jetant un dernier regard circulaire pour s’assurer une fois pour toutes qu’elle était effectivement à l’abri. C’était l’endroit idéal. Elle se releva alors lentement, puis sorti de sa cachette. Elle avait adopté avec rigueur la démarche du renard, légère et gracieuse, comme pour mieux incarner le pelage qui lui pesait sur les épaules. Là, entre quelques hauts pins sombres, elle s’assit, sorti son calepin, ses crayons. Elle chercha une page encore vierge et se mit à écrire : Quelques points essentiels en vue d’une évolution de qualité. Point un ; gardons le style, gardons l’humour. Point deux ; Davantage de bateaux, de plantes carnivores, de cygnes… davantage de couleurs. Elle se gratta vivement la joue, une fourmi s’y promenait. Point trois ; les illustrations seront dorénavant regroupées en début de fanzine, afin de les distinguer. Point quatre ; nous aurons un almanach, L’Almanach du Cheval, à chaque numéro. Puis à voix basse, elle ajouta en riant « à ne pas confondre avec l’Almanach de la lasagne ! ». Elle prit une grande respiration, renfonça sa chapka de lapin un peu plus profondément sur sa tête et inscrivit : Point cinq ; débarrassonsnous de l’inutile ; la rubrique du chien, poubelle ! De toute façon, elle préférait les renards. Un petit sourire lui froissa les joues, elle était déjà satisfaite. Les hauts troncs dénudés formaient une audience silencieuse autour d’elle et se manifestaient parfois par le craquement de leurs branches, comme pour indiquer leur impatience. La nuit tombait, elle ne vit bientôt plus les mots inscrits dans son carnet. Il fallait presser le pas, finir ce papier était indispensable. Point six, pour ce numéro, nous présenterons une compagnie de théâtre, quelque chose d’inattendu. Elle avait déjà une idée sur la question. Point sep… la jeune fille n’eut pas le temps de poser la lettre T qu’un souffle chaud lui caressait la nuque et qu’un frisson incontrôlable s’emparait de son dos. Elle lâcha son calepin, son crayon et se retourna brusquement. Devant elle se dressait la bête, majestueuse et effrayante. Ses petits yeux noirs et la vapeur qui se dégageait de ses naseaux lui glacèrent le sang. Tout, de ses griffes à ses dents, indiquait une fin douloureuse et inévitable. La proie humaine fit un pas en arrière, si lentement que l’ours demeura immobile. Il l’observait de toute sa lourdeur, l’air à la fois menaçant et interrogateur. Avec adresse, elle sortit de son manteau un couteau à grande lame et vint le planter de toute sa longueur dans la chair de la bête, qui rugit alors si fort que les arbres alentour en tremblèrent. Dans un dernier râle, l’animal s’effondra et souilla les feuilles mortes de son fluide rougeâtre. Elle détourna le regard quelques instants puis leva la tête au ciel. La nuit était bien là, les arbres n’étaient désormais plus que des silhouettes et seuls les yeux de l’ours brillaient encore à la lueur de la lune. Elle se rassit alors dans l’obscurité, attrapa son calepin et conclut, imperturbable : Point sept ; pour le prochain numéro du Dévaloir, nous apprendrons à mieux nous camoufler. Laura Morales / Mars 2013
VANESSA BESSON
Camouflage n.m. 1. Méthode de dissimulation permettant à un organisme visible ou à un objet de passer inaperçu en se fondant dans un environnement. Dévaloir n.m. Suisse.
Ressac n.m.
1. Couloir dans les forêts de montagne, servant à faire descendre les billes de bois. SYN. : châble 2. Le Dévaloir est un fanzine lausannois d’une cinquantaine de pages de friandises oculaires, dont des portfolios d’artistes suisses, des illustrations à la pèle, une bande dessinée, une interview, des chroniques, beaucoup d’amour, un peu d’humour, le tout est GRATUIT et n’attend qu’une seule chose : se retrouver chez vous !
1. Agitation de la surface marine, résultant de l’interférence de la houle et de sa réflexion contre une côte ou contre les obstacles qu’elle rencontre. SYN. : vague 2. Le Dévaloir est édité par l’association Ressac. Cette association a été créée le 19 février 2012 par Anaëlle Clot, Laura Morales et Vanessa Besson. Elle a pour but de promouvoir les artistes suisses par le biais notamment de publications et d’événements mais également de démocratiser différents moyens d’expressions artistiques en les rendant accessibles au plus grand nombre.
Site : www.ledevaloir.ch Blog : www.ledevaloir-blog.tumblr.com Facebook : www.facebook.com / ledevaloir
N°5 CAMOUFLAGE
Couverture Laura Morales
5
Louiza Becquelin
www.louiza.ch
6
Camille Vallotton
www.vamille.tumblr.com
7
Albin Christen
www.albin.ch
8
René Zumstein
www.steinwurf.tumblr.com
9
Anaëlle Clot
www.anaelleclot.ch
10 Raul Bortolotti www.mosquitostudio.tumblr.com
11 Aseyn www.aseyn.fr
12 Flocon Errant
13 Karen Ichters www.urka.ch
14 Laura Morales www.lauramorales.ch
16 Dennis Moya www.dennismoya.ch
17 Portfolio BlackYard www.blackyard.ch
32 La Grille www.lagrille.ch
38 Anaëlle Clot 39 Serge « Lowrider » Nidegger 40 Carte blanche Texte Salomée Taramarcaz www.foxtrotetgaudriole.blogspot.ch
42 Apéro paintball ! www.theatre-arsenic.ch
46 BD Half bob www.blogs.lesinrocks.com / gimmeindierock
48 L'Instrument
Illustration Laura Morales
49 L'almanach du cheval
Texte Laurent Cheval
50 Fix
Photo Vanessa Besson
51 La Recette
Illustration Anaëlle Clot
52 Distribution et soutiens
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BlackYard est constitué de 4 designers, graphistes / illustrateurs dans la force de l'âge, ayant acquis leurs aptitudes au travers de différentes carrières professionnelles. En 2009, ils fondent leur équipe et installent leurs bureaux dans le quartier pittoresque de « Matte », au centre de Bern. Leur principal champ d'action est l'illustration et le design graphique, activités effectuées avec le plus grand soin apporté aux détails. Les BlackYard aiment croquer, dessiner et encrer à la main, avant d'utiliser la machine pour fusionner les différentes couches et textures, préparant le visuel pour l'offset ou la sérigraphie. Posters, illustrations, logos, pochettes d'albums, ainsi qu'œuvres originales et objets customisés ont conquis, en Suisse et au delà, un public large qui accompagne les BlackYard dans leur progression. www.blackyard.ch
Philipp Thรถni
Jared Muralt
Christian Calame
BLACKYARD
Silvio Br端gger
Le Dévaloir et la Grille Lorsque nous avons participé, pour la première fois, à une convention d'éditions indépendantes, nous avions besoin d'un sérigraphe afin de réaliser divers produits que nous pourrions vendre à notre stand aux côtés du fanzine que nous présentions. On m'a donné le contact de Thomas Mottet, sérigraphe indépendant travaillant pour La Grille à Yverdon-les-Bains, et fondateur de la marque de T-Shirts « Som Tee ». Ainsi, je lui ai rendu visite à son atelier, un petit lieu plein de belles choses dans tous les coins, très coloré, et c'est autour d'une bière qu'a commencé notre collaboration ! Par la suite, Thomas nous a soutenu dans notre projet, c'est l'occasion de lui dire merci ! Pendant ce temps, Laura rencontrait par hasard dans le train Julien Kolly, également fondateur de la galerie et directeur de l'agence de communication « vingtneuf degres » à Fribourg. Alors qu'elle mettait quelques fanzines dans des enveloppes, un inconnu (Julien) s'assit en face d'elle et lui demanda : « C'est toi qui fait ça ? Je peux voir ? » et voilà, La Grille devenait lieu de distribution pour le Dévaloir ! On avait presque bouclé la boucle... Nous avons donc convenu de consacrer quelques pages bien méritées à cette petite galerie aux grandes ambitions, qui a déjà conquis bien des artistes, mais aussi une palette de gens de tous bords et tous horizons. L'art accessible à tous ! C'est aussi notre devise.
En 1991, Julien se met au graffiti. Etant passionné par cette discipline et côtoyant des gens très actifs et doués dans le domaine, il décide de mettre en avant les artistes qui l'entourent, jugeant que ses propres créations ne sont pas à la hauteur de ses attentes. Sa première expérience en tant que galeriste se met en place en 2006 au Théâtre Nuithonie à Fribourg. Le gérant des lieux met à sa disposition un espace d'exposition qu'il ne peut malheureusement pas exploiter librement. Le choix des artistes doit être validé, les murs ne peuvent pas être repeints, et aucune commission sur les ventes n'est possible. Malgré ces contraintes, il organise sa première exposition en présentant le travail de l'artiste et ami Dare*. La collaboration avec ce dernier lui donne aussi accès à des artistes internationaux. L'expérience durera quatre ans pour Julien, avec dans un coin de son esprit le projet d'ouvrir sa propre galerie. En juillet 2009, Thomas lui propose un espace d'exposition à Yverdon. Il accepte et Thomas et lui s'associent avec Joan Muriset, qui s'occupe de l'administration de la galerie. C'est ainsi que deux mois plus tard la Grille s'est ouverte et la machine est lancée ! * Sigi von Koeding alias Dare / 1968 - 2010 / Bâle « Oser être différent » – Il a été et est toujours une référence pour d'innombrables artistes et graffeurs(euses). Son écriture était l'expression de sa personnalité. Il est le premier à avoir questionné et révolutionné les codes du graffiti en utilisant de nouveaux supports et techniques pour pratiquer son art : toiles, objets, bois, métal, peinture aérosol ou acrylique en spray... revisitant à chaque fois ses créations sans compromis.
LA GRILLE / FÉVRIER 2012 / EXPOSITION DE MADC / © MARCO PROSCH
VITRINE DE LA GRILLE / FÉVRIER 2012 / EXPOSITION DE MADC / © MARCO PROSCH
Ce n'est pas tout d'avoir un lieu, il faut également avoir les moyens d'en habiller les murs et de faire tourner la machine. Le trio a su gérer brillamment la combine avec un concept novateur et unique !
ALËXONE / SÉRIGRAPHIE A2
Le questionnement de base se présentait ainsi : Comment concevoir une galerie qui sert l'artiste ? Comment gagner de l'argent pour les expos sans en prendre à l'artiste ? Pari tenu, et c'est réussi. Je reprends les mots de Julien : « La galerie ne prend que 10 % de commission sur les ventes d'œuvres d'art, mais elle produit une sérigraphie originale et exclusive limitée à cinquante exemplaires et toujours vendues au prix unique de 80.- ». Ce principe est donc appliqué à chaque nouvelle exposition et l'artiste exposé offre un visuel à la galerie qui est imprimé manuellement par Thomas. Grace à ce concept, la galerie nous propose une expo sublime au rythme effréné d'une par mois ! Franchement, chapeau. www.lagrille.bigcartel.com
FÉVRIER 2013 / VERNISSAGE D'ALËXONE / © MARGAUX KOLLY
ATELIER DE SÉRIGRAPHIE DE THOMAS MOTTET / © GEOFFROY DUBREUIL
Un carnet d'adresses bien fourni, ça aide ! Comme mentionné plus haut, Julien a eu accès à des artistes internationaux notamment par le biais de Dare, mais également grâce à ses expériences. Ensuite, ils sont passionnés et avides de nouvelles découvertes et les passionnés ça n'arrête pas de chercher de fraîches friandises occulaires à se mettre sous la dent. Se sont même les artistes qui viennent à eux. Il faut dire que c'est un peu le paradis des artistes ! Et donc la sélection est simple, il faut que ça plaise, que ça leur plaise, et surtout, le plus important : le feeling. Des artistes de grande renommée ont déjà exposé à La Grille : Dare, Alëxone, Swet, Grems, Flying Förtress, Smash137, MadC, Rosy One, Dave the Chimp, Honet ou encore Tilt. C'est grâce à cette renommée qu'ils peuvent présenter parmi les artistes des gens moins connus et non moins talentueux !
Du 2 au 30 mars 2013 Qui aurait pu prévoir cela ? Une civilisation future fait surface dans le présent. Formes, symboles et objets jusqu’alors inconnus de tous sont les seuls témoins de son existence. De quand datent-ils ? De quels messages sont-ils porteurs ? Quel est notre rôle ? Tant de questions qui passionnent deux chercheurs, qui n’ont pu jusque là déchiffrer qu’une infime partie de ce mystère. www.thtfcollective.com
Du 6 au 27 avril 2013 SatOne est illustrateur et artiste freelance à Munich, originaire du Venezuela. Formé au design graphique, il découvrit le graffiti tôt et développa sa propore griffe de manière intensive. Un vocabulaire formel, un mix fascinant entre technocracy et mondes imaginaires. www.satone.de
© FILIPE FERREIRA
Du 4 au 25 mai 2013 Angela Ferreira, aka Kruella D'Enfer, est une artiste portugaise née une nuit orageuse d'Halloween. Cela pourrait expliquer le monde étrange, surréaliste et complexe qui habite son esprit. Au moyen de pinceaux, markers et bombes de peinture, elle dépeint les personnages et les histoires qui surgissent de sa tête. www.kruelladenfer.com
Anaëlle Clot
La poste nous a amené aujourd'hui une immondice cartonné à la mocheté jamais égalée. Comment expliquer que les faire-part de naissance soient nécessairement des atteintes à la décence et au bon goût ? Ça doit être l'ocytocine qui leur pète la tête. Il paraît que le cerveau des femmes enceintes sécrète une hormone qui modifie leurs moeurs. Elle rendrait - entre autres - plus mièvre, plus résistante à la douleur et plus agressive envers qui refuse de coopérer. L'attentat visuel prend alors tout son sens. Mièvre : je veux un nounours lilas qui annonce le prénom du bébé sur le faire-part. Résistante à la douleur : je ne souffre pas à la vue d'un nounours lilas qui parle. Agressive envers qui refuse de coopérer : chéri, c'est ça ou tu te prends un coup de bide dans la gueule. Et voilà comment le projet un peu fou d'une peluche couleur fantaisiste dotée de parole, arrive dans notre boîte aux lettres pour nous dire que Lili a expulsé son marmot. Il s'appelle Guy. À part le fait qu'il peut prononcer son prénom âgé d'une heure, je ne vois pas l'intérêt d'appeler son fils Guy. En même temps, ça doit être un casse-tête inimaginable de trouver un prénom. Je dois moi-même mon prénom à une série que mes parents affectionnaient à l'époque. Il y avait Scooby-Doo, mais, pour des raisons que je peux comprendre, ils ont jugé inopportun de s'inspirer d'un cabot rigolo pour nommer la chair de leur chair, le fruit de leurs entrailles. En revanche, me nommer d'après un feuilleton où quatre vioques bavent de bonnes blagues sous leur choucroute immobile leur a paru tout à fait charmant. Ainsi, chaque jour je suis l'heureuse représentante de Blanche, « aristocrate sudiste nymphomane d'Atlanta » dixit le réalisateur, mais « super nana débrouille et accueillante » aux yeux de ma mère. C'est touchant de la voir si ingénue mais des fois j'aimerais qu'elle arrête de croire que Gainsbourg parlait vraiment de sucettes à l'anis. Parfois je me demande comment elle a pu se mélanger à papa physiquement. J'imagine mon père avec encore des cheveux lui proposer de passer chez lui pour une partie de jambes en l'air endiablée. Au moment venu, le fébrile soupirant ouvre la porte à sa dulcinée, s'attendant à voir une nymphe lascive drapée de soie... Et là, que voit-il ? Une femme grenouille, fine prête pour un warm up. Coiffée d'une casquette portant le nom d'une assurance maladie, ma mère travaille déjà ses montées de genoux. Elle inspire par le nez et expire par la bouche, ne contenant plus sa réjouissance pour ce qu'elle avait compris être une soirée choré d'aérobic. Mais, surprise ! Ce qu'attendait la jouvencelle ressemblait moins à une danse qu'à une partie de bilboquet sans les mains... Touc touc ! Extrait de Foxtrot et Gaudriole par Salomée Taramarcaz
De la philosophie à air comprimé C’est à l’occasion de la réouverture partielle de l’Arsenic, en novembre dernier (après des travaux de transformation) que le Dévaloir a voulu consacrer quelques pages à ce théâtre lausannois et à sa programmation riche et pleine de surprises. Focus sur un des spectacles à l’affiche du mois de janvier 2013 et qui tombe à pic avec notre thème du camouflage : Apéro, Paintball et Dimanche Après-Midi, un spectacle de Marie Fourquet et Philippe Soltermann. Nous sommes donc un dimanche soir. Et au lieu d’aller au cinéma ou de jouer aux cartes, et bien nous sommes allées assister à un match de Paintball. C’est dans les entrepôts de l’Arsenic, au cœur de Lausanne, que la magie opère. Un terrain de paintball est reconstruit, grandeur nature, à l’intérieur de l’endroit. Des copeaux, des planches, des tâches de peinture encore fraîches forment un chaos organisé, un champ de bataille, en somme. Il va sans dire que les spectateurs restent quelque peu circonspects en franchissant les lieux... En effet, il n’y a pas de sièges, ni de scène. « Enfin quoi, c’est pas un théâtre ! Je ne vais tout de même pas poser mes fesses dans cette crasse, non ?! » diront certains. Pourtant, cette rupture, que dis-je !, cette fusion entre public et comédiens, propre au théâtre de situation, permet une appréhension toute différente du spectacle. Tout est plus réel, les comédiens plus proches, les voix plus fortes, les émotions plus vives. Voilà pour ce qui est de la forme. Le fond, quant à lui, est à mille lieux de ce qu’on pouvait imaginer. On découvre nos deux protagonistes, amis de longue date et fervents pratiquants du paintball – une religion à part entière – dont l’un veut soudainement arrêter l’activité. Démarre alors un long débat sur la vie, l’ennui, le rêve, le doute, la passion, la mort. Autant de questionnement hautement philosophiques et si propres à notre société moderne, débattus par deux brutes habillées de pantalons militaires et de t-shirts souillés, prêts au combat. C’est touchant et comique à la fois. Le spectacle atteint son paroxysme lorsque les deux hommes s’engueulent – puis se réconcilient – avant de se lancer dans une guerre sans merci à coup de fusils à air comprimés et de billes de peintures explosant de part et d’autre de l’entrepôt. Un vacarme assourdissant. Puis, soudain, silence. La pièce se termine dans le calme… par un enterrement. De quelle meilleure façon achever un spectacle traitant de la vie ? L’homme qui a perdu la bataille est enterré – selon les rituels du paintball – dans les copeaux. Ce sport n’est plus alors qu’un prétexte pour illustrer les aspects de l’homme tels que le courage, la haine, la fierté, la franchise ou encore l’amour. Les textes sont merveilleusement écrits et éloquents, les décors soignés, la mise en scène originale et parfois comique, bref, un spectacle intense duquel on ne ressort pas sans taches. « Mais c’est de la peinture biodégradable qui part à la machine ! » affirmera le metteur en scène. Soit !
DE GAUCHE À DROITE : FRANÇOIS KARLEN, FRÉDÉRIC OZIER / © DAVIDE GOSTOLI
Nous avons eu la chance de rencontrer Philippe Soltermann pour nous parler du spectacle et de la compagnie Ad-Apte. Brève présentation personnelle… Quel est votre parcours ? Je suis auteur, metteur en scène et comédien. J’ai fait ma formation à Lassaad (école de théâtre) à Bruxelles. La pédagogie est inspirée de Jacques Lecoq (Paris) qui est sur une logique de création, plutôt que d’interprétation. À la base, je viens de Lausanne, mais j’ai vécu à Bruxelles, puis en France. Ma compagnie Ad-Apte est installée à Lausanne depuis 2004. Un ou deux mots sur la compagnie Ad-Apte ? Nous avons créé cette compagnie avec Marie Fourquier, qui est aussi auteur et que j’ai rencontré à Lassaad en Belgique. Elle a coécrit ce spectacle avec moi. Comment se passe l’écriture d’une pièce en collaboration ? Ça se passe toujours assez bien, on collabore depuis plus de 10 ans, donc les choses marchent facilement. Parfois on écrit des spectacles seuls, mais on est toujours le premier lecteur de l’autre. C’est donc une collaboration artistique solide qui s’est installée. Pour cette pièce, nous écrivions chacun de notre côté et nous nous envoyions les textes mutuellement. Devez-vous faire face à des désaccords ? Non… Nous avons fait notre formation ensemble, donc on n’est jamais en opposition artistiquement. Et puis on est toujours assez organisés ; pour ce spectacle par exemple, c’est moi qui ai fait la mise en scène et Marie a co-écrit. Parfois c’est le contraire… Mais on a toujours des rôles assez clairement établis. Pour ce spectacle, on était heureux de pouvoir travailler ensemble car ça faisait longtemps qu’on n’avait pas pu collaborer sur la même pièce. Pourquoi avoir choisi le paintball pour illustrer votre thématique ? Finalement, le paint-ball n’est qu’un prétexte pour raconter d’autres choses, comme l’ennui, le loisir et surtout le rapport à la mort. Je suis parti du postulat que, selon certains pédopsychiatres, beaucoup d’enfants jouent à la guerre car ils sont intéressés par l’idée de la mort plutôt que par le jeu de la guerre elle-même. Je trouvais ça assez pertinent. Et puis la question de savoir pourquoi des adultes jouent à ça. C’est ce qui m’intriguait. C’était un questionnement philosophique avant tout. Comment se situent-on par rapport à notre propre mort ? Ca diffère si l’on est athée ou si l’on est croyant. L’idée de la mort m’intéresse beaucoup au théâtre. Etiez-vous intéressé par le côté esthétique du jeu ? L’esthétique de la pièce est surtout propre à ce que l’on appelle le « théâtre de situation ». Si on a choisi le paint-ball, c’est aussi parce que c’est un sport très récent, qu’on n’a trouvé aucune documentation, même sur internet. C’est une thématique contemporaine, comme l’est notre spectacle. Cette idée nous plaisait. Le décor tient une place importante dans votre pièce. Est-ce le cas de toutes vos pièces ? Non, ça dépend des spectacles. Ce spectacle avait été créé pour le festival de la cité de Lausanne, dans le jardin des Cèdres. J’ai donc utilisé ce lieu bucolique pour créer mon décor en utilisant l’endroit autrement. Lorsqu’on a fait ce spectacle dans des théâtres, là, les gens étaient complètement intrigués.
PHILIPPE SOLTERMANN / © VANESSA BESSON
Comme le public est « intégré » à la scène, qu’il peut tourner autour, on perd cette notion de 2D habituelle au théâtre. Vous êtes-vous inspiré du cinéma ? Non, mais j’adore l’image au théâtre, le côté visuel. L’esthétique est quelque chose de très important à mes yeux et peux influencer une émotion. Beaucoup de gens ont essayé de s’inspirer du cinéma au théâtre, mais c’est presque impossible. La narration est complètement différente, on ne peut pas faire de montage comme dans un film… Donc on est obligés d’inventer des choses de l’ordre de l’artisanal. C’est pourquoi le concept de casser la barrière entre public et comédien créée une interaction intéressante et parfois de drôles de réactions de la part des spectateurs. Ceux qui sont perturbés de ne pas avoir de siège, par exemple (rires). Il y a une certaine interaction entre le public et les comédiens, est-ce que cela conduit à de l’improvisation ? Oui, c’est obligé. C’est pour ça que je suis présent dans le spectacle au cas où. Car des gens ont des réactions inattendues. Certains ont par exemple pris peur lors de la bataille et ont voulu sortir de la salle… Au fait, avez-vous déjà fait du paintball ? C’est le premier truc qu’on a fait avant d’écrire le spectacle ! (rires) C’était assez sympa, le côté adrénaline, etc. C’est assez violent aussi. Mais en sortant on se dit : qu’est-ce qu’il en reste ? On a aussi discuté avec des joueurs. Ce qui noue a marqué, c’est qu’ils ont vraiment envie d’être considérés, du fait que c’est un sport un peu marginal et peu connu… Et pour finir, comme c’était votre dernière représentation à l’Arsenic, un petit bilan ? Le spectacle a eu de très bons échos de la part de programmateurs et du public, nous devrions tourner prochainement ! Laura Morales
Le Dévaloir est disponible dans les lieux suivants :
Rue du Maupas 4 Lausanne
Rue de Bourg 51 Lausanne
Escalier du Grand-Pont 5 Lausanne DELICIEUX STREET STORE
Escaliers du Grand-Pont 5 / Lausanne
Place de l'Europe 1A Lausanne
Place de la Riponne 6 Lausanne
Rue Centrale 16 Lausanne
www.delicieux.co
Rue du Four 7 Yverdon-les-Bains
Rue de la Rouvenettaz 1 Montreux
Route Neuve 7 Fribourg
Avenue des Sports 5B Yverdon-les-Bains
Route de Genève 57 Lausanne
LE DÉVALOIR EST IMPRIMÉ EN OFFSET À 600 EXEMPLAIRES CHEZ CRIC PRINT, SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE !
Avec le soutien du fonds SPJ pour les projets de jeunes
Cheneau-de-Bourg 4 Lausanne