REPETITION DIVERSITE HIERARCHIE
TABLE
Avant propos Une même tradition progressiste Renée Gailhoustet et la tour Raspail Jean Renaudie et les étoiles. Photographies Bibliographie
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AVANT~PROPOS ETUDE COMPARATIVE: TOUR RASPAIL, Ivry sur Seine, 4 rue Raspail Renée Gailhoustet, 1963-1968 CENTRE JEANNE HACHETTE, Ivry sur Seine, Rue Lenine, Jean Renaudie et son atelier, 1969-1975
Cette proposition d'article émerge d'une visite du site des Étoiles à Ivry sur Seine et du contraste évident entre deux systèmes de composition émergeant d'une même tradition progressiste ....
⋅photographique Il s'accompagne d'un reportage ⋅ réalisé le 4 avril 2016 à Ivry "On emmerdait tout le monde, on était très positivement sectaires." Jean Deroche (entretient avec Christian Devillier), "La Lods generation" p122-124
La tour Raspail réalisée par Rénée Gailhoustet en 1963, réuni 96 logement en semi duplex (configuration spatiale peu commune à l'époque, basée sur des décalages de niveaux), 6 ateliers d'artistes , des commerces, un atelier collectif et un jardin commun en terrasse. Première commande, à 35 ans, cet ensemble offre à l'architecte l'occasion de voler de ses propres ailes et de concrétiser quelques premières réflexions inédites sur l'habitat de masse.
L'espace Jeanne Hachette réalisé par Jean Renaudie, fait partie d'un complexe immobilier intégré dans le cadre de la rénovation du Centre d'Ivry dessiné par Renée Gailhoustet. Implanté entre des tours d'habitations, il comprendra des parkings en sous sol, 5000m² de commerces, 6000m² de bureaux et locaux professionels, 40 logements, un foyer de jeunes et 3 cinémas. Cet essai de combinaison de logements, de locaux professionnels, de bureaux, de commerces, d'équipements récréatifs, d'administratifs, offre une grande diversité de cheminements, de comportements pour l'habitant de la ville redevenu piéton.
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Vues aériennes, Patrice Goulet. (dans Scalbert, Irênée. 2004. A right to difference: the architecture of Jean Renaudie. London architectural association. p70)
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Peut-être avons nous honte encore aujourd’hui de nos banlieues. Le chantier lié à la rénovation du centre ville d’Ivry nourrit les réflexions contemporaines sur les manières de planifier la périphérie. En effet s’y confrontent un nombre important de typologies urbaines différentes telles que la barre, la tour, l’immeuble à gradin. S’y élèvent, en vis à vis, des réponses physiques à la politique de décentralisation, qui constituent un exemple d’urbanisme périurbain d’une richesse considérable. Aussi, le centre ville d’Ivry soulève des questions sur les formes de la densité à exploiter dans les territoires qui s'étendent aujourd'hui au delà de nos banlieues consolidées.
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Comment expliquer le contraste entre deux systèmes de composition émergeant d’une même tradition progressiste ?
Renée Gailhoustet rencontre Jean Renaudie aux Beaux arts de Paris. Ils rejoignent l'atelier extérieur¹ Lods (Hermant/Trezzini)² en 1951, un des rares ateliers qui acceptait les filles et où l'on « faisait de l'architecture » ³. Nourris par la rupture critique amorcée par la team X, (notamment des « considérations pour un habitat évolutif » de Candilis/ Josic/ Woods, fondateurs du team X en 1953), chez qui travaille Gailhoustet pendant ses études après l’arrivée aux beaux arts de Candilis en tant que chef d’atelier en 1963, Renée Gailhoustet et Jean Renaudie contestent tout au long de leurs études l'enseignement académique qui les nie. Tout deux inscrits au parti communiste, leur relation⁴ est nourrie par leurs affinités politiques. Ils s'inscrivirent très tôt dans une réalité sociale et économique de la pratique professionnelle, qui les pousse tout au long de leur carrière à se pencher sur des programmes d'habitats collectifs et de logements sociaux⁵.
Double page Jullian, René. 1984. Histoire de l'architecture en france de 1889 à nos jours: Un siècle de modernité. Paris: Sers, p95 ¹Les ateliers libres ou extérieurs sont gérés par les élèves eux même. Ils désignent le successeur du patron ou parfois le remplacent. ²Lods est un architecte aguerri aux programmes de logement de masse, il réalise un grand nombre de grands ensembles après la guerre utilisant des matériaux et des méthodes industrielles. ³L'atelier, qui s'appuie sur des oeuvres tutélaires (Le corbusier pour sa contribution en terme de logement, puis Frank Lloyd Wrihgt en urbanisme) lui donne les moyens de s'arracher de l'inculture généralisée de l'école. "On emmerdait tout le monde, on était très positivement sectaires." a même écrit Jean Deroche, élève de Lods lui aussi (entretient avec Christian Devillier). ⁴Deux enfants naissent en 1961 et 1968 de cette relation. ⁵Programme encore inéxploré à l'époque, car programme jugé vulgaire et volontairement délaissé par la plupart des étudiants de sa génération.
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Vues aériennes, Patrice Goulet. (dans Scalbert, Irênée.2004.A right to difference: the architecture of Jean Renaudie. London architectural association p70)
⁶Avec la complicité du maître d'ouvrage Raymond Laluque, directeur de l'Office public d'Hlm d'Ivry sur Seine. ⁷Structure où Jean Renaudie exerce de 1958 à 1969, en association avec Jean Louis Veret, Gérard Thurnauer, Pierre Riboulet, copains d'école des Beaux arts. ⁸Pour Office Public d'HLM, Ivry sur Seine est un premier laboratoire de déploiement de tactiques afin de déjouer les règles de subvention et envisager une mixité programmatique, contourner les plafonds de surfaces de référence des logements, (dimensions minimales des pieces de vie) proposer et expérimenter des espaces non inclus dans le financement global imposé au départ. ⁹cf. plafonds de surfaces de référence des logements HLM des années soixante. 7
En 1962 , l'architecte Roland Dubrulle, confie à Renée Gailhoustet la responsabilité d'une première commande publique, de taille, au sein du projet naissant de la rénovation urbaine du centre ville d'Ivry sur Seine. Bientôt architecte en chef de la rénovation, elle demande⁶ le concours de Jean Renaudie, alors dépourvu de commande après son départ brutal de l'atelier de Montrouge⁷ lui assurant la création d'une structure en son nom propre en 1969. Renée Gailhoustet et Jean Renaudie s'affranchissent ensemble à Ivry des normes établies du logement social⁸ à une époque où de nombreux architectes prétendaient que le logement social devait être du logement d'abord rentable⁹. Jean Renaudie disparaît brutalement le 13 octobre 1981. Comment les réalisations de la tour Raspail vis à vis des étoiles cristallisent les connivences qui lient les deux architectes mais révèlent deux modes opératoires distincts?
GAILHOUSTET ET RASPAIL Pourquoi le modèle d'immeuble à appartement s'est-il imposé en Europe, quelles sont les limites d'un habitat qui se veut universel? Au sein de l'atelier Lods¹⁰ aux Beaux Arts de Paris, Le Corbusier, à travers sa contribution en terme de logement, était une référence incontournable. Plus que la Charte d'Athènes, aboutissement du quatrième C.I.A.M, et ses théories sur l'urbanisme jugées contestables¹¹ par Renée Gailhoustet, dont les principes se basent sur la séparation des fonctions de la ville; C’est le duplex de la « maison des fadas¹² » qui marque l'architecte. On en vient à la définition des quatre fonctions simples réduisant la ville à habiter⁓travailler⁓circuler⁓se cultiver le corps et l'esprit. Fonctions intégrées à l'unité d'habitation de Marseille de Le Corbusier, avec sa rue intérieure commerçante à mi-hauteur, son école maternelle et son gymnase sur le toit-terrasse. Proche de la typologie Corbuséenne, la tour Raspail, avec ses commerces implantés en pied, les appartements accompagnés de services communs insérés dans les étages: une buanderie, des ateliers pour enfants –deux fonctions aujourd’hui disparues – ainsi qu’une terrasse sommitale, réinvente la « Dom-Kommuna¹³ » soviétique.
Le corbusier, page de garde de "Manière de penser l'urbanisme" Éditions de l'Architecture d'Aujourd'hui, Collection ASCORAL, Boulognesur-Seine, 1946
Alison and Peter Smithson, Grille CIAM, 1953
¹⁰Ayant déjà réalisé un grand nombre de grands ensembles après la guerre. ¹¹Chaljub, Bénédicte. 2009. La politesse des maisons: Renée gailhoustet, architecte. Arles: Actes sud. Renée Gailhoustet ¹²Cité radieuse à Marseille, résidence édifiée entre 1947 et 1952 par Le Corbusier. ¹³Maison collective russe.
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Neufert, Ernst. 2014. Les éléments des projets de construction. 11e éd. rev. et augm. ed. Paris: Dunod, p16
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¹⁴Exigences 23, 24, 25, 26 de la "Charte d’Athènes"Corbusier, Le, and Jean Giraudoux. 1957. La charte d'athènes: Avec un discours liminaire de jean giraudoux. Paris: Editions de Minuit. ¹⁵Ernst Neufert (Freyburg, 15 mars 1900- Rolle, 23 février 1986) est un architecte allemand connu pour son ouvrage de référence"Les éléments des projets de construction".
Les formes de la tour Raspail, par ses détails d'exécution, l'utilisation du béton brut, la desserte en coursive sont toutes aussi proches de l'architecture de la barre de Marseille. L'articulation engendrée par les deux volumes d'habitat décalés dans l'espace et réunis par un lieu consacré aux accès verticaux rend cependant son insertion dans le site urbain plus aisée. Mais là encore nous restons avec l'image de l'immeuble à appartement, structure dictée par la densité, la libération du sol, l’orientation Est-Ouest¹⁴. La superposition d'unités d’habitation identiques renvoie à une forme de norme, à la recherche de critères universels. La considération d'un corps générique à satisfaire en série. Vitruve, Léonard de Vinci ont étudié et dessiné un corps idéal. Le modulor du Corbusier ou des architectes tels que Ernst Neufert¹⁵ ont plus tard tenté de théoriser ce corps moyen afin de produire des espaces capables de supporter la plus large gamme possible de corps. Une stratégie visant à normaliser la masse, afin de répondre au plus grand nombre et à la demande croissante de logements dans les années 70.
Il faut insister sur le fait que les objectifs rationalistes du mouvement moderne sont avant tout humanistes: faire une architecture pour tous et à bon marché. Mais la tendance économique y détermina les choses utiles et nécessaires, les limites du possible, sur des bases spéculatives. Pierre Riboulet, collaborateur de Jean Renaudie à l’atelier de Montrouge, dénonce en 69 le rationalisme primaire et la volonté planificatrice d'un état qui néglige les demandes des usagers, la forêt de normes et de règlements (rationalisme bureaucratique poussé à l’extrême) conjuguée avec certains procédés de haut rendement quantitatif¹⁶ comme à Sarcelles. . On perd ainsi de vue un caractère essentiel à la ville: son infinie créativité¹⁷. En effet la spéculation immobilière ne peut être le but de la ville; elle exclue le besoin des hommes qui ne sont admis que dans certaines fonctions sélectionnées. Donc la question n'est pas d'être pour ou contre la densité, mais de savoir quelle forme de densité nous voulons¹⁸. La rénovation d'Ivry ne fait pas parti de la Politique des villes nouvelles françaises¹⁹ (à ne pas confondre avec les villes neuves comme Toulouse Le Mirail datant de 1961, les villes nouvelles sont plus tardives,autours de 1969), le plan directeur se détache du modèle de la cité essentiellement dortoir, du développement suburbain foncier pour rentabiliser la périphérie.
¹⁶"Architecture et politique", débat avec la participation de Jean Deroche, Claude Guislain, Goerges Loiseau, Jean Perrottet, Pierre Riboulet et Pierre Vago, dans l'architecture d'aujourd'hui, n°144, juin-juillet 1969, p13 ¹⁷Jean Renaudie, dans La ville est un ensemble de concepts, enregistré le 1er novembre 1969 ¹⁸B. Decleve. 2009. Densité bruxelloises et formes d'habiter, Bruxelles: Direction Etudes et Planification, Administration de l'Aménagement du territoire et du Logement, p17 ¹⁹La politique des villes nouvelles françaises est une politique d'aménagement du territoire mise en œuvre en France à partir du milieu des années 1960 jusqu'à nos jours, et ayant pour application pratique la réalisation de neuf villes nouvelles sur le territoire. L'objectif était d'éviter la concentration urbaine dans les grandes métropoles et notamment à Paris et de réaliser un développement urbain multipolaire.
«Implosion», Mathieu Pernot 2006
10 «Le meilleur des mondes», Mathieu Pernot 2006
Les ouvriers d'un building en construction aux Rocquet, Claude-Henri, and Robert Auzelle. 1980. A la mesure des hommes. Vol. 1. Paris: Ch. Massin. p144
Axonométrie d'un logement de la tour Raspail, livrée en 1968
A Raspail Renée Gailhoustet semble composer avec le principe de l’immeuble : une typologie qui fait écho à la séparation, la spécialisation, le standard : dix huit niveaux de façade de béton brut de décoffrage. Renée Gailhoustet aura pourtant sans cesse en tête le souci du respect de la diversité, afin de trouver des solutions architecturales dans lesquelles se mêlent le plus d'activités différentes possibles. L’empilement des logements induit par les dix huit étages est atténué par leur organisation en duplex. Gailhoustet s’appuie sur les prospectives de l’équipe Candilis/Josic/Woods, notamment l’immeuble de semi-duplex (1952). Mais chez elle, il ne s’agit pas de répéter une « cellule », la tour devant loger plusieurs types d’appartements. Leur conception nécessite un ingénieux travail d’imbrication en coupe. Alors inédit en France dans l’habitat collectif, le semi-duplex offre à Raspail la possibilité d’ouvrir les espaces du séjour et de la cuisine sur ceux de l’entrée et du palier des chambres. Prolongé de loggia, l’appartement n’est plus une succession de pièces mais un volume traversé de lumière, où se déploient maintes perspectives.
Cette pratique démontre que l'immeuble à appartement peut prendre en considération la complexité de la vie sociale, culturelle, politique, de manière beaucoup plus subtile que d'empiler des boîtes et d'aligner des fronts bâtis pour faire du logement. La question de la diversité semble être plus nuancée. En effet bien que les appartements des logements HLM ne soient jamais dessinés sur mesure alors que les besoins des futurs habitants sont très différents, le rôle de l'architecte est d'éviter que les bâtiments soient une succession de petites boites étanches communiquant simplement par des portes. Renée Gailhoustet tente sensiblement de décloisonner la cellule du logement social : l’appartement. Elle déclare qu’une ville est faite pour être pratiquée, n'a pas besoin d'être lisible comme un mall commercial. Gailhoustet se réfère même aux axes brisés de Camilo Sitte. La tour Raspail paraît donc représenter une densification intéressante, chaque tour incluant cent logements, sans jamais être pensée comme un pur stockage, une simple superposition de niveaux identiques.
Boden,Wand, ecke, Raum, Klaus Rinke, 1970
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RENAUDIE ET LES ETOILES
Leon Krier, Zoning of the Body, 2000
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²⁰Renaudie, Jean.1976. Faire parler ce qui jusque là s’est tu. Techniques et architecture n°312. p7885 ²¹Kroll, Lucien. 2001. Tout est paysage: Urbanisme animal et l'architecture homéopathique. Paris: Sens & Tonka. ²²Serge Renaudie, préface de La ville est une combinatoire. Renaudie, jean. 2014. La ville est une combinatoire. Ivry-sur-Seine: Moviticity édition.
Comment effleurer la considération du plus grand nombre en multipliant les typologies? « Ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la meilleure, c’est qu’il construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la cire ». Jean Renaudie aime ajouter à cette phrase de Karl Marx que jouer les abeilles dans la production de logements collectifs ne peut produire que des solutions simplistes d’une juxtaposition. L’appartement type, en tant que méthode pour les logements collectifs ou individuels relève du travail de l’abeille²⁰. Plutôt que de proposer une architecture générique, il tente de satisfaire la diversité humaine en adoptant la complexité. Jean Renaudie opposera toute sa vie architecture et construction. Il associe la complexité des relations humaines et de la ville avec la singularité de chaque individu pour concevoir une architecture qui ne se répète jamais et qui s'enrichisse des différences qu'elle accueille. La diversité entraîne la créativité, la répétition l'anesthésie²¹. Il rejette tout formalisme et tout typologisme qui risqueraient de l'enfermer dans une architecture aliénante²². Ses réalisations prétendent être libérées des doctrines et des recettes préétablies, en refusant tout systématisme, préjugé, dogme.
Il refuse la séparation et la juxtaposition employées comme méthode d'urbanisme dans la production d'architecture, mais prône au mélange et à la combinaison. Il considère que chaque élément travaille pour l'ensemble, de manière coordonnée. Comme dans un organisme biologique, et pratiquement à tous les niveaux de la nature, la ville se compose d'un certains nombre d'éléments qui, une fois combinés, donnent un ensemble complexe qui devient porteur d'une signification plus grande que la somme de ces éléments²³. Ainsi Renaudie redéfinit lui aussi les éléments constitutifs de la ville: ⁓les transports en commun, ⁓la circulation des voitures et les parkings, ⁓la production, la centralisation, la dispersion de l'énergie et des fluides, ⁓le stockage et l'approvisionnement, ⁓les grands entrepôts, les archives, ⁓le ramassage et la suppression des déchets.
nc. 1970. Rénovation du centre d’Ivry: complexe de commerces, d’équipements et d’habitations. L’architecture d’aujourd’hui n°153. p77
²³Jean Renaudie. Juin-juillet 1968. L'urbanisme et l'architecture. L'architecture d'aujourd'hui n°38 14
Fumihiko Maki. 1964. investigations in collective form, Group form: operational categorie. Saint Louis.
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²⁴Fumihiko Maki définit la megastructure dans Investigations in collective form (saint louis) 1964) p8 comme « a large frame in wich all the functions of a city or part of a city are housed. It has been made possible by present day technology. In a sense it is a man-made feature of the landscape. It is like the great hill on wich italian towns were buit. » ²⁵voir Habitat 67 ²⁶Bouygues ²⁷Le parking au rez de chaussée semble intégrer des fonctions autrefois portées par la rue, selon la logique développée dans traffic in town : «There is a new and largely unexplored field of design here, but it involves abandoning the idea that urban areas must necessarily consist of buildings set along vehicular streets, with one design for the building and another for the street. »
Aux étoiles, Renaudie prend le contre pied des grands ensembles et des règles de composition de la charte d’Athènes, il intègre dans une même construction des programmes de nature et d'échelle diverses, franchit en pont la voirie, à l'image des mégastructures²⁴. L'écriture architectonique alliant béton brut et végétation de masse soulève en plein centre ville une topographie artificielle, des logements en gradin reliés par une libre circulation entre les terrasses publiques. La structure en poteaux poutre, reprenant la tradition moderniste du plan libre, s'éloigne cependant du schéma métaboliste d'une superposition d'unités préfabriquées²⁵. La priorité est donnée à un chantier poussant les ingénieurs²⁶ à inventer des systèmes constructifs ingénieux pour équilibrer les nécessités spatiales très contradictoires (des dessertes automobiles à différents niveaux²⁷, des voies piétonnes et des dénivellations pour tisser des réseaux avec les chemins traditionnels de la ville) plutôt qu'a une collaboration industrielle d'unités reproductibles.
La structure en poteaux poutre n’autorise cependant pas l’anarchie du plan, les différents niveaux structurels interdépendants contraignent l’architecte à une certaine rigueur. La diversité humaine est ample mais n'est pas anarchique, l'ordre et le désordre sont affaire de point de vue²⁸. En premier lieu, la structure offre un caractère de système. Elle consiste en éléments tels qu'une modification quelconque de l'un d'eux entraîne une modification de tous les autres²⁹. Selon Rem Koolhaas « au delà d'une certaine masse critique, un bâtiment devient un grand bâtiment. Une telle masse ne peut plus être contrôlée par un seul geste architectural, ni même par une combinaison de gestes architecturaux, cette impossibilité déclenche l'autonomie de ses parties, mais ce n'est pas la même chose que la fragmentation: les parties restent soumises au tout »³⁰. L’architecte décrit les plans de l’immeuble Jeanne Hachette comme étant « désarticulés » tout en affirmant qu’ils restent « traditionnels », répondant aux usages communs. Il dit renouveler l’organisation de « l’immeuble bateau traditionnel». Les logements bénéficient de terrasses de pleine terre, disposent de plans à chaque fois différents et très ouverts, sans séparation la plupart du temps entre cuisine, chambre des parents et séjour, ce dernier devenant distributif.
Eva Le Roi, Centre Commercial, 2015 ²⁸Wright Mills ²⁹Levi Strauss, La notion de structure en ethnologie. Lévi-Strauss, Claude. 1958. Anthropologie structurale. Paris: Plon. ³⁰Koolhaas, Rem, Bruce Mau, Hans Werlemann, Jennifer Sigler, and Office for Metropolitan Architecture. 1995. Small, medium, large, extra-large: Office for metropolitan architecture, rem koolhaas, and bruce mau. Rotterdam: 010 Publishers.
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³¹Renaudie, Jean.1976. Faire parler ce qui jusque là s’est tu.Techniques et architecture n°312. p7885: recceuil des réactions des habitants.
Jean Renaudie défend une libération du plan au profit d'un ensemble en constante interaction, l'ouverture maximale des façades, des plans inattendus. Les logements n’ont l’air d‘avoir rien d’autre en commun que leur individualité. Par exemple l’appartement quatre, qui s’étend sur une surface de 80 m², comprend deux chambres. Ce simplex exceptionnel fait 19 mètres de longs, dont les trois quarts sont visibles d’un coup d’oeil à partir de la porte d’entrée. A cela s’ajoute les 15 mètres de terrasses dans la même perspective. L’appartement cinq est un trois chambre de presque 100 m². Le niveau le plus bas s’ouvre au Sud sur une terrasse de sept mètres de long, collée à la terrasse de l’appartement quatre. L’étage est accessible par un escalier en spirale dont le pallier à l’étage distribue les chambres. Chaque chambre profite d’une terrasse orientée différemment. L’appartement dix situé au même niveau que le cinq s’étend sur la largeur d’une travée, faisant des espaces de vie sombres, étriqués et longs. Les angles les plus aigus semblent contraindre les usages, ces surfaces perdues favorisent la contemplation spatiale des habitants les plus spirituels, poussent les bricoleurs à construire du mobilier sur mesure , les autres à y déposer des plantes³¹.
Jean Renaudie prétend qu'il faut admettre que la diversité est réductible, sinon on tombera obligatoirement dans des méthodes que l'on semble nous imposer en urbanisme, à savoir, la diversité étant irréductible, il me reste donc qu'à rendre compte de systèmes particuliers, en somme à comparer, à classer en catégories³². Le simple n'existe donc jamais que dans une structure complexe, l'existence universelle d'une catégorie simple n'est jamais originaire, elle n'apparaît qu'au terme d'un long processus historique comme le produit d'une structure sociale extrêmement différenciée; nous n'avons donc jamais affaire dans la réalité à l'existence pure de la simplicité qu'elle soit essence ou catégorie, mais à l'existence de "concrets", d'êtres et de processus complexes et structurés³³. Pour finir, Yona Friedman écrit « Le désordre n’existe pas, n’existe que l’ordre compliqué […] l’ordre compliqué il a aussi ses règles, mais beaucoup moins simples³⁴.
nc. 1970. Rénovation du centre d’Ivry: complexe de commerces, d’équipements et d’habitations. L’architecture d’aujourd’hui n°153. p77
³²Jean Renaudie. mai 1976. L'information municipale, n°76.05 ³³Karl Marx, introduction à la critique de l'économie politique , cité par Jean Renaudie dans L'architecture d'aujourd'hui n°138, p33 ³⁴Friedman, Yona. 2008. L'ordre compliqué, et autres fragments. Paris: Editions de l'Eclat.
Ces deux projets nous invitent à tourner la tête vers ce que sont devenues nos périphéries. La campagne n’existe déjà plus, absorbée dans une série de villes pavillonnaires horizontales distribuées par des rond points, vouées à disparaître dans un tissus plus dense, économisant le sol pour les générations futures par des ensembles monotones et sans vie, sous équipés, et surpeuplés. Ivry sur Seine semble illustrer une série de recherches sur des formes de vie urbaines contemporaines, héritées de considérations sociales sur le logement de masse à l’heure où se construit le grand Paris, et où nous cherchons à étendre les villes dans un territoire périphérique de plus en plus large.
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