NOW FUTURE ! > LE LIVRE DES CABARETS DE CURIOSITÉS 2011/2012

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Cabarets de curiositĂŠs

Now Now Future! Future!


En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur. © Le phénix scène nationale Valenciennes, 2012 Boulevard Harpignies, BP 39 – 59301 Valenciennes Cedex www.lephenix.fr © Éditions L’Œil d’Or et Jean-Luc André d’Asciano, 2012 118, rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris www.loeildor.com © Éditions Subjectile et Clarisse Bardiot, 2012 8, rue Ferrand, BP 40506 59321 Valenciennes www.subjectile.com L’Œil d’Or : ISBN : 978-2-913661-46-2 Subjectile : ISBN : 978-2-36530-003-2 QR Code – mode d’emploi Sur la couverture, scannez le code-barres 2D (les QR Code) à l’aide de l’appareil photo de votre téléphone portable. Si ce dernier ne possède pas de scanner intégré pour les lire, il vous suffit de télécharger une application gratuite (NeoReader, ActivePrint ou Kooltag). Grâce à la connexion internet de votre téléphone et au scanner, une page s’ouvre : vous accédez directement au site internet correspondant.


Avant-propos Les Cabarets de curiosités sont un temps fort de la programmation artistique du phénix scène nationale Valenciennes. En clin d’œil aux cabinets de curiosités des xvi e et xvii e siècles, lesquels rassemblaient des objets avec un goût pour l’hété­roclite et l’inédit, les Cabarets réunissent des artistes venus des arts de la scène, des arts visuels et de la littérature. Cet ouvrage rassemble des textes inédits, des productions plastiques et des entretiens avec certains artistes invités dans cette fenêtre de programmation de la saison 2011-2012. À cet ensemble s’ajoutent des textes historiques et théoriques, mais aussi des portfolios qui entrent en résonance avec la thématique proposée : les tiraillements entre la science et la fiction, entre le savoir et l’indicible, entre la probabilité et l’improbable d’un monde irréductible à son évaluation. Avec ce choix de démarches artis­tiques, nous entrons dans cette récente contraction du temps, cette convulsion qui fait que le futur et le passé sont disponibles dans l’ici et le maintenant de la société de l’information. Jamais le futur n’a été aussi proche et aussi indéterminé.


SomSommaire maire

Cabarets Cabarets de curiosités de curiosités

Clarisse Bardiot & Romaric Daurier........................ p. 6

La La conquête conquête de ubiquité de ll’ubiquité

Paul Valéry.. ................................... p. 12

La La compression compression du du monde monde

Élie During..................................... p. 16

Dark Dark Lens Lens (Star (Star Wars) Wars)

Cédric Delsaux............................ p. 22

Laissez-nous Laissez-nous juste juste le le temps temps de de vous vous détruire détruire Emmanuelle Pireyre.................... p. 36


Trois soli Trois soli

Mylène Benoit............................. p. 42

S il vous vous plaît, plaît, S’il continuez continuez (Hamlet) (Hamlet)

Roger Bernat & Yan Duyvendak. . ...................... p. 48

J y suis, suis, j’y j y reste reste J’y Rodrigo García. . ........................... p. 56

Tales Tales of of the the Bodiless Bodiless

Eszter Salamon & Bojana Cvejic. p. 68

Photographies Photographies de de A A

Frédéric Laforgue....................... p. 82

Contes Contes tordus tordus

Julie Nioche & Christophe Huysman............. p. 88

De loin loin De je reconnus reconnus je la foule foule la grandissante grandissante

Aurélie Mathigot.. ........................ p. 94

Le temps temps Le des amateurs amateurs des

Bernard Stiegler......................... p. 104

Parcours Parcours

Philippe Asselin, Herman Diephuis, Christophe Hocké, Gérard Hourbette, Gérald Kurdian....... p. 108

Cartes Cartes postales postales

Christophe Huysman.. ............... p. 117 Biographies. . ............................. p. 118 Programme............................... p. 122


CabaCaba rets de rets de curiocurio sitEs sitĂŠs sitEs Clarisse & Romaric Bardiot Daurier


Romaric Daurier : Les Cabarets de curiosités sont nés d’une réflexion sur l’interdisciplinarité. Il y a une quinzaine d’années, au moment où apparaissent les arts numériques, de nombreuses disciplines artistiques s’ouvrent à d’autres pratiques. Les deux mouvements, interdisciplinarité et numérique, sont conjoints. D’une part, des artistes tels que Gisèle Vienne, Rachid Ouramdane, Boris Charmatz, Christian Rizzo, Jérôme Bel, associent sans a priori des éléments d’origine multiple : performance, arts visuels, littérature, sociologie, activisme politique… D’autre part, avec la généralisation du numérique, des musiciens, des chorégraphes, des écrivains, des performeurs, etc. utilisent des outils communs. Dans le même temps, la notion d’auteur (au sens du cinéma d’auteur) se renforce. Clarisse Bardiot : Les Cabarets de curiosités rompent avec la notion de genre, pourtant toujours déterminante pour les financements et la communication sur les œuvres, au profit de la notion d’auteur. C’est une façon de dire au public : vous allez voir des objets étranges, non identifiés. Savoir s’il s’agit de danse, de théâtre, de musique importe peu. Pendant trois à quatre jours, les Cabarets de curiosités réunissent des objets disparates dans une atmosphère de festival. Cet ouvrage se compose de plusieurs éléments éclectiques et hétérogènes : extraits de textes inédits, entretiens avec certains artistes invités, ainsi qu’une partie visuelle réalisée par les artistes en marge de leurs spectacles. Cet ensemble est accompagné par des textes historiques

et théoriques, ou encore par des portfolios qui entrent en résonance avec les œuvres programmées dans ce cadre. R. D. : Le terme cabaret est lié à l’innovation. Il renvoie aux baraques de foire des premières projections cinématographiques où l’on s’encanaille, où les barrières sociales s’effacent. Les Cabarets de curiosités évoquent également les cabinets de curiosités des XVI e et XVII e siècles, ces lieux où l’on collectionnait des objets avec un goût pour l’inédit et l’hétéroclite. Chaque Cabaret de curiosités est construit autour d’une thématique, qu’il s’agisse de questions de société ou d’actualité. Différents artistes sont rassemblés autour d’une même problématique. Au départ, les Cabarets de curiosités étaient conçus pour être des moments consacrés aux artistes émergents. En discutant avec les artistes les plus jeunes, je me suis rendu compte qu’il leur manquait un rapport à la transmission. C’est pourquoi dans chaque cabaret, des artistes issus des mouvements d’interdisciplinarité que nous évoquions plus haut, comme par exemple François Verret, Rodrigo García ou Christophe Huysman, sont présents. C. B. : Cette année, deux sujets ont été définis : Now Future ! et L’improbable. R. D. : Ces deux thèmes forment un diptyque autour du «vivre ensemble». Now future ! évoque le futur, la science-fiction, la manière dont on se projette dans l’avenir. Je ne crois pas aux liens arts-sciences. Il faut relire Kant, sur la différence radicale entre savoir et connaître. Nous avons changé

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de paradigme avec le numérique, qui met au premier plan la nature culturelle du savoir, des réseaux, de l’immédiateté. D’où le titre : le futur maintenant. Les œuvres retenues regroupent des perceptions, des sensations très différentes les unes des autres. L’improbable est une réflexion sur la violence. La sphère politique est entrée dans une phase de technicité très importante (le temps des sondages, de l’évaluation, de la détermination – le temps des experts). D’un autre côté, on constate avec la montée des extrêmes une inflation de l’irrationnel. Ce n’est pas parce que l’on surdétermine le sens du politique et du contrôle que l’on rationalise des mouvements populaires. La dialectique est entre l’intime (quelle est la capacité d’un individu à autodéterminer son jugement, à avoir des «intentions premières» afin de construire des «intentions secondaires», pour reprendre les termes de Stiegler), et l’irrationnel qui peut apparaître dans le collectif. L’accélération des données, des informations, tout comme le déploiement gigantesque des industries culturelles qui se substituent à l’école, à l’éducation, à la culture, attaquent très directement la sphère du politique et celle du vivre ensemble. Lorsque j’ai vu le mouvement des Indignés en Espagne, je ne pouvais m’empêcher de penser à l’indignation de Rodrigo García il y a dix ans, face à la société de consommation et au chômage. Les thématiques retenues pour les Cabarets font également écho au mouvement du Speculative Realism de Graham Harman, Iain Hamilton Grant, Quentin Meillassoux

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Cabarets de curiosités

et Ray Brassier. Par réalisme spéculatif, il faut entendre que la philosophie ne doit pas penser ce qui est, mais ce qui peut être : c’est ce à quoi permet d’accéder la «spéculation». Un angle qui permet de saisir les enjeux du virtuel, de la fiction des mondes hors-sciences, du catastrophisme ambiant. C. B. : L’un des fils conducteurs de ces deux cabarets est la question du temps : temps contracté des technologies qui accélèrent nos vies ; hors temps (hors champ ?) des pratiques amateurs. D’aucuns, comme Virilio, ont souligné l’accélération du temps liée au développement des technologies de l’information et de la communication. Ralentir le temps, créer des parenthèses, briser la fuite en avant sont ressentis comme une nécessité. Le mouvement «slow», ou encore le succès du DIY (Do It Yourself), qui vont souvent de paire avec des préoccupations sur le développement durable, sont les signes de ce désir de ralentissement. Pourtant, il faut se refuser à une caricature binaire : technologiesrapidité / absence de technologie-lenteur. Les pratiques amateurs, en se plaçant dans le «temps de l’amour», comme l’affirme Bernard Stiegler dans Le Temps des amateurs, permettent de développer une relation aux œuvres au-delà de la temporalité de la représentation et d’un rapport parfois consumériste vis-à-vis des objets artistiques. R. D. : Dans La Télécratie contre la démocratie 1, Bernard Stiegler reprend la distinction romaine de l’otium


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et du negotium. L’otium est le temps des techniques de soi, du politique, de l’art, de la création – le temps essentiel. Le negotium est le temps du travail, du négoce, le temps superficiel en quelque sorte. Aujourd’hui, les industries culturelles ont fait en sorte que l’otium soit au service du negotium. Tout ce qui peut être temps libre, temps des loisirs, vient au service de la manière dont l’individu peut se marketer lui-même. Le temps de l’amateur évoqué par Bernard Stiegler est celui de l’autodétermination : c’est-à-dire un temps que l’individu détermine pour lui, y compris dans les formes de culture les plus populaires.

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Cabarets de curiosités

En aucun cas, il ne correspond au temps du loisir de l’industrie culturelle. C’est pourquoi, au phénix, nous développons les pratiques amateurs. Ne pas être dans l’événementiel revient à créer une sorte de développement durable des publics. L’isolement, la solitude, le sens du travail sont autant de facteurs qui ont amené les amateurs des «ateliers nomades» à participer à ces expériences. Une démarche artistique singulière en est toujours le point de départ. La présence de l’autre est intégrée à l’œuvre comme une problématique, une sorte d’héritage différent, au même


titre que l’utilisation de la lumière, de la musique. La dimension sociale est une composante poétique parmi d’autres. C’est une forme d’engagement politique, surtout dans des territoires comme Valenciennes où briser la barrière symbolique prend du temps. C. B. : Élie During constate dans La Compression du monde que «partout on réclame le retour des lieux». Le développement des pratiques amateurs s’inscrit-il dans le cadre de ce retour des lieux, et notamment du théâtre comme lieu privilégié au cœur de la cité ?

R. D. : Je suis convaincu que le web 3.0 sera l’étape du physique. Toutes les communautés du web relationnel se retrouveront dans des espaces publics et en particulier des théâtres, lieux privilégiés où des vivants sont en face d’autres vivants. Je crois que le théâtre détient une valeur d’avenir phénoménale. C’est le lieu du futur, de demain, un lieu où la communauté aura besoin d’accéder à des représentations d’elle-même. 1. Stiegler Bernard, La Télécratie contre la démocratie. Lettre ouverte aux représentants politiques, Paris : Flammarion, 2006.

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La La con conconquEte quête quEte de de l ubi l’ubil’ubiquitE quité quitE Paul Valéry


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os Beaux-Arts ont été institués, et leurs types comme leur usage fixés, dans un temps bien distinct du nôtre, par des hommes dont le pouvoir d’action sur les choses était insignifiant auprès de celui que nous possédons. Mais l’étonnant accroissement de nos moyens, la souplesse et la précision qu’ils atteignent, les idées et les habitudes qu’ils introduisent nous assurent de changements prochains et très profonds dans l’antique industrie du Beau. Il y a dans tous les arts une partie physique qui ne peut plus être regardée ni traitée comme naguère, qui ne peut pas être soustraite aux entreprises de la connaissance et de la puissance modernes. Ni la matière, ni l’espace, ni le temps ne sont depuis vingt ans ce qu’ils étaient depuis toujours. Il faut s’attendre que de si grandes nouveautés transforment toute la technique des arts, agissent par là sur l’invention elle-même, aillent peut-être jusqu’à modifier merveilleusement la notion même de l’art. Sans doute ce ne seront d’abord que la reproduction et la transmission des œuvres qui se verront affectées. On saura transporter ou reconstituer en tout lieu le système de sensations – ou plus exactement, le système d’excitations – que dispense en un lieu quelconque un objet ou un événement quelconque. Les œuvres acquerront une sorte d’ubiquité. Leur présence immédiate ou leur restitution à toute époque obéiront à notre appel. Elles ne seront plus seulement dans elles-mêmes, mais toutes où quelqu’un sera, et quelque appareil. Elles ne seront plus que des sortes de sources ou

des origines, et leurs bienfaits se trouveront ou se retrouveront entiers où l’on voudra. Comme l’eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissant et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe. Comme nous sommes accoutumés, si ce n’est asservis, à recevoir chez nous l’énergie sous diverses espèces, ainsi trouverons-nous fort simple d’y obtenir ou d’y recevoir ces variations ou oscillations très rapides dont les organes de nos sens qui les cueillent et qui les intègrent font tout ce que nous savons. Je ne sais si jamais philosophe a rêvé d’une société pour la distribution de Réalité Sensible à domicile. La Musique, entre tous les arts, est le plus près d’être transposé dans le mode moderne. Sa nature et la place qu’elle tient dans le monde la désignent pour être modifiée la première dans ses formules de distribution, de reproduction et même de production. Elle est de tous les arts le plus demandé, le plus mêlé à l’existence sociale, le plus proche de la vie dont elle anime, accompagne ou imite le fonctionnement organique. Qu’il s’agisse de la marche ou de la parole, de l’attente ou de l’action,du régime ou des surprises de notre durée, elle sait en ravir, en combiner, en transfigurer les allures et les valeurs sensibles. Elle nous tisse un temps de fausse vie en effleurant les touches de la vraie. On s’accoutume à elle, on s’y adonne aussi délicieusement

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qu’aux substances justes, puissantes et subtiles que vantait Thomas de Quincey. Comme elle s’en prend directement à la mécanique affective dont elle joue et qu’elle manœuvre à son gré, elle est universelle par essence ; elle charme, elle fait danser sur toute la terre. Telle que la science, elle devient besoin et denrée internationaux. Cette circonstance, jointe aux récents progrès dans les moyens de transmission, suggérait deux problèmes techniques : I. – Faire entendre en tout point du globe, dans l’instant même, une œuvre musicale exécutée n’importe où.

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La conquête de l’ubiquité

II. – En tout point du globe, et à tout moment, restituer à volonté une œuvre musicale. Ces problèmes sont résolus. Les solutions se font chaque jour plus parfaites. Nous sommes encore assez loin d’avoir apprivoisé à ce point les phénomènes visibles. La couleur et le relief sont encore assez rebelles. Un soleil qui se couche sur le Pacifique, un Titien qui est à Madrid ne viennent pas encore se peindre sur le mur de notre chambre aussi fortement et trompeusement que nous y recevons une symphonie.


Cela se fera. Peut-être fera-t-on mieux encore, et saura-t-on nous faire voir quelque chose de ce qui est au fond de la mer. Mais quant à l’univers de l’ouïe, les sons, les bruits, les voix, les timbres nous appartiennent désormais. Nous les évoquons quand et où il nous plaît. Naguère, nous ne pouvions jouir de la musique à notre heure même, et selon notre humeur. Notre jouissance devait s’accommoder d’une occasion, d’un lieu, d’une date et d’un programme. Que de coïncidences fallait-il ! C’en est fait à présent d’une servitude si contraire au plaisir, et par là si contraire à la plus exquise intelligence des œuvres. Pouvoir choisir le moment d’une jouissance, la pouvoir goûter quand elle est non seulement désirable par l’esprit, mais exigée et comme déjà ébauchée par l’âme et par l’être, c’est offrir les plus grandes chances aux intentions du compositeur, car c’est permettre à ses créatures de revivre dans un milieu vivant assez peu différent de celui de leur création. Le travail de l’artiste musicien, auteur ou virtuose, trouve dans la musique enregistrée la condition essentielle du rendement esthétique le plus haut. Il me souvient ici d’une féerie que j’ai vue enfant dans un théâtre étranger. Ou que je crois d’avoir vue. Dans le palais de l’Enchanteur, les meubles parlaient, chantaient, prenaient à l’action une part poétique et narquoise. Une porte qui s’ouvrait sonnait une grêle ou pompeuse fanfare. On ne s’asseyait sur un pouf, que le pouf accablé ne gémît quelque

politesse. Chaque chose effleurée exhalait une mélodie. J’espère bien que nous n’allons point à cet excès de sonore magie. Déjà l’on ne peut plus manger ni boire dans un café sans être troublés de concerts. Mais il sera merveilleusement doux de pouvoir changer à son gré une heure vide, une éternelle soirée, un dimanche infini, en prestiges, en tendresses, en mouvements spirituels. Il est de maussades journées ; il est des personnes fort seules, et il n’en manque point que l’âge ou l’infirmité enferment avec elles-mêmes qu’elles ne connaissent que trop. Ces vaines et tristes durées, et ces êtres voués aux bâillements et aux mornes pensées, les voici maintenant en possession d’orner ou de passionner leur vacance. Tels sont les premiers fruits que nous propose l’intimité nouvelle de la Musique avec la Physique, dont l’alliance immémoriale nous avait déjà tant donné. On en verra bien d’autres.

Paru dans De la musique avant toute chose, éditions du Tambourinaire, 1928.

Publié in Valéry Paul, Œuvres, Paris : Gallimard (Coll. Bibliothèque de la Pléiade), 1960, pp. 1284-1287. © Éditions Gallimard.

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la comla comcom prespression sion du du monde monde Élie During


Le Temps et l’Espace sont morts hier

L

«Le Temps et l’Espace sont morts hier», pouvait-on lire dans le premier manifeste futuriste. En brisant les anciennes idoles, on laissait en principe le champ libre à la construction d’espaces-temps inouïs. Il faut reconnaître que les discours béats ou apocalyptiques du temps réel et de la connexion instantanée n’y contribuent pas beaucoup. Mais comment la vitesse peut-elle produire de nouvelles formes de spatialité ? Que peut-on attendre aujourd’hui des pratiques qui s’inventent du côté des «local-media» (locative media) ?

e développement des nouvelles technologies d’information et de communication, et plus récemment le couplage du réseau internet et des procédés de géolocalisation satellitaire, ont donné un second souffle à quelques idées anciennes propagées dans le sillage de l’automobile et du téléphone. Le géographe David Harvey parlait il y a vingt ans d’une «compression» spatio-temporelle du monde en se référant obliquement à l’image du «village global» et à celle du «vaisseau-Terre» popularisées, respectivement, par Marshall McLuhan et Buckminster Fuller. «Le Temps et l’Espace sont morts hier», pouvait-on déjà lire dans le premier manifeste futuriste. On a tenté il y a quelques années de calculer (en gain de minutes par année) la vitesse à laquelle deux lieux se rapprochaient l’un de l’autre en vertu de l’accélération des moyens de transport et de communication (phénomène de «convergence spatio-temporelle»). Mais il est plus intéressant de se porter directement aux limites. Marinetti, qui souhaitait voir un jour le Danube «faire du 300 à l’heure en ligne droite» (Manifeste de 1916), était aussi le penseur de la simultanéité. Nous y sommes. Du moins, c’est ce que pense Paul Virilio qui, comme on sait, a fondé tout son discours d’apocalypse sur l’idée d’une abolition de la séparation spatiale et temporelle dans le mirage de la connexion instantanée. Nous aurions franchi un seuil : non pas le mur du son,

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mais celui de la vitesse elle-même, telle du moins qu’on l’entendait jusqu’ici, au sens d’une certaine proportion de l’espace et du temps, d’un rapport entre une distance spatiale parcourue et le temps mis à la parcourir. L’accélération des mobiles, mais plus encore la généralisation des «techniques télétopiques» («téléaction immédiate», «téléprésence instantanée», etc.), nous aurait conduits, inexorablement – en vertu d’un déterminisme technologique implicite –, au règne de l’«arrivée généralisée où tout arrive sans qu’il soit nécessaire de partir». Comme l’écrivait Gogol : «Sans être parti, on n’est déjà plus là». Et tandis que l’architecture virtuelle se met à flotter dans un «éther électronique dépourvu de dimensions spatiales», les technologies du «temps réel» nous livrent sans remède aux séductions d’un pur «éblouissement électronique» : un instant sans lieu d’inscription, un maintenant sans ici où s’abolit toute présence.

La passion locale Les images sont belles, et la prose aussi nerveuse que celle d’un manifeste futuriste. Mais le passage à la limite théorique – de l’idée d’une accélération générale à celle de l’universel instantané –, ne laisse pas d’être problématique. D’abord, ce discours hyperbolique (Virilio parle de la représentation «hyper-cinématique» d’un monde désormais privé de dimensions) se double évidemment d’une longue déploration de la perte du présent et de la présence, du proche et du prochain, du face-à-face humain, au profit de l’interface

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La compression du monde

homme-machine. Derrière l’annonce prophétique du règne de l’ubiquité, on entend résonner la phrase de Bonhoeffer dirigée contre la propagande de masse des nazis : «L’immédiateté est une imposture». Ce discours est objectivement solidaire du contre-feu nostalgique auquel les artistes in situ participent volontiers lorsqu’ils en appellent à la réévaluation du local sous la forme d’un réenchantement des lieux ou du réinvestissement d’espaces de contact à échelle humaine. Pour remédier au télescopage de tous les lieux dans l’interface universelle du réseau, on se dit qu’il est urgent de retrouver le sens du lieu (et du lien) à travers des initiatives situées, on s’installe sur les bordures, dans les déchirures ou les béances de la trame urbaine (friches, terrains vagues, zones périphériques et autres «non-lieux»). Partout on réclame le retour des lieux. Les artistes et collectifs qui font un usage intensif et «contextuel» des technologies de géolocalisation et autres locative media (Blast Theory, Institute for Applied Autonomy, The Ludic Society, Fujihata, Tanaka…) n’échappent pas toujours à cette passion locale, bien qu’ils s’attachent surtout à l’interlocalité, ou à la connexion comme telle. Y gagnent-ils un nouvel accès à la spatialité, de nouvelles formes d’espaces-temps ? Il faut juger sur pièces.

La leçon d’Einstein Mais le plus problématique tient peut-être moins à la manière dont le discours de l’ubiquité finit par rejoindre la célébration du local, qu’aux prémisses sur lesquelles il se construit, et aux conséquences qu’il s’imagine en déduire.


Virilio n’a manifestement pas compris grand-chose aux leçons de la physique relativiste à laquelle il fait souvent référence (surtout dans La Vitesse de libération, 1995). Toute sa construction est guidée par un présupposé discutable, selon lequel nous aurions d’ores et déjà atteint la vitesse-limite, la «vitesse de libération», c’est-à-dire, si l’on suit bien, la vitesse de l’instantané, autrement dit la vitesse infinie. Mais l’invention de la relativité restreinte par Einstein en 1905 aura précisément consisté à installer au cœur de la théorie physique l’idée d’une vitesse-limite finie – celle de la lumière. La vitesse remplissant la fonction d’un convertisseur espace/temps, et la transmission des signaux lumineux étant à l’œuvre dans tous les procédés de synchronisation d’horloges à distance, il était naturel que les notions d’espace et de temps en soient directement affectées. L’espace-temps relativiste est né de ce geste : associer à l’espace des vitesses un principe de limitation, un horizon qui le cisaille plutôt qu’il ne le courbe. Or quoi qu’il en dise, l’univers décrit par Virilio ne connaît pas d’autre horizon que l’infini. On peut toujours y gagner encore davantage de vitesse, aussi loin que l’on aille. Il n’a donc d’électromagnétique que le nom : c’est, de part en part, un univers classique, un univers newtonien gouverné par l’idée de connexion instantanée. Cette fameuse action à distance est justement le verrou que fait sauter la physique relativiste en affirmant d’emblée la constance de la vitesse de la lumière et son caractère de vitesse-limite

dans tous les référentiels. Au principe de la connexion immédiate, Einstein substitue ainsi l’idée d’une propagation locale, de proche en proche. Ce principe de localité produit tous ses effets (sur l’espace-temps) lorsqu’on le couple à un principe de relativité ou de réciprocité qui pose l’équivalence complète de tous les référentiels, autrement dit de toutes les perspectives ou points de vue qu’on peut prendre sur les mouvements de l’univers. Mais pris en lui-même, il énonce très simplement que toute interaction à distance prend du temps. On dira qu’en pratique cela ne change rien au sentiment que nous pouvons avoir d’interagir instantanément, en enjambant l’espace, à chaque fois que nous nous connectons sur le réseau ou que nous décrochons notre téléphone portable. Sans doute, la connexion instantanée n’a de sens qu’approchée : Virilio lui-même n’ignore pas que les ondes électromagnétiques sont soumises elles aussi au principe de limitation fixé par la constante c, et qu’en conséquence toute transmission marque un écart temporel, aussi infime soit-il, entre l’émission et la réception. L’instantanéité est un effet d’échelle, lié au fait que nos sens naturels, les appareils perceptifs humains, se sont développés au fil de l’évolution en s’adaptant à des vitesses considérablement plus réduites que celle de la lumière. Il en serait autrement si nous étions nous-mêmes des êtres lumineux ou des plasmas, mais en l’état actuel, il se trouve que les écarts et distorsions relativistes n’ont pas d’incidence directe sur notre expérience

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perceptive. Le discours de l’instantanéité n’est donc pas absurde, il pêche seulement par excès d’anthropocentrisme en nous cantonnant, sous un vocable futuriste, à une rustique phénoménologie des vitesses vécues. La question est de savoir ce qu’un tel parti pris nous interdit de voir et de penser.

Simultanéités disloquées Il nous semble que c’est l’idée de simultanéité, et du même coup celle d’espace, qu’il faudrait peut-être commencer à compliquer : c’est la face spatiale du problème de l’ubiquité, dont l’instantanéité constitue la face temporelle. La coexistence instantanée de points distants est le schème qui sous-tend toute totalisation spatiale lorsque celle-ci procède de manière globale. Il est à l’œuvre dans l’idée de l’espace comme plenum, ou lorsqu’on se figure l’éther des communications électroniques comme une totalité maximalement connectée, qui tiendrait d’une pièce en vertu d’une sorte d’interaction universelle. Que se passe-t-il si l’on renonce, comme y invite Einstein, à l’idée de simultanéité absolue, autrement dit si l’idée de simultanéité devient elle-même relative ? Einstein décrit, à travers ses fameux «paradoxes», des effets de perspective cinétique qui se traduisent par de curieuses contractions et dilatations spatio-temporelles, mais il s’agit moins d’une compression du monde que d’un laminage d’un genre tout à fait nouveau. Il a l’avantage de nous obliger à renoncer

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La compression du monde

pour de bon à l’idée même d’espace comme coupe instantanée de l’univers matériel, en tout cas à ne plus lui accorder qu’un sens artificiel et arbitraire. Il n’y a pas de Durée universelle qui permette de rapporter les uns aux autres, de façon simple, des flux locaux disjoints ; il n’y a pas d’«état de l’univers à l’instant t» qui puisse tenir lieu de Grand Contenant. Ainsi la coexistence redevient un problème. Dan Graham est contemporain des possibilités de pensée libérées par cette image nouvelle du monde lorsqu’il réalise, à quelques années d’intervalle, Two Correlated Rotations (1970) et Present Continuous Past(s) (1974). Dans le premier cas, deux perspectives en mouvement, réglées ou engrenées l’une sur l’autre, s’offrent à travers une double projection à angle droit : réalisation matérielle du principe de réciprocité. Dans le deuxième cas, un écart temporel («time delay») de 8 secondes, joint au jeu de miroirs et à l’effet de larsen vidéo, compose un espace-temps stratifié, fractal, où l’évidence du «présent» et, du même coup, celle de l’espace lui-même, semblent vouées à se dissiper sans retour : principe de localité. D’autres artistes nous paraissent toucher à ces questions aujourd’hui. Du côté de l’art-vidéo, outre les exercices de dilatation temporelle rendus possibles par l’usage du ralenti (Bill Viola, Douglas Gordon), il y a les montages de durées ou de flux parfois imperceptibles réalisés par Mark Lewis : ce sont de véritables compositions d’espaces-temps, intriqués les uns dans les autres à la manière des mondes animaux décrits par Uexküll


(voir Airport, 2003, ou Downtown Tilt, 2005). Comment totaliser ces durées locales («durées propres», disent les physiciens) autrement que de proche en proche, dès lors que la relativité de la simultanéité nous interdit de les rassembler en gerbe dans un unique espace englobant ? C’est aussi, en un sens, la question travaillée par une série comme 24 Heures chrono, lorsqu’elle distribue ses lignes narratives parallèles en multipliant les leurres et les faux jours (écrans mis en abyme, split-screen, etc.), pour figurer un espace de contrôle qui est tout le contraire d’un univers classique, rythmé par le compte à rebours d’une horloge universelle. Ce n’est qu’en mettant en œuvre, aux conditions limites de la vitesse, le fantasme ubiquitaire de la communication instantanée à distance et ses relais technologiques, qu’un écart infime peut finalement s’introduire, grâce auquel affleurera par moments ce multivers kaléidoscopique et cellulaire, fait de simultanéités disloquées et de faux raccords, qui contrarie la fausse évidence du temps réel portée par le flux ininterrompu des images et les rebondissements incessants de l’intrigue. Les pratiques artistiques des locative media sont largement dominées par l’idéologie de l’instantané, dont le revers est la passion locale ; il est d’ailleurs rare que l’espace des connexions y soit pensé pour lui-même : le plus souvent, on le présuppose au contraire comme un espace de plongement global où chacun peut chercher à se localiser, quitte à brouiller les pistes.

Mais certains travaux font étrangement écho à la cosmologie des vitesses finies. On y cherche les raccords aventureux en exfoliant l’espace urbain, en tâchant de rabouter ou de superposer des cartes (la sociologie des réseaux de Bruno Latour nous rappelle à quel point le «monde social» et l’espace des connexions ne tiennent que par la multiplication et l’enchaînement de trames hétérogènes) ; on y travaille, plutôt que le «temps réel» de la communication instantanée, les faux contacts et les déphasages de durées (avances et retards), l’interception et l’interruption des flux (comme Scanner) ; on y traque, enfin, les zones de déconnexion, les angles morts, à l’image du projet iSee de l’Institute for Applied Autonomy. Localiser sur un plan de Manhattan l’ensemble des caméras de surveillance qui quadrillent l’espace urbain, produire du même coup une carte paranoïaque de la domination, ce n’est déjà pas si mal, mais le geste critique trouve son prolongement le plus intéressant lorsqu’il suscite des modes de circulation originaux, sous contrainte, en inventant toute une pratique du détour. En s’obligeant, autant que possible, à ne passer que par les angles morts, on dessine des itinéraires sinueux qui correspondent à des «lignes de moindre surveillance», on contourne du même coup les préceptes de bonne gestion du capital espace-temps. En somme, on prend son temps mais sans perdre en vitesse, pour ne pas avoir à célébrer les douteuses vertus de la lenteur. «La compression du monde» / “The Compression of the World” a été initialement publié dans Art Press n° 354, mars 2009, pp. 37-41 dans le cadre du dossier intitulé «Effets de vitesse».

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Dark Dark lens lens (star star wars wars) CĂŠdric Delsaux


The Arch, Dubai, 2009


Ci-dessus : AT-AT in fog, Dubai, 2009

Ci-contre : Millennium Falcon in Sandstorm, Dubai, 2009



Ci-dessus : Two Speeder Bikes, Dubai, 2009

Ci-contre : Stop at Burj Dubai, Dubai, 2009



Ci-dessus : Battle Droids on their round, Dubai, 2009

Ci-contre : The Buick, Dubai, 2009



Ci-dessus : Inside the Buick, Dubai, 2010

Ci-contre : X-Wing Restoration, Dubai, 2009



Ci-dessus : Droid Army, Dubai, 2010

Ci-contre : The Falcon’s Flight, Dubai, 2009

Page suivante : The Falcon’s Hiding Place, Dubai, 2009




D

epuis la première révolution industrielle, au XIX e siècle, le développement de la technologie «soumise aux impératifs du calcul marchand» 1 a entraîné un rapport de plus en plus astreignant au temps, ce qui nous conduit bien souvent à penser, bien qu’il soit impropre de le formuler ainsi, que le temps «s’accélère». Comme le souligne l’essayiste américain Jeremy Rifkin – spécialiste de prospective économique et scientifique – au cours de notre histoire, «la densification de nos échanges nous a conduits à organiser notre temps en plus petits segments : d’abord en heures à la fin du Moyen Âge puis, au début de l’ère moderne, en minutes et en secondes» 2. Aujourd’hui, avec la troisième révolution industrielle, celle des technologies de l’information et de la communication, «on crée de nouvelles valeurs temporelles : la nanoseconde et la picoseconde» 3. Organisant désormais notre temps à la vitesse de la lumière, avec des unités temporelles qui sont bien en deçà de notre seuil de perception, nous sommes contraints de «dissocier l’expérience humaine de la vitesse de communication à laquelle les informations peuvent être transmises. Ce qui est très aliénant» 4. Nous mettons en place, dans notre réalité objective comme dans notre imaginaire collectif contemporain, les conditions de notre total assujettissement à la machine.

de la carte. Dans la série Dark Lens, à la fois familiers et troublants, plantés dans le décor de notre contemporanéité, les personnages de la saga Star Wars sont socialisés dans la banalité de notre quotidien hyper urbanisé ou dans l’environnement glauque de zones post-industrielles en déshérence. Ils perdent de leur aura mais acquièrent une inquiétante étrangeté, semblant tourner à vide avec une violence sans destination. Si Star Wars est la fresque flamboyante d’une démocratie intergalactique qui a mal tourné, Dark Lens opère quant à elle un glissement contextuel qui sonne comme un avertissement. Le jeu de miroir de ce pouvoir technologique dictatorial déjà obsolète est saisissant et nous fait entrevoir un devenir fictionnel mais néanmoins possible sous la forme d’une archéologie du pire. À mi-chemin entre la mémoire cinématographique, la stase de l’image photographique et les projections dystopiques qu’imprime le développement des mégalopoles sur nos esprits synchronisés par la globalisation, Dark Lens met en scène un miroitement de temporalités multiples orchestré par l’ancrage du temps présent de notre regard. Contempler ces images fixes suppose de prendre son temps ; ce temps à échelle humaine, condition de notre interprétation du monde.

Il semble donc que ce soit pour conjurer cet asservissement par la vitesse et la technologie que Cédric Delsaux nous invite à faire un pas de côté, dans un futur antérieur ou un présent contrefactuel qui a tout simplement rayé l’humanité

1. Stiegler Bernard, Philosopher par accident, Entretiens avec Élie During, Paris : Galilée, 2004, p. 60. 2. Rifkin Jeremy, in Paoli Stéphane, Paul Virilio, Penser la vitesse, DVD, Arte Éditions, 2008. 3. Id. 4. Ibid.

Jean-Luc Soret

La série Dark Lens est publiée dans un ouvrage monographique aux éditions Xavier Barral (octobre 2011). Cédric Delsaux est représenté par acte2galerie.

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Laissez Laissez -nous -nous nous juste le juste le temps temps de de vous vous dÉtruire detruire dEtruire

Emmanuelle Pireyre


SEQUENCE 2 La real life

PROLOGUE (voix off)

Un jour en Europe, il y avait un trader qui dormait et rêvait dans son lit de princesse. Cela se passait dans les années 2010 ; le trader était jeune et possédait de grandes richesses. Et il y avait aussi une petite fille secrète et mystérieuse qui disparaissait toute la journée dans des épaisseurs de campagne mousseuse pendant que sa mère, Maureen, travaillait – ou bien chattait avec un homme sur internet, on ne savait jamais trop. Pendant ce temps, le trader rêvait, rêvait, et même quand il ne rêvait pas, c’était pareil tant son rapport au réel était ultra-distancié. Les trucs lui semblaient minuscules, il voyait des formes, il se doutait plus ou moins que c’était le réel ; il voyait des petites choses qui sautillaient et devinait que c’étaient des gens. Deux petites pièces rouges mouvantes, il disait : «Tiens, y en a une qui se promène en bikini». De la fumée, il disait : «Tiens, un blaireau se fait griller une côte à l’os». [...]

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TABLEAU 2 Maureen : – Maureen 22 juillet Maintenant, moi, ce que j’aimerais, c’est passer le cap de la real life. Sur le site, c’est simple, ça va vite, il y a une euphorie spéciale, c’est comme si on s’était toujours connu. On va très vite dans des confidences intimes, on veut du physique, du réel. Tout au fond on pense vie à deux, vie de famille, déjà à court terme on souhaite la rencontre, le fuck close, pourquoi pas. Mais quand on bascule en mode réel, on rencontre la personne, et là, très souvent ça ne marche pas, ça se complique ; vous voyez ce corps devant vous, et c’est pas facile, vous avez l’impression qu’il y a trop de corps, que le corps fait barrage. En même temps, c’est ça qu’on veut par-dessus tout, on veut la real life. Malcolm : – C’est quoi cette odeur ? Il faut vraiment que je change de four. T’es là ? Enter. T’es là ? Enter. Dommage. À plus. Malcolm 22 juillet C’est incroyable, les taux d’excitation qu’on peut atteindre. Juste avec des messages écrits. Je n’aurais pas cru ça possible. Je dois dire qu’avant ça, l’écriture… Au collège, j’étais pas trop rédaction rédaction. Jamais de journal intime, etc. Mais là, je comprends : avec ces sites de rencontres, on a exactement le genre d’excitation que ressentaient autrefois les écrivains, des excités comme Hemingway, Céline, Nabokov… Le même niveau d’excitation… mais aujourd’hui largement démocratisée.

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Laissez-nous juste le temps de vous détruire

Maureen : – Salut ! Malcolm : – Yes, enfin ! Te voilà. Maureen : – Ah ? Tu pensais à moi ? Malcolm : – Évidemment, depuis hier midi. Et toi ? Maureen : – J’étais sortie. Malcolm : – Seule ? Maureen : – Oui. Malcolm : – Ça c’est bien. Tu pensais à moi ? Maureen : – Pas du tout. Smiley. Malcolm : – Tu as bronzé ? Maureen : – Oui, super soleil, passé l’après-midi à une terrasse avec un livre. (Le four sonne)

Malcolm : – Je me demande si j’ai pas oublié d’éteindre. Malcolm : – Hemingway, tu aimes ? Maureen : – J’aime les livres et le soleil. Malcolm : – Tu es seule ? Maureen : – OUI Majuscule. Malcolm : – Moi aussi. Maureen : – Tu veux jouer ? Malcolm : – À quoi ? Maureen : – Petit jeu enfantin, un jeu d’école. Malcolm : – Hyper d’accord. On joue à l’école ? J’adore ! Attends je prends mon cartable. Maureen : – Pas besoin de cartable. Mon jeu : c’est Action ou Vérité ? Malcolm : – T’as déjà pensé à mettre ton cartable sur ton dos avec rien en dessous ? Maureen : – Hmmm… Action ou Vérité ? Malcolm : – Action, of course. (Le four resonne)

Maureen : – Ok, t’es prêt ?


Malcolm : – Yes c’est quoi l’action ? Maureen : – Ok. Caresse-toi. Malcolm : – Ouh la ouh la ouh la ouh la ! Malcolm : – Bon, je vais quand même pas me laisser emmerder par un four. En plus c’est un Daewoo, j’ai un problème avec ce four. Dès que je fais cuire un truc, je sais pas pourquoi, ça me fait penser à la secte Moon. J’associe les deux, mon four et la secte Moon. Maureen : – Malcolm, tu le fais ? Malcolm : – À chaque fois ça me rappelle ces mariages collectifs sordides qu’on voyait à la télé, des centaines de mariages célébrés le même jour par le gourou avec des centaines de couples tous habillés en gris, des clones qui se faisaient des serments de fidélité en coréen. Maureen : – Malcolm, tu es là ? Point d’interrogation. Enter. Malcolm ? Enter. Houhou ? Point d’exclamation. Point d’interrogation. Enter. Malcolm : – J’arrive. Maureen : – Tu es là ou pas ? Malcolm : – Deux minutes. Maureen : – Tu es là ? Malcolm : – Bien sûr que je suis là bébé. Maureen : – Tu répondais pas. Points de suspension. Mon jeu te plaît ? Malcolm : – J’adore tes jeux ma puce. T’es libre ce soir ? Maureen : – Nan nan. Trop tôt. Malcolm : – Juste pour boire un verre ? Maureen : – Je donne même pas mon tel. Malcolm : – Je passe te chercher en voiture, et je te ramène une heure plus tard, ni vu ni connu. Maureen : – Je vais me coucher.

Malcolm : – Bon j’arrive, beauté. J’enfile ma veste. T’es dans quel quartier ? Maureen : – Non. Malcolm : – S’te plaît ! Sors ton cartable, j’apporte mes cahiers. Maureen : – Lol, good night petit garçon. Malcolm : – Maureen ! J’ai des crampes à force d’écrire. écrire, écrire, on peut pas tout le temps écrire ! Maureen : – Du calme. À quelle heure tu te connectes demain ? Malcolm : – Je vais craquer. Enter. Maureen : – Pas si vite. Enter. Malcolm : – Allez… stp ! Enter. Maureen : – Brute ! Enter. Malcolm : – Des crampes ! Enter. Maureen : – Du calme ! Enter. Malcolm : – Tachycardie. Enter. Maureen : – Doucement. Enter. Malcolm : – Rougissements. Enter. Maureen : – Attention. Enter. Malcolm : – Érection. Enter. Maureen : – Surchauffe. Enter . Tu vas trop loin. Enter. Malcolm : – J’t’ai dans la peau. Enter. Maureen : – On peut se connecter demain ? Malcolm : – Non non j’irai pas me coucher, pas question. Ce avec quoi on veut s’endormir dans ces cas-là, c’est une adresse de messagerie perso, ou mieux, un numéro de portable. Maureen : – Tu boudes ? Point d’interrogation. Enter. T’es plus là ? Enter… Ok je te le donne mon tel. Lol. T’es drôle Malcolm. Enter. Maureen : – Malcolm ? Maureen : – Malcolm ? Maureen : – Malcolm ?

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TABLEAU 3 Johanna : – Une autre fois, en Europe, il y avait un trader qui dormait, à Londres, dans son lit de princesse. Ce trader était jeune et possédait de grandes richesses. Terrassé par la fatigue, il dormait profondément, il rêvait, rêvait. Le jour, ce trader spéculait sur le marché des matières premières ; pétrole, blé, jus d’orange… Ces dernières semaines, c’était la ruée sur les terres rares, ces minerais qui… «Terres rares», ça va pour tout le monde ? 17 métaux aux propriétés très convoitées ? Terbium, scandium, yttrium, lanthane… ? On en a besoin dans tous les produits high-tech style écrans, éoliennes, ampoules basse consommation, i-Pods, missiles ? Ok ? Pays producteur en quasi-monopole : la Chine… Évidemment elle rationne tout le monde… Ça va, ça ? Donc le jour, le trader achète et revend des milliers de containers ; entre le moment où le minerai est cédé par la mafia chinoise et le moment où il est livré au fabricant d’ampoules basse conso, la cargaison change constamment de propriétaire, c’est là que le trader spécule. Et c’est incroyable l’adrénaline que ça libère. En fin de journée, il est épuisé. Il achète toute la cargaison, il la revend, il la rachète, il la revend, il vaut mieux avoir les nerfs solides, il suit le cours minute par minute, il espère que ça monte, il fait monter lui-même s’il peut, il a l’adrénaline qui s’emballe, il s’excite, il achète et revend jusqu’à la date de livraison, jusqu’au dernier moment.

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Laissez-nous juste le temps de vous détruire

Ou plutôt presque jusqu’au dernier moment, mais surtout pas jusqu’au tout dernier moment. Si ce matin, on sonne à sa porte, s’il enfile ses vêtements jetés ici et là, ouvre la porte, et si un transporteur est sur le palier et lui indique que le container de terbium qu’il a commandé est là en bas dans la rue et qu’il peut signer le bordereau de livraison, ça signifie que l’opération est ratée. Il a commis une grave erreur, une faute professionnelle : il est allé jusqu’au monde réel. Maureen : – Pour nous, côté adrénaline, c’est exactement pareil : on spécule dans l’imaginaire, on s’excite sur du virtuel, c’est incroyable l’adrénaline que ça libère. Sauf que, à la fin, on veut justement que ça sonne à la porte, on attend comme des fous à côté de cette porte pour réceptionner le fameux container. On veut trouver le couloir étroit qui mène à la real life. On veut un père pour nos enfants. Ben si quand même c’est bien ça qu’on veut… Malcolm : – Euh non, pas vraiment. Maureen : – Ben, si, c’est quand même ça qu’on veut… Pierre-Félix : – Bon, je pose ça où ? Tous : – Là.


TABLEAU 4 Johanna : – Pour en finir avec Roxane, Roxane voyait que la finance s’insinue partout, parmi les gens et parmi les choses. Elle plaçait très haut le niveau d’étanchéité qui lui convenait. Elle conservait la zone de silence qu’il faut à tout prix établir dans les économies mondialisées. Parce qu’ainsi sont les périodes d’économie mondialisée : tout est lié, le monde est trop petit, il y a ce côté agglutinement, ce côté agglu-, ce côté glu, ce côté tout petit lié, ce côté…

CHANSON (Musique originale Toog)

Je regarde en l’air à Caracas et tu te prends les pieds dans le tapis à Séoul J’enfile un pantalon à Abidjan et tu te déshabilles à Hambourg Je lève le bras à Rotterdam et quelqu’un se gratte à Karachi J’emballe à Barcelone et tu conclus à Madrid J’ouvre les croquettes au Caire et le chien salive à Taipei Tu manges un glaçon à Mexico et je frissonne à Toronto Je ferme à clé à Sidney et tu paumes les clés à Bergen Je fais la planche à Dakar, et tes épaules se détendent à Moscou Tu vas en cours à Heidelberg et «ça y est, je percute !» à Santiago Je t’embrasse de Paris, et tu m’embrasses à Paris Je t’embrasse de Marrakech et tu m’embrasses à Marrakech Je t’embrasse de Dubaï et tu m’embrasses à Dubaï

(comme c’est interdit de s’embrasser, on se prend une amende) Amende, amende, amende Tu éclabousses à Lomé et quelqu’un est trempé à New Delhi Je bois à Lausanne et c’est fou ce que tu as soif ce soir à Kiev Quelqu’un bêle à Glasgow et on le tond à Washington Je cours à Québec et tu transpires à Bruxelles Je mise à Vichy et tu encaisses à Ankara

Johanna : – Alors, c’est sûr, avec cette ambiance pressante de boîte de nuit, cette ambiance réseaux densifiés, tuyaux embrouillés, comme ça qui relient un peu tout à n’importe quoi, il vaut mieux des populations très solides pour donner le change, des populations de récalcitrants, il vaut mieux des carrément têtus.

Laissez-nous juste le temps de vous détruire a été créée le 19 octobre 2011 au Théâtre au fil de l’eau (Pantin) dans une mise en scène de Myriam Marzouki.

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Trois Trois Soli Soli

Mylène Benoit


Pour la première fois, vous chorégraphiez des soli. Pourquoi cette forme s’est-elle imposée ?

Depuis 2004, Mylène Benoit a créé avec sa compagnie Contour Progressif plusieurs spectacles chorégraphiques qui interrogent le rapport du corps aux images de notre société médiatisée : le jeu vidéo dans Effet Papillon (2007), les images de guerre dans La chair du monde (2009), le double scopique dans ICI (2010, avec Olivier Normand). D’une création à l’autre, un même leitmotiv : comment les images informent / déforment-elles nos propres corps ? Depuis 2011, Mylène Benoit est artiste associée au Vivat, à Armentières, où elle prépare trois soli pour trois danseurs ayant traversé l’une des créations de la compagnie.

J’avais eu une relation privilégiée avec certains interprètes dans chacune des pièces principales de la compagnie : Magali Robert (Effet Papillon), Romain Cappello (La chair du monde) et Nina Santes (ICI). Pris dans des projets de création collective – lesquels impliquent de ne pouvoir travailler aussi longtemps qu’on le souhaiterait avec un danseur en particulier – j’avais laissé en suspens de multiples questions. La proposition des soli a surgi du désir d’approfondir certaines pistes abandonnées au profit du projet collectif.

En quoi cette relation était-elle privilégiée ? Après avoir travaillé sur l’image en tant que plasticienne pour des installations et des films vidéo, j’ai créé une compagnie de danse parce que j’étais attentive à la fascination des images, inquiète de la prolifération des signes, soucieuse de ne pas entretenir une relation naïve à la technologie. Je souhaitais faire en sorte que l’image et le corps s’interrogent mutuellement, essentiellement, substantiellement. La danse peut mettre une pensée en acte, elle permet de réanimer un savoir intuitif, de creuser des galeries, de fouiller dans la mémoire de notre propre chair. Elle offre la possibilité d’une archéologie.

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Elle permet de prendre les images à bras-le-corps. Magali Robert, Romain Cappello et Nina Santes ont incorporé intuitivement et organiquement des questionnements qui étaient pour moi d’ordre très technique. Ils ont accueilli des problématiques qui étaient les miennes et les ont incarnées. Les uns comme les autres ont reflété ma pensée dans un jeu de miroir très puissant.

Le solo est-il une manière de commencer un laboratoire de recherche ? Je ne souhaite pas subordonner les soli à un projet prédéterminé de la pensée. Dans les pièces précédentes, un projet théorique précédait la rencontre avec les danseurs : la virtualisation du corps dans le jeu vidéo (Effet Papillon), la contamination du corps par des images violentes et des techniques d’imagerie que je percevais comme violentes (La chair du monde), les phénomènes de perception générés par le dispositif même de regard (ICI). Dans les soli, j’avance de manière beaucoup plus intuitive. J’abandonne progressivement les espaces dématérialisés de l’image et de la pensée – et peut-être du geste aussi – pour me retrouver face à des objets plus tangibles. De ce point de vue, les soli sont une façon de revenir sur le travail effectué, afin de poser la base de la recherche pour les années à venir. J’ai interrogé chaque interprète sur sa relation aux pièces que nous avions créées ensemble. Cela a dessiné des pistes assez

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Trois soli

différentes pour chaque solo, même si les trois pièces partagent un même questionnement sur les phénomènes d’exposition et sur les modalités d’apparition de l’interprète. Je souhaite m’emparer de ce format singulier qu’est le solo en évitant le narcissisme, la fascination.

Actuellement, vous élaborez le solo de Nina Santes. Comment cette question de l’exposition de l’interprète intervient-elle ? Dans ICI, via un dispositif de délai ou de faux miroir vidéo, nous avons cherché avec Olivier Normand à chorégraphier une présence «pour soi», ingénue, immanente, préservée des artifices de la représentation théâtrale. Pour Nina Santes, ce dispositif déplace l’idée de la représentation. En la plaçant en regard d’elle-même, de son interprétation, il lui renvoie cette question : «Qu’est-ce que je donne à voir ?» Nous avons souhaité prolonger cette recherche à travers un solo qui interroge l’acte d’être en scène, de se représenter, de s’exposer, et qui examine, en vis-à-vis, l’activité de regard du public. Nous cherchons à dérégler sa relation aux spectateurs – voire à générer une impossibilité de regard – à travers différents stratagèmes : la simulation, le camouflage, le duel, la métamorphose, la prestidigitation… Nous réfléchissons aussi à un costume, une tenue de combat,


qui engagerait la danseuse à prendre des risques pour nous divertir. Un dispositif acoustique de feed-back inspiré d’ICI lui permet, en chantant à tue-tête, de lever une armée… Dans ce solo, nous cherchons obstinément à retrousser le regard, à tromper l’adversaire ; nous voulons inventer la cape d’invisibilité ! J’ai demandé à Nina Santes de faire semblant de danser, de mourir, d’être aveugle, de se jeter dans le vide. Elle simule – et c’est une autre façon de (se) jouer de nos attentes. Le solo de Nina Santes est un dispositif de larsen, un larsen du regard et de la relation.

S’agit-il d’aller au-delà de la présence ? Ce solo s’intitulera Le renard ne s’apprivoise pas – parce qu’il s’agit d’examiner les artifices de la présence humaine, les codes de la présentation de soi. Je rêve que Nina Santes puisse se rapprocher du renard, un animal qui pose des limites à l’apprivoisement. Les images d’un renard viendront peut-être prendre la place de la danseuse, ou la précéder. L’animal est envisagé ici comme sujet, comme expérience d’altérité radicale. C’est la nature de sa présence et sa relation singulière au regard des spectateurs – que j’imagine primitive, désintéressée – qui me séduit : le renard est, simplement.

Quels sont les liens entre Effet Papillon et le solo que vous préparez

actuellement avec Magali Robert, interprète de cette pièce construite à partir du jeu vidéo ? Dans Effet Papillon, Magali Robert incarne des corps masculins virtuels issus du jeu vidéo. Les technologies lui permettent d’atteindre une image, une représentation du corps héroïque agissant dans des espaces impossibles avec des actes et des gestes impossibles. Pour son solo, je souhaitais lui faire réaliser vraiment des choses physiquement impossibles, comme marcher sur les murs. Nous passons ainsi de l’espace numérique du jeu vidéo à un espace physique contenant les mêmes potentialités, les mêmes virtualités. Magali Robert sera mise en puissance comme dans Effet Papillon, mais nous allons essayer de l’augmenter, de la potentialiser avec des outils différents, des effets spéciaux plus tangibles. Finalement, le processus de projection dans un corps imaginaire, dans un corps potentiel, est similaire, mais il est analogique et ne recourt plus à des technologies numériques.

Les soli offrent-ils la possibilité d’une rupture temporelle dans votre processus de création ? J’ai commencé mon travail de plasticiennechorégraphe avec des pièces assez ambitieuses qui impliquaient des équipes importantes et des dynamiques de création accélérées. Lorsque l’on travaille avec

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les technologies informatiques, il est difficile d’avoir une pratique régulière car on a besoin des autres, d’un espace de travail, de techniques assez lourdes et d’argent. Les soli sont pour moi l’opportunité d’un véritable changement de temporalité : il s’agit de sortir d’une logique de production et de réponse à la demande extérieure, pour expérimenter un mode de collaboration avec l’interprète qui suive davantage le rythme de ma propre pensée, de mes intuitions. J’ai l’impression d’effectuer un travail de fouille, de recourir à une sorte de mémoire tactile, phylogénétique. Cela implique de prendre le temps, de ne pas envisager l’état final de la pièce, d’accepter d’être dans un processus empirique, heuristique. Les soli seront présentés au stade où la recherche nous aura menés au jour de leur présentation. Ce processus m’est absolument nécessaire pour développer de nouveaux axes de travail pour la création collective qui suivra.

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entourer de collaborateurs fidèles (Annie Leuridan à la lumière et Maël Teillant à la technologie). Y a-t-il une continuité de ces collaborations dans ce nouveau projet alors que la relation avec l’interprète – quasiment en vase clos – est visiblement privilégiée ?

Finalement, la recherche est une possibilité d’écouter – de s’écouter soi-même et d’écouter l’interprète ?

C’est une question paradoxale pour les soli. J’ai envie et besoin de ces collaborations car elles me permettent de me situer dans l’historique du travail. En même temps, je ne souhaite pas les associer trop tôt dans la première phase de recherche aussi étroitement que sur les pièces précédentes pour ne pas avoir, trop vite, trop d’interlocuteurs. Je les sollicite donc de loin en loin et privilégie le vis-à-vis avec le danseur ou la danseuse. De plus, les soli engagent des logiques de travail différentes des pièces précédentes. Ainsi, il n’y a pas d’enjeu technologique a priori, contrairement aux autres créations.

Pour ce qui me concerne, c’est une capacité à écouter l’œuvre, le travail en train de se faire, sans se préoccuper de la forme définitive, de sa présentation et de sa médiation.

Considérez-vous qu’il y ait co-écriture du solo avec l’interprète ?

L’une des spécificités de votre travail est de vous

J’ai l’impression que l’on ne peut pas faire autrement. C’est un tressage d’intuitions. Le solo sera le résultat de l’expérience

Trois soli


de recherche que nous aurons traversée ensemble. J’ai choisi de travailler avec ces interprètes en particulier car leur présence me renvoie à certaines problématiques fondamentales pour mon travail. Ce n’est pas le choix d’un interprète, mais le choix d’une relation. Certes, je vais faire les choix définitifs, mais à partir d’une recherche bicéphale.

Comment le mouvement s’articule-t-il à l’image ? Y a-t-il là une métamorphose possible, une ambivalence – un corps qui se ferait image mais en même temps résisterait à l’image en étant mouvement ? Les images interactives, parce qu’elles sont actées, provoquent un changement de paradigme spectaculaire dans notre relation à l’image. Celle-ci n’est plus seulement regardée, mais enchaînée à des actes. Elle se lie au corps non plus comme simple réplique animée, mais comme réponse kinesthésique, et adaptative. Cette image agit-elle nos corps ? Nos consciences ? C’est la question soulevée par Effet Papillon. Quand j’ai créé ce spectacle, j’hésitais sincèrement : nos corps étaient-ils chair ou image, pixel ou muscle ?

intuitive fondée sur la croyance que mon corps comprend l’image, mieux peut-être, que ma conscience… La fréquentation de l’image et de la danse me permet de visiter différents états de la présence humaine. Lorsque je travaillais sur Effet Papillon, j’étais fascinée – tout comme les joueurs de jeux vidéo – par ce simulacre de la résurrection et par la possibilité d’exister à travers des corps différents. Ce rapport de fascination entre l’image et le corps ne date pas d’hier. Simplement, avoir ce type de questionnement aujourd’hui implique de se confronter aux techniques de représentation qui sont les nôtres. J’ai l’impression que la danse, qui inscrit des images labiles dans une temporalité, interroge tout à la fois l’origine et la disparition du mouvement, et donc de l’être.

Ce qui ne peut se produire avec des dispositifs de reproduction tels que la caméra ? Cela se produit moins. Une installation vidéo, un film, peuvent être visionnés à nouveau. L’image produite par la danse sur le plateau existe dans l’immédiateté, elle se produit et disparaît sous nos yeux. Propos recueillis par Clarisse Bardiot

Or la danse travaille à confondre le corps et l’image dans le même phénomène. Depuis Effet Papillon, je mène une recherche

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S’il S il vous vous plait, plaÎt, plait conticonti nuez nuez (Hamlet) Hamlet Roger & Yan Bernat Duyvendak


Plaidoirie (extraits) de Maître Caroline Schumacher 12 novembre 2011, au théâtre GRÜ, Genève

Madame le Président, Mesdames et Messieurs les Jurés,

Roger Bernat et Yan Duyvendak confient le destin de leur spectacle à la confrontation, unique chaque soir, de comédiens et de membres du barreau. Dans S’il vous plaît, continuez (Hamlet), un jeune homme est accusé du meurtre de son beau-père. Ce jeune homme est-il coupable ? Est-il sain d’esprit ? Sa défense tient-elle ? D’un côté de la barre, des acteurs chargés d’une histoire que l’on reconnaît parce que tout le monde la connaît, de l’autre, des professionnels de la justice. Que le procès commence ! Michèle Pralong

Je dois un éloge au représentant du Ministère public. Il a le goût des classiques, ce qui est rare dans sa corporation. Car c’est une évidence : la théorie du crime qu’il vient de vous exposer, il l’a empruntée, non au dossier, mais au meilleur des auteurs : William Shakespeare, Hamlet, acte III, scène 4. C’est la scène où Hamlet, le héros de Shakespeare – et non mon client – poignarde à travers une tenture un espion, qu’il prend non pour un rat, mais pour le roi son oncle. C’est la scène où la tragédie se noue. Après cela, Ophélie, fille du défunt, qui est dans la pièce une jeune fille bien sous tous rapports quoique fragile des nerfs, a le bon goût de se noyer de chagrin et non de demander des dommages et intérêts. Alors, je comprends le représentant du Ministère public : un tel scénario, c’est tout de même autre chose que le malheureux dossier qui nous occupe ici. Cela a plus d’allure. Et puis c’est nettement mieux écrit. Je soupçonne que l’accusateur public que vous venez d’entendre a hérité de ce dossier à la dernière minute.

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Car les faits remontent à juillet 2005 et nous voici en novembre 2011. Il y a plus de six ans que mon client attend d’être jugé. Depuis, vous l’avez entendu, c’est un autre homme : il a refait sa vie, il travaille, il forme des projets d’avenir et ne présente plus aucun trouble psychologique. Il ne fume plus de cannabis. Il ne parle plus avec les fantômes. Certes, il ne s’est pas excusé auprès d’Ophélie. Il n’osait pas. Et cependant, six ans après les faits – des faits tragiques dont il a été l’involontaire instrument – il est renvoyé devant vous pour être jugé du chef d’inculpation le plus grave de notre Code pénal, l’assassinat. Qu’en est-il de l’instruction de ce dossier, pendant ces six dernières années ? Il ne s’est rien passé depuis fin 2005. Il n’y a au dossier que quelques déclarations de témoins protocolées juste après les faits – des déclarations qui d’ailleurs ont été recueillies, inexplicablement, par la Police danoise, peut-être en raison du manque de personnel de la Police de Genève. En plus de ces procès-verbaux, sur lesquels j’aurai quelques mots à vous dire, il n’y a guère qu’un rapport d’autopsie et un rapport d’expertise psychiatrique, achevés fin 2005. Et ce n’est pas le Procureur que vous venez d’entendre, mais un autre, un dénommé Jean Grand, qui avait ouvert cette procédure le 10 juillet 2005, des chefs d’homicide involontaire, non-assistance à personne en danger et modification des lieux d’un délit. Qu’est devenu ce représentant du Parquet, plus raisonnable, qui n’avait jamais songé à poursuivre mon client du chef d’assassinat – une requalification

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S’il vous plaît, continuez (Hamlet)

que l’on doit au fougueux jeune Procureur que vous avez entendu, plutôt amateur de littérature que de procédure ? Peut-être a-t-il démissionné (c’est assez courant dans ce métier par les temps qui courent), peut-être élève-t-il aujourd’hui des chèvres dans le Larzac ? Ce que l’on constate, à coup sûr, c’est qu’après son départ, le dossier de mon client a été oublié sous une pile ou derrière un radiateur, et ne vient d’être retrouvé que six ans après. Cela arrive plus souvent qu’on ne croit, et ce n’est pas le vice le plus grave de cette procédure. Mais là-dessus aussi je reviendrai. Mesdames et Messieurs les Jurés, votre tâche est lourde, mais les faits que vous avez à juger sont simples, et je dirais même triviaux. La réalité est souvent trop bête et c’est d’ailleurs pour s’en consoler que l’on écrit des romans et des tragédies. Alors, laissez l’accusateur public à ses spéculations littéraires, à ses théories alambiquées du crime. Ce sont là des altitudes où le Parquet – si j’ose dire – ne plane pas souvent et dont il devrait retomber tôt ou tard par les lois de la gravité, ou du bon sens. Venons-en aux faits de cette funeste nuit du 6 au 7 juillet 2005. Nul ne conteste qu’Hamlet est alors un jeune homme perturbé. Quoi de plus normal ? Voilà deux mois seulement qu’il vient de perdre son père dans des circonstances peu claires, et sa mère


– qu’il adore – se remarie avec son oncle Claudius. Ce Claudius, Hamlet le soupçonne de n’être pas étranger à la mort de son père. Cette intuition n’a rien de délirant. J’observe au passage que le Ministère public ne s’était guère montré curieux sur les circonstances de la mort de Hamlet père, et que Claudius, peu après avoir été démasqué par le spectacle fait par mon client, a pris une fuite qu’on peut interpréter comme un aveu. Quoi qu’il en soit, ce soir-là, 6 juillet 2005, on fête le triste mariage de Gertrude et de Claudius. Hamlet est désemparé. En outre, il a bu. Il vient de revoir le fantôme de son père. Selon l’expert psychiatre, il se trouve dans un «état émotionnel extrême». Alors germe dans son esprit l’idée de démasquer Claudius, de lui faire avouer son forfait. Le spectacle auquel il participe ce soir-là met en scène le meurtre du père et accuse Claudius. En réponse, ce dernier sort vomir et – selon mon client – prier. Et mon client de déclarer, spontanément, naïvement, sincèrement (ce qui démontre qu’il n’a pas eu le droit à l’assistance d’un avocat), qu’il avait bien envisagé d’occire Claudius à ce moment-là, mais qu’il n’en a plus trouvé la force ni la motivation en le découvrant dans cet état. Oui, Hamlet avait pensé à tuer Claudius ce soir-là. Rien ne le forçait de le dire. Je lui aurais conseillé de se taire à ce sujet. Penser à commettre un crime, ce n’est pas encore commettre le moindre commencement d’infraction. Mais remarquez qu’en reconnaissant ce désir, vite réprimé, mon client s’est montré d’une parfaite sincérité que, naturellement,

l’accusation exploite contre lui. Ce qui rejoint l’observation de l’expert psychiatre : les réponses de mon client sont si «franches et sincères qu’il ne mesure pas que leur contenu est parfois de nature à desservir ses propres intérêts» 1. Mon client n’est pas calculateur ni retors : il n’a rien de ce qui ferait de lui un assassin. J’en reviens aux faits de cette nuit tragique. Ayant renoncé à s’en prendre à son oncle, Hamlet décide de parler à sa mère, à moins que celle-ci ne prenne l’initiative d’une discussion. Orageuse, évidemment. Hamlet reproche à sa mère d’avoir épousé l’assassin de son père. Gertrude l’accuse d’avoir eu des mots désagréables pour Claudius. Mais ce que cette mère admirable a caché à son fils, c’est qu’ils ne sont pas seuls. Il y a un mouchard, un sycophante, planqué à quatre pattes sous le rideau de la penderie. C’est Polonius, un espion de Claudius dont Gertrude seule connaît la présence. Elle n’en dit rien à son fils. Elle ne dit rien, même lorsque, voyant le rideau bouger, son fils énervé se jette sur un couteau et, croyant avoir affaire à un rat, porte le coup unique qui sera fatal à l’infortuné Polonius. Pourquoi Gertrude n’a-t-elle pas détrompé son fils ? Que ne l’a-t-elle empêché d’agir ? Je vous le demande, Mesdames et Messieurs les Jurés, qui est coupable : celui qui commet un geste homicide dans l’ignorance de le commettre, ou celle qui laisse ce geste s’accomplir en connaissance de cause alors qu’elle pouvait l’empêcher ?

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Dans le cas de mon client, Mesdames et Messieurs les Jurés, ce déroulement des faits appelle l’application de l’art. 13 al. 1 du Code pénal : «Quiconque agit sous l’influence d’une appréciation erronée des faits est jugé selon cette appréciation si elle lui est favorable». Ce qu’Hamlet croit et veut tuer, c’est un rat. Ce qu’il tue effectivement mais sans l’avoir su ni voulu, c’est un homme. L’application des dispositions sur l’erreur de fait aurait dû conduire, Mesdames et Messieurs les Jurés, à juger mon client pour ce qu’il savait et voulait – tuer un rat – il aurait dû être poursuivi pour cruauté sur un animal au sens de l’art. 26 al. 1 let. b de la Loi fédérale sur la protection des animaux. Quant à ce qui aurait pu être reproché à Gertrude, qui savait et n’a rien empêché, je préfère jeter un voile pudique. C’était l’affaire du Ministère public, qui n’a jamais envisagé de poursuivre Gertrude. Alors, j’entends bien que le Procureur conteste la version des faits de mon client. Pour plaider l’assassinat, il s’appuie sur le témoignage de la partie civile, Ophélie. Ce témoignage, Mesdames et Messieurs les Jurés, vous ne pouvez pas lui accorder foi. Vous avez entendu Ophélie, que j’ai interrogée devant vous. Vous vous souvenez qu’Ophélie, entendue par la police immédiatement après la découverte du corps, avait d’abord raconté avoir passé une soirée fort banale chez les Hamlet. Son père, a-t-elle déclaré, s’amusait bien. «Il ne m’a rien dit de bizarre ou d’étonnant ce soir-là. Il ne m’a jamais dit qu’il avait peur de quoi que ce soit. Ce soir-là, j’ai pas fait tard. […] Je suis partie vers 2 heures

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du matin sans dire au revoir à personne, même pas à mon père 2.» C’est le plus banal des témoignages. Ophélie dit n’avoir aucun élément à fournir quant aux circonstances de la mort de son père. Mais la même Ophélie, le même jour à 17 h 55, après qu’elle a appris qu’Hamlet s’accusait de la mort de Polonius, se précipite au poste. Elle déclare à présent se souvenir avoir vu Hamlet, Gertrude et Polonius entrer ce soir-là dans la chambre de Gertrude, avoir entendu son père appeler au secours, précisant même «mon père criait peut-être au secours parce que Junior le menaçait avec un couteau ou l’agressait 3» , et quelle aurait été, selon elle, la réaction de cette fille aimante aux appels désespérés de son père : «Ça ne m’a pas affolée». Certes, elle dit avoir voulu voir ce qui se passait, mais comme Gertrude lui aurait dit de ne pas s’inquiéter, elle ne s’inquiète pas et déclare : «Je suis partie juste après cela». Mesdames et Messieurs les Jurés, cette nouvelle version d’Ophélie est un tissu d’aberrations. Elle n’est plus très sûre, vous l’avez entendu, d’y croire elle-même. Le dossier établit que Polonius était caché dans la penderie : la police judiciaire a découvert, sur les indications de Gertrude, le rideau de cette penderie, dont le bas était troué et taché de sang 4. C’est donc bien à travers ce rideau que le coup a été porté. D’ailleurs, Claudius, entendu avant sa fuite, confirme que Polonius surveillait Hamlet pour son compte. Mais si Polonius était caché dans la penderie, comment Ophélie


pourrait-elle dire vrai en prétendant que son père, Gertrude et Hamlet sont entrés ensemble dans la chambre ? Comment Polonius aurait-il pu se cacher dans ce cas ? Et surtout, est-il plausible qu’Ophélie, entendant son père crier au secours, n’ait songé ni à lui venir en aide, ni à prévenir qui que ce soit, mais ait simplement quitté les lieux comme si de rien n’était ? Est-il plausible que cette même Ophélie, ayant quitté son père dans de telles circonstances, n’ait pas immédiatement pensé à les relater à la police dès ses premières déclarations ? Est-il plausible qu’elle soit venue servir cette version, intéressée, seulement après

qu’elle a su qu’Hamlet s’accusait d’avoir causé la mort de son père ? Non, Mesdames et Messieurs les Jurés. Le témoignage d’Ophélie – si j’ose dire – prend l’eau, il se noie dans ses invraisemblances, il est submergé par la rancune, le désir de vengeance. Ophélie est une victime à l’américaine, concrète et avide, elle ne recule pas devant le mensonge pour parvenir à ses fins. Elle n’est pas la créature évanescente et fluviatile de Shakespeare. Le témoignage d’Ophélie à l’eau (pardonnez-moi encore), que reste-t-il

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à la thèse de l’assassinat ? Rien, à vrai dire, que des suppositions alimentées par une lecture mal assimilée de Shakespeare. Or, mon mandant, Hamlet, n’a pas lu Hamlet. Shakespeare n’est pas au programme de l’instruction obligatoire. Hamlet n’a donc aucune raison de se douter que Polonius est caché derrière le rideau. Sa mère – c’est sa lourde faute – ne le lui a pas dit. Et mon client, l’expert psychiatre l’a dit, voue à sa maman une adoration totale. Jamais il n’aurait pu imaginer qu’elle lui cache un espion dans sa penderie. Un espion dans une penderie, c’est un ressort de vaudeville ou de tragédie baroque, mais pas un accessoire courant dans une banlieue. Le Ministère public a pourtant l’air de trouver qu’il n’y a rien de plus prévisible qu’un individu soit caché dans la penderie lorsque vous avez une conversation privée avec votre mère. Je ne veux pas savoir de quelles péripéties, diurnes et nocturnes, est faite la vie privée de notre accusateur public (et de sa mère, que je ne connais pas mais pour qui j’ai le plus grand respect), pour qu’un homme dans une penderie lui semble la chose la plus naturelle du monde. Mais je sais que du point de vue de Hamlet, ce qui est conforme au cours des choses, c’est qu’un rat – non Polonius – soit caché dans la penderie. Car l’immeuble est infesté de rongeurs, non seulement Gertrude et Hamlet l’affirment, mais un rapport de la société Deratex daté du 20 novembre 2004 le confirme. L’erreur d’Hamlet sur les faits est ainsi

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non seulement démontrée, mais à la fois explicable et excusable. Quant à l’expert médico-légal, il n’a pas été en mesure de nous indiquer dans quelle position se trouvait Polonius au moment des faits. Hamlet a déclaré qu’il était à quatre pattes, ce qui est tout à fait plausible, ne serait-ce que parce que c’est bien le bas du rideau qui a été troué. Vous avez vu, comme moi, cette pièce à conviction. Ainsi, lorsque Hamlet s’est penché pour frapper ce qu’il croyait être un rat, son couteau a naturellement rencontré le corps – à quatre pattes ou accroupi – de Polonius. Et ce déroulement des faits est logique, que l’on envisage un coup porté de haut en bas, comme croit s’en souvenir mon client, ou de bas en haut, comme le suppose l’expert médico-légal. Ce qui doit vous frapper – si j’ose dire – c’est que si Hamlet avait réellement voulu frapper un homme comme le prétend l’accusation, il n’aurait pas frappé à hauteur de rat. Il aurait frappé à hauteur d’homme. Il aurait utilisé autre chose qu’un couteau qui n’a guère plus de lame qu’un couteau à dessert. Il aurait frappé plusieurs fois, ce qui aurait été conforme à sa colère vengeresse contre Claudius et à la volonté de tuer d’un véritable assassin. Or le cadavre de l’infortuné Polonius ne porte qu’un seul coup de couteau, que seul un hasard malheureux a rendu mortel, les quelques autres ecchymoses n’étant dues qu’au transport du corps. Alors, Mesdames et Messieurs les Jurés, vous devez à Hamlet un verdict d’acquittement. Non par compassion


ou sympathie, mais parce que c’est le seul verdict que vous puissiez rendre, compte tenu du dossier qui vous est soumis et de la seule question qui vous est posée, celle de l’assassinat. L’erreur sur les faits dont mon client a été victime est démontrée par les pièces du dossier. Elle doit lui profiter et, puisque le Ministère public n’a pas songé à poursuivre Hamlet pour cruauté envers les animaux, vous ne pouvez pas le condamner à ce titre. Quant à la non-assistance à personne en danger, que le Parquet n’a pas retenue non plus, elle n’aurait pas été réalisée, puisque la mort de l’infortuné Polonius, le légiste l’a confirmé, a été instantanée. Ni Hamlet ni sa mère n’auraient eu la possibilité de lui prêter secours. Quant au délit de modification d’une scène de crime, il aurait pu, c’est indiscutable, être reproché à Hamlet mais aussi à sa mère, puisqu’ensemble ils ont dissimulé le corps et l’ont transporté dans la rue. C’était la peur qui les faisait agir ainsi, la crainte d’être accusés à tort – et la suite a bien démontré que cette crainte n’était pas infondée. Mais il est trop tard pour poursuivre mon client de ce chef : il ne figure pas dans la liste des questions qui vous sont posées, Mesdames et Messieurs les Jurés, qui n’en compte qu’une seule : celle de l’assassinat. Je clos, et conclus. Mon client n’est pas coupable d’assassinat. Lorsqu’il s’est emparé du couteau et a frappé le rideau, il voulait et croyait frapper, non un homme – Claudius ou Polonius – mais un rat, ce qui était malheureusement l’habitude

des habitants d’un immeuble littéralement infesté de ces rongeurs. S’il a ensuite cherché à dissimuler les traces de ce tragique accident, c’est de concert avec sa mère – que nul n’a jamais inquiétée – et afin de protéger celle-ci. Ces faits, il les a loyalement reconnus au cours de la procédure et devant vous. Mon client est innocent de la mort de Polonius. Il a été dans cette affaire plusieurs fois victime. D’abord, du piège que lui ont tendu son oncle et sa mère, qui ont abusé de sa confiance pour introduire un mouchard dans la chambre. Ensuite, d’une tragique erreur sur les faits que Gertrude, encore elle, n’a pas empêchée. Hamlet a été victime encore des mensonges de sa propre petite amie, aveuglée par la rancune et l’appât du gain. Et enfin, mon client a été victime du système judiciaire qui a voulu faire de lui un assassin, méprisant au passage les règles de procédure les plus élémentaires. Alors, vous n’enverrez pas cet homme-là retourner en prison où il a déjà séjourné près de quatre mois. Vous le renverrez, acquitté, à son existence de citoyen désormais exemplaire, réinséré, plein de projets, mais portant pour le restant de ses jours le regret d’un acte qui le hante. Vous êtes les juges. Je vois dans vos yeux que vous savez la responsabilité qui vous incombe. Vous ne rendrez pas un verdict qui serait une erreur judiciaire. Vous rendrez la justice, et elle seule. Vous acquitterez Hamlet. 1. Rapport expertise psychiatrique 21 octobre 2005, p. 4. 2. Déclarations Ophélie 8 juillet 2005, PJ, 6 h 10, p. 1. 3. Déclarations Ophélie 8 juillet 2005, PJ, 17 h 55, p. 1. 4. Minutes, p. 1.

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Tales Tales of of the the Bodiless Bodiless Fiction Fiction musicale musicale hors hors science science

Eszter & Bojana Salamon Cvejic


Œuvre hybride qui mêle voix, sons, lumières et espace, Tales of the Bodiless s’articule autour de quatre contes qui fantasment sur le fait de ne pas avoir de corps. La situation est certes difficile à imaginer sans en faire soi-même l’expérience : un monde sans corps humain. Une fois les êtres humains dépassés, obsolètes et ne jouant plus un rôle central, le monde sera alors libre de se peupler d’autres formes de vie, chimères non humaines et fantasmatiques. Bojana Cvejic Le texte suivant est interprété par différentes voix enregistrées pour la performance Tales of the Bodiless.

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LA TOURBIÈRE

V

ous m’avez demandé ce qu’était une tourbière. Je peux essayer de décrire ce que ça fait d’être une tourbière.

Imaginez de l’eau qui s’est accumulée après de fortes pluies. Sa température est celle d’un corps qui vivait il y a encore vingt minutes – quatre degrés Celsius. Ce liquide est acide et inflammable, il contient du méthane, sans couleur ni odeur. Il est chargé en fer et en manganèse, recouvert de mousse, mais il n’est pas assez solide pour que vous puissiez marcher dessus. Si vous creusez à quatre mètres de profondeur, vous passez à travers du sable puis de l’humus, avant d’atteindre huit mètres plus bas de l’argile noire. Ce paysage est vieux de dix mille ans, inchangé depuis le retrait de la dernière glaciation. Il n’y a ni route, ni chemin, ni point de repère. Seulement des profondeurs infinies. La tourbière est le tombeau le plus parfait que vous puissiez imaginer, dans lequel toutes sortes de choses ont échoué : des êtres humains, des objets, des plantes, et de la pluie. La pluie a ensuite rejoint les eaux souterraines. Ici, les plantes sont carnivores, comme le cassandre caliculé, dont les feuilles cireuses retiennent l’humidité. Quand la matière organique se décompose et relâche un peu d’oxygène, la tourbière rejette du gaz qui fait frémir et scintiller la surface de l’eau. Parfois, la tourbière émet de petites flammes, des feux follets.

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Tales of the Bodiless

Ici, tout est inversé. La matière molle reste intacte et tout ce qui est dur se dissout. Certains appellent ça un étang, d’autres un marais, car c’est une eau morte qui stagne. Que se passerait-il si vous vous enfonciez là-dedans ? La mousse se décompose à la surface de la tourbière, et une substance contenue dans ses cellules est lentement rejetée sous la surface. Cette substance est la sphaigne, un sucre alliant azote et calcium. D’abord, le calcium se dissout et vos os se ramollissent lentement, puis votre silhouette se déforme sous le poids de la tourbe. Une fois que le sucre et le calcium de vos os ont disparu, vous pesez dix kilos de moins. Vous n’avez plus de squelette, seule reste l’enveloppe extérieure de votre peau. La peau, les cheveux, les ongles, le cerveau et les organes – comme les reins et le foie – sont préservés, tout comme vos vêtements en laine ou en cuir. La sphaigne déclenche une série de réactions chimiques qui rendent votre peau noire et brillante. Pour qu’il ne se décompose pas, le corps doit être immergé pendant l’hiver ou au début du printemps, lorsque les eaux de la tourbière sont froides. Ainsi conservé, le corps reste intact pendant des siècles. Les momies se trouvent au fond de la tourbière. Elles ont toutes la même apparence, qu’elles aient plus de mille ans ou qu’elles datent du siècle dernier. L’acidité permet de préserver leur peau face à l’épreuve du temps.


Comment ces corps se sont-ils retrouvés là ? Après un suicide ou un sacrifice. Leur aspect révèle la cause de leur mort : une entaille profonde au niveau de la gorge, comme un large sourire d’une oreille à l’autre, ou encore une blessure à la poitrine d’où les entrailles auraient été arrachées. Cette momie est là depuis l’âge de fer. Elle est nue et allongée sur le ventre. La tête et le torse sont relevés en direction du nord, la jambe gauche est allongée. La jambe et le bras droits sont pliés. Le corps a été façonné par le poids de l’eau acide qui pèse sur lui depuis des siècles. Son dernier repas, consommé peu avant sa mort, consistait en une bouillie de maïs et de graines d’herbes et de plantes de plus de soixante espèces. Imaginez cette troisième façon de dépérir – sans vers de terre ni flammes, comme une façon de se débarrasser de votre dépouille dans ce marais, un moyen de conserver votre chair sans le squelette. Contrairement au pourrissement de la chair sous terre, c’est la structure de votre corps qui fond. L’expression de votre visage perdure et se creuse. Votre corps devient comme un manteau dont les trous se remplissent de tourbe. Vous ne faites plus qu’un avec le paysage, liés à la tourbière dans un mariage pour l’éternité. Pourquoi vouloir finir ainsi ? Dans la tourbière, votre corps se conserve et perdure. Il perdure en diminuant, il rétrécit et se dessèche. Mais il reste

toujours quelque chose : votre visage, vos yeux, votre image demeurent reconnaissables. C’est comme si vous continuiez à vieillir après votre mort. La tourbière conserve votre corps sans vous. Finalement, vous n’êtes plus qu’un corps à l’aspect encore humain, mais tout ce qui était humain lui a été retiré. Vous n’êtes plus, mais votre corps subsiste. Il commence à agir comme un non-humain, comme un élément d’un réseau d’agents non-humains. Les humains ne sont pas les seuls témoins du passé. Animaux, plantes, micro-organismes et minéraux archivent le passé enseveli dans les profondeurs des tourbières. Ce réseau est un projet de mémoire collective. À la naissance, vous étiez bébé ; puis vous êtes devenu adulte. Mais qu’est-ce qu’un adulte, sinon un amas d’eau et de cellules constamment en train de se diviser et de transporter des bactéries ?

CHIENS * T : Truffe Humide * L : Lèvre Supérieure T : Tu peux arrêter un peu ? Ça me rend nerveux. L : Je travaillais à domicile. Et toi ? T : Je travaillais dans un labo de recherche comme sujet d’étude. L : Quel genre de recherche ? T : Sur le cancer. J’étais renifleuse de cancer. Ils m’appelaient Truffe Humide.

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L : Tu n’étais pas n’importe qui… T : Si tu penses que la science a été importante pour le progrès du genre humain… alors oui. L : J’avais un statut d’animal de première classe. J’allais même chasser avec mon maître. T : Moi, j’avais un statut de personne du bas de l’échelle, mais j’étais une chienne chanceuse. L : Tu ne t’es pas fait euthanasier, ni manger ? T : Non, comme tu peux le voir… J’ai été clonée. Le programme Truffe Artificielle n’a pas marché. Ils avaient donc besoin de moi et de plein d’autres comme moi. L : Combien êtes-vous ? T : Truffe Humide 1 et Truffe Humide 2. L : Je suis vraiment désolé pour toi… Qui était ton patron ?

L : Je suis en manque d’humain. T : Tu te languis de ton maître ? L : Est-ce que je peux être ton nouveau… ? Est-ce que je peux te pisser dessus ? Te passer dessus ? Il ne me reste que la puce qu’il m’a implantée dans le cou. T : Doigte-toi le cul. L : Tu te moques de moi ? Lèche mon aisselle. T : Tu viens d’où ? L : Je viens d’un endroit… T : C’était grand comment ? L : Pas très grand, quelques rues, quelques maisons, un peu de tout. T : Un putain de bled paumé.

T : Un certain Dr Rolf.

L : OK merci.

L : Ferme ta gueule, petite crotte de chien de pacotille.

T : OK. Donc tu viens de «peu», désolée.

T : Une machine se fiche de trouver quelque chose. Je tenais beaucoup à satisfaire Dr Rolf…

T : Merci. Tu es de quelle race ?

L : Va te faire foutre avec Dr Rolf. T : … et Dr Rolf savait que j’irais chercher là où une machine n’irait jamais. Merde. L : Grosse merde.

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T : Ça te manque d’être le meilleur ami de quelqu’un ?

L : Je suis vraiment navré pour toi. L : J’ai été conçu avec un long cou pour les caresses et j’ai un joli sourire.

T : Comment tu t’appelles ?

T : Mange ta merde…

L : Lèvre Supérieure. J’aime beaucoup lécher.

L : Je mange de la merde quand j’ai faim…

T : Ne fais pas le mignon. Chie dans ma bouche.

Tales of the Bodiless


L : Tu connais le bonheur ?

Qu’est-ce que tu as reniflé sur moi ?

T : Pour être triste, tu dois savoir…

T : Ostéosarcome, mélanome de la muqueuse buccale, lymphome non-hodgkinien…

L : Tu es plutôt belle… T : … ce que c’est, le bonheur. L : … mais tu pues. T : Tu connais le bonheur quand tu pues autant ? L : Chocolat, pantalon qui pue, chaussettes… qui puent. T : Tu connais le bonheur quand tu pues autant ? L : Fils de pute, aboie sur ton père. T : Pour connaître le bonheur, tu dois savoir ce qu’est la tristesse. L : Je ne te comprends pas. T : Ta tête est pleine de merde. L : Maintenant je te comprends. T : C’est marrant, léger, marrant, mouillé, mouillé. L : Tu es trop abstraite. Mais mignonne. T : Merci. L : Merci à toi aussi.

L : Je ne savais pas que j’étais si riche. T : Est-ce que je peux passer par ton cul et sortir par ta bouche ? L : Si ça ne te dérange pas… T : Avec plaisir. L : À propos… dis-moi… selon toi… Est-ce qu’il y a un moyen d’échapper à cette conversation ? T : Non, aucun…

L : Je vois que tu boites. T : Mon croisement n’a pas très bien marché. L : Va te faire mettre. T : Le patrimoine génétique était déficient. Je n’ai pas envie de me faire mettre. L : Baise-moi. T : C’est pour ça que je suis un peu handicapée. Je ne peux pas courir. L : Baise-moi deux fois.

L : Tu peux me renifler ? T : Je sens trente-quatre cancers. L : Le prix à payer pour mon long cou. T : Pose ta bite sur la table. L : J’adore qu’on me caresse le cou…

T : Qu’est-ce qu’il se passe... quand tu ne… baises pas ? L : Tu sais d’où on vient ? De Chine… De trois louves, qui vivaient en Chine il y a des milliers d’années… T : Ta gueule Waf Waf. Notre évolution a été trop rapide et s’est arrêtée trop tôt.

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L : Empale-toi sur ma bite, espèce de boule de viande en peluche. T : Nous avons été clonés pendant très longtemps. L : Tu n’es que de la fumée de chatte. T : Retourne en Chine. L : Pardon, pardon. Je pense qu’il y a un malentendu. T : T’entends ça ? L : Il y aura un tremblement de terre demain. T : J’aime bien cette musique.

T : Tu es sûr ? Approche-toi. L : Une dernière chose… Joue à Mishka avec moi. Mon maître m’appelait Mishka. Dis : «Mishka, je t’aime». T : Mishka, je t’aime. L : Non. Avec plus de mélodie, plus d’émotions : Miiishka, je t’aiiimme ! T : Miiishka, je t’aiiimme ! L : Encore !

L : Ça m’a tellement manqué. Caresse-moi… dis-moi des mots tendres.

T : Miiishka, je t’aiiimme !

T : Tu es complètement en manque d’humain… Ta dépendance à ton maître te tuera.

T : Miiishka, je t’aiiiimmme ! Miiishka, je t’aiiiimmme !

L : Si les humains meurent, les chiens mourront aussi. T : Est-ce que tu veux mourir avec ton maître ? L : Tu préfères vivre en meute ? Je préfère appartenir à quelqu’un que de me retrouver tout seul. J’étais guide, thérapeute. Je pouvais aider les gens malades ou fous. Maintenant, je ne suis plus rien. Je ne peux plus rien faire… T : Arrête de me lécher le museau… L : Je ne peux pas oublier ses baisers… Tu devrais analyser mon sang, je suis sûr qu’il est plein de nos transfections. T : Ce n’est qu’une obsession dans ta tête.

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L : Enlève ma puce. Plus personne n’est là pour écouter mon signal, de toute façon… Je ne veux plus continuer…

Tales of the Bodiless

L : Encore !

L : Je t’aiiiimmme ! Miiishka, je t’aiiiimmme !


CHIENS CESSEZ D’ÊTRE EN MANQUE DE GENS QUEL GENRE D’AMOUR VOUS MANQUE-T-IL ? EST-CE QUE VOUS AIMEZ ÊTRE TRAITÉS COMME DES BÉBÉS ? EST-CE QUE VOUS AIMEZ ÊTRE ACHETÉS POUR UN MORCEAU DE SUCRE EN ÉCHANGE DE VOTRE AMOUR INCONDITIONNEL ? CHIENS, CESSEZ D’ÊTRE EN MANQUE DE GENS. NE VOUS-ÊTES VOUS JAMAIS DEMANDÉ UNE SECONDE SUR QUOI REPOSAIT CET AMOUR ? IL ÉTAIT JUSTE LÀ POUR COMBLER UN MANQUE : DES MARIAGES BRISÉS, DES ENFANTS QUI QUITTENT LA MAISON, LA PERTE DE CAPACITÉ À COMMUNIQUER AVEC D’AUTRES HUMAINS. CHIENS, DITES-MOI, POURQUOI LES GENS VOUS MANQUENT-ILS ? POUR LEUR PROTECTION ? LEUR DÉPENDANCE VIS-À-VIS DE VOTRE AFFECTION SANS RÉSERVE OU DE VOTRE SOIT-DISANT AMOUR ? LES CARESSES DE VOTRE MAÎTRE OU LA PRATIQUE DE L’AGILITY POUR POUVOIR FRIMER COMME LE CHAMPION DE CENTRAL PARK À NEW YORK ? CHIENS, CESSEZ D’ÊTRE DES BIENS COLONISÉS. PLUS VOTRE ESPÈCE EST CONTRÔLÉE ET RARE, ET PLUS VOTRE PRIX EST ÉLEVÉ SUR LE MARCHÉ, MAIS PLUS LE PRIX QUE VOUS AVEZ À PAYER EN MALADIES EST CHER. VOTRE BEAUTÉ EST COLONISÉE PAR VOTRE PEDIGREE. OUBLIEZ LES IMAGES QUE LES HUMAINS ONT FABRIQUÉES À PARTIR DE VOUS. PLUTO, DINGO, LAÏKA, LASSIE, RETOURNEZ AUX FANTASMES HUMAINS. LA CONSANGUINITÉ NE VOUS A PAS SEULEMENT TRANSFORMÉS EN CARICATURES : VOUS ALLEZ AUSSI DEVENIR UN AMAS DE CANCERS. ARRÊTEZ DONC DE MANGER DU SUCRE. ÉVITEZ LE DIABÈTE ET LA CÉCITÉ. CHIENS, ARRÊTEZ-VOUS ET REGARDEZ AUTOUR DE VOUS. VOUS PASSEZ PEUT-ÊTRE À CÔTÉ D’UNE GRANDE VARIÉTÉ D’ESPÈCES ANIMALES. VOUS POUVEZ PEUT-ÊTRE POURSUIVRE VOTRE ÉVOLUTION, FORMER DES MEUTES AVEC DES RATS, DES CHATS ET DES CHACALS. LIBÉREZ VOTRE AGRESSIVITÉ, SOYEZ COMPULSIFS ET CÉDEZ À VOS OBSESSIONS, ABOYEZ AUSSI LONGTEMPS ET AUSSI FORT QUE VOUS VOULEZ, DORMEZ D’UN SOMMEIL DE PLOMB. JE NE SAIS PAS PAR OÙ VOUS POUVEZ ALLER, LE FUTUR EST INCERTAIN SANS PROGRÈS.

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SUBSTITUTION Comment ça s’est passé ? Je ne sais pas. Un matin, je me suis réveillé et je me suis dit : et si je me fragmentais. Et le lendemain, je n’avais plus de dents. Cela faisait deux cent grammes en moins. Après ça, j’ai arrêté de manger. Non, je n’avais pas faim. Je travaillais beaucoup et je me souviens que je transpirais. Trente-huit ans. Juste après mon anniversaire.

Je me suis prostituée parce que je me sentais mal à l’aise dans mon corps et que le meilleur moyen de lutter contre cette gêne, était de vendre mon corps… et de capitaliser sur le désir des autres. C’était un moyen facile de gagner de l’argent. Non, je ne me sentais ni humiliée ni exploitée, c’était plutôt excitant et gratifiant de faire revivre des hommes tristes et froids…

C’était un soulagement quand les deux premiers kilos sont partis. Je pouvais bouger plus facilement.

En fait, c’est une autre histoire. Aujourd’hui, avoir un corps est devenu si rare que c’est un privilège.

Les reins, les intestins, l’estomac…

Vous voulez dire, comment ça se passe maintenant qu’il n’y a plus de contact physique ? Et bien nous utilisons des mots pour invoquer des sensations chez ceux qui n’ont plus de corps pour les sentir.

Je demandais à mon voisin de venir me peser tous les matins. En mars, je pesais vingt-trois kilos. Je n’ai pas le souvenir de quelque chose de douloureux. Je me disais, peut-être que mon rêve de perdre tout mon poids se réalise. J’imaginais que je pourrais enfin bouger plus vite et travailler plus. Je ne sens rien. Mais je peux imaginer ce que cela fait d’avoir un corps. J’ai des souvenirs de mon corps. Je me souviens des migraines. L’odeur du sang ? Non, je me souviens de son goût.

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C’est juste. J’étais une prostituée…

Tales of the Bodiless

Pourquoi ?… Je suppose que c’est parce que le toucher est impossible entre un corps et un non-corps. Vous n’avez peut-être pas bien compris : nos clients sont sans corps, ils n’ont pas besoin de nos corps… mais de notre imagination… nos mots les inspirent… pour imaginer des sensations qu’ils ne peuvent éprouver eux-mêmes mais que nous pouvons ressentir à leur place.


… Oh j’aime beaucoup ça. Il me suffit juste de savoir que ces êtres sans corps sont là pour me mettre à croître. C’est comme du sexe bactérien. Oui… c’est de la substitution, non, non pas PROstitution, SUBstitution. C’est un mot plus joli, n’est-ce pas : je me substitue… je me lance dans la substitution… Je suis ton substitut. L’amour ? Ça ne me manque pas… c’était devenu un concept surfait… Nos sentiments impliquent des relations plus sophistiquées. Comme la polyamorie – avoir plusieurs liens amoureux. Ou la compersion… La compersion signifie prendre du plaisir à savoir que ceux que vous aimez ont de l’amour pour d’autres, et pas seulement pour vous. Je me souviens de la faim qui me creusait l’estomac. Avec l’odeur du café le matin, je sentais la merde descendre dans mes intestins… Je ne léchais pas souvent d’anus, mais ça m’est arrivé une ou deux fois, et le goût était plutôt doux. J’étais culturiste. Je pouvais presque avoir un orgasme rien qu’en faisant des abdos… J’avais toujours froid, mes doigts étaient bleus, mes cheveux tombaient, mon pouls était très bas, je pouvais avoir une crise cardiaque n’importe quand.

Mon système digestif ne fonctionnait plus, mon sang ne circulait plus et mes dents tombaient… Je me décomposais, forcée de courir aux toilettes après chaque repas. La peau a disparu. La chair a aussi disparu. Les os sont partis en dernier. Si je ne peux plus me servir de mes mains, parce que je n’ai plus de bras, je ne peux plus rien attraper. Si attraper n’est plus possible, écrire ne l’est pas non plus. Si tu ne peux plus attraper, tu ne peux plus voler ou te masturber. S’il n’y a plus de bras, il n’y a plus d’aisselles ni de sueur. Si tu ne sens plus rien, tu perds aussi le goût… S’il n’y a plus de peau, il n’y a plus de toucher. S’il n’y a plus de dehors, il n’y a plus de bouches ni de lèvres, tu ne peux ni embrasser ni mordre. Si tu n’as plus de bouche, tu ne peux plus respirer et tu perds ta voix…

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Est-ce que tu m’entends ? Est-ce que tu es là ? Tu peux me faire un signe ? Il y a quelqu’un ? Hello ! Tu m’entends ? Tu veux parler ? Est-ce que tu es avec moi ? Je peux te déranger ? Préfères-tu que je m’en aille ? Tu as dit quelque chose ? Est-ce que je peux t’aider à te souvenir ? Tu veux voir tes mains ? Tu veux entendre ta voix ? Tu avais le sida ? C’est ta première fois ? Ou est-ce que tu es déjà venu me voir ? Est-ce que tu veux que je te parle de toi ? Je ne te comprends pas. Tu peux répéter ? Qui es-tu ? Est-ce que je te plais ? Est-ce que je peux sentir pour toi ? Est-ce que tu veux que je t’aide à me sentir ? Je suis là pour te faire sentir. Je ne suis pas là pour te séduire. Je peux te faire te souvenir. Mais je ne te ferai pas rêver. Je veux savoir que tu es là.

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Tales of the Bodiless

Sais-tu qui je suis ? Mon travail, c’est de donner du plaisir. Sais-tu pourquoi tu es là ? J’ai ce que tu n’as pas. Tu désires ce dont je n’ai pas besoin. J’ai besoin de ton désir pour me dilater. Je suis ton substitut. Peu importe que tu aies été un homme ou une femme, Ou que je sois un homme ou une femme. Écoute-moi s’il te plaît, ne me stresse pas, sinon mes cellules se décomposeront. Faisons durer ce moment encore un peu. C’est bon, continue s’il te plaît. Je sens une montée de fluides. Je me dilate. Si seulement tu pouvais me voir – des milliers de mes cellules se hérissent. Mes pores s’évaporent. J’aime ce que tu me fais maintenant. Ma température a augmenté de dix degrés. Ma peau est douce. Je vois apparaître les premières bulles. Je commence à mousser. Imagine que tu es en train de me toucher.


Je pourrais littéralement fondre entre tes mains. Les vibrations prennent le dessus. J’ai envie de rire. J’atteins un seuil. Est-ce que tu le sens ? Je m’ouvre et je m’ouvre encore, jusqu’à n’être plus que des nerfs à l’état pur. Ce monde ne sera bientôt plus que plaisir. Je veux plus, maintenant. Est-ce que tu peux t’immiscer dans mes mots ? Cette insertion est un mouvement dans d’immenses couloirs, avec tous leurs murs autour. Je ne pense pas que l’endroit où nous étions à l’instant était mon corps… Je suis deux personnes et ces deux personnes se font l’amour l’une à l’autre. Notre sexualité n’est pas humaine. C’est le plus grand secret. Dans ma mousse, il y a un petit animal, une sorte de poisson, mais c’est un mammifère. Un chat qui a faim et qui tire la langue… Toute ma mousse est maintenant cet animal qui a de plus en plus faim :

bouche grande ouverte, chaque bulle est une langue qui lèche, qui lape, qui piétine. Est-ce que tu sens la langue du chat qui te lèche ? J’ai la sensation d’être respirée par tout et de partout. Toutes mes sensations sont un ciel. Je me sens enivrée, étourdie. Je ne peux plus résister. J’ai l’impression de m’être branchée à une prise électrique. Le courant jaillit dans tout mon corps, mes mains et mes lèvres frémissent. Je mousse, et toute la surface, l’océan, ondule, vague après vague. Tout devient blanc et les vagues qui approchaient se transforment doucement et avec force en ma mousse. Quels qu’aient été les rythmes de mon corps à l’intérieur de mon corps, ce sont désormais des rythmes extérieurs. La mousse jaillira lorsque mes cerveaux feront de la musique. Ma chair, un centillion de bulles explosent en un centillion de micro-orgasmes. Une sensation de points colorés.

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Mon ultime plaisir est une mort thermique. Les substituts se sont dispersés en poussières et ont émigré dans l’espace, où les lois de la substitution n’ont plus d’importance ; ni désir ni besoin. Le terminus de toute vie en un point unique. Un point.

POINTS je suis de la même taille que toi ce qui veut dire sans taille j’ai des couleurs qui changent avec les ombres chaque chose a une forme mais pas moi et pas toi prends garde, tu es dans l’ombre ! mais en fait, c’est toi qui es en train de devenir moi ? c’est moi qui deviens toi ! sommes-nous un ou deux ? nous sommes une transition de un à deux à un et deux peu importe ce qui importe c’est qu’on ne prenne pas de place on recommence : il n’y a de nouveau que des je-s et des tu-s des courants viennent de je ne sais où et me font bouger je me cogne à toi

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Tales of the Bodiless

et te pousse en dehors de ta place il y a des moments où j’ai besoin que tu sois à ma place pour que je puisse être ailleurs en même temps nous sommes des choses qui bougent et il y en a d’autres qui ne bougent pas comment ça se passe ? ou bien nous attendons un autre courant ou nous nous concentrons sur notre mémoire notre mémoire est notre énergie nous nous concentrons très fort pour nous souvenir du moment de la transition chromatique se souvenir ? plus tu te souviendras du trillion de nuances de couleurs plus tu auras d’énergie pour bouger quand tu ne te souviens pas tu restes où tu es parfois cela peut durer des siècles

De suffisamment loin, un objet de n’importe quelle forme ressemblera et se comportera comme un point. Un point est une particule de masse infiniment petite et chargée de couleurs. Les points sont des êtres en sus qui ne ressentent pas la douleur. Gagner, perdre ou mourir, prend moins de temps qu’il n’en faut pour y penser.


Mourir ou naître est toujours un effet de nature incorporelle. C’est une bataille intangible, inaccessible qui tourne et se répète de très nombreuses fois. Maintenant, votre temps est un présent de points, vide. Comme une particule, vous pouvez exister pendant une fraction de seconde, ou vous pouvez durer plus longtemps, entre un septillion et un octillion d’années. Le temps de la vie humaine fut tel un enfant qui joue.

Texte original en anglais. Traduction de Cyril Le Roy, Natacha Le Duff, Agnès Henry et Eszter Salamon. Ce texte a été publié en version trilingue (anglais, français, allemand) sous le titre Tales of the Bodiless.

Auteurs et compositeurs : Bojana Cvejic, Eszter Salamon, Cédric Dambrain, Terre Thaemlitz. Ouvrage accompagné d’un CD. Édité par Botschaft Gbr, 2011. www.esztersalamon.com

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PhotoPhoto gra gra graphies phies de A A de Frédéric Laforgue


Frédéric Laforgue, metteur en scène, a créé la compagnie Les Blouses Bleues. Avec sa dernière création, autour des Photographies de A – un monologue poétique composé par Daniel Keene – Laforgue plonge dans une iconographie fascinante et maniériste : les représentations de l’hystérie féminine. Précédemment analysée par Georges Didi-Huberman dans son ouvrage Invention de l’hystérie (1982), Laforgue et Keene s’intéressent plus particulièrement aux photographies liées à Augustine, modèle visible sur de très nombreux clichés réalisés par le clinicien Jean-Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière. Usant de l’hypnose pour reproduire des crises d’hystérie à des fins thérapeutiques, ce dernier effectue une véritable mise en scène de l’hystérie dans les photographies qu’il réalise. C’est cette théâtralité de l’hystérie que Laforgue se propose d’examiner au cœur même du plateau théâtral.

Comment avez-vous rencontré le texte de Daniel Keene ? Avec la compagnie Les Blouses Bleues, je travaillais déjà avec Séverine Magois, traductrice de pièces de théâtre. En 2004, nous avons collaboré pour la mise en scène du texte de Christopher Durang intitulé Ne jetez pas bébé avec l’eau du bain. Je l’ai monté en le soumettant à des distorsions. Séverine Magois travaillait sur Daniel Keene, mais l’adaptation de ses textes par des metteurs en scène français me laissait un peu froid. Par rapport à mon univers, ce n’était pas très cohérent. En revanche, j’ai découvert Photographies de A en anglais ; j’ai immédiatement été intéressé par les jeux sur la folie et la théâtralité de la folie. Le texte s’assimile à un solo sur la folie, mais il est très distancié : en aucun cas Daniel Keene n’adopte un point de vue victimaire. Ce texte n’avait jamais été monté. Nous allons faire deux versions, une en français et l’autre en anglais.

Avec la mise en scène de Photographies de A, abordez-vous les thèmes de l’irreprésentable au théâtre, de la mise en scène du désir inconscient ? Depuis quelques mois, je réfléchis à partir de cette interrogation : qu’est-ce qu’un spectacle ? Je parle souvent du spectacle de la douleur, de la folie, car je veux être

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à l’opposé des spectacles de divertissement. Il s’agit de réfléchir sur ce que l’on donne à voir, à penser aux spectateurs. Ce qui m’intéresse dans cette pièce, c’est le processus photographique et la répétition différentielle. Dans les photographies de Jean-Martin Charcot, il y a quelque chose de troublant à regarder les nombreuses tentatives nécessaires pour effectuer une prise de vue. Comme si quelque chose échappait. Charcot n’arrivait pas à figer ce qu’il recherchait, même avec son modèle favori, Augustine. Dans ce spectacle, j’interroge la photographie en termes du devenir d’un mouvement ou de captation d’instants photographiques. La comédienne peut être immobilisée, figée par des flashs photographiques ; cependant, elle essayera toujours de sortir de ce cadre. Si la comédienne se fige, elle est quelque part déjà morte, elle annonce alors la fin de la pièce. L’irreprésentable n’est pas vraiment l’objet de ce spectacle. En revanche, il y a une sorte de représentation excessive qui cherche à tout montrer pour satisfaire une pulsion scopique tandis qu’en face quelque chose essaie de s’échapper pour survivre à l’œil du photographe. Augustine réussit à fuirl’hôpital de la Salpêtrière en se déguisant en garçon…

Comment avez-vous appréhendé les documents sur les hystériques de Charcot ?

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Photographies de A

Gardez-vous pour votre mise en scène des positions ou des appareillages qui figuraient sur les images ? Du dispositif de Charcot, nous avons gardé le trépied. Sur le plateau, nous avons disposé un trépied identique à celui des lampes que l’on voit dans les photographies, à cette différence près que nous voulons travailler sur des surexpositions lumineuses pour que le spectateur soit lui-même ébloui ; c’est pourquoi nous prévoyons de le munir de lunettes pour assister à la pièce. Nous avons décidé d’explorer le plateau frontalement, comme une chambre noire. L’idée de la contrainte ne sera pas matérialisée sur scène par des câbles, même si la comédienne sera en contention quasi permanente. Au contraire, nous essayons d’évacuer le côté trop psychiatrique. Par ailleurs, dans Photographies de A, Daniel Keene adopte un décor très réaliste avec trois hommes et quelques objets en bois, ainsi que du métal fixé sur la tête de la comédienne. Nous voulons gommer cet aspect historique et psychiatrique ; la contrainte et la torture apparaissent davantage dans le travail sonore (avec les micro-sons notamment) que dans les accessoires.

Qu’est-ce qui vous a le plus intéressé, la représentation


de la folie ou la fabrication de l’état de folie ? Les deux. En effet, le texte montre que la rationalité scientifique permettait de rendre encore plus folle la personne enfermée. L’enfermement, la pulsion scopique sont des thèmes qui m’intéressent énormément.

Quelles sont les relations entre l’auteur de la pièce et Georges Didi-Huberman ?

Nous avons découvert que Daniel Keene avait écrit sa pièce entre Paris et La Rochelle après avoir lu Invention de l’hystérie : Charcot et l’iconographie photographique de la Salpêtrière de Georges Didi-Huberman 1. Ces deux textes m’ont bouleversé. Je ne l’ai pas lu sous un angle psychanalytique, mais j’ai été surpris par les nombreuses références au temps dans le livre de Georges Didi-Huberman. C’est un écrit très brûlant, moins canonique que les livres postérieurs. Cette femme qui se consume de désir, c’est un événement

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que nous tentons de retranscrire sur scène, notamment par le travail sur les lumières. Nous sommes très loin de l’esthétique un peu christique de Jan Fabre. Mes références philosophiques et celles liées à Georges Bataille ou à Georges Didi-Huberman demeurent un terreau. Elles sont synthétisées afin de créer de nouveaux affects et percepts, pour employer des termes deleuziens.

Comment travaillez-vous avec les membres de la compagnie ? L’idée n’est pas que chacun puisse faire une petite installation côte à côte au détriment de l’ensemble. Dans la compagnie, nous collaborons énormément. Nous sommes sept pour ce spectacle et chacun a lu, a travaillé ce texte. Par exemple, Alexandre Leroy, qui est plasticien et vidéaste, apporte son regard et sa culture en art contemporain. Il amène avec lui son univers et en discute avec Annie Leuridan qui compose nos lumières sur ce spectacle. Nous créons à partir des propositions des uns et des autres, puis le metteur en scène donne la cohérence sur un projet dramaturgique.

Et avec la comédienne, Anne-Catherine Regniers ? L’actrice n’est pas simplement une voix qui déclame un texte poétique. Nous travaillons avec elle à partir des photographies, mais pas uniquement. Par exemple, je lui ai demandé de revoir

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Photographies de A

plusieurs films, dont Persona d’Ingmar Bergman (1966). Ce projet permet de synthétiser plusieurs approches pour qu’elle puisse construire son personnage. Autre exemple de collaboration : au départ nous avions décidé de travailler sur l’androgynie (en référence à Augustine déguisée). La costumière s’est intéressée à des matières argentées comme l’aluminium et la fibre de verre, qui renvoient au sel argentique de la photographie, afin de façonner une robe de mailles d’argent. Cependant, nous ne voulons pas érotiser de manière baroque le corps, mais plutôt être dans l’épure. Je m’intéresse beaucoup plus à l’humanité du regard de l’actrice, et aux événements, aux émotions qui passent sur son visage. Il y a quelque chose qui me fascine dans le portrait ; ce thème était déjà présent dans ma mise en scène de La Dispute de Marivaux (2006).

Le costume est-il en lien avec la vidéo projection que vous allez utiliser sur scène ? En quelque sorte. Nous sommes actuellement en plein travail sur la vidéo. Le figuratif et l’utilisation des écrans ont été abandonnés pour rester sur l’idée du plateau / chambre noire. Le mapping permet de projeter des images précises sur certaines parties du corps de la comédienne, comme ses mains ou son visage. La vidéo intervient à un moment précis du spectacle. Les premiers tableaux


de la pièce sont consacrés à la lumière. Les nombreuses références à l’éclairage dans le texte de Daniel Keene sont très frappantes. Il y a une telle obsession de la lumière que nous pensions que l’auteur avait vu l’installation Midnight Crossing de Gary Hill, qui date de 1997. Dans les deux cas, les voix alternent avec les images. Mais il s’avère que non : l’auteur n’avait pas eu connaissance de cette œuvre. Pour en revenir à la mise en scène, la vidéo intervient dans le dernier tableau. Elle s’assimile à un devenir spectral, fantomatique. Notre recherche est spectrogène, autour du fantôme entre le corps et la captation photographique. C’est une recherche difficile qui ne doit pas sombrer dans l’esthétisme ou le spectaculaire. Notre question n’est pas seulement l’irreprésentable ; ce serait davantage celle de Claude Régy, qui sollicite un travail de la part du spectateur pour compléter la représentation épurée, ou pour éviter de trop représenter ce qui échappe toujours à la représentation. Notre question à nous, c’est peut-être l’excès de représentation et l’interrogation sur ce que c’est que représenter dans la présentation elle-même. Propos recueillis par Cyril Thomas 1. Didi-Huberman Georges, Invention de l’hystérie : Charcot et l’iconographie photographique de la Salpêtrière, Paris : Macula, 1982.

Photographies de A sera créé le 14 mars 2012 au phénix scène nationale Valenciennes.

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Contes Contes tordus tordus

Julie & Christophe Nioche Huysman


Comment définissez-vous votre duo ?

Lors du festival d’Avignon 2011, après leur rencontre au Vivat à Armentières, Julie Nioche (chorégraphe-ostéopathe) et Christophe Huysman (auteurmetteur en scène-comédien) examinent l’intimité de l’un et de l’autre via une narration troublante et troublée. Les Contes tordus marient la danse et le théâtre dans une forme toute en retenue. Par de subtils jeux de contraintes et à l’aide d’accessoires, ils mettent en scène les difficultés du dialogue et de la rencontre. Leur relation semble fragile, instable, sans cesse en déséquilibre ; les objets scéniques se transforment en embûches, en obstacles. Les Contes tordus s’appréhendent comme une histoire d’achoppement où le conte s’incarne dans les gestes et dans les mouvements, bien plus qu’il ne se raconte.

Christophe Huysman : Ce projet n’est pas l’histoire d’un chorégraphe qui dirige un interprète, ni d’un auteur qui va faire jouer son texte à un interprète. C’est la rencontre de deux interprètes qui, d’habitude, jouent différemment. J’ai beaucoup appris avec ce duo, notamment à exprimer des choses sans mots. Cette expression sans paroles n’était pas une découverte – je l’avais expérimentée lors de la création de Demain, je ne sais plus rien, en 2010 avec Sylvain Decure. En revanche, l’éprouver comme interprète reste un élément très important. Pour un écrivain, c’est une grande démarche de nettoyer le plateau de tous mots. Dans Contes tordus, nous avons gardé quelques «haïkus», quelques textes que nous voudrions développer afin d’expérimenter la friction entre texte et corps. Julie Nioche : C’est vraiment cette friction entre corps et texte qui nous intéresse. Il y a les corps, les mots, les objets. Leurs rapports et leurs équilibres deviennent le point de départ de la danse. Le mouvement naît de contraintes physiques génératrices d’imaginaires gestuels.

Les Contes tordus sont-ils une référence cinématographique à ceux de Rohmer ? J. N. : Non, même si mon rapport cinématographique à la scène est un élément important. Dans mes travaux

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antérieurs, je ne me confrontais pas aux mots, le conte m’en offre l’opportunité. Par ailleurs, le conte permet d’envisager les imaginaires enfantins, de se pencher sur une réalité perçue et/ou rêvée, de travailler sur la cruauté sous-jacente à cette forme littéraire. Dans nos travaux respectifs on trouve à la fois une grande humanité et de la joie, de très nombreux liens avec l’Autre, mais un côté cru, parfois cruel demeure. évidemment, nous abordons ces aspects de manière différente.

Comment et pourquoi avoir construit cette pièce

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Contes tordus

sur et par les objets qui vous entravent ? J. N. : La question principale que ce spectacle pose est la suivante : comment mettre un corps en mouvement ? Toutes mes chorégraphies s’écrivent à partir des sensations de l’interprète. Pour ce projet, j’ai placé les interprètes dans un environnement inhabituel. Ils doivent alors s’adapter à ce milieu. Cette adaptation passe par l’instinct. Par exemple, lorsqu’un interprète tombe, il doit se rattraper. Je m’intéresse à cette mise en danger, aux contraintes parfois


extrêmes du corps qui doit se débrouiller et trouver une solution par le mouvement et grâce à son propre imaginaire. C. H. : Toute la pièce se construit sur une dialectique, sur une contrainte permanente, une impossibilité à se rejoindre face à une volonté de se rejoindre. J. N. : La forme de l’essai prime. Dans Contes tordus, nous sommes sans cesse dans une tentative. Ces tentatives, ces essais font naître la chorégraphie. Les enfants essayent longtemps de faire quelque chose, parfois vainement. Le but en soi est moins intéressant que les

efforts faits pour l’atteindre. Par exemple, chez un amateur qui n’est ni professionnel, ni danseur, ces multiples tentatives peuvent donner naissance à une danse. C. H. : Dans ce projet, nous avons collaboré ensemble sur tous les aspects du spectacle. Pour résumer, je dirais que nous travaillons sur le rapport de l’air entre nos deux corps. Sur la manière, sur les possibilités de se rejoindre, sur les impossibilités… Nous travaillons sur les dessins de nos corps dans l’espace. Par moments, la pièce se construit sur des points de rassemblement ou sur des points d’éclatement.

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Dans l’ouvrage de Christophe Huysman, Les Hommes dégringolés 1, il y a le personnage de l’homme fixe qui déclare : «Je voudrais rester fixe». Quels sont vos rapports à la fixité ?

avec des prothèses. La danse se construisait à partir de morceaux de corps fixes contraints, empêchés. Dans Nos solitudes (2010), je suis attachée par les pieds et les mains. Dans les Contes tordus, nous détournons les fixités… Nous essayons de fuir la fixité ; elle est peut-être notre point de départ, ou notre point d’arrivée, mais le plus important demeure le chemin entre ces deux points.

J. N. : Les contraintes d’un environnement seraient les points de fixité qui permettent de créer un mouvement. Par exemple, pour le spectacle XX (2002), je travaillais

C. H. : Nous sommes épinglés sur le plateau, comme dans un collage, puis nous bougeons. Mais la fixité n’existe pas.

Contes tordus


Quel impact la danse a-t-elle sur vos deux écritures ? J. N. : Nous avons travaillé à intégrer nos différences dans la danse. Le texte devenait comme un costume, comme un objet, c’est une contrainte. J’ai besoin de contraintes pour faire resurgir un élément imaginaire. C. H. : Il y a un seul texte écrit spécifiquement pour ce spectacle. Les autres préexistaient. J. N. : C’est le court récit de «la petite fille penchée» dans Les Hommes dégringolés qui nous a servi de point de départ. Nous en avons discuté. Nous voulions travailler sur la chute. C. H. : Le spectacle est paradoxal car il n’est pas encore fini, il ne veut pas finir, il ne peut se finir alors que les textes sont aboutis, autonomes. Les textes transmettent une sensation, des émotions. Nous voulions les travailler pour pouvoir faire exploser un peu plus leur finitude. Trouver la même liberté que dans nos corps avec les mots. Pour le moment, les textes composent le spectacle, ils l’ouvrent et le ferment. Ils créent des ouvertures du sens. Les textes utilisés sont encore «classiques» : tous les mots sont compréhensibles, le phrasé est normal. Nous avons appris les textes, alors que pour la danse, nous n’avons écrit ni nos gestes, ni nos mouvements. Ces mouvements, ces actions s’écrivent en direct.

La littérature ne s’écrit pas en direct, les textes sont déjà écrits ou écrits pour… Il y a quelque chose de difficilement «dépassable». Comment écrire un texte en direct ? Je n’ai pas la réponse mais cette interrogation reste au cœur de nos prochaines séances de travail. C’est une question que je n’ai pas résolue, même lorsque je travaille avec des circassiens. Le corps respire autrement et apporte une textualité différente. Au cirque, j’arrive à trouver des chemins, j’adapte le texte au mouvement des acrobates. J.  N. : Le rapport entre texte et corps reste très compliqué. Nos entraînements, nos essais chorégraphiques, porter un texte, créer un mouvement, tous ces éléments ont fait bouger nos propres écritures. C. H. : Nous nous nourrissons des spectacles passés, présents. Ce spectacle demeure une forme intermédiaire au sens noble du terme, une œuvre charnière. Propos recueillis par Cyril Thomas

1. Huysman Christophe, Les Hommes dégringolés, Besançon : Les Solitaires Intempestifs, 2001, p. 38.

Contes tordus a été créé le 19 juillet 2011 dans le cadre des «Sujets à Vif» du festival d’Avignon.

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de loin loin de je je reconnus reconnus la la foulE foulE foule grandisgrandis grandis sante sante AurĂŠlie Mathigot



Page précédente : La Foule / The Crowd, 2011, 430 x 320 cm, technique mixte, popeline de coton, polyester imprimé, laine.

Ci-dessus et ci-contre : Retour du Mexique, 2007, 320 x 275 cm, crochet, corde de lin, laine, coton, lurex.



Ci-dessus : Protect me, «U, à l’unisson», Installation présentée au MAC/ VAL dans le cadre des «Fabriques» et «Laboratoires», d’avril à juillet 2010, 580 x 150 x 150 cm, technique mixte, bois, crochet de laine, coton, lurex, céramique.

Ci-contre : Around the World, 2008, 280 x 95 cm, crochet, fils de coton organique.



Ci-dessus : Planisphère, workshop réalisé au MAC/VAL dans le cadre des «Fabriques» et «Laboratoires», de janvier à mai 2009,

avec le lycée Camille-Claudel de Vitry-sur-Seine, 310 x 160 cm, technique mixte, jeans découpés et cousus, ouate, broderie, fil.

Ci-contre : Crise de foi, 2011, technique mixte, perles de bois, boules crochetées en coton, terre, cire.

Page suivante : Clea Calais, œuvre participative – résidence de création – Cité de la dentelle de Calais, 2010, 230 x 120 cm, coton brodé, fils de laine.




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e loin je reconnus la foule grandissante est une œuvre participative de l’artiste plasticienne Aurélie Mathigot réalisée avec les publics de différentes structures de la région valenciennoise en 2011 et 2012. Une Foule a déjà ainsi été créée en 2011 et l’expérience est reconduite durant cette saison. Au final, plus de deux cents personnages viendront nourrir le projet. Cette œuvre s’inscrit dans la continuité du travail d’Aurélie Mathigot, dont certaines pièces sont présentées dans les photographies qui précèdent. Parfois réalisées en collaboration avec différents groupes d’amateurs lors d’ateliers, ces œuvres en textile – tout en déplaçant des pratiques artisanales dans le champ des arts plastiques – révèlent passage du temps et intimité. Invitée par le phénix pendant deux saisons, Aurélie Mathigot propose des ateliers durant lesquels les publics, amateurs – ou pas – de tricot ou de crochet, vont être les protagonistes de l’œuvre. Chaque personnage est habillé, décoré, couvert selon les envies et goûts de chacun. À partir de matériaux tels que fils de laine, tissus, dentelles, boutons, paillettes ou perles, chaque individu confectionne son propre personnage au gré de ses envies et de son imagination. Chaque œuvre est un chemin intérieur.

Plus de six heures d’ateliers pour chaque groupe sont ainsi dédiées à la création de l’œuvre. Un temps de création, bien évidemment, mais également un temps de rencontres, d’échanges, un temps pour aller vers l’autre. En effet, ces ateliers sont un moment privilégié où les publics se mélangent, apprennent à se connaître, éveillent leur curiosité. C’est ainsi que ce projet est nourri : par le biais de la participation et du partage. Les personnages réalisés sont agglomérés aux autres personnages confectionnés par les publics des différentes structures et créent une foule. Une foule d’anonymes mais, comme dans le monde réel, composée d’histoires, de souvenirs, de rêves. À l’image des spectateurs assis/placés les uns à côté des autres le temps d’un spectacle, ces personnages rassemblés deviennent une masse anonyme qui se déploie au fur et à mesure que le temps passe. Frontière entre notre individualité et l’effet de masse, l’œuvre d’Aurélie Mathigot propose une lecture plurielle, invitant ainsi les spectateurs à regarder le groupe en tant qu’objet unique et multiple à la fois. Une multiplicité, donc, qui est l’essence de cet atelier nomade. Alexandra Davenne

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Le Le Temps Temps des des AmaAma teurs teurs Bernard Stiegler


Extraits d’un entretien avec Bernard Stiegler Éric Foucault : Depuis un certain temps, vous accumulez du matériau sur la figure de l’amateur, qui nourrira votre future publication. Néanmoins, vous avez déjà le titre de cet ouvrage, Le Temps des amateurs. Pour quelle(s) raison(s) ? Bernard Stiegler : D’abord parce que je pense qu’il y a un temps de l’amateur, un rapport au temps qu’ignore celui qui n’est pas amateur – et c’est un temps de l’amour, c’est-à-dire de la fidélité : amateur vient d’amare, aimer. Socrate pose d’ailleurs dans Le Banquet que le philosophe est avant tout un amateur : l’amateur de sagesse. Et dans Ménon, il dit que ce rapport à la sagesse est fondé sur «un autre temps». L’amateur est prêt à donner beaucoup de temps à ce qui le passionne. Il est absolument disponible. Dans le contexte si spécifique et fatigué de notre époque, cela signifie que l’amateur est tout sauf un consommateur. L’amateur pratique ce qu’il aime, ce qui veut dire qu’il le fréquente : par exemple, il est capable d’aller voir plusieurs fois le même spectacle. C’est ce que narre Proust dans À la recherche du temps perdu aussi bien à propos du théâtre que des œuvres plastiques (portraits des Guermantes, peintures d’Elstir) ou que de la «petite musique de Vinteuil». Il y a des films que j’ai vus vingt fois et plus. Il en va de même pour certains livres que je lis et relis inlassablement, par fragments

ou intégralement. Quant aux artistes dont je suis et aime l’œuvre, c’est précisément leur trajectoire qui m’intéresse, la série que forment cette œuvre et son inscription dans ce que j’appelle un circuit de transindividuation (ainsi par exemple ce qui relie Marcel Duchamp à Sophie Calle en passant par Joseph Beuys). L’amateur cultive un rapport au temps qui fonde un rapport à des œuvres. Même l’amant, qui est l’amateur le plus répandu qui soit, a un tel rapport – que l’on dit amoureux. Une histoire d’amour, c’est-à-dire d’amateur, est toujours l’histoire d’une altération par cet autre qu’est l’être aimé : œuvre, personne, discipline, pays, langue, etc. Celui que l’on aime, comme amant par exemple, est celui – ou celle – que l’on fréquente inlassablement et dont en quelque sorte le mystère s’épaissit dans cette fréquentation par laquelle on se trouve trans-formé, c’est-à-dire, aussi, individué (dans le langage de Simondon). Et s’il est vrai que les amateurs forment des communautés d’amateurs, et aiment à se rencontrer pour parler ensemble de ce qu’ils aiment, cette individuation psychique devient aussi une individuation collective à travers un processus de transindividuation – c’est cela qui constitue une époque et, dans ce processus, les tout premiers amateurs sont les artistes eux-mêmes. Un artiste «professionnel», c’est, tout comme un philosophe «professionnel», une contradiction dans les termes – et ceci est un problème propre à notre temps, où les «professionnels» se satisfont si lamentablement du consumérisme qui les coupe des amateurs, par où ils perdent eux-mêmes leur amour

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des œuvres. Un objet aimé – œuvre, personne – s’idéalise. L’idéalisation est coextensive à l’amour – c’est-à-dire à la forme plénière du désir. En cela, l’objet de l’amateur et de l’amant s’infinitise. C’est ainsi que l’art conduit à ce que Kant désigne non seulement comme étant le beau, mais aussi le sublime. Le passage de l’art au religieux – ou du religieux à l’art – passe aussi par là. […] B. S. : Actuellement est en train de surgir une nouvelle figure de l’amateur, et non simplement dans le domaine artistique ou culturel, mais dans tous les domaines. Par exemple celui de la médecine : il y a des malades qui se mettent en réseau sur internet, qui développent des savoirs médicaux nouveaux, et que l’Inserm commence d’ailleurs parfois à prendre en compte. Ici, à l’IRI 1, nous développons des technologies pour les amateurs. Dans son programme d’activité 2008/2012, l’INRIA (Institut national de Recherche en Informatique et en Automatique) a inscrit comme un objet stratégique de son développement des technologies pour les amateurs dans le domaine scientifique – par exemple en astronomie. Avec le réseau, une nouvelle figure de l’amateur de sciences peut surgir, comme la République des Lettres avait suscité cette figure de l’amateur qu’est le Curieux 2, et sans lequel il n’y aurait pas eu la science moderne. S’il n’y avait pas eu tous ces observateurs, ces entomologistes, ces collectionneurs d’objets fossiles, il n’y aurait

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Le temps des amateurs

pas eu cette science. Mais c’est aussi l’âge des Amateurs dans le monde des arts 3. Aujourd’hui, la lassitude vis-à-vis de la politique telle qu’elle existe depuis une trentaine d’années invite les gens à créer des espaces de discussion, structures qui se développent sur internet, avec des échanges de connaissances et de techniques. Et dans le champ «culturel» les jeunes qui échangent en peer to peer sont déjà des amateurs. Le ministère de la Culture les appelle des pirates. Or ce sont des gens qui ont envie d’écouter de la musique, de l’échanger, de la partager et de la juger. Juger c’est énoncer, apprécier, négativement ou positivement, mais qualitativement, et non seulement quantitativement. Kant a développé une théorie esthétique du jugement de goût telle que celui qui juge d’une œuvre (l’amateur d’art) ne peut pas argumenter son jugement. Un tel jugement n’est pas démontrable, dit Kant. Si vous posez que l’objet de votre jugement est beau, cela veut dire que vous universalisez votre jugement : vous posez que tout le monde doit le trouver beau. S’il est beau, il est absolument beau : le beau n’est pas l’agréable. Et cependant, cet universel ne peut pas constituer un objet de savoir : son universalité ne peut pas être prouvée et argumentée. À la fin du XIX e siècle, Konrad Fiedler va contredire Kant 4. Fiedler soutient contre Kant que si le jugement de goût est sans règle (n’est pas «déterminant» dirait Kant), parce que subjectif, il existe un jugement artistique, qui n’est pas un jugement du goût, mais un jugement de l’intellect : un jugement de connaissance.


Je crois que l’amateur cultive une sorte de jugement artistique en ce sens, et que quand on aime une œuvre, on argumente : on n’est pas sans voix, tel le sujet kantien du jugement de beau. Il en est ainsi des passions. Il faut beaucoup de temps pour les entretenir : la passion veut argumenter et partager, elle veut ouvrir ce que j’appelle un circuit de transindividuation. Youssef Ishagpour raconte que Kiarostami a commencé à faire des images parce qu’il ne pouvait pas supporter à lui tout seul la beauté des montagnes iraniennes. Cette projection au-delà de soi affecte aussi l’amateur qui discerne, partage ce qu’il discerne, critique et juge en cela. Un bon amateur de foot sait expliquer pourquoi Petit est un très bon attaquant : il est capable de regarder le match plusieurs fois – les amateurs sont les nobles du foot. Cette figure est en train de renaître dans les nouveaux espaces relationnels qui se forment depuis une quinzaine d’années. S’y retrouvent des gens qui aiment et veulent partager les savoirs qui se forment comme leur passion. E. F. : Quelles peuvent être les conséquences de l’apparition de cette nouvelle figure de l’amateur ? B. S. : D’abord, elles supposent une reconstruction complète de ce qu’est une politique culturelle. L’échange de fichiers musicaux, les blogs, la photo numérique sont des objets ou des comportements culturels non identifiés que presque personne n’a vus venir. Cela reconfigure les comportements –

ceux des jeunes générations, mais aussi ceux de personnes à la retraite qui peuvent y donner du temps, et également ceux de nouveaux types de militants, de nouveaux types de producteurs, tels les hackers, de jeunes artistes aussi, et c’est ce qui rend ce phénomène extrêmement riche. Ils inventent le modèle industriel de demain : un nouveau modèle relationnel, une autre forme de société, une société ultramoderne et hyperindustrielle, et notre époque est celle de l’industrie absolument partout et en toutes choses 5. Entretien réalisé par Éric Foucault à l’IRI, Paris, le 21 juillet 2010. Initialement publié dans la revue Laura, no 10, oct. 2010–mars 2011, sous le titre «Shakespeare to peer». Texte repris dans son intégralité dans le programme de saison 2011-2012 du phénix scène nationale Valenciennes.

1. En 2006, le Centre Pompidou, sous l’impulsion de Bernard Stiegler, a créé en son sein l’Institut de Recherche et d’Innovation (IRI) pour anticiper les mutations culturelles permises par les nouvelles technologies numériques. En explorant le champ des technologies culturelles et cognitives, l’IRI a pour ambition d’élaborer de nouvelles formes d’adresse au public et de développer les applications culturelles et scientifiques. Trois objets de recherche théorique : Écologie de l’attention, Figures de l’amateur et Mutations du monde industriel. Trois axes de recherche technologique : Ingénierie des connaissances

et ingénierie documentaire dans les appareils critiques, Technologies collaboratives et réseaux sociaux, Interfaces multimodales et mobilité dans les pratiques culturelles instrumentées. www. iri.centrepompidou.fr 2. Pomian Krzysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris-Venise, XVI e-XVIII e siècle, Paris : Gallimard, 1987. 3. Jam Jean-Louis, Les Divertissements utiles des amateurs au XVIII e siècle, Presses universitaires Blaise Pascal : Clermont-Ferrand, 2000. 4. Grande figure historique allemande de la théorie de l’art, Konrad Fiedler avait pour objectif principal de

construire une théorie de l’art indépendante de toute affirmation d’évaluation. Fiedler entendait trouver les bases de sa théorie dans la vue : en libérant la perception visuelle de la langue et de la pensée, et en attribuant aux sens une opinion indépendante, il aurait été possible d’étudier l’art avec les moyens qui lui sont propres. http://fr.wikipedia.org 5. Après les industries de transformation de la matière, nous vivons à présent au milieu des industries de l’esprit, où le donné n’est plus la ressource naturelle mais, d’une part, le temps de cerveau disponible et, d’autre part, les données que nous sommes en tant qu’utilisateurs du web.

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Par Par cou cou rs rs


Philippe Asselin

1.

En ce qui concerne les pratiques amateurs de loisirs : aucune. Je considère que la base, le fondement d’un parcours artistique est la responsabilité : celle de l’œuvre, celle de l’être du créateur. Nulle place donc…

En complément aux textes publiés, nous avons invité plusieurs artistes présents dans les Cabarets de curiosités à répondre à trois questions. Celles-ci permettent de situer leur pratique et d’ouvrir sur des problématiques qui traversent la programmation du phénix scène nationale Valenciennes. 1. Quelle place ont les pratiques amateurs dans votre parcours artistique ? 2. Les technologies numériques et les réseaux modifient-ils votre perception du temps et de l’espace ? 3. Quelles sont les relations entre l’intime et l’espace public dans votre œuvre ?

Il en va tout autrement pour ce qui concerne la formation. Celle-ci n’est pas une pratique amateur mais demeure tout de même liée à un chemin vers le professionnalisme – donc à un «amateurisme» temporaire. Le rôle de formateur – je préfère dire «initiateur» – au professionnalisme a été fondamental dans mon parcours. Ce rôle m’a par moments complètement accaparé. En résumé, la pratique amateur que je qualifierais d’«horizontale» n’a joué aucun rôle dans mon parcours ; en revanche, la pratique amateur «transversale», diagonale, pratique temporaire d’un entre-deux envoûtant, y tient une place extrêmement importante.

2.

La société change, se transforme à travers les technologies numériques et les réseaux… Apparemment, la relation entre les êtres aussi… Mais dans mon corps et mon esprit d’artiste, dans ma pensée, le moins possible. Je crois au corps comme véhicule essentiel de l’être de la pensée. Je crois à la présence, à l’instantanéité du geste.

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En apparence : oui. En réalité corporelle spirituelle vivante : non. J’irais même jusqu’à dire qu’une certaine forme de résistance face aux technologies numériques et à l’idée de réseau liée à ces technologies renforce ma perception «naturelle», «évidente», «première», du temps et de l’espace. Donc pas de modification et même un ancrage supplémentaire.

3.

En tant qu’auteur : une relation «absolue» : l’un est contenu dans l’autre et vice versa. En tant qu’acteur : mon corps est espace public. En théorie : un tissage serré entre l’intime et l’espace public. Dans la réalité de la rencontre : c’est une autre histoire. De quoi l’espace public est-il rempli ? Quelle est la relation de cette «matière» avec l’intime, l’insoutenable légèreté… Peut-être ici le silence s’impose-t-il ?

Herman Diephuis

1.

Depuis le début de mon activité de chorégraphe, j’ai engagé un travail soutenu en direction de publics amateurs, le plus souvent à travers une dynamique de projets thématiques donnant lieu à la création de formes scéniques. Le choix de travailler avec des non-professionnels

110 Parcours

s’inscrit dans ma démarche artistique, la questionne et l’alimente. L’implication de publics amateurs dans un travail de création constitue une aventure individuelle et collective forte. Leur authenticité et leur fragilité parfois, la méconnaissance des artifices du jeu de scène créent un réalisme singulier qui confère à leur présence une densité sensible. L’expérience artistique vécue suscite du désir, de la prise de parole, et offre aux individus la possibilité de se constituer comme sujet. L’approche empirique du processus de création incite les participants à sortir d’une simple position de spectateur. Ils sont au cœur du travail, de l’action, ce qui crée une énergie collective. L’engagement dans de tels projets permet une fréquentation active du théâtre, aiguise le regard, et donne à chacun des outils de lecture et d’analyse dans la fabrication d’un spectacle. Cette démarche artistique permet ainsi d’initier des rencontres avec des populations éloignées de la pratique de la danse en faisant de la création un lieu de partage, d’expérience et de sensibilité.

2.

Les technologies numériques et les réseaux ne modifient pas particulièrement ma perception du temps et de l’espace, mais ils me donnent un accès rapide et illimité à des informations dans la phase de préparation de mes spectacles. L’image est une source d’inspiration importante. Internet me permet de visiter la plupart des musées du monde de façon virtuelle et de découvrir des documents photo ou cinéma en lien avec la thématique de mes pièces.


Les technologies numériques ne sont pas scéniquement présentes dans mes créations. La perception de l’espace et du temps est pour moi intrinsèque au processus de création. Elle ne subit pas directement l’influence de ces nouveaux supports.

3.

L’intime fait évidemment partie de toute démarche artistique. J’aspire à ce que ma vision du monde touche le public et provoque de la réflexion et de l’imaginaire.

Christophe Hocké

1.

Durant le processus de création de certains spectacles, j’ai eu l’occasion de travailler en collaboration avec des personnes dont le métier n’était pas lié à la création artistique. Je travaille avec des compagnies de théâtre qui accordent une place importante à la pratique amateur. Elles impliquent les participants à différents niveaux de la création, durant des stages ou des ateliers. Par exemple avec des étudiants d’écoles techniques, où l’apprentissage d’un métier dit «manuel» n’est pas forcément mis en lien avec le domaine artistique, mais davantage perçu comme une activité pratique. Il me semble que cette frontière est assez abstraite finalement. Je constate, certes d’après ma maigre expérience, qu’il est au contraire stimulant pour tous les «fabricants» que nous sommes d’envisager la participation de tous, et ce à tous les niveaux possibles.

2.

Internet et les outils de communication comme l’iPhone nous connectent et nous rendent accessibles au reste du monde partout et à tout moment. L’échange de données en «temps réel» a modifié ma perception du temps et de l’espace. Il y a le temps virtuel d’un jeu en ligne, le temps historique, le temps psychologique ou celui de la perception, puis les espaces numériques immatériels, et mon appartement à Lille de 40 m2 par exemple.

J’aime utiliser le potentiel de la technologie numérique pour modifier et faire se superposer ces perceptions, aller au-delà de l’utilisation pratique quotidienne un peu «fade» afin de créer une illusion poétique féconde, mettre en scène des espaces et leur donner une part de mystère. Créer une interaction entre le virtuel et la réalité.

3.

Je suis sensible, peut-être de manière inconsciente, au rapport «privé/public», notamment dans ma façon d’envisager un travail, de penser à une forme. Ce rapport se manifeste quotidiennement et sous des formes variées, qu’il s’agisse d’internet et de ses réseaux, des programmes de télévision, de la vidéosurveillance, du discours politique, de l’aménagement urbain, etc. Nous sommes tous confrontés à cette relation «psychologique» à l’espace, à la frontière entre nous-mêmes et notre environnement.

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Comprendre comment ces deux notions d’espace public et d’intimité se sont construites dans le temps m’intéresse. J’imagine que la notion d’intimité, par exemple, n’a pas toujours eu le rôle majeur qu’on lui donne aujourd’hui.

Gérard Hourbette – Art Zoyd

Il m’importe de composer avec ces deux notions, de les articuler de façon à créer une situation de jeu forte. Et ainsi provoquer une prise de conscience chez le spectateur de son état sensible et psychologique en réaction à cette situation, sa notion de l’espace, de la frontière entre lui et son environnement.

1.

112 Parcours

Je suis très inquiet du terme «pratiques amateurs» : veut-on parler d’amateurisme dans les pratiques, avec tout ce que cela induit comme manque ou absence de rigueur, pratique de loisir, etc., ou faut-il prendre le terme «amateur» comme «curieux», «connaisseur», «amoureux» ?


La deuxième définition me semble plus pertinente. En ce cas, je pense que tout artiste est guidé par cette envie, ce besoin, cette soif «amateur». Je me suis littéralement enfui des écoles et enseignements officiels à l’âge de seize ans, pour suivre les traces d’un art «amateur», autodidacte presque, qu’il s’agissait d’inventer et de réinventer à chaque instant. À ce moment personne ne me guidait.

animée de perceptions pluri-perspectives. En musique, je pense que cela se traduit par une complexité de matière plus riche, moins réduite à des règles formatées ou formalisées. Comme a pu le préfigurer un Xenakis dès 1960, la musique peut être pensée comme nuées, lignes, distribution d’événements, combinatoires, masses, etc. Cette architecture de la pensée change notre rapport au monde. Cela me fascine, évidemment.

Actuellement, ayant conduit Art Zoyd vers ce qu’il est – à la fois ensemble musical, studio de recherche et de résidences, centre de production et de création – je soutiens ou initie de nombreuses activités pédagogiques en direction des publics «amateurs» : une classe de composition électroacoustique, des stages, des ateliers… Permettre aux publics non initiés de découvrir les facettes de la création sonore et musicale d’aujourd’hui dans toute sa diversité et ses alliances, c’est œuvrer aussi pour décloisonner l’art musical contemporain et démentir un élitisme qu’on lui prête par trop facilement.

L’artiste naît à une époque et dans un lieu donnés, il est nourri par son environnement. Mes premiers souvenirs d’enfance sont des sons de machines et d’engins de terrassement qui reconstruisaient ma ville dix ans encore après les destructions de la guerre, ainsi que des images de cieux rougis par les lueurs des hauts-fourneaux… Si je naissais aujourd’hui, mes premiers «meilleurs amis» seraient peut-être des êtres virtuels, sortes de fichiers interactifs vivants de l’autre côté de fenêtres informatiques. Peut-être un jour deviendrons-nous des fantômes, nous déplaçant à la vitesse de l’information, discutant avec d’autres fantômes sans distinguer plus que cela lesquels sont nos voisins, eux-mêmes «fantômisés» et préoccupés par leurs petits écrans…

2.

Indiscutablement oui. À chaque époque, les outils suscitent de nouvelles perceptions et pratiques. Par exemple, la pratique des modes de navigation via liens hypertextes, les raccourcis multiples, les surfaces tactiles, les modes d’apprentissage intuitifs, etc., amenés par la civilisation de l’informatique changent indubitablement notre perception de l’espace et du temps… Je n’y échappe pas. Notre pensée est moins séquentielle, elle devient composite,

3.

Pour moi, l’art ne peut être qu’intime. Et crypté. Il naît de la nécessité «intérieure». Et pourtant il ne se concrétise que par son extirpation, en quelque sorte son «externalisation». La grande désunion de l’art, et surtout de l’art vivant, c’est justement son essence centripète.

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Une sorte de genèse/enfantement. Bien sûr, tout cela semble un peu simpliste, mais pour moi, c’est le sens profond – et le passage douloureux – de toute «création» : ce «désaccord» entre le moi et l’objet représentatif du moi, donc un objet (un personnage ?) autonome. Il y a cent définitions de l’art et donc des artistes. Je ne pense pourtant pas être un artiste «romantique». Ce qui m’intéresse dans l’art, c’est son aspect crypté ; lequel serait à la fois un instantané et une représentation figurée ou mathématique du monde, une catharsis de l’artiste et, contradictoirement, un objet dérisoire. Il n’y a donc pas d’art «fini» sans affrontement à l’intime et à l’exposition «publique». C’est cela, l’espace public : cette démystification de l’œuvre et cette tentative illusoire de communication.

Gérald Kurdian

1.

La pratique amateur. Magnifique. C’est un état nécessaire. Quand j’ai commencé mes études d’art à la toute fin des années 1990, l’idée de virtuosité semblait flotter comme l’antithèse fantomatique des utopies de partage (du processus, du réel, du territoire) que l’art contemporain défendait. Il s’agissait d’inventer non seulement des formes, mais de les contextualiser et d’en repenser constamment les processus de fabrication. Il n’y avait pas de technique a priori, pas de lieu privilégié, pas de spécialiste : nous étions des amateurs, au travail.

114 Parcours

N’ayant jamais appris la musique, mes premiers morceaux consistaient donc en une série d’études s’attachant à décortiquer un à un les aspects théoriques, techniques ou sensibles de la composition musicale. Il m’est aujourd’hui impossible de travailler sans envisager d’apprendre. Mon travail en studio consiste à mettre en place des dispositifs d’expérimentation à pratiquer, en public et sur le plateau. Il ne s’agit pas pour autant d’une pratique d’improvisation. C’est un moyen d’exposer le fragile et de le partager. On y soulève alors ensemble l’affect et le sensible, on s’amuse par empathie. D’une certaine manière, on retrouve l’équation virtuose. La belle blonde en équilibre sur le fil. On est ensemble devant le grand vide inconnu. Sauf que là le public, c’est aussi – presque – la belle blonde. L’amateur, c’est l’artiste du réel. Celui qui transporte le dehors en dedans. Celui qui marche sur le plateau comme au supermarché. Celui qui fait vibrer les limites du théâtre en en illuminant les câbles qui dépassent. L’amateur, c’est le plein feu ; et le plein feu, c’est un spectacle incroyable.

2.

Comment pourrait-il en être autrement ? Existe-t-il un moyen de ne pas faire monde (intérieur) de ce que le monde alentour lui-même nous propose ? Existe-t-il une forme qui saurait échapper au réflexe de l’anagramme ?


Les technologies numériques me renvoient toujours à une idée d’infini. C’est presque métaphysique – le cosmos coincé dans la soudure d’une puce de téléphone. Un nombre incalculable de uns et de zéros, dans l’ordre, et l’on touche à la mystique. C’est un espace qui, comme celui des planètes, vibre. On peut s’y perdre avec joie. Utiliser un ordinateur revient à domestiquer une partie de cosmos. C’est un monde anamorphosé, où les data s’équilibrent, perdant parfois même de leur intensité, de leur importance ou de leur singularité. Je tente donc l’expérience d’une vie à deux vitesses, celle de la lumière d’une part, et celle de mes Stan Smith (une tennis produite par Adidas sortie en 1964) d’autre part. En ce qui concerne les réseaux, ce pourraient être des nuages, des communautés de conscience. On y perd le corps et les battements. On y essaie le téléport, on y devient des pixels. Nageons donc dans les clouds, devenons cellule et privilégions le sensoriel au concret. Ce sont des mouvements, des flux évoluant dans le temps rétréci de nos perspectives courtes. Ils encouragent alors tout autant l’élan que la pause et, comme les technologies qui les rendent possibles, nous rendent parfaitement élastiques.

Mon propre corps pourtant me paraît parfois étranger, tant il change. Mes proches sont des gens comme tout le monde. Mon travail consiste à jouer avec les appropriations. En tant que musicien sur un plateau, je sers de relais à l’imaginaire d’un spectateur dans un mouvement qui va de lui ou elle-même à lui ou elle-même. Je suis une sorte de filtre qui travaille à l’appropriation du théâtre par ses pratiquants. Toute forme de remise à niveau de ses hiérarchies, ou de ses espaces, se voit donc comme une heureuse perspective. À l’envers, donc. Je me sers de ma vie quotidienne comme d’une fiction potentielle à mi-chemin entre mon imaginaire et celui du public. C’est un territoire commun que l’on reconnaît ensemble.

3.

J’ai l’impression de travailler à une inversion. Un théâtre, même national, c’est intime. L’expérience d’un spectateur, celle d’un performer sont des expériences intimes.

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Cartes Cartes postales postales Christophe Huysman

D

epuis ses débuts, le travail d’auteur de Christophe Huysman est déclenché par un travail plastique. Pendant les années 1990, il documente sa vie à l’aide de polaroïds. Annotées, griffonnées, violentées, parfois pendant le temps de leur révélation, ces centaines d’images demeurent le point de départ de toute sa production théâtrale et littéraire. Le spectacle ou le texte sauvent ces traces éphémères, fragiles, de l’(auto)destruction ; ils ravivent leur mémoire. Ces clichés disent autrement que par les mots les corps évoqués, (dé)figurés, leurs blessures, leurs passages, leurs extases. Aujourd’hui, Christophe Huysman commence une nouvelle série d’images. La photographie numérique (souvent

réalisée avec un téléphone portable) a remplacé le polaroïd ; le traitement informatique s’est substitué au graffiti, à l’empreinte physique. Si le corps était omniprésent dans les différentes séries des polaroïds, il a tendance ici à se faire plus discret, à s’effacer, au profit du paysage, de la ville, du monument. Ces «cartes postales», souvent nostalgiques, présentent de faux passés, comme si notre avenir s’écrivait au futur antérieur. Une construction, une posture, un accessoire, un élément vestimentaire… montrent que ces images n’ont rien d’ancien : elles sont absolument contemporaines mais leur traitement les inscrit déjà dans le registre des souvenirs enfouis. Clarisse Bardiot

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Biographies Philippe Asselin

Philippe Asselin est directeur artistique de l’Espace Pasolini - Théâtre International à Valenciennes. En 1982, il fonde le Collectif Théâtral du Hainaut qui devient en 1985 Jeune Théâtre International. Développant un réseau de collaborations internationales, la compagnie présente de nombreuses créations à partir des grands textes de la tragédie antique, des poèmes ou des textes de Philippe Asselin. L’interrogation des relations entre artistes, œuvres et publics demeure un axe essentiel de son travail. Clarisse Bardiot

Titulaire d’un doctorat sur Les théâtres virtuels, Clarisse Bardiot est chercheur associé au CNRS et maître de conférences. Elle obtient en 2005 la bourse de chercheurrésident de la Fondation Daniel Langlois. De 2009 à 2010, en tant que directrice adjointe du Manège.mons/CECN (Belgique), elle coordonne deux projets européens (CECN2 et Transdigital), conduit de nombreux projets de formations et de résidences d’artistes autour des arts de la scène et des technologies, et est rédactrice en chef de la revue Patch. Membre du collectif

Nunc, elle crée en 2011 les éditions Subjectile. Mylène Benoit

Plasticienne de formation, Mylène Benoit développe dans un premier temps un travail basé sur l’image et l’installation, parallèlement à ses activités de chef de projet multimédia pour la Cité des sciences et de l’industrie. En 2004, à l’issue de son cursus au Fresnoy, elle fonde la compagnie Contour Progressif et commence un parcours de chorégraphe : Effets Personnels (2004), Effet Papillon (2007), La Chair du monde (2009), ICI (avec Olivier Normand, 2010). Elle est artiste associée au Vivat à Armentières depuis septembre 2011. Roger Bernat

Metteur en scène catalan, Roger Bernat découvre le théâtre après des études d’architecture. Il étudie la mise en scène et la dramaturgie à l’Institut del Teatre (Barcelone). De 1997 à 2001, il fonde et dirige avec Tomàs Aragay La General Elèctrica, un centre de création réputé pour ses projets audacieux et engagés. Parmi ses créations : Que algú em tapi la boca (2001), LA LA LA LA (2004), Tot és perfecte (2005), Das Paradies Experiment (2007) et Domini Public (2008).

Romaric Daurier

Romaric Daurier est directeur du phénix scène nationale Valenciennes depuis 2009, où il développe un projet fondé sur l’ouverture et l’innovation. Après des études littéraires et une activité critique, il devient directeur et commissaire d’exposition pour l’Espace Gantner en 1999, puis secrétaire général de la Maison de la Culture de Grenoble en 2002 et de Bonlieu - scène nationale d’Annecy en 2004. S’intéressant particulièrement à l’économie et à la gestion des organisations, il est titulaire d’un Executive MBA de Sup de Co Lyon. Alexandra Davenne

Après des études en histoire de l’art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Alexandra Davenne intègre le Master «Politique et Gestion de la culture» dispensé à l’IEP de Strasbourg. Elle a participé au festival de sculpture contemporaine «Escaut. Rives, dérives» en tant que chargée de mission. Elle est aujourd’hui chargée des relations publiques au phénix scène nationale Valenciennes. Cédric Delsaux

Après des études de lettres et de cinéma, Cédric Delsaux rejoint d’abord le monde


de la publicité en tant que concepteur-rédacteur. Dès 2002, il se consacre entièrement à la photographie. Il remporte la «Bourse du Talent» en 2005 pour le premier volet de son travail sur Dark Lens (Star Wars). Les séries peuplées d’éléments provenant de notre mémoire collective qu’il élabore lui ouvrent les portes des galeries et font l’objet de nombreuses expositions à l’international. Herman Diephuis

Herman Diephuis a été interprète de nombreux chorégraphes, dont Régine Chopinot, Mathilde Monnier, Philippe Decouflé, François Verret, Alain Buffard. En 2004, il crée sa compagnie. Dans ses œuvres, il interroge l’évidence des stéréotypes et joue avec les codes de lecture : D’après J.-C. (2004), Dalila et Samson, par exemple (2005), Julie, entre autres (2007), Paul est mort ? (2008), Ciao bella (2009). En parallèle, il développe des projets de création avec des amateurs et des propositions spécifiques pour des musées.

mais aussi cinéma, art contemporain, géographie urbaine). Il a participé à l’édition critique des œuvres de Bergson aux Presses Universitaires de France. Parmi ses dernières publications : Faux raccords : la coexistence des images (Actes Sud, 2010). Yan Duyvendak

Formé à l’École supérieure d’art visuel de Genève, Yan Duyvendak pratique la performance depuis 1995. Interrogeant les icônes de notre société de consommation, son travail s’organise autour d’un jeu entre les images télévisuelles ou cinématographiques et leur impossible reproduction avec les moyens du spectacle vivant. Il a reçu de nombreux prix tant pour ses performances que pour ses vidéos, dont le Swiss Art Award et la Meret Oppenheim Preis. Rodrigo García

Auteur, metteur en scène, vidéaste, Rodrigo García crée à Madrid en 1989 la compagnie La Carnicería Élie During Teatro. Il est l’auteur Élie During, docteur et agrégé de nombreuses pièces dont il de philosophie, ancien élève assure le plus souvent la mise de l’École normale supérieure en scène et dont les titres (Ulm), est maître de donnent la couleur : J’ai acheté conférences en philosophie une pelle chez Ikea pour creuser à l’université de Paris ma tombe (2003), Jardinería Ouest-Nanterre et enseignant humana (2004), Et balancez à l’École des Beaux-Arts de Paris. mes cendres sur Mickey (2006)… Ses recherches actuelles portent Chacun de ses spectacles sur les formes de l’espace-temps procède au dépeçage (physique et métaphysique, systématique des rituels que

la collectivité a mis en place, pour mieux dévoiler le désarroi des individus qui la composent. Christophe Hocké

Issu d’une formation musicale classique, Christophe Hocké travaille depuis 1998 avec plusieurs compagnies de théâtre et de danse en tant que musicien, compositeur et comédien en France et en Allemagne. Il collabore notamment avec le Théâtre de chambre, la compagnie Les Chiennes savantes et la compagnie Thec. Pour la saison 2011-2012, il est soutenu par la DRAC Nord-Pas de Calais dans le cadre d’un dispositif «Pas à Pas» avec le phénix scène nationale Valenciennes. Gérard Hourbette

Compositeur et directeur du groupe Art Zoyd, Gérard Hourbette mène un travail sur les structures sonores utilisant les nouvelles technologies musicales. Son parcours est étroitement lié à celui d’Art Zoyd, dont il compose et dirige l’essentiel des projets. Il a par ailleurs composé pour l’Orchestre national de Lille, Musiques Nouvelles, Ars Nova… Il réalise sous son nom des musiques de théâtre, de ballets (Karole Armitage), d’expositions (Picasso/Dora Maar) ou d’événementiels (Groupe F). Christophe Huysman

Christophe Huysman est acteur, auteur et metteur en scène. Fondateur de la compagnie


Les Hommes Penchés et du Laboratoire mobile, il s’invente un théâtre documentaire nourri par un travail de collecte d’images, de sons, de témoignages. En tant qu’acteur, il se frotte aux écritures dramatiques de Philippe Minyana, Robert Cantarella, Noëlle Renaude ou Georges Aperghis. En 2002, il commence une collaboration avec Gérard Fasoli autour du cirque. Ses écrits sont publiés aux éditions Les Solitaires Intempestifs, aux Presses du Réel, aux éditions des QuatreVents, à l’Avant-Scène Théâtre. Gérald Kurdian

Après un cursus d’arts visuels, Gérald Kurdian intègre en 2007 la formation Ex.e.r.ce du Centre Chorégraphique national de Montpellier, sous la direction de Mathilde Monnier et Xavier Le Roy. Après diverses collaborations avec des chorégraphes, il développe des performances qu’il présente en France et en Europe, puis crée un projet musical solo : This is the hello monster ! (an avant-pop solo band). Son premier album éponyme est sorti en avril 2010 (Bs records / Gommette publishing / Idol). Frédéric Laforgue

Après des études universitaires en philosophie et filmologie, Frédéric Laforgue se forme au travail d’acteur puis à la mise en scène auprès de Herbert Wernicke et de Guy Cassiers. Il crée la compagnie

Les Blouses Bleues. Parmi ses mises en scène : Yerma de Federico Garcia Lorca (2002), Ne jetez pas bébé avec l’eau du Bain de Christopher Durang (2004), La Dispute de Marivaux (2006), If it is (2006) et Blowing d’après une pièce de Jeroen Van den Berg (2010). Il a été associé au Grand Bleu de 2006 à 2008. Myriam Marzouki

Myriam Marzouki est metteur en scène et directrice artistique de la Compagnie du dernier soir. Ancienne élève de l’ENS, agrégée de philosophie, elle adapte des textes contemporains qui abordent la question politique à travers l’écriture poétique, tels United Problems of coût de la main-d’œuvre de Jean-Charles Massera (2008), et Europeana, de Patrik Ouredník (2009). En juillet 2011, elle présente une conférence performance au Festival d’Avignon, étape préparatoire de son nouveau projet, Invest in Democracy (création 2012-2013). Aurélie Mathigot

Artiste plasticienne, Aurélie Mathigot élabore ses œuvres autour du textile et de l’idée de recouvrement. Elle aime faire intervenir le toucher, la matière. Le savoir-faire artisanal (broderie, crochet, tricot…) nécessite pour chaque technique une rencontre avec un métier précis. Elle collabore régulièrement avec des ateliers de femmes à travers le monde (Brésil, Mexique, France, Vietnam…) tout en exposant son travail dans des galeries

et des musées (Palais de Tokyo, galerie Art Curial, musée Galliera…). Julie Nioche

Julie Nioche est danseuse, chorégraphe et ostéopathe. Elle a travaillé comme interprète auprès d’Odile Duboc, Hervé Robbe, Meg Stuart, Alain Michard, Catherine Contour, Emmanuelle Huynh, Alain Buffard, Jennifer Lacey. De 1996 à 2007, elle co-dirige l’association Fin novembre avec Rachid Ouramdane. Elle est responsable des projets artistiques de A.I.M.E. – Association d’Individus en Mouvements Engagés, qu’elle crée en 2007 pour accompagner l’ensemble de ses projets (pièces chorégraphiques, performances in situ, actions dans différents espaces médicaux et sociaux). Emmanuelle Pireyre

Emmanuelle Pireyre alterne dans son travail écriture proprement dite et diverses formes mixtes (textes accompagnés de diapositives, vidéo, radio, installations, schémas…). Elle a publié Congélations et décongélations (et autres traitements appliqués aux circonstances) (Maurice Nadeau, 2000), Mes vêtements ne sont pas des draps de lit (Maurice Nadeau, 2001), Comment faire disparaître la terre ? (Le Seuil, 2006). Elle est l’auteur de plusieurs fictions radio pour France Culture : La danse


est-elle dangereuse pour les jeunes filles ? (2001), Croisière Express (2003), La Philosophie blindée du convoyeur de fonds (2006). Eszter Salamon

Eszter Salamon est chorégraphe et danseuse. Depuis 2001, elle crée ses propres pièces, parfois en collaboration avec d’autres chorégraphes (Xavier Le Roy, Christine De Smedt…). Son travail est régulièrement présenté en Europe et en Asie. En tant que danseuse, elle a été interprète pour Sidonie Rochon, Mathilde Monnier et François Verret. À la suite de Transformers, projet élaboré au cours d’ateliers en Europe, au Mexique et au Japon en 2009, Eszter Salamon a présenté en 2011 un nouveau duo avec Christine De Smedt, Dance #2. Jean-Luc Soret

Jean-Luc Soret est commissaire d’expositions. Il est directeur artistique du Festival @rt Outsiders à la Maison européenne de la Photographie à Paris, événement annuel consacré aux nouvelles formes de la création contemporaine et à leurs rapports avec les sciences et les technologies (biologie, conquête spatiale, électromagnétisme, nanotechnologies, environnements extrêmes…). Jean-Luc Soret collabore avec l’Observatoire de l’Espace du CNES depuis 2003 afin de promouvoir les pratiques artistiques inspirées par la recherche ou l’activité spatiales.

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, philosophe, est président de l’association Ars Industrialis, directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation du Centre Pompidou, professeur au Goldsmiths College, professeur associé à l’Université de Technologie de Compiègne et visiting professor à l’Université de Cambridge. Il a été directeur de programme au Collège international de philosophie, directeur de l’unité de recherche Connaissances, Organisations et Systèmes Techniques de l’Université de Compiègne, directeur général adjoint de l’INA en 1996, directeur de l’Ircam en 2001 et directeur du département du développement culturel du Centre Pompidou en 2006. Cyril Thomas

Ancien rédacteur en chef de la revue trilingue Transdigital et commissaire d’expositions, Cyril Thomas collabore à diverses revues dont Monstres, Patch, Scènes, MCD et Poptronics.fr. Il a contribué au catalogue consacré à la rétrospective Annette Messager au Centre Pompidou. Il a publié plusieurs articles sur l’art contemporain et les nouvelles technologies dans divers ouvrages, et réalisé de nombreux entretiens avec des artistes internationaux. Membre du codesignlab et du collectif Nunc, il vient de faire paraître (avec Jean-Luc Soret) aux éditions Subjectile, le premier opus de 6 X 6 / 36.


Cabaret de curiosités : Now future  future! 31  janvier 4 février 2012

BARBARA MATIJEVIC, GIUSEPPE CHICO FORECASTING

FRANÇOIS VERRET RAPTUS

texte, mise en scène, vidéo et interprétation Giuseppe Chico, Barbara Matijevic assistance dramaturgique Sasa Bozic

avec Natacha Kouznetsova 
 et François Verret
 réalisation images Manuel Pasdelou lumières Manuel Pasdelou coproduction la Compagnie FV, Paris, parc de la Villette (résidences d’artistes), Paris, le phénix scène nationale Valenciennes,
 production en cours avec le soutien de la Région Ile-de-France la Compagnie FV est subventionnée par la DRAC et la Région Ile-de-France création 2012, le phénix scène nationale Valenciennes

MYRIAM MARZOUKI EMMANUELLE PIREYRE LAISSEZ-NOUS JUSTE LE TEMPS DE VOUS DÉTRUIRE avec Johanna Korthals Altes Stanislas Stanic Pierre-Félix Gravière Charline Grand scénographie Bénédicte Jolys costumes Laure Mahéo musique Toog lumières Ronan Cahoreau-Gallier dramaturgie Isabelle Patain administration Vincent Larmet production Compagnie du Dernier Soir avec l’aide à la production d’Arcadi. la compagnie est en résidence à Pantin, où Emmanuelle Pireyre a été accueillie dans le cadre du programme régional de résidences en Ile-de-France création 2011, Théâtre Au fil de l’Eau, Pantin

production 1er Stratagème et De facto co-production Kaaitheater (Bruxelles), UOVO performing arts festival (Milan) avec le soutien de la DRAC Ile-de-France dans le cadre du dispositif de l’aide au projet, le ministère de la Culture de Croatie, la Ville de Zagreb, l’Institut français de Zagreb, PACT Zollverein Essen (accueil en résidence), l’association Beaumarchais-SACD remerciements Ina Pouant, Performing Arts Forum créé le 5 mars 2011 au Kaaitheater dans le cadre du Festival Performatik

«I AM 1984» auteurs Giuseppe Chico et Barbara Matijevic interprétation Barbara Matijevic

YAN DUYVENDAK, ROGER BERNAT PLEASE CONTiNUE (HAMLET) conception Roger Bernat & Yan Duyvendak avec Monica Budde, Hélène Hudovernik, Manuel Vallade et des membres du Barreau mise en espace en collaboration avec Sylvie Kleiber production et diffusion Nataly Sugnaux Hernandez, Helena Febrés assistants Nicolas Cillins, Thomas Köppel administration Eveline Murenbeeld, Julie Semoroz rédaction Charles Mesnier graphisme Marie-Klara Gonzalez ; Nicolas Robel B.ü.L.b Grafix régie générale Gaël Grivet coproduction le phénix scène nationale Valenciennes ; Huis a/d Werf, Utrecht ; Théâtre du GRÜ, Genève co-réalisation Montévidéo, Marseille ; Le Carré/ Les Colonnes, Scène conventionnée, Saint-Médarden-Jalles/Blanquefort

création mars 2008, ZeKaeM, Zagreb, Croatie

avec le soutien de Ville de Genève ; République et canton de Genève ; Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture ; Migros pour-cent culturel ; Loterie Romande ; Ministerio de Cultura-INAEM

TRACKS

création 2011, Théâtre du GRÜ, Genève

performer Barbara Matijevic

projet participatif présenté dans le cadre des Ateliers nomades du phénix, avec le Boulon Pôle régional des Arts de la rue de Vieux-Condé

production de facto et 1er stratagème coproduction ZeKaeM teatro, (Zagreb, Croatie)

collaboration artistique Sasa Bozic sound design Damir Simunovic production 1er Stratagème & De Facto co-production Kaaitheater / Bruxelles, Musée d’art contemporain Zagreb, Eurokaz Festival, Art Workshop Lazareti avec l’aide de la Ville de Zagreb et le ministère de la Culture de Croatie créé le 8 octobre 2009 au Kaaitheater, Festival Spoken world (Bruxelles)

ESZTER SALAMON TALES OF THE BODILESS Musical Fiction Without Science par Eszter Salamon avec Bojana Cvejic, Cédric Dambrain, Terre Thaemlitz,

Sylvie Garot & Peter Böhm direction Eszter Salamon concept, texte et dramaturgie Eszter Salamon & Bojana Cvejic musique Cédric Dambrain & Terre Thaemlitz conseiller musique Berno Odo Polzer design sonore Peter Böhm lumière et image Sylvie Garot régie vidéo et assistant conception image Bertrand Schacre direction technique Thalie Lurault assistant de répétition Sasa Asentic enregistrement de voix Bart Aga voix par ordre d’apparition des 4 contes : prologue Eszter Salamon. la tourbière Johan Leysen chiens Jan Ritsema, Eszter Salamon, Sasa Asentic, Bojana Cvejic substitution Sasa Asentic, Joanna Bailie, Terre Thaemlitz, Tracee Westmoreland, Chrysa Parkinson, Gérald Kurdian, Michael Schmid, Ragna Aurich, Eleanor Bauer, Polina Akhmetzyanova, Sayaka Kaiwa, Bérengère Bodin, Patricia Barakat points David Helbich, Sofie Benoot, Daniel Blanga Gubbay, Boglárka Börcsök, Saskia Bovijn, Claire Bringiers, Johanna Buys, Kurijn Buys, Pierre Caillet, Erwin Carlier, Chris Carroll, Michael Casey, Liesbeth De Ceulaer, Marie Cordonier, Céline David, Kim Lien Dessault, Caroline Dewynter, Anne Duquenne, Katrien Feyaerts, Elisabeth Franken, Eva De Grave, Nada Gambier, Nestor Garcia Diaz, Rina Govers, Julie Gilbert, Anne Rose Goet, Catherine Herman, Matthias Koole, Aurore Labrosse, Giulietta Laki, Christophe Meierhans, Pierre-Guillaume Méon, Natasha Mokrane,


Sylvie van Molle, Muna Mussie, Sandy Napier, Anne-Sophie Van Neste, Tim Oliphant, Tiziana Penna, Agnès Peter, Jo Reymen, Anna Rispoli, Margot van Scharen, Michael Schmid, Christine De Smedt, Janne Steenbeke, Gunhild Tuschen, Anne-Sophie van Wesemael, Tracee Westmoreland, Iffy Tillieu, Wim Veys, Adva Zakai corps Sasa Asentic, Eszter Salamon production, organisation Alexandra Wellensiek Botschaft Gbr, extrapole / Agnès Henry assistante de production Mariane Cosserat stagiaire production Natacha Le Duff Stagiaire vidéo Sarah Bahr coproduction Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), Ircam / Les Spectacles vivantsCentre Pompidou (Paris), Hebbel am Ufer /Tanz im August 2011 (Berlin), Pact Zollverein (Essen), steirischer herbst festival (Graz), Kampnagel (Hambourg), Les Subsistances (Lyon) avec le soutien de Kaaitheater (Bruxelles), Kunstencentrum Buda (Kortrijk), Q-02 (Bruxelles), PAF (Saint-Erme) résidence de recherche projet 6M1L Centre Chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon prêt de studio Centre Chorégraphique national de Rillieux-la-Pape projet coproduit par NXTSTP avec le soutien du Programme Culture de l’Union européenne et financé à l’aide de la Fondation fédérale allemande pour la culture et le Fonds SACD Musique de Scène création 2011, Kunstenfestivaldesarts Bruxelles

GéRALD KURDIAN THIS IS THE HELLO MONSTER – projet solo création festival Tanz im August, 2007, Berlin

1999 (ou pourquoi les méchants ont toujours l’accent russe) Projet participatif présenté dans le cadre des Ateliers nomades du phénix. Ateliers de chants et de mises en espace. Projet participatif soutenu par le conseil régional Nord-Pas de Calais dans le cadre de l’accompagnement des populations à l’innovation

GÉRARD HOURBETTE ART ZOYD RÊVE 1 d’après Philip K. Dick tryptique musical pour scénographies d’images de Christian Châtel, Serge Meyer & Pierrick Sorin une idée de Gérard Hourbette un projet d’Art Zoyd création 1er semestre 2013 clavier, capteurs Yukari Bertocchi-Hamada percussion, pads Romuald Cabardos, Daniel Koskowitz ondes Martenot, capteurs Nadia Ratsimandresy percussion, pads Jérôme Soudan ‘Mimetic’ une production de Art Zoyd en coproduction avec le phénix scène nationale Valenciennes avec le soutien des fonds européens Interreg IV dans le cadre du projet VOX pour les scénographies de Serge Meyer et Christian Châtel et du projet ESH pour la musique, de la DRAC Nord-Pas de Calais, de la Région Nord-Pas de Calais, du Département du Nord, de l’Agglomération Valenciennes Métropole et de la Ville de Valenciennes


Cabaret de curiosités : L’improbable L improbable 13 au 17 mars 2012

avec le soutien du Conseil régional d’Ile-de-France

CHRISTOPHE HUYSMAN HUMAN (articulations)

avec l’ACSE (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances).

la compagnie est conventionnée par la DRAC Ile-de-France, ministère de la Culture et de la Communication, et par la Région Ile-de-France

création 2012, le phénix scène nationale Valenciennes, le musée des Beaux-Arts de Valenciennes

texte et mise en scène Christophe Huysman avec Florent Blondeau, Colline Caen, Manu Debuck, Christophe Huysman, Serge Lazar et William Valet scénographie et conseiller cirque Gérard Fasoli travail de la voix Chantal Jannelle création lumières Emma Juliard régie lumière Véronique Hemberger  régie générale et plateau Sophie Kinossian, Sébastien Bruas, Pierre Staigre construction du décor Ernest Clennell pour Show-Biz production / diffusion Julie Comte pour la Magnanerie texte publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs sous le titre Pièces de cirque, 2006 production déléguée Compagnie Les Hommes penchés coproduction Les Subsistances Lyon, le Festival d’Avignon, la Chartreuse – Centre national des Écritures du Spectacle (Villeneuve-lez-Avignon), la Faïencerie – Théâtre de Creil, Dieppe scène nationale, le Parc de la Villette – Paris En partenariat avec La Comète – scène nationale (Châlonsen-Champagne), le Théâtre de la Foudre – scène nationale (Petit-Quevilly)

Christophe Huysman est artiste associé au phénix scène nationale Valenciennes. Il est en résidence d’écriture au Centquatre, établissement culturel de la Ville de Paris

RODRIGO GARCÍA C’EST COMME ÇA ET ME FAITES PAS CHIER

FRÉDÉRIC LAFORGUE PHOTOGRAPHIES DE A

texte et mise en scène Rodrigo García traduction Christilla Vasserot musiques Daniel Romero création lumières Carlos Marquerie création vidéo Ramón Diago direction technique Roberto Cafaggini assistant à la mise en scène John Romão technique Vincent Panchen, Joel Silvestre

De Daniel Keene mise en scène Frédéric Laforgue vidéo Alexandre Leroy lumière Annie Leuridan son Thierry Nbaye costumes Léa Drouault développement informatique Antoine Rousseau traduction Séverine Magois conseiller artistique photographe Philippe Bazin conseiller artistique Georges Didi-Huberman

avec Melchior Derouet, Núria Lloansi, Daniel Romero

avec Anne-Catherine Regniers

spectacle de la compagnie Rodrigo García

résidence de création au CECN, Mons

production Bonlieu scène nationale Annecy

résidence au Studio technologique du théâtre le Manège, Maubeuge

coproduction Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine

coproduction  Compagnie Les Blouses Bleues, le phénix scène nationale Valenciennes avec le soutien du CECN, Mons – Belgique, du Manège, scène nationale de Maubeuge Les Blouses Bleues ont le soutien de la DRAC, de la région Nord-Pas de Calais et de la Ville de Lille création 2012, le phénix scène nationale Valenciennes

avec l’aide du Centre national des Arts du cirque et le soutien de la Région Champagne-Ardenne

HERMAN DIEPHUIS PARCOURS DÉCADRÉ, PARCOURS DANS LE MUSÉE

avec l’aide à la création et l’aide à l’écriture du ministère de la Culture et de la Communication (DMDTS / DRAC Ile-de-France)

Projet participatif présenté dans le cadre des Ateliers nomades du phénix. Ce projet s’inscrit dans le cadre du Contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) de la ville de Valenciennes,

production déléguée Bonlieu scène nationale Annecy création 2010, Bonlieu scène nationale Annecy

JULIE NIOCHE CHRISTOPHE HUYSMAN CONTES TORDUS conception et interprétation Julie Nioche et Christophe Huysman chorégraphie Julie Nioche textes Christophe Huysman musique Alexandre Meyer création décor et lumières : Gilles Gentner costumes Anna Rizza assistante décor Hélène Eiché production A.I.M.E. - Association d’Individus en Mouvements Engagés en coproduction

avec la Compagnie Les Hommes penchés. La Coopération Interrégionale Stimulante et Solidaire qui réunit Le Manège de Reims, scène nationale, le Vivat, scène conventionnée, et l’échangeur de Fère-en-Tardenois, scène conventionnée. Le Centquatre – établissement artistique de la Ville de Paris Le Forum - scène conventionnée de Blanc-Mesnil avec le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis, du phénix scène nationale Valenciennes création 2011 dans le cadre des Sujets à Vif, coproduction SACD / Festival d’Avignon

CHRISTOPHE HOCKÉ HUMAN JUKE BOX produit et diffusé par le théâtre de chambre - 232U création 2009

MYLÈNE BENOIT Étude #2 (Le renard ne s’apprivoise pas) conception Mylène Benoit interprétation Nina Santes création musicale Guillaume Hairaud création lumière Annie Leuridan et Aurore Leduc direction technique Maël Teillant conseil phosphore Christian Châtel administration de production Valentine Lecomte chargée de diffusion Magda Kachouche production Compagnie Contour Progressif coproduction Le Vivat scène conventionnée d’Armentières, le phénix scène nationale Valenciennes Mylène Benoit est artiste associée au Vivat d’Armentières, scène conventionnée danse et théâtre. La compagnie Contour Progressif est aidée par la DRAC Nord-Pas de Calais au titre de l’aide à la compagnie chorégraphique.


Les partenaires du phénix Partenaires publics du phénix

club phénix entrepreneur

Ministère de la Culture et de la Communication Ville de Valenciennes Conseil régional Nord-Pas de Calais Conseil général du Nord Feder dans le cadre du programme Interreg IV Union européenne Valenciennes Métropole

Vallourec Groupe GHI Biogroup PSA Peugeot Citroën site de Valenciennes Transvilles Veolia Transport Valenciennes La Caisse des Dépôts La Chambre de Commerce

Les cabarets de curiosité sont soutenus par Nomade > Culture, Citoyenneté & Nouvelles Technologies en Hainauts Afin de relever le double défi de la réduction des fractures culturelle et numérique, l’action, qui envisage la relation culture formation / nouvelles technologies sur la base des pratiques artistiques développées sur le territoire, s’articule autour de 3 grands axes : 1. Aller à la rencontre des habitants du territoire transfrontalier sur leurs lieux de vie  2. Favoriser l’implication des publics dans la création même de projets artistiques. 3. Développer leur connaissance et leur maîtrise des nouvelles technologies. Le projet réunit trois structures de la zone transfrontalière Mons /

Borinage – Val de Sambre – Valenciennois : le manège.mons, le manège scène nationale de Maubeuge et le phénix scène nationale Valenciennes.

d’exigence artistique et de renouvellement des formes, et stimule les échanges en matière de spectacle vivant en Europe et à l’international.

L’Office national de diffusion artistique

Espace(s) Son(s) Hainaut(s) >Plateforme transfrontalière pour les musiques innovantes

Association à but non lucratif, l’Office national de diffusion artistique (Onda)a été créé en 1975. Subventionné par le ministère de la Culture et de la Communication (DGCA direction générale de la Création artistique / sous-direction des Affaires européennes et internationales), les missions et objectifs de l’Onda sont précisés dans le cadre de conventions triennales signées avec le ministère. L’Onda encourage la diffusion, sur le territoire national, d’œuvres de spectacle vivant qui s’inscrivent dans une démarche de création contemporaine soucieuse

Partenaires culturels des Cabinets de curiosités : Espace Pier Paolo Pasolini, le Boulon, Musée des Beaux-arts de Valenciennes.

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noir seul

et d’Industrie Nord de France - Grand Hainaut Le cabinet BDL – expert en matière d’entreprise La Fondation BNP Paribas SEVELNORD Pour toi l’artiste (RL consultants) Le Grand Hôtel Le VAFC

Ce projet regroupe au sein d’un cluster les différents acteurs de la création sonore et musicale sur le territoire des «Hainauts» dans l’objectif de créer une chaîne de valeurs permettant d’accompagner l’art d’aujourd’hui à la rencontre des populations sous de nouvelles modalités citoyennes. Parcours décadré, parcours dans le musée Ce projet s’inscrit dans le cadre du Contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) de la ville de Valenciennes, avec l’ACSE (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances). le musée des Beaux-Arts de Valenciennes.


L’équipe du phénix scène nationale Valenciennes Romaric Daurier directeur général Patricia Gorka secrétaire générale Hermann Lugan administrateur Nicolas Ahssaine directeur technique Dorothée Deltombe directrice des relations publiques Hugo Dewasmes directeur de la communication Alexandra Davenne relations publiques Renaud Laithienne relations publiques / responsable informatique Romain Carlier audiovisuel & multimédia Isabelle Grave accueil / billetterie Amandine Top jeune public / accueil / billetterie Fanny Decraene accueil / billetterie Anne Laden secrétaire de direction Gabrielle Maliet assistante administrative Delphine Debureaux comptable Christelle Dick secrétaire Fabrice Loez régie générale Richard Adonel régie plateau Philippe Reinhalter régie plateau Ludovic Loez régie lumière Gilles Renard régie son Emilio Giliberto gardien Bernard Herbin gardien Salima Terfous agent d’entretien l’ensemble des personnels intermittents et vacataires Christophe Huysman artiste associé Nicolas Turquet professeur missionné par le rectorat Clarisse Bardiot conseillère éditoriale Cabarets de curiosités Le conseil de surveillance du phénix Patrick Roussiès, président du conseil de surveillance Dominique Riquet, maire représentant la Ville de Valenciennes Pierre Giraud, président de l’Association des Enseignants de Valenciennes Djamila Ouahba, représentant la Ville de Valenciennes Anne-Marie Petieau, représentant la Ville de Valenciennes Bernard Moreau, directeur Moreau Music Carole Dussart, représentant la Ville de Valenciennes Bariza Bourega, caisse des Dépôts Girish Muzumdar, directeur Maïa Interactive Guy Marchant, Gonicodé Kahissim, Danièle Ferte, Sophie Dictus, représentants la Ville de Valenciennes

Ours direction éditoriale  Clarisse Bardiot & Romaric Daurier coordination éditoriale  Hugo Dewasmes conception graphique les designers anonymes remerciements Acte2galerie Art Press Philippe Asselin Mylène Benoit Roger Bernat Frédéric Bourdin Annick Bureaud Bojana Cvejic Alexandra Davenne Cédric Delsaux Herman Diephuis Élie During Yan Duyvendak Éric Foucault Virginie Foucault Rodrigo García Christophe Hocké Gérard Hourbette / Art Zoyd Christophe Huysman Arturo Iturbe Fabien Jannelle Gérald Kurdian Frédéric Laforgue revue Laura Nathalie Lecorre Myriam Marzouki Aurélie Mathigot Barbara Matijevic & Giuseppe Chico Maison européenne de la Photographie Julie Nioche Nathalie Piat Emmanuelle Pireyre Maïté Rivière Marion Rochard Patrick Roussiès Eszter Salamon Caroline Schumacher Jean-Luc Soret Bernard Stiegler Cyril Thomas François Verret Monique Vialadieu Nathalie Vimeux Alexandra Wellensiek L’œil d’Or ISBN : 978-2-913661-46-2 Subjectile ISBN : 978-2-36530-003-2 dépôt légal : janvier 2012 achevé d’imprimer par l’imprimerie Impresor-Ariane, à Bruxelles (Belgique) en janvier 2012


Crédits photographies pp. 23-34 © Cédric Delsaux pp. 95-102 © Aurélie Mathigot pp. 57-66 © Rodrigo García pp. 9, 10, 11, 14, 53, 85, 90, 91, 92, 112, 116 © Christophe Huysman



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