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L’EMPÊCHEUR DE BELOTER EN ROND

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LA FOLIE PANINI

LA FOLIE PANINI

Par Florian Frappat

La scène se passe à l’espace Bouchayer, un lieu dédié aux personnes âgées dans le quartier Eaux-Claires.

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Florian, jeune bénévole pour « Quartier Chic », débarque dans le calme de l’espace Bouchayer pour extirper aux anciens quelques souvenirs marquants et anecdotes croustillantes liés au foot.

Marie, officiant ce jour-ci dans la salle, laisse libre cours aux lubies du reporter en herbe, en prévenant tout sourire : « Attention, peut-être que certains ne voudront pas être embêtés dans leur belote ! ». A son arrivée, le scribouilleur est scanné en un coup d’œil par une tablée en pleine partie.

FLORIAN (Plein d’entrain )Bonjour, je peux vous interrompre un instant ?

PAPÉ BOUGON : (L’air de dire « ma foi oui puisque c’est fait »)Grmblr …

FLORIAN : Je cherche à réunir des souvenirs liés au football, un fait marquant... Vous avez peut-être vousmême joué au foot dans votre vie ?

MAMÉ COQUETTE : (Bien apprêtée, les cheveux blonds réunis en un savant chignon, décide finalement de prendre la parole pour ne pas laisser Florian dans l’embarras) Oh moi je jouais pas au foot, mais je me souviens bien de la coupe du monde de 1998. Il y avait la fête à chaque coin de rue et le défilé sur le Cours Jean Jaurès ! FLORIAN : ... Cela a dû être dur de dormir cette nuit-là...

MAMÉ COQUETTE : Dormir ? Pensez-vous ! Nous avons pris des foulards bleus, blancs et rouges à la va-vite dans les placards et les malles du grenier pour rejoindre le cortège de fêtards ! PAPÉ BOUGON : (Cartes en main, qu’il a caleuses et crevassées) BON… - l’air de dire « allez garnement, t’as ce que tu voulais, maintenant, on joue ! »

Galvanisé par ce premier succès, notre envoyé spécial tente une autre approche pour le deuxième groupe, composé de trois mamés qui l’ont bien vu venir, va...

LA FACÉTIEUSE CHRISTIANE : (Les pattes d’oies au coin des yeux, le regard pétillant) Un fait marquant ? Les buts, par définition, ah ah ah... FLORIAN : Certes, certes, alors dites-moi, le football vous a-t-il particulièrement marqué dans votre vie ? À un moment précis peut-être?

Les cartes sont posées, la partie interrompue, tout le groupe semble attentif à l’échange en cours.

LA FACÉTIEUSE CHRISTIANE : Ouii, ouiii... En 98, tout le monde chantait à tue-tête cette chanson : « Laa..la-la laaa laaa », dans le bus, dans les bars... (ferme les yeux, plonge dans sa mémoire un instant, puis s’adresse à l’homme assis en face d’elle)Aaah, comment elle s’appelait déjà ?

PAPÉ SAGACE : (L’air intéressé

et poli) Il y avait cette chanson oui, c’était d’une chanteuse américaine... (fouille également sa mémoire, hélas sans succès.)

FLORIAN : Eh bien je mènerai l’enquête et je reviendrai vous le dire -après recherches il s’agit de « I Will Survive » de Gloria Gaynor- ce nom de chanteuse américaine ! Notre reporter quitte alors le coin des cartes pour faire un tour du côté de celui de la laine :

FLORIAN : Oh, du tricot ! Je connais bien ça le tricot, pour sûr je suis même champion de point mousse chez moi ! JANINE : (Sans lever les yeux de son ouvrage) Oui, mais ça c’est du crochet jeune homme ! FLORIAN : Euh...parlons foot alors ?

JANINE : (Assure d’un geste habile la maille en cours, puis lève le visage) Un souvenir ? Il y a bien quand j’étais petite, oui, je jouais au ballon sur les boulevards, comme beaucoup d’enfants... Et puis nous allions garder les animaux à la grande ferme vers la rue Abbé Grégoire... C’était dans les années 40...

Un autre homme, environ soixante-dix ans, écoutant jusqu’ici passivement l’échange, semble interpellé par l’évocation de ces années-là...

PAPÉ SPRINTEUR : ...Moi je jouais pas vraiment au foot, le vrai foot pour nous c’était surtout les grands, les ouvriers qui jouaient dans les équipes de quartier comme la Viscose, Camine, Beauvert... Où l’on trouvait encore des ambiances de « patronat paternaliste ». J’ai plus les noms en tête mais ces gars-là, on savait qui c’était ! Après, nous on se promenait souvent le ballon sous le bras pour trouver un coin de rue propice à s’amuser... Mais il fallait pas que le ballon nous échappe ! FLORIAN : (interessé) Tiens...et pourquoi ça ?

PAPÉ : Eh bien j’habitais sur le Cours de la Libération, et certaines rues étaient un peu le «territoire» des enfants y vivant... Même en jouant fair-play on se faisait vite enguirlander ! (Marque une pause) En plus nous on n’était pas une bande, juste deux frères, en école privée de plus! On a dû y laisser une paire de ballons, surtout Rue Capitaine Camine et Chemin Menet... Là, si on se faisait apercevoir, il fallait courir très vite ! Ces quelques souvenirs glanés, il est temps pour le jeune Florian de quitter ses nouveaux amis, non sans un petit verre de cidre et quelques douces taquineries... Une bonne occasion de constater pour ce novice du sujet que les souvenirs liés au football peuvent revêtir de multiples formes et être très personnels, sans forcément être un.e « mordu.e » du ballon rond !

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