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FOOT REVOLUTION

Plongée dans les racines historiques d’un sport à haute teneur sociale et politique.

Du football, souvent, on ne retient que le côté bling-bling et sulfureux, ses popstars des terrains et des publicités, et son rapport démesuré à l’argent. Certes, le football est un business qui engendre des sommes astronomiques, comme en atteste le nombre de survêtements et autres maillots vendus à la pelle, dont les couleurs criardes fleurissent dans toutes les rues européennes et donnent à la jeunesse des allures d’armées d’employés des travaux publics. Mais le ballon rond est bien plus que ça, comme le rappelle Mickaël Correia dans son livre « Une histoire populaire du football », publié en mars 2018 aux éditions La Découverte. Le journaliste nous montre à quel point le foot, plus que tout autre sport, est marqué par les soubresauts de l’histoire. Le football tel que nous le connaissons naît au 18ème siècle dans la bourgeoisie de l’ère industrielle en Angleterre. Il se transmet très vite à la classe populaire qui, en s’accaparant ce sport, en fait un objet social, politique et un outil de contre-culture. Nombreux sont les exemples de lutte contre les dominations à travers le foot. Que ce soient les ouvriers de Manchester défendant leurs droits dans cette Angleterre industrielle, ou Matthias Sindelar, footballeur viennois qui défia les autorités nazies, sans oublier les joueurs algériens qui n’hésitèrent pas à abandonner le maillot de l’équipe nationale française pour donner vie clandestinement à l’équipe d’une Algérie sous occupation.

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S’il est un joueur qui incarne le football engagé, c’est bien Sócrates Brasileiro Sampaio de Souza, dit « Socrates », vedette de l’équipe des Corinthians de Sao Paulo au début des années 80. Avec ses longs cheveux et sa barbe qui lui donnaient des airs de Che Guevarra, le milieu de terrain élégant, titulaire d’un doctorat en médecine auquel il devait son surnom « Le Docteur », était loin de l’image lisse et fashionista d’un Cristiano Ronaldo ou d’un Neymar. Au Brésil, alors tenu d’une main de fer par une junte militaire qui a torturé plus de 20 000 personnes entre 1964 et 1985, l’équipe des Corinthi ans a inventé un système de fonctionnement inédit pour une équipe professionnelle, basé sur l’autogestion et que les médias qualifiaient de « démocratie corinthiane ». Avec l’aide d’un jeune sociologue qui a gouté aux prisons de la dictature et de coéquipiers convaincus et militants, Socrates a été l’instigateur de ce système qui a réinventé le lien entre joueurs et dirigeants. Toutes les décisions qui touchaient au collectif étaient soumises au vote… Les joueurs choisissaient eux-mêmes leur entraîneur ! Ce système horizontal fonctionne bien et les résultats sportifs sont au rendezvous. Le SC Corinthians, « club du peuple », défie de plus en plus la dictature en faisant ouvertement la promotion de la démocratie. Le 14 décembre 1983, lors de la finale du championnat de Sao Paulo, les Corinthians se présentent face aux caméras avec une banderole portant le message «gagner ou perdre, mais toujours en démocratie». Sur les maillots est floqué le mot « démocratie ». Le 16 avril 1984, un million et demi de personnes sont dans la rue pour demander la fin de la dictature. Socrates et ses coéquipiers Wladimir et Casagrande sont en tête de cortège. En 1985, les militaires finiront par céder le pouvoir. Si le CS Corinthians n’a pas chassé à lui seul la junte, il a été novateur et a su inspirer et donner confiance à ceux qui rêvaient de changement. Aujourd’hui, la part de lutte inhérente au football est occupée par les femmes. Sur le terrain, le foot féminin inscrit des buts de plus en plus significatifs dans le match pour l’égalité. Le ballon rond n’est désormais plus réservé aux hommes. Gageons qu’elles sauront insuffler fraîcheur et combativité à un sport devenu obnubilé par l’argent.

Brahim Rajab

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