Cahiers Laure n°1

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laure 1 cahiers numéro

éDITIONS LES CAHIERS



cahiers

laure numĂŠro premier

ĂŠditions les cahiers



sommaire

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ouverture 13

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33 41 51 62 75

dossier : réception(s) de Laure

Anne ROChe — Présentation 132

Jean DURANçON — Comment écrire ?

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entretien

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Jérôme peignot — Comme on met un pied devant l’autre on écrit suivi de Laure est morte en beauté

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critique

152

Patrick TILLARD — L’authenticité de l’expérience Joaquim lemasson — L’expiration poétique Rebecca FERREBOEUF — Les mots de Laure Margot BRINK — Le motif du regard Aldo marroni — Laure et l’esthétique

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contexte 159

Alain MARC — Journal d’une lecture

Jacqueline chenieux-gendron — Leonora Carrington et Laure 113 Svetlana MINTCHEVA — Kathy Acker et Laure

Anne MONFORT — Laure

création littéraire 207

critique 97

Julia HOUNTOU — Action Laure ou La sororité artistique

théâtre 181

contexte 90

Jean frémon — La passion de Laure Anne villelaur — Portrait d’une inconnue Maurice nadeau — Des mots qui brûlent Hubert JUIN — écrits de Laure Jacqueline CHENIEUX-GENDRON — Laure suivi de Laure après « Laure » Alain POIRSON — Peut-il exister encore de « vraies jeunes filles » ? France nespo — L’éclatante et pudique force des Écrits de Laure

Frederika FENOLLABBATE — Le désir nu

musique 211

Jean-Marc FOUSSAT, Michèle MATTHIS — Laure – Extraits du silence

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appendices



u

n poème qui serait quelque

scandale qui a longtemps entouré l’œuvre a empêché qu’elle soit lue pour ce qu’elle est : une grande écriture. D’autre part, comme l’a justement souligné Jérôme Peignot, la figure de Laure est connue avant tout dans son rapport à Bataille : il y a là une perspective tronquée, qu’il ne s’agit pas de nier mais d’élargir. Dans ce numéro premier, la rubrique « Laure et moi » permet à chaque contributeur de dire comment il a découvert l’auteur du Sacré – et peut-être aussi de drainer préventivement les risques toujours possibles du narcissisme. Bien des choses tiennent à l’époque où on a lu ou lira Laure, et par quel intercesseur dit justement Jacqueline Chenieux-Gendron. La rencontre se fait le plus souvent par Bataille, mais aussi par Klossowski (Aldo Marroni) ou, plus surprenant, par la romancière américaine Kathy Acker (Svetlana Mintcheva), par les figures de femmes détraquées comme dans Nadja (Rebecca Ferreboeuf ) par les happenings de Gina Pane (Julia Hountou) ou parfois par l’intermédiaire d’un enseignant (Peter Bürger pour Margot Brink). Jean Durançon ouvre la série des témoignages et analyses en interrogeant « comment écrire ? » ce qui nous traverse. Et le nom

chose comme les derniers mots d’un mourant : ce propos que note Leiris dans son Journal, en janvier 1938, quelques mois avant la mort de Colette Peignot, définit assez bien l’intensité des écrits de celle qui avait choisi pour se dépeindre le prénom de Laure, émeraude médiévale alliant à son incandescence un peu chatte une suavité vaguement paroissiale de bâton d’angélique. L’œuvre de Laure, depuis les premières publications réservées à quelques amis, n’a cessé de fasciner. Mais son incandescence, sa vie tourmentée et trop brève, ont eu des effets contradictoires et pas toujours heureux : soit le lecteur s’abîme dans une lecture empathique, qui ne donne à lire que lui-même, soit, récusant toute critique, il la place hors littérature, façon encore de la faire taire. Le propos de ces Cahiers est précisément de tenter une nouvelle approche. Il en est temps. Les protagonistes (Laure, Bataille, Leiris, Souvarine…) sont morts, ce qui ne veut pas dire que leur histoire ne suscite pas de nouvelles passions. Dans les premières éditions, certains noms étaient remplacés par des initiales ou par des pseudonymes, certains faits étaient occultés. Mais surtout, l’aura de

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de Blanchot, qu’il inscrit à la fin de sa réflexion, vient rappeler que l’énigmatique héroïne de L’Arrêt de mort, jamais nommée, n’est autre que Laure. Jérôme Peignot, dont on sait le rapport privilégié qu’il a de longue date entretenu avec sa mère diagonale, rappelle certains faits de l’enfance et de la vie de Laure, ses révoltes contre son statut de bourgeoise. Il montre son refus de la littérature, mais, parallèlement, son engagement dans l’écriture, son exigence, et la probable ambivalence vis-à-vis de la publication : car les nombreuses versions de l’Histoire d’une petite fille suggèrent le souci d’un lecteur, malgré la censure intérieure d’origine familiale. Patrick Tillard range Laure parmi les écrivains négatifs comme Pessoa ou Robert Walser et son territoire du crayon, dans « L’authenticité de l’expérience ». Joaquim Lemasson, de son côté, oppose ce qu’il appelle l’expiration poétique à l’inspiration au sens traditionnel, car cette langue dit l’agonie de l’être. C’est en s’intéressant aux figures de femmes détraquées que Rebecca Ferreboeuf a rencontré Laure, ouvrant son analyse sur l’image des fous de Sainte Anne, leur aphasie comme symbole du rapport de

forces à l’ordre bourgeois. Elle insiste sur la critique du langage, des mots trop riches pour être si pauvres de son (en quoi Laure est proche du Leiris de « …Reusement ! ») et sur son refus du langage conservateur de la bourgeoisie comme de la propagande soviétique. Margot Brink, dans « Le motif du regard », souligne de façon originale la contradiction entre Laure et Acéphale (donc Bataille) : Prononcé par un « nous » collectif ou bien par un moi qui se sait associé à un tel collectif, ces textes sont formulés d’une façon extrêmement apodictique et plus loin : Bataille utilise sa propre désespérance (il décrit dans une lettre sa vie comme une « plaie ») comme argument contre la philosophie de Hegel. Laure, par contre, est cette plaie. Aldo Marroni, dans « Laure et l’esthétique », s’inspire d’une approche psychanalytique pour souligner l’importance des émotions chez Laure et leur lien avec la création. Alain Marc évoque de façon émouvante une rencontre peutêtre manquée mais qui ne fut qu’ajournée ; il met en question le rôle des premiers éditeurs (Bataille, Leiris) et avance certaines propositions, par exemple un classement

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par genres. L’intérêt de celles-ci est précisément d’interroger l’état actuel des publications, et de ne pas considérer les textes comme sacrés. Viennent ensuite deux parallèles avec d’autres femmes qui ont écrit. Jacqueline Chenieux-Gendron rapproche de Laure l’écrivaine anglaise Leonora Carrington : il n’y eut pas de rencontre historique, mais des convergences de vie, de sensibilité, de révolte contre le catholicisme qui a imprégné leur enfance, et chez toutes deux l’expression d’une pensée sociale, et le témoignage individuel – porté à son faîte de rage. L’auteure commente entre autres les recensions de Colette Peignot dans La Critique sociale : elle fait partie des rares critiques qui ne minorent pas l’activité politique de Colette Peignot, comme on le verra dans le dossier « Réception(s) de Laure ». Autre rapprochement, celui opéré par Svetlana Mintcheva avec Kathy Acker. L’auteure note, non sans humour : Les Écrits de Laure auraient immédiatement déplu à toute lectrice féministe des années 1970 car leur nature déchirée et masochiste n’offre pas un modèle d’émancipation féminine. Kathy Acker, prenant le plagiat comme méthode d’écriture, récrit l’Histoire d’une petite fille qui lui permet de

dire sa propre histoire, mais avec la distance procurée par les années d’analyses féministes de la relation entre femmes, langage et loi. Le dossier consacré à la réception des écrits de Laure comprend des articles parus dans la presse entre 1971 et 1979. On retiendra notamment l’article de Jacqueline ChenieuxGendron (1976), et surtout la relecture qu’elle en fait aujourd’hui, dans son « Laure après “Laure” ». Enfin, des expériences artistiques fondées sur une lecture, une appropriation des Écrits, comme l’étude de Julia Hountou sur Gina Pane, l’adaptation théâtrale par Anne Monfort, le texte de création de Frederika Fenollabbate, la mise en sons par Jean-Marc Foussat de textes lus par Michèle Matthis, témoignent, chacune à sa manière, de l’efficacité toujours vibrante de cette écriture. Et de belles photos inédites viennent encore nuancer et enrichir l’image de Laure. Dans l’une, elle est au piano, enfant sage aux nattes roulées en macaron. Dans une autre, cigarette au bec, elle est en train de remonter le mécanisme d’un antique boîtier de photographe, avec un regard de biais sur le spectateur, image à la fois de sa volonté de regarder le monde et de son désir, aussi, de communiquer. n anne roche



je ne suis jamais lĂ oĂš les autres croient me trouver et pouvoir me saisir



comment écrire ? jean durançon

crire. Écrire sur. Écrire avec. Écrire pour. Écrire en se souvenant. Écrire en oubliant. En sachant. Sans savoir. Bataille, Laure, Leiris, quelques autres, pas si nombreux, même très rares, obligent à se poser cette question : comment écrire ? Comment écrire lorsqu’on les aime, admire, lorsqu’ils ont formé une part de nous, ou le meilleur de nous, lorsqu’ils ont compté comme peuvent compter les écrivains, les vrais, ceux qui écrivent par nécessité. Par nécessité, mais aussi par goût. Au sens fort – le plus fort. Goût de dire. Goût de formuler. Goût de se voir, de se raconter. De faire face à soi-même. Tout en sachant que, sans doute, le moi n’existe pas. Ou, du moins, qu’il n’est que cette position d’équilibre, provisoire, toujours provisoire, mais sans laquelle tout simplement rien n’existerait. Car il n’est de vérité que dans l’écriture. Il n’est de vérité que

ouverture

dans le langage. Il n’y a pas de vérité dans la vie. Il n’y a que des actes, des comportements. Mais la littérature de Bataille, Laure, Leiris n’est en même temps, n’est pourtant, que ce rapport à la vie. Rapport le plus proche. Rapport le plus intime. Elle est dans cette confrontation. Qui, cependant, ne laisse jamais oublier que seule la littérature construit une image. Une image qui n’est pas, qui n’est jamais la vie. Une image, c’est ce qui s’écrit, se construit. Et à cela nul ne peut échapper. Peut-être, d’ailleurs, est-ce heureux. Peut-être ne le faut-il pas. Peut-être, précisément, tout l’intérêt de la littérature est-il dans cette construction – et dans la conscience de cette construction. Et si le mensonge, par là-même, la menace (Perse, Duras, tant d’autres), si la pose est comme son masque, ou sa caricature, elle doit cependant prendre en compte cette dimension.

é

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ouverture

la prétention. Sans la domination de l’autre, le savoir supérieur. Elle est au contraire recherche. C’est pour cela qu’elle trouve. Ou du moins peut trouver. C’est pour cela qu’elle touche. Ou du moins peut toucher. Et c’est pour cela qu’elle est irremplaçable. Mais ce qu’elle construit, c’est aussi du mythe. Pas le mythe de soi. Pas le mythe du mensonge. Plutôt le mythe de scènes primitives, ou bien de scènes finales. Bataille et son père. Aveugle. Laure et sa mort. Le théâtre autour de cette mort. Comme inévitable. Comme cristallisant les données (multiples) de tous et de chacun. Mais comme peu savent les formuler. Exactement là où l’anecdote crée (rejoint) le mythe. Là où l’anecdote (qui n’est pas anecdote : qui est la donnée fondamentale de la vie – formulée) devient indiscutable. Une vérité. Un bloc d’éternité. Alors, oui, à partir de là, comment écrire ? En faisant semblant, en ressemblant, en mimant ? Sans doute la pire des solutions (on en a vu plusieurs exemples, récents, et particulièrement par rapport à Bataille). Mais, à l’inverse, en se mettant à distance, en analysant, scrutant le texte, le signifiant, en faisant semblant d’une autre façon – en faisant semblant de ne pas

« Construction d’une image » – c’était le titre d’un livre de Franck Venaille. « Lettre à ce monde qui jamais ne répond », c’est le titre d’un livre de Cyril Huot. Commune à ces deux mondes, étanches, impénétrables, construisant leurs frontières ou bien les assumant, tout en attendant la reconnaissance de l’ouverture intérieure qui y est si présente, et qui appelle : la littérature. La littérature qui est toujours monologue. Solitaire. Qui écrit se retranche. Et qui lit est retranché. Les deux existent pourtant. Coexistent. Il peut donc toujours, entre eux, se passer quelque chose. Franck Venaille écrit à partir de lui – comme chacun. Cyril Huot écrit à partir de lui – comme chacun. Mais ils ont aussi leurs maîtres, amis, compagnons. De Saba à Pierre Jean Jouve, par exemple, pour Venaille. Constants. Présents dans la fidélité. Et Cyril Huot part (parle) très précisément de Katherine Mansfield. De beaucoup d’autres ensuite. Écrivains. Musiciens. Cinéastes. Bataille, Laure, Leiris, eux aussi, partent, parlent constamment d’œuvres. De ce qui les traverse. De ce qui les éblouit ou de ce qui les déchire. La littérature n’est pas la psychanalyse. Mais elle lui est comme parallèle. Sans

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être là, de ne pas être concerné, comme si ces textes n’étaient que des textes (ce qu’ils sont) sans enjeu (ce qu’ils ne sont certes pas) ? Alors, peut-être, très simplement (mais le simple est le plus difficile, disait Plotin), faire confiance à ce qui survient, à ce qui peut advenir, et quelle qu’en soit la forme (récit, essai, poème, roman, théâtre – peu importe), faire confiance à ce qui, à travers le temps, les siècles et à travers les personnes, toujours diverses, toujours multiples, se répète sans se répéter, se module, se précise, prend les formes et les accents de chacun. Relais amical ? Relais de l’amitié. Écrire donc ici le nom de Blanchot. n


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