Cahiers Leiris n°2

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CAHIERS LEIRIS DEUXIèME NUMÉRO

Édition établie par Jean-Sébastien Gallaire et Sébastien Côté

éditions les cahiers


Ouvrage publié avec le concours du Centre Régional du Livre de Franche-Comté, de la Région Franche-Comté, du Centre National du Livre, et de la Galerie Louise Leiris Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays © éditions Les Cahiers, 2009 www.editionslescahiers.fr


cahiers leiris DEUXIèME NUMÉRO 2009

FONDATEUR Jean-Sébastien GALLAIRE COMITÉ D’HONNEUR Aliette ARMEL Edward BURNS Ina CÉSAIRE Denis HOLLIER, New York University Philippe LEJEUNE, Université Paris-Nord, Villetaneuse COMITÉ DE PUBLICATION Sébastien CÔTÉ, Carleton University Jean-Sébastien GALLAIRE COMITÉ DE LECTURE Sébastien CÔTÉ Jean-Sébastien GALLAIRE Michel PEIFER, Professeur agrégé de Lettres Modernes Annie PIBAROT, IUFM de Montpellier Anne PRUNET, Université de Paris 8 Anne ROCHE, Université de Provence Aix-Marseille I COMITÉ CONSULTATIF Anca GATA, Université Durãnea de Jos, Galati Juliette FEYEL, Newnham College, University of Cambridge Seán HAND, University of Warwick Marie-Pascale HUGLO, Université de Montréal Kevin INSTON, University College London Ruth E. LARSON, Texas A & M University Julian VIGO, Université de Montréal Thomas WILKS, Chercheur indépendant


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about this issue ... The first issue of the Cahiers Leiris was published in November, 2007. This journal has been authorized by Mr Jean Jamin, who, as Michel Leiris’s executor, also owns his moral rights. Structure Articles in this second issue are grouped into eight categories: Testimony, Surrealism, Autobiography, Ethnology, Opera, Bullfighting, Art and Homage. Each is preceded by French and English abstracts as well as by “Leiris & moi”, a short passage in which an author tells of his or her first encounter with Leiris’s work. Reproductions of artwork are accompanied by short texts in which the artist shares his or her approach to the creative process. The appendices contain table of symbols, a list of abbreviations, a bibliography, as well as an index of works cited and an index nominum. Following these are acknowledgments, through which we thank the individuals without whom neither the composition, nor the publication of the Cahiers Leiris would have been possible. Citations and Notes Parenthetical citations (including page numbers) regarding Michel Leiris’s œuvre have been inserted into the body of articles. Titles, however, have been abbreviated: to identify to which work an abbreviation corresponds, please refer to the list of abbreviations found in the appendices. Specific editions of Michel Leiris’s cited works, consistent throughout the issue, are mentioned in the final bibliography. Footnotes, whether informative or referential, are numeric. In some cases, footnotes have been replaced by endnotes. Both use the following system of citation : author, title, and page number. Complete citations appear in the bibliography. Michel Leiris’s name will be abbreviated “M.L.”, except when mentioned in titles.


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NOTE SUR LA PRÉSENTE ÉDITION ... Le numéro premier des Cahiers Leiris a paru au mois de novembre 2007. La publication de la revue a été autorisée par Monsieur Jean Jamin, exécuteur testamentaire et propriétaire des droits moraux de Michel Leiris. Structure Ce numéro deux se divise en huit catégories : Témoignage, Surréalisme, Autobiographie, Ethnologie, Opéra, Tauromachie, Peinture et Hommage. Chacun des articles critiques est précédé d’un résumé et de sa traduction en langue anglaise, ainsi que d’un texte, « Leiris & moi », dans lequel le rédacteur confie les circonstances de sa première rencontre avec l’œuvre leirisienne. Les reproductions des iconographies sont précédées ou suivies d’un texte dans lequel l’artiste livre à la connaissance du lecteur sa démarche créatrice. En appendice sont donnés un tableau des symboles, une liste des abréviations, une bibliographie, un index des ouvrages cités et un index nominum. Suivent les remerciements, adressés aux personnes sans le concours desquelles la composition et l’édition des Cahiers Leiris n’auraient pu être entreprises. Notes et référencement Ont été insérées dans le corps de l’article, dans des parenthèses qui précèdent ou suivent directement la citation, les notes relatives au texte tiré des œuvres de Michel Leiris, accompagnées de leur référencement paginal. Les titres sont désignés par des abréviations : pour identifier leur correspondance, l’on voudra bien se reporter à la liste appropriée. L’édition des œuvres de Michel Leiris citées, identique pour l’ensemble du corpus, est celle mentionnée dans la bibliographie finale. Les notes, informatives ou référentielles, sont appelées par des chiffres et mentionnées en bas de page ou en fin d’article, pour les plus longues. Pour le second ordre de celles-ci, ne sont mentionnés que l’auteur, le titre et le référencement paginal de l’ouvrage cité : les références complètes de ce dernier sont livrées dans la bibliographie. Michel Leiris y est désigné par les initiales « M.L. », à l’exception de sa mention dans les titres.


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PRÉFACE 11 : Werner Lambersy, « Pour Michel Leiris »

TÉMOIGNAGE 13-19 : Liliane Meffre, « Michel Leiris et Carl Einstein »

SURRÉALISME 21-36 :

Tania Collani, « Le merveilleux surréaliste de Michel Leiris et la conciliation avec la modernité » ILLUSTRATION : François Lévêque, « Série des relectures : Michel Leiris »

36-37 39-64 : Sylvie Boyer, « Michel Leiris, enfant de remplacement : Deuil, crypte et fantôme dans Aurora »

AUTOBIOGRAPHIE 67-88

Marianne Berissi, « Littérature sans mémoire. Lectures d’enfance de Michel Leiris »

91-108 : Maricela Strungariu, « L’autobiographie leirisienne – Une écriture de soi au miroir de l’autre »

ILLUSTRATION : Gabriel Fabre, « Quatre directions» 110-111

113-128 : Jovita Maria Gerheim Noronha, « Autobiographie et poésie : Murilo Mendes lit Michel Leiris »

ETHNOLOGIE 131-144 : Sally Price, « Michel Leiris, l’ethnologie française, et les Antilles » 147-177 : Thangam Ravindranathan, « Le regard en miroir : L’Afrique fantôme et L’Inde fantôme »

ILLUSTRATION : MC 1984, « J’habitais autrefois » 178-179


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sommaire 181-192 : Jean-Gérard Lapacherie, « Leiris et l’ethnocentrisme » ILLUSTRATION : Gilles de Staal, « La Passe Hommage à Michel Leiris » 193-195

OPÉRA 197-243 : Timothée Picard, « Retrouver le sacré rutilant et le ton juste de l’enfance perdue : le modèle opératique dans l’œuvre de Michel Leiris »

TAUROMACHIE 245-261 : Sylvain Santi, « Méthode de la tauromachie »

PEINTURE 263-276 :

Annie Pibarot, « Michel Leiris et Francis Bacon, un heureux

égarement »

ILLUSTRATION : Paul Sanda, « Vaste seuil de couronnes frôlant le total nu Hommage à Michel Leiris », suivi de « Première nuit à la Barbacane » 277-

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HOMMAGE 283-318 : Jacques Bioulès, « Fil conducteur » suivi de Qui êtes-vous Michel Leiris ?

Appendices 323 : Table des symboles 324 : Table des abréviations 325-340 : Bibliographie 341-349 : Index des ouvrages cités 350-359 : Index nominum


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tout se résume peut-être en un bout d’étoffe rouge cloué sur un mur blanchi à la chaux : haillon de sang brûlant contre la prison des os.



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préface

Pour Michel Leiris Werner Lambersy

Mon âme est une racine profonde Mais les racines profondes ne connaissent pas le vent Mon âme n’est pas une racine profonde Le vent est peut-être mon âme mais comment le vent prendrait-il racine Mon âme n’est pas le vent Peut-être n’y a-t-il pas de place pour l’âme Voyant ses mains fripées par l’eau du bain L’enfant dit : regarde j’ai la peau de l’eau À contempler l’univers où l’on vit peut-être attrape-t-on la peau de l’âme



Michel Leiris et Carl Einstein Liliane Meffre



RÉSUMÉ « Michel Leiris et Carl Einstein » Cet article évoque la spécificité de ma rencontre avec Michel Leiris dans le cadre de mes recherches sur Carl Einstein dès le début des années 1970. J’ai abordé Michel Leiris par ses travaux d’ethnologue et sa participation à la revue Documents que C. Einstein avait cofondée avec Georges Bataille et qui fut le lieu d’une écriture nouvelle sur l’art contemporain. Einstein, auteur de la première analyse formelle de l’art africain dans Negerplastik (1915), porta sur l’art de son temps — celui de Masson, Arp, Miró, Klee — le « regard de l’ethnologue », selon la formule de Leiris, et fit mieux connaître l’ethnologie allemande. Tous deux furent parmi les premiers membres élus de la Société des Africanistes et gardèrent au-delà de « l’aventure de Documents » des liens forts d’amitié et d’estime dans le cercle de Daniel-Henry Kahnweiler.

SUMMARY “Michel Leiris and Carl Einstein” This article recalls the specificity of the interviews I conducted with Michel Leiris within the rubric of my studies on Carl Einstein that began in the early 1970s. I approached Michel Leiris through his ethnological works and his participation in Documents, a review cofounded by Einstein and Georges Bataille, which would become a venue for new approaches to contemporary art. Einstein, who wrote the first formal analysis on African art in Negerplastik (1915), considered the artists of his day — Masson, Arp, Miró, Klee — through, according to Leiris, an “ethnologist’s point of view” that brought forth a better knowledge of German ethnology. Both Einstein and Leiris became the first elected members of the Africanists’ Society. Working beyond the scope of Documents project, they maintained strong alliances with the DanielHenry Kahnweiler circle.


De l’art nègre, Carl Einstein, sans connaître les développements ultérieurs de l’ethnologie, avait intuitivement saisi le caractère principal, en notant qu’« il proscrit l’abstention », qu’il exige non seulement d’être accueilli par la sensibilité religieuse mais d’être saisi par le mouvement d’une véritable activité intellectuelle et spirituelle.

Jean Laude, La Peinture française et l’art nègre


Michel Leiris et Carl Einstein

témoignage

/ l’article

Au début de mes recherches sur Carl Einstein, dans les années 1970, j’eus la chance d’être reçue à Paris par ses derniers contemporains et amis, parmi lesquels Daniel-Henry Kahnweiler, Louise et Michel Leiris, Maria Jolas, Clara Malraux… Ma première rencontre avec Michel Leiris eut lieu dans son bureau au Musée de l’Homme et la conversation s’attacha essentiellement à Negerplastik (1915), cet essai de Carl Einstein aussi bref que magistral sur la « sculpture nègre ». Il s’agit de la première analyse formelle de l’art africain, que Jean Laude venait de me demander de traduire1 en français pour son centre de recherches de Paris I-Sorbonne et que, bien sûr, Leiris cite et commente à plusieurs reprises dans ses propres écrits sur l’Afrique. Puis Michel Leiris me reçut chez lui, Quai des Grands-Augustins, et me parla alors des années de Documents, de ses rapports avec Carl Einstein, m’apportant maintes informations inédites et utiles. Il me rendit aussi possible l’approche d’autres contemporains de Carl Einstein, par exemple celle de Georges Henri Rivière et de Gaston-Louis Roux. Nous nous croisâmes ensuite souvent à la Galerie Louise Leiris où je préparais mes contributions au catalogue Daniel-Henry Kahnweiler marchand, éditeur, écrivain (1984), puis, plus tard, l’édition de l’ensemble de la correspondance2 entre Einstein et Kahnweiler que Louise Leiris m’avait généreusement autorisée à réaliser — autorisation que Michel Leiris confirma après le décès de son épouse — et qui sortit en 1993. D’une exquise politesse, très intéressé par l’avancement de mes propres travaux, attentif et distancé, il m’a laissé le souvenir impressionnant d’une icône des avant-gardes, bienveillante et vigilante. J’ai rapporté dans l’introduction à mon édition des textes de Carl Einstein pour Documents3 les souvenirs de Michel Leiris concernant le rôle de C. Einstein au sein de la revue. Si Einstein et Kahnweiler étaient de la même génération, de la même origine judéo-allemande, liés par une amitié déjà ancienne et à toute épreuve, il n’en était pas de même pour Michel Leiris, bien plus jeune, marqué par le surréalisme et beaucoup plus proche de Georges Bataille. Comme le soulignait Leiris, Einstein était resté étranger au surréalisme et à ses querelles intestines, mais il apportait à l’équipe de Documents la riche expérience acquise en Allemagne, d’abord dans le cercle de Die Aktion — la revue expressionniste de son beau-frère Franz Pfemfert — puis dans celui de revues éditées par ses soins, notamment Der Blutige Ernst, en collaboration 1 Cf. La Sculpture nègre. 2 Correspondance C.Einstein -D.-H. Kahnweiler 1921-1939. 3 éthnographie de l’art moderne.


avec Georg Grosz en 1919, et Europa (ce remarquable manifeste des avant-gardes européennes publié en 1925 avec Paul Westheim), sans parler de ses multiples contributions à d’autres revues. Einstein apporta également avec sa réputation internationale de théoricien de l’art moderne, et en particulier de « découvreur » de l’art africain, une ouverture vers l’ethnologie allemande représentée par de grands noms comme Leo Frobenius, Eckart von Sydow, qui acceptèrent d’écrire dans Documents, étayant la problématique des rapports entre histoire de l’art et ethnologie telle que Carl Einstein l’avait initiée, en particulier dans Afrikanische Plastik4. Âme germanique de la revue, il contribua fortement à en forger l’exceptionnelle identité. Leiris et lui écrivaient souvent sur des sujets semblables, mais leur conception du primitivisme différait, de même que leur regard sur l’art. Einstein avait ouvert la voie, Leiris venait l’enrichir avec les acquis récents de la jeune ethnologie française et son propre talent. Si Carl Einstein porta le premier l’« œil de l’ethnographe », selon la célèbre formule de Michel Leiris, sur l’art qui leur était contemporain — celui de Masson, de Miró, de Arp entre autres — révélant une autre façon de regarder, de voir l’art et d’en écrire son « histoire » — comme on peut le constater dans ses textes sur la vision et dans tous ses articles de Documents — il resta cependant dans le domaine de l’art et de l’esthétique, ne faisant pas comme Leiris carrière d’ethnologue, n’allant jamais sur le « terrain » en Afrique. Toutefois, ils se sont retrouvés tous deux parmi les premiers membres élus de la Société des Africanistes à Paris, Einstein le 12 novembre 1930, Leiris le 10 décembre, rejoignant trois autres collaborateurs de Documents : Paul Rivet et Marcel Griaule, membres fondateurs, ainsi que Georges Henri Rivière, élu le même jour que Einstein. La persistance de la démarche novatrice de Carl Einstein, abolissant les barrières entre tous les domaines du savoir, se confirme dans l’annonce au journaliste du Chicago Sunday Tribune (édition du 17 janvier 1931) venu l’interviewer à Paris, d’un projet d’étude de l’homme blanc selon les mêmes méthodes scientifiques que celles utilisées pour l’homme noir, intitulé « L’ethnologie du Blanc ». Cela ne se concrétisa pas : seuls des fragments attestent l’ampleur et l’originalité du travail. Il faudrait un jour creuser davantage ce qui unit et différencia, de façon créatrice

4 1921 (1922, pour la traduction française).


Michel Leiris et Carl Einstein

et inventive, ces deux hommes séparés par l’âge et la culture d’origine, mais que des passions communes (l’écriture, l’art, la modernité, le primitivisme, l’Afrique…) mirent au premier plan intellectuel d’une époque riche en découvertes de toutes sortes. Personnalités dotées d’une même curiosité intellectuelle pour des domaines multiples, des pratiques d’avant-garde déconcertantes pour leurs contemporains mais permettant des approches nouvelles. Michel Leiris, à la différence de Georges Bataille, ne sortit pas de l’univers de Carl Einstein avec la disparition de Documents. Les deux hommes gardèrent estime et souvenir réciproques. Einstein dans ses rares lettres d’Espagne à Kahnweiler (été 1938) demande des nouvelles de Louise et Michel Leiris ainsi que du « milieu » parisien. Les Leiris aideront Lyda Guevrekian, l’épouse de Carl Einstein, à quitter le camp de réfugiés de Juillac (Corrèze) pour regagner Paris en février 1939. Ils hébergeront d’ailleurs un temps les Einstein. En novembre 1968, Kahnweiler a fait placer une plaque sur la tombe, restée longtemps anonyme, de Carl Einstein5 au cimetière de Boeil-Bézing (Pyrénées orientales). Le texte est le fruit de sa collaboration avec Michel Leiris (lettre du 14 novembre 1968 de Kahnweiler à la fille de C. Einstein).

5 Pour plus de détails cf. Meffre : Carl Einstein(1885-1940). Itinéraires d’une pensée moderne.


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