10 minute read

CULTURE CAFÉ SUR LA ROUTE

Next Article
PARTY TIME SAMBA

PARTY TIME SAMBA

ENTREPRISE FAMILIALE «Chico», gérant de la fazenda Sertão, au milieu des caféiers plantés par ses ancêtres.

FAR WEST Les terres de la ferme sont réservées à la culture du café et à l’élevage des bovins.

«VOILÀ NOTRE DOMAINE DE LA FAZENDA SERTÃO, SOIT 250 HECTARES DE PLANTATIONS DE CAFÉ. Et sur ce versant, les caféiers Bourbon que vous voyez ont été plantés il y a plus de cent ans!» Une volée de perruches s’égaie au-dessus des champs striés d’arbustes vert sombre. Les collines dodues semblent rebondir sans fin jusqu’à l’horizon. Le ciel fiévreux annonce une averse. Francisco Isidro Dias Pereira scrute un instant les nuages charbonneux, fait une moue et reprend : « Mon grand-père José Isidro fut un des premiers colons du Minas Gerais à se lancer dans le café, en 1910. Il avait compris combien le terroir était propice à sa culture, avec des sols riches en minéraux, une altitude de plus de 1 150 mètres et un climat moins chaud que sur le littoral.» Francisco – surnommé Chico – a passé toute sa vie dans cette fazenda Sertão, où il est né en 1950. Il a joué dans les plantations qui louvoient dans les morros (« collines ») avant d’y travailler, puis de devenir l’administrateur de cette entreprise familiale développée depuis quatre générations. « Mes grands-parents étaient déjà attachés à obtenir des récoltes de qualité, ajoute le sexagénaire aux allures de cow-boy, avec son blue-jean délavé, son chapeau usé et sa moustache fournie. Ils ont planté du Bourbon jaune (une variété d’Arabica, ndlr), qui est selon moi le meilleur café et qui représente aujourd’hui 45 % de notre production. Et ils ont tenu à conserver des espaces boisés afin de maintenir un peu de biodiversité dans le domaine. Nous perpétuons la tradition en pratiquant, par exemple, la jachère une année sur deux, ce qui nous assure une bonne productivité avec un minimum d’intrants. »

MEILLEUR CAFÉ DU MONDE

Les grands espaces silencieux de la fazenda Sertão contrastent avec l’effervescence de Rio de Janeiro, distante de 350 kilomètres. Il faut compter une bonne journée de route pour arriver au village de Carmo de Minas – longer des

PERLES RARES Le Bourbon jaune cultivé sur ces terres du Minas Gerais bénéficie d’un climat et de sols propices.

cours d’eau impétueux, traverser des villages mornes, franchir un col de montagne – puis serpenter encore quelques kilomètres dans la campagne pour trouver l’entrée discrète de cette prestigieuse fazenda. Les «Nous n’avons pas d’autre choix que de produire aujourd’hui les bénéfices de ce parti pris, puisqu’elle peut s’enorgueillir de produire l’un des cafés d’exception parcelles par des de caféiers y sont bordées haies de bananiers ou de un café de qualité.» du Brésil. « En 2005, Chico le prix ajoute Cup of fièrement : Excellence cèdres, et ponctuent des bosquets le panorama. d’eucalyptus « Le paysage Francisco Isidro Dias Pereira nous note a même décer jamais attribuée né au la meilleure monde. » est si vallonné que nous ne pouvons On a soudain très envie de effectuer nos récoltes mécaniquement, précise Chico. Tout goûter ce précieux nectar. Chico nous fait remonter sur la se fait manuellement. Ainsi, pendant la période de cueillette, plate-forme arrière de son vieux pick-up et nous conduit la propriété emploie jusqu’à 600 personnes ! Et comme la dans les sentiers boueux de la plantation jusqu’à la maison main-d’œuvre est onéreuse, nous n’avons pas d’autre choix familiale. Il apporte une cafetière en métal émaillé et sert que de produire un café de qualité, 100 % Arabica, vendu son trésor noir à l’attaque fleurie, au retour doux et équiliplus cher que le Robusta des plaines. » La famille Pereira tire bré, à l’amertume légère. Dehors, l’orage finit par éclater. Bien abrité par la demeure rustique et boisée, Chico en profite pour retracer l’histoire du café brésilien. C’est au début du XIXe siècle que les plantations prennent leur essor. •••

FAZENDA SERTAO CARMO DE MINAS

BRASIL

RIO FAZENDA PONTE ALTA BARRA DO PIRAÍ

RIO DE JANEIRO

DE LA CERISE À LA TASSE À Carmo de Minas, la fazenda Sertão suit les étapes de transformation de ses cafés.

À partir de 1831, le Brésil devient le premier exportateur mondial, le nombre d’exploitations progresse et le pays connaît deux décennies «Le café est entré brésilien dans ment dans les terres, dans le Minas d’expansion économique, dans années 1850 et 1860, du fait les de une nouvelle ère.» Gerais mai São Paulo s aussi dans la régio ou dans le Paraná, n de plus l’arrivée massive des esclaves africains. La production ralentit dans les Luiz Paulo Dias Pereira Filho au de sud. » C’est une nouvelle époque prospérité pour les grands barons années 1880, avec les lois d’abolition du café, qui défrichent une nature de la traite négrière, mais aussi en raison d’une succession encore vierge pour y cultiver d’excellents cafés exportés pard’hivers rigoureux fatals pour les plants et sans doute éga- tout dans le monde. Mais tout change en 1952, quand l’Inslement de l’épuisement des sols trop souvent cultivés avec tituto Brasileiro do Café (IBC) impose des prix bas pour tous des objectifs de rentabilité à court terme. « Mon grand-père les producteurs et édicte une réglementation privilégiant les s’est lancé dans le café au moment de la deuxième grande quantités produites et non plus la qualité. « Pendant quarante période du café brésilien, qui commence dans les années ans, jusqu’à la fermeture de l’IBC en 1989, le Brésil a pâti 1910 et s’achève au début des années 1950, continue Chico. de cette politique. Ensuite, nous avons beaucoup travaillé Ces nouveaux exploitants se sont avancés plus profondé- pour rattraper cette réputation. Nous nous sommes inspirés de la culture du vin pour créer des appellations d’origine et des millésimes. Je vais vous conduire chez mon neveu Luiz, il vous parlera très bien de la période actuelle. »

NUMÉRO UN Hélcio Pereira da Silva Júnior rappelle que le Brésil est le premier producteur de café au monde.

NOUVELLE ÈRE

La pluie tropicale a cessé, le soleil fait déjà évaporer les flaques. Nous quittons la fazenda pour rejoindre le village de Carmo de Minas. Le laboratoire de la marque Carmo Coffees (la branche exportatrice de Sertão Coffees) se trouve en haut d’une rue pavée, près de l’église. « Le café brésilien est entré dans une nouvelle ère, avec une attention plus grande portée à la qualité, explique Luiz Paulo Dias Pereira Filho, dans son bureau encombré de caisses métalliques. En plus de notre travail sur le goût de nos cafés, nous répondons mieux aux questions de responsabilité sociale et environnementale de notre entreprise, et nous améliorons la traçabilité de nos grains. Grâce à ces efforts, nous exportons dans 35 pays et sommes aujourd’hui partenaires de clients prestigieux, comme Nespresso.» La société Sertão fait effectivement partie des fournisseurs de Bourbons jaunes, notamment pour le Grand Cru Dulsão do Brasil. Preuve que la qualité des grains et la gestion de l’exploitation correspondent aux normes de la marque suisse et de son Programme AAA (voir encadré page suivante).

Une entêtante odeur de café se répand dans le bureau : c’est l’heure où les sacs sont sélectionnés en fonction des goûts des clients. En descendant le petit escalier qui mène au laboratoire, où nous verrons les employés torréfier quelques grains puis tremper leurs lèvres dans plusieurs tasses avant de donner une note à chacune, Luiz se montre confiant dans l’avenir. « Les “cafés gourmets” sont en progression au Brésil, mais ils ne représentent encore que 2 millions de sacs sur les 50 millions produits chaque année sur le territoire. Il existe un énorme potentiel de développement pour ces cafés de haute qualité. »

C’est également l’avis de son cousin Hélcio Pereira da Silva Júnior (photo), directeur commercial de la coopérative Unique Cafés (la branche de Sertão Coffees qui torréfie et distribue le café de la fazenda sur le territoire national). «De même que les producteurs augmentent leur degré d’exigence, •••

PLANTATION TRADITIONNELLE La fazenda Ponte Alta plonge les visiteurs dans l’époque du XIXe siècle.

PROGRAMME NESPRESSO AAA : POSITIF À TOUS NIVEAUX

Pour garantir la production d’un café de qualité ainsi qu’un impact environnemental et social positif en faveur des cultivateurs, les fazendas sélectionnées par Nespresso participent à son Programme AAA Sustainable Quality™ dans le respect de ses bonnes pratiques. Mis en place à partir de 2005 dans l’État du Minas Gerais, ce programme invite les caféiculteurs à opérer une sélection plus rigoureuse de leurs grains de café, en éliminant les cerises vertes, pas suffisamment matures, et en dynamisant les techniques de séchage au soleil, dans le but de préserver la haute qualité de leurs cafés. Les conditions de travail des employés sont meilleures (salaires, horaires, logements) et les questions environnementales sont suivies avec attention. Les écosystèmes et la biodiversité sont préservés afin de garantir les ressources en eau des environs et de prévenir l’érosion des sols.

les consommateurs veulent boire de meilleurs cafés. Nous les accompagnons donc dans leurs dégustations en proposant des boutiques accueillantes où ils pourront venir s’initier à de nouveaux goûts et se documenter sur ce produit, si essentiel dans l’histoire de notre pays.»

VISITES PÉDAGOGIQUES

À 200 kilomètres, sur la route du retour vers Rio, dans la vallée du fleuve Paraíba, Roberto Freitas s’est reconverti en pédagogue pour raconter la place majeure qu’occupe le café dans l’essor du Brésil, et le rôle primordial qu’ont joué les esclaves noirs dans cette construction. Ancien comptable, il s’est passionné pour l’époque des premières fazendas, au point de se glisser dans la peau d’un grand propriétaire du XIXe siècle. Dans son costume de baron du café, il effectue quotidiennement des reconstitutions historiques auprès des élèves des environs ou des touristes qui font halte dans la fazenda

LEÇON D’HISTOIRE Le «baron» Freitas rappelle le rôle qu’ont joué les esclaves dans la construction du Brésil.

Ponte Alta, sur la commune de Barra do Piraí. « Nous sommes sur les terres de la première grande période du café. Les visites pédagogiques que j’organise montrent qui a vraiment construit ce pays, et dans quelles conditions», «Nous sommes sur les terres de la première grande c’est-à-dire les cellules où étaient entassés les esclaves. La plantation en a exploité jusqu’à 800 quand l’économie dit ce visiter féru d’histoi l’exploitation re en nous faisant construite en 1830 période du café.» du café battait son plein. le dernier pays chrétien Le Brésil à abolir a été cette sur site un est domaine de 1 800 hectares. Le grandiose, avec ses collines vert Roberto Freitas pratique, en Ce matin, 1888. » une classe des environs tendre, ses troupeaux menés par des assiste à la représentation du «baron » cow-boys à cheval et ses bâtiments d’époque bordés de pal- Freitas. Les collégiens retiennent leur souffle pendant la mise miers impériaux. Dans sa partie auberge (pousada), la fazenda en scène du quotidien enduré par les travailleurs – la couleur de abrite quatre grandes chambres et une bonne table pour les peau de ces adolescents laisse penser qu’ils sont, pour la pluvisiteurs désireux de découvrir les routes historiques du café part, des descendants d’esclaves. Mais, sitôt la représentation brésilien. « Ponte Alta est la seule fazenda à avoir conservé terminée, les élèves se dispersent joyeusement sur la pelouse l’intégralité de ses bâtiments, avec notamment les senzalas, et improvisent une partie de foot. À l’ombre du porche, Roberto Freitas écoute leurs réactions et leurs rires. «Ce pan de l’histoire est peu enseigné à l’école. Cent trente ans après l’abolition, je pense qu’il est temps d’en parler. » n

This article is from: