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CHEF À SUIVRE

TALENT AUTODIDACTE La chef a forgé seule son savoir culinaire.

TENUE FÉTICHE La tennis en toile orange.

LE CŒUR DE PALMIER EST TAILLÉ SI FINEMENT QUE, SOUS LES LAMELLES TRANSLUCIDES, on devine la chair rose pâle de crevettes marinées. Une « neige » d’œuf mimosa ajoute une teinte pastel au tableau. Seuls les herbes fraîches et les pétales de fleurs électrisent l’assiette servie sur la table de bois brut. Au menu également ce soir-là, une purée crémeuse de maïs accompagnée d’œufs de saumon, un pavé de vivaneau – poisson à peau rouge et à chair blanche – parsemé d’herbes grillées au parfum de feu de bois. Le confit de canard aux oignons, aussi canaille que savoureux, signe la fin de la séquence salée. Le repas se clôt en douceurs avec une recette de bomboloni (beignets italiens) fourrés au dulce de leche et posés sur une crème anglaise. Avec les mignardises, au choix, un Grand Cru Nespresso préparé en espresso, ou un cafezinho traditionnel servi dans une cafetière à long bec. Si, dans le restaurant de Roberta Sudbrack dq, une carte permet aujourd’hui à chacun de faire son choix, il est recommandé de se laisser porter par le menu « carte blanche » composé par le chef. « J’ai été la première au Brésil à proposer ce type de menu renouvelé chaque jour. Il y a dix ans, à l’ouverture, il fallait être fou pour imposer aux clients leur repas ! Pourtant, c’est la nature, le pêcheur et la marée qui dictent le menu, pas moi ! » explique la chef.

COUP DE POUCE DU DESTIN

La petite maison rouge, nichée derrière un joli portail en fer forgé dans le quartier calme du Jardin Botanique, près de Lagoa, est le passage obligé des gastronomes à Rio. Pourtant, rien ne prédestinait Roberta Sudbrack à incarner cette cuisine qu’elle qualifie de « moderne brésilienne ». Sa réussite et la reconnaissance internationale – elle collectionne les trophées (Latin America’s Best Female Chef 2015, une étoile au Guide Michelin 2015, ndlr) –, elle les doit à un travail acharné, mais aussi à un parcours hors du commun. « Je viens de Porto Alegre, au sud du Brésil. À 20 ans, je suis partie aux États-Unis, où est née mon envie de cuisiner. J’avais pour seul bagage le souvenir des œufs frits de ma grand-mère. J’ai tout appris dans les livres et mon premier cobaye fut… mon chien ! » précise cette autodidacte qui a fêté ses vingt ans de carrière en décembre 2015. Mais l’envie et le talent ne suffisent pas toujours pour faire partie des grands. Un coup de pouce du destin a permis à Roberta de réaliser son rêve. « J’ai commencé par préparer des dîners privés à Brasília, la capitale. Un soir, lors de mon deuxième repas en tant que chef, j’ai eu la chance de servir le président du Brésil de l’époque, Fernando Henrique Cardoso. La Première dame m’a proposé de poursuivre l’expérience et je suis allée diriger les cuisines du palais Alvorada (la résidence officielle du président de la République brésilienne, ndlr). Pendant sept ans, j’ai eu l’honneur de servir des personnalités telles que le roi Juan Carlos et la reine Sofia d’Espagne, la reine d’Angleterre, le prince Charles, le Premier ministre Tony Blair,

«Je préfère les chemins de traverse aux voies plus évidentes.»

AU NATUREL Citrouille crue préparée en tartare et ses graines torréfiées, raisins secs, gingembre et persil.

ROBERTA EN VERSION STREET FOOD

En plus de son restaurant gastronomique, Roberta Sudbrack a récemment ouvert Da Roberta dj, dédié à la street-food, et SudTruck, un food-truck itinérant à Rio. Des temples du hot dog, du burger et du sandwich au pastrami ! Vous pouvez suivre l’actualité débordante de Roberta sur son fil Instagram (@robertasudbrack), où elle se montre particulièrement active.

Fidel Castro ainsi que tous les présidents d’Amérique latine, mais aussi Bill Clinton ou le chef d’État français Jacques Chirac… » Des débuts exceptionnels pour la jeune femme qui n’a jamais pris un cours de cuisine et n’avait jamais mis les pieds dans une brigade avant de diriger celle de la présidence – composée exclusivement de militaires aux fourneaux ! « À la fin du mandat de Fernando Henrique Cardoso, j’ai renoué avec mon rêve initial, celui d’ouvrir un restaurant », raconte celle qui a fait de la paire de baskets en toile blanche ou orange une signature de son style.

ÉLOGE DU POTAGER LOCAL

« J’avais trois propositions professionnelles à São Paulo, et aucune à Rio. J’ai choisi le challenge le plus difficile en m’installant ici, dans une ville qui ne possédait pas une grande scène gastronomique, contrairement à la capitale pauliste. Je préfère toujours les chemins de traverse aux voies plus évidentes », ajoute-t-elle avec malice. Son créneau reste inchangé : promouvoir la qualité et la diversité du terroir brésilien. Parmi ses ingrédients fétiches, on trouve les plus basiques du potager local : le gombo, dont elle extrait les graines pour en faire un caviar végétal, ou la citrouille, qu’elle prépare crue en tartare. Une aventure qui ne fait que commencer selon Roberta : « Nous sommes encore des bébés ! Nous possédons des ingrédients extraordinaires, mais nous ne savons pas comment les exploiter. Avec d’autres chefs, nous entreprenons un travail de fond, durable. Le chemin est long, mais passionnant ! » se réjouit-elle, en préparant une dernière recette. La sopa de pão doce do meu avô (« soupe de pain sucrée de mon grand-père ») reflète son interprétation de la culture populaire et son désir de la tirer vers les sommets. « J’ai toujours vu mon grand-père, le soir venu, se préparer un café au lait dans une grande tasse. Il y plongeait le pain du matin, qu’il savourait avant d’aller se coucher. » Dans la version de Roberta, l’assiette creuse a remplacé la tasse, et une brioche imbibée de café et de cachaça (rhum brésilien) trempe dans une crème anglaise, parsemée de tuiles croustillantes au lait déshydraté. Les gouttes de café – brésilien, bien sûr ! – dessinent comme des branches de corail sur la surface. Si Rio est la Cité des merveilles, Roberta est sans conteste l’une d’entre elles. n

OÙ CROISER ROBERTA À RIO?

FASANO AL MARE ds «Ce restaurant italien est dirigé par l’un des meilleurs chefs de Rio.» OLYMPE dd «Le restaurant idéal pour célébrer une occasion spéciale.» JOBI df «Situé dans mon quartier, c’est le bar où je me rends quotidiennement.»

BAR DO MOMO dg «Un lieu très sympa où la nourriture est simple et d’un excellent rapport qualité-prix.» GEPETTO dh «C’est là que l’on déguste les meilleures frites de Rio !» > Retrouvez toutes les adresses sur notre plan en fin de magazine.

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