"ARLES, LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE, UNE HISTOIRE FRANÇAISE" FRANÇOISE DENOYELLE (extraits)

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ARLES LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE UNE HISTOIRE FRANÇAISE

FRANÇOISE DENOYELLE



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Arles, berceau des Rencontres de la photographie


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Arles, les Rencontres de la photographie

Cinquante ans de Rencontres d’Arles


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Les dĂŠfricheurs (1970-1976)




ARLES LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE UNE HISTOIRE FRANÇAISE FRANÇOISE DENOYELLE


FRANÇOISE DENOYELLE

Historienne de la photographie et professeur des universités, elle a notamment enseigné à l’École nationale supérieure Louis-Lumière. Elle est chercheur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a réalisé le commissariat d’une cinquantaine d’expositions et signé de nombreux ouvrages sur François Kollar, Germaine Krull, Boris Lipnitzky, Willy Ronis…


PHOTOGRAPHIES DE BERNARD PLOSSU p.  3  Camargue, 2000  p.  4 Route de Beauduc, 1989  p.  6 Arles, 2004  p.  14 Arles, 1989  p. 35 Arles, 2005  p. 93 Arles, 2004  p. 114 Arles, 2014  p. 125 Les Alyscamps, 2007  p. 216 Montmajour, 2005  p. 255 Arles, 1989  p. 256 Arles, 1987  p. 257 Arles, 2014  p. 258 Arles, 1989 © Bernard Plossu / Signatures

Arles, les Rencontres de la photographie

Une histoire française


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UNE HISTOIRE FRANÇAISE

Regard sur la photographie en France et dans le monde Des précurseurs : cercles d’influence et festivals

Les cercles d’influence Le club des 30 x 40 Le groupe Libre expression et le Cercle des XII Les Compagnons de Lure Gens d’images Interphotothèque Une France des festivals

Les Rencontres de la photographie à la croisée des politiques publiques

Une absence remarquable et remarquée (1945-1974) Michel Guy, vers la prise en compte de la photographie (1974-1976) Les années Jack Lang (1981-1986,1988-1992) L’École nationale de la photographie Les Rencontres, lieu d’annonces ministérielles (1993-2018)

Arles, berceau des Rencontres de la photographie

Lucien Clergue et Jean-Maurice Rouquette : naissance d’une collection

Lucien Clergue, Jean-Maurice Rouquette et Michel Tournier : naissance d’un festival De l’hôtel de ville au pavillon en bambou, un festival arlésien Une direction administrative arlésienne Un accueil arlésien La touche camarguaise Arles, sujet du festival

Regard sur le festival

Exposer au festival, constituer une collection Les workshops de Lucien Clergue Une pédagogie de l’image Les prix décernés pendant les Rencontres (1971-2018)

CINQUANTE ANS DE RENCONTRES D’ARLES

118 Les défricheurs (1970-1976)

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Entretien avec Jean-Maurice Rouquette : Souvenirs de 1970

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Entretien avec Christian Caujolle : Libération plante son drapeau à la chapelle du Méjan, 1984

128 Des précurseurs au Cénacle (1977-1985)

144 Pluralité des points de vue et internationalisation (1986-2001)

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Entretien avec Jane Evelyn Atwood : Prix Oskar Barnack 1997

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Entretien avec Clément Chéroux : Exposition « From Here On » (2011)

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Entretien avec Sam Stourdzé : Rayonner depuis Arles (2015-2019)

170 Un nouveau souffle : vers la mondialisation (2002-2014)

196 Les Rencontres, fer de lance du nouveau pôle culturel arlésien dans le paysage français et international (2015-2019)

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ANNEXES

Les photographes et artistes présents aux Rencontres d’Arles (1970-2018) Participants au festival (1970-2018) Prix du festival et prix remis pendant le festival (1971-2018) Directeurs artistiques et administratifs, présidents des Rencontres d’Arles, maires d’Arles et directeurs de l’ENP/ENSP (1970-2018)

247 Sources 249 Éléments de bibliographie 252 Remerciements


Avant-propos

Juillet 1981, la 2 CV roule vers Arles. Arrêt prévu à Grignan chez Roger Doloy, mais après la mort de sa femme, il est trop fatigué pour recevoir. Ce sera, direct, les Rencontres de la photographie, la place du Forum où l’on croise Manuel Álvarez Bravo, Julia Pirotte ou Lucien Clergue, la place Voltaire, haut lieu des futures rencontres et amitiés avec Willy Ronis puis Bernard Plossu. Depuis 1979, Arles est mon livre d’histoire de la photographie. Chaque année, pendant 40 saisons, j’en tournerai les pages vivantes. Comment imaginer alors qu’en juin 2018, Sam Stourdzé, directeur des Rencontres, demanderait à l’historienne de la photographie que je suis devenue d’en écrire le récit ? Honneur, bonheur, importance de l’offre se bousculent et s’entrechoquent alors qu’en juillet je retrouve le théâtre antique et les déambulations arlésiennes. Place Voltaire, au sortir du vernissage de l’exposition Jean-Claude Gautrand, Bernard Plossu, averti du projet, propose son regard sur la ville. Ainsi bouillonne Arles. Carte blanche pour écrire un livre. Liberté rare, cascade d’obligations. Après mon ouvrage sur les trente ans du collectif de photographes Le bar Floréal – Photographie, celui sur le siècle de Willy Ronis, l’ampleur de la tâche s’impose vite, j’en connais les servitudes. Rassembler les sources, accéder aux archives, ce n’est pas la moindre des difficultés. Première surprise. Un travail considérable a déjà été opéré par les Rencontres sous la direction d’Aurélie de Lanlay. Éline Gourgues, Audrey Mot et Baptiste Bondil se sont chargés du récolement et de la numérisation de la collection. Sont réunies les archives imprimées dispersées dans différents lieux. Francesca Rossi en poursuit l’inventaire général et le classement rue du docteur Fanton. Aide précieuse, elle facilitera mes recherches. Premiers entretiens. 32 suivront sous différentes formes à Paris et à Arles. Jean-Maurice Rouquette racontera une des dernières fois l’amitié des belles années 1970. Yolande Clergue et sa fille Anne ouvriront les archives de Lucien Clergue. Une mine de brouillons, de projets, de tapuscrits, de récapitulatifs, de lettres, de coupures de presse, de photographies conviviales… Tout le bouillonnement, l’enthousiasme, l’énergie de Clergue sont là. Maja Jerne, son assistante, sortira boîtes, dossiers et chemises, classés par année, précieusement conservés dans l’atelier où tout respire encore la présence du photographe. Bien d’autres se souviendront, exhumeront archives, vieux catalogues et coupures de presse. En premier lieu Jean‑Claude Gautrand,

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Arles, les Rencontres de la photographie

Une histoire française


mais aussi Maryse Cordesse, Bernard Perrine… François Hébel reviendra, avec passion, sur les secousses telluriques qu’il imposa au festival avec la fougue de sa jeunesse, à l’ambition qu’il eut pour Arles, la maturité venue. Sam Stourdzé, à l’initiative du projet, Aurélie de Lanlay, Annaëlle Veyrard et Aurélien Valette de l’équipe des Rencontres, porteront constamment le livre dont les pages se multiplieront tant les sources sont nombreuses, le sujet complexe. Pour les dernières décennies, le respect de la confidentialité laissera à d’autres un récit de l’histoire interne plus exhaustif. Profusion, diversité des expositions, projections, colloques, séminaires, débats, tables rondes, stages, ateliers pédagogiques, annonces ministérielles. Comment rendre compte des œuvres exposées ou projetées en soirée de 2 311 photographes ? Encore sont-ils plus nombreux. Manquent tous les participants à des expositions, des projections collectives sur un thème, un pays non mentionnés au catalogue. Profusion et diversité des 3 300 œuvres de la collection, des 36 prix différents décernés au fil des années. Profusion et diversité des 398 personnalités, institutions, agences, collectifs artistiques, magazines du monde de la photographie venus partager leurs connaissances. Profusion et diversité des 24 directeurs et commissaires invités, des 14 ministres de la Culture passés par Arles et de ses 6 maires. Comment les évoquer tous, comment raconter leur bonheur d’exposer, leur satisfaction de dialoguer, leur déception d’incompris, leur enthousiasme et leur nostalgie ? Beaucoup manquent à l’appel. Trop. Reste une histoire de la photographie que tous ont construite. Elle court tout au long du récit, vif argent. C’est notre histoire.

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UNE HISTOIRE FRANÇAISE


Regard sur la photographie en France et dans le monde


L’émergence dans le monde occidental, à Arles, d’un premier festival consacré à la photographie s’inscrit dans un paysage professionnel et amateur où les forces en présence, les lignes de fractures, la recomposition géographique, économique et culturelle ont subi de profondes modifications après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup de photographes des années 1920 ne retrouvent plus l’élan créateur de leur jeunesse, d’autres poursuivront une longue carrière jusqu’à leur grand âge, alors qu’une génération nouvelle s’impatiente et bouscule les codes, aspire à faire reconnaître la photographie comme un art, repense la vision du monde. Pendant plus d’une décennie, les photographes humanistes portent haut des regards, des intentions, des vérités, des styles différents, mais tous affirment dans leurs travaux la force de la vie, l’empreinte de la condition humaine. Dans un désir d’unité nationale nécessaire après la fracture de la collaboration, le concept rallie tous les courants de pensée, s’inscrit dans l’effroi de la guerre génocidaire, nucléaire et l’optimisme que suscite le plan Marshall avant l’élan des Trente Glorieuses. L’appartenance à une même communauté, celle des hommes, s’incarne dans les expositions du Salon national de la photographie de la Bibliothèque nationale (1946-1961). Si Paris a perdu de son attractivité au profit de New York, le rayonnement de la photographie française reste important. Edward Steichen, directeur du département de la photographie du Museum of Modern Art à New York, inaugure en 1947 « The Photographs of Henri CartierBresson », en 1951 « Five French Photographers » (Brassaï, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Izis et Willy Ronis), illustration de la photographie humaniste et, en 1956 « Language of the Wall: Parisian Graffiti Photographed by Brassaï », un autre versant de la création française. La grande exposition internationale « The Family of Man », vue par plus de neuf millions de visiteurs sur trois continents entre 1955 et 1964, marque l’acmé de la photographie humaniste. À la même époque, Robert Frank arpente les États-Unis et Robert Delpire publie à Paris Les Américains (1958), manifeste pour une conception du reportage plus interrogative, plus incisive, l’affirmation d’une esthétique du banal sans qualité en marge de l’optimisme lyrique régnant. Dans l’esprit de la photographie documentaire et sociale fondée par Lewis Hine, Cornell Capa amorce la concerned photography qui fera école. En Europe, l’Allemagne fait une nouvelle fois figure de pionnière alors que la France reste en marge. En 1950, à Cologne, Leo Fritz Gruber et Bruno Uhl ouvrent la Photokina, salon commercial international de la photographie avec une section consacrée à la photographie comme art. À la même époque la subjektive Fotografie se veut une démarche d’auteur et triomphe outre-Rhin sans provoquer plus qu’un intérêt d’estime en France. Néanmoins, le groupe Libre expression participe aux expositions phares « Subjective Fotografie I » (1951-1952) et « II » (1954-1955) à la Staatliche Werkkunstschule de Sarrebruck. À la même époque, à Berne, le premier congrès de la Fédération internationale de l’art photographique (FIAP) défend la dimension artistique du médium et son pouvoir éducatif à l’instar des préoccupations

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Regard sur la photographie en France et dans le monde


de l’Unesco. En 1958, le premier congrès du Centre international de la photographie (1958-1965) se tient à Paris. Ses travaux concernent l’Unesco et les institutions, mais ne s’intéressent pas aux professionnels. La presse nationale illustrée (Paris Match, Réalités, Point de vue – Images du monde, Plaisirs de France) et internationale (Stern, Du, Illustrated Magazine, Life, Look, Oggi) commande des reportages, diffusent dans le monde occidental les images de pays encore mal connus, de conflits multiples et des photographies plus singulières que reprend la presse spécialisée : U.S. Camera aux ÉtatsUnis, Camera en Suisse, revue éditée en trois langues, Photography Annual au Royaume-Uni et Photography of the World au Japon. Vogue New York et Harper’s Bazaar, magazines de mode conçus par des directeurs artistiques d’exception, dynamisent avec Life l’influence de New York. L’édition française, sous l’impulsion de François Cali, popularise une France du passé : Sortilèges de Paris (1952), France aux visages (1953), Dictionnaire pittoresque de la France (1955), Merveilles de France (1960). La Documentation française, structure publique dépendant du Premier ministre, entame en revanche des travaux sur la France de la reconstruction et des Trente Glorieuses. Les flâneurs déambulent dans la capitale, inépuisable enchantement depuis Baudelaire, publient des ouvrages prisés d’un large public : Paris des rêves d’Izis (1950), Belleville Ménilmontant de Ronis (1954), Instantanés de Paris (1955), Pour que Paris soit (1956), Gosses de Paris (1956) et Bistrots (1960) de Doisneau. Le Parti communiste, triomphant au sortir de la guerre, draine artistes et écrivains de premier plan autour de ses activités, de sa presse et de ses éditions. Dans sa mouvance idéologique beaucoup de photographes sont engagés, travaillent pour les journaux de gauche, les syndicats et couvrent les conflits ouvriers, catastrophes minières, grèves et manifestations. La commande pour la presse, la publicité, la mode et les institutions liées à l’industrie, au tourisme, à la reconstruction, aux affaires étrangères, domine la production habituelle. De 1953 à 1977, Albert Plécy, le rédacteur en chef de Point de vue – Images du monde propose dans son « Salon permanent de la photographie », sur deux, voire huit pages, une exposition hebdomadaire sur papier glacé où sont rassemblées des images plus personnelles, souvent prises en marge des commandes. Il élabore ainsi une véritable encyclopédie de la photographie contemporaine à l’image de ce qu’avait conçu Charles Peignot pour les numéros annuels d’Arts et métiers graphiques dans les années 1930. L’époque est aux rassemblements, à l’union des forces collectives, à la confrontation professionnelle. Le graphiste Maximilien Vox organise la biennale PhotoCinéma produite par Photo-Monde. Dans la mouvance des arts graphiques et des Compagnons de Lure, Plécy lance le groupe Gens d’images (1954) à l’origine des prix Niépce et Nadar (1955) couronnant le photographe et le livre remarqués dans l’année. Courte période de création, et de prospérité pour les photographes, les années d’après-guerre s’estompent, mais marquent profondément le paysage.

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Une histoire française


La décennie suivante est celle du reflux. La photographie humaniste s’enlise sans qu’émerge, comme aux États-Unis ou en Allemagne, un nouveau regard. Le mythe de l’universalité développé par Edward Steichen est ébranlé par Roland Barthes dénonçant le bannissement de l’histoire dans Mythologies (1957). La photographie, largement accueillie dans les musées aux ÉtatsUnis, est délaissée par les conservateurs français à l’exception de ceux de la Bibliothèque nationale. En 1965, John Szarkowski, successeur de Steichen au MoMA, dans l’esprit de Life et sur proposition des directeurs artistiques des grands magazines internationaux, dont Roger Thérond de Paris Match, invite la photographie de presse publiée sur les cimaises du musée avec l’exposition « The Photo Essay ». Deux ans plus tard, Denis Brihat, Jean-Pierre Sudre et Pierre Cordier sont réunis dans « A European Experiment » (1967). De rares photographes basés en France jouissent d’une exposition personnelle au MoMA, institution de la consécration suprême : Jacques Henri Lartigue (1963), Henri Cartier-Bresson et Brassaï (1968), Eugène Atget (1969). Une dizaine d’entre eux participent à des présentations collectives où figure en bonne place l’équipe de Magnum. D’autres, comme Robert Doisneau, Jean Mounicq, Sabine Weiss, sont accueillis dans des musées et galeries outreAtlantique et en Europe. En France, l’exposition personnelle est exceptionnelle, l’exposition collective demeure marginale. La presse reste le lieu de reconnaissance du travail que confirme le livre, à Paris comme à l’étranger. I Protest! de David Douglas Duncan (1968), Face of North Vietnam de Marc Riboud (1970), Vietnam Inc. de Philip Jones Griffiths (1971), réquisitoires sans concession, feront date. Face aux nombreuses agences étrangères (Reuter, UPI, AP, Black Star, Contact), Magnum, club très fermé, et Rapho, plus ouvert, rassemblent en France nombre de photographes dont l’œuvre va s’imposer. Ils diffusent leurs images dans le monde occidental alors que la communication se développe dans les entreprises offrant l’opportunité de travaux plus rémunérateurs que ceux proposés par la presse, où s’amorce un déclin sévère. Cartier-Bresson, sans quitter Magnum, s’en éloigne et devient contributeur (1966). Tout au long de la décennie, Magnum Paris s’oppose à la maison mère de New York réfugiée dans le corporate. En 1970, Bruno Barbey, René Burri et Marc Riboud signifient leur désaccord en présentant leur démission (vite retirée). Les agences françaises restent confidentielles, quand elles ne ferment pas à l’instar de Dalmas (1957-1974), Europress (?-1970), l’Agence parisienne des informations sociales – APIS (?-1971), Reporters associés (1959-?), Snark International (1966-1978), alors qu’émerge, dans l’opprobre de la profession, le paparazzo pourvoyeur de scoops pour des unes plus rémunératrices que bien des reportages. Les nouvelles venues, Gamma (1966), Sipa (1969), Viva (1972) et Sygma (1973), n’ont pas encore conquis le marché international et sacré Paris capitale du photojournalisme d’un monde secoué par la guerre du Viêtnam, les guerres civiles et les coups d’État en Afrique, les conflits permanents au Moyen-Orient, les affrontements en Europe (Irlande, Tchécoslovaquie), le vent de liberté du printemps 1968 en France, dans le monde, et la bataille pour la conquête de l’espace que se livrent Américains et Soviétiques. En 1969, Pierre de Fenoÿl

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Regard sur la photographie en France et dans le monde


crée l’agence Vu au sein des éditions suisses Rencontre et, avec Charles-Henri Favrod, lance la première galerie photo du même nom, rue du Cherche-Midi à Paris, ouvrant ses portes à de jeunes photographes. Mais l’éditeur les ferme dès 1971. L’agence Viva naîtra en partie de cet abandon. La télévision se démocratise, atteint un million de récepteurs en 1960. L’information se déplace vers le petit écran et concurrence la presse illustrée. Réalités, qui a lancé Édouard Boubat, Jean-Philippe Charbonnier et Jean-Louis Swiners, disparaît en 1965. L’éphémère Terre d’images (1964-1965) ne trouve pas son public en dépit de la qualité de collaborateurs comme André Jammes, Albert Plécy et John Szarkowski. La prestigieuse revue Look cesse de paraître en 1971 et Life s’interrompt l’année suivante. Après Pierre Brive, dans le sillage de ses émissions consacrées à un photographe, Plécy se saisit des nouvelles possibilités offertes par la télévision. De 1964 à 1969, avec l’écrivain Michel Tournier, prix Goncourt 1970, il réalise l’émission « Chambre noire », dédiée à la photographie, où se succèdent entre autres, au cours des 51 éditions, Jean Dieuzaide (1964), JeanPhilippe Charbonnier, Denis Brihat (1966), Jean-Pierre Sudre (1967), Lucien Clergue (1968) mais aussi Man Ray, William Klein (1965), Bill Brandt (1967) et Erich Lessing (1968). Plusieurs éditions de l’émission seront projetées dans le cadre du festival arlésien, en 1970, 1988… Cette émission de qualité, où l’entretien alterne avec le commentaire des œuvres et la confrontation des auteurs, ne saurait occulter la solitude dans laquelle évoluent la plupart des photographes français sans reconnaissance véritable, écrasés par le poids des fondateurs de Magnum pour la nouvelle génération, délaissés par leurs commanditaires pour les aînés. À soixante ans, sans commandes suffisantes, Ronis prend un poste de photographe à l’école Louis-Lumière pour subvenir à ses besoins et doit finalement quitter Paris. Le club parisien des 30 x 40, à l’initiative de Roger Doloy, le groupe Libre expression de Jean-Claude Gautrand et Jean Dieuzaide puis le groupe Gamma sont des tentatives pour affronter une crise à la fois économique et morale du milieu de la photographie en proie au doute sur son devenir, sujet à l’indifférence des pouvoirs publics, au dédain, voire au mépris de l’intelligentsia et des cercles des beaux-arts. Après l’ouverture de la galerie Il Diaframma à Milan (1967), de la Photographers’ Gallery à Londres (1971), de la Light Gallery à Boston (1971), de la galerie Wilde à Cologne (1972), de la galerie Le Château d’eau à Toulouse (1974), sans but lucratif, Agathe Gaillard fait figure de pionnière en créant en 1975 la première galerie parisienne, suivie par la galerie Zabriskie (1977). Elle expose Ralph Gibson, invité aux Rencontres d’Arles cette année-là. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’apparaissent des ventes publiques régulières avec catalogue. Alors que le consumérisme favorise un goût pour le sensationnel, le divertissement et le scoop, la photographie s’interroge sur sa fonction informative et descriptive face à la télévision diffusant des reportages animés dans des délais que ne saurait tenir la presse. Les questions portent sur la finalité d’une production liée à des périodiques peu respectueux des images, sur ce que pourrait être une expression moderne de la relation entre artistes et société.

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Arles, les Rencontres de la photographie

Une histoire française


La spécificité documentaire de la photographie, sa valeur testimoniale sont ébranlées, ses aspirations à la reconnaissance comme œuvre ignorées. En même temps, l’arrivée sur le marché des appareils japonais, pour professionnels et amateurs comme l’Asahi Pentax et le Nikon F, popularisés par les reporters de la guerre du Viêtnam, banalise la prise de vue. La société de consommation a mis le téléobjectif à la mode et les « soirées diapos » deviennent un rituel au retour des vacances pour les classes moyennes. Dans les années 1970, la France peine à reconnaître la photographie comme une expression artistique à part entière alors qu’elle semblait avoir conquis ses lettres de noblesse dans les années 1930.

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Regard sur la photographie en France et dans le monde


Des précurseurs : cercles d’influence et festivals

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Une histoire française


Les cercles d’influence

Indépendants attachés à leur liberté, les photographes n’abandonnent le terrain et ses rencontres éphémères que pour rejoindre leur laboratoire, développer les films à la hâte et fournir leurs commanditaires. Le studio, terrain plus collectif, exige des moyens que beaucoup n’ont pas. Cette autonomie les laisse face aux interrogations, aux doutes sur leur démarche personnelle et au désenchantement qu’ajoutent les difficultés d’un métier toujours aléatoire. Le paysage photographique se répartit entre les photographes illustrateurs et reporters, les photographes de mode et de publicité soucieux de résoudre des problèmes économiques, juridiques, et les photo-clubs et leur presse spécialisée, soutenus par l’industrie, obnubilés par la technique. L’illustre Société française de photographie, lieu d’échange et d’information, a perdu de son lustre et de son influence. Elle connaît un déclin certain dans le monde industriel et artistique, enlisée dans des querelles internes et des problèmes financiers. L’historien Georges Potonniée démissionne de ses instances dirigeantes (1946) et Robert Auvillain peine à maintenir le Bulletin de la Société française de photographie et de cinématographie, remplacé par une Chronique mensuelle de la SFP (1948-1951) puis par une Feuille d’information (1958-1967), pour reparaître ensuite sous d’autres formes. Quelques groupes de professionnels et d’amateurs, à l’initiative de personnalités au dynamisme exceptionnel, vont rompre le découragement, l’exaspération, quand ce n’est pas la colère, qui minent même les plus déterminés dans un climat de dédain pour la photographie et de morosité du marché. L’administration, longtemps sourde aux problèmes de ses collaborateurs en charge de la photographie, prend conscience de l’exigence d’une structure de dialogue. Les rencontres, débats, ouvertures vers d’autres rivages seront propices à des amitiés au cœur, de nouvelles synergies. Geneviève Dieuzeide, Roger Doloy, Jean-Claude Gautrand, Jean-Claude Lemagny, Albert Plécy et Maximilien Vox en seront les artisans. Ces personnalités se connaissent toutes, rayonnent sur des milieux différents mais à la croisée d’intérêts communs. Leurs activités, leur remarquable investissement serviront de modèle, de lien, de caution, d’encouragement aux Rencontres internationales de la photographie. Les archives de Clergue contiennent des documents concernant les 30 x 40 et Gens d’images. Plusieurs participants à ces groupes apporteront leur concours très actif, particulièrement dans les premières années. Lemagny exercera un magistère exceptionnel. Gautrand s’en fera le chroniqueur dans la presse et l’édition.

Le club des 30 x 40

En 1958, la treizième et dernière exposition du Groupe des XV se tient au Grand Palais, pendant le Salon des Artistes décorateurs, dans l’indifférence générale. Fermé aux étrangers, replié

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Des précurseurs : cercles d’influence et festivals


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