Collection [extrait/extract] / ROMAIN MONCET

Page 1





collection

romain moncet



Les collections photographiques de l'École Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris comprennent environ 70 000 photographies, principalement de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, prises par des professionnels, des amateurs, des artistes ou des anonymes. 24 642 sont, à ce jour, consultables sur le catalogue en ligne Cat'zArts1. J'ai visionné chacune de ces 24 642 photographies. En me basant sur des critères d'une absolue subjectivité, j'en ai sélectionné 41. Ces images m'ont interpellé, elles avaient quelque chose à me dire. Peut-être aurais-je aimé les avoir prises moi-même ? Elles sont par essence de natures et de sujets très divers. Mais ce qu'elles ont en commun c'est certainement une forme d'étrangeté, qui a probablement à voir avec ce que Roland Barthes nomme le punctum2. Si ces images sont autant d'index du réel, comme le développe Rosalind Krauss dans son essai Notes sur l'index3, elles sont également autant de mirages, de remises en question de cette réalité tangible au profit d'une réalité façonnée, lieu d'une fiction collective hallucinée. J'ai pu avoir accès aux collections et photographier ces photographies. J'ai pris le parti pris de montrer les documents tels qu'ils sont, dans leur plus simple appareil, à l'échelle, avec un cadrage et une lumière identiques. Comme le note Vilém Flusser : l’homme « n’a pas directement accès au monde, de sorte que les images doivent le lui rendre représentable. Mais à peine l’ont-elles fait qu’elles s’interposent entre l’homme et le monde. […] Il n’est plus en mesure de les déchiffrer, il vit désormais en fonction de ses propres images : l’imagination [faculté spécifique de produire et de déchiffrer des images] s’est changée en hallucination. »4 C'est peut-être dans une tentative de déchiffrage ( ou bien au contraire de brouillage ), que je me suis approprié ces photographies par l'écriture de courts textes inspirés de celles-ci ; à nouveau de manière totalement subjective. Là encore la nature des textes est multiple et leur rapport au réel distendu. Ces images sont autant de portes d'entrée vers notre humanité, ses composantes sociologiques, économiques et culturelles, nos croyances et mythologies, notre histoire et notre avenir. Une fenêtre sur le monde.

1 http://www.ensba.fr/ow2/catzarts/index.xsp 2 Barthes Roland, La Chambre claire : Note sur la photographie, Gallimard/Seuil/Cahiers du cinéma, Paris, 1980 3 Krauss Rosalind, L'Originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes, trad. de l'anglais par Criqui J.-P., Macula, Paris, 1993 4 Flusser Vilém, Pour une philosophie de la photographie, trad. de l’allemand par Mouchard Jean, Editions Circé, 1996, p.11






BIB 247 in-Fol pl. 103 - Nubie, Ibsamboul. Colosse oriental du Spéos de Phré - Maxime Du Camp - 1852 - Nubie - Épreuve sur papier salé


C’est toujours i m p r e s sionnant les monuments du passé, et assez vertigineux de se dire que ces pierres sont là depuis des millénaires. Je ressens quelque chose de similaire devant un arbre centenaire, on est face à une échelle de temps qui nous échappe. Je me demande quels monuments notre siècle laissera pour les millénaires à venir. Le béton s’effrite, l’acier rouille, le verre se casse… Notre civilisation est à usage unique.




BIB 1173 T 3002-8-562 - Animal locomotion Plate 562 - Eadweard Muybridge - 1872-1885 - Philadelphie, États-Unis - Phototypie


Au début personne n’y croyait vraiment. Le virus était apparu en Chine, il n’y avait tout d’abord que quelques centaines de cas mais le gouvernement chinois avait rapidement mis en quarantaine plusieurs millions de personnes. On avait connu la vache folle, la grippe aviaire, Ébola, et pas mal d’autres saloperies bien plus meurtrières. La situation était sous contrôle, il n’y avait aucune raison que cela dégénère. Et pourtant quelques mois plus tard ce fut la panique, les foyers d’infection se multipliaient comme des métastases, le cancer se généralisait. Les frontières se fermaient une à une, les pays se mettaient en quarantaine les uns après les autres. Tout le système se pétait la gueule, à Wall Street les mecs devenaient fous. La situation était inédite, personne ne savait ce qu’il allait se passer. L’économie était à l’arrêt, on n’avait pas connu une crise pareille depuis la Seconde Guerre mondiale. On a d’abord cru que cela durerait quelques mois, que les quarantaines seraient efficaces, que le virus disparaîtrait comme il était apparu et que la vie reprendrait son cours. La propagation fulgurante du virus était liée à une très longue période d’incubation et au fait que certains individus ne présentaient aucun symptôme. Des tests rapides ont vu le jour assez tôt mais il était impossible d’en produire en nombre suffisant. D’autre part de nombreux pays ne disposaient pas des moyens nécessaires pour s’en procurer. La première année on dénombrait déjà 100 millions de morts, les pays les plus pauvres étaient bien entendu les plus touchés. Mais le pire était à venir. Alors que les traitements restaient peu efficaces, aucun vaccin n’avait pu être commercialisé. L’année suivante le virus avait muté, les personnes déjà infectées pouvaient l’être à nouveau, la pandémie était devenue saisonnière. Plus personne n’osait sortir. Dans les usines et les entreprises ceux qui n’avaient pas perdu leur emploi travaillaient avec des combinaisons de protection intégrales, ou la plupart du temps depuis chez eux en télétravail. La majorité des bars, restaurants et autres lieux de sociabilité avaient disparu. Même les supermarchés étaient déserts. Tout le monde se faisait livrer à domicile de peur de mettre le nez dehors. Certaines entreprises tirèrent leur épingle du jeu, le cours de bourse des actions Amazon fut multiplié par 4. Mais d’autres disparurent ou ne se relevèrent jamais réellement. Ce fut un tsunami financier. On avait connu une courte période de mondialisation intense, l’heure était au repli sur soi. Des millions de touristes avaient pris l’habitude d’aller passer quelques jours de vacances à l’autre bout du monde plusieurs fois par an, comme si cela relevait de la normalité. Ce temps là était révolu. Le tourisme mondial avait chuté de 90%. Malgré les tests pratiqués dans les aéroports plus personne n’osait prendre l’avion, encore moins pour se rendre dans un pays où les règles de confinement, les tests sur la population ou encore l’accès aux soins étaient bien moins développés. Les États s’étaient surendettés pour faire face à la crise, ils étaient maintenant au bord de l’asphyxie. Ceux qui ne mourraient pas du virus mourraient par manque d’accès aux soins, ou tout simplement de faim car ils n’avaient plus de revenus. Le taux de chômage avait explosé, celui du télétravail aussi. On développa de nouveaux modes de fonctionnement, l’immense majorité des employés restait chez elle et travaillait à distance. La psychose était telle qu’en fait tout le monde s’enfermait chez soi, il fallait de toute façon des autorisations spéciales pour pouvoir sortir et elles étaient accordées au compte goutte. Au bout de quelques années on a commencé à voir le phénomène apparaître. Les gens ne faisaient plus d’exercice, ne quittaient plus leur domicile et reportaient ( pour ceux qui le pouvaient ) leur frustration sur la nourriture. Cela se limitait aux pays riches ou aux couches supérieures de la société, mais concernait maintenant des centaines de millions voire des milliards de personnes. Ce phénomène de masse était apparu quelques dizaines d’années plus tôt, avec la société de consommation. L’effondrement de celle-ci, ou plutôt sa refonte en une société d’e-consommation avait fait exploser le nombre de cas. Dans certains pays on parlait de 80% de la population. On assistait à une réelle transformation de l’espèce humaine. Les gens devenaient obèses.




PC 4366 fig.13 - Destinée à l'étude des lignes expressives du muscle frontal chez une petite fille - Guillaume Benjamin Amant Duchenne de Boulogne - XIXème siècle - France


À partir de la moitié du XIXème siècle, Duchenne de Boulogne, médecin fondateur de la neurologie, effectue un ensemble d’expérimentations électrico-anatomiques. Il électrise certains muscles d’un sujet, en étudie les effets, en isole les réactions. Cela lui permet de comprendre le fonctionnement du corps dans une approche non destructive, en travaillant avec des sujets vivants. Il se penche sur le visage et les muscles qui régissent les expressions faciales. Son principal cobaye est un patient dont les muscles du visage sont paralysés. À l’aide de son outil il parvient à recréer tout le spectre des émotions humaines et à les imprimer sur cette face inanimée. Il documenta largement ces expériences par la photographie et fit don de l’ensemble de sa production photographique à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris. Il était pleinement conscient de la portée artistique de ses photos. Certaines sont d’ailleurs de réelles compositions. Comme celle-ci, où Duchenne de Boulogne vient, à l’aide de son outil expérimental, électrifier un muscle facial de cette jeune fille, habillée en robe du dimanche. Cela a pour effet de relever son sourcil gauche et donc de lui conférer un regard interrogateur. Duchenne de Boulogne est partiellement coupé par le cadre et ses yeux, à travers ses lunettes sont pleinement absorbés par ce qu’il est en train de faire, donc fixés sur ceux de la jeune fille. La scène est encadrée par le rebord d’une fenêtre dont nous voyons un pan ouvert, et une étoffe à motif vient recouvrir le bas de l’ouverture tandis qu’un tissus uni sert de fond à la scène. Cette image questionne la place du regard dans la photographie et plus généralement dans la représentation, notamment artistique ( la mise en scène emprunte largement à l’histoire de la peinture ). Nous sommes ici à la frontière de l’expérimentation scientifique, photographique et picturale. Dans Pourquoi la photographie a aujourd’hui force d’art Michael Fried différencie les œuvres d’art où les personnages sont absorbés par ce qu’ils font, et donc coupés du regardeur dans une illusion réaliste, de celles «  théâtrales  » où les protagonistes ont le regard tourné vers le spectateur, sont conscients du processus de représentation. Ici l’on pourrait dire que cette photographie questionne justement ce rapport à la théâtralité et au réalisme en ce sens qu’elle est clairement composée, il ne fait aucun doute que nous sommes face à une mise en scène, cependant ce qui est représenté est une expérience qui a bien eu lieu, et qui a d’ailleurs réellement lieu au moment de la photographie. Le rapport au réel est donc trouble, à la fois mise en scène et expérimentation en direct. Le fait que cette expérimentation ait d’ailleurs comme sujet le regard même de la jeune fille m’amène à considérer cette photographie comme réellement à la croisée entre théâtralité et absorption. L’expérience est réelle mais Duchenne de Boulogne la rejoue sur un mode théâtral, il questionne ainsi le rapport entre photographie, réalité et mise en scène.




«   L e s tuyaux des égouts, bien que leurs tentacules viennent jusque dans nos appartements, sont soigneusement dissimulés à nos regards et nous ignorons tout des invisibles Venise de merdes sur lesquelles sont bâtis nos cabinets de toilette, nos chambres à coucher, nos salles de bal et nos parlements. » Milan Kundera, l’Insoutenable légèreté de l’être La modernité a voulu dissimuler la merde, les immondices. Le progrès c’est la propreté, la négation des excréments. À tellement vouloir les nier on en a oublié qu’ils existaient. À la fin du XIXème siècle, de nombreuses pissotières publiques comme celle-ci existaient encore dans les villes. On a voulu cacher la pisse, il n’en existe ( presque ) plus. Mais on n'a réussi à masquer que le contenant et non le contenu : la pisse est toujours là, elle coule à flots sur le trottoir. Si l’objet de l’art est de révéler ce qui est caché, alors Duchamp a touché juste.


Ph 102 - Vespasienne à six places - Charles François Marville - XIXème siècle - Rue Legendre, Paris, France - Épreuve sur papier albuminé




Ph 270 - Construction du Nouvel Opéra de Paris. Le "fantôme de l'Opéra" et des ouvriers sur le toit. - Louis-Emile Durandelle, Hyacinthe-César Delmaet - XIXème siècle - Paris, France - Épreuve sur papier albuminé


- C’est qui ce

d l’opéra. - Ah bon ?! Et qu’est-ce qu’il fout là ? - Ça ne se voit pas ?! Il surveille les travaux !

mec ? - C’est le fantôme e




Il avait mis le doigt dessus ! Décidément on ne pouvait rien lui cacher ! Ou plutôt c’est lui qui ne pouvait p l u s rien nous cacher depuis qu’il s’était mis à nu. On était en osmose en quelque sorte. Il avait toujours été écorché vif mais j’avais bien remarqué qu’il se faisait un sang d’encre ces derniers temps. Et puis c’est vrai qu’il avait perdu quelques kilos. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. On n’avait tous que la peau sur les os mais lui, devenait carrément fantomatique. Malgré tout il avait toujours eu beaucoup de tact et nous indexions tous notre conduite sur la sienne. Alors forcément ça nous a cloué le bec qu’il nous ait percés à jour.


Ph 792 - Squelette du bras - Attribué à Hermann Heid - 1880 - Épreuve sur papier albuminé




Le Puy ! C’est p l u t ô t é t o n n a n t comme nom pour un tel endroit. On s’attendrait plus à descendre dans une grotte que de monter sur un pic ! Il fallait qu’il parte, loin, longtemps. Ce n’était pas vraiment une fuite, il savait qu’il retrouverait ses problèmes en rentrant, mais il fallait qu’il fasse le point. Il partait peut-être parce qu’il n’arrivait plus à croire en lui-même. À l’époque c’était plus une histoire de religion, les gens partaient par ferveur, par croyance. La horde de bobos agnostiques en quête de sens qui portaient leurs questions existentielles et leur mal de vivre dans leur sac à dos Quechua n’était même pas encore née. Il y aurait d’abord le bétonnage de la vallée, les pavillons en parpaings, le Super U et son parking avec sa myriade de voitures alignées aux tombes du cimetière voisin. Mais pour l’heure, rien de tout ça. À peine quelques maison en pierre et cette église perchée tout là haut. Il ne savait pas trop à quoi s’attendre mais il savait que la route serait longue.


Ph 1415 - Rocher St Michel. Le Puy en Velay - Edouard-Denis Baldus - 1854 - Le Puy en Velay, France - Épreuve sur papier salé à partir d'un négatif papier




Ph 1488 - Voyage de la Reine d'Angleterre 122 - Edouard-Denis Baldus - août 1858 - Cherbourg, France - Épreuve sur papier salé

À cette époque il n’y avait pas de porte-conteLes bateaux bien que plus perfectionnés même principe, mus par la force du vent. Des routes commerciales existaient presque Le chocolat, le café ou le sucre des produits de Les gens ne voyageaient que très peu, c’était Il fallait des semaines aux hommes et aux Il nous semble que cela se passait il y a des


neurs, il n’y avait pas de conteneurs non plus. Le pétrole était encore sous terre. Le voyage une aventure. n’avaient pas extrêmement changé depuis la nuit des temps. En tout cas ils fonctionnaient toujours sur le partout sur le globe mais les traversées étaient longues et coûteuses, les marchandises rares et chères. luxe, les fruits exotiques inconnus en métropole. l’événement d’une vie, ou un choix de marginal. nouvelles pour traverser les océans. siècles, et pourtant la photographie était datée de 1858. C’était hier, ce serait peut-être demain.




Il était en vacances au Caire pour une semaine. En bon touriste il s’était équipé d’une perche à selfie et son occupation principale consistait à poster sur Instagram les moindres péripéties de son voyage. Dans la course aux likes la concurrence était rude, il fallait redoubler d’imagination. Alors quand il s’est retrouvé en bas de la pyramide i l n’a pas réfléchi bien longtemps. La nuit venait de t o m b e r, il n’y avait plus grand monde. Une photo en haut de la pyramide c’était un carton assuré. Pas de garde en vue, juste un marchand à la sauvette. Il fallait faire vite. À mi-chemin du sommet il fut repéré, les policiers eurent beau crier dans sa direction il continua son ascension, imperturbable. L’excitation de l’interdit et la sensation de réaliser quelque chose d’unique dans une vie lui donnaient des ailes. Napoléon n’avait-il pas déclaré « du haut de ces pyramides, quarante siècles d’histoire vous contemplent » ? Il touchait au but, il allait faire le buzz, rentrer dans l’Histoire. Plus que quelques mètres. C’est alors qu’il entendit des bruits. Il se dit que l’ivresse du sommet devait lui jouer des tours. Mais quelle ne fut pas sa surprise et sa déception en arrivant au sommet, de découvrir qu’un couple de touristes suédois l’avait précédé ; nus comme des vers ils célébraient leur réussite à leur manière. Décidément, il y avait vraiment trop de touristes.


Ph 1497 - Ascension de la grande pyramide. N° 435. Ascension [... illisible]. - Zangaki C. - Guizeh, Egypte - Épreuve sur papier albuminé




Ph 1626 - Désastres de la guerre. Hôtel de Ville, Galerie des Fêtes. - Jules Andrieu - 1871 - Paris, France - Épreuve sur papier albuminé


La salle de bal était en travaux. Cela durait depuis plusieurs mois et ils étaient nombreux à se plaindre de l’absence des festivités usuelles. Le projet était, semble-t-il, de réaliser une verrière ou peut-être un roof-top avec un bar à cocktails, je ne sais plus bien. En tout cas ça allait coûter un fric monstre à la ville et il était difficile de comprendre un tel investissement alors que certains quartiers n’étaient toujours pas reliés à l’égout ou l’eau courante. M. le maire en avait décidé ainsi, sa volonté devait être exaucée. Le décor était quelque peu désuet et un rafraîchissement, s’il n’était financé sur les deniers publics, aurait pu être accepté. Seulement la polémique enflait depuis plusieurs mois et M. Le maire ne savait plus comment détourner l’attention. Il avait pourtant essayé de faire diversion en s’attaquant aux boucs émissaires habituels : les juifs, les immigrés et les homosexuels… Mais ça n’avait pas suffit. Tout le monde ne parlait plus que du chantier de l’Hôtel de Ville, M. Le maire commençait à se faire du souci pour sa réélection. Il allait devoir frapper un grand coup, être encore plus démagogique qu’à l’accoutumée. Il commençait à mettre au point un plan de campagne. Le chantier était très surveillé. Lieu de pouvoir, c’était un site sensible, toutes les archives de la ville y étaient conservées et le bâtiment était orné de tableaux, statues et mobiliers hors de prix. Ce soir-là quelques ouvriers avaient fait des heures supplémentaires. Le chantier n’avançait pas assez vite et il fallait accélérer la cadence. Avaient-ils laissé traîner un mégot de cigarette ? Était-ce ce nouveau système d’éclairage à l’électricité qui avait causé l’accident ? Ou bien un acte criminel délibéré ? Personne ne le saurait jamais. Le bâtiment, qui avait résisté aux guerres et aux fléaux pendant des siècles partit en fumée en quelques heures, emportant avec lui les collections, les archives et la polémique. Le désastre était tel qu’il n’était plus l’heure pour les querelles partisanes. Les promesses de dons affluèrent en grand nombre de riches mécènes. Tout le monde fit bloc et devant l’ampleur de la catastrophe on oublia bien vite la polémique de la salle de bal. M. le maire fut bien évidemment réélu.




Tous les principes nécessaires à l’élaboration de la technique photographique : camera obscura, réaction des sels d’argent à la lumière, règles optiques, mécaniques… étaient connus depuis la Renaissance, et pour certains depuis l’Antiquité. L’invention de la photographie n’est rien d’autre qu’un savant agencement et un perfectionnement de toutes ces techniques préexistantes. Alors pourquoi la photographie apparaît-elle si tardivement ? Avant le XIXème siècle, les images sont rares, inaccessibles au peuple, elles appartiennent à l’élite, la grande bourgeoisie et la noblesse. Il faut être quelqu’un pour avoir une image chez soi, et quelqu’un d’important pour avoir sa propre image ! Le travail de peintre est bien rémunéré, le genre le plus prisé est celui du portrait : on paie cher pour se contempler. Au XIXème siècle apparaissent les Salons de peinture et différentes techniques de multiplication des images par impression se perfectionnent ou voient le jour ( gravure, lithographie… ). Ceux qui ne peuvent s’acheter les peintures originales présentées aux Salons optent pour leurs reproductions à bas coût. En effet un nouveau métier est apparu, il est en plein essor. Il s’agit de reproduire en grand nombre en gravures ou lithographies les tableaux présentés aux Salons qui ont le plus de succès. Tout un chacun peut dorénavant s’offrir le luxe d’une image. Les images se multiplient, leur prix devient accessible, un marché se crée. Nicéphore Niépce a posé les bases sans jamais arriver à un résultat vérid’un point de vue économique. Il a eu encourageants sur papier mais ne tenu compte. Ce qu’il voulait à tout s’inscrire sur des plaques de métal, chimique, afin d’obtenir une plaque À l’origine Nicéphore Niépce ne chertelle que nous la connaissons ce que l’image vienne se former sur directement sur du papier, c’est que son le réel, mais bien de reproduire fidèlemoindre coût les œuvres exposées au marché qui venait de se créer. Il de la gravure, reproduire l’œuvre d’art, Sa motivation était avant tout

de la technique photographique, tablement concluant et exploitable à un moment donné des résultats semble pas en avoir réellement prix, c’est que la lumière vienne qu’elle les incise par une réaction gravée, matrice d’impression. chait pas à créer la photographie aujourd’hui. S’il tenait tant à une plaque de métal et non but n’était pas de représenter ment, automatiquement et à dans les Salons, pour répondre voulait automatiser le principe pour mieux la diffuser. économique.

D’ailleurs nous considérons souvent comme la première photographie, une vue depuis la fenêtre de sa propriété par Niépce en 1826. Cette vue est floue et on ne distingue pas grand chose. Alors qu’en 1825 il réalisa à l’aide de son procédé héliographique une reproduction fidèle d’une gravure du XVIIème siècle montrant un homme menant un cheval. La première photographie est en vérité non pas une reproduction du réel mais bien une reproduction d’une œuvre d’art. Cela n’est pas anodin quand on sait à quel point la photographie a transformé l’art. L’histoire de l’art et celle de la photographie sont intimement liées. Le succès fulgurant du daguerréotype puis de la photographie, qui succèderont aux recherches de Niépce, n’est cependant pas dû à l’utilisation que ce dernier prévoyait. Alors que sa recherche avait pour but une reproductibilité technique de l’œuvre d’art ( comme Walter Benjamin la théorisera ), dans les faits la première application économique de cette innovation technique a été de remplacer la peinture pour la réalisation de portraits. En effet, au-delà du désir d’’images, les gens avaient un désir de leur propre image. C’est l’ego qui parle. Tout comme aujourd’hui chacun veut son selfie pour promouvoir son image, à l’époque tous les petits bourgeois voulaient leur portrait pour flatter leur ego. Les peintres font faillite, pour beaucoup troquent leurs pinceaux pour le daguerréotype, des ateliers poussent un peu partout, les portraits se multiplient, les prix s’effondrent : tout le monde veut le sien ! Et comme sur ce cliché : même les peintres se font tirer le portrait.


Ph 1642 - Alexandre Bida - Adolphe-Jean-François-Marin Dallemagne - XIXème siècle




Ph 2518 P - Contorsionniste nu de profil - Paul Richer - Tirage moderne d'après une plaque de verre au gélatino-bromure d'argent


Le résultat est impressionnant. Personne ne peut ainsi se plier en quatre. On essaierait qu’on n’y arriverait pas, et nous aider serait nous casser le dos. Je pense surtout aux longues séances quotidiennes d’étirements et d’élongations. Pour arriver à ce résultat il devait y passer plusieurs heures chaque jour depuis l’enfance. Sa vie entière tournait autour de ce corps et de sa déformation. Son travail était de le tordre, chaque jour imperceptible ment un petit peu plus. Cela me fait penser à l’arbre qui croît. On ne voit jamais un arbre pousser, pourtant un jour il nous fait de l’ombre.




Ph 3673 - Femme de Damas, n° 672 - Anonyme - Damas, Syrie


E l l e était un peu crispée pendant la séance photo, il faut dire qu’elle n’avait pas trop l’habitude. Son mari ne la laissait pas vraiment sortir de la cuisine. Il était un peu jaloux, ça peut se comprendre. Et puis on n’affiche pas ses possessions au grand jour comme ça ! Imaginez qu’on se balade avec son solde bancaire placardé sur le front ! Non, il y a des choses qu’il faut garder pour soi, un peu de pudeur.




Ph 3827 - Athènes. Théâtre de Bacchus. - Félix Bonfils - Athènes, Grèce - Épreuve sur papier albuminé


Ils arrivaient de toute l’Europe, et même de plus loin. Ils fuyaient la guerre, la faim, la misère. Il n’y avait pas de place pour eux, alors ils se mettaient là où ils pouvaient, sur les bords d’autoroute, dans les forêts, sur les trottoirs, sous les ponts ou dans les gymnases. Ils construisaient parfois des villages entiers faits de bric et de broc. Puis régulièrement c’était la descente de gendarmerie qui les forçait au déménagement. Alors, avec leur baluchon sur le dos il fallait repartir, trouver un nouveau squat. Ils étaient sensibles à l’esthétique de Le Corbusier et de son cabanon de Roquebrune-Cap-Martin. Même si la vue depuis la fenêtre était quelque peu différente, il y avait chez eux le même sens de l’ascèse et du minimalisme. Le Corbusier avait vraiment compris l’avenir de l’architecture.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.