Day After Reading

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ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE 2016

25 OCTOBRE 2016

DAY AFTER READING

PORTRAITS DE LECTEURS AMERICAINS À TRAVERS LES ÉTATS-UNIS DURANT LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE DE 2016 «Day After Reading» est d’abord un projet éditorial public, en cours de production aux Etats-Unis. Ce projet a commencé le 1er septembre, deux mois avant les élections, et se poursuivra deux mois après. «Day After Reading» enquête sur notre consommation de l’actualité, ce que nous lisons, percevons et mémorisons au travers des informations diffusées dans les médias. C’est aussi une manière inédite d’enregistrer, de transcrire et de lire ces dernières.

8 SEPTEMBRE 2016

À l’occasion d’entretiens conduits avec des citoyens Américains, «Day After Reading» donne une nouvelle image de cette actualité, en rapport avec la mémoire et l’expérience personnelle de chacun de ces lecteurs. L’actualité ainsi que l’information communiquée dans la presse et les médias sont filtrées et mises en évidence par le regard et le récit d’un individu concerné. Les entretiens sont structurés en quatre chapitres : « ARTICLES » ; « EX-

PERTISE » ; « ÉLECTION » et « AVENIR ». Ces chapitres exposent respectivement l’actualité suivie et mémorisée dans la presse, l’expertise de chacun des lecteurs, comment les élections sont perçues à travers les médias, et comment dans le futur proche nous consommerons cette actualité. Cette approche éditoriale novatrice mérite toute l’attention, à un moment où la presse papier cherche tant bien que mal à survivre. Ce travail s’appuie sur une

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

14 SEPTEMBRE 2016

Jayne Chu

Lire page 2

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

« Il faut réunir les ­récits de tout le monde pour aboutir à une vérité ­approximative. » Lire page 4

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Lire page 3

« [Cette couverture des élections] est un juke-box qui joue en permanence la mauvaise chanson. »

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Max Temkin

« Il est difficile de distiller ces p ­ otions amères pour en faire des friandises adaptées au palais d’un public idiot. »

Lire page 5

7 OCTOBRE 2016

Jesse Lee Jones

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Bill Dries

« Le journalisme est le premier brouillon de l’histoire. »

Lire page 6

13 OCTOBRE 2016

Ludovic Balland

« Le futur président des Etats-Unis, quel qu’il soit, ne modifiera en rien ma vie. » 28 SEPTEMBRE 2016

Satori Shakoor

5 OCTOBRE 2016

Tous ces entretiens ont étés réalisés en anglais et sont lisibles dans leur intégralité sur www.dar-news.com. Cette archive de lecteurs Américains issue du contexte dans lequel ils vivent, sera publiée par la maison d’édition Scheidegger & Spiess sous la forme d’un livre début 2017.

Philip Brandt

« [Les médias] doivent sans cesse combler le vide. » 19 SEPTEMBRE 2016

expérience physique et réelle : le voyage. «Day After Reading» se déplace et va à la rencontre des gens dans les villes, sur la route, à travers un pays. Il dessine un portrait contemporain d’une société et des moyens mis à la disposition des gens pour s’informer, communiquer, lire. Ces entretiens effectués juste avant les élections présidentielles, événement majeur dans l’histoire américaine, sont un état des lieux incluant les attentes et les espoirs des citoyens Américains.

Lire page 7

«Day After Reading Across America » www.dar-news.com ; info@dar-news.com @dayafterreading

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Jaya Davis

« Les nouvelles sont le biais que la société utilise pour s’infiltrer dans notre vie quotidienne. » Lire page 8

Concept, Design, Photographie : Ludovic Balland Interview et Rédaction : Dasha Lisitsina & Ludovic Balland Traduction en Français : Brice Matthieussent Transcription : Emily King Assistants : Scott Vander Zee, Charlotte Gubler Management : Claire Sexton, Gabriel Einsohn Impression Offset : Atlantic Color Corp. Shirley, NY «Day After Reading» est soutenu par la Fondation Jan Michalski. Swissnex San Francisco l’Ambassade des États-Unis à Berne En collaboration avec Le Temps, Swiss International Airlines, Radio Télevision Suisse RTS Partenaire institutionel : Festival Images Vevey


DAY AFTER READING à New York, NY

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6 — 11 SEPTEMBRE 2016

JAYNE CHU EST DIRECTRICE DE DÉVELOPPEMENT À NATIONAL CARES, ASSOCIATION D’AIDE À LA JEUNESSE. 8 SEPTEMBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Jayne Chu ARTICLES

EXPERTISE

cooptés par d’autres acteurs impliqués dans les problèmes de justice sociale. Vous avez déjà travaillé en milieu carcéral. Comment consomme-t-on les médias en prison ? D’après mon expérience, ces gens ont accès aux informations. La prison où j’ai travaillé accueillait des femmes originaires d’une vaste région. Elles voulaient absolument recevoir des nouvelles locales de la ville dont elles venaient. Elles se méfiaient aussi de ces informations. Car seules les autorités les délivraient.

CHINATOWN EST [LES MÉDIAS] LE MICROCOSME SONT D’APRÈS DE TOUT CE QUI MOI LE SE PASSE MEILLEUR ACTUELLEMENT MOYEN DE À NEW YORK. ­RÉUNIR LES GENS ÉLECTIONS Quelle est la première information AUTOUR D’UN que vous vous souvenez d’avoir lue / PROBLÈME. EN CHINE, NOUS entendue / regardée ? J’ai un souvenir marquant du massacre AVONS SEULEde la place Tiananmen quand j’étais en- Vous travaillez beaucoup pour la fant. Je me rappelle que c’était très im- justice sociale. Quel est le rôle des MENT LES portant pour une raison que je ne com- médias dans votre approche de la prenais pas. Quand je suis rentrée à la justice sociale ? ­INFORMATIONS Ils jouent un rôle crucial. Sans ce que maison, mes parents regardaient les informations, ce qu’ils ne faisaient jamais. j’appelle « l’adhésion », ce que d’autres DES AUTORITÉS. La télé diffusait en boucle les célèbres appellent « l’implication des gens », notre

images des tanks rejoignant la place ­Tiananmen. Le lendemain, la première chose que nous avons faite a été d’acheter tous les journaux. Je fréquentais une école surtout américaine où j’étais la seule jeune Chinoise ou presque. L’une de mes professeurs m’a abordée pour me dire : « Je suis vraiment désolée », comme s’il venait de se passer une chose horrible. Je me suis sentie bizarre toute la journée. Avez-vous regardé les informations télévisées hier ? Oui. Je suis allée voir ma mère, qui ­regardait la télé. Une fois de plus, les élections étaient omniprésentes. C’était une de ces enquêtes qui se font de plus en plus pour savoir si les candidats sont sincères. C’est très intéressant, car je venais de lire dans Mother Jones qu’Hillary Clinton est soi-disant l’un des candidats les plus sincères, alors la voir parler de sa sincérité dans un reportage télé m’a semblé complètement absurde. Comme s’il existait deux univers parallèles. Nous sommes à Chinatown. ­ Lisez-vous la presse locale ? Ici, je lis surtout les journaux chinois. Nous avons deux journaux chinois nationaux, qui parlent beaucoup de l’actualité américaine. Souvent, ils traduisent les articles américains en chinois, sans aucun ajustement particulier pour le public local. Regardez-vous d’abord les titres, les légendes ou les images ? Si c’est un journal américain, je lis d’abord les gros titres. Très souvent, ces titres sont drôles, piquants, et attirent l’attention. C’est un peu le contraire avec les journaux chinois. Ils n’obéissent pas à autant de contraintes graphiques pour les images. S’il y a un meurtre, ils montrent l’image du corps recouvert d’un drap. Si vous étiez journaliste, quel sujet couvririez-vous à Chinatown ? C’est un quartier très excitant. Chinatown est le microcosme de tout ce qui se passe actuellement à New York. Il y a tellement d’immigrants qui arrivent. Si l’on veut aborder n’importe quel sujet, on en trouve un exemple parfait à Chinatown : problèmes d’immigration ou de répartition des richesses, réforme de la justice, corruption, assassinats, mafia.

travail ne pourrait avoir le moindre impact, ni rencontrer la moindre approbation. Je crois que, si le mouvement Black Lives Matter a une telle visibilité, c’est parce qu’il sait partager les informations même sur les plates-formes des réseaux sociaux. Vous travaillez actuellement avec des jeunes de couleur. Que disent-ils des infos qu’ils lisent ? Travaillant surtout avec des enfants afro-américains, je crois que je deviens de plus en plus consciente des nombreuses manières dont les micro-agressions ou les préjugés les affectent. Par exemple, l’image du mouvement Black Lives Matter véhiculée dans les médias a parfois été jugée insultante par certains jeunes avec qui je travaille : la manière dont des mots ou des expressions ont été

et peut donc vous raconter tout ce qu’elle a envie de vous dire. Comment la presse chinoise couvre-t-elle les élections américaines ? Les examine-t-elle sous un autre angle ? Oui, c’est un angle beaucoup moins affectif. Quand la caméra filme le discours de Donald Trump ou de Hillary Clinton, elle prend son temps, elle laisse les mots des deux candidats parler pour euxmêmes, et la traduction figure parfois en bas de l’image. Il y a moins d’interprétation et aussi moins de relations privilégiées, car le reporter qui couvre l’événement n’est pas le même que la fois précédente. Ce n’est pas un correspondant politique, mais un simple reporter. C’est donc plus neutre ? En Chine, nous avons seulement les informations des autorités. Nous sommes programmés pour recevoir les infos du gouvernement, des agences de presse, puis de la personne qui les délivre. Nous n’avons pas l’habitude d’interroger les sources. Je crois que les nouvelles essaient de refléter ce fonctionnement quand elles s’adressent aux populations d’immigrants : on se contente de lire les nouvelles sans en donner la moindre interprétation. Les journaux chinois ont-ils une conception différente de la fiction opposée à la non-fiction ? Il y a beaucoup de reportages conçus pour influencer le comportement des gens. Il existe une série télé chinoise très populaire et, dès qu’il y a un risque d’agitation sociale en Chine, le gouvernement rediffuse cette série télé en guise de distraction.

Selon vous, les médias couvrent-ils correctement les élections présidentielles de 2016 ? Je trouve leur couverture assez déplorable. Un des grands problèmes, c’est toutes ces choses dont ils parlent pour sans cesse combler le vide. Ils doivent créer quelque chose à partir de pas grand-chose. Il y a beaucoup de blancs à remplir. Et beaucoup d’endroits où placer ces récits. Les Américains sont très attirés par les personnalités dans les infos. Les gens vont regarder les informations de telle chaîne parce qu’ils ont l’impression d’avoir une relation forte avec la personne qui présente les infos. C’est étrange, car Comment selon vous les habitants de cela devient une relation privilégiée avec Chinatown consommeront-ils les cette personne qui a capté votre confiance informations à l’avenir ?

6 SEPTEMBRE 2016

AVENIR

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

9 SEPTEMBRE 2016

Je crois qu’il y a deux possibilités, mais les journaux chinois ont déjà choisi la voie des tabloïds. Ils aiment vraiment le sensationnalisme. Il me semble que notre manière de traiter les informations devient de plus en plus sensationnelle, mais avec un faux respect pour l’actualité et « la vérité des problèmes ». Selon un des articles que j’ai lus aujourd’hui, l’homme qui posait des questions durant les débats présidentiels n’était pas aussi bon qu’il aurait dû l’être. Aujourd’hui, on lit donc des informations sur les informations. L’information devrait-elle être gratuite ? Oui, elle devrait l’être. Je crois aussi qu’il devrait exister une institution, comme à la BBC, régulant toutes les nouvelles et édictant un certain nombre de règles. D’après moi, l’absence d’une telle institution en Amérique aboutit à une ­dérive folle des infos. Mon travail m’a amenée à voyager un peu en Amérique et à comprendre que les médias auxquels les gens ont accès définissent ce qu’ils pensent. Mais cet ­accès est entièrement défini par leur ­s­tatut socio-économique. Avez-vous déjà rêvé d’une information ? J’ai fait des cauchemars à cause de reportages que j’ai vus. Je crois que pour moi les images sont très fortes, et souvent, surtout quand on est enfant, on ­regarde les infos, il fait nuit, puis on va se coucher, et ces nouvelles m’ont fait une très forte impression.

Jayne Chu Réside à New York depuis 1979 ; • Âge : 37 ans • Temps moyen de lecture quotidienne de la presse : trente minutes. • Médias régulièrement consultés : The Guardian, Le New York Times, Libération.

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Jibril Mohammed

Felicia Taylor

« Je rêve de nouvelles audacieuses et indépendantes. »

« Si je suis démocrate ou républicaine, cela va-t-il influer sur ma manière de présenter le journal ? J’espère non. »

COPROPRIÉTAIRE DE LA LIBRAIRIE RESPECT FOR LIFE, CROWN HEIGHTS.

ANCIENNE PRÉSENTATRICE DES INFORMATIONS TÉLÉVISÉES.


DAY AFTER READING à Philadelphie, PA

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PHILIP BRANDT EST AVOCAT D’AFFAIRES EN SEMI-RETRAITE, CO-FONDATEUR DE LIPSKY AND BRANDT. 14 SEPTEMBRE 2016

Philip Brandt Quelle est la première information que vous vous souvenez d’avoir lue / entendue / regardée ? La première nouvelle que j’ai entendue – la télévision n’existait pas à l’époque – ma mère pleurait –, c’était le décès de Franklin Roosevelt en 1945. Lisez-vous les nouvelles liées aux affaires juridiques ? Il y a un journal, The Legal Intelligencer, publié par une petite maison d’éditions et vendu à tous les hommes de loi de la ­région de Philadelphie, qui vous dit si une affaire va passer au tribunal et qui publie aussi les affaires intéressantes. Avez-vous déjà figuré dans ce journal ? Il y a de nombreuses années, j’ai reçu un coup de fil m’informant qu’ils enquêtaient sur les honoraires juridiques des avocats de banlieue pour une affaire sur laquelle je travaillais et qu’ils voulaient connaître mon avis sur ces honoraires. J’ai parlé un moment avec les journalistes. Le lendemain matin, j’ai acheté ce journal, The Sunday Inquirer, et lu cet ­article en page une sur les honoraires ­juridiques ; je lis le deuxième et le troisième paragraphes, puis me tourne vers ma femme : C’est ce que je leur ai dit, mot pour mot. Le journaliste avait sans doute enregistré toutes mes paroles à mon insu. Mais mon nom n’apparaissait nulle part page une. J’ai continué page 17, l’article occupait huit longues colonnes et dans la septième, près de la fin, mon nom était enfin mentionné. Mais c’était un article si terne que personne ne le lut sans doute jusque-là.

EXPERTISE DEPUIS UNE ­DIZAINE ­D’ANNÉES ON N’IMPRIME PLUS LE MOINDRE ­MANUEL ­J­URIDIQUE. Comment interprétez-vous les médias en tant qu’homme de loi, et non en simple citoyen américain ? Votre profession vous fait-elle lire les informations différemment ? Je crois pouvoir lire les nouvelles plus intelligemment. Un de mes anciens ­camarades de classe fait partie de la Cour Suprême. Quand je lis les décisions de cette Cour, je les lis très attentivement et je les comprends mieux que n’importe qui. D’habitude, je sais comment les membres de la Cour Suprême vont voter avant même que vous n’entendiez parler du vote en question. Mais je ne crois pas que ma formation juridique modifie ma manière de regarder les informations. Je crois que je les regarde comme un médecin peut les regarder, ou n’importe quel individu éduqué.

La Cour Suprême s’est beaucoup politisée depuis un demi-siècle. Comment est-ce arrivé ? Lors des élections de 2000, Bush contre Gore, le président des Etats-Unis fut choisi, non par le pays, mais par neuf personnes. Mon camarade de classe faisait partie de ces neuf. Même chose avec la politisation du Congrès. Dans les années cinquante, le parti démocrate avait une orientation de gauche dans le nord-est, et les citoyens les plus conservateurs du pays étaient les démocrates du sud. À cause de la guerre de Sécession, ils ne votaient jamais républicain. Quand j’ai grandi dans les a­ nnées cinquante et soixante, les deux partis étaient incroyablement divisés, la plupart des votes étaient décidés par les républicains et les démocrates libéraux contre les républicains conservateurs – puis, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix le Sud est devenu républicain. Voilà pourquoi le pays est si politisé : les partis sont maintenant démocrates – tous libéraux, les républicains – tous conservateurs. Les journalistes sont-ils importants pour le système juridique ? Oui. Mais les journalistes sont encore plus importants pour le système politique. Pourquoi l’affaire O.J. Simpson a-t-elle autant mobilisé l’attention du public ? O.J. Simpson était un grand joueur de football, dont j’ai suivi la carrière, et ce fut une affaire passionnante. Selon moi, il était manifestement coupable. ­Savez-vous pourquoi O.J. Simpson a été innocenté ? L’accusation a commis une erreur terrible. On a dépaysé le dossier depuis la banlieue blanche où le meurtre avait eu lieu, vers la ville, et le jury a été composé de dix minorités plus deux Blancs. Ces minorités croyaient avoir été persécutées dans certaines affaires, et dans l’ensemble elles avaient raison. Pour elles, il était hors de question de laisser l’homme blanc condamner leur héros, O.J. Simpson. D’après moi, tout a été décidé par le jury. La présence de caméras dans l’enceinte du tribunal a-t-elle modifié l’issue du procès ? Je crois que les médias ont pesé sur la mise en scène, les avocats ont multiplié les effets de manche, etc. Il me semble néanmoins, mais je peux me tromper, que l’issue aurait été la même dans tous les cas de figure. Je crois qu’à cause de la composition du jury, il aurait de toute façon été acquitté. Mais selon moi, les médias ont sans doute aidé O.J. et peut-être accéléré la décision. Les avocats ont joué le jeu des médias. Le juge aussi.

ÉLECTIONS Quelle est la première élection américaine dont vous vous souvenez grâce à la presse ? Je connais en détail toutes les élections depuis 1948, quand mon père me dit : « Va te coucher, Dewey va gagner, tous les sondages concordent. » J’avais huit ans, je voulais veiller avec les adultes, écouter les résultats. Quand je me suis réveillé le lendemain matin, Truman avait gagné.

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Pat Feeney

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

ARTICLES

12 SEPTEMBRE 2016

11 — 17 SEPTEMBRE 2016

Quand le Chicago Tribune publia, « Dewey élu », ce fut l’un des gros titres les plus ­célèbres, bien qu’entièrement faux. L’Institut Gallup s’était planté : Dewey était censé gagner haut la main. Comment, selon vous, la couverture des élections a changé au fil du temps ? La couverture de l’élection est aussi ­clivée que lorsqu’on dit que la Cour ­Suprême est clivée, ou que nos deux partis sont clivés. Les chaînes aussi sont contrastées : MSNBC a un net penchant libéral. Quand Fox News répète sans arrêt qu’ils sont « égaux et justes », c’est du flan, ils le crient trop sur les toits pour être vraiment honnêtes.

« [Donald Trump est] Johnny Rotten des Sex Pistols, car il est pourri. » PROPRIÉTAIRE DE MAIN STREET MUSIC À MANAYUNK, PA.

AVENIR LE FUTUR ­PRÉSIDENT DES ETATS-UNIS, QUEL QU’IL SOIT, NE MODIFIERA EN RIEN MA VIE. Les informations juridiques publiques seront-elles diffusées différemment à l’avenir ? Tout se fait déjà en ligne. Si vous avez déjà vu des avocats à la télévision, avezvous remarqué derrière eux les rangées de livres de droit ? Tous ces manuels sont obsolètes depuis vingt ans. Pouvez-vous imaginer les Etats-Unis sans président ? Le chef est important. Quand le Japon a bombardé Pearl Harbor, il fallait de toute évidence un président, Roosevelt, pour rassembler le pays ; après le 11-Septembre, le pays s’est à nouveau uni ; quand Kennedy a été assassiné, le pays s’est aussi rassemblé et a soutenu Lyndon Johnson pour devenir le président suivant. Si une catastrophe se produisait aux Etats-Unis, les deux partis s’affronteraient sans pitié, mais nous nous rassemblerions sans doute. On peut seulement constater qu’ils sont incapables de s’accorder en des temps moins dramatiques. Avez-vous déjà rêvé des informations ? Je ne crois pas que les informations me fassent rêver. Le futur président des Etats-Unis, quel qu’il soit, ne modifiera en rien ma vie. Le maire de Philadelphie a davantage d’impact sur mon quotidien que le président des Etats-Unis. Mais beaucoup plus de gens votent pour le président que pour le maire.

Philip Brandt • Habite Philadelphie depuis 1939 • Âge : 76 ans. • Temps moyen de lecture quotidienne de la presse : entre une et trois heures. • Médias régulièrement consultés : The Philadelphia Inquirer Philip Brandt est avocat d’affaires en semi-retraite. Il a obtenu sa licence d’expert-comptable à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie en 1961 et son diplôme de la Harvard Law School en 1964. Il a travaillé pour deux cabinets juridiques avant de fonder le sien, Lipsky and Brandt en 1982.

16 SEPTEMBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Abby Moore

« La technologie se dirige sans doute vers l’intégration biologique. » ETUDIANT EN MÉDIAS À TEMPLE UNIVERSITY.

17 SEPTEMBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Christopher DiGeorge

« Je me nourris constamment d’informations sur l’actualité de l’immobilier pour chercher de nouveaux quartiers. » ENTREPRENEUR & HOMME D’AFFAIRES.


DAY AFTER READING à Detroit, MI

4

18 — 25 OCTOBRE 2016

SATORI SHAKOOR EST UNE CONTEUSE DE DETROIT. FONDATRICE DE LA SECRET SOCIETY OF TWISTED STORYTELLERS. 19 SEPTEMBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Satori Shakoor ARTICLES

EXPERTISE

ÉLECTIONS

LES JOURNAUX L’ÉCOUTE EST UN CELUI QUI ET LA ACTE RÉVOLU­RACONTE LA ­TÉLÉVISION TIONNAIRE. MEILLEURE ÉNONÇAIENT LE ELLE PERMET ­HISTOIRE POSPOINT DE VUE À AUTRUI SÈDE LE MONDE. D’UNE SEULE D’EXISTER. Comment la presse a-t-elle rapporté la visite de Trump dans une église noire RACE. Qu’est-ce qu’un bon conteur ? de Detroit la semaine dernière ? Quand pour la première fois les informations ont-elles eu un réel impact sur vous ? Les infos sont toujours un après-coup. Les émeutes de 1967 – j’y ai assisté de chez moi, j’ai vu ce que j’ai vu et les infos ont raconté ce qu’elles voulaient. Parfois, ce que j’ai vu différait de ce qu’elles racontaient. J’ai cru que la Garde Nationale était ­venue nous protéger, alors qu’en fait elle était là pour nous empêcher de sortir. Nous imposer le couvre-feu. Etant afro-américaine, je remarquais que les journalistes interprétaient les événements du point de vue des Blancs. Même les manuels scolaires laissent de côté l’histoire afro-américaine et l’esclavage. J’occupais en quelque sorte ce monde blanc dans une autre réalité. Les journaux et la télé parlaient au nom d’une seule race. Si vous étiez journaliste, comment vous y prendriez-vous ? J’admire les journalistes, car ils réussissent à se placer dans un espace objectif, même si je sais que c’est illusoire, mais ils investissent cet espace d’où ils perçoivent le monde et en parlent. Journaliste, je crois que je ferais ce que j’ai fait à Los Angeles durant les émeutes provoquées par le tabassage de Rodney King. Je suis une artiste, et nous sommes allés à South Central interviewer les ­Coréens, les Blacks, la Garde Nationale, la police, les propriétaires de magasins : tous désiraient parler, car ils étaient traumatisés. Aujourd’hui j’irais interviewer tout le monde. Ce qui m’intéresse, c’est que les gens disent leur vérité. Il faut réunir les récits de tout le monde pour aboutir à une vérité approximative. À propos des Afro-Américains, à L.A. par exemple, quand j’ai assisté à ces émeutes, j’ai interviewé des Coréens, qui m’ont dit : « Le seul contact qu’on ait ­jamais eu avec des Noirs, c’est les films de Tarzan, où les Noirs étaient des sauvages. » Ils arrivent à South Central, la jeune fille entre dans le magasin, choisit une boisson à l’orange et se fait abattre –, parce que c’est une sauvage, parce que l’histoire le dit. Ce sont toutes ces histoires qui définissent notre version de la réalité d’une personne. Ça devient une vérité à vérifier plus tard.

Un bon conteur fournit des images à son auditoire, des images qui permettent au public d’interagir avec l’histoire. Quelle odeur régnait dans la chambre ? Qu’a-t-on vu ? Quand on dit, « J’ai écarté les buissons », tous les membres du public doivent écarter les buissons. En quoi le conte est-il supérieur aux informations ? Le conte est une thérapie douce. Nous désirons guérir les gens et je crois que le conte est le système de distribution le plus efficace d’informations et d’idées. Les mots ont un pouvoir émotionnel. C’est le niveau le plus élevé de leadership : employer les mots pour pousser autrui à agir ou modifier sa pensée. Y a-t-il des similitudes entre le présentateur TV et le conteur ? Peut-être aujourd’hui. Mais autrefois ils étaient en costume cravate, avec une voix bien particulière. Ils s’exprimaient avec autorité, mais parfois ils craquaient en direct. C’est le moment où tout le monde se fige pour voir le professionnel redevenir humain. Le professionnalisme est une sorte d’oppression. En quoi le public de la télé diffère-t-il de celui d’un conte ? Dans l’environnement socio-médiatique actuel nous regardons souvent les infos tout seuls. D’habitude on n’est pas dans le public. Je crois que l’aspect social de la diffusion des infos est très puissant. Quand on voit des centaines d’images de policiers tuant des Noirs, on n’en peut plus, mais pendant des années, je m’en souviens, dans le Phil Donahue Show ou l’Oprah Winfrey Show on entendait parfois un Noir dire, « Sans aucune raison valable la police m’a dit de m’arrêter et elle m’a tabassée ». Mais le public protestait : « Non, c’est faux, vous aviez sans doute fait quelque chose de mal. » Tous les gens dotés d’un téléphone créent leurs propres infos. Vous avez fondé la Secret Society of Twisted Storytellers (Société secrète des conteurs tordus) à Detroit. Comment en avez-vous eu l’idée ? Cette idée m’est venue en 2012. Comme tout le monde, j’avais souffert du krach de Wall Street. Je racontais une histoire au Moth de Boston et ça m’a frappée de plein fouet : « Ouah, tout le monde devrait vivre cette expérience : raconter une histoire à un public attentif. » L’écoute est un acte révolutionnaire. Elle permet à autrui d’exister. J’ai pensé, je vais me servir du conte pour connecter les habitants de Detroit. Créons une société où les gens peuvent en entendre d’autres, applaudir leurs récits intimes plutôt que s’en ­moquer.

Les stations afro-américaines disaient : « N’y allez pas. Ce sera notre façon de protester. Ne mettez pas les pieds à l’église. » Mais une fois qu’on bien tapé sur Trump, il devient une sorte de perdant. Il produit le meilleur reality show du monde. Trump est-il un bon conteur ? C’est un grand vantard. Il dit des trucs comme, « Je serai le meilleur président ! » Il doit ensuite fabriquer son histoire à partir de ça. Je crois que Trump raconte un récit fantastique. Il tombe à pic en ce moment précis de l’histoire, car aux Etats-Unis nous n’avons pas parlé de race. Pas vraiment. Pas ensemble. Pas en tant que nation. Y a-t-il trop de storytelling dans la politique américaine, et pas assez de politique ? Les élections sont biaisées, calibrées pour les masses qui veulent s’amuser. C’est comme les émissions sur les grossesses des stars. Celui qui raconte la meilleure histoire possède le monde. Quand dans l’isoloir je voterai pour Hillary, j’essaierai vraiment de sauver le monde.

AVENIR D’après vous, comment consommera-t-on les informations dans le futur ? Je crois que nous allons nous en lasser et que, dans tous les cas, tant que nous serons des êtres humains, la tradition orale sera la plus forte. Les êtres humains assimilent leurs expériences à travers des histoires. Pouvez-vous nous raconter une histoire liée aux infos ? En 2011, quand Wall Street s’effondrait, j’étais assise sur mon canapé. Stressée, je zappais entre les chaînes : CNN, Fox News, MSNBC. Alors je me demande : « Le Congrès va-t-il voter pour prolonger mon chômage ? » Je suis au milieu des cartons : je déménage la semaine suivante pour m’installer dans l’unique chambre de ma sœur et j’essaie d’imaginer comment trouver de l’argent pour payer un déménageur et un gardemeubles. J’avise alors à la télé la grosse bouille rouge de Mitch McConnell parlant des chômeurs en fin de droits : « Ils refusent de travailler, ils ne veulent pas d’emploi, ce sont des feignants. » Et je me dis : Des feignants ?! Qui ne veulent pas d’emploi ?! Moi je veux ton boulot. Tu t’apprêtes à te mettre au vert après avoir rien foutu depuis la dernière fois que tu t’es mis au vert après avoir rien foutu – et tu me traites de feignante ? Alors je repense à tous les boulots que j’ai

faits jusqu’à aujourd’hui, je bondis sur chain président des Etats-Unis. Je vais mes pieds et braille : « Vote ! Contre tous voter contre Donald Trump pour sauver ces Mitch constipés ! » M’entendant dire le monde. ça, je pense : « Je ne permettrai jamais au Congrès ni à n’importe qui de me dicter mon bonheur ni ma vie. » Rêvez-vous parfois des infos ? Trayvon Martin et O.J. Simpson – ces procès que nous voyons tous les jours – j’ai vécu avec. Je me suis identifiée à sa maman. Ecouter les jurés, découvrir le Satori Shakoor verdict, ç’a été bouleversant. J’ai voté pour Bernie aux primaires. Je Réside à Detroit depuis 1955 ; • Âge : 61 ans Temps moyen de lecture quotidienne de la n’ai rien contre Hillary, mais Bernie •presse : 2 heures. s’adressait à mes convictions de gauche. • Médias régulièrement consultés : En fait, je ne vais pas voter pour le pro- MSNBC and Real Time with Bill Maher

22 SEPTEMBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Marsha Philpot

« On qualifie volontiers les premiers temps de Detroit comme l’Âge d’Or, sans gens de couleur. » ECRIVAIN

21 SEPTEMBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Elisabeth Knibbe

« Nous ne regardons plus Detroit comme un moribond, mais comme un squelette – on se demande à quoi ça peut bien ressembler. » ARCHITECTE


DAY AFTER READING à Chicago, IL

5

25 SEPTEMBRE — 2 OCTOBRE 2016

MAX TEMKIN EST CO-FONDATEUR DE CARDS AGAINST HUMANITY. IL A TRAVAILLÉ À LA CONCEPTION DE LA CAMPAGNE DE BARACK OBAMA EN 2008 ET IL LÈVE DES FONDS POUR L’ACTUELLE CAMPAGNE D’HILLARY CLINTON. 28 SEPTEMBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Max Temkin ARTICLES Quelle est la première information que vous vous souvenez d’avoir lue / entendue / regardée ? La première élection présidentielle dont je me souviens est celle de 2000, Gore contre Bush. J’étais en cinquième, en cours d’Education Civique, où l’on apprend comment fonctionne le gouvernement, ce qu’est la constitution, comment on élit un président. Bien que Gore ait obtenu la majorité des suffrages populaires, ce qui aurait dû lui assurer d’être élu, la Cour Suprême a pris cette décision célèbre de choisir Bush. J’étais gamin et ça m’a explosé la tête. Je n’arrivais pas à croire que cette élection avait foiré. Je n’arrivais pas à croire à la pauvreté de la couverture médiatique, à la décomposition des médias qui dépassait la caricature de ces deux types pour montrer un système à bout de souffle. C’était un de ces moments où l’on est à l’école pour apprendre comment le pays est supposé fonctionner, mais on constate que ça ne marche pas comme ça. Quelque chose s’est cassé dans mon esprit. Si aujourd’hui vous étiez journaliste, comment couvririez-vous l’événement ? Pour prendre un peu de recul par rapport à Trump contre Clinton, je crois que le vrai problème de la démocratie dans l’Amérique d’aujourd’hui, c’est l’influence de l’argent sur la politique. Il détermine les problèmes dont vous pouvez parler. Il détermine qui peut être élu.

EXPERTISE J’ai vu qu’hier vous avez fait un panneau d’affichage anti-Trump. Comment en avez-vous eu l’idée ? Ma compagnie Cards Against Humanity

2 OCTOBRE 2016

est une compagnie de théâtre. Par le passé nous sommes presque toujours restés à l’écart de la politique américaine, mais nous avons l’impression que cette élection est différente. Ses enjeux dépassent l’opposition entre gauche et droite. Il existe des valeurs américaines fondamentales dont nous décidons : le respect de la loi, la liberté de parole, l’égalité devant la loi, s’il est constitutionnel ou non de déporter des gens pour des raisons ­religieuses ou ethniques. Nous avons créé un super comité d’action politique appelé Nuisance Committee. Nous essayons d’aborder quelques-uns de ces problèmes très compliqués que certains Américains trouvent ennuyeux, et nous essayons d’y mettre un peu d’humour pour que les gens y réfléchissent. Sur le panneau d’affichage que nous avons acheté, on lit : SI TRUMP EST ­RICHISSIME, POURQUOI N’A-T-IL PAS ACHETE CE PANNEAU ? En quoi consiste le jeu Cards Against Humanity ? Nous le surnommons « un jeu de société pour les affreux ». On y utilise le langage de manière ludique. On y joue entre amis et quelqu’un devient le juge. On pose une question ou on écrit une expression à trou sur une carte noire, puis les autres joueurs proposent une réponse drôle sur une carte blanche, et le but du jeu consiste à faire rire le juge. L’idée de ce jeu vous a-t-elle été en partie inspirée par les « cadavres exquis » surréalistes d’André Breton ? Oui, cette idée surréaliste consistant à détourner le langage lié à la politique. Nous avons créé ce jeu à la toute fin du mandat de George W. Bush, quand l’Amérique entière avait le sentiment que les faits et le langage s’étaient dissociés – les faits n’avaient plus d’importance, le langage ne signifiait plus rien. Les puissants pouvaient dire n’importe quoi et le rendre vrai parce qu’ils l’avaient dit. Il y a

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

quelque chose de très subversif et poliHillary est une actrice nulle. De son tique quand on réagit au climat politique propre aveu, elle n’est pas bonne dans la en demandant : « Pourquoi ne pas dé- course aux responsabilités. Quand elle truire entièrement le langage ? » postule à un poste, les gens ne l’aiment pas. Je crois que la politique américaine inclut une misogynie très ancrée, qui explique la réaction des gens. Mais quand Hillary gouverne, les gens l’adorent. Dans cette élection, Trump est sans conteste le meilleur acteur. Ce n’est pas un acteur très subtil, plutôt un bouffon caricatural. Il aime les grosses ficelles, les effets énormes. Comment vos connaissances dans la conception des jeux vous aident-elles à travailler pendant une campagne électorale ? Mon apprentissage de la politique m’aide à concevoir des jeux. En politique, il faut aborder des sujets complexes et les expliquer en vingt secondes à de comPour certains journalistes, Hillary et plets abrutis. Il est très difficile de distiller ces potions amères pour en faire des Trump sont complètement friandises adaptées au palais d’un public déconnectés de la réalité, un peu idiot. comme dans Huis Clos, la pièce de Sartre. Comment les personnages de Trump et de Hillary peuvent-ils évoluer ? Dans une campagne électorale, chaque candidat met toujours en scène une histoire. On transforme l’élection en pièce de théâtre, on essaie de convaincre les gens d’embarquer à bord de votre histoire. Et l’adversaire raconte une histoire différente. Dans le cas présent, Hillary dit : « Hé, ça ne va pas si mal, la criminalité est en baisse, l’économie se porte beaucoup mieux depuis 2008. » Puis c’est à Trump de parler : « Nous vivons dans un enfer in- Quel est le nom de votre prochain jeu ? supportable, l’Amérique s’effondre, les Le jeu que je viens de publier s’appelle villes s’écroulent. » Trump a dit lors d’un Secret Hitler. Il raconte l’accession d’un débat que Chicago était l’enfer, qu’on ne fasciste au pouvoir dans une démocratie. peut pas marcher dans la rue sans se faire J’ai trouvé que c’était cohérent avec ces agresser. Mais nous venons d’acheter un élections. café et des beignets, et nous avons survécu. Quel avenir pour les campagnes Qui est le meilleur acteur, Hillary ou électorales ? Trump ?

ÉLECTIONS

DANS CETTE ÉLECTION ­TRUMP EST SANS CONTESTE LE MEILLEUR ­ACTEUR.

30 SEPTEMBRE 2016

AVENIR

TOUTES LES CAMPAGNES SONT DES ­FICTIONS.

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

29 SEPTEMBRE 2016

Je crois que nous avons vu un truc vraiment excitant lors du premier débat présidentiel. Trump a beaucoup menti. C’est une stratégie fasciste classique : déformer la réalité au point que la seule chose à laquelle on puisse croire est la force du type qui débite ces mensonges. À un moment, Hillary a dit : « Je ne peux pas tenir le compte de tous les mensonges énoncés par Trump, mais si vous consultez hillaryclinton.com, mon site web, vous verrez que nous vérifions toutes les allégations de ce débat. » Cela nous permet d’entrevoir la nature des futures campagnes : interpeller directement l’électeur en lui disant : Fais ça ! » Apparemment les gens apprécient qu’on vérifie les faits, mais d’un autre côté nous assistons aussi à une campagne presque fictionnelle. Pouvez-vous imaginer une campagne entièrement fictionnelle ? Toutes les campagnes sont des fictions. Hillary désire évoquer les faits qui la confortent et passer sous silence ceux qui la contredisent. Mais Trump ment sur tout. Il y a une réalité objective. Il ne s’agit pas seulement de deux types d’histoires. Avez-vous déjà rêvé des informations ? Absolument. J’ai fait de nombreux cauchemars où figurait Donald Trump. Il jouait le rôle d’une petite frappe de mon passé, il me criait dessus. Il fait vraiment peur à une partie de moi-même. C’est un gros salopard.

Max Temkin • Réside à Chicago depuis 2010; • Âge : 29 ans. • Temps moyen de lecture quotidienne de la presse : entre 2 et 4 heures. • Sources : Twitter, The Washington Post, NPR.

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Genevieve Lakier

Adam Hecktman

Tanner Woodford

« Tout code numérique est discours. »

« Je peux vous raconter une histoire à partir de données avérées qui sera peut-être un récit entièrement erroné. »

« Qui dit que le papier ne pourra pas inclure des informations numériques susceptibles de changer ? »

PROFESSEUR ASSISTANTE EN DROIT, UNIVERSITÉ DE CHICAGO.

CO-FONDATEUR DU DATA USERS GROUP DE CHICAGO ET DIRECTEUR DE TECHNOLOGY AND CIVIC ENGAGEMENT CHEZ MICROSOFT À CHICAGO.

DIRECTEUR DU MUSÉE DU DESIGN DE CHICAGO.


DAY AFTER READING à Nashville, IL

6

3 — 6 OCTOBRE 2016

JESSE LEE JAMES EST UN CHANTEUR COUNTRY, PROPRIÉTAIRE DU ROBERT’S WESTERN WORLD À NASHVILLE. NÉ AU BRÉSIL IL ARRIVA EN AMÉRIQUE EN 1984. SON GROUPE S’APPELLE LES BRAZILBILLIES. 5 OCTOBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Jesse Lee Jones ARTICLES Quand vous étiez enfant à Sao Polo, quels articles lisiez-vous sur l’Amérique ? Eh bien, vous savez, l’Amérique est le pays de Cocagne. L’Amérique est la terre promise. Voilà ce que Hollywood me serinait inlassablement. En tant qu’étranger ayant grandi dans un autre pays, j’ai cette image de l’Amérique. Quand vous êtes arrivé aux Etats-Unis en 1984, la réalité du pays a-t-elle confirmé vos attentes ? Quand j’ai débarqué ici, mon tout premier jour à Miami, j’ai été dévalisé. Apparemment je n’avais pas trouvé la terre promise. J’ai eu une peur bleue. J’ai attendu que Starsky et Hutch se pointent – une grosse bagnole de luxe, une course-poursuite avec la police, ce genre de choses. Mais ma vie ici n’a pas commencé ainsi. Quelles sont les premières informations que vous avez lues en Amérique ? C’était difficile car je ne parlais pas anglais. Je crois que Sesame Street a été mon premier média. C’est Grover, dans Sesame Street, qui m’a appris « near and far » (près et loin). Mes débuts ont été ardus à cause de mon incapacité à parler cette langue, même si je distribuais les journaux – The Chicago Tribune et USA Today à Peoria, dans l’Illinois. Avez-vous essayé de lire les journaux que vous distribuiez ? Oui, les gros titres. Je me souviens que Ronald Reagan était président à l’époque. J’aimais beaucoup Reagan. Il comprenait les médias parce qu’il était une star de ­cinéma.

EXPERTISE À DIRE VRAI, SANS LES ­MÉDIAS ON NE PEUT PAS FAIRE GRANDCHOSE – DE BIEN OU DE MAL. Pourquoi Nashville est-elle devenue la Mecque de la musique country ? Il existe dans le Tennessee une petite ville nommée Bristol. C’est là que la country a vraiment démarré. Mais Nashville est une plus grosse ville et on y a découvert la country. Avant qu’elle ne se répande dans le monde entier. Comment les médias ont-ils fait de Nashville le berceau mythique de la country ? Nous avons à Nashville le Grand Ole Opry – l’un des plus magnifiques spectacles de country au monde. Ils ont commencé par jouer du gospel et de la country sous des tentes. Ensuite, ils ont monté des spectacles en centre-ville au Ryman Auditorium, et c’est devenu la scène du Grand Ole Opry. Il y avait aussi une émission de radio Grand Ole Opry et au bout de plusieurs années tout ça a abouti à ce spectacle fabuleux. Dans les

années quarante et au début des années cinquante, les médias avaient beaucoup de pouvoir à Nashville. Ils essayaient de pousser une kyrielle de chanteurs country à faire du cinéma. Hollywood s’en est mêlé et on a eu droit à plein de westerns. Toutes les stations de radio ont aussi assuré la promotion de la musique country. Comme la télévision n’existait pas encore, beaucoup de gens s’asseyaient devant leur poste. À dire vrai, sans les médias on ne peut pas faire grand-chose – de bien ou de mal. Quand vous êtes arrivée à Nashville, avez-vous rencontré des stars de la country ? J’ai croisé Johnny Cash. J’étais à l’aéroport quand j’ai vu Johnny marcher droit sur moi, et j’ai eu la chair de poule. J’étais incapable de parler. Il marchait vraiment droit sur moi. Et moi je le regardais, de loin. Quel était l’engagement politique de Johnny Cash ? Johnny a toujours été un rebelle. Il a toujours écrit des textes sur le sort des pauvres et des paysans, tout en abordant certains sujets controversés. Je crois que ça lui a ouvert de nombreuses portes. Pendant la guerre du Golfe vous vous êtes produit devant les troupes. Ç’a été la première guerre réellement couverte par la télévision. Comment les soldats réagissaient-ils aux caméras ? C’était très intimidant, je n’ai jamais été dans une situation pareille, où l’on a six caméras braquées sur soi, en permanence, et des check points. Il y avait des journalistes partout. Je crois qu’eux s’en fichaient. Ils étaient occupés, concentrés sur leur boulot. Regardaient-ils à la télévision les nouvelles sur la guerre où ils étaient impliqués ? Oui, absolument. Beaucoup regardaient la télé en mangeant, je m’en sou-

5 OCTOBRE 2016

Quel rôle la country music a-t-elle joué durant les campagnes présidentielles ? Je sais que certains politiciens font appel à la country. D’habitude ils choisissent une chanson qui résonne avec un de leurs thèmes de campagne. Mitt ­Romney s’est servi d’une chanson country. Car c’est la musique des gens. Elle vient du cœur. Elle parle de la réalité. Mitt Romney a utilisé une chanson country traditionnelle parce qu’elle touche les gens. Comment les médias couvrent-ils l’actuelle élection ? Les médias font un boulot formidable pour couvrir ces élections. On entend ce qu’on a besoin d’entendre et ce qu’on n’a pas besoin d’entendre. C’est un juke-box qui joue en permanence la mauvaise chanson. Aujourd’hui la télévision est partout, les médias répercutent tout ce Vous avez participé à un chœur afroque disent les candidats. S’ils font une américain pour soutenir le révérend petite remarque en passant, les médias Jesse Jackson durant les élections peuvent en changer le sens, la gonfler présidentielles de 1988. Quels hors de proportion. Certains journaux souvenirs en gardez-vous ? soutiennent même l’un ou l’autre des Fantastique ! Vous savez quoi, ici dans candidats. Aujourd’hui, les médias euxmon garage j’ai une plaque minéralo- mêmes sont politisés. gique « Jesse 88 ». C’est l’année où Jesse Jackson a été candidat à la présidence. J’étais assez naïf à l’époque. Je me suis fait faire une plaque avec mon nom, Jesse et 88, parce que c’était 1988 et que je conduisais ma première Cadillac. Au volant sur la route, les gens me dépassaient tout le temps en klaxonnant et je me disais : « Quelle infraction ai-je donc commise ? » Je croyais qu’il y avait un problème. Ensuite je me disais : « C’est la voiture qui leur plaît. » Je me rappelle, un jour, je me suis garé, et puis des gens sont arrivés pour se faire photographier devant ma Quel est l’avenir des paroles des voiture, et j’ai pensé : « Bah, pourquoi chansons country ? Si la musique pas ? » Ils prenaient ces photos parce country parle de la réalité, que qu’ils croyaient que Jesse 88 était ma fa- deviendra cette musique quand notre çon de dire : « Jesse Jackson Président ». réalité changera inévitablement ? viens très bien. Il y avait sans arrêt des émissions en direct. Quelles chansons jouiez-vous pour les soldats ? Oh mon Dieu, la plus populaire était celle d’un chanteur country qui écrivit I’m Proud to be an American. On l’entendait partout, tout le temps. « Je suis fier d’être américain / Là où je sais au moins que je suis libre / Je ne peux pas oublier les hommes qui sont morts / Pour m’accorder cette fierté / Alors je me dresse avec joie / J’avance près de toi / Pour défendre aujourd’hui ma patrie / Car sans aucun doute / j’aime ce pays / Dieu bénisse les Etats-Unis. » Ouah ! Ce tube est sorti pile à l’époque où nous étions en guerre.

ÉLECTIONS

AVENIR

LES GENS VONT SE REMETTRE À DÉSIRER DES CHOSES PASSÉES.

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

5 OCTOBRE 2016

Il y a maintenant des jeunes qui écrivent et jouent une musique en phase avec les problèmes d’aujourd’hui. En concert, on n’a plus besoin d’explosions pyrotechniques. Johnny Cash arrivait sur scène avec sa guitare et un micro. Quel est l’avenir des journaux ? Il va arriver aux journaux ce qui arrive actuellement aux vinyles. Le propriétaire du magasin de disques d’Ernest Tubb est un excellent ami à moi. Ernest Tubb était une légende de la musique country. Le magasin périclite, car on peut télécharger la musique, qui dispensent d’acheter des cassettes ou des CD. Même le ­vinyle redevient à la mode. Voilà ce que j’espère : la musique va revenir, les paroles vont revenir, exactement comme le vinyle. L’évolution des médias est stupéfiante – toutes ces manières différentes d’obtenir des informations. Je crois que le média traditionnel – les journaux, la presse papier – sera toujours présent, car il y aura toujours des gens désireux de s’asseoir devant un café pour lire le journal. Pouvez-vous imaginer des journalistes devenant des musiciens country diffusant les nouvelles dans les paroles de leurs chansons ? Il y a plein de façons de diffuser les infos. Au début de l’empire romain, un type se pointait sur la grande place pour chanter les infos, parler de ce qui se passait – longtemps avant la radio. Formidable ! Rêvez-vous des informations ? Oui, ça dépend des infos. Si, avant d’aller se coucher, on voit un truc moche à la télé, alors on en rêve.

Jesse Lee James • Réside à Nashville depuis 1994 ; • Âge : 51 ans. • Temps moyen de lecture quotidienne de la presse : Une heure. • Médias régulièrement consultés : Fox, BBC, NPR.

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

David Kramer et Linda

John et Eileen Degan

« Fox News n’est qu’une machine politique déversant des tombereaux de propagande d’extrême-droite. Pareil avec talkradio – la radio de la haine. »

« La majorité des médias semblent tendre vers la gauche. »

FRÈRE ET SŒUR DURANT UN ROAD TRIP.

À LA RETRAITE.


DAY AFTER READING à Memphis, TN

7

BILL DRIES EST JOURNALISTE AU MEMPHIS DAILY NEWS. 7 OCTOBRE 2016

3 OCTOBRE 2016

Bill Dries Quel est le reportage le plus fameux que vous ayez jamais fait ? Le reportage qui a définitivement assuré ma réputation de journaliste évoquait la mort d’Elvis Presley en 1977. Je travaillais pour la radio. Pendant quatre jours Memphis est restée une ville morte. Tout le monde était en état de choc, même si nous savons aujourd’hui que la star avait quelques problèmes, tout le monde l’ignorait à l’époque. Nous n’avions pas autant de presse people qu’aujourd’hui. Comment avez-vous annoncé la mort d’Elvis Presley à la radio ? Ce qu’on apprend à faire, c’est à donner aux auditeurs l’impression de ce qui se passe. Il est superflu de s’impliquer à fond personnellement. Votre auditeur ne peut pas se rendre là-bas, alors il se demande : combien de gens y a-t-il ? Comment est la circulation ? Voilà ce qu’il faut dire aux gens, vous leur donnez une idée de l’événement. J’avais dix-huit ans à l’époque du décès d’Elvis. Dans quelle mesure la mort d’Elvis Presley a-t-elle modifié la perception qu’on a de Memphis ? Cette disparition a marqué l’image de la ville. Les gens nous connaissaient déjà à cause de Martin Luther King Jr., à cause de la musique soul et des disques Stax. Les gens savaient aussi que cette ville avait toujours constitué une sorte de ligne de fracture pour les relations interraciales dans ce pays. Ainsi, quand on veut savoir comment ça va dans le pays, il suffit de regarder ici, à Memphis, pour en avoir une bonne indication.

EXPERTISE AUJOURD’HUI ENCORE, NOUS PARLONS DE L’IMPACT QU’A EU ICI MARTIN LUTHER KING. Comment la couverture médiatique de l’assassinat de Martin Luther King a-t-elle changé Memphis ? Aujourd’hui encore, nous parlons de l’impact qu’a eu ici Martin Luther King lors de sa venue à Memphis il y a presque cinquante ans. Il est arrivé pour défendre une cause spécifique à Memphis – une grève des éboueurs. La vraie raison, c’était le traitement injuste infligé aux ouvriers noirs. Et aujourd’hui encore nous parlons de ces problèmes. La population de Memphis compte 63% de Noirs, et nous travaillons toujours pour régler des problèmes déjà présents quand Luther King est venu ici en 1968, et qui à mon avis persistent plus ou moins dans le reste du pays ; mais ici le débat est beaucoup plus vif, car c’est la ville où il est mort. L’impact de ce drame sur notre histoire et notre identité est incalculable.

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Ravi Pula

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

ARTICLES

7 — 10 OCTOBRE 2016

Quelle est la durée de vie d’un reportage ? Les nouvelles doivent être fraîches, non ? Selon certains, notre métier produit « le premier brouillon de l’histoire ». Le reportage à chaud interdit la vision à long terme. Mais si, jour après jour, semaine après semaine, on travaille sur le même sujet, alors on en a une vision élargie. Le Memphis Daily News est un journal très local. Quelle est l’importance des nouvelles locales ? Notre marché des médias locaux n’a jamais été aussi compétitif. J’exerce ce métier depuis quarante ans. J’ai travaillé dans les informations radio pendant vingt-deux ans avant de rejoindre la presse écrite en 1997. Tous les journaux locaux ne parlent pas exactement des mêmes choses. Nous nous retrouvons tous debout côte à côte aux mêmes conférences de presse, et nous écoutons les mêmes mots, mais chacun de nous perçoit les choses un peu différemment à cause de son expérience personnelle. Pourquoi êtes-vous passé de la radio à la presse écrite ? J’étais à peu près le dernier journaliste radio à aller dans la rue. Tous les autres travaillaient en studio et lisaient les nouvelles des agences. J’ai eu envie de voir si je pouvais travailler par écrit. Peu de professionnels ont réussi cette transition entre la radio et le journal. On utilise des muscles créatifs différents, spécifiques à chaque média. Un reportage radio se construit à partir d’extraits d’entretiens. Mais on ne peut pas écrire un article en enchaînant citation après citation. Quand j’étais à la radio, j’utilisais aussi beaucoup de ce que nous appelions « des sons d’ambiance ». Face à un incendie, je ne me contentais pas d’interroger le chef des pompiers sur le bâtiment en train de brûler, j’enregistrais aussi le son des lances d’incendie arrosant les murs ; les pompiers parlant sur leur walkie-talkie et brisant les fenêtres des maisons.

ÉLECTIONS

Que manque-t-il à l’actuelle couverture des élections ? Si vous étiez aujourd’hui journaliste chargé de la Maison Blanche, quelles pistes suivriez-vous ? Il est plus difficile de se faire une idée de l’identité réelle des candidats, il faut vraiment les observer de près pour y parvenir. Voilà l’élément manquant. Il est presque impossible de les voir en train d’être eux-mêmes, quand ils croient que personne ne les regarde, car tous les journalistes s’activent pour alimenter en permanence ce cycle des nouvelles en temps réel. Chaque candidat fait bien sûr des haltes non programmées. Il a envie d’aller manger dans un petit restaurant. Et il va évidemment y serrer des mains. Eh bien, on peut se faire une idée de la nature d’une campagne et des qualités humaines d’un candidat en regardant ces images à première vue parfaitement anodines.

AVENIR Le rôle du journaliste va-t-il changer ? On dirait aujourd’hui que tout le monde peut devenir journaliste sur les médias sociaux. Je trouve un nombre incroyable d’informations sur les médias sociaux. Si quelqu’un se spécialise dans un seul domaine sur son compte de médias sociaux – un mouvement bien précis ou un autre sujet –, il m’apprend énormément de choses. Nous avons eu ici quelques manifestations liées à Black Lives Matter, dont une qui a bloqué le pont sur le fleuve. Grâce aux réseaux sociaux, j’ai su ce qui se passait, et quand ça a chauffé. C’est devenu une source essentielle de la collecte d’informations. Ils font autant partie de mes outils de travail que le téléphone pour solliciter un entretien ou le compte-rendu d’une conférence de presse. Rêvez-vous des informations ? Voilà une question intéressante, mais non, mes rêves sont tout à fait normaux, inspirés par la vie réelle.

RÉCEPTIONNISTE AU TRAVELODGE.

9 OCTOBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Shannon Young

« Tout ce que vous lisez dans la presse quotidienne vous met en connexion avec le monde. » EX-PRISONIER

7 OCTOBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Rosalind Withers

LES CAMPAGNES ONT MAINTENANT LIEU EN TEMPS RÉEL. Quelle est l’innovation médiatique de cette campagne présidentielle ? Je crois que l’élément nouveau c’est que, lorsque vous prononcez un discours dans une ville de taille moyenne, cela peut devenir un événement national. Les responsables de campagne vont mettre ce discours sur leur site web. Ils vont le poster en direct sur Facebook, tout comme les médias. Les campagnes ont maintenant lieu en temps réel. Nous sommes passés de l’utilisation des médias sociaux pendant la campagne d’Obama en tant qu’outil d’organisation très efficace pour lever des fonds, aux médias sociaux produisant par euxmêmes et en temps réel la campagne.

« Les Indian News – Deck and Chronicle, Times Now – diffusent des rumeurs folles sur Trump, Hillary et Bill Clinton : de simples ragots. »

Bill Dries • Réside à Nashville depuis 1959 ; • Âge : 57 ans. • Temps moyen de lecture quotidienne de la presse : Quatre heures. • Médias régulièrement consultés : Twitter, The New York Times, local radio.

« Sans les images, le mouvement des droits civiques n’aurait pas été ce qu’il est.» FILLE DE ERNEST WITHERS, PHOTOGRAPHE DU MOUVEMENT DES DROITS CIVIQUES, DIRECTRICE EXÉCUTIVE DU FOND ERNEST WITHERS.


DAY AFTER READING à Dallas, TX

8

11 — 14 OCTOBRE 2016

JAYA DAVIS EST PROFESSEUR ASSISTANTE DANS LE DÉPARTEMENT DE CRIMINOLOGIE ET DE JUSTICE CRIMINELLE À L’UNIVERSITÉ DU TEXAS, ARLINGTON. 13 OCTOBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Jaya Davis ARTICLES LA DRAMATISATION DES CRIMES OPÉRÉE PAR LES MÉDIAS NE REFLÈTE PAS NOS STATISTIQUES. Qu’avez-vous lu / entendu / vu dans les nouvelles d’hier ? Il y a bien sûr beaucoup d’infos sur les élections. Hier, ce qui a vraiment dominé les nouvelles, ce sont les informations de plus en plus nombreuses qui sortent sur les privautés de Donald Trump avec certaines femmes. Avez-vous récemment suivi des affaires criminelles ? Le débat politique domine tout le reste depuis un moment, mais je suis la manière dont la réforme de la justice criminelle se traduit en lois. Comment les nouvelles que vous lisiez dans votre jeunesse ont-elles modelé votre perception du système juridique américain ? J’ai grandi dans un petit village de l’est du Texas ; la criminalité et la justice m’étaient alors entièrement étrangères. Je n’y pensais pas du tout. Quand j’ai eu une vingtaine d’années, j’ai commencé à réfléchir pour de bon à l’influence de notre système juridique sur diverses catégories de gens. Après un séjour dans l’armée, je suis revenue au Texas pour finir ma licence et mon doctorat. J’ai suivi un cours sur race et criminalité : je me suis passionnée pour ce sujet dont j’ignorais tout, j’ai entamé d’autres recherches, en partie à travers les médias, pour savoir comment ils rendaient compte de ces informations. Quelle est à vos yeux la plus importante affaire de justice criminelle cette année ? Pour moi, l’affaire la plus importante a été la commutation de peine décidée par le président Obama. J’ai réussi à observer de près l’existence de ces gens non-violents condamnés à la prison pour des histoires de drogue, et le travail réalisé pour leur libération anticipée ou une réduction de leur peine. Ainsi, connaître ces gens qui ont été libérés a cette année été pour moi une expérience cruciale liée à la justice criminelle.

EXPERTISE LA SOCIÉTÉ QUI PERMET AU SYSTÈME DE JUSTICE CRIMINELLE D’EXISTER EN EST COMPLICE.

Quels sont les stéréotypes les plus grossiers mis en place par les grands médias pour décrire des criminels ? La plupart des reportages réalisés par ces médias dressent le portrait d’un certain type de criminel : beaucoup de délits liés à la drogue ou à la violence, dus à des Afro-Américains ou des Hispaniques. Nous savons avec certitude qu’un grand nombre de nos prisons ont une population disproportionnée d’Afro-Américains et d’Hispaniques, mais les recherches montrent qu’ils ne sont pas les seuls criminels. Ces gens disposent d’un accès scandaleusement réduit à la culture, et de ressources moindres que la majorité de la population ; il est donc plus facile pour le système de justice criminelle de les stigmatiser. Comment les médias créent-ils des portraits différents des criminels noirs et blancs ? Quand on décrit un délinquant blanc, on va évoquer le contexte : donner quelques indications sur les mobiles de son acte. Quand le suspect est afro-américain ou hispanique, les médias ne disent pas un mot sur ces circonstances atténuantes – ni détails biographiques, ni facteurs sociologiques ou structurels. Les reportages à chaud sur les suspects de terrorisme dépendent aussi de leur race… Absolument, on assiste à une extension du profiling racial utilisé depuis un moment par notre système judiciaire. Les conséquences du 11-Septembre et les réactions ultérieures au terrorisme ont mis sur la touche le reportage de bon sens. Nous sommes très rapides à juger. Je vais vous en donner un excellent exemple. Un gamin à Irving apporta à l’école un réveil qu’il avait fabriqué. À cause de la couleur de sa peau, de son nom, de son environnement, on l’arrêta. Les médias se demandèrent aussitôt comment il pouvait être lié au terrorisme. Ce gosse n’avait bien sûr aucun lien avec le terrorisme ; il me semble que, sur les photos de son arrestation, il portait un T-shirt de la NASA. Que pensez-vous des vidéos virales de policiers tuant des Noirs, aujourd’hui diffusées en boucle dans les infos télé ? Est-ce nécessaire ? Je pense que ces vidéos sont informatives, car elles montrent aux gens que ce genre de chose arrive, alors qu’historiquement les puissances conservatrices ont toujours réussi à nier que des policiers prenaient parfois de mauvaises décisions et qu’ils n’auraient jamais dû faire partie des forces de l’ordre. Il y a eu un transfert de pouvoir – cela fait partie de la politique – et certaines personnes ont profité de ce transfert. Comment la présence constante d’une hypothétique caméra modifie-t-elle le comportement des forces de l’ordre ? Si les policiers portent des caméras sur eux ou sur le pare-brise, je crois qu’ils vont apprendre très vite à réagir face à un public. Mais je crois aussi que le métier de policier peut être très dangereux. Nous le savons tous, alors avec la caméra corporelle nous pouvons continuer en toute légalité à contrôler certaines de ces interactions. Mais en même temps, si des groupes individuels équipés de caméras suivent les forces de l’ordre en cherchant des interactions négatives, cela peut

mettre en danger les policiers ainsi que la personne avec laquelle ils interagissent. Il me semble donc qu’il devrait y avoir un équilibre. Oui, nous avons besoin de légitimité, mais en même temps je ne sais pas jusqu’où les individus doivent aller pour satisfaire ce besoin. La caméra est-elle un témoin ou une arme ? C’est un témoin des interactions positives et négatives, tant pour le citoyen que pour le policier. Elle peut devenir un témoin pour le citoyen qui a souffert d’un rapport non éthique, négatif ou criminel. Elle peut aussi être un témoin pour le policier désireux de prouver qu’il faisait ce qu’il était censé faire. Le récit criminel est redevenu un genre de distraction très populaire. Le crime a-t-il poussé les gens à s’intéresser aux reportages sur la justice criminelle, ou est-ce le contraire ? Nous sommes fascinés par le crime. Toutes ces séries télé sur des crimes naissent de notre passion pour les enquêtes, quand nous pouvons enfin dire : « Il s’est passé ci et ça, et nous avons la réponse. » Nous trouvons la solution du problème, nous savons que c’est untel qui doit aller en prison. Ces fictions criminelles ont généré beaucoup d’intérêt pour les formations en justice criminelle. Nous sommes les bénéficiaires évidents de gens convaincus de devenir médecins légistes. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que des séries comme Making a Murderer se démarquent des anciennes productions évoquant le crime. Ces récits criminels ont simplement été une extension de ce que les gens ont absorbé à travers les médias. Mais ces fictions incluent un point de vue plus humaniste et elles mettent le système judiciaire sur la sellette.

En 2000, lors de l’élection Bush contre Gore, il y eut quelques débats à ce sujet, quand l’élection aurait pu tourner différemment si des électeurs déchus de leurs droits avaient pu voter. Du point de vue de la justice criminelle, si je comprends et approuve que des individus ayant commis un crime méritent une sanction, ça n’implique pas que, s’ils ont purgé la peine dont nous avons décidé, leur réinsertion dans la société les exclue du droit à participer à l’avenir commun. Nous savons que les Afro-Américains et les Hispaniques à bas revenus occupent une place exorbitante dans nos prisons et ont perdu de manière disproportionnée leur droit de vote, moyennant quoi nous continuons de retirer du pouvoir à ces groupes. Il y a là des communautés beaucoup trop touchées par l’incarcération de masse. Ils ne peuvent plus retourner dans la société pour la modifier ou changer les lois qui ont régi leur existence. Il est très injuste et il semble inapproprié dans une société libre et démocratique d’exclure ainsi du droit de vote des millions de gens. Au Texas, après la plupart des délits on peut retrouver le droit de vote au bout d’un certain temps.

AVENIR Comment le Texas pourrait-il abroger la peine de mort ? On pourrait s’appuyer sur le Huitième amendement pour la déclarer cruelle et inappropriée, contraire à la Constitution. La Cour Suprême n’en est manifestement pas là. Nous avons déclaré la peine de mort contraire à la Constitution dans le cas des mineurs. Tout comme la prison à vie sans libération sur parole pour les ­mineurs.

Personnellement, je suis contre la peine de mort. Quand certains Etats ont décidé d’abroger la peine de mort, on a bien vu que cela entamait la détermination de la Cour Suprême à la conserver. Peut-être ses membres finiront-ils par tenir compte d’une évolution de nos critères de décence morale. Snapchat propose d’insérer du hardware dans ses caméras. Comment cela pourrait-il modifier la justice criminelle ? Je suis pour la transparence. Quand on ne peut plus se cacher derrière le règlement d’une agence ou les lois protégeant la police, la seule réponse c’est le changement, non ? Quand les gens verront cette information non filtrée et non-stop, alors je crois que beaucoup de choses vont changer et pas seulement la police – la politique aussi. Si quelqu’un portant ces lunettes lors de réunions secrètes est en mesure de diffuser ces conversations, alors tout risque de changer. Rêvez-vous des informations ? Je crois que nos rêves sont modelés par ce que nous voyons tous les jours, et si les nouvelles font partie de ce qu’on voit, alors elles s’infiltrent dans les rêves. Tout ce que vous laissez passer dans votre conscience puis dans l’inconscient finit par ressortir. Alors oui, je rêve des informations.

Jaya Davis • Réside à Dallas depuis 2010 ; • Âge : 41 ans. • Temps moyen de lecture quotidienne de la presse : Deux heures. • Médias régulièrement consultés : NPR.

ÉLECTIONS Comment, selon vous, les médias rendent-ils compte de l’élection présidentielle ? Sans arrêt. Voici ce qui caractérise ce cycle électoral : quand les médias perpétuent n’importe quelle prise de position, fondée ou non sur des faits, les gens y croient dans une certaine mesure. Lorsqu’un politicien peut dire tout ce qu’il veut et que les médias le répètent en permanence, les gens croient que c’est la vérité. Si vous ne cherchez pas à vérifier les faits, vous allez croire ce qu’on vous ressasse. Cette élection a montré que ces constantes estimations de temps équitable et d’équilibre de parole ont permis aux candidats de dire tout ce qu’ils voulaient et de faire croire que leurs déclarations étaient la vérité. Le consommateur a pour responsabilité de vérifier si ces informations sont correctes. Comment les lois sur la restriction du droit de vote vont-elles influencer l’élection ? La manière dont les individus sont interdits de vote après avoir été jugés coupables d’un crime varie d’un Etat à l’autre. Dans certains Etats, on peut récupérer ce droit avec le temps ; dans d’autres, on est exclu à vie de toute participation à un quelconque processus électoral.

14 OCTOBRE 2016

NOUVELLES REMÉMORÉES PAR

Madison Brown

« Les médias dissimulent des informations et font ce qu’il faut pour soutenir Hillary Clinton. Je vote Donald ­Trump, que les choses soient claires. » TRAVAILLE SUR LA FERME FAMILIALE.


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DAY AFTER READING À TRAVERS LES ÉTATS-UNIS

A] NEW YORK, NY ; B] CHICAGO, IL ; C] DETROIT, MI ; D] ST LOUIS, MO ; E] NASHVILLE, IL ; F] MEMPHIS, TN ; G] DALLAS, TX MEMPHIS, TN

NEW YORK, NY

DALLAS, TX

6 SEPTEMBRE — 20 DÉCEMBRE 2016


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DAY AFTER READING À TRAVERS LES ÉTATS-UNIS ST LOUIS, MO

DALLAS, TX

CHICAGO, IL

6 SEPTEMBRE — 20 DÉCEMBRE 2016


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DAY AFTER READING À TRAVERS LES ÉTATS-UNIS DETROIT, MI

CHICAGO, IL

NASHVILLE, IL

6 SEPTEMBRE — 20 DÉCEMBRE 2016



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