Hors-série Mode / Printemps 2015

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BUONOMO & COMETTI

Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 18 avril 2015

MODE LA LÉGÈRETÉ D’UN ÉTÉ

TOMAS MAIER L’ART DE L’ÉPURE SONIA RYKIEL RÉINVENTÉE 70’S FOREVER


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Le Temps l Samedi 18 avril 2015

Mode

ÉDITO

SOMMAIRE

Révolutionenmarche

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A Paris, le tissu tatouage

Des vêtements qui dévoilent autant de peau qu’ils essaient d’en cacher. Et si on leur donnait la parole? Par Isabelle Cerboneschi

Certains «observateurs» pensent que la mode ne traverse pas sa période la plus créative. Ils ont certainement omis de s’intéresser aux nouveaux tissus technologiques, aux techniques d’impression en 3D, ont fait mine d’oublier, ou pire, ne savent peut-être pas que la mode ne naît plus seulement entre Paris-Milan-New York et Londres, mais qu’elle émerge en Australie, en Amérique du Sud, en Inde, en Russie et même en Serbie. Mais si l’on est un tant soit peu sérieux et que l’on observe l’univers de la mode dans son ensemble, on ne peut pas passer à côté d’une révolution: celle que mène la mode masculine. Cela fait plusieurs saisons que le marché du vêtement pour homme explose. La durée des fashion weeks dédiées à la gent masculine s’étend, tout comme la liste des invités. Si l’on est en

Ces emprunts au passé, ces adaptations, ces sauts temporels ont toujours existé. Il n’est qu’à voir la collection 40 Signée Yves Saint Laurent, à laquelle la Fondation Pierre Bergé consacre une exposition jusqu’au 19 juillet: Yves Saint Laurent 1971 la collection du scandale. En 1971, le couturier citait ouvertement la mode des années 40, celle de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Europe n’en était sortie que depuis vingt-six ans. La presse de l’époque s’était scandalisée. Ce qui fascine aujourd’hui, ce n’est pas cette manière qu’ont les créateurs de regarder dans le rétro pour avancer, c’est surtout que cette tendance vaut pour les femmes comme pour les hommes. Eux aussi ont envie de s’emparer du pouvoir des fleurs et de les porter, non pas à la boutonnière, mais à même le tissu de leur costume deux pièces.

COLLIER SCHORR

12 Tomas Maier

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Mannequin: kornelija @ IMG Make up Chanel Kornelija porte une redingote en crêpe viscose bleu marine et une jupe matelassée en coton rose, le tout de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Dior.

Milan: mood board seventies

Que reste-t-il des années 70? Beaucoup de choses, si l’on en croit les collections du printemps-été.

New York, le style accessible

A la Fashion Week new-yorkaise, le vêtement retrouve sa place. Par Lily Templeton

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Tomas Maier, chantre de l’épure

Depuis sa nomination comme directeur artistique de Bottega Veneta en 2001, il a sauvé la société qui frôlait la faillite. Par Antonio Nieto

14 14 Julie de Libran

Julie de Libran, une femme libre

Depuis deux saisons elle dessine les collections Sonia Rykiel. Une âme est revenue dans la maison. Par Isabelle Cerboneschi

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Brioni, le pouvoir des fleurs au masculin Entretien avec Brendane Mullane, le directeur artistique de la marque, qui a orné les costumes de la collection printemps-été 2015. Par Antonio Nieto, Milan

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J. M. Weston, modèles d’exception

La manufacture de chaussures est un des derniers fleurons d’un savoir-faire de l’Hexagone. Par Catherine Cochard

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Backstage

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Chopard ou le luxe durable

24 J.M. Weston

Reportage photographique: Sylvie Roche

Caroline Scheufele, la vice-présidente, vient de confier à Marion Cotillard le soin de dessiner un bijou écoresponsable qu’elle portera lors du prochain Festival de Cannes. Par Isabelle Cerboneschi, Bâle

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Portfolio

Si Caserte m’était conté Par Buonomo & Cometti

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Anne Sofie Madsen, made in Denmark

Rencontre avec la créatrice rétro-futuriste, qui a le sens de la mise en scène et du storytelling. Par Isabelle Cerboneschi

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La relève de la HEAD

Quatre designers de la section Mode nous parlent de leur collection 5 – automne-hiver 2015. Talents à suivre. Par Catherine Cochard

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29 Chopard

Rosetta Getty, distinction californienne

La créatrice conçoit une mode à son image et à celle de son style de vie: élégante et sophistiquée. Rencontre. Par Isabelle Campone, Los Angeles

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Beauté: voilà les beaux jours!

Une explosion de couleurs et de textures légères annonce la saison chaude. Par Géraldine Schönenberg

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Conte parfumé

Les fragrances du printemps invitent à l’échappée belle, entre senteurs de poires, de bois et de mousses. Par Valérie D’Herin

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Le portfolio «Si Caserte m’était conté» a été réalisé dans le Palais royal de Caserte. Photographies, réalisation et stylisme: Buonomo & Cometti avec la complicité d’Antonio Nieto

L’été a fait éclore un parterre de fleurs sur les podiums.

Par Antonio Nieto

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DAVID BAILEY

Dans les années 90, Calvin Klein rêvait d’un monde uniforme où tout le monde s’habillerait en gris, ferait du 36-38 et porterait les mêmes vêtements. On imagine l’économie pour une entreprise comme la sienne, en termes d’achat de tissus, de patronage, de marketing, de pub. Il avait poussé le vice jusqu’à créer un parfum unisexe – CK One. Un monde façon «The Giver». Les dieux de la mode nous ont préservés de ce cauchemar uniforme.

A Londres, fleurs de bitume Par Lily Templeton

MICHEL LABELLE

Par Isabelle Cerboneschi

Qu’ils créent pour les hommes ou pour les femmes, les créateurs s’abreuvent tous à la même source, dans une histoire commune de la mode pour mieux tenter de la réinventer. Les plus audacieux lancent des ponts temporels entre les époques les plus lointaines, faisant rimer «anachronie» et harmonie. Aux manettes de la première machine à remonter le temps: Karl Lagerfeld, qui s’amuse à transmuter le XVIIIe siècle dans le XXIe. Suivi de près par Raf Simons. Les autres n’osent se risquer au-delà du XXe siècle. Depuis l’arrivée de Nicolas Ghesquière à la direction artistique de Louis Vuitton, les seventies sont un puits d’inspiration qui semble sans fin.

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CHOPARD

FRÉDÉRIC LUCA LANDI

quête de créativité débridée, c’est vers les hommes qu’il faut tourner le regard. Thom Browne et Rick Owens sont aux années 2000 ce que Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto étaient aux années 70.

Les rêves d’enfant de Bruno Frisoni Par Isabelle Cerboneschi

Robe en satin de soie bleu royal de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Lanvin; ballerines à lacets Christian Louboutin; minaudière en métal Lancel.

Editeur Le Temps SA Place Cornavin 3 CH – 1201 Genève

Nos remerciements à S.A.R. la princesse Béatrice de Bourbon des Deux-Siciles et à M. Vincenzo Zuccaro, directeur du service de presse et de la communication de la Reggia di Caserta www.reggiadicaserta. beniculturali.it

Rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet

Président du conseil d’administration Stéphane Garelli Administrateur délégué Daniel Pillard

Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi Rédacteurs Isabelle Campone Catherine Cochard Valérie d’Hérin Antonio Nieto Géraldine Schönenberg Lily Templeton

Photographies Buonomo & Cometti Sylvie Roche Responsable production Nicolas Gressot Réalisation, graphisme Christine Immelé Photolithos Cyril Domon Mathieu de Montmollin Correction Samira Payot Conception maquette Bontron & Co SA Internet www.letemps.ch Gaël Hurlimann Courrier Case postale 2570 CH – 1211 Genève 2 Tél. +41-22-888 58 58 Fax + 41-22-888 58 59

Publicité Case postale 2564 CH – 1211 Genève 2 Tél. +41-22-888 59 00 Fax + 41-22-888 59 01 Directrice: Marianna di Rocco Impression IRL plus SA La rédaction décline toute responsabilité envers les manuscrits et les photos non commandés ou non sollicités. Tous les droits sont réservés. Toute réimpression, toute copie de texte ou d’annonce ainsi que toute utilisation sur des supports optiques ou électroniques est soumise à l’approbation préalable de la rédaction. L’exploitation intégrale ou partielle des annonces par des tiers non autorisés, notamment sur des services en ligne, est expressément interdite. ISSN: 1423-3967



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Mode

PARIS

Vêtements tattoos Chanel

Chloé

Sonia Rykiel

Véronique Leroy

Louis Vuitton

Akris

Jean-Charles de Castelbajac

Quelleempreintereste-t-ildescollectionsdu printemps,présentéesilyasixmois?Desimpressions subjectives,forcément.Desvêtementsquidévoilent autantdepeauqu’ilsessaientd’encacher.Etsionleur donnaitlaparole? Par Isabelle Cerboneschi

Givenchy

«Je suis un vêtement, mais seulement à moitié, dévoilant autant de peau que j’essaie d’en cacher. Je bloque mal le soleil et les regards qui souhaitent s’immiscer. C’est voulu. Je suis dentelle arachnéenne chez Chloé, Chanel, Louis Vuitton, Elie Saab ou Givenchy. J’embellis, je fais naître des jardins de fils blancs sur les chairs dévoilées. Je suis robe de cristal, oscillant entre transparence et translucidité chez Iris van Herpen. Je suis «jour échelle» chez Dior et Hermès. C’est beau, un jour, cette broderie légèrement désuète, tellement XIXe siècle. Belle manière de passer d’une époque à une autre que d’emprunter l’échelle. Je suis comme un échiquier découpé au laser chez Akris, résille XXL chez JeanCharles de Castelbajac et Véronique Leroy. Je dessine la topographie des corps. Je trace des lignes de fuite. Chez Yiqing Yin, Je suis né d’un bolduc noir. Les autres pièces de la collection naquirent d’un coup de crayon.

Hermès

Pas moi. J’émerge d’un autre geste. Je n’étais rien, jusqu’à ce que la couturière m’envisage. Elle a collé du bolduc sur la peau d’un mannequin, comme un tatouage. Je suis un tatouage d’ailleurs. Maori, kalinga, qu’importe. Traits sombres de tissu. Impermanent. Je suis une seconde peau. Je souligne le moindre muscle, la moindre courbe. Je suis un paysage accidenté en jersey dévoré. J’aspire à la légèreté. Parce que l’époque ne l’est pas, légère. Je suis un langage de tissu qui s’exprime lorsque les mots font défaut. Je ne suis pas facile à porter. Il ne faut avoir peur ni du désir que je fais naître, ni de ce que j’ose dévoiler avec mes pleins et mes déliés. Je souhaite être aimé dans ma présence et mes absences. Je suis ce que les créateurs ont trouvé de plus délicat, de plus subtil, de plus volatil pour tatouer le mot liberté sur le corps des femmes, l’air de ne pas y toucher, le temps d’un été.»

Yiqing Yin

PHOTOS: SYLVIE ROCHE

Elie Saab

Dior

Dries Van Noten

Iris van Herpen



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Mode

LONDRES

Erdem Burberry Prorsum

House of Holland

Fleursdebitume L’été a fait éclore un parterre de fleurs sur les podiums londoniens. Par Lily Templeton

«D

es fleurs… pour le printemps? Comme c’est original», lâcherait la redoutable et fictive Miranda Priestly. Après tout, la mode n’est pas qu’affaire de création. C’est un business, et proposer un bouquet de saison relève plus de la réalité économique que de la réflexion d’une société. Et pourtant, le prisme des podiums révèle souvent les courants de fond, les projections fantasmagoriques d’un avenir rêvé ou redouté. Notre époque s’est fabriqué de nouveaux carcans qu’on ne saurait faire ployer à coups de pavés et de mobilisations massives, puisqu’ils sont à l’intérieur de nous. Défis personnels autant que sociétaux. Aujourd’hui, plus de place pour ces effets de bord du temps qui passe. Chacun s’exprime à la hâte, îlot perdu au milieu d’un flot de bruit incessant et puissant, rythmé par les réseaux digitaux. Ce n’est plus tant la caution culturelle de Bloomsbury

qu’on invoque, cet espace de respiration et de réflexion qu’accordait le jardin de Charleston, l’iconique berceau de la mouvance. On cherche leur esprit collaboratif alors que les outils censés nous relier se font sans cesse plus nombreux, et pressants. Voire oppressants. En somme, nous voici de retour dans une nouvelle ère victorienne, nos esprits corsetés par un mode de vie qui nous domine plus qu’on ne le maîtrise. La dédicace de Christopher Bailey aux Bloomsbury Girls pour l’hiver 2014 préfaçait en quelque sorte les présentations londoniennes de l’été 2015. De cette lointaine filiation, il faudra surtout retenir le creuset d’idées nouvelles, ces traits fluides pour appréhender le monde, rappelant une ère porteuse de renouveau. L’antidote pour faire craquer les murs de la geôle serait une bohème joyeuse et créative, une nature à l’image de ces jardins peu manucurés. Une simple graine poussant dans l’anfractuosité d’une chape de béton, une herbe folle oubliée dans une

Jonathan Saunders

Marchesa

PHOTOS: DR

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Matthew Williamson

Simone Rocha

chaussée et c’est l’enceinte entière qui saute. Chez Erdem, le treillage qui enserre le corps et voudrait guider les tiges se voit rapidement noyé dans les explosions de corolles et de pétales. Tout un jardin jaillit, et avec lui la possibilité de compenser l’impermanence par la beauté. Les roses trémières envahissent une robe Marchesa, où Georgina Chapman et Keren Craig ont invoqué l’évanescence romantique d’Ophélie sans son penchant pour l’autodestruction. Un tourbillon de feuilles translucides habille d’une fraîcheur graphique une robe chasuble toute simple pour Jonathan Saunders. La nature reprend ses droits, et nous, les nôtres. L’optimisme renaît comme fleurissent les fleurs naïves qui habillent une silhouette toute en transparence de Simone Rocha. Même les abeilles sont de retour, dans une livrée colorée de la palette postimpressionniste de Gauguin chez Burberry Prorsum. Y ajoutant une touche de désinvolture, les silhouettes coulantes chez Matthew Williamson rap-

pellent l’insouciance des seventies, une époque faite à la fois de combats et de liberté (lire p. 8-9). L’envie de crier «Flower Power» saisit comme le parfum inattendu d’un parterre. Il ne faut pas y voir une image sépia d’un «avant» meilleur qu’on s’emploie à nous faire idolâtrer. L’esprit Bloomsbury n’est pas cueilli et pressé dans l’herbier d’un romantisme compassé. Quelle meilleure preuve que le sémillant Henry Holland, qui rappelle dans ses collisions d’imprimés floraux le psychédélisme des années 70 et l’œuvre osée de la plasticienne Cynthia Albritton, plus connue sous le nom de Plaster Caster et pour ses moulages des parties intimes des stars qu’elle a séduites. Non, ces fleurs londoniennes n’ont décidément rien à voir avec ces préservations mono-dimensionnelles, écrasées entre les plaques de quelque herbier. Sous la terre gelée des conventions germe un réseau de nouvelles racines, et de cette excentricité motrice jaillira un supplément d’âme.



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Mode

MILAN-PARIS

Que reste-t-il des années 70? Beaucoup de choses, si l’on en croit les collections du printemps-été. Par Antonio Nieto

Commeunparfumde

70’ PHOTO

S: DR

Silhouettes hommes: Tom Ford, Saint Laurent, Prada. A droite: Dries Van Noten, Emilio Pucci

Ci-dessus de haut en bas: Elie Saab, Prada, Saint Laurent, Versace, Etro, Alberta Ferretti.

I

l émane des collections du printemps-été cette nostalgie qui nous prend lorsque l’on feuillette un album de photos. Souvenirs heureux d’une période de tous les possibles, qui demeure comme le symbole d’une libération – celle des mœurs comme celle des codes sociaux –, qui fit évoluer les critères encore frileux d’un après-guerre sur lesquels seuls quelques grands couturiers avaient droit de régner. C’est ce style composite, utilisé comme socle de déclinaisons libres, qui a inspiré les créateurs cette année, ceux qui l’ont connue et tous les autres. En rupture avec les années qui l’ont précédé, le look seventies n’a pas commencé le 1er janvier 1970, il s’est caractérisé par une profusion d’idées, une superposition de styles qui se sont bousculés à la fin des années 60, porteuses en ellesmêmes de grands bouleversements. Une tendance joyeuse et permissive à l’expression unisexe, des motifs façon décoration d’intérieur, mélanges de fleurs, de carrés, de trapèzes ou de losanges. Le court, le long, robe ou pantalon, rien n’exclut rien. Si les hommes ne portaient pas encore la jupe, ils ne dédaignaient pas les cheveux longs, les chemises larges à fleurs et les smokings brillants. Excès, sans doute. Expériences ou plutôt expérimentations. L’atmosphère se veut permissive autorisant l’utilisation de nouveaux

matériaux «cheap»: le vinyle et la paillette acquièrent droit de cité avec une désinvolture sans équivoque. Ce sont des années encore plus folles que celles chantées par Serge Gainsbourg. Jacqueline Kennedy, devenue Jakie O durant les années 70, et Talitha Getty n’ont en commun que la forme trapèze de leur robe de mariée (du second mariage pour celle qui fut Première Dame des EtatsUnis dix ans plus tôt). Elle est en dentelles et georgette pour la première, bordée de vison blanc pour la seconde, mais mini pour toutes les deux, et se portent avec d’énormes lunettes. Jackie O avec son style trench, pantalon fluide et évasé, pull moulant, foulard à peine noué sur le menton est la version élégante et sobre de ce look qui se veut allègrement déconcertant. Talitha Getty, Marianne Faithfull, Jane Birkin en sont une autre version, plus militante: liberté, beauté, extravagance, de vraies «bad girls» en mini à fleurs, de préférence voyantes; en saris aux couleurs vives, portés de manière vaporeuse; en robes géométriques aux motifs eux-mêmes géométriques. Cette diversité d’expression est la volonté, implicite ou non, d’assumer une allure non corsetée dans un monde moralement changeant, mais réel, dont l’apparence n’est plus le fruit du seul diktat d’un grand créateur. Est-ce dérangeant? Non, car les extrêmes s’attirent. La féminité troublante d’un smoking porté à


Mode

s

même la peau, la froideur tranchante d’une coupe géométrique dans un plastique vernis, le vaporeux intemporel d’une robe longue aux lignes qui ne suivent pas le corps de la femme se lisent sur la page d’un même album, suggèrent la même atmosphère: séduction je suis, séduction je demeure, mais à ma manière. Ce refrain est enivrant. Surtout quand il est partagé dans un hédonisme unisexe d’enfants gâtés trop pressés de faire la fête jusqu’à, pour certains, s’en brûler les ailes comme des phalènes s’approchant trop de la lumière. Dans ces bacchanales réinventées, un couturier, Yves Saint Laurent, donnait le ton en posant nu pour le photographe Jeanloup Sieff, jeune éphèbe aux cheveux mi-longs, tandis que Loulou de la Falaise, muse parmi ses muses, son mari Thaddée Klossowski et son frère Stanislas promenaient nonchalamment ses créations au Sept, chez Castel ou au Palace. Cette période, de vestes cintrées aux revers larges, de sahariennes portées comme minirobes, ou en veste pour les hommes, de costumes sombres à larges rayures, plus proches d’Al Capone que d’un haut fonctionnaire international, continue d’inspirer nombre de créateurs. Bien qu’il ne fût pas le premier à faire entrer le jean comme tissu à part entière dans ses collections, à son grand regret, Yves Saint Laurent en fut un fervent défenseur en lui donnant ses lettres de no-

PHOTOS: SYLVIE ROCHE

Le Temps l Samedi 18 avril 2015

De haut en bas et de gauche à droite: Elie Saab, Sonia Rykiel, Officine Generale, Chanel, Maxime Simoëns, Lanvin Homme, Louis Vuitton, Chloé.

blesse pour des costumes masculins très décalés, avec ce qui a été le point d’orgue des seventies: les pattes d’éléphant. Cette association de mots «patte d’eph» si peu élégante dans la nature a donné naissance à des pantalons de soie ou autres matières vaporeuses merveilleuses pour les femmes. La silhouette masculine, en revanche, n’y a pas gagné grand-chose, ne pouvant compter sur les talons hauts pour en alléger la ligne. Certains ont su pourtant leur conférer une parcelle de gloire comme Mike Jagger, dans son style indescriptible d’homme ténébreux illuminé, qui, selon des critères hors de tous canons esthétiques, pouvait le porter avec un revers et dans des matières et des couleurs toutes aussi insolites qu’aléatoires. Et pour un soir de gala, il pouvait l’accompagner de chaussures de tennis au destin sportif improbable. Pendant les années 70, la sobriété n’est pas de mise. Des femmes aux cheveux de sylphide, étalés sur de frêles épaules, des

hommes aux cheveux plus longs que le sage carré d’une écolière osent la juxtaposition de mélanges ethniques parfois proches de l’état minéral, ou à l’inverse aux couleurs souvent antagonistes, d’inspiration indienne. Il y avait quelque chose d’invraisemblable dans cette époque de grand chambardement qui vit émerger la mode rétro-futuriste de Courrèges, chantre de la minijupe et des bottes en PVC. Il ressort des collections printemps-été 2015 comme une impression de déjà-vu non pas dans son ensemble, mais image par image, une atmosphère qui se respire, une sorte de nulle part qui nous appartient. On repense à tout cela en regardant passer sur les podiums telle veste de smoking bleu moiré col châle noir près du corps, un jean slim, des boots vernis, une robe trapèze en vinyle, une saharienne de daim, ou une robe de mousseline fleurie. Et cette sensation n’épargne personne: ni ceux qui se souviennent de ces années 70 là, ni les autres, qui regrettent de ne pas les avoir vécues.

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Mode

CACHE NEW YORK

La Fashion Week new-yorkaise est le symbole d’une mode tournée vers un style accessible où le vêtement retrouve sa place. Par Lily Templeton

CACHE

Ci-dessus de gauche à droite et de haut en bas: Lela Rose; Prabal Gurung; 3.1 Phillip Lim; Cushnie Et Ochs; Proenza Schouler; Diane von Furstenberg; Alexander Wang; Victoria Beckham; Marc Jacobs.

A

Milly

PHOTOS: DR

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DKNY

l’été 2015, le sportswear et le streetwear ne sont plus des tendances. Là où il y avait une certaine apathie à porter des tenues destinées aux activités sportives, seigneurs de la mode et maisons parisiennes ont adoubé le genre et comblé le fossé qui le séparait du luxe. Quand la couture commence à porter des baskets, on ne peut plus vraiment faire abstraction du confort, ou omettre de joindre l’utile à l’ornemental. L’impression la plus prégnante parmi ces silhouettes qui défilaient il y a six mois a été celle d’un fondu entre des formes regorgeant de détails utilitaires – poches, pattes, et autres tailles ajustables – et une légèreté d’être, presque une disparition du vêtement au profit du corps qui affleure à la surface. A Paris ou à Milan, les maisons se recentrent sur leur identité, travaillent leur univers et proposent une idée forte. A New York, le vêtement part à la rencontre de celle qui le saisit. Des idées, il y en a mais elles sont diffuses, un courant de conscience d’où jaillit une multiplicité de possibles. Au final, accepter de savourer une forme de décontraction sans chercher la réinvention à tout prix. Le combat est ailleurs, la femme n’est plus tout à fait une guerrière et la peau n’est plus l’ultime rempart contre les agressions. Les carapaces sont internalisées face à un monde pétri d’incertitudes et une mode devenue sport de haut niveau. Et les petites robes blanches d’Alexander Wang sont faites

pour le pratiquer, avec leurs perforations délicatement graphiques qui ne sont pas sans rappeler les tenues de tennis. Sous les matières techniques apparaît la peau, nouvelle matière phare sur les podiums. On la devine chez DKNY sous les perforations d’une robe maillot et pareillement retranscrite dans la maille imaginée par le duo Proenza Schouler. Le jeu se fait plus sophistiqué pour Milly, où le graphisme de ces géométries simples fascine comme autant d’illusions d’optique. La sophistication est de mise dans les cannages partiels qui habillent un pantalon ou un haut de Phillip Lim. Capteur hors pair du temps présent, Marc Jacobs aura exprimé le plus clairement l’idée à laquelle renvoyaient ces transparences, isolant ses invités dans une bulle personnelle grâce à des écouteurs, tout en proposant un réel vestiaire. Dialogue autour de l’uniforme, sa collection explorait la dissolution de l’individualité au profit d’une globalisation des codes pour ceux qui oublieraient que la nature a l’uniformité en horreur. La seule différence qui demeure au final est soi-même, nu comme au premier jour, et sous la gaze transparente, cette précieuse cargaison s’entrevoit, se réaffirme. Parfois même, on ose les découpages inhabituels, laissant voir à dessein de nouvelles zones érogènes. La taille apparaît par l’asymétrie d’une tunique Prabal Gurung. Chez Cushnie & Ochs, le tissu disparaît presque entièrement, ne laissant derrière lui qu’une trame

verticale qui retient des modules encore entiers. Là, un triangle sous une clavicule, où cet espace oublié sous la poitrine revoit le jour sans être des failles d’armure. En somme, les podiums newyorkais offraient le digne reflet de notre époque, faite d’une transparence toute relative et où il faut savoir se mettre en scène. Des bandes noires barrent les robes translucides de Lela Rose comme pour censurer la peau, ce tissu interdit. A cela près que le secret et la présomption de culpabilité changent de main. Il n’est plus donc à celle qui se dévoile de cacher cette peau qu’on ne saurait voir, c’est au voyeur qu’il incombe de ne pas se frotter à ces créatures d’un genre nouveau. Et poussant plus loin, on pourrait presque deviner dans ces jeux de transparence un cocon de métamorphose. Celle de New York en premier lieu. Le Lincoln Center ne sera plus, passé les collections de février, le point focal, et la «Fashion Week» devra se trouver un nouveau centre névralgique. Pour le secteur de l’habillement, ensuite, qui se voit injecter des capitaux municipaux pour ceux qui voudraient faire du «Made in New York». Mais surtout celle des humains. Une certaine fluidité du genre s’exprime croissant, dans laquelle on rejette la définition du soi par l’habillement, à la manière de Shayne Oliver chez Hood by Air, qui a raflé une mention spéciale à la première édition du Prix LVMH pour son travail défiant conventions et normes arbitraires. Adaptation et évolution, en somme. Le vivant est ainsi fait.



Le Temps l Samedi 18 avril 2015

Mode

DISTINCTION

TomasMaier, l’homme«nologo» Depuis sa nomination comme directeur artistique de Bottega Veneta en 2001, il a sauvé la société qui frôlait la faillite en lui conférant une forte identité stylistique et en faisant «tabula rasa» de ses signes distinctifs. Entretien avec le chantre de l’épure. Par Antonio Nieto

Le temps: Quand on pense à Bottega Veneta, les mots qui viennent à l’esprit sont: discrétion, subtilité et précision. Pour arriver à cela, il faut s’entourer d’artisans de valeur. Comment collaborez-vous? Tomas Maier: La région de la Vénétie abrite un grand nombre d’artisans à la personnalité particulière, un peu hors du temps. D’ailleurs, vous devez vous adapter à leur rythme de travail et,

petit à petit, les apprivoiser afin de bien travailler ensemble. Ils me soutiennent, et notre collaboration est de plus en plus forte. Il ne faut pas oublier qu’à mon arrivée, Bottega Veneta était au bord de la faillite, la confiance était à reconstruire. Mais c’est ensemble que nous avons fait de cette aventure une renaissance. Vous travaillez aussi avec des artisans français. Est-ce une approche différente? Ce sont des artisans qui excellent aussi dans leur domaine: le cristal, la porcelaine, le façonnage. Ils comprennent remarquablement bien le produit mais sont peutêtre moins à l’écoute que les artisans italiens. Il devient alors plus délicat de les amener à emprunter d’autres chemins que ceux qu’ils connaissent. Les italiens seront plus enclins à tenter de nouvelles expériences et à adapter leur savoir-faire. Dans tous les cas, c’est le dialogue qui rend la création possible et abat les résistances et les doutes. De la communication jaillit le talent. En italien, «Bottega» évoque un mot un peu désuet mais charmant qui signifie «échoppe». Oui c’est vrai, il désigne les petits ateliers où l’on travaille le cuir, le bois, où l’on restaure les meubles… Comment définiriez-vous cette marque? J’ai tenu à m’imprégner des fondamentaux de la marque en remontant à son origine. Je me suis interrogé sur ce qui l’avait rendue célèbre et sur l’engouement des femmes pour ses produits. J’en suis arrivé à la conclusion que c’est par un savant travail de construction-déconstruction, qui a atteint son apogée dans les années 70 avec les sacs de cuir nappa canné, l’«Intrecciato» (c’est-à-dire tressé à plat pour plus de résistance) que l’identité de la marque est née. Voilà le paradigme de Bottega Veneta: intemporalité, résistance, originalité. Un bon investissement en somme. Sans oublier la fameuse patine. C’est vrai! Elle est présente sur la plupart des pièces que nous fabriquons, même les portefeuilles. L’usure les rend plus doux au toucher, inscrivant sen-

suellement la marque du temps sur le cuir. Les clients ont du mal à s’en séparer quand, après quinze ou vingt ans, ils doivent être remplacés. Cette patine est un peu l’empreinte de leur propre vie. Les logos n’apparaissent que très peu dans vos collections. Pourquoi? Je n’aime pas les logos. C’était déjà le cas avant que je ne travaille pour Bottega Veneta. Chez Hermès par exemple, la signature sur un sac est apposée sans ostentation. La qualité du produit Bottega se suffit à elle-même, pas besoin d’ajouts inutiles. Cette manie du logo est une réminiscence néfaste des années 90.

COLLIER SCHORR

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n nom court qui sonne comme une injonction douce. On apprendra d’ailleurs de cet esthète peu disert qu’il a retiré luimême le «h» de son prénom Thomas, pour atteindre l’équilibre visuel et euphonique de ses nom et prénom. Une sobriété recherchée, lui qui déteste tant les excès, les logos et le «bling-bling». Sa carrière s’inscrit dans une signification référentielle aux normes architecturales, construction-déconstruction, «défaire pour faire autrement un vêtement que tu es en train de réaliser, suivi par une équipe d’artisans qui travaillent en totale symbiose avec tes principes, en les discutant». Tomas Maier répète souvent que son travail ne pourrait avancer si les artisans de la Vénétie, avec lesquels il travaille, ne le suivaient pas les yeux fermés après avoir discuté du projet et compris sa faisabilité. C’est Cristóbal Balenciaga, la référence des références pour lui. Son travail du vêtement féminin, de jour plus que du soir, est l’expression même d’un savoir-faire fascinant dont l’évidence est pourtant une somme importante d’exigences peu visibles. Tomas Maier a travaillé pour Sonia Rykiel, Guy Laroche et Hermès, maisons qui toutes ont privilégié un travail de structure, utilisant des matières authentiques au service de leur clientèle. Il est arrivé chez Bottega Veneta à un moment où tout était à refaire, après une période catastrophique: en 2001, alors que la société, au bord de la faillite, était rachetée par le groupe de François-Henri Pinault. En 2013, elle a dépassé le milliard de chiffre d’affaires. Thomas Maier a fait tabula rasa, coupant court aux logos extravagants et transformant radicalement l’image de cette marque, l’une des protégées du groupe Kering.

Vous êtes anti «bling-bling». Tout à fait, mais il faut aussi savoir instiller un peu d’imprévu pour réveiller cette force tranquille, cette stabilité. Pourquoi avoir ôté le «h» de votre prénom? Je l’ai enlevé il y a 18 ans lorsque j’ai fondé ma propre société. Par souci d’équilibre graphique afin que le prénom et le nom aient le même nombre de lettres. Ces qualités de précision, d’équilibre sont-elles innées ou vous ont-elles été transmises? Mon père était architecte. Enfant, je l’accompagnais souvent et il a certainement influencé ce goût de la réalisation de projets. J’en mène souvent plusieurs en même temps: les collections homme, femme, les meubles, les produits d’intérieur, la collaboration et le planning avec les photographes. Mais aujourd’hui, je ne travaille plus avec la même impatience qu’à mes débuts. J’ai appris à aimer ces moments où les choses mûrissent, évoluent. Avec le temps qui passe, on peut améliorer un produit. Cette notion de patience est aussi l’apanage du monde du luxe. En tant que client aussi, il faut s’en armer pour obtenir une pièce d’exception. Oui absolument, quand vous commandez du sur-mesure, vous devez attendre. C’est très enthousiasmant de posséder un article unique. Vous le commandez tel que vous le désirez puis vous patientez. Mais quelle importance? Cet objet va vous accom-

pagner pendant tant d’années! C’est pour cela qu’il est si spécial. En quoi posséder un objet luxueux est-ce une expérience particulière? C’est une expérience privée et personnelle. C’est un plaisir, une sorte de voyeurisme égocentré. Ce sont vos sens qui s’éveillent quand vous effleurez le daim d’un sac ou y plongez votre main, quand vous éprouvez sa légèreté sur votre épaule. Personne d’autre que vous ne peut ressentir ces moments. C’est une expérience qui vous est propre et c’est à mon sens la véritable définition du luxe. Il en est de même lors d’un défilé. En tant que spectatrice ou spectateur, vous ne pouvez pas véritablement comprendre la spécificité du produit. Tout va bien trop vite. Ce n’est qu’en vous l’appropriant que vous pénétrez les arcanes de sa création, que vous percevez le travail qui le façonne et que vous prenez conscience de sa préciosité. DR

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Vous avez suivi vos études à l’école Waldorf. Rudolf Steiner a fondé cette école. Qu’a-t-elle de particulier?


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PHOTOS: DR

Silhouettes de la collection printemps-été 2015, Bottega Veneta.

vient époustouflant: des manches aux proportions justes, un volume parfait, une grande maîtrise de la façon, le meilleur choix de tissu, le bon poids. J’ai visité le village natal de Cristóbal Balenciaga. C’était intéressant, car vous percevez avec plus d’acuité sa démarche et son inspiration.

Je préfère qu’il découvre une ambiance, une expression artistique avant la signature. Il la découvrira ou pas, c’est un risque à prendre. Comme au musée, vous avez le choix de lire la description de l’œuvre ou de vous laisser guider par vos impressions pour la découvrir et deviner qui en est l’auteur.

Vous évoquez le choix du tissu: comment choisissez-vous vos matières? Mon équipe se déplace souvent chez les fournisseurs pour dénicher de nouvelles étoffes. Mais nous créons souvent nos propres tissus et les faisons développer. C’est beaucoup de travail car chaque couleur, chaque matière doit voir le jour grâce à un suivi permanent. Tout est fait main.

Pensez-vous que les tissus ont une voix cachée? Bien sûr, ils bruissent mais peuvent aussi évoquer des sensations comme le confort, la fraîcheur, la sensualité… Certaines personnes développent de véritables addictions ou au contraire de la répulsion pour certaines matières, comme le cuir par exemple! Sur le site de Bottega Veneta, nous avons réalisé une vidéo sur la danse, le mouvement et le bruit du tissu. C’est étonnant l’harmonie qui en ressort.

Vous êtes très discret sur votre vie privée. Refusez-vous le star-system? Le produit est la star, pas moi. Je considère qu’il n’est pas nécessaire de connaître la vie intime des créateurs. Un peu de mystère vaut toujours mieux qu’un étalage inutile. C’est un enseignement qui ne laisse personne sur le bord de la route. Chaque compétence est mise en valeur. Cela peut être vos talents en art ou en jardinage! Le respect est la valeur suprême, et personne ne se sent inférieur aux autres. Je reste persuadé que dans la vie, tout est possible, vous pouvez réussir même si vous n’avez pas obtenu votre baccalauréat. J’ai fait toute ma scolarité à l’école Waldorf, de 6 à 19 ans. Ce fut une superbe expérience. Vous aimez Yves Saint Laurent, mais vous êtes aussi un admirateur de Cristóbal Balenciaga. Quels autres grands stylistes du passé vous ont marqué? J’aime la construction. Et celle de Balenciaga plus qu’aucune autre. J’aime les vêtements de jour comme les manteaux mais pas les robes de soirée. La maîtrise des habits de jour force mon respect ainsi que la simplicité et la beauté de la structure des manteaux Balenciaga de l’époque. Je suis un professionnel, je fais des vêtements depuis trentecinq ans. Je sais que c’est ce «petit rien» qui fait qu’un modèle de-

Comme un jardin privé. Vous aimez jardiner? Oui (rires), c’est une passion. Il paraît que vous ne supportez pas le désordre. C’est exact, surtout au bureau. Je crois fermement qu’un endroit vide met en valeur le produit sur lequel on travaille. Il devient plus lisible, car l’espace neutre autour ne le phagocyte pas. Même les boîtes de rangement sont blanches pour ne pas créer de parasites visuels. Tout doit donc être entreposé en permanence dans les armoires et les tiroirs. Pour vos campagnes de pub, vous faites souvent appel aux photographes d’art, pour quelle raison? Un photographe d’art va avoir un œil moins professionnel, il ne pensera pas seulement à mettre en valeur le produit et aura une approche plus globale. C’est ainsi que je conçois celle ou celui qui va porter mes créations, comme un individu d’abord. Le vêtement, l’accessoire ne fait que souligner sa personnalité, le ou la rend plus beau, plus belle. Je ne souhaite pas guider le spectateur sur ce qu’il voit dans l’image.

Pourquoi la danse? C’est le mouvement du monde qui nous entoure, des gens dans la rue. C’est une étude permanente des mœurs de notre époque, de nos peurs, de nos obsessions d’être parfaits qui nous rendent tristes. Cela m’attriste également, car je suis convaincu que ce qui est le plus important c’est l’élégance des gestes, de la démarche et non une focalisation sur certaines parties du corps, comme les tablettes de chocolat ou le poids. Les danseurs m’ont inspiré car ils ont un maintien du corps, un port de tête extraordinaires. Lorsque vous dessinez vos collections, avez-vous quelqu’un à l’esprit, une personnalité? Non, je n’ai pas de muse. Quand j’imagine la collection pour homme et pour femme, je pense à plusieurs personnes et à des attentes plurielles. Cela vient du fait que j’ai grandi avec une sœur, une mère, une tante qui avaient chacune leur personnalité. Elles avaient des morphologies et une notion de la beauté différenciées. Il faut toujours penser aux clients et à leur diversité en proposant plusieurs options, car tout le monde possède la beauté. Vous mettez alors en valeur ce que vous souhaitez montrer et n’avez pas besoin d’exposer ce qui ne vous plaît pas.

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PHOTOS: SYLVIE ROCHE

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SÉDUCTION

Julie de Libran, unsouffle Depuis deux saisons, elle dessine les collections Sonia Rykiel. Et depuis deux saisons, on a enfin le sentiment qu’une âme est revenue s’installer dans la maison. Une âme de femme libre. Entretien. Par Isabelle Cerboneschi, Paris. Photographies: Sylvie Roche sace, Miuccia Prada, et enfin Marc Jacobs chez Louis Vuitton. On lui a proposé la lumière à plusieurs reprises mais trop tôt: elle voulait tout apprendre, tout savoir faire, avant. En mai 2014, elle a été nommée directrice artistique de Sonia Rykiel, marque qui appartient depuis 2012 au groupe chinois First Heritage Brand à hauteur de 80%. Julie de Libran succédait ainsi au Canadien Geraldo da Conceicao. La première collection qu’elle a signée pour Sonia Rykiel est une évidence, jusqu’aux chaussures, produites par Robert Clergerie, une autre marque du groupe chinois, comme le malletier belge Delvaux et le tailleur Cerruti. De nombreux directeurs artistiques se sont succédé chez Sonia Rykiel, mais aucun n’a durablement su en rendre l’esprit. Ce côté femme libérée, frondeuse, cette envie d’en découdre avec la mode et les conventions. Julie de Libran n’interprète pas le style de Sonia Rykiel de manière littérale. D’ailleurs, cela n’aurait aucun sens aujourd’hui. Le monde a changé, les libertés aussi. C’est dans l’esprit que tout se joue, dans une légèreté intelligente, dans une profonde compréhension de la femme, qui oscille entre ses obligations et ses désirs, et ne veut pas choisir. Le Temps: Votre collection printemps-été fait la part belle aux pantalons serrés aux chevilles, aux combinaisons, aux salopettes, au jean, aux rayures. Quels codes vous semblent essentiels chez Sonia Rykiel? Julie de Libran: La rayure était le fil conducteur de cette collection. Quand je parlais de la maison aux gens autour de moi, c’est

toujours ce qui leur venait en tête: les rayures. Je voulais aussi des matières souples, presque une seconde peau, pour que la femme soit libre. En arrivant dans la maison, j’ai voulu la connaître de l’intérieur et je me suis plongée dans les archives, dans l’histoire, dans les vêtements. Puis j’ai refermé les archives et laissé ma mémoire sélective faire le tri. J’ai voulu me laisser la liberté de créer ce que j’avais envie de faire aujourd’hui. J’ai emprunté au passé les bretelles, qui donnent une liberté: quand une femme entre dans un endroit plus chaud, elle peut ainsi ôter son vêtement, sa cape, et les porter comme un sac à dos. C’est un détail assez ludique. Pourquoi des pantalons resserrés aux chevilles pour l’été? La maille est un élément fondateur de la marque et j’ai voulu en mettre partout. Ça donne une souplesse, un côté immédiat, confortable. C’était aussi une manière d’établir un lien avec le survêtement: on connaît Sonia Rykiel pour ses magnifiques joggings en velours. Et même si le pantalon que vous avez vu est en «crêpe envers satin», avec son bord côte en maille, il rappelle cette silhouette-là. Un vêtement ne naît pas par hasard. Il est le fruit d’une époque. Qu’est-ce qui vous inspire, aujourd’hui, lorsque vous créez vos collections? On ne se rend pas toujours très bien compte de l’influence de l’époque sur la création. Depuis cette maison qui est située ici, à Paris, en plein Saint-Germain-

DAVID BAILEY

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a première fois que j’ai rencontré Julie de Libran c’était en 2010, Rive droite, dans des bureaux transformés en podium. Elle présentait la collection croisière de Louis Vuitton qu’elle avait créée et c’était sa première apparition publique officielle (lire LT du 01.12.2010). C’était frais, c’était gai, c’était désirable, c’était léger, c’était chic, ça lui ressemblait. La dernière fois que j’ai rencontré Julie de Libran, c’était en mars dernier, Rive gauche, dans une boutique-librairie de Saint-Germain-des-Prés emplie jusqu’au plafond de dizaines de milliers de livres d’occasion. Elle venait de présenter la deuxième collection qu’elle avait créée pour Sonia Rykiel. C’était frais, c’était gai, c’était désirable, c’était léger, c’était chic, c’était féminin, évident, juste. La directrice artistique a trouvé sa maison. Les racines de Julie de Libran sont à Vernègues, près des Bauxde-Provence, dans une grande maison solaire où elle a vécu une partie de son enfance. Mais une vie étant souvent faite de déracinements successifs, la Française fut obligée d’en faire pousser d’autres à San Diego, en Californie, où sa famille a emménagé lorsqu’elle avait 8 ans. Peut-on parler de choc culturel à cet âge-là? Elle est passée d’un soleil à un autre. En 1990, Julie de Libran est partie étudier le design et le patronage à l’Instituto Artistico dell’Abbigliamento Marangoni, à Milan. Puis ont commencé ces riches années pendant lesquelles elle a créé dans l’ombre. Des ombres immenses: celles de Gianfranco Ferré, Gianni Versace, Donatella Ver-


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En coulisses du défilé Sonia Rykiel printemps-été 2015.

delibertéchezSoniaRykiel des-prés, ce que j’ai envie de faire c’est d’essayer de rassembler tout ce que l’on est – un savoir-faire français, nos ateliers, nos tissus, notre technique – et les adapter à la vie des femmes d’aujourd’hui. Comme le faisait Sonia Rykiel en son temps. J’ai envie de m’adapter à ces femmes et de faire un vêtement qui soit porté, qui les suivent dans leur quotidien. Mais à ma façon. Comment se glisse-t-on dans une marque «incarnée» qui fut longtemps le miroir de Sonia Rykiel et de ses préoccupations? On fait du mieux que l’on peut pour comprendre la marque, l’adapter aux codes, à ce que Sonia Rykiel a bâti pendant quarante ans de mode. Et on essaie d’écrire et de dessiner les prochaines pages de l’histoire. La mode Sonia Rykiel à ses débuts était un plaidoyer pour une femme libre. Est-ce que la mode aujourd’hui peut encore avoir un impact sur la société, comme ce fut le cas dans les années 70? Aujourd’hui, les choses vont beaucoup plus vite. Tout le monde a accès à Internet. Mais je crois qu’une mode peut encore aujourd’hui créer un mouvement dans la société. Vous ne pensez pas? Moi, j’y crois. Mais peut-être qu’on vit une période où le marché a pris une telle importance qu’on doit rester très attentif, commercialement parlant. Etre créateur aujourd’hui signifie penser à faire des choses qui rentrent dans toutes les cases. C’est beaucoup plus complexe. On ne se réveille pas en se disant: «J’ai envie de jaune» et on fait une robe jaune, comme ça

pouvait être le cas dans les années 80. Cette période était tellement poussée! Même dans la rue, les gens étaient tellement plus créatifs! Quand on regarde vos collections, on se dit: «C’est juste!» Et pas seulement par rapport à l’esprit de la marque, mais aussi en regard du désir des femmes. Ce désir était perceptible pendant le défilé, qui vous a valu une «standing ovation», je l’ai entendu dans les discussions des invitées. Comment parvient-on à répondre à un désir avant même qu’il ne s’exprime? Cela me rassure de voir que des femmes comprennent. En même temps, ce n’est pas compliqué. Aujourd’hui, on a toutes envie d’un bon jean, d’une belle matière, d’acheter des pièces qui ont une belle proportion, qui vont nous embellir, qui ont de l’allure, un certain charme, et qui vont durer dans le temps. On ne veut pas jeter quelque chose si dans deux mois ce n’est plus à la mode. Il n’y a pas tant de femmes que cela qui ont ce pouvoir d’achat. Les gens n’achètent plus comme autrefois. Et puis il y a plus d’offre. Quand je trouve une silhouette qui me plaît, dans laquelle je me sens bien, je vais investir. C’est ce que je veux réussir à faire dans cette maison: ré-attirer les femmes dans l’univers de Sonia Rykiel. Votre mère portait des vêtements Sonia Rykiel quand vous étiez enfant. En devenant directrice artistique de la marque, est-ce que des souvenirs personnels ont émergé? Lors du premier défilé, j’ai écrit un mot en expliquant qu’il s’agissait d’une sorte de «retour à

C’est comme ça que j’ai connu la marque: à travers ses vêtements. Et puis quand je suis arrivée en Italie, dans mon école de mode, Sonia Rykiel était une icône. Elle avait créé une silhouette. Sa propre mode. C’était une vraie influence. Quelqu’un qu’on regardait. Vous avez le souvenir d’un vêtement en particulier qui aurait appartenu à votre mère? Absolument. Plusieurs pièces des années 70. Je les ai encore d’ailleurs. Deux cardigans presque identiques, en mohair, des sortes de cache-cœur boutonnés avec un lien. Il y en avait un beige et un bleu. Et aussi un tailleur veste-bermuda, en crêpe envers satin, à porter à même la peau, avec le satin à l’intérieur. Il était noir avec des boutons dorés plats. Je le trouvais tellement élégant! Une silhouette tellement chic! C’était très habillé et en même temps ça n’avait pas d’âge. Je l’ai beaucoup porté aux Etats-Unis. Je surprenais mes amis, car c’était une mode différente. la maison». Je suis née en France, je suis Française, puis toute la famille est partie à l’étranger. Maman, dans les années 70 s’habillait beaucoup en Sonia Rykiel. J’ai des souvenirs très précis. Ce sont des vêtements qu’elle m’a donnés plus tard que j’ai énormément portés aussi. Pour moi, c’étaient des pièces précieuses car elles faisaient partie de mes racines, de mon enfance: c’était la France. Je l’ai réalisé en arrivant dans cette maison. Ma mère portait la mode de l’époque, du Saint Laurent, du Kenzo, du Rykiel.

C’est beau l’idée de porter des vêtements qui ont eu une vie et à qui l’on donne une autre vie. Et lorsqu’il s’agit de vêtements portés par notre mère, ils transportent plus de choses encore, une tendresse, un lien. Oui, tout à fait, pour moi c’est un vrai lien. Comme je vivais aux Etats-Unis à cette époque, pour moi, c’était aussi un lien avec la France. C’était du vintage mais tellement à la mode. Ce crêpe envers satin, c’est une matière que j’ai voulu retravailler à mon arrivée chez Sonia Rykiel. Je la trouve merveilleuse. Elle se porte

à même la peau. On peut l’utiliser du côté satin ou du côté crêpe. S’il devait y avoir une femme dont le style vous inspire, qui serait-elle? Celles qui ont créé un mouvement à leur époque, à travers leur créativité et leur passion. Celles qui font ce qu’elles aiment et y croient. Je pense à Coco Chanel, à Miuccia Prada, Sonia Rykiel, Charlotte Perriand, Rei Kawakubo, Sofia Coppola… Je ne peux pas me tenir à un seul nom. Vous avez travaillé auprès de Gianfranco Ferré, Gianni Versace, Miuccia Prada, et Marc Jacobs. Autant de personnalités puissantes qui ne se ressemblent pas. Si vous deviez garder un conseil fondateur qui vous aurait accompagnée au fil de votre carrière, quel serait-il? J’ai appris tellement de toutes ces années passées avec eux! J’ai du mal à n’en citer qu’un. Il y a deux leçons qu’ils m’ont apprises: «Fais ce en quoi tu crois» et «Travailler dur porte ses fruits». J’ai tellement travaillé! Tellement! C’est peutêtre mon côté américain. On m’a souvent demandé pourquoi je n’ai pris la direction artistique d’une maison que maintenant. C’est parce que j’avais besoin de tout apprendre avant. On m’a proposé des postes comme celui-ci, mais je n’étais pas à l’aise. Je ne regrette pas d’avoir passé dix ans chez Prada. Maintenant je suis prête: j’ai pratiqué le dessin, la construction, le patronage, la broderie. J’ai fait des campagnes de pub, j’ai choisi des photographes, des mannequins. J’avais besoin de savoir faire le travail moi-même avant de pouvoir le diriger. Je sais faire mon travail. C’est cela que j’ai appris d’eux.








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FlowerPower

GIOVANNI GASTEL

PHOTOS: DR

Pour sa collection printemps-été 2015, Brendane Mullane, le directeur artistique de Brioni, a choisi d’orner les costumes masculins de fleurs. Entretien. Par Antonio Nieto, Milan

Brendane Mullane: «Brioni, c’est un luxe en soi et pour soi dont seul celui qui le porte détient les arcanes. Un luxe discret qui vous singularise.»


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Pourquoi avoir choisi une évocation équestre? Il y a des points communs entre l’équitation et la marque: l’allure, le maintien, le mouvement, le contrôle et la discipline. Il faut compter neuf ans pour devenir un écuyer qualifié, et neuf ans pour devenir un tailleur Brioni. La première chose à laquelle on pensait, en voyant ce défilé, c’est la matière: on avait envie de toucher. J’adore l’idée. Les invités sont placés dans un espace à la fois immense et suffisamment proche pour pouvoir voir les détails dont ils conserveront la vision. Le fait que vous ayez le désir de toucher ces matières est la preuve que nous avons réussi notre pari. Vous rendez-vous souvent à Penne dans les Abruzzes, où se trouvent les ateliers de tailleurs? Je vis à Rome, mais je vais souvent à Penne. J’adore m’y rendre. C’est vraiment là le cœur de Brioni, nous y sommes à la maison. Comment ont réagi les artisans de Penne lorsque vous avez été nommé? Au début, ils étaient assez surpris, mais j’ai l’habitude de travailler avec des artisans: ils donnent vie à votre travail. Je sais faire une veste, ils savent de quoi je parle. Je valorise leur travail. Quand on travaille pour une telle marque, on doit gagner le respect de ces maîtres artisans. Une armée de tailleurs a préparé le défilé, tous mes tailleurs de Penne. C’était comme si Brioni avait déménagé à Milan. Nous voyageons ensemble pour les essayages, les shootings. Il y a un vrai esprit d’équipe, de camaraderie. Ce défilé, c’était aussi le leur. J’en suis très fier. C’est le premier d’une longue série.

PHOTOS: BRIONI

Le Temps: Devant votre collection printemps-été, on pense au luxe, au vrai, celui qui ne se voit pas, l’antithèse de l’ostentatoire. Brendane Mullane: Cela résume parfaitement notre savoir-faire et notre esprit. Le concept de l’Homme Brioni, c’est un luxe en soi et pour soi dont seul celui qui le porte détient les arcanes. Un luxe discret qui vous singularise. La maison Brioni date de 1945. Comment en faites-vous perdurer l’esprit aujourd’hui? Je me sens privilégié parce que c’est une maison italienne qui a su rester fidèle à elle-même. Dès le départ, les fondateurs ont parié sur la différence. En installant cet atelier de couture, ils ont mis en place un système paradoxal. Les libertés qui m’ont été accordées m’ont permis le dépassement de certaines normes. Mais il y a toujours quelqu’un qui vous dit: «Brioni doit être ceci ou cela.» J’ai les archives, je sais ce qui correspond à Brioni. C’est une marque très contemporaine. Le premier défilé homme date de 1952, déjà! Et la couleur y avait été utilisée

Brendane Mullane à l’Atelier Brioni de Penne dans les Abruzzes.

alors que c’était considéré comme une abomination pour les hommes. Comment avez-vous vécu le premier défilé de la marque en janvier 2015 à Milan? Une grande pression. J’étais bizarrement calme parce que je me suis dit: «Nous l’avons fait.» Ce fut le résultat de six mois avec les maîtres tailleurs, les gens en interne et mon équipe.

Cherchez-vous à conquérir une clientèle plus jeune? Oui, je souhaiterais montrer des aspects de la marque que je perçois et que les autres ne voient pas parce qu’elle s’est institutionnalisée au fil des années. Il est temps de montrer son essence véritable. On m’a donné un diamant: mon travail est de faire qu’on le regarde différemment. Je souhaite toucher des personnes qui aiment ce savoir-faire, l’idée du fait main et qui ne seraient jamais rentrées dans une boutique Brioni parce que c’était une marque intimidante. Or nous cherchons à traduire à travers nos vêtements une volonté: celle de ne pas être formaté. La personne qui se rend chez Brioni aime s’habiller pour mettre en valeur sa personnalité, et non par conformité.

PHOTOS: DR

ome, 1945. L’année fondatrice de l’entreprise qui va devenir une institution de la couture masculine: Brioni. En 1952, la marque défrayait la chronique en organisant le premier défilé de mode masculine. Janvier 2015 : Brioni retrouve les podiums qu’elle avait abandonnés et présente son premier défilé d’une nouvelle ère, comme un pont entre le passé et le futur. Ce qui caractérise la marque, qui appartient au groupe Kering, c’est la consécration d’un style italien évoluant au rythme de la demande et se ressourçant au travers de ses propres créations. Aujourd’hui, Brioni compte plus de 500 points de vente disséminés dans le monde. Cette maison italienne possède sa propre école de couture et forme ses tailleurs, qui eux-mêmes transmettent leur savoir-faire. Selon le Luxury Institut de New York, il s’agit de la marque masculine la plus prestigieuse. Brendan Mullane lui donne une impulsion en osmose avec son temps. Comme il le dit lui-même, il ne le fait pas seul, mais avec toute l’équipe de Brioni qui travaille avec les mêmes critères de qualité depuis 70 ans. La carrière de ce directeur de création l’a conduit à travailler dans les maisons les plus prestigieuses: il a fait ses classes chez Hermès, Louis Vuitton, Burberry, Alexandre McQueen avant d’être nommé senior menswear designer chez Givenchy, puis, en juillet 2012, il a été nommé directeur artistique de Brioni. Rencontre.

La collection printemps-été est très importante puisqu’elle vous permet de communiquer l’image. Pourquoi un costume avec des impressions fleuries en 3D? Personne ne s’y attendait. Je voulais qu’on ait le sentiment d’acheter non pas un costume avec des fleurs dessus, mais une œuvre. L’impression a été créée par un artiste – James Welling – et terminée par des artisans. Le luxe est-il un privilège? Avoir le temps d’être soi-même est un privilège, je dirais même plus une considération. Vous ne devriez pas être privilégié pour vivre dans le luxe. C’est une perception. Vous pouvez faire partie de la haute société, être riche, et n’avoir aucune compréhension de ce qu’est le luxe. Vous pouvez avoir un goût horrible. C’est un sens qui n’est pas donné avec l’argent. Cela vient de l’éducation en général. A un certain niveau de goût, cela relève d’une intuition. Comment expliquez-vous que les jeunes générations, dans le domaine vestimentaire, se tournent vers le passé avec nostalgie? Je pense qu’ils trouvent une certaine sécurité dans la tradition. D’autant que les plus jeunes ont besoin d’avoir l’impression d’être l’objet d’une grande attention, que ce qu’ils portent soit passé entre de nombreuses mains et ait nécessité des heures de travail. Il y a une nouvelle appréhension de ce désir de luxe ultime. Ils se rendent compte de ce qui est magnifique et pourquoi ça l’est. Aujourd’hui, c’est une tendance que vouloir du sur-mesure, de se

sentir unique, de vouloir ne pas être stéréotypé. Il ne faut pas perdre de vue que les personnes qui ont 20 ans aujourd’hui seront les prochains dirigeants dans dix ans. Ils vont plus vite. Ils ne veulent pas acheter 15 costumes, mais un seul et le garder, le porter pour chaque occasion importante. Nous faisons des vêtements qui plus ils sont portés, mieux ils évoluent. Ils se façonnent à votre corps. Comme un autre soi-même. On parle souvent de bon ou de mauvais goût, ce qui est très relatif. Qu’est-ce que le bon goût signifie pour vous? Le bon goût signifie comprendre ce qui vous va. Et l’élégance masculine? C’est transmettre sa personnalité au travers de ce que l’on choisit de porter. Les hommes sont-ils des clients difficiles, je veux dire plus que les femmes? Oui! Les hommes sont tellement plus difficiles que les femmes! Vous devez vraiment les séduire et cultiver leur intérêt, car ils sont très loyaux mais aussi très exigeants. L’image de Brioni est en train de changer. Elle devient plus originale, moins rigide. Cela est dû à votre travail sur les collections, mais aussi à une nouvelle façon de communiquer, de nouvelles campagnes de pub. Le message? Nous sommes juste en train de retourner aux origines de la marque et mettons en place la différence comme concept. Le fait d’être unique.

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LA FLEUR DU CUIR

J.M.Weston,

La manufacture de chaussures est un des derniers fleurons d’un savoir-faire qui a quasiment disparu de l’Hexagone. Reportage dans la tannerie et l’atelier où naissent les modèles d’exception. Par Catherine Cochard, Limoges

MICHEL LABELLE

PHOTOS: VINCENT LEROUX/TEMPSMACHINE

plaidoyercontre ladésindustrialisation

De gauche à droite: réalisation à la main du cousu norvégien; battage du cuir afin de le rendre plus résistant; cloutage manuel d’une semelle de cuir; une autre étape du cousu norvégien.

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ans son livre La carte et le territoire, Michel Houellebecq imagine la France d’après la désindustrialisation. Un pays qui, en délocalisant la fabrication de toute chose, a sacrifié ses savoirfaire. Un territoire devenu musée, une nation nostalgique de ses objets manufacturés. C’est ce dont on se souvient en débarquant à Limoges pour visiter la tannerie puis la manufacture de J. M. Weston. Car la tannerie Bastin, à SaintLéonard-de-Noblat, est une des dernières de ce type dans tout l’Hexagone. Rachetée en 1991 par le groupe EPI, l’installation industrielle qui date de 1806 produit à 80% pour Weston. Le Limousin était historiquement une région du cuir. Les bêtes qui paissaient sur des terres à perte de vue d’une part et de l’autre les eaux acides du sol et les châtaigniers: tous les éléments nécessaires au tannage végétal du cuir étaient réunis. Michel Desparains, le directeur de l’installation industrielle de Saint-Léonard où travaillent une dizaine de personnes, explique en détail et dans un jargon oublié les arcanes du métier. Au commencement, il y a les peaux de vache, «uniquement des femelles, car leurs fibres sont plus serrées que celles des mâles», de la race Simmental et Allgäu, «dont le cuir est particulièrement épais». Issus de la chaîne alimentaire, les croupons arrivent par camions d’abattoirs situés en Allemagne et en Autriche. Durant un an, ces peaux vont être travaillées pour obtenir deux produits imputrescibles: la future

semelle dure des Weston côté trottoir, et celle plus souple côté plante du pied. Une autre tannerie située au Puy-en-Velay se charge de livrer le cuir plus fin et souple destiné au-dessus des modèles. La première étape du tannage végétal consiste à passer les peaux souillées dans un foulon, une immense machine à laver qui, avec de la chaux éteinte, les décape des excréments, poils et autres saletés. Elles sont ensuite placées dans l’écharneuse pour en extraire les résidus de graisse, qui comptent pour un tiers du poids de départ des croupons. Puis commence alors la basserie ou bain de tannins. Une étape qui dure en moyenne deux mois et qui consiste à tremper les cuirs dans des jus d’extraits végétaux successifs et toujours plus acides. Le but étant de remplir l’espace entre les fibres pour qu’il n’y ait plus rien qui puisse pourrir. «On utilise deux sortes de tanins: celui du châtaignier qu’on importe d’Italie et celui du quebracho, un arbre qui vient d’Argentine, nous apprend Michel Desparains. On ne produit malheureusement plus de tannins de ce genre en France.» Les peaux doivent ensuite mijoter pendant près d’un an dans des fosses remplies de chêne broyé dont l’acidité stabilise le tannage. A la sortie de ces puits, avant de pouvoir être livrées à la manufacture Weston, elles sont encore essorées, étirées, nourries à l’huile de foie de morue, séchées puis battues au marteau-pilon. Mais pour obtenir une paire de Weston, il faut encore entre 150 et 200 étapes. C’est à la manufacture,

en zone industrielle de Limoges, que se fabriquent concrètement les chaussures. Chaque jour, environ 320 modèles – mocassins, derbys, richelieus et autres bottines et bottes – sortent d’ici. Il existe même une pièce surnommée le «musée» qui atteste non seulement de la longue histoire de la marque mais aussi des nombreuses tentatives et prototypes qui n’ont jamais passé le stade expérimental, à l’image d’une paire en peau de crapaud, «pas assez vendeur», ou d’une autre en éléphant qui date de l’époque où son utilisation n’était pas prohibée. La manufacture se divise entre plusieurs espaces d’ateliers. Le premier s’occupe de découper et d’assembler les pièces du dessus de la chaussure en fonction des modèles à produire. C’est un espace rempli de machines d’un autre temps, certaines servent à coudre le cuir, d’autres à le perforer ou encore à le cambrer. Attenant à cet espace se trouve la réserve des peaux souples, rangées par couleur et type (vernis, nubuck, cachemire). Sur une étagère à part sont entreposés les cuirs exotiques destinés à répondre aux commandes spéciales: python, lézard, crocodile, alligator, requin, autruche ou encore pécari. Un autre espace ressemble à un magasin de location de chaussures de ski. Il s’agit en fait des 40 000 formes, indispensables à la fabrication des 12 000 à 14 000 souliers annuels, Weston proposant jusqu’à sept largeurs différentes par modèles ainsi que des demi-pointures. «Nous nous trouvons ici dans la salle des mariages, explique Romain Aquilo, chargé des com-

Mise en humeur des tiges avant montage. mandes spéciales et du suivi des achats de matières. C’est ici que se marient le dessus et le dessous de la chaussure.» Après des mois de mise en beauté, chacune dans leur tannerie, les peaux du Puy-en-Velay et celles de Saint-Léonard sont enfin prêtes à se rencontrer. Le passage dans cette salle au nom romantique est surtout indispensable aux différentes manipulations qui vont suivre. Pendant au moins 24 heures, les cuirs

sont ici «mis en humeur», c’est-àdire humidifiés pour mieux résister aux différents traitements brusques auxquels ils vont être soumis. «Sans cela, les peaux craquent sous la pression et il ne reste plus qu’à tout jeter.» C’est dans l’atelier suivant que la chaussure prend enfin la forme qu’on lui connaît. Et c’est aussi ici qu’on applique la méthode de montage Goodyear inventée aux EtatsUnis, une technique qui permet


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VINCENT LEROUX/TEMPSMACHINE

> Un savoir-faire qui prend son temps Imaginez, il s’écoule près d’un an et demi entre le moment où la peau quitte l’abattoir et celui où la paire arrive en magasin. Un périple qui commence dans une installation industrielle datant de 1806 au cœur du Limousin et se termine par l’expédition des chaussures dans leur boîte en direction des divers points de vente de la marque après un dernier bichonnage attentionné. C’est le séjour en tannerie qui s’éternise, la fabrication en manufacture étant, elle, beaucoup plus courte: neuf semaines tout de même pour en moyenne 150 prises en main. Du temps, il en faut également pour faire les chaussures siennes. Environ deux mois de souffrance pour qu’elles se forment. «Certains fortunés engagent encore de nos jours des valets de pied sur le critère de leur pointure, pour qu’ils accomplissent cette tâche à leur place. C’est dommage. C’est se priver du plaisir qui succède à la peine», écrit Didier van Cauwelaert, Prix Goncourt en 1994 pour Un aller simple, et auteur d’un livre dédié à J.M. Weston. C’est en 1891 qu’Edouard Blanchard fonde à Limoges une manufacture spécialisée dans la fabrique de chaussures. En 1904, son fils Eugène part à Weston, aux Etats-Unis, pour apprendre la technique du cousu Goodyear. A son retour en France, il dépoussière et développe le business paternel, en proposant notamment plusieurs largeurs par demi-pointure et la fameuse technique de couture américaine. Eugène Blanchard s’associe à Jean Viard en 1922. Ensemble ils déposent le nom J.M. Weston et ouvrent la première boutique de la maison à Paris au 98, boulevard Courcelles. Il court plusieurs rumeurs sur l’origine des initiales J.M. mais aucune n’a été officialisée. Dans les années 60, les «minets» de la bande du Drugstore des Champs-Elysées popularisent le 180, le mocassin emblématique (les autres modèles phares étant le Derby chasse, le Derby golf et la bottine Cambre). En 1974, Jean-Louis Descours acquiert J.M. Weston, qui rejoint les autres marques du groupe EPI (pour société de participations européennes industrielles, propriétaire également de Bonpoint, Alain Figaret, François Pinet, Michel Perry, les Champagnes PiperHeidsieck ou encore des vins du Château La Verrerie dans le Lubéron). En 1986, la première boutique new-yorkaise de la maison ouvre, puis ce sera en 1993 au tour de celle de Tokyo et, en 2004, celle de Hongkong. J.M. Weston emploie environ 200 personnes entre Limoges et Paris (un chiffre auquel s’ajoutent les forces de vente dans toutes les boutiques en nom propre et corners autour du monde). Chaque année, environ 100 000 paires sont produites, dont 30 000 du célèbre mocassin. Les trois quarts des chaussures sont fabriquées dans la manufacture limousine et le reste en Italie. Le prix d’une paire varie de 500 à 1500 euros. Un service personnalisé répond, sur devis, aux désirs particuliers des clients, qu’il s’agisse d’une paire de mocassins en python rose ou d’un derby chasse en peau de requin dorée. Hormis ses nombreux clients autour du monde, la maison confectionne aussi les bottes sur mesure de la Garde républicaine ainsi que celles des gendarmes français. C. Cd

Immersion des peaux dans des bains de tannins composés de matières végétales.

d’assembler la semelle et la tige (le dessus de la chaussure) en les cousant à la main l’une à l’autre. Ce système permet aussi de réparer les paires plus facilement, il suffit de découdre puis de recoudre en utilisant les mêmes trous. D’ailleurs à ce niveau de la chaîne de production, les Weston déjà portées mais qu’il faut ressemeler pour les clients rejoignent celles qui n’ont jamais foulé le bitume. Quelques passages sur diverses machines plus tard, les Weston arrivent enfin à l’atelier de bichonnage. Un espace qui a pour mission de les sublimer. C’est aussi dans cet atelier qu’on s’assure qu’aucune agrafe n’a été oubliée et que les semelles ne présentent aucune imperfection. Il faut que le futur client puisse se voir dans le reflet sous la chaussure comme dans un miroir. «C’est très important que cela soit impeccable, ajoute Romain Aquilo, même si après avoir marché 10 mètres il ne reste plus rien de cette surface parfaitement lisse et brillante…» En quittant la manufacture et en traversant la zone industrielle de Limoges, qui semble compter plus de revendeurs automobiles que d’industries, on se demande bien à quoi pouvait ressembler la région autrefois, au temps où étaient ici rassemblés les meilleurs fabricants de souliers de toute la France. On repense alors à la tannerie Bastin, au livre de Michel Houellebecq et à la nostalgie des objets manufacturés. Tout en entretenant un mythe, Weston offre aux amoureux de la belle facture plus qu’une paire de chaussures haut de gamme: un pan de l’histoire de l’industrialisation en France.

«Labellechaussureestunedistinction» Michel Perry, le directeur artistique de la maison depuis 2001, était de passage à Genève. Interview Le Temps: Comment avez-vous appris le métier? Michel Perry: Dans ma famille, on ne parlait que de cela puisque mes parents géraient des boutiques de chaussures en province, dans le nord de la France, entre Lille, Valenciennes et Lens. Après mon Bac et un passage aux Beaux-Arts, dans les années 70, ce fut mon tour. J’ai traversé toutes les étapes nécessaires à la création d’une chaussure, du dessin au patronage en passant par la fabrication manuelle, la vente et la présentation. J’ai notamment fait mes armes dans l’est de la France pour la marque Bata qui avait alors sa propre ville, Bataville, où se trouvaient l’usine, les ateliers mais aussi des maisons, des hôtels. Le matin, quand je partais travailler il y avait dans les rues de la musique pour motiver les gens. C’était assez militaire. En 1985, vous créez votre propre marque, Michel Perry. A quel moment avez-vous décidé de vous lancer? Je me suis rendu compte que les chaussures ne servaient pas qu’à marcher et je voyais bien dans les yeux des femmes cette petite étincelle qui s’allumait lorsque je leur parlais de mon métier et de modèles à hauts talons… J’ai commencé par travailler avec des artisans de Belleville qui réalisaient mes modèles sur la base des dessins que je leur donnais.

créer d’abord une collection. Mon cahier des charges était le suivant: ne pas faire la révolution mais réactualiser les modèles. J’ai trouvé cela très intéressant de revenir aux fondamentaux de la chaussure, à la tradition. C’est ainsi que je suis passé de Ziggy Stardust à Oscar Wilde.

NICOLAS HIDIROGLOU

J’imaginais des histoires autour de ces chaussures, je fantasmais la femme qui les porterait. Plus tard, un chausseur italien m’a demandé de dessiner des collections pour différentes marques, dont Sergio Rossi. Et à chaque fois, mes modèles rencontraient un franc succès. Alors je me suis lancé! Quelle était votre volonté? Je voulais que la chaussure passe du statut d’accessoire à celui d’élément indispensable au style. Je regardais comment s’habillaient les femmes. Je voyais celles qui portaient des marques des pieds à la tête, je trouvais ça affreux. Tout autant que celles qui

portaient des robes de créateur avec des escarpins de mauvaise facture! Pour moi, avoir du style c’est savoir mixer les éléments. Et comment êtes-vous devenu directeur artistique de Weston? Il y a toujours eu chez Michel Perry une petite collection confidentielle pour hommes. Une ligne très excentrique, pour dandy du genre David Bowie, des pièces très rock’n’roll dans l’inspiration. Mais dès les années 2000, le rock était servi à toutes les sauces, la mode mettait des têtes de mort et des clous partout. Cette surenchère m’a lassé. Et c’est à ce moment que Weston m’a appelé. Ils me proposaient de

Qu’est-ce qui, selon vous, fait le succès de vos modèles chez Weston? Je crois que j’ai toujours eu des antennes pour capter l’air du temps. Il faut aussi dire qu’en termes de consommation masculine on note une évolution. L’étincelle que j’observais dans les yeux des femmes quand je leur parlais de chaussures, je la retrouve chez les hommes à présent! En matière d’élégance au masculin, la belle chaussure est une distinction. Cela fait presque quinze ans que vous imaginez les modèles Weston. Comment fait-on pour ne pas se répéter? Heureusement, je fais beaucoup d’autres choses à côté. Je peins énormément. Mais ce faisant, je pense tout le temps aux chaussures! C’est plus fort que moi! Chaque fois que je termine une collection, j’ai l’impression d’avoir tout dit. Et puis ça revient, naturellement. Dès que je tiens le fil d’une histoire à raconter, je redeviens passionné comme un gamin. Propos recueillis par C. Cd

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BACKSTAGE

Dans les coulisses des défilés printemps-été 2015. Reportage photographique: Sylvie Roche

Veronique Branquinho

Etudes Studio

Saisonforte

Givenchy

Chanel

Iris van Herpen

John Galliano

Thom Browne


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BACKSTAGE

Hermès Officine Generale

Maxime Simoëns

Louis Vuitton

Lanvin Homme

Dior Homme

Jean Paul Gaultier

Akris

Elie Saab

Hermès

Leonard

Julien David

> Suite en page 29

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BACKSTAGE

Viktor & Rolf

Andrew Gn

Lanvin

Elie Saab

Véronique Leroy

Tsumori Chisato

Paul Smith Homme

Hermès Homme

>> Retrouvez la suite du reportage photographique sur www.letemps.ch/mode

Sonia Rykiel

Chloé


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LUXE DURABLE

PHOTOS: CHOPARD

MarionCotillarddessine unbijouécoresponsable

Caroline Scheufele et Marion Cotillard devant le dessin du bijou de main co-créé par l’actrice. Elle le portera en mai, lors du prochain Festival de Cannes. Un collier assorti est en préparation.

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n ne s’en souvient pas, parce que c’était élégamment discret: pendant l’édition 2013 du Festival de Cannes, Marion Cotillard portait une manchette et une paire de boucles d’oreilles en or blanc serties de diamants signées Chopard. Leur particularité n’était pas visible: ces pièces avaient été fabriquées en or «fairmined», un minerai extrait d’une mine durable de Colombie, soutenue par l’Alliance for Responsible Mining. Depuis lors, et en partenariat avec l’agence Eco Age, fondée par Livia Firth (l’épouse de l’acteur Colin Firth), Chopard lance chaque année une collection de bijoux «green carpet». Des parures éthiques dont les diamants proviennent eux aussi d’un exploitant certifié par le Responsible Jewellery Council (RJC). La démarche séduit certaines actrices hyper-courtisées par les joailliers qui souhaitent voir leurs parures portées sur les tapis rouges du Festival de Cannes, des Golden Globes ou des Oscars. A beauté égale, Marion Cotillard, Cate Blanchett et Léa Seydoux ont fait le choix du bijou éthique. Suivies de très près par des clientes de la marque, et dans une mesure que la vice-présidente n’avait pas anticipée. Marion Cotillard, porte-parole de Greenpeace depuis 2001, membre du WWF et de la fondation Nicolas Hulot, a naturellement été convaincue du bienfondé de la démarche de Chopard, au point de s’impliquer personnellement et de dessiner un bijou de main en or serti d’opales noires qu’elle portera lors de la prochaine édition du Festival de Cannes. «Je suis très heureuse de m’associer à Chopard et à leur engagement pour un luxe durable, a écrit l’actrice. Je connais la maison et Caroline Scheufele depuis plusieurs années et je suis très admirative tant de la personne que du

En 2013, Caroline Scheufele, la vice-présidente de Chopard, s’était engagée dans un partenariat avec l’agence Eco Age pour créer des bijoux en or écoresponsable. La démarche a séduit l’actrice Marion Cotillard, qui vient de co-créer un bracelet qu’elle portera à Cannes en mai prochain. Par Isabelle Cerboneschi, Bâle travail qu’elle effectue. L’engagement et la détermination dont elle fait preuve pour amener le marché de l’horlogerie-joaillerie de luxe vers un marché éthique résonne très fortement en moi. C’est pourquoi j’ai immédiatement accepté ce beau projet. C’est la première fois que je dessine un bijou et j’avoue avoir ressenti une certaine pression. Après réflexion, j’ai ainsi choisi de dessiner une pièce qui me corresponde totalement; j’aime le mélange des styles et des époques. J’ai également beaucoup aimé travailler avec des opales, pierres que je connaissais peu avant cela mais qui, par la richesse de leur palette de couleurs et leurs différences m’ont inspiré ce bijou de main Art déco.» La pièce qu’elle a esquissée, et à laquelle les dessinateurs de la maison ont donné forme, est un bijou de main en or «fairmined» serti de diamants certifiés RJC, d’opales extraites de la mine Aurora située dans l’Outback australien, aux mains de la famille Hatcher depuis 1962, qui travaille sans sous-traitance et garantit une traçabilité totale des gemmes. Pour la maison Chopard, qui s’est engagée dans un programme à long terme – The Journey to Sustainable Luxury –, c’est une aventure qui ne fait que commencer. Le Temps: En 2013, vous avez créé une parure expérimentale en or «fairmined» portée par Marion Cotillard lors du Festival de Cannes. En 2015, Chopard lance un modèle

de montre et des collections de joaillerie «green carpet» en or «fairmined». Avec deux ans de recul, quelle incidence cette démarche pionnière a-t-elle eue au sein de votre entreprise? Caroline Scheufele: Tous les employés, tous les artisans de Chopard sont fiers de travailler avec cet or. C’est important pour eux de savoir d’où provient la matière première et comment elle a été extraite de la terre. Nous aimerions faire plus. A terme, mon frère aimerait que toutes les montres L.U.C. soient fabriquées en or «fairmined». Et moi, je souhaite que toute la haute joaillerie le soit. Nous sommes en train de faire certifier une deuxième mine en Bolivie et une troisième en Colombie. Dans les années à venir, on aura donc accès à plus d’or. Le public aussi devient plus sensible à cette démarche. Cela prend du temps pour éveiller les consciences. Il faut beaucoup communiquer. J’espère que d’autres maisons suivront. Pourquoi avoir confié à Marion Cotillard le soin de dessiner une parure? Je connais Marion Cotillard depuis longtemps. Depuis le jour où, toute jeune actrice, elle a reçu le Trophée Chopard à Cannes, trophée qui récompense de jeunes talents particulièrement prometteurs. Nous ne nous sommes pas trompés… Depuis lors je suis son parcours cinématogra-

phique mais aussi ses engagements pour la protection de l’environnement. Cette collaboration est née naturellement. J’aime beaucoup le dessin de Marion. Son bijou de main me fait penser à toutes les mains qui travaillent à la réalisation de ces pièces exceptionnelles; de l’extraction des pierres au sertissage. C’est un beau symbole.

petites mines, mais j’espère qu’une grosse coopérative va bientôt se lancer. Ça va arriver. J’en suis sûre. C’est dans l’air. Les joailliers achètent normalement leur or directement à la banque. A qui achetez-vous celui-là? C’est un autre circuit. L’or «fairmined» arrive directement de la mine chez nous. Après il est transféré chez GolbyGold, affineur certifié Fairmined. Une petite structure à Paris qui s’occupe de l’affinage et de la transformation de l’or ainsi que de la certification. Il nous revient en lingots de 18 carats. Ensuite cet or suit chez nous un circuit totalement séparé du reste de la production.

Avez-vous déjà visité la première mine colombienne avec laquelle vous travaillez? Non, pas encore. Mon compagnon, en revanche, s’y est rendu. Il a passé deux semaines avec les mineurs, dans la montagne, en Colombie, afin de tourner un film qui sera présenté à Cannes pour les 60 ans de la Palme d’or. Vous savez qu’elle est fabriquée en or «fairmined»? Il a découvert un joli village où tous les enfants sont scolarisés, où tout le monde mange à sa faim, et où règne la sécurité.

Comment les actrices qui portent vos bijoux lors d’événements réagissent-elles vis-à-vis de cet or éthique? Certaines sont très sensibles à la cause, comme Cate Blanchett: l’an passé, pour la cérémonie des Golden Globes, elle avait le choix entre 20 paires de boucles d’oreilles. Et quand on lui a raconté l’histoire de la Green Carpet Collection, elle a choisi la paire en or «fairmined». En plus elles sont belles! (Rires) Parce que Cate Blanchett les a portées, parce qu’elles ont une histoire, beaucoup de clientes nous ont demandé les mêmes. On a dû les fabriquer depuis une vingtaine de fois.

La production est limitée. Combien de tonnes d’or éthique vous faudrait-il pour réussir votre pari? La première montre «fairmined» avait été lancée l’an passé en 25 exemplaires. Le modèle XP de cette année existera en 250 exemplaires, soit dix fois plus. On avance assez vite. Sur l’année, on utilise 2 tonnes d’or, voire plus. La première année, on a eu accès à 80 kilos de cet or. La deuxième on a dû en avoir 250 kilos. Pour le moment, on travaille avec de

Pouvoir retracer l’origine d’un bijou est-ce un argument de vente supplémentaire aujourd’hui? Je pense qu’aujourd’hui le luxe ultime c’est de savoir d’où viennent les produits que l’on achète. On veut savoir ce que l’on porte. Surtout dans ce domaine, car on a les moyens de choisir. Acheter une très belle pièce, tout en sachant que l’on fait du bien à l’autre bout de la chaîne, cela ajoute quelque chose de précieux à l’acte.

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SiCaserte m’étaitconté

Photographies, réalisation et stylisme Buonomo & Cometti


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En page 33: robe en satin de soie bleu royal de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Lanvin; ballerines à lacets Christian Louboutin; minaudière en métal Lancel.

Ci-dessus: robe longue en dentelle de coton noir et sandales en daim noir et vernis blanc, le tout de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Azzedine Alaïa.


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Blouse en mousseline de soie rosée de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Chloé.

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Mini-robe zippée entièrement rebrodée de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Louis Vuitton.


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Robe chemise en crêpe de soie craie de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Hermès; ballerines à lacets Christian Louboutin.

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Robe asymétrique en mousseline de soie de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Saint Laurent.


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Long manteau et haut asymétrique en organza de soie bleu-gris et pantalon en cuir vinyle noir, le tout de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Haider Ackermann; sandales à talon frangé Christian Louboutin.

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Mini-robe noire de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Céline.


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Chemisier en coton blanc rebrodé et pantalon plissé en coton blanc, le tout de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Chanel.

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Robe imprimée en mousseline de soie de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Dries Van Noten; ballerines en cuir noir Francesco Russo.


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Veste noire et robe en dentelle et tulle blancs, le tout de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Givenchy.

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Robe en tulle de soie et applications fleurs en crêpe de soie de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Stella McCartney.


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MADE IN DENMARK

Anne Sofie Madsen,

lefuturcommeellel’imagine Anne Sofie Madsen a appris chez John Galliano puis chez Alexander McQueen le sens de la mise en scène et du «storytelling». Le Bauhaus, Alien, l’espace, les chats... Conversation un brin surréaliste au café du coin. Par Isabelle Cerboneschi, Paris Pendant ses études, elle fut stagiaire chez Galliano, lorsque Steven Robinson était l’assistant du couturier. Et juste après avoir obtenu son diplôme, en 2009, elle a été engagée comme junior designer chez Alexander McQueen. De ces deux monstres sacrés, elle a appris le sens du storytelling. Convaincue de la nécessité de mettre son nom sur une étiquette, elle a créé sa propre marque en 2010. En mars dernier, elle présentait pour la première fois une collection dans le cadre du calendrier officiel de la Fashion Week parisienne. (Lire LT du 04.03.2015). Nous avons décidé de poursuivre la conversation entamée juste après le défilé sur les voyages spatio-temporels autour de deux «noisettes», attablées au café du coin Le Temps: Quel est le lien entre votre collection printemps-été, très edwardienne et celle de l’automnehiver plutôt rétro-futuriste? Anne Sofie Madsen: Pour ces deux collections, je voulais faire des vêtements qui ont l’air familier, mais qui, vu de près, sont étranges, inattendus, déplacés. Ils ont l’air d’avoir été conçus à la fois dans un futur tel qu’on peut l’imaginer et dans un passé qui n’a jamais existé.

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A travers ces éléments d’un passé et d’un futur inventés, est-ce une image du présent que vous voulez montrer? Le point de départ de ma collection automne-hiver, c’est une image montrant Margaret de Patta (une artiste et joaillière qui appartenait au mouvement Chicago Bauhaus fondé en 1937 par Laszlo Moholy-Nagy, ndlr) qui se rendait à un bal costumé avec son mari. Quand on regarde les bijoux qu’elle dessinait, ils ont un côté futuriste. Mais quand on réalise qu’ils ont été créés dans les années 40, on se rend compte qu’ils viennent du passé. Certaines personnes possèdent une vision de ce qui va advenir. Le futur qu’elle imaginait pourrait très bien être notre présent, ou même un passé proche comme les années 80. Ses bijoux continuent à être futuristes, même en 2015. C’est comme un futur qui n’est jamais arrivé. Comme si l’objet était resté coincé dans un coin d’une autre dimension. L’histoire aurait pu prendre d’autres chemins. Margaret de Patta est l’une de ces personnes capables de créer des objets qui voyagent dans le temps. Et cela me fascine. Vos vêtements seraient alors une invitation à entrer dans un autre univers? Oui. Depuis que j’ai commencé. Ce qui m’intéresse c’est de montrer ce que l’on ne connaît pas, ou ne devrait pas connaître, sous une forme qui semble familière. Par exemple, la collection printempsété relevait de quelque chose de

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ne impression de déjà-vu. Encore que «déjà-vu» soit une expression assez mal choisie pour qualifier une collection de mode. Pourtant j’insiste. Il ressort de la collection printemps-été, comme de celle de l’automne-hiver signées Anne Sofie Madsen ce même sentiment de familiarité que l’on ressent devant un objet rétro-futuriste. Comme si la créatrice avait déconstruit des pièces de vestiaires connues pour en faire autre chose. La créatrice aime emprunter les ponts temporels qui relient passé et futur. Elle le fait à sa manière étrange: comme un assemblage de morceaux de vêtements et de matières disparates qui semblent à deux doigts de s’écrouler. Son parcours aussi est fait d’allers-retours formateurs. En 2007, elle interrompt pendant une année ses études de design à l’Académie royale des beaux-arts du Danemark pour suivre une formation à la National Film School of Denmark, où elle apprend le «production design», soit les arcanes des films d’animation. Avant de revenir à la mode.

Anne Sofie Madsen: «Je n’ai toujours pas décidé si ce que je fais c’est de la mode, si je raconte une histoire, ou si je fais de l’illustration grand format en 3 dimensions.»

très personnel et montrait des vêtements qui donnaient le sentiment de dévoiler une intimité. C’était presque embarrassant. La collection n’était pas du tout minimaliste. En un sens, j’avais presque envie de faire une collection qui soit «unfashionable», quasiment démodée, quelque chose de très romantique, doux, avec des volants, un peu poussiéreux. Je voulais donner le sentiment qu’on était entré par effraction dans un boudoir. Le boudoir d’une personne en particulier? Je me suis inspirée d’images montrant des femmes avec des chats. Et particulièrement d’une scène dans le film Alien 1, où l’on voit Sigourney Weaver seule dans son vaisseau spatial avec son chat, simplement vêtue de sous-vêtements en coton usés. Si on faisait ce film aujourd’hui, elle porterait des sous-vêtements high-tech qui souligneraient chacun de ses muscles. Mais j’aime ce décalage entre le lieu, le vaisseau, et le sous-vêtement tout délavé qu’on

n’oserait jamais montrer à personne. Je me suis dit que si je me retrouvais toute seule dans l’espace avec un chat, je ne me donnerais pas la peine de mettre de la lingerie sexy (rires). J’aimais cette idée de quelque chose qui se défait, qui tombe un peu en lambeaux. Je voulais capturer cette sensation. Un peu comme des femmes qui ne se sentiraient pas à leur place, qui seraient en décalage avec leur époque. Je me suis référée à des filles qui s’habillent d’une manière différente, qui peuvent porter un morceau de fourrure sur l’épaule et une paire de bottes de seconde main trouvées dans un marché aux puces londonien. Vos dessins sont partie intégrante de votre travail. Avez-vous pensé faire autre chose que de la mode? J’ai toujours pensé que je serais une dessinatrice de BD. Puis j’ai commencé à étudier la mode. Au bout d’un an, j’ai fait un échange et j’ai suivi des cours de «Production design» pendant une année afin d’apprendre à faire des films

d’animation. J’apprenais à faire des story-boards, des scénographies. Je n’ai d’ailleurs toujours pas décidé si ce que je fais c’est de la mode, si je raconte une histoire, ou si je fais de l’illustration grand format en 3 dimensions. Vous avez travaillé chez Alexander McQueen et John Galliano. Qu’avez-vous appris? Travailler dans l’une ou l’autre maison, c’était aussi différent que le jour et la nuit. Et en même temps, il y avait des choses communes. Ce qui m’a inspirée chez chacun d’eux, c’est bien sûr le storytelling, mais surtout d’oser. Oser faire quelque chose de très personnel, pas forcément «à la mode» d’ailleurs. Il existe différentes strates dans cet universlà. Ce qu’ils ont réussi à faire est une mode qui n’existe plus aujourd’hui. C’était une autre ère. Celle des collections épiques et des défilés théâtraux. C’était la mode telle que je la voyais quand j’étais adolescente. Je regretterai toujours cette époque, je pense. Celle d’une ère anti-fashion.

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Mode

Quatre designers de la section Mode de la HEAD à Genève nous parlent de leur collection 5 – automne-hiver 2015 – qui marque la fin du premier semestre de leur dernière année d’études. Talents à suivre. Par Catherine Cochard

«We’re going to Mars!» > Clémentine Küng La jeune designer a étudié les sciences politiques à l’Université de Genève avant de s’inscrire au bachelor de la HEAD. «Le vêtement et le textile m’ont toujours attirée et je me suis rendu compte que ce qui me plaisait plus que tout c’était de créer, raconte-t-elle. Cela ne pouvait plus rester un passe-temps! Je me suis donc réorientée vers des études en design mode.» Petite, Clémentine et sa grande sœur fabriquaient des habits pour leurs poupées Barbie. Aujourd’hui le plaisir du vêtement s’est fait beaucoup plus subtil. «J’aime mélanger les influences. Mais au final, l’important pour moi c’est que la silhouette garde toujours une dégaine cool.» Ses créations pour la collection 5 de son cursus consistent en une excellente illustration de cette «coolitude». «Dans les années 60, Edward Makuka Nkoloso, un professeur zambien, a mis en place un programme spatial. Afin de se mesurer aux grandes puissances de l’époque et de faire rayonner la Zambie, qui venait d’acquérir son indépendance, il souhaitait envoyer une femme, un missionnaire et deux chats – spécialement entraînés! – sur Mars.» Le projet est finalement tombé à l’eau, faute de soutiens financier et moral. «Loin d’être pris pour un fou, le professeur a acquis une

certaine notoriété en Zambie et a été enterré avec les honneurs présidentiels.» C’est la façon qu’Edward Makuka Nkoloso avait de se vêtir et de donner corps à des vêtements trop grands qui a servi de toile de fond aux pièces de «We’re going to Mars!». Un point de départ qui a ensuite amené Clémentine Küng à s’intéresser aux influences du look du professeur zambien, du costume masculin classique avec chemise, cravate et pantalon à pinces aux uniformes de l’armée, en passant par les robes de religieux et missionnaires. «Nous avions comme contrainte de devoir intégrer des drapés et j’ai choisi de le faire en reprenant la technique du «wrapping» – emballage/ nouage – utilisée par les femmes dans certains pays d’Afrique.» La designer se concentre à présent sur sa collection de diplôme qu’elle devra terminer d’ici à la fin du mois de mai. Une collection à nouveau masculine et qui, une fois encore, détourne des éléments de style anciens pour les repenser de manière actuelle. «Je travaille à partir du manteau militaire des poilus de la Première Guerre mondiale en y ajoutant des influences sportswear.»

BENJAMIN DICK

WHO’S NEXT?

DR

NOUVELLE «I’m still wearing your jacket» > Quentin Piel Langlet Le seul homme de notre sélection a lui aussi commencé par s’intéresser aux arts visuels – à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Lyon – avant de se diriger vers la HEAD. «J’ai d’abord choisi la vidéo et la photographie comme médiums. Ce qui m’intéressait alors c’était la mise en situation, la matière et le corps en mouvement. Travailler et concentrer ma réflexion sur le vêtement m’a permis de trouver un bon compromis.» Son approche sensible l’amène à concevoir les pièces d’habillement comme autant de potentiels de narration. «J’aime que le vêtement ait pour fonction première de raconter une histoire et qu’il ne se réduise pas simplement à faire joli ou à susciter de l’étonnement. S’il y a de l’émotion c’est que c’est réussi.» Parmi les références du jeune Français se trouvent René Magritte et Samuel Beckett «pour leur absurdité pleine de bon sens», la chanteuse Molly Nilsson et l’écrivain Haruki Murakami «pour leurs histoires d’amour intenses» ou encore le romantisme allemand. Ce qui ne l’empêche pas non plus de trouver dans «le jeans, le t-shirt et le sentiDR

HEAD GENÈVE

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ment amoureux» un langage universel et poétique à même de l’inspirer. Ying Gao, la tutrice de Quentin Piel Langlet, a trouvé une définition adéquate pour la mode de son étudiant: le «romantico-sportswear». «Soit la confrontation de deux univers, le sportswear et la mélancolie, à la façon des tableaux du romantisme.» Pour sa collection 5, le jeune designer a imaginé une histoire de couple, «une sorte d’autoportrait», admet-il. «C’est un amoureux qui ne peut pas se passer de son amant et qui trouve le moyen de l’avoir toujours auprès de lui, par le biais de la silhouette, de l’empreinte du corps, du vêtement vide et du corps absent.» Mais ça, c’était avant… Pour les pièces qui – on le souhaite – lui permettront de terminer son cursus à la HEAD, Quentin Piel Langlet explore un autre aspect du couple: la passion. «Après avoir travaillé sur cette idée du couple et de vêtements composés de deux silhouettes, je veux à présent parler du droit à être amoureux fou, de considérer l’autre comme un être immense, parfait et magnifique, jusqu’à la déraison!»


Mode

Le Temps l Samedi 18 avril 2015

«Genève > Fribourg > Fribourg > Genève» > Lucie Guiragossian

HEAD GENÈVE

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«J’aime me mettre en contact avec les autres. Le vêtement touche tout le monde, c’est pour ça que j’aime autant la mode.» Lucie Guiragossian fonctionne à l’instinct. «La première question qu’on se pose après la douche c’est: comment je vais m’habiller? Tout le monde se préoccupe de ce qu’il va porter, même si certains n’osent pas l’avouer. Avec la mode, je peux m’approprier ce que je vois et proposer mon univers au plus grand nombre.» La Française, d’abord formée aux Beaux-Arts de Lyon puis aux Arts appliqués de Valence, admet ne pas toujours avoir été assidue avant d’entrer à la HEAD. «A Lyon, l’enseignement était très souple, ce qui alors me satisfaisait. Je dessinais mes motifs à la main et je les imaginais sur un corps, mais ça n’allait jamais plus loin. C’est cela qui m’a décidée à poursuivre des études en design de mode.» La jeune femme s’intéresse à tous les processus en jeu dans la création d’une collection. «J’aime traduire mes idées en mots, choisir des photos inspirantes et construire mon mood board, concrétiser mes recherches autour des volu-

mes, des coupes et des matières. Et enfin découvrir les supports de communication imprimés: c’est une de mes étapes préférées.» Ce qu’il y a de flagrant quand on regarde la collection 5 de Lucie Guiragossian c’est l’importance qu’elle porte aux motifs et aux couleurs. «J’ai créé mon propre atelier de sérigraphie dans lequel je prépare les écrans et mélange les encres.» L’autre impression qui se détache des pièces c’est leur fonctionnalité. «Ce qui m’intéresse c’est d’utiliser le vêtement comme un outil. En travaillant autour des basiques du vestiaire masculin, je cherche à questionner leurs statuts en essayant d’améliorer la portabilité sans oublier la dérision. L’humour c’est important, j’ai besoin de rigoler.» D’ailleurs la source d’inspiration de sa collection automne-hiver 2015 sonnait comme un trait d’humour. «Mon point de départ était des sièges de transports en commun de toutes sortes que j’ai pris en photo pendant environ un an.» Une inspiration qui ne se cantonnait pas qu’à l’aspect formel des choses. «Je me suis intéressée à l’espace

du train. Je trouve que c’est un endroit très étrange. Il y a finalement peu de lieux comme celui-ci, où on se retrouve coincé, pour un moment allant de quinze minutes à plusieurs heures avec des gens que l’on ne connaît pas.» Un lieu rendant possibles toutes sortes de confrontations. «A 18h, on peut voir un homme en costume à côté d’un étudiant. Et un peu plus loin, une vieille dame qui rentre chez elle après une virée à Genève.» La designer avait perdu l’habitude de prendre le train. «J’ai redécouvert ce moyen de transport en Suisse; en France, nous n’utilisons pas autant les chemins de fer pour nous déplacer.» Le titre de sa collection – «Genève > Fribourg > Fribourg > Genève» – parle très clairement de cet aspect quasi exotique de ses créations. «J’ai fait un voyage d’une petite journée de Genève à Fribourg, en changeant de train quand je le pouvais et à chaque fois je prenais des hommes en photo avec mon téléphone – 37 au total – ainsi que des notes.» Elle a ensuite classé tout cela en fonction des tenues portées par chaque personne photographiée et en cherchant à mettre en évidence les différentes «tribus» qui voyagent ensemble. «L’idée étant ensuite de créer un vêtement hybride, entre la chemise et la veste de sport par exemple, de mélanger les codes.»

VAGUE «Les âmes dévorantes» > Chloé Brulhart

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La jeune designer s’intéresse à la mode en tant qu’interface collaborative. «C’est un métier dans lequel on est amené à travailler avec différentes personnes d’univers créatifs divers, qu’il s’agisse de graphistes ou de photographes par exemple, explique-t-elle. Pour moi, c’est un point essentiel. J’ai aussi choisi cette formation, car je trouve fascinant tous les aspects sociologiques relatifs au vêtement et au corps.» Une fascination qu’on retrouve dans ses créations. «Ce qui me plaît particulièrement c’est la phase de recherche. Comment on habille le corps par des volumes, l’expérimentation des formes, des matières et des couleurs, l’étude des détails du vêtement.» L’étudiante a d’abord suivi des études d’art avant de bifurquer vers le design de mode. Ses créations sont empreintes de cet intérêt premier. «Le point de départ de ma collection 5 consistait en un collage de l’illustrateur Jean Lecointre, qui représente une femme, les jambes écartées avec un paysage de montagne sortant de son entrejambe. On ne sait pas qui, de la femme ou des reliefs, dévore l’autre.» A cette image forte sont venus s’ajouter d’autres éléments comme une

vidéo de l’artiste Martial Raysse, ses propres dessins, des gros pulls et une veste militaire de seconde main, ces pièces de vêtements servant de référence aux formes et modèles de la collection. «L’histoire de cette ligne c’est celle d’un groupe d’hommes qui possèdent une icône féminine. Ils aiment et vénèrent tellement fort cette femme qu’ils vont finir par la dévorer.» Le travail de Chloé Brulhart met en scène un univers masculin teinté de féminin. «Sans qu’il s’agisse pour autant d’androgynie, mais plutôt de la recherche et de l’acceptation par les hommes de leur part de féminité. Une féminité qui s’exprime par exemple par le raffinement de certains détails, le choix des matières ou l’association de certaines couleurs.» Une thématique qu’aborde une fois encore la designer dans sa collection de fin d’études. «J’analyse ce qu’est la virilité et comment elle se traduit dans l’apparence. Aujourd’hui, on assiste à une redéfinition de la masculinité qui s’observe notamment dans la mode. Dans mes pièces, je travaille à ces changements de codes. Ma collection représente ma vision d’une nouvelle icône masculine, sensuelle et sensible.»

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«Je voulais concevoir une marque qui s’inscrive dans le temps, où l’on ne parle pas de collection, mais d’un ensemble de pièces éditées, où la saison compte peu, où la versatilité des éléments est essentielle»

PATRICK HOELCK

ÉPURE

RosettaGetty, leglamourcérébral La créatrice californienne conçoit une mode à son image et à celle de son style de vie: élégante et sophistiquée, sobre et luxueuse. Rencontre. Par Isabelle Campone, Los Angeles

PHOTOS: CHARLIE ENGMAN/ROSETTA GETTY

R Silhouettes de la collection printemps-été 2015.

osetta Getty a grandi à Los Angeles et y vit avec son mari, l’acteur et héritier Balthazar Getty, ainsi que leurs quatre enfants. Quand on ne la voit pas présenter sa dernière collection ou assister à un gala de charité, elle parcourt le monde, passion née de ses années de mannequinat. On s’attend donc à rencontrer la parfaite incarnation de la «socialite» californienne. On découvre une femme qui pèse chacun des mots qu’elle prononcera de sa voix douce et basse, sensible au monde qui l’entoure et profondément réfléchie. Rien d’étonnant en fin de compte au regard de la mode qu’elle conçoit, que l’on devine très cérébrale. «Je prépare cette marque depuis que j’ai 20 ans. J’en ai monté d’autres, qui m’ont permis de réfléchir à ce que je souhaitais vraiment créer, ditelle. Je voulais concevoir une marque qui s’inscrive dans le temps, où l’on ne parle pas de collection, mais d’un ensemble de pièces éditées, où la saison compte peu, où la versatilité des éléments est essentielle.» Les matières sont somptueuses, tout se transforme, passant du jour à la nuit, du simple au chic, l’intérieur se tourne vers l’extérieur, un pull devient cape ou châle, les chemises masculines sont ouvertes à l’interprétation, on peut toujours ajouter ou retirer. La créatrice ouvre un dialogue avec celle qui portera ses vêtements, «une femme qui a de la créativité et de la sensibilité, qui n’achète pas seulement des vêtements mais les interprète», dit-elle. Le mot «collection» s’entend véritablement comme une collection de vêtements, que

l’on conservera saison après saison pour les combiner, sans que leur élégance ne date.

Un vestiaire épuré et évolutif Après une collection automne-hiver 2014-2015 très réussie, la première, et une Croisière, tout aussi pure, le printemps-été 2015 ajoute de magnifiques pièces au vestiaire de la collectionneuse. A la simplicité des lignes et de la construction se marient des couleurs apaisantes, ivoire, beiges, bleu profond. Manteaux trois-quarts, chemisiers longs et fluides, tuniques sur jupes longues, robes sur pantalons, vestes-capes, le vocabulaire est sophistiqué, les matières nobles. «La qualité est essentielle pour moi, insiste Rosetta Getty. J’ai une vraie passion pour mon métier et pour le façonnage, qui me pousse à rechercher la perfection.» Les pièces sont souvent réalisées à la main et toujours localement. «Rosetta Getty est un travail collectif, tientelle à préciser. Il y a, à New York, des ateliers extraordinaires, qui possèdent un savoir-faire construit depuis des générations. Nous travaillons avec sept fabriques indépendantes, des ouvriers qui sont de véritables experts. Les perles sont cousues à la main, le cachemire tricoté artisanalement, je veux le meilleur dans tout ce que nous faisons.» C’est pourquoi les étoffes viennent d’Europe; satin double face, «qui ressemble à de la charmeuse, avec beaucoup de poids»; cachemire double face; un velours côtelé en cachemire; un épais coton piqué ou, seule exception, un twill japonais, moins onéreux. A chaque collection, de nouvelles matières: «J’aime travailler celles qui ne me

sont pas familières», dit-elle. Il en résulte des pièces comme ce haut découpé et entièrement perlé à la main, de la collection Resort, ou les ensembles de cet été, fluides et lourds à la fois. «Ce minimalisme a demandé beaucoup de travail, il est le résultat d’une longue évolution», remarque la Californienne. La petite fille qui a grandi dans une communauté hippie aimait déjà acheter des robes, et lorsqu’elle est remarquée pour sa beauté à 14 ans, elle se lance dans une carrière de mannequin qui lui fait rencontrer les plus grands créateurs. «J’ai eu beaucoup de chance de vivre cette vie, mais à 20 ans déjà, je me sentais comme brûlée, et j’ai eu besoin de retourner étudier», dit-elle. Ce sera la mode à la prestigieuse Otis Parsons, et ses études à peine terminées, elle lance sa première ligne, «Rosetta Millington» de son nom de jeune fille, un peu par hasard. Des robes d’enfants créées pour un mariage deviennent une ligne et un vrai business, représenté dans plus de 350 boutiques dans le monde. Elle passe quelques années à tout faire au sein de la marque, qu’elle revend au moment où elle se marie, à 29ans. Trois enfants plus tard, elle s’amuse à faire des robes pour ses amies hollywoodiennes, et c’est ainsi que naît, sans vraiment l’avoir prévu, Riser Goodwyn. Cette nouvelle marque rencontre elle aussi un succès rapide: on voit ses robes de soirée sur les tapis rouges, portées par Kristen Stewart, Kirsten Dunst ou Demi Moore. Toutefois, la créatrice recherche autre chose et arrête tout à la naissance de son quatrième enfant. Il y a quelques années, lorsqu’elle a senti qu’elle était prête, elle s’est lancée dans l’aventure Rosetta Getty, une ligne qui porte son nom, bien planifiée cette fois-ci. Sa recherche d’une mode plus épurée, qui ne soit pas liée aux occasions lors desquelles elle est portée, fait son chemin et lorsqu’on remarque que cette épure évoque peu l’image que l’on se fait de la mode à

Los Angeles, elle rétorque que de nombreuses femmes dans cette ville sont très élégantes, que ses amies sont souvent une inspiration pour elle, notamment dans le milieu de l’art.

L’influence de l’art Son mari et elle-même sont du reste des collectionneurs reconnus, et sa passion pour l’art rencontre celle qu’elle voue à la mode. Une collaboration avec l’artiste californien John Knuth pour la première collection a influencé son travail sur les textures, avec des matières qui imitent les couches de couleur. L’artiste et galeriste Betty Parsons a été le fil directeur de la collection croisière et ce sont Christo et Jeanne-Claude qui sont le point de départ de la collection printemps-été avec leurs emballages d’arbres, de bâtiments. Le beau visage de Rosetta Getty s’anime lorsqu’elle en parle: «Emballer, attacher, faire des couches, c’est la clé de cette collection. Mais au-delà de cette référence, la main de l’artiste est toujours présente dans notre travail, de la conception à la réalisation, lorsque la pièce passe dans tant de mains différentes pour le résultat parfait.» Si chaque collection est un dialogue constant avec un artiste, l’inspiration de Rosetta Getty au quotidien peut être une musique, une personne, une époque, une rencontre. «Est-ce que j’ai des icônes de style, des modèles? Je citerais plutôt des femmes fortes, qui m’ont marquée par leur personnalité, leurs choix de vie: Louise Bourgeois, Betty Parsons, Chantal Akerman ou la jeune Olympia Scarry.» Elle cite aussi Mary Miss, une figure du land art, «une femme forte et indépendante, qui ne faisait que ce qu’elle pensait être juste». Presque un manifeste. Qui trouve écho dans ce qu’elle considère comme le plus important dans sa vie: «Etre un exemple pour mes enfants. Ils sont privilégiés, il est essentiel qu’ils comprennent néanmoins que dans la vie, on travaille, no matter what.»


Mode

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Ci-contre de gauche à droite: Outer Limits Single Eyeshadow, Christopher Kane pour NARS; Idéal Soleil, spray hydratant optimisateur de bronzage, Vichy; Gloss d’Enfer Pink Clip, Guerlain; Diorskin Nude Tan Tie Dye, Dior; Ombre Doux Eclat Trio, Shiseido. Ci-contre de gauche à droite: Gloss Lip Visor, Courrèges Estée Lauder; Blush subtil crème, Lancôme; Ombre à paupières Couture Mono Orient, Yves Saint Laurent; Fluide embellisseur Fluide Sheer, Giorgio Armani; Gel multi-solutions à mémoire de forme Ibuki et Expert Sun Aging Protection, le tout Shiseido.

HEURE D’ÉTÉ

1,2,3…soleil! Pivoine Sublime Brume perfectrice, L’Occitane.

Pigments de feu, baumes lactés, soupçons de teint et fragrances lumineuses: une explosion de couleurs et de textures légères annonce la saison chaude. Par Géraldine Schönenberg Où puiser la lumière les jours où le ciel de printemps hésite entre le gris et le bleu? En se dessinant une bouche sangria et des paupières papagayo, pour afficher haut ses couleurs telle une divinité aztèque. Palettes lamées, huiles à lèvres au fini mat, crayons métallisés et vernis assortis, des tons exubérants qui composent des boîtiers aussi éclatants qu’un bouquet d’oiseaux de paradis dans sa trousse de maquillage. Mais que l’on nuance en applications subtiles pour réfracter les premières lueurs de l’été et suggérer des envies d’évasion. L’on peut aussi se donner un air de santé grâce à des «coussins de teint» aux textures imperceptibles, des crèmes teintées qui illuminent, des blush translucides, des gloss rehausseurs de carnation. Et lorsqu’on pourra enfin miser sur l’été, il sera doux de se reposer sur les nouvelles formules de laits solaires qui optimisent leur action au contact de l’eau, ou qui, même bardés de filtres protecteurs, se brumisent en voile de fraîcheur. Quant aux fragrances, elles distillent des arômes de fruits rouges ou d’agrumes dans des flacons irisés comme des verres à cocktails. La vie nous sourit.

Hypnôse Palette Reflets Méditerranée, Christian Vigier pour Lancôme.

SYLVIE ROCHE

PHOTOS: DR

Huile à lèvres Volupté Tint-in-Oil Drive me Cooper, Yves Saint Laurent.

Backstage du défilé prêt-à-porter printemps-été 2015 Jean Paul Gaultier.

A gauche: Ombres 5 Couleurs Contraste Horizon, Dior; Miracle Cushion, coussin de teint fluide, Lancôme; Soin solaire Sublimage La Protection UV, Chanel. A droite: sérum prolongateur de bronzage Sun Serum, Guerlain; Cellularose Blush Glacé Ice Dream, By Terry. A gauche: Super Soin Solaire Brume lactée corps, Sisley; eau de toilette CK One Summer 2015, Calvin Klein. A droite: Eau de parfum Paradiso, Roberto Cavalli; vernis Sunwashed, Dior; crayon Phyto-Eye Twist Marine, Sisley; rouge à lèvres belle mine Shine Lover, Lancôme. Ci-contre de gauche à droite: Terracotta Joli Teint Poudre duo bonne mine naturelle, Guerlain; crème teintée illuminatrice Lightful C, M.A.C; vernis In Love Bleu Lasure, Christian Vigier pour Lancôme; vernis de la collection Chicks go Hunting, ANNY; rouge à lèvres Aqua Laque Fuchsia perché, Bourjois; Ecran Multi Protection UV Plus, Clarins. Ci-contre de gauche à droite: huile sèche Accélérateur de bronzage Sun Beauty, Lancaster; Gloss Infaillible Mafia Gloss, L’Oréal Paris; gloss Lèvres Scintillantes Crazy Fuchsia, Chanel; Eau de parfum Jimmy Choo Blossom, Jimmy Choo; Eau d’été Sole di Capri à porter au soleil, Lancaster.


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Féminité du Bois, Serge Lutens.

Chaman’s Party, Honoré des Prés.

Chypre Mousse, Oriza L. Legrand.

Dans tes Bras, Editions de Parfums Frédéric Malle.

Sycomore, Les Exclusifs, Chanel. Si Intense, Giorgio Armani.

Cerruti 1881 Blanc, Cerruti.

Bois d’Argent, La Collection Privée, Christian Dior.

PARFUMS

Songe d’un Bois d’Eté, Les Exclusifs, Les Déserts d’Orient, Guerlain.

Laféminité auxbois Les fragrances du printemps invitent à l’échappée belle, entre senteurs de poires, de bois et de mousses. Conte parfumé. Par Valérie D’Herin

Déclaration, Cartier.

Sacred Wood, By Kilian.

Bois d’Ascèse, Naomi Goodsir.

Poirier d’un Soir, Miller Harris.

Wood Mystique, Estée Lauder.

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ne jeune fille, ce printemps, se promène dans les jardins de la parfumerie. Elle rencontre Monsieur Li, un personnage rassurant tout droit sorti de l’imagination de Jean-Claude Ellena, qui signe là un nouveau parfum-jardin pour la maison Hermès, jardin où se mêlent kumquat, jasmin, sève et une incroyable sérénité. La jeune fille arpente d’autres jardins. Elle cueille des bourgeons de cassis légèrement poudrés, se gorge de notes de pêches mûres et de poire puisées chez Miller Harris qui célèbre ce printemps les 15 ans de sa maison de parfum en proposant trois fragrances autour du jardin: Cassis en Feuille, Cœur de Jardin et Poirier d’un Soir. L’huile de bouleau et les notes terreuses de Poirier d’un soir élèvent autant les esprits qu’elles ramènent à la terre. Entre les fleurs et les fruits se dresse l’esprit des arbres, pères de la nature, guides de bien des parfumeurs. De l’autre côté du jardin, il y a la forêt, le mystère, l’interdit et des parfums attirants de mousse, de fleurs, de champignons. Entre des notes de bouleau blanc et de cyprès piquant, la jeune fille s’enfonce dans la mousse de chêne de Century d’Odin. Elle hésite, cependant, à aller plus loin. Les bois sentent comme les hommes. Elle devrait peut-être attendre, rester à l’ombre des parfums d’enfance. Mais déjà le portail du jardin s’est refermé. Le cashmeran, ingrédient synthétique aux facettes boisées, musquées, vanillées, et les douces fleurs qui composent Dans tes Bras, de Maurice Roucel pour Frédéric Malle, évoquent la peau chaude et aimante de sa mère contre laquelle elle se lovait, enfant, quand elle avait peur du noir. Le bois se fait charnel, maternel, rassurant. Quelques notes fleuries viennent à sa rencontre, l’attirent dans le Bois de Violette de Serge Lutens. Un santal crémeux s’y est égaré à côté d’un cèdre sec. A leurs pieds, des violettes réunies en un bouquet dense s’offrent à la caresse de ses narines. Amusée, la jeune fille se laisse conter l’histoire d’un parfumeur qui vénère autant les femmes que les bois et oublie qu’elle est sans chaperon.

PHOTOS: DR

L’attrait des bois

Reveal, Calvin Klein.

Elle pénètre dans un sous-bois qui porte le nom de Chypre Mousse, d’Oriza Legrand. Le sol est recouvert de notes «pousses vertes», de sauge et de fenouil. En notes de

cœur, elle découvre un trèfle sauvage qui pousse entre des aiguilles de pin et des notes de champignons frais et de châtaigne grillée. Plus elle foule certains accords terreux, plus elle sent surgir de sa personne une force dont l’ombre dépasse celle de sa frêle silhouette. La nuit va tomber. Les ombres et leurs sillages se heurtent et s’entremêlent. En suivant le labyrinthe de quelques racines centenaires, la jeune fille entend l’esprit d’un arbre qui remonte des entrailles de la Terre. Tellus n’est autre que le nom de cet esprit imaginé par Philippe Di Méo pour Liquides Imaginaires. Un très bel accord réchauffé de patchouli évoque l’humus, la terre nourricière et lance la série des trois eaux arborantes de la marque. Après Tellus, s’éveille Saltus, l’esprit de la sève, qui puise son énergie bouillonnante dans des notes de feuilles de cèdre et d’essence d’eucalyptus réchauffées par de l’essence de patchouli, de la fève tonka et du castoréum. Enfin, jaillit Succus, le suc fruité de l’arbre qui mène jusqu’à sa cime où terre, agrumes, fleurs et lumière complètent l’harmonie parfaite de cette nouvelle collection en hommage à l’arbre. Un rugissement monte du ventre de la forêt. Les bois resserrent leur étreinte. Le souffle court, la jeune fille s’appuie contre le tronc d’un Chêne, revu par Serge Lutens. Une note sève s’écoule le long des cristaux de Cèdre qui recouvrent le cœur de l’arbre. L’obscurité gagne les bois. La forêt se met en scène. Sa part d’homme se cogne au néroli en tête d’un Songe d’un Bois d’Eté de Guerlain. Le hurlement d’un loup surprend comme un accord fauve. La jeune fille grimpe à un arbre, des notes prononcées de résine s’accrochent à sa jupe. Une fois à la cime, des bouffées de pin et la fraîcheur vivifiante de la menthe la submergent dans une sublime interprétation d’une Nuit Etoilée par Isabelle Doyen et Camille Goutal.

Parfum d’homme Le grognement se rapproche. C’est celui d’un homme qui porte Méchant Loup de L’Artisan Parfumeur. Il sent le miel et la noisette. Elle resserre ses rêves autour d’elle et entreprend de descendre de son arbre, mue par la curiosité. Un homme qui sent si bon peut-il être mauvais? A pas lents, elle part à sa recherche, foule les notes suaves, crémeuses du santal revisité par

Kilian Hennessy dans Sacred Wood, pénètre un Bois d’Argent de Dior dans lequel toutes les facettes de l’iris sont exploitées. Une ombre masculine se dessine sur un tronc et disparaît à son approche. Elle sent l’empreinte qu’il a laissée sur l’écorce des arbres environnants. A son tour, elle se frotte à leurs troncs, s’imprègne de ce parfum mélangé d’homme et de bois, comme une Déclaration épicée, revue par Cartier, entre deux notes de bouleau et de genévrier.

Wazamba, Parfum d’Empire.

Tellus, Liquides Imaginaires.

Incense & Cedrat, Cologne Intense, Jo Malone.

La part mystique Alors qu’il n’y a plus de chemins qui mènent à travers bois, les notes animales cèdent la place à des notes spirituelles. Le bois d’agar de Wood Mystique donne le «la». L’encens et la myrrhe du résineux Wazamba résonnent contre les cyprès et les santals, ouvrant une route olfactive vers les dieux là où le parfum n’est plus ni homme ni femme, mais sacré. Les arbres s’espacent. Leurs branches disparaissent dans un nuage frais d’encens de cédrat, la nouvelle Cologne Intense de Jo Malone. La jeune fille décide de s’y enfoncer jusqu’à une chapelle blanche qui se dresse dans une clairière. En tête s’élève une mandarine soufrée cultivée sur les pentes du Vésuve puis de l’encens se répand sur du bois de cade. C’est Bois d’Ascèse, de Naomi Goodsir, un hommage au père de la créatrice. La jeune fille fait une halte, respire ses racines. Elle est sur la terre des boisés fumés, de Chaman’s Party d’Honoré des Prés, là où les druides accomplissaient leurs rituels des siècles plus tôt. Un frisson la parcourt. Une détermination nouvelle l’envahit. Elle court enfin à la rencontre d’un bois qui depuis longtemps l’attend, celui de la féminité. En tête, ses notes épicées se hérissent. La fleur d’oranger, la prune, les fruits gourmands, presque confits, la rassurent tandis que monte la sève du bois de cèdre réchauffée par du benjoin et de la vanille. Féminité du Bois de Serge Lutens se répand, sensuelle et féminine. Son corps nié se dénoue. Ce n’est qu’après bien des détours boisés que la jeune fille devine enfin la route qu’elle doit prendre pour rentrer. Le chemin qui ramène la femme à elle-même, et qui passe par les bois. >> A lire: la genèse de Incense & Cedrat de Jo Malone sur www.letemps.ch

Méchant Loup, L’Artisan Parfumeur.

03 Century, Odin.

Le Jardin de Monsieur Li, Hermès.

Nuit Etoilée, Annick Goutal.


Mode

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BUONOMO & COMETTI

Le Temps l Samedi 18 avril 2015

Dans les jardins du Palais royal de Caserte. Blouse en mousseline de soie brodée et jupe en organza de soie brodée, le tout de la collection prêt-à-porter printemps-été 2015 Giorgio Armani.


Le Temps l Samedi 18 avril 2015

Mode

Dans chaque numéro, Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire.

RANKIN

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Mode

Le Temps l Samedi 18 avril 2015

INTERVIEW SECRÈTE

Bruno Frisoni,

qu’avez-vousfaitdevosrêvesd’enfant?

S

i un sac se contente de vivre dans l’entourage (très proche) d’une femme, une paire de souliers fait partie intégrante de sa silhouette, comme l’extrémité d’un point d’exclamation. Quand il y a lieu de s’exclamer bien sûr. La chaussure est l’accessoire qui porte mal son nom, car essentielle à l’élégance – au chic, à l’allure, à la dégaine – qu’importe d’ailleurs ce que l’on essaie de dire de soi, c’est elle qui le déclame à notre place. Une ballerine ne peut sans doute pas sauver de tout, mais elle peut sauver un look. Et cela, Bruno Frisoni l’a compris très jeune, lorsqu’il a quitté son Italie natale pour étudier la mode à Paris et a commencé à travailler chez Jean-Louis Scherrer en 1980, pour qui il a dessiné les chaussures René Mancini pendant cinq ans. Il a dessiné les accessoires des plus grands noms de la mode: Lanvin, Christian Lacroix, Trussardi, Saint Laurent Rive Gauche, Givenchy, avant de lancer la marque qui porte son nom en 1999. C’est à lui que l’homme d’affaires Diego Della Valle a confié le soin de redresser la maison d’accessoires Roger Vivier en 2003. Bruno Frisoni en a fait une marque de désir qui exporte un esprit très parisien dans le monde entier. A Genève aussi désormais, où une boutique ouvre ses portes au printemps. Fruno Frisoni manie l’humour et la légèreté. Celle qui sauve de tout, même de soi-même. L’entretien aurait mérité d’être filmé tant il est difficile de rendre avec des mots les mille nuances du visage du créateur tandis qu’il répond et passe du rire, à l’éclat de rire, au sourire, au regard frisant l’ironie, aux sous-entendus, et revenant au sérieux pour mieux s’en échapper. Le Temps: Quel était votre plus grand rêve d’enfant? Bruno Frisoni: C’est assez loin les rêves d’enfant… C’est étonnant. Même si on continue de rêver toute sa vie, je ne sais pas si je saurais me souvenir de mon plus beau rêve d’enfant… J’ai l’impression qu’ils sont enfouis. Ce n’est pas une question si facile, à mon sens. On peut raconter n’importe quoi, mais on peut aussi s’efforcer d’être honnête. Mon plus beau rêve d’enfant?… Il y en a eu tellement! Disons que j’ai toujours rêvé de grand soleil.

L’avez-vous réalisé? Il est très difficile à approcher, le soleil. Ça brûle. Quelles traces en reste-t-il dans votre vie? Dès que je peux je pars au soleil, que ce soit un soleil d’hiver ou d’été. Il me fait du bien. Là, je vais skier. Je trouve formidable le soleil sur la neige blanche, avec le ciel bleu qui se détache. Et dès qu’il disparaît, on a froid. Quel métier vouliez-vous faire une fois devenu grand? Il y en a eu plusieurs: cuisinier, pompier, probablement capitaine de bateau parce que j’aimais bien la veste à boutons, la casquette et le pantalon blanc. Quand on est enfant, l’idée d’un métier change très vite et très souvent selon les amis ou les affections. Mais j’ai toujours imaginé faire un métier qui soit plein de surprises. Longtemps j’ai pensé que ce serait chercheur dans un laboratoire, puis finalement je me suis mis à chercher autre chose. Le domaine créatif s’apparente à une recherche? Oui, tous les jours on essaie de dessiner quelque chose, une vie différente. Finalement on n’est jamais complètement dans la réalité. Quel était votre jouet préféré? J’ai eu des jouets de garçons et des jouets de filles. Enfin, je piquais les jouets de mes sœurs, évidemment les poupées, pour les déshabiller. Il n’y a jamais une seule réponse à vos questions… Il y a une époque où je jouais beaucoup, comme tous les garçons, avec des agates. Ce sont des jeux très simples. J’ai aussi toujours adoré les Lego parce qu’on peut faire ce que l’on veut avec des cubes, même s’il y a un plan, on peut le transformer en autre chose. C’est ce qui m’intéressait: transformer. J’aimais aussi les maisons dans lesquelles on mettait des personnages et on pouvait raconter des histoires. Les avez-vous gardés? Non. A quel jeu jouiez-vous à la récréation? Aux billes.

Grimpiez-vous dans les arbres? Bien sûr. Je continue d’y grimper. Mon signe astrologique est le bélier. J’aime bien grimper, me retrouver en haut, être au bord d’un précipice; s’il y a un rocher sur une falaise, je m’assois tout au bord.

autre chose. Quand j’avais l’esprit trop pris par mon travail, pour essayer de me détendre et penser à autre chose, ne pouvant entrer dans un livre trop pesant, la bande dessinée est un médium assez facile. Moi qui ne suis pas très télévore, cela me permettait de m’occuper avec quelque chose de léger.

Et qu’est-ce que vous ressentez quand vous êtes tout en haut d’un arbre? Je respire. Je regarde. J’aime être dans une situation dominante, je pense (rires).

Quel goût avait votre enfance? Le goût du bonheur. Et si cette enfance avait un parfum, ce serait? Le parfum de l’amour.

Quelle était la couleur de votre premier vélo? Peut-être rouge. C’est banal. Probablement rouge. J’en ai eu beaucoup des bicyclettes!

Pendant les grandes vacances, vous alliez voir la mer? Oui. Bien sûr. Le soleil et la mer. La montagne est arrivée très tard dans ma vie. J’ai toujours été attiré par l’eau. Dès tout petit, on m’a emmené au bord des plages italiennes, puisque mes parents sont Italiens. Ils avaient besoin de retourner à leurs racines.

Quel super-héros rêviez-vous de devenir? Wow! Je n’en ai pas le souvenir. De quel super-pouvoir vouliez-vous être doté? De quel super-pouvoir? (Il éclate de rire.) Pouvoir disparaître et apparaître très facilement. Pouvoir me cacher. Pouvoir aller vite. La vitesse me définit assez bien, aussi. J’essaie toujours de faire les choses assez vite et j’aime aller vite. J’aurais aimé quelque chose qui me donne la possibilité d’aller plus vite encore… Des ailes? Rêviez-vous en couleur ou en noir et blanc? En couleur. Quel était votre livre préféré? C’était un livre sur un petit garçon qui vivait en Chine. Un livre de photos en noir et blanc. On me l’avait offert quand j’étais très jeune. Je crois que c’étaient des images du port de Hongkong avec ces petites barques, les photos des familles et cet enfant. Je l’ai beaucoup regardé. Ensuite les bandes dessinées. J’aimais bien Pif Gadget et les Pieds Nickelés si ça dit quelque chose à quelqu’un. Bien sûr! Les avez-vous relus depuis? Non. Mais de temps en temps je relis Tintin à la campagne. J’ai trouvé dans une «foire à tout» une pile de Tintin que j’ai achetée bien sûr. J’adore le dessin. A une époque, je lisais de bande dessinée quand je ne pouvais pas lire

«Avec les réponses assez floues finalement que j’arrive à donner, on se rend compte que ce n’est plus si précis l’enfance, que l’on a changé les couleurs avec le temps.» Bruno Frisoni

Savez-vous faire des avions en papier? Oui, mais ils ne volent jamais. Ils piquent du nez. Aviez-vous peur du noir? Non, jamais. J’adore le noir. J’aime dormir dans le noir le plus total. S’il y a un rai de lumière, j’essaie de fermer les rideaux totalement. Je déteste dans les hôtels tous ces éléments technologiques lumineux. C’est affreux. J’ai toujours du papier avec moi pour cacher la petite lumière des écrans de télé. Parfois je décroche toutes les prises. D’ailleurs ma chambre actuellement est de la couleur de votre pull, marron glacé, chocolat. C’est une petite boîte très sombre. L’idéal. Enfant aussi, j’ai toujours aimé le noir. On a dû m’habituer à dormir dans le noir, je pense. Vous souvenez-vous du prénom de votre premier amour? D’après maman, ça changeait souvent. On m’a toujours dit qu’à la maternelle j’étais le garçon qui avait le plus de fiancées. Non, je ne m’en souviens pas. Et de l’enfant que vous avez été? Oui, un petit garçon blond comme les blés. Est-ce que j’étais bipolaire? Je n’en sais rien (rires). Je crois que j’étais aussi sage que j’étais turbulent. Turbulent principalement avec les gens qui m’aimaient beaucoup. Et sage avec ceux qui m’impressionnaient un peu. J’étais un enfant jaloux aussi. Très, très, très jaloux! Je me souviens de crises de jalousie et particulièrement d’une correction, tellement j’étais jaloux. Je me souviens de peu de choses, mais de cela je m’en souviens. Est-ce qu’il vous accompagne encore? Je crois qu’on vit dans l’enfance très longtemps. J’ai l’impression de toujours utiliser mon enfance. Ce sont les premiers désirs, la première ouverture de l’esprit. Avec les réponses assez floues finalement que j’arrive à donner, on se rend compte que ce n’est plus si précis l’enfance, que l’on a changé les couleurs avec le temps. Mais les premières impressions sont celles qui vous marquent le plus. C’est comme dans mon travail: je retourne toujours au démarrage. Les premières notes sont les dernières notes.

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