AUTOMOBILE LUXE À LA FRANÇAISE
EN VOITURE AVEC NICO ROSBERG
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Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 3 octobre 2015
PORTRAITS INÉDITS DE LÉGENDES DE LA COURSE
Automobile
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Le Temps l Samedi 3 octobre 2015
SOMMAIRE
ÉDITO
Changement d’époque
«Mobile digital device», ou «Objet mobile numérique»: l’expression était utilisée par les responsables d’Audi lors du récent Salon automobile de Francfort. Ils se tenaient alors aux côtés de leur futur SUV électrique, l’e-tron quattro. Un 4x4 doté de sa propre intelligence informatique, rechargeable, connecté, au design soigné. Un vrai smartphone sur roues, pour reprendre une autre expression maintes fois utilisée dans ce salon allemand, le plus important sur la scène internationale. C’est un glissement sémantique, le signe que l’automobile est en train de changer de définitio sous nos yeux, de moins en moins mécanique, de plus en plus numérique. Introduire la voiture dans l’univers des outils nomades rechargeables, c’est faire un appel de phares aux générations X, Y et Z, moins passionnées par la mobilité individuelle que ne l’étaient les précédentes. C’est faire acte d’allégeance aux géants de la Silicon Valley, dont certains (Google, Apple) développent leurs propres modèles de voitures électriques à conduite plus ou moins autonomes. C’est enfi suggérer que l’industrie automobile n’est pas si pesante, pas si lente que cela, notamment grâce à son informatisation croissante, qui divise désormais par deux la durée de conception d’un nouveau modèle. Voir Audi et Porsche, chatouillées par Tesla, se lancer enfin érieusement dans l’automobile électrique haut de gamme abonde dans le même sens: un changement de trajectoire, pour ne pas
On mesure ainsi les changements, contraints ou volontaires, à l’œuvre dans l’industrie automobile allemande, toujours la fier é d’un pays qui n’a pas de concurrent dans le domaine de la berline haut de gamme, du comportement dynamique, de la maîtrise technique. Reste à proposer des SUV, une catégorie de véhicules qui augmente chaque année ses parts de marché, qui puissent vraiment concilier la domination de la route et le respect de l’environnement. Ou des voitures sportives qui ne rejettent pas des taux irresponsables de Co2.
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10 Ferrari
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Les performances colorées d’une Ferrari
Invité à Maranello, le photographe alémanique Fabian Oefner s’est servi de peintures fluo pour donner en ore plus d’élan à la récente California T. Photos: Fabian Oefner
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En voiture avec Nico Rosberg
Partager un bout d’après-midi de juin dans une Mercedes 300 SL roadster avec le pilote de F1, c’est entendre le grondement du 6 cylindres lancé sur une Autobahn, mais aussi la passion du jeune Allemand pour les bolides et les montres rares. Par Luc Debraine
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Lorsque le design part dans le décor
Rover lunaire, piano de concert et ensemble mobilier: certains fabricants automobiles exploitent leur savoir-faire dans la production d’objets parfois inattendus. Par Emmanuel Grandjean
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Les SUV, rois de Francfort
Les 4x4 et autres crossovers sont à l’évidence la tendance du moment, malgré leur handicap de poids et de résistance à l’air. Mais les constructeurs présents au Salon de Francfort en septembre montrent que le genre est capable d’invention. Et d’utiliser des quantités de superlatifs ! Par Luc Debraine
20 Fangio
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Petite marque, idées têtues
Mazda ne doit sa survie, et son actuel succès, qu’à sa propension à choisir des voies techniques et stylistiques originales. Une stratégie incarnée par la nouvelle expression du roadster MX-5. Par Luc Debraine
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L’automobile, l’amie des arts
Depuis des années, les constructeurs sponsorisent expos d’art contemporain et grandes foires internationales. Un engagement culturel pas seulement à but marketing. Par Emmanuel Grandjean
de légendes 20 Galerie Des portraits de pilotes des Grands Prix et courses d’endurance, pour la plupart inédits, pris entre les années 1950 et 1970. Photos: Archives Yves Debraine
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L’automobile, cet outil digital
Informatique, numérique, processeur, digitalisation de l’appareil de production : les dirigeants des marques allemandes n’avaient que ces mots à la bouche à l’ouverture du récent Salon de Francfort. Exemple avec le coupé concept IAA de Mercedes-Benz. Par Luc Debraine
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Audi et Porsche, à Francfort, ont montré la voie. Bientôt suivies, soyons-en certains, par leurs concurrents et partenaires à Munich, Wolfsbourg ou Stuttgart.
Lapo Elkann, ses rêves d’enfant
Dans chaque numéro, Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été. Plongée dans le monde imaginaire du petit-fils de Gianni Agnelli, légendaire dirigeant de Fiat. Par Isabelle Cerboneschi
Editeur Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01 Président du conseil d’administration Stéphane Garelli Administrateur délégué Daniel Pillard
Image de couverture: une jante de la nouvelle DS 5, le modèle premium de la marque française, désormais séparée de Citroën.
L’heure dans le rétro
Les marques horlogères, associées au sport automobile depuis ses origines à travers le chronométrage ou le sponsoring, sont aujourd’hui nombreuses à se tourner vers le secteur des véhicules de collection au point de susciter l’interrogation sur leurs motivations. Par Vincent Daveau
FABIAN OEFNER
Les motorisations diesel étaient aussi omniprésentes dans les immenses halles, chacun assurant que sa technologie était la plus «clean» possible. On sait depuis le scandale des puces tricheuses – une autre avancée de l’informatique, celle-ci frauduleuse – qui frappe actuellement Volkswagen que cette affirmation doit être prise avec beaucoup de précaution. Apparaît au grand jour ce que beaucoup savaient déjà: malgré leurs progrès depuis des décennies, ces moteurs diesel restent nocifs. A moins de trouver une parade technique qui mette tout le monde d’accord, les marques allemandes, mais aussi les autres, devront bien un jour ou l’autre renoncer à l’invention de l’ingénieur Rudolf Diesel. Des grandes villes comme Paris commencent à l’interdire, histoire de se débarrasser de ses particules fines et autres polluants à impac sanitaire. Le Diesel, bientôt, sera du passé.
Le luxe à la française
Identifiée « peti es voitures », l’industrie hexagonale de l’automobile est à nouveau tentée par le haut de gamme, apanage des constructeurs allemands. Une ambition incarnée par les nouvelles Renault Espace et DS 5, surtout dans leurs plus belles finitions et meilleu s équipements. Par Luc Debraine
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Par Luc Debraine
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ARCHIVES YVES DEBRAINE
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dire d’époque. Le groupe VW et sa dizaine de marques, BMW et Mercedes-Benz ont longtemps rechigné à mettre toute leur puissance de recherche & développement au service des propulsions alternatives. Laissant les Japonais, voire même les Français prendre des initiatives qui, il est vrai, rapportent encore peu. C’est fini, ême si le naturel revient toujours au galop, sous les hautes carrosseries des innombrables SUV et autres 4x4 présentés par les marques allemandes (et leurs concurrentes) à Francfort.
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Rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi Rédacteur responsable du hors-série Automobile Luc Debraine
Rédacteurs Isabelle Cerboneschi Emmanuel Grandjean Vincent Daveau Photographies Fabian Oefner Responsable production Nicolas Gressot Réalisation, graphisme Christine Immelé Responsable photolitho Denis Jacquérioz Correction Samira Payot Conception maquette Bontron & Co SA Internet www.letemps.ch Gaël Hurlimann
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RENOUVEAU
Le luxe à la française
La Renault Espace Initiale Paris et la nouvelle Citroën DS 5 affichent haut leu s ambitions de grandes routières très bien équipées.
I
l était un temps où la voiture de luxe était française. Bugatti, Delahaye, Delage, Voisin, Facel Vega… ces marques résonnent encore dans l’histoire de l’automobile, même si leurs heures de gloire sont depuis longtemps passées. Après-guerre, durant les Trente Glorieuses, les tentatives de Renault, Citroën et Peugeot dans le haut de gamme ont été aussi rares que brèves. La sculpturale Citröen SM, propulsée par son moteur Maserati, s’est avérée fragile. Et reine du moment inopportun: à peine née, la flèche acérée était cassée nette par la crise pétrolière du début des années 70. Plus tard, les tentatives de la Renault Safrane ou, mieux, de la Citroën C6 ont confir é que les références dans les berlines haut de gamme, l’exigence de finition et de qualité des matériaux, les motorisations puissantes, le comportement routier et la technique irréprochables étaient bien de nationalité allemande. Vorsprung durch Technik und so weiter: BMW, Mercedes et Audi restent des étalons sans concurrents, jusqu’à ce jour. C’est une histoire de culture nationale. En France, depuis les années 50, l’automobile se doit d’être compacte, pratique et populaire. Familiale, sympathique, confortable. Longtemps nationalisée, donc destinée au plus grand nombre par ordre des chefs, Renault s’est spécialisée dans le petit modèle accessible. La marque au losange a poussé cette identité à bout avec l’aventure industrielle des Dacia à bas coût, réussite dont elle tire aujourd’hui de juteux profits. Citroën et Peugeot, réunis au sein de PSA, ont suivi la même voie démocratique, efficace, sans prétention. Mais les constructeurs français ne se découragent pas. Une nouvelle fois, après tant d’essais infructueux, ils reparlent en chœur
Identifiée «peti es voitures», l’industrie hexagonale de l’automobile est à nouveau tentée par le haut de gamme, apanage des constructeurs allemands. Une ambition incarnée par les nouvelles Renault Espace et DS 5, surtout dans leurs plus belles finitions et meilleu s équipements. Par Luc Debraine
de haut de gamme, de luxe, de volonté de se mesurer aux belles routières de Munich, de Stuttgart et d’Ingolstadt. La marque DS, issue de Citroën, a même été créée expressément dans ce but «premium». Renault s’apprête à lancer sa généreuse «Talisman», successeur ambitieux de la Laguna. Peugeot mettra en 2017 ses rêves de grandeur dans la deuxième génération de la 508.
Confort et raffinemen technologique
Pour l’heure, il est intéressant de mesurer les ambitions des nouvelles DS 5 et Renault Espace, en particulier dans leurs versions les plus sophistiquées. A savoir la DS 5 Hybrid et Espace Initiale Paris. Des modèles vendus pas loin de 60 000 francs, aux forts atouts de confort et de raffinement technologique Née en 2012, la DS 5 a été cette année mise à jour pour soutenir l’émancipation de la marque DS, débarrassée des deux chevrons du logo Citroën. La face avant de la berline a été redessinée, la connectivité adaptée aux smartphones, la finition de l’habitacle tirée vers le ciel. Cette deuxième DS 5 ne pourrait être qu’un restylage, une deuxième mouture aux changements cosmétiques. Mais Yves Bonnefont, directeur de la marque, affirmait au printemps qu’elle est «plus qu’une nouvelle voiture. C’est la DS qui lance toute notre identité de marque. Soixante ans après la DS d’origine, la nouvelle DS 5 a en elle tout l’ADN de DS et surtout elle nous permet d’affirmer haut et fort notre objectif: renouer avec le haut de gamme français!» Conscient que l’architecture automobile du «monospace» a vécu, Renault présente la cinquième génération d’espace comme un «crossover». Un concept transgenre, quelque part entre berline, coupé et SUV. Du
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coup, les lignes du véhicule sont plus tendues, la silhouette a été rabaissée et les généreux volumes de rangement dans l’habitacle, caractéristiques des anciennes Espace, ont disparu. En revanche, la nouvelle frégate de Renault dispose d’une commande unique qui rabat automatiquement les sièges arrière. Ainsi que d’un système de gestion «Multi-Sense» qui contrôle le moteur, la boîte de vitesses, le châssis, le confort et l’ambiance intérieur (éclairage LED de plusieurs teintes, affi chages, même les fonctions massage des sièges). Une molette permet de choisir plusieurs modes de conduite, de l’économique au sportif, tous gérés par le cerveau de bord. L’Espace 2015 propose également une technologie à 4 roues directrices. La DS 5 Hybrid fait également travailler ses quatre roues, cette fois pour la traction: le moteur thermique entraîne les roues avant, l’électrique fait tourner les roues arrière. A bord, quatre modes de fonctionnement sont
proposés: auto, 100% électrique, 4 roues motrices et sport.
Références aéronautique et parisienne
Chez les deux constructeurs, l’aspiration au haut de gamme passe par les mêmes références symboliques, autant de rappels de l’excellence française. L’aéronautique, d’abord. Position de conduite, agencement de l’instrumentation de bord, affichage tête haute devant le pare-brise, forme du levier de la boîte de vitesses automatique ou des consoles, tout est conçu dans les DS 5 et nouveau Espace pour rappeler l’ambiance d’un cockpit, en particulier celui d’un jet privé. A l’intérieur de l’Espace, le montant de custode arrière évoque un empennage d’avion. Le dessin de la planche de bord s’inspire de la section d’une aile. La console centrale, entre le conducteur et le passager, paraît en sustentation, résolument aérienne. Dans la DS 5, le petit levier de vitesses a l’allure d’un joystick d’aviation. Sur la console
Ci-dessus de gauche à droite: l’habitacle de la Citroën DS 5 avec les sièges «bracelet de montre». Le levier de boîte de vitesses de l’Espace, inspiré de l’aviation. Page de droite: la Citroën ID 19 de 1971. centrale, des «toggle switches» (interrupteurs on/off) permettraient presque de faire une check-list avant le démarrage. Paris, capitale mondiale du luxe, est la deuxième cible emblématique des deux voitures. La DS 5 revendique sa fier é d’avoir été dessinée et conçue en région parisienne, comme l’a été la DS originelle il y a plus de 60 ans. Celle-ci était de plus fabriquée dans le 15e arrondissement, près du quai de Javel. L’appellation de la finition «Initiale Paris» de l’Espace vise le même référent francilien; l’un des prototypes du véhicule avait même une carte de la capitale en guise de garniture de toit dans l’habitacle. C’est à qui, pour la sellerie, choisirait le cuir
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Des ceintures à l’avant, pas du tout à l’arrière et le rétroviseur de droite brille par son absence, comme l’idée même d’un appuie-tête. Si bien qu’il faut souvent tourner le chef pour se faufiler dans l circulation parisienne. A bord d’une Citroën ID 19 de 1971, dans Paris.
Dans Paris, en DS de 41 ans d’âge
LUC DEBRAINE
(Re)tour dans le passé singulier de Citroën, entre Sainte-Geneviève et le quai Javel
le plus noble, la broderie la plus élaborée, les artisans les plus expérimentés dans le travail du matériau cher aux grandes enseignes parisiennes du luxe. Les sièges en cuir de la DS 5 proposent une confection en motif de bracelet de montre. Les prochains modèles de la marque premium devraient être pourvus de matériaux jamais vus dans l’automobile, comme le cristal ou de fines lamelles de pierre, à l’exemple du granit.
Le parfait et l’imparfait
Même si la multiplication des traitements de surface, de choix de matière et de teintes dans la DS 5 tend vers l’overdose décorative, loin du goût allemand pour la sobriété formelle, la qualité de la fi nition est exemplaire. C’est moins le cas dans l’Espace, qui alterne le haut et le bas de gamme, la découpe impeccable et l’approximation dans les joints, la matière plastique Dacia et le métal aviation. Les constructeurs français restent également en deçà de leurs concurrents allemands
dans la connectivité, en raison de menus compliqués sur les écrans tactiles ou du manque de précision des petits leviers de boîte automatique. Il est toujours un rien énervant, comme cela nous est arrivé dans la DS 5, de voir l’écran du système de navigation se fige longuement dans une ville étrangère. Ou de perdre ses repères dans une autre, contraignant le conducteur à trouver son chemin avec l’application Google Maps de son téléphone portable. Autre insuffisance, toujours avec l’industrie allemande en ligne de mire: les motorisations. Le Diesel 160 qui propulsait notre Espace de test est remarquable de silence et de sobriété, mais il manque de vivacité. Même constat pour l’entraînement Diesel-électrique de la DS 5 Hybrid, lui aussi impérial sur autoroute, lui aussi à consommation basse, mais la plupart du temps en peine de justifier les 200 chevaux qu’il affiche avec orgueil sur le papier. Si l’on ajoute le niveau moyen des transmissions automatiques,
on reste en matière technique quelques crans en dessous de la maîtrise allemande. En revanche, la DS 5 et l’Espace n’ont pas beaucoup d’égales dans leur catégorie de prix une fois lancées sur les routes sinueuses ou sur de longs trajets rectilignes. Le confort, la luminosité de l’habitacle, la précision de la direction (surtout la DS 5), l’agilité insolente dont elles font toutes deux preuve sont exemplaires. Il faut un temps d’adaptation à la précision redoutable du système à quatre roues directrices de l’Espace, mais lorsque l’habitude est prise, le comportement routier est royal. Même constat sur la DS 5, si efficace sur tous les types de routes que l’on atteint vite, sans s’en rendre compte, des vitesses non réglementaires. Ce sont deux superbes bêtes de voyages ou de déplacements professionnels, dotées de leurs propres idées du haut de gamme à la française. Un luxe qui sert et flatte ses utilisateurs, encore un rien imparfait, mais cela vient!
Mais comment rétrograde-t-on de 3e en 2e? J’essaie de tirer vers moi le levier de changement de vitesse, situé juste derrière le grand volant. Ou au contraire de le pousser, cherchant ce fichu deuxième rapport, sans le trouver. Cela doit être de ma faute: je ne suis pas habitué à ce système antédiluvien, Déroutant, en apparence fragile. En fait, non. Mon compagnon de route, un employé de la société «4 roues sous un parapluie», qui propose des tours en 2 CV et DS dans Paris, me rassure: c’est bien la boîte qui donne des signes de fatigue. Le compteur affich 87 000 km, mais personne ne sait, dans la société, si la vieille DS que je tente de conduire dans la capitale a 187 000, 287 000, voire même 387 000 km. La faute au compteur Jaeger à cinq chiffres seulement et à la perte du pedigree de la DS, dont on sait toutefois qu’elle est sortie des usines parisiennes de Citroën en février 1971. C’est une ID 19, le modèle d’entrée de gamme DS, destinée à filer sans encombre ni trop de dépenses sur la Nationale 7, en famille. Elle avait à ses débuts des phares ronds, ainsi que des embouts de clignotants en plastique, au lieu du zinc des versions supérieures. La voiture de couleur crème est «dans son jus», à part le revêtement de la banquette avant, désormais rouge vermillon. Des ceintures à l’avant, pas du tout à l’arrière et le rétroviseur de droite brille par son absence, comme l’idée même d’un appuie-tête. Si bien qu’il faut souvent tourner le chef pour se faufiler dans la circulation parisienne, en cette après-midi printanière qui alterne crachin maussade et astre aveuglant. On s’enfonce profondément dans la banquette et la voiture fait de même au gré des reliefs, trous et déclivités dans le coin de la Montagne Sainte-Geneviève. C’est la magie un rien nauséeuse de la suspension hydropneumatique, géniale invention de Citroën qui a transformé ses voitures en tapis volants sur des nids-de-poule. Et ce petit levier blanc au sol, à gauche du conducteur? La commande manuelle de la hauteur de caisse, basse pour l’arrêt, mi-hauteur pour la route, jupe relevée pour les chemins vicinaux. A l’intérieur, grâce à l’ample surface vitrée, la lumière et la sensation d’espace règnent. La visibilité est parfaite, en particulier grâce à la minceur des montants avant et latéraux. Ils n’obtiendront pas cinq étoiles à un crash-test, mais ils changent des piliers épais qui sont aujourd’hui le lot des automobiles contemporaines, en raison des contraintes de sécurité. Le Marais et Saint-Paul, leurs rues moyenâgeuses, leurs scooters énervés, leurs Vélib’ distraits, leurs livreurs durs de la feuille. L’ID 19 se faufile dans les rues étroites avec une agilité surprenante. Le moteur 2 litres est souple, plutôt silencieux. La course de la pédale de frein est importante, mais l’efficaci é 100% sans ABS est au rendez-vous. En route vers le 15e, où s’élevait autrefois l’usine Citroën qui sortait les DS à la chaîne, je peux enfin passer la 3e vitesse, en souplesse. Tout semble élastique dans cette voiture. Un arrêt au pied du Trocadéro, avec vue imprenable sur la tour Eiffel: les touristes se précipitent pour un selfie ou pour demander poliment de se mettre au volant de ce drôle de vaisseau rétrofuturiste. Ou plutôt cet objet superlatif tombé du ciel, comme l’écrivait Roland Barthes, et qui le reste, même des décennies plus tard. L. D.
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Organisé dans les environs de Paris en partenariat avec Richard Mille, le concours d’élégance de Chantilly s’est tenu pour la deuxième fois le 6 septembre dernier.
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epuis maintenant deux décennies pour Chopard (1988 avec la Mille Miglia), Rolex (1997 Pebble Beach concours d’élégance) et quelques autres maisons de renom, mais avec une accélération notable ces cinq dernières années, de nombreuses marques horlogères de prestige multiplient les expériences dans le secteur des véhicules de collection. Certains spécialistes associent cet engouement à l’intérêt des patrons horlogers pour les voitures de collection. Il est vrai, Richard Mille, sponsor du Mans Classic et partenaire de Chantilly Arts & Elégance, est connu pour collectionner les bolides de courses. La famille Scheufele, propriétaire de Chopard, associée depuis 1988 à la Mille Miglia, et au Grand Prix historique de Monaco, possède également bon nombre de véhicules prestigieux. C’est aussi le cas de Johann Rupert, le président de Richemont (Cartier, A. Lange & Söhne, IWC, Baume & Mercier: toutes partenaires d’événements automobiles vintage). Seulement, les dirigeants d’Oris (Rally Classico), de la manufacture Zenith (Tour Auto, aux 24 heures d’élégance de Belgrade, sponsor de la Lancia Stratos d’Erik Comas) ou encore de Frédérique Constant, partenaire d’Austin-Healey), ne sont pas connus pour disposer eux-mêmes de voitures anciennes. La raison de cet engouement est par conséquent ailleurs.
Jouer la tendance «vintage»
Certains pensent qu’il est lié à l’émergence, dans les milieux majoritairement favorisés et urbains, de la tendance que l’on appelle «la communauté rétro». Le but plus ou moins conscient de ses adeptes: se vêtir, vivre et consommer de façon à se rattacher à des époques considérées comme riches culturellement et créatrices de beaux objets. Ainsi, depuis à peu près dix ans, ce mode de vie fonctionne, porté par des séries comme Mad Men ou des artistes comme Dita von Teese. Le monde dans lequel nous vivons fait partout référence au passé. Aussi, l’esthétique vintage possède un vrai potentiel. Dans
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L’heure dans le rétro Les marques horlogères, associées au sport automobile depuis ses origines à travers le chronométrage ou le sponsoring, sont aujourd’hui nombreuses à se tourner vers le secteur des véhicules de collection au point de susciter l’interrogation sur leurs motivations. Par Vincent Daveau
Les horlogers sont de plus en plus nombreux à associer leurs noms à la passion pour les voitures de collection. Ici Baume & Mercier.
un certain sens, les montres mécaniques traditionnelles ont été la première étape de cet engouement pour les produits du passé. Garantes de valeurs comme la transmission, l’héritage et le savoir-faire, elles peuvent s’associer au monde des voitures de collection dont on devine qu’il partage les mêmes et qu’il a pour ambition de propulser l’amateur dans un passé idéalisé qui, semblable à celui de Gatsby le Magnifique, entend fantasmer la période Art déco, les Années folles ou celle des «Golden Fifties». Les montres, en s’alliant à un secteur porteur comme l’automobile entendent solliciter le consommateur et l’encourager à s’offrir la panoplie des attributs susceptibles de contribuer à le valoriser tout en l’intégrant à une tribu…
En avoir pour son argent
Seulement, des raisons purement mercantiles peuvent également expliquer la présence en masse des horlogers dans le secteur «automobile vintage». Certains horlogers avouent en «off» s’intéresser aux prestigieuses concentrations de voitures d’époque, car l’investissement à consentir pour toucher une clientèle ayant des moyens et sensibilisée à la belle mécanique est raisonnablement moins élevé que pour être un sponsor noyé parmi d’autres sur les carrosseries des voitures participant aux courses retransmises à la télévision. De plus, même si les retombées commerciales ne sont pas nécessairement visibles au premier coup d’œil, ces manifestations rassemblant parfois jusqu’à plus d’une dizaine de milliers de spectateurs triés sur le volet (13 500 visiteurs pour Chantilly Art & Elégance 2015) permettent de soutenir l’idée qu’automobiles de prestige et belle horlogerie sont indissociables. Face à cette association d’un luxe absolu permettant aux marques horlogères d’élargir leur cible clientèle vers le sommet de la pyramide, certains participants avouent qu’aujourd’hui, s’il n’est pas possible de quantifier l’impact de leur présence sur les ventes de montres, elle garantit une image positive et assure un retour sur investissement en matière publicitaire parmi les plus rentables du marché.
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Les performances (colorées) d’une Ferrari
Invité à Maranello, le photographe alémanique Fabian Oefner s’est servi de peintures flu pour donner encore plus d’élan à la récente California T. Photos: Fabian Oefner
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Fabian Oefner a tiré parti, dans sa série d’images, de peintures fluo escentes qui réagissaient aux UV.
e modèle California T de Ferrari se situe à part dans la gamme au cheval cabré: un roadster décapotable à moteur turbo disposé à l’avant de la voiture. Une rareté! La dernière évolution de la California est une bête surpuissante (560 ch) qui se conduit pourtant en souplesse, cheveux au vent, embarquant au besoin deux passagers à l’arrière. Le mérite en revient au V8 suralimenté, sans effet retard à bas régime, ainsi qu’à la vélocité de la boîte séquentielle à double embrayage. Les acquis de la F1 sont décidément précieux… Redessinée avec l’aide de Pininfarina, dotée de flancs qui rappellent la 250 Testa Rossa, la California T à toit rétractable offre au regard une silhouette fluide et musculeuse Une ligne effi ée dont s’est joué le photographe alémanique Fabian Oefner, invité à Maranello pour donner des couleurs supplémentaires à la California. Fasciné par l’évocation du mouvement et du temps, Fabian Oefner a tiré parti dans sa session de photos de teintes fluo projetées à grande vitesse sur la carrosserie. Une performance en elle-même, la dynamique du style Ferrari étant rehaussée par la dynamique du procédé chromatique utilisé par le jeune photographe suisse. L.D.
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En voiture de collection avec Partager un bout d’après-midi de juin dans une Mercedes 300 SL roadster avec le pilote de F1, c’est entendre le grondement du 6 cylindres lancé sur une Autobahn, mais aussi la passion du jeune Allemand pour les bolides et les montres rares.
PHOTOS: LUC DEBRAINE/DR
Par Luc Debraine
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Nico Rosberg De gauche à droite: les flèches d argent au Musée Mercedes de Stuttgart, les gants de F1 de Nico Rosberg dans le même musée, le pilote au volant d’une 300 SL coupé et Rudolf Caracciola à la course de côte du col du Klausen en août 1930.
«Q
u’est-ce que ça pousse! Incroyable, quelle caisse!» s’exclame Nico Rosberg. Le pilote de F1 a beau être habitué à sa flèche d’argent de 850 ch, il est impressionné par la Mercedes 300 SL roadster de 1958 qu’il conduit en ce moment, quelque part sur l’autoroute entre Stuttgart et Schaffhouse. La légendaire voiture de tourisme, la plus rapide au monde à son époque avec une vitesse de pointe qui frisait les 250 km/h, est certes quatre fois moins puissante que la Mercedes F1 du jeune Allemand. Il s’émerveille pourtant, en ce mois de juin, de la santé de la belle décapotable, qui a deux fois son âge. Surtout lorsqu’une autre 300 SL, cette fois un modèle coupé, se porte à sa hauteur sur l’autoroute. Le bolide noir est conduit par Bernd Mayländer, ancien pilote de course en catégorie DTM et actuel conducteur de la voiture de sécurité en F1. S’engage alors une brève course entre les deux vénérables automobiles. A laquelle j’assiste de près, puisque je suis assis dans le roadster biplace conduit par Nico Rosberg. Chassez le naturel, il revient au galop des chevaux vapeur lâchés – un bref instant – par les deux pilotes. Nous sommes dans le prologue du rallye Passione Caracciola,
Ci-contre: Nico Rosberg goûte au plaisir rare de conduire une Mercedes 300 SL roadster de 1958 sur l’autoroute entre Stuttgart et Schaffhouse.
«La voiture est si facile à conduire. Bon, la direction n’est pas assistée et elle est parfois un peu lourde à basse vitesse. Et il faut faire gaffe avec les freins: selon la pression sur la pédale, c’est tout ou rien!» Nico Rosberg à bord de la Mercedes 300 SL de 1958
une course de régularité destinée aux voitures anciennes. Une trentaine de véhicules construits entre 1930 et 1960 participent à cette première édition du rallye, dont le parcours alpestre part de Stuttgart, fie de Mercedes, pour rallier Lugano. C’est là que vivait Rudolf Caracciola (19011959), l’un des meilleurs pilotes de l’entre-deux-guerres, un as allemand qui a remporté des dizaines de GP ou courses de côte au volant des monstres de la marque à l’étoile. Le rallye est baptisé en son souvenir. D’où l’aide active de Mercedes, en particulier son département « Voitures historiques », mais aussi de l’horloger schaffhousois IWC. La marque de montres haut de gamme est partenaire de l’équipe Mercedes en F1. Ses deux ambassadeurs, dans l’automobile, sont Nico Rosberg et Lewis Hamilton. Les deux pilotes ont chacun conçu, avec l’aide des spécialistes d’IWC, leur propre modèle de chronographe « Ingénieur », au cadran clair pour
Rosberg, teinte carbone pour Hamilton. Avant de monter à bord du 300 SL roadster, Nico Rosberg détache sa montre pour me montrer sa face intérieure, qui intègre une pièce en carbone de sa propre monoplace de F1. L’occasion, une fois la brève course sur l’autoroute terminée, de parler avec Nico Rosberg, 30 ans, de sa relation au temps. Elle commence, me raconte-t-il, par sa passion des belles montres, en particulier celles d’IWC. Ce n’est pas qu’une politesse adressée à son sponsor, dont il porte les couleurs (et le dessin d’une montre) sur ses gants de F1: son père, le champion du monde Keke Rosberg, lui a offert une IWC alors qu’il était encore adolescent. Depuis lors, il collectionne les modèles de la marque alémanique, avouant une préférence pour la ligne Portugaise. Bien, mais comment passe le temps dans un GP? En un clin d’œil, vu la concentration qu’exigent ces courses d’un peu moins de deux heures? «Pas du tout, c’est
des fois très long, en particulier à la fin, explique le pilote dans un français fluide, lui qui a grandi à Monaco. Le plus long, le plus horrible, c’est le Grand Prix de Singapour. La dernière demi-heure est une torture, à cause de la chaleur sur place et des efforts exigés par ce tracé en ville. C’est le genre de course où je perds 3,5 kilos, c’està-dire plus de 5% de mon poids. Le GP où le temps passe le plus vite est à Silverstone. Le circuit est très rapide, pas vraiment exigeant d’un point de vue physique: c’est là où je souffre le moins.» A propos de temps, le nôtre, lui au volant, moi sur le siège passager, arrive à son terme. Casquette sur la tête, lunettes de soleil sur le nez, chemise blanche aux couleurs de tous ses sponsors, d’une maîtrise totale au grand volant, Nico Rosberg se délecte à bord de la 300 SL roadster: «La voiture est si facile à conduire. Bon, la direction n’est pas assistée et elle est parfois un peu lourde à basse vitesse. Et il faut faire gaffe avec les freins: selon la pression sur la pédale, c’est tout ou rien!» Et de parler spontanément de son admiration pour les voitures de collection, en particulier les 300 SL. «J’aimerais bien avoir un de ces roadsters, surtout celui au moteur en aluminium. Mais chaque exemplaire vaut désormais plus d’un million d’euros. C’est une folie, pas mal d’origine spéculative, et je préfère attendre mon heure pour en avoir une. La cote de ces voitures très rares est dernièrement montée en flèche, beaucoup plus vite par exemple que les prix pratiqués dans le marché de l’art. Je vais donc patienter. Mais j’en veux une!»
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INNOVATION
Lorsque le design part dans le décor
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Rover lunaire, piano de concert et ensemble mobilier: certains fabricants automobiles exploitent leur savoir-faire dans la production d’objets parfois inattendus. Par Emmanuel Grandjean
Le sofa de la ligne KODO Design par Mazda.
M
azda qui commercialise du mobilier de salon. Peugeot qui fabrique un piano. Et Lexus qui développe un skate capable de glisser au-dessus du sol. Les constructeurs amorceraient-ils un nouveau virage? Une bifurcation à 180 degrés surprenante, mais en y réfléchissant bien, pas si étonnante. De toutes les industries lourdes, l’automobile est sans doute celle qui a le plus dû adapter ses arguments de vente à son époque. Dans le temps, on choisissait son véhicule en fonction de sa puissance et de sa vitesse. Aujourd’hui, l’attention est davantage portée sur la consommation de sa motorisation et le look de son design. L’économie de carburant associée à un plaisir esthétique maximum: l’auto en 2015 doit procurer de l’émotion sans mettre à sec son propriétaire. C’était même le slogan du fabricant espagnol Seat. C’est devenu aussi le credo de Mazda dont tous les modèles répondent au cahier des charges des lignes fluides et ramassées du Kodo Design, la position de l’animal sauvage en mouvement.
L’hoverboard de Lexus, le skate du futur à suspension magnétique.
L’explorateur lunaire Quattro développé par Audi.
Et puis les constructeurs se sont mis à développer des objets en dehors de leur stricte expertise liée au matériel roulant. Des produits en marge du «concept car» spectaculaire, mais qui ne sortira jamais des chaînes de production. Certains fabricants le font depuis longtemps. BMW et Porsche entretiennent des unités spécialisées dans le dessin de produits courants qui vont du smartphone à la montre mécanique en passant par le matériel pour gaming. Quitte, parfois, à sortir radicalement des balises. Peugeot, par exemple, présentait il y a trois ans un piano. Un instrument massif, davantage caréné comme un yacht (que la marque au lion dessine aussi par ailleurs) que comme une berline, et conçu par son Lab avec la manufacture Pleyel au prix catalogue de 200 000 euros. Les raisons de cette diversifi cation? Elles sont de l’ordre de la démonstration du savoir-faire en exploitant sur d’autres champs les talents des designers maison. Elles contribuent aussi à valoriser l’image de la marque sur d’autres créneaux. Lorsque Porsche Design grave son nom sur un disque dur
externe, il instille un peu de l’esprit haut de gamme du fabricant allemand dans un produit bon marché. C’est le principe du parfum en vigueur dans le business de la haute couture. A travers ce design, il y a aussi la tentative de s’attacher une clientèle exclusive. Bentley prolonge le rêve de luxe de ses bolides jusqu’au mobilier. Baptisé Bentley Home Collection, les canapés, lits, tables basses et fauteuils sont tous frappés du logo ailé caractéristique du constructeur anglais. Ils sont fabriqués avec le même soin maniaque et dans les mêmes matériaux que les voitures de la firme. A la Foire internationale du meuble de Milan de 2015, Mazda présentait lui aussi une collection de meubles dont un siège sportif fixé sur des piétements insectoïdes. La chaise KODO évoquait ce fauteuil que le designer anglais Ron Arad assemblait en 1981 à partir de pièces de Rover P6 achetée d’occasion. Pour l’heure, la ligne Mazda, qui comprend encore un sofa et un bassin en cuivre sculptural, reste un projet. Elle est symptomatique d’une volonté des constructeurs automobiles de s’adresser à une
nouvelle clientèle qui s’intéresse moins à la mécanique qu’à l’esthétique. «A Milan, nous touchons un public beaucoup plus large, expliquait Ikuo Maeda, le responsable design du fabricant japonais. «Nous sommes ici pour partager notre vision créative et élargir nos horizons.» Dans un esprit proche, Mercedes dévoilait en 2012 dans la capitale lombarde sa ligne de meubles réalisée en association avec l’éditeur italien Formitalia. Davantage contemporaine que l’ensemble Bentley qui trahit le goût ostentatoire du confort british bourgeois, la collection Mercedes s’inspire des lignes fluides et organiques du design d’aujourd’hui. «Ces objets reflètent le design à la fois dynamique et progressiste de nos prototypes automobiles. Ils poursuivent ainsi à l’extérieur l’expérience émotionnelle que procurent nos véhicules», notait alors Gorden Wagener, responsable du département design de Mercedes-Benz. Enfin, il y a le design pour la beauté du geste, le bel objet fruit de la prouesse technologique qui fait du bien à l’image de marque. Mais dont les applications pour-
raient trouver des débouchés dans un futur plus ou moins proche. Rattachée à BMW Group, l’agence Designworks persévère dans le développement de lunettes connectées, abandonnées par Google en début d’année. Le bureau de recherche munichois imagine un accessoire optique qui augmenterait la réalité chez les propriétaires de Mini. C’est hyperstylé et assume son petit look aérien de bourdon du bitume. De son côté, Audi planche sur un petit véhicule tout-terrain pour l’exploration de la Lune. Date d’alunissage du 4x4 de l’espace? Il est prévu en 2017, si la firme aux anneaux et ses partenaires remportent les 30 millions de dollars du Google’s Lunar XPRIZE. Plus terre à terre, (quoique), Lexus, la griffe chic de Toyota, dévoilait en août sa planche à roulettes sans roulettes. Son hoverboard est un pur fantasme futuriste, un rêve qui nourrit les geeks depuis le film Retour vers le futur. Maintenu en suspension magnétique, son skate qui lévite est un magnifiqu objet design, mais qui a peu de chances de se retrouver demain dans nos rues. A moins de les paver de rails métalliques.
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NOUVEAUTÉS
Les SUV, rois de Francfort Les 4x4 et autres crossovers sont à l’évidence la tendance du moment, malgré leur handicap de poids et de résistance à l’air. Mais les constructeurs présents au Salon de Francfort en septembre montrent que le genre est capable d’invention. Et d’utiliser des quantités de superlatifs! Par Luc Debraine
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st-ce le signe que les constructeurs se soucient comme d’une guigne des normes anti-Co2 de plus en plus drastiques? Un «Sport Utility Vehicle», métissage de berline et de 4x4, est en effet lourd, haut et peu aérodynamique. Dévoilé au Salon de Francfort le 14 septembre dernier, le Bentley Bentayga mesure plus de 5 mètres de longueur et pèse 2,4 tonnes… Il s’agit bien sûr d’un exemple extrême, du plus luxueux, puissant et véloce 4x4 jamais commercialisé. Mais tout se passe comme si les grandes marques renonçaient à leur responsabilité sociale et environnementale en multipliant les modèles massifs, garants pour eux de fortes marges bénéficiaires
Francfort-Berlin avec une charge
La réalité est plus nuancée. Il n’existe pas une architecture type de SUV, mais une pléthore de modèles aux lignes, encombrements et choix techniques différents, du 4x4 balourd au «crossover» élancé et léger. Qui a dit, malgré l’apport relatif des motorisations hybrides, que ce type de véhicule devait nécessairement être un gouffre à hydrocarbures? Chatouillé par le succès de Tesla dans la berline électrique haut de gamme, conscient que le petit constructeur californien s’apprêtait à lancer son Model X, un SUV dérivé du Model S, Audi a frappé un grand coup à Francfort. Même s’il ne sera commercialisé qu’en 2018, l’e-tron quattro suggère
que l’industrie allemande prend enfin au sérieux la motorisation 100% électrique. Et qu’elle a de solides arguments à faire valoir. L’e-tron quattro est une bête de technologie capable, assurent les dirigeants d’Audi, de relier Francfort à Berlin sur autoroute, soit un peu plus de 500 km parcourus avec une seule charge. Grâce à trois électromoteurs (deux à l’arrière, un à l’avant) et des batteries lithium-ion «fabriquées en Europe», par Audi lui-même. Les performances sont à l’avenant avec une puissance maximale de 370 kW (presque 500 ch), un couple de 800 Nm, un 0 à 100 km/h en 4,6 secondes et une vitesse de pointe sur Autobahn de 210 km/h. Le SUV électrique est doté d’appendices aérodynamiques mobiles, notamment sur une série de clapets disposés sur le capot, qui lui permettent d’avoir un Cx remarquable de 0,25. Audi envisage une production annuelle de 40 000 e-tron quattro par année, à la hauteur des actuelles ventes moyennes de Tesla. Les SUV et autres crossovers étaient bien les rois de la «Messe» de Francfort, Mercedes allant jusqu’à baptiser 2015 «Année des SUV» en faisant défiler avec orgueil sa panoplie de Classe G sur scène, pendant la journée d’ouverture du salon. Non loin, BMW et VW présentaient leurs nouveaux X1 et Tiguan, alors que les marques de luxe se lançaient dans l’arène, de Jaguar à Bentley, en attendant les futurs Lamborghini Urus et Maserati Levante.
AUDI
JAGUAR
F-Pace. Ligne de mire: le Porsche Macan. T ransmission intégrale: de provenance Land Rover, autre marque du groupe britannique. Mais le SUV Jaguar, premier du nom, promet un comportement sportif et des équipements raffinés, vec Wi-Fi à bord. Il sera disponible dès le printemps prochain également en deux roues motrices et proposera plusieurs motorisations, de 300 à 380 ch.
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e-tron quattro. Sport, émotion, connectivité, sécurité et zéro émission: voilà les valeurs maison qu’Audi attribue à son SUV électrique, qui sera commercialisé en 2018. Le temps de mettre au point un pack de batteries capables d’assurer une autonomie de 500 km et une vitesse de pointe de 210 km/h. Ecrans OLED dans l’habitacle, éléments aérodynamiques rétractables, silhouette affinée à l extrême… L’Audi introduit de nouveaux jalons électriques. Tesla, gare!
BMW
BENTLEY
Bentayga. «Le SUV le plus rapide, le plus luxueux, le plus exclusif du marché», assurait Bentley à Francfort. Le monstre massif, propulsé par un 12 cylindres de 6 litres, garantit une puissance de 608 ch, pour une vitesse de pointe de 301 km/h. A s’offrir contre un minimum de 150 000 euros. Production anticipée: 3600 exemplaires par an à l’usine de Crew en Grande-Bretagne, agrandie pour l’occasion.
X1. La nouvelle génération de SUV compact de BMW, gros succès public (près de 750 000 exemplaires vendus depuis 2009), est presque une autre voiture. Le X1 est désormais une traction qui a perdu 1,5 cm en longueur mais gagné en volume de coffre et en habitabilité sur à l’arrière, accueillant cette fois sans encombre des grandes jambes.
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BORGWARD
BX7. Tout le monde se met au SUV, même les marques défuntes. Créé en 1919, dissout en 1961, Borgward était un constructeur allemand, connu entre autres pour son modèle Isabella. Il tente un come-back grâce à des capitaux chinois. Son SUV familial, très inspiré par l’Audi Q5, aura une motorisation hybride rechargeable et sera vendu d’abord en Chine, puis en Allemagne dès 2017.
MAZDA
Koeru. Le concept Koeru exploite bien l’actuelle identité stylistique du constructeur japonais, toute en lignes et surfaces tendues, évocatrices du mouvement. L’arc du toit rappelle celui de la Mazda 6. Il anticipe un futur SUV qui prend place dans la gamme Mazda aux côtés des actuels CX-3 et CX-5.
MERCEDES NISSAN
Gripz. Cette étude de petit crossover, qui préfigu e sans doute le futur Juke, montre que l’audace stylistique peut aussi s’appliquer aux véhicules hauts sur pattes. Celui-ci s’inspire de la fameuse Nissan 240Z de rallye, tout en adressant des clins d’œil au cyclisme de compétition. Le Gripz, destiné à la ville aussi bien qu’au hors-piste, était présenté à Francfort avec une motorisation hybride.
GLC. Remplaçant du GLK, un échec commercial rare chez Mercedes-Benz, le GLC offre une ligne plus tendue et abaissée. Il entend concurrencer les BMX X3 et Audi Q5, sans prétendre marcher sur les plates-bandes du plus puissant Porsche Macan. Commercialisé en Suisse depuis septembre dernier, le GLC offre trois motorisations, de 170 à 211 ch.
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DÉCOUVERTE
Petite marque, idées têtues
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Mazda ne doit sa survie, et son actuel succès, qu’à sa propension à choisir des voies techniques et stylistiques originales. Une stratégie incarnée par la nouvelle expression du roadster MX-5. Par Luc Debraine
La Mazda MX-5 abandonne cet automne son style néo-rétro pour une ligne plus sculptée. Près d’un million d’exemplaires du roadster biplace ont été vendus depuis 1989.
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est un constructeur indépendant qui ne devrait plus exister, tant l’heure est aux mastodontes aux épais portefeuilles de marques. Mazda a d’ailleurs manqué à plusieurs reprises de passer à la trappe, notamment avant que Ford ne lui sauve la mise à la fin des années 1970. Or, après s’être coupé du géant américain en 2008, Mazda ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Sa production globale de voitures devrait atteindre 1,5 million d’unités cette année, avec un bénéfice en vue de 1,5 milliard de francs. En Suisse, après des ventes annuelles moyennes de 7300 véhicules, le cap des 10 000 voitures pourrait être approché en 2015. Jamais la marque japonaise n’avait proposé autant de nouveaux modèles en aussi peu de temps, entre dernières générations de Mazda 2, 3 et 6, le SUV CX-3, sans oublier la quatrième génération du roadster MX-5, lancée en septembre sur le marché suisse. Ne pas faire comme les autres. C’est le credo de la marque depuis sa naissance entre-deux-guerres à Hiroshima, ville portuaire industrielle située loin de Tokyo, longtemps spécialisée dans l’exploita-
tion du sable. Juhiro Matsuda, le fondateur, a d’abord produit des bouchons pour le monde viticole, puis des machines-outils, avant que son entreprise ne se tourne après-guerre, après le grand désastre de la bombe, vers les véhicules motorisés. Les habitants d’Hiroshima sont têtus, indépendants et Matsuda San n’était pas en reste. Le Britannique Damian Donnellan, l’actuel directeur de Mazda Suisse, raconte que, dans les années 60, le gouvernement japonais avait convoqué les responsables des principales marques automobiles de l’Archipel, pour leur signifier que le pays manquait de ressources pour cette industrie et que les constructeurs feraient mieux de faire alliance s’ils escomptaient recevoir des aides du Ministère de l’industrie. Refus net de Juhiro Matsuda. Une fois revenu devant son conseil d’administration à Hiroshima, le patron de Mazda a indiqué que la seule solution pour l’avenir était de «Trouver son propre chemin».
Les pistons qui tournaient
Peu après, Mazda rachetait le brevet de moteur rotatif NSU Wankel. Et lançait une impressionnante série de voitures sportives, une stratégie couronnée par une victoire aux 24 Heures du Mans
en 1991. Mais la forte consommation des pistons rotatifs ainsi que des rejets élevés de Co2 ont fini par avoir raison du Wankel. Il devrait réapparaître bientôt chez Mazda, alimenté par de l’hydrogène, toujours destiné à des modèles véloces. Encore le signe que les ingénieurs maison ont la tête dure et qu’ils ont confianc dans leurs capacités d’invention, voire de réinvention. La divinité perse Ahura Mazdâ, dont le nom était proche de celui du fondateur Matsuda, d’où l’appellation de la marque, n’était-elle pas celle de «l’omniscience»? Cette voie solitaire est sans cesse empruntée par le constructeur, jusqu’à la prise de risque important. Comme d’importer la plupart de ses voitures du Japon, faute d’usine en Europe, prêtant le flanc aux fluctuations du yen. Ou en ne proposant pas de modèles hybrides et électriques, malgré les pressions croissantes sur les taux de Co2. La solution trouvée à Hiroshima, note encore Damian Donnellan, est typique de l’esprit sur place. Mazda manque de moyens financier pour développer des propulsions alternatives. Mais le constructeur croit en revanche que le potentiel du bon vieux moteur à explosion, dont le rendement reste faible,
peut encore être amélioré. Sans turbocompresseur, ni «downsizing», c’est-à-dire réduction de la cylindrée. L’équipe d’ingénieurs a ainsi réussi à augmenter la compression de ses moteurs à essence et diesel, gagnant en puissance et perdant en consommation et émissions nocives grâce à une meilleure combustion du carburant. L’exploit technique a été salué par la concurrence. Toyota, qui produit dix fois plus de voitures que la marque d’Hiroshima, est si admiratif de l’ingéniosité du «petit» qu’il a récemment conclu un partenariat pour fabriquer avec lui des petits modèles.
L’essence de la MX-5
La technologie «Skyactiv» de Mazda, dont le cœur est ce fort taux de compression, a été accompagnée par un nouveau langage stylistique, appelé «Kodo», ou esprit du mouvement. C’est un jeu de lignes, d’arêtes franches et de surfaces biseautées qui suggère visuellement la tension dynamique. C’est plutôt réussi, parfois surchargé, à tout le moins en rupture avec le design néo-rétro qui était, par exemple, celui du roadster MX-5, inspiré de la Lotus Elan des années 60. La silhouette de la petite biplace décapotable est désormais plus
anguleuse, plus sculptée. L’évolution formelle accompagne une refonte du châssis, l’allégement de la voiture ou l’amélioration de l’équipement à bord. Le roadster spartiate dispose aujourd’hui d’un écran tactile et de prises USB, il était temps. Alors que la position de conduite, les fesses au raz du bitume, reste heureusement inchangée. La MX-5 demeure sans concurrence, dans sa gamme de prix dès 30 000 francs, pour le tempérament joueur dispensé par la précision de la direction, le court débattement du levier de changement de vitesse, le compromis entre le confort et la sportivité de l’ensemble. Et il est le seul modèle de la marque où le choix d’un habitacle terne – une mauvaise habitude de Mazda – ne gâche pas le plaisir d’être à bord. Le moteur est disponible en version 130 ou 160 ch, ce qui est amplement suffisant pour une barquette de 975 kg. La MX-5 de 2015 est ainsi bien partie pour dépasser le seuil du million de roadsters construits depuis 1989, déjà un record dans le genre de la petite sportive à capote manuelle, répartition idéale des masses et agilité. Fidèle pour toujours au conseil de Colin Chapman, le fondateur de Lotus: «Allégez, puis simplifiez »
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Ci-dessus: une scène de «Stone against Diamonds», installation vidéo de l’artiste britannique Isaac Julien produite par Rolls-Royce. Ci-dessous: la «Rain Room», des designers-artistes anglais rAndom International, présentée au Yuz Museum de Shanghai par Volkswagen.
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est un film tourné dans le glacier islandais du Vatnajökull. Une installation vidéo époustouflante et d’un chic naturaliste absolu signé Isaac Julien, vidéaste anglais, ici mandaté par Rolls-Royce pour augmenter la collection d’art contemporain du constructeur de voitures de luxe. Stone against Diamonds s’inspire des lettres de l’architecte brésilienne Lina Bo Bardi, qui poétisait la supériorité de la beauté des pierres semi-précieuses sur les diamants. Le fil suit une femme noire qui se promène en chasuble immaculée et vaporeuse dans cette cave glaciaire creusée au bout du monde. Elle représente le Spirit of Ecstasy, la petite sculpture ailée qui surmonte le radiateur de chaque modèle de la marque anglaise: sa figure de proue, son emblème iconique. Présentée à la Biennale de Venise de 2015 et pendant la foire Art Basel où elle occupait la nef de l’Elisabethenkirche, l’œuvre finan ée par Rolls expose l’accointance qui unit les acteurs de l’art contemporain avec les fabricants d’automobiles. «L’envergure de l’œuvre et son inspiration qui puise aux sources d’une matière naturelle spectaculaire résonnent avec les valeurs de Rolls-Royce», notait alors Richard Carter, directeur de la communication de la marque pour qui cette démarche sert à la fois d’outils marketing et d’objectif culturel en accord parfait avec une clientèle forcément collectionneuse d’art contemporain. «Les deux intérêts en effet se rejoignent, remarque Felicitas Morhart, professeure de marketing à l’Université de Lausanne. Il y a aussi le cas de BMW et de sa série Art Cars, qui confie à des artistes connus le soin de customiser un de ses modèles. Mais là, on parle presque de co-branding. Lorsque Jeff Koons décore une BMW, c’est comme si deux marques très fortes s’alliaient dans une communication conjointe pour créer le buzz.» La rencontre entre l’industrie automobile et l’art est une histoire aussi vieille que la modernité. Elle remonte aux Futuristes italiens
CRÉATION
L’automobile, l’amie des arts Depuis des années, les constructeurs sponsorisent expos d’art contemporain et grandes foires internationales. Un engagement culturel pas seulement à but marketing. Par Emmanuel Grandjean
pour qui l’automobile symbolise la puissance et la vitesse au seuil de la Première Guerre. Plus tard, les artistes envisageront plutôt la voiture comme un matériau accidentel, l’objet qui cristallise les dérives de notre société qui surconsomme. C’est César qui la compresse, John Chamberlain qui transforme des tôles froissées en sculpture, Andy Warhol qui multiplie en sérigraphie les sorties de route tragiques, ou encore Chris Burden qui se fait crucifie sur le toit d’une VW Coccinelle. Du côté des constructeurs, l’intérêt pour l’art remonte aux années 60. Il doit servir à la fois au prestige de l’entreprise tout en remplissant une mission pédagogique. Les pièces sont exposées dans les locaux de la société. Visibles par les employés et les ouvriers, elles doivent amener de la beauté dans les bureaux et instiller un surplus d’intelligence chez ceux qui les occupent. En 1967, Pierre Dreyfus, alors PDG de Renault, fer de lance de l’industrie française, se lance dans l’achat d’œuvres de son temps. «Il ne s’agissait pas de mécénat à proprement parler, explique Ann Hindry conservatrice de la collection Renault, mais de collaboration entre une entreprise et des artistes. Lesquels avaient accès aux ateliers et au savoir-faire de la marque pour réaliser leurs œuvres.» Le sculpteur Armand va ainsi créér plus de 150 œuvres qui toutes consistent en l’accumulation de boulons et de pièces de moteur. Le peintre islan-
dais Erró, lui, va peindre le tableau de bord d’une Alpine. Tandis que le maintien des colonnes du sculpteur belge Pol Bury nécessite les compétences des ingénieurs de la marque aux chevrons. Le partenariat d’art de Renault cesse en 1985. Démarrée en 1977, la collection Daimler, elle, se poursuit. A l’origine, il s’agissait de soutenir des artistes de la région de Stuttgart dont le fabricant reste l’un des fleurons industriels. Mais aussi des créateurs comme Max Bill, Oskar Schlemmer et Hans Jean Arp qui représentaient cette génération issue du Bauhaus. Aujourd’hui, la Daimler Collection fonctionne comme une vraie fondation d’art contemporain qui complète son ensemble en achetant sur le marché mondialisé. Au point de conserver 2600 œuvres qui vont de Philippe Parreno, Donald Judd, Qiu Zhijie en passant par John Armleder et Olivier Mosset.
Stratégie de communication
Mais si l’implication dans l’art des constructeurs automobiles va grandissant, son but appartient désormais à une stratégie globale de communication. «Ce genre de sponsoring doit forcément refléter les valeurs de la marque. Dans le cas de l’automobile, surtout lorsqu’il s’agit de constructeurs haut de gamme, il s’agit de soutenir les événements artistiques les plus prestigieux et les plus fédérateurs», continue Felicitas Morhart. C’est ainsi que BMW est partenaire d’Art Basel et de la Frieze
Art Fair de Londres et que Renault soutient la Fiac de Paris. Le mécénat et le sponsoring de ces raouts qui déplacent les foules vont parfois de pair avec une implantation sur des marchés étrangers. C’est le cas du groupe Volkswagen, qui finance de grandes expositions aussi bien au MoMA de New York qu’en Chine. Et qui s’adjoint, pour cette mission, les meilleurs acteurs institutionnels de l’art contemporain comme le curateur suisse Hans-Ulrich Obrist. VW Group inaugurait le 30 août 2015 au Yuz Museum de Shanghai, la «Rain Room», installation qui déverse une pluie battante créée par les artistes-designers anglais rAndom International. Une manière de parler écologie en utilisant la métaphore de l’eau qui tombe. «En sponsorisant cette exposition, nous voulons établir une plateforme créative qui donne aux gens une nouvelle source d’inspiration et apporte une perspective intéressante sur la significatio du développement durable», expliquait Jochem Heizmann, président et CEO de VW Group en Chine, dans le communiqué de présentation de l’œuvre. «C’est un bon exemple d’une marque qui commence à monter en puissance en Chine et soutient un sujet qui concerne les Chinois, reprend Felicitas Morhart. Ce qui est aussi un moyen de promouvoir ces modèles de voitures moins énergivores. Ce genre d’engagement culturel devient aussi un engagement social.»
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PHOTOGRAPHIE
Galerie de légendes Des portraits de pilotes des Grands Prix et courses d’endurance, pour la plupart inédits, pris entre les années 1950 et 1970. Photos: Archives Yves Debraine
Chris Amon, 1964
Le pilote néo-zélandais a alors 21 ans. Il court pour Lotus en F1. Amon prendra par la suite le volant de Ferrari ou de Matra, ne gagnant aucun GP lors de sa carrière, pourtant pleine de panache, mais marquée par la poisse.
Emerson Fittipaldi, 1973
Le pilote brésilien courait alors pour le Team Lotus. L’année précédente, il avait conquis son premier titre de champion du monde à l’âge de 25 ans, devenant le plus jeune champion de F1 de l’histoire. Fittipaldi vivait alors à Lonay, sur La Côte.
Giuseppe Farina,
1954 Docteur en sciences politiques, l’as transalpin gagne le premier championnat de F1 en 1950, sur Alfa Romeo. Il passera ensuite à la Scuderia Ferrari avant de mettre un terme à sa carrière en 1956. Avec cinq victoires en F1 à son palmarès, dont le GP de Suisse 1950 à Bremgarten.
A
u début des années 50, le photographe lausannois Yves Debraine (1925-2011) lance avec l’éditeur Ami Guichard une nouvelle publication: L’Année automobile. Celle-ci existe toujours et s’est imposée comme l’une des principales références dans le domaine de la course et de l’industrie automobiles. Dès 1952, Yves Debraine se rend sur les circuits de F1 et de courses d’endurance, en Europe surtout, outre-Atlantique parfois. Au petit, moyen et grand format, il saisit la chorégraphie des bolides lancés à pleine vitesse et prend les portraits de pilotes dont beaucoup deviendront des proches, et beaucoup aussi disparaîtront de manière tragique, tous victimes de leur passion de la compétition. Cette chasse à la meilleure image possible sur les courses automobiles durera près de trente ans, en parallèle à des reportages pour les magazines de Ringier et de Time-Life, la création de plusieurs agences photo, le lancement d’un mensuel romand qui deviendra plus tard Générations. Puis les Grands Prix se barricaderont de plus en plus, les visages des pilotes disparaîtront sous les casques intégraux, l’ambiance des courses se plombera en raison de lourds intérêts financiers dès la fin des années 70, Yves Debraine passera à autre chose. Voici quelques portraits de pilotes extraits de ses archives, pour la plupart inédits. L. D.
Juan Manuel Fangio, 1954
Le monstre de force et d’adresse, dominateur absolu des GP dans les années 1950, glânant cinq titres mondiaux. Ferrari, Alfa Romeo, Mercedes… peu importait la livrée des monoplaces, à la fin, lArgentin gagnait (presque) toujours.
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Graham Hill, 1970
La photo est prise lors des essais du GP de Monaco, qu’il a gagné à cinq reprises dans les années 60, un record qui ne sera battu plus tard que par Ayrton Senna. Le triple champion du monde de F1 ne disposait plus en 1970 d’une bonne voiture et végétait en queue de peloton.
James Hunt, 1973
D’ores et déjà très rapide, le pilote anglais participe cette année-là à son premier championnat du monde, dans l’équipe de Lord Hesketh, tout aussi excentrique que lui. Trois ans plus tard, au volant d’une McLaren, il livre une formidable bataille à Niki Lauda, remportant son seul titre de champion du monde.
Maurice Trintignant, 1954
Le pilote français est ici assis dans une Bugatti, la marque de ses débuts en course automobile dans les années 30. Mais le champion court cette année-là en F1 et en endurance pour Enzo Ferrari. Oncle de l’acteur Jean-Louis Trintignant, il gagnera en 1955 le GP de Monaco, devant le premier pilote français à s’imposer en F1.
Joseph Siffert, 1971
Le pilote fribourgeois est alors sur tous les fronts, en F1, en F2, en courses d’endurance, en catégorie Can-Am. Il dispute sa meilleure saison en F1, sur BRM. Mais l’extraordinaire aventure s’achève en fin de saison lo s d’une course hors championnat, sur le circuit de Brands Hatch.
Jean-Claude Killy et Jacky Ickx, 1968
Aux 1000 km du Nürburgring, le pilote belge partage un instant de détente avec le triple champion olympique de ski, qui venait alors d’arrêter la compétition. Et de se tourner brièvement vers les courses automobiles, en endurance.
Niki Lauda, 1976
Toute la volonté, la concentration, mais aussi le caractère ombrageux du pilote autrichien se lisent sur son visage après une séance d’essai, les marques de son casque encore sur le front. C’est l’année de la concurrence acharnée avec James Hunt, l’Autrichien sur Ferrari, l’Anglais sur McLaren. C’est hélas l’année de son terrible accident au Nürburgring, qui le laissera brûlé et défiguré
Jim Clark, 1965
Extraordinairement talentueux, le pilote écossais porte ici les lauriers du vainqueur du GP de France sur le circuit de Charade, dans le Puy-de-Dôme. A ses côtés, le premier ministre français Georges Pompidou. La carrière brève mais flamb yante de Jim Clark est l’une des grandes heures de la F1.
Toulo de Graffenried,
1954 Au volant de sa Maserati de GP, le pilote suisse pose ici en compagnie de sa femme. Emmanuel de Graffenried, dit «Toulo», a disputé 22 courses de F1 entre 1950 et 1956, souvent au sein de sa propre écurie privée, «Baron de Graffenried».
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Automobile
Le Temps l Samedi 3 octobre 2015
MOBILITÉ
L’automobile, cet outil digital
Informatique, numérique, processeur, digitalisation de l’appareil de production: les dirigeants des marques allemandes n’avaient que ces mots à la bouche à l’ouverture du récent Salon de Francfort. Exemple avec le coupé concept IAA de Mercedes-Benz. Par Luc Debraine
«U
n outil digital mobile»: c’est ainsi que Luca de Meo, membre de la direction d’Audi, décrivait l’e-tron quattro concept qui trônait en majesté sur le stand de la marque au Salon de Francfort. Le SUV n’est pas que la réponse d’Audi à Tesla dans le créneau de la voiture électrique haut de gamme. Il se veut objet connecté, intelligent, capable de modifier en route des éléments de sa carrosserie pour améliorer sa pénétration dans l’air. Le véhicule communique aussi avec les autres véhicules dans son environnement immédiat, un fonctionnement en essaim destiné à prévenir les accidents ou à anticiper les bouchons. C’est une musique numérique d’avenir: le SUV électrique ne sera commercialisé qu’en 2018. Mais la digitalisation de l’automobile était bien l’un des thèmes dominants de l’IAA, l’International Automobil-Austellung de Francfortsur-le-Main, salon biennal qui est le fie des constructeurs automobiles allemands. Sur place, Mercedes-Benz a pris l’IAA dans un autre sens, comme «Intelligent Aerodynamic Automobile». Le concept IAA, présenté juste avant l’Audi e-tron quattro le 14 septembre dernier, est un coupé quatre portes effi é à l’extrême. Il est capable de moduler dès 80 km/h son coefficient de traînée, de 0,25 à 0,19, en sortant des ailerons, recouvrant ses jantes et allongeant sa poupe sur 40 cm. Un vrai Transformer. Doté d’une motorisation hybride rechargeable, il affiche des émissions de Co2 de 28gr/kmetunevitessemaximalede 250 km/h malgré une puissance modeste – pour une Mercedes – de 280 ch.
Plus rapide que la loi de Moore
Vitesse? «Si la digitalisation a une qualité première, c’est bien d’elle dont il s’agit», notait sur le stand Mercedes Dieter Zetsche. Le grand moustachu, patron du groupe Daimler, ne parlait pas ici d’allures rapides sur autoroutes allemandes. «La vitesse des technologies numériques ne cesse d’augmenter. Vous connaissez tous la loi de Moore: les processeurs doublent de puissance tous les deux ans. Je ne suis pas un expert en informatique, mais je peux vous dire ceci: les possibilités que la digitalisation offre à notre secteur sont encore plus véloces que cette loi. C’est très bien ainsi. Chez Mercedes-Benz, nous ne sommes pas exactement des fans de la décélération.» Et Dieter Zetsche de décrire la conception du concept IAA, qui
Le coupé quatre portes concept IAA de Mercedes gère automatiquement sa pénétration dans l’air grâce à des éléments mobiles, comme sa poupe qui s’allonge sur 40 cm. Résultat: un Cx de 0,19, un record dans cette catégorie de véhicule.
PHOTOS: DR
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a pris moins de dix mois, alors que le double aurait été auparavant nécessaire. Les ordinateurs de Mercedes-Benz ont tiré parti d’un million d’heures de calculs pour élaborer 300 prototypes différents. Au final, deux concepts ont été réalisés en parallèle, l’un avec un accent mis sur le design, l’autre sur l’aérodynamique. Le concept IAA n’a pas utilisé la puissance informatique uniquement lors de sa gestation. Sur route, il communique avec les autres grâce à la technologie «carto-X». Des caméras remplacent les rétroviseurs, transmettant leurs images sur l’écran de bord, bien sûr digital. Celui-ci s’active par le geste ou le toucher, comme les autres commandes à bord. Selon Dieter Zetsche, c’est toute la chaîne de production qui est digitalisée chez Mercedes, de la recherche & développement à la production et à la vente. Cela paie: le constructeur n’a jamais vendu autant de véhicules en Eu-
rope, en Amérique du Nord et en Asie que lors des huit premiers mois de l’année 2015.
En route pour Berlin!
Pour Sajjad Khan, le nouveau responsable digital chez Mercedes (il était auparavant le monsieur «voitures intelligentes» chez BMW), la numérisation de l’automobile est surtout un avantage pour les automobilistes eux-mêmes. Il prend pour exemple l’application Mercedes pour Apple Watch: «Elle vous permet de choisir une destination lorsque vous êtes encore au bureau ou chez vous. Vous écrivez par exemple «Berlin» dans la rubrique spécifiqu de l’application: l’information est alors immédiatement envoyée à la voiture. Lorsque vous vous installez ensuite au volant, l’écran de bord vous demande si vous voulez vraiment vous rendre à Berlin. Vous confirmez et en route. Si d’aventure vous deviez parquer votre voiture à 500 mètres de
votre destination finale, à Berlin, votre Apple Watch se chargerait de vous mener à bon port, à pied. Pour nous, la digitalisation est avant tout une valeur ajoutée dans les services que nous proposons à notre clientèle, à l’intérieur ou à l’extérieur d’une Mercedes, 24 heures sur 24, dans la vie réelle, à l’époque de l’Internet des objets.» Et quels sont les avantages de la digitalisation dans la protection de l’environnement, Mr Khan? «Vous avez vu sur notre stand plusieurs nouveaux modèles hybrides rechargeables, dont la technologie est notoirement numérique. Vous avez aussi vu les innovations aérodynamiques de notre véhicule concept IAA, qui ont un impact direct sur les émissions de Co2. La diminution du temps de développement de cette voiture nous a permis de mieux nous focaliser sur ses innovations, de les mettre au point, de les proposer à notre clientèle non dans
trois ans, comme cela aurait été le cas il y a peu de temps encore, mais dans une année. D’autre part, étant donné qu’une voiture est un objet mobile, nous développons de plus en plus ses capacités prédictives intelligentes. Par exemple en anticipant l’arrivée, sur un trajet, d’une route de montagne, qui avec ses montées et ses descentes, aura bien sûr une incidence sur la gestion de l’énergie à bord.» Bien, mais l’automobile n’estelle pas en train de changer de définition, de moins en moins mécanique, de plus en plus numérique? «La définition de l’automobile n’a pas cessé de changer depuis un siècle. Il serait plus intéressant de parler de la définition de la digitalisation du monde à laquelle nous assistons aujourd’hui. Que veut-elle dire? Quelles sont ses conséquences sur nos vies personnelles et nos capacités d’apprentissage? Pour nous, le concept est aussi clair que pragmatique: c’est un moyen très effi cace d’améliorer sans cesse nos voitures. Par exemple en divisant par deux la durée de conception d’un nouveau modèle, en améliorant leur appareil de production et la façon dont, en bout de chaîne, nos produits sont perçus. Notamment sur le plan émotionnel. Il ne s’agit plus de vous proposer un moyen de vous mener de A à B, mais de vous garantir la meilleure voiture du marché, à tous points de vue.»
Automobile
Le Temps l Samedi 3 octobre 2015
INTERVIEW SECRÈTE
Lapo Elkann,
qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant? Dans chaque numéro Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été, et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire.
L
apo Elkann a hérité de son grand-père Gianni Agnelli le sens de l’entreprise et celui d’une élégance décalée. Il promène son dandysme au volant de ses Ferrari customisées. De son enfance ballottée d’un pays à un autre, il a gardé un souvenir douxamer, qu’il contrebalance très vite, conscient de ses privilèges. Au Brésil, il a appris très jeune le sens des mots «inégalités sociales», qui, dans son cas, jouaient en sa faveur. Est-ce l’une des raisons pour lesquelles il choisit de tutoyer d’emblée: pour combler le fossé en apparence? Lapo Elkann, enfant, avait peur du noir. Un corollaire de son statut. Il est né le 7 octobre 1977. Deux ans auparavant, le 26 novembre 1975 à Turin, Carla Ovazza, sa grand-mère paternelle, se faisait enlever. Son rapt a duré 35 interminables jours. Elle a raconté sa détention, les sévices, la torture morale, dans un ouvrage intitulé Cinque Ciliegie Rosse. Dans le langage des ravisseurs, ces cinq cerises rouges signifiaient 5 milliards de lires, ceux de la rançon demandée. Elle a raconté cette expérience atroce à ses petits-enfants. Les enfants de parents fortunés ont souvent moins peur du loup que des kidnappeurs. Il y a deux ans, l’Italia Independent Group, société de création de lunettes qu’il a cofondée en 2007, était introduite en bourse à Milan sur L’Alternative Investment Market. Elle réalise aujourd’hui 25 millions de chiffre d’affaires. Mais Lapo Elkann, en bon rêveur canalisé a besoin de relever d’autres défis et de créer à «360 degrés». Il vient donc de lancer une nouvelle société, Garage Italia Customs, sorte de haute couture pour les voitures, avions, bateaux, motos, etc. Le but: réaliser tous les rêves des clients, y compris créer une carrosserie impression «pied-de-poule» ou «camouflag » pour une Fiat 500. En décembre 2014, Hublot et Italia Independent Group annonçaient une collaboration qui va durer trois ans et de laquelle est née la montre Big Bang Unico Italia Independent dont le boîtier a été réalisé en Texalium®. Ce nouveau matériau, composé de fibre de carbone et d’une couche d’aluminium, qui permet des déclinaisons en couleur. Le carbone fait quasiment partie de l’ADN de Lapo Elkann: il a conduit sa première voiture à l’âge où d’autres jouaient avec des Dinky Toys, et ses premières lunettes ont été fabriquées dans ce matériau.
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Chaque montre est livrée dans un écrin personnalisé dans lequel les propriétaires recevront aussi une paire de lunettes de soleil Italia Independent, avec sa monture en Texalium®. Parce qu’il vit dans une valise, l’interview s’est faite par téléphone. Ce qui n’enlève rien à la précision de son langage et de sa pensée. Le Temps: Quel était votre plus grand rêve d’enfant? Lapo Elkann: Avoir la possibilité d’être un créateur dans tous les domaines. Je voulais toujours changer les choses, les rendre plus belles qu’elles n’étaient. Quoi par exemple? Les maisons, les voitures, les habits, les objets, les situations, les atmosphères… J’avais cette idée que tout pouvait être mieux, plus beau. Quel métier vouliez-vous faire une fois devenu grand? Je voulais devenir soit explorateur des mers comme JacquesYves Cousteau – L’aventure me stimulait – soit architecte. Indirectement, je ne suis pas si loin de mes rêves aujourd’hui. Entrepreneur, c’est une forme d’aventure. Et par ailleurs, il y a une partie créative dans mon travail, même si cela n’a pas la même noblesse que l’architecture, ni la même complexité. Quel était votre jouet préféré? Les voitures. Malheureusement mon premier accident de voiture, je l’ai eu à l’âge de 8 ans. J’avais pris un véhicule sans en avoir le droit. Quand j’étais petit, pour me calmer dans mon berceau, on me donnait les clés d’une automobile. Quand je devenais rouge et que je m’énervais, c’était la seule chose que j’aimais avoir dans mes mains. Mon premier jouet, ce n’était pas un ballon de foot, ni des Playmobil, ni des Lego, ni des jeux vidéo, mais une voiture.
L’avez-vous gardée? Ma passion pour la voiture? Oui, évidemment! D’ailleurs, je viens de créer une nouvelle activité liée à la customisation: Garage Italia Customs. C’est comme un tailleur pour automobile, mais aussi motos, avions, hélicoptères et bateaux. Sans avoir encore annoncé le projet publiquement, on a déjà réalisé 60 voitures, deux bateaux, une dizaine de motos et quatre avions privés. Notre argument de vente c’est: «Make the impossible possible». On veut réaliser les rêves de nos clients, rendre les choses réelles. A quel jeu jouiez-vous à la récréation? J’aimais beaucoup le foot et j’aimais jouer avec les petites voitures. Il y avait aussi ces fameux albums Panini. Je collectionnais les photos de Zico, de Pelé, de Platini, de Maradona, etc. Une partie de mon enfance, je l’ai passée au Brésil, une autre en France en pension. Comment ne pas aimer le foot? Et en plus, je suis Italien! Grimpiez-vous dans les arbres? J’aimais grimper, mais je n’étais pas un très bon grimpeur. Quand j’ai fait mon service militaire dans les chasseurs alpins, j’ai appris à le devenir. Que ressentez-vous sur les hauteurs? On voit mieux les choses d’en haut. Le monde est beaucoup plus beau vu du Mont-Blanc que depuis le trottoir. Les couleurs, la lumière, l’énergie que l’on perçoit quand on est en haut, cela amène une sérénité particulière. Quelle était la couleur de votre premier vélo? Bleu. Non, pas bleu: azzurro, qui est le bleu du maillot de foot de l’équipe d’Italie. Quel superhéros rêviez-vous de devenir? Superman. J’avais envie de voler.
De quel superpouvoir vouliez-vous être doté? J’avais envie de changer le futur. Avoir la possibilité de le rendre meilleur, aussi bien pour moi que pour les autres. A un jeune âge, j’ai vécu au Brésil. Je vivais dans une situation de privilèges dans un pays où il y avait beaucoup d’inégalités et d’injustices sociales. Cela m’a amené à comprendre très tôt que, bien que de nombreuses choses de mon enfance ne me plaisaient pas, je vivais un rêve par rapport à de nombreux jeunes enfants des favelas. Pouvoir changer le futur fait partie, comme disent les Américains du «give back» (le fait de redonner, ndlr), que ce soit en inventant des projets, en mettant des moyens à disposition pour aider les autres, en donnant du temps, en souriant, en transmettant de la passion, de l’affection, de la gentillesse. Rêviez-vous en couleur ou en noir et blanc? Quand je parle de foot, je rêve en noir et blanc à cause de la Juve, quand je parle de la vie, je rêve en couleur, quand je parle d’automobiles, je me prends à rêver en rouge, car ce sont les couleurs des voitures de course italiennes. Quel était votre livre préféré? Le Petit Prince. Saint-Exupéry était un aventurier et le Petit Prince était un rêveur. Le rêve et l’aventure sont les deux choses que j’aimerais préserver tous les jours, pour lesquelles je travaille et que j’aimerais transmettre aux enfants que j’aurai, car ce sont les deux plus grands moteurs que la vie puisse nous donner. L’avez-vous relu depuis? Non, mais j’ai un ami très cher, Dimitri Rassam, le fils de Carol Bouquet, qui a acheté les droits et a fait un film d’animatio présenté cette année à Cannes, d’ailleurs. (Hors compétition, ndlr). Ce sera pour moi l’occasion de me replonger dedans.
Quel goût avait votre enfance? Sucré et amer. Et si cette enfance avait un parfum, ce serait? Heureusement et malheureusement, celui des parfums du monde entier. Mon enfance a été très tourmentée par beaucoup de voyages et de lieux. Je n’ai pas eu une enfance stable, je n’ai pas grandi dans un seul endroit. Il y a des parfums sud-américains, français, italiens… Pendant les grandes vacances, vous alliez voir la mer? La mer c’était – c’est toujours –mon lieu préféré. Or, j’ai fait dix ans de pension à la montagne! (à Sainte-Croix-des-Neiges, près d’Evian, ndlr). La mer me ressource. Elle était synonyme de joie et de bonheur. Savez-vous faire des avions en papier? Mal, mais j’en faisais. Aviez-vous peur du noir? J’avais très peur du noir parce que ma grand-mère paternelle avait écrit un livre lié à son kidnapping et nous avait raconté son histoire. J’avais peur que quelqu’un vienne dans la nuit et il y avait toujours une lumière allumée dans ma chambre. Vous souvenez-vous du prénom de votre premier amour? Oui. Elle s’appelait Annabelle. Et de l’enfant que vous avez été? Un diablotin. Ou plutôt une sorte de Denis la Malice. Est-ce qu’il vous accompagne encore? Je ne pourrais pas être créatif et faire ce que je fais si je n’avais pas eu la capacité de préserver l’énergie de l’enfant en moi. L’enfant est ce qui me permet de créer, de rêver, de construire, d’aimer, et d’être humain et passionnel.
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