HORS-SÉRIE / NOËL 2020
ART & CULTURE
Hauts-de-France / Belgique
04 Pochette surprise
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Playlist
Les toiles de Noël
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Vin show
St Nicolas vs Père Noël
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Mais qui est vraiment le Père Noël ?
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Des joujoux par milliers
Cuisine et dépendances La Messe est dite !
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© DR
Hotte inspirante Le père Noël nous sauvera-t-il de cette annus horribilis ? Rien n’est moins sûr, l’homme étant lui-même considéré comme personne à risque : âgé, en surpoids… mais ne le vexons pas outre mesure, il pourrait voir rouge et rebrousser chemin. Pour vous dire, certains complotistes doutent même de son existence ! Pauvres hérétiques… En attendant la descente en rappel de notre gros beau barbu préféré, voici un hors-série compilant quelques faits d’hiver ou sujets de saison. Ces escargots badass ou playlist de circonstance (et sans chichi), ces spécialistes du jouet ou autres artistes du chocolat vous inspireront peut-être au moment de dresser la table, de brancher votre gramophone ou de passer commande en Laponie. Voire, pourquoi pas, d’y trouver un vaccin contre la morosité ambiante. En tout cas nous y croit encore. hors-série – 3
Pochette surprise
© BiZkettE
© Darroze
© Powell’s
CHRISTMAS SPIRIT
MISE AU PARFUM
BY DARROZE
POWELL’S BOOKS
Histoire de patienter sereinement avant l’arrivée du gros barbu, on vous a trouvé le parfait calendrier de l’Avent. Oh, point de chocolats ici, mais une belle collection de spiritueux. Armagnac, cognac, rhum, calvados… Ce petit coffret signé de la maison landaise Darroze contient 21 mignonnettes emplies de trois centilitres de bonheur et d’oubli. Évidemment tout cela se déguste (hic) avec… quoi déjà ? Ah oui, modération !.
Pour répondre aux fermetures intempestives des librairies, l’enseigne Powell’s City of Books (Portland, États-Unis) a eu une idée : vendre un parfum reproduisant... l’odeur des livres. Baptisée Powell’s by Powell’s, cette fragrance conjugue notes de violette, de bois et de "biblichor", soit un mot inventé pour désigner les effluves particuliers qu’exhale un vieux bouquin. Ce produit vendu autour de 21 euros aurait déjà fait l’objet de 1 200 commandes, mais n’est pas (encore ?) disponible sur Amazon…
www.dar roze - ar magnacs .com
www.powells .com
hors-série – 5
© enlivrezvouslabox.b
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© DR
BO N S P LA N S
CHRISTMAS DRIVE
ENLIVRE Z-VOUS
MARCHÉ DE NOËL DE LANDSHUT
L’ACCORD PARFAIT
Covid oblige, les marchés de Noël sont globalement annulés en Europe. De Strasbourg à Lille en passant par Liège ou Berlin, chaque ville renonce peu à peu à ses gaufres ou tasses de vin chaud. Toutes ? Pas tout à fait. En Allemagne, Landshut joue les irréductibles. Cette petite commune située en Bavière use d’une recette "coronaproof" ayant déjà fait ses preuves en ces temps de pandémie : le drive-in. Ici, les visiteurs circulent entre les chalets et commandent les produits depuis leur voiture. Santa Claus cèdera-t-il lui aussi au principe du"click and collect" ?
Marie-Christine, Marlène et Camille ont deux passions : le vin et les livres. Depuis deux ans, ces Bruxelloises animent un club de lecture. Elles partagent désormais leurs coups de cœur littéraires et viticoles via l’envoi de box. Le principe ? Nos œnologuesbibliophiles publient sur leur site une série de mots-clés définissant un roman ET une bouteille. Vendu 30 €, le colis accorde mots et saveurs (en jouant sur le nom ou une idée se révélant au fil des pages et des verres). Il peut être retiré sur place ou livré à domicile, et stimule pareillement papilles et neurones. enlivrezvouslabox.be
Sanctus © Vinícius / DR dro Russo & Alessan
© Gift Base
OBJETS
NOËL AU P OIL
C’EST PAS SOR CIER
Voici l’accessoire indispensable pour un réveillon réussi. Le masque ? Sans doute, mais plus sûrement encore ces boules de Noël pour barbe. Notre petit kit contient une trentaine de décorations à clipser sur ses poils de menton (longs de préférence) ou même ses cheveux. Viril, mais correct.
VINÍCIUS SANCTUS
www.wish.com
ET ALESSANDRO RUSSO Dénicher un peu de magie dans le pays de Bolsonaro tient de la gageure. Saluons d’autant plus l’invention de Vinícius Sanctus et Alessandro Russo. Ces Brésiliens fans de Harry Potter ont mis au point de petits engins à moteur permettant de se déplacer comme sur un balai volant. Idéal pour les parties de Quidditch, ces monoroues électriques sont surmontées d’un Nimbus 2000 ou d’un Éclair de Feu, les fameuses montures du sorcier de J.K. Rowling, et ont été flashées à 60 km/h dans les rues de São Paulo. La grande classe enfin à portée de moldu – pour la modique somme de 620 €. hors-série – 7
PLAYLIST DE NOËL AVANT LA DINDE
Dans nos contrées, la ch Rossi que par Brel, par c'est un exercice très p les légendaires Otis Red
LE + FRATERNEL
THE JACKSON 5 Christmas Album (1970) Les cinq kids de Gary, Indiana, ne pouvaient échapper au traditionnel album de Noël. Même en tant que Témoins de Jéhovah ! Habituel mélange entre reprises et chansons originales, cet album est devenu un classique. Qui sait si Michael, des années plus tard, susurra ces chansons à une tripotée de gamins dans son ranch de Neverland ? LE + DÉCHIRÉ
THE POGUES Fairytale Of New York (1987) Comment la violente dispute d’un couple d’immigrés irlandais largués dans les rues de la Grosse Pomme a-t-elle pu devenir LA chanson de Noël par excellence ? Ça tient à cette mélodie crève-cœur, ces paroles inspirées, ce duo entre le rocailleux Shane McGowan et la séraphique Kirsty McColl. On ne fera jamais mieux. LE + VIRTUOSE
CHILLY GONZALES A Very Chilly Christmas (2020) Entre reprises de cantiques et de vieux hits pop (Last Christmas de Wham !, All I Want for Christmas Is You de Mariah Carey), le pianiste le plus génial de notre ère nimbe ce drôle de Noël de mélancolie, de douceur et d’une touche de folie. En guest, Jarvis Cocker et Feist ajoutent leur pierre à ce solide édifice.
DE GAUCHE À DROITE ET DE HAUT EN B Night - Stevie Wonder, What Christmas Lights - John Lennon and Yoko Ono, Ha Nat King Cole, The Christmas Song - Ja
hanson de Noël est un peu ringarde. Elle a été plus souvent chantée par Tino la Compagnie Créole que par Bashung. Mais dans les pays anglo-saxons, prisé, auquel se sont livrés le rappeur Kurtis Blow, les métalleux Iron Maiden, dding, Lennon ou Bowie. Entre milliers d'autres.
BAS : Chilly Gonzales, A Very Chilly Christmas - David Bowie and Bing Crosby, Peace on Earth/Little Drummer Boy - The Temptations, Silent s Means To Me - Sufjan Stevens, Silver & Gold : Songs for Christmas - The Pogues, Fairytale Of New York - Tracey Thorn, Tinsel and appy Christmas (War is Over) - Bruce Springsteen, Santa Claus Is Coming To Town - Jimi Hendrix, Merry Christmas And Happy New Year ames Brown, The Merry Christmas album - The Jackson 5, Christmas Album
hors-série – 9
LE + YÉYÉ
LES CHAUSSETTES NOIRES Noël De L’An Dernier (1961) Les Chaussettes Noires en costumes rouge, et quatre chansons dédiées au vieux barbu. Sur l’air de Ce n’est qu’un au revoir. Comment dire, sans vexer personne. Disons qu’on sait mieux pourquoi, après ce 45 Tours embarrassant, Eddy Mitchell s’est dit qu’il ne rentrerait pas ce soir.
LE + TOP OF THE POPS
WHAM ! Last Christmas (1984) L’hymne pop de Noël par excellence. Dans une Angleterre sous influence new wave, le duo fluokids mâtine les charts de synthés naïfs et de riffs piqués à Kool & The Gang ou au Can’t Smile Without You de Barry Manilow. Il n’empêche que la mélodie résiste au temps malgré le décorum. Cruelle ironie, nous étions des millions à l’écouter lorsque George Michael a cassé sa pipe, le 25 décembre 2016. Toujours soigner sa sortie…
LE + CARITATIF
BAND AID Do They Know It’s Christmas ? (1984) Paru la même année que Last Christmas, ce tube caritatif du supergroupe formé par Bob Geldof (et dont faisait partie George Michael) le devance dans les charts. L’histoire retiendra ainsi deux millions de ventes, plus de 200 millions de dollars récoltés au profit des victimes de la famine en Éthiopie, et des coupes mulet en veux-tu en voilà. Il inspire le non moins fameux We Are the World qui sortira quatre mois plus tard.
DE GAUCHE À DROITE ET DE HAUT Christmas Album - Paul McCartney, Sensible, One Christmas Catalogu Compagnie Créole, Bons Baisers d
PLAYLIST DE NOËL
APRÈS LA BÛCHE
T EN BAS : Les Chaussettes Noires, Noël De L’An Dernier - Band Aid, Do They Know It’s Christmas ? - Elvis Presley, Elvis’ , Wonderful Christmastime - Gayla Peevey, I Want a Hippopotamus for Christmas - The Beach Boys, Christmas Album - Captain ue - Daryl Hall & John Oates, Jingle Bell Rock - Kurtis Blow, Christmas Rappin’ - Destiny’s Child, 8 Days of Christmas - La de Fort de France - Les Musclés, Le Père-Noël des Musclés - Wham !, Last Christmas hors-série – 11
© customscene
A Noël on se (re)fait des films ! Le Père Noël est une ordure (1982) – Quand la magie de Noël croise l’utramoderne solitude, et inversement. Gremlins (1984) – Un charmant documentaire sur la malbouffe et ses conséquences. Maman, j’ai raté l’avion ! (1990) – Le guide de survie ultime quand on a des parents négligents. L’Étrange Noël de Monsieur Jack (1993) – Pour fêter Noël en noir et la peau sur les os. La Bûche (1999) – Les embûches de Noël au temps des familles recomposées. Le Grinch (2000) – Jim Carrey allergique à Noël : en vert et contre tous. Love Actually (2003) – Une comédie romantique anglaise avec Hugh Grant… tout est dit, non ? The Holiday (2006) – La première et unique comédie romantique sur l’échangisme. À (re)voir avec les voisins. Un Conte de Noël (2008) – Massacre à la tronçonneuse en famille et revu par Desplechin. La Bûche de Noël (2013) – Un bijou de stop-motion made in Belgium – prends ça, studio Aardman ! A Very Murray Christmas (2015) – Un bel hommage aux émissions de variétés signé Sofia Coppola avec qui-vous-savez. Santa & Cie (2017) – Le Père Noël est lâché par ses lutins, frappés par un virus inconnu… oh non, déjà !
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Glühwein
n
Ingrédients pour 10 personnes :
1/8 de litre d'eau - 1 litre de bon vin rouge (du pinot noir, par exemple) - 150 g de miel - Un bâton de cannelle - Trois clous de girofle - Un peu de noix de muscade râpée - Une orange coupée en petits morceaux
Préparation : Portez à ébullition le miel, les épices et l'orange ensemble. Laissez frémir quelques minutes, puis retirez du feu. Versez le vin rouge dans une casserole et ajoutez-y la préparation précédente. Laissez le tout chauffer en veillant à retirer du feu juste avant ébullition. Versez la préparation dans un petit mug. Bonne dégustation !
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V CURRICULUM VITAE
St Nicolas, c'est Nicolas de Myre, né à Patara (dans l'actuelle Turquie). Un mec bien qui a sauvé des enfants et devint le saint-patron de pas mal de monde (des marins aux avocats). Le Père Noël est plus jeune. Né en 1821 dans un conte de l'Américain Clément C. Moore. D'adaptation en adaptation, sa légende s'écrit et il atterrit au Pôle Nord. BUDGET
Le budget de St Nicolas a certainement été voté par Madame Merkel : trois oranges, deux spéculoos. Pas de quoi se relever la nuit. Le Père Noël fait chauffer la carte bleue une seule soirée, mais enchaîne les plans Cofidis le reste de l'année. CINÉMA
Si le gros joufflu a plus souvent été porté à l'écran, la paire se retrouve dans deux films d'horreur (Saint, en 2010 et Père Noël Origines, 2011). Qui ne sont jamais diffusés le 24. Étrange.
S TENUE DE SOIRÉE
Armé d’une crosse, coiffé d’une mitre et habillé comme un évêque, St Nicolas en impose question style. Le Père Noël la joue plus détendu voire streetwear avec son bonnet à pompon et son costume ample. Les teintes de sa garde-robe furent d’abord vertes, avant d’être revues par Michelin, Colgate, Waterman et Coca-Cola. Sacré placement de produits, mais faut bien nourrir les rennes. STREET CREDIBILITY
Star en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Lorraine ou dans les Hauts-de-France, St Nicolas reste quasiment inconnu hors des frontières de l’Europe. Le Père Noël, lui, assure les selfies aux quatre coins du monde. BILAN
Si on fête volontiers Noël, notre préférence va à son rival : lui, au moins, on ne le verra jamais avachi devant un supermarché, à empester l’alcool.
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Interview Martyne Perrot SUR LES TRACES DU PÈRE NOËL Si vous avez moins de huit ans, ne lisez surtout pas cet article ! Vous risquez d’apprendre une mauvaise nouvelle… Depuis le début du siècle, Martyne Perrot décortique la magie et les petits secrets de Noël. Cette sociologue du CNRS a écrit moult ouvrages sur le sujet. D'où vient ce gros bonhomme barbu ? Pourquoi se fait-on des cadeaux ? On en connaît un qui va voir rouge… Propos recueillis par Julien Damien Photo M. Perrot © Julien Falsimagne
© Eugène
e Oge / Sourc
f.fr / BnF
gallica.bn
Au milieu du xixe siècle, on assiste à l'avènement des grands magasins et à la naissance du Père Noël.
Cette fête est-elle une création marchande ?
la foulée, les adultes se feront aussi des cadeaux.
Oui, en tout cas celle que l'on célèbre aujourd'hui. Noël a toujours plus ou moins été fêté mais ne comportait pas cette dimension commerciale. Cette forme apparaît au milieu du xixe siècle avec l'émergence des grands magasins qui ont vu là une aubaine extraordinaire, et l'occasion de détourner la célébration en inventant ce fameux cadeau. D'abord cantonnée aux milieux favorisés, la pratique va se démocratiser, surtout au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En fabriquant des jouets en série, l'industrie a intensifié les achats réservés aux enfants. Dans
Pourtant, cette offrande révèle des racines profondes… Oui, dans l'Antiquité romaine, il existait une fête s'accompagnant de dons alimentaires, symbolisant l'abondance. Cela se déroulait à l'occasion de la nouvelle année, en lien avec la déesse de la santé Strenia. Le mot "étrenne" vient de là. Pourquoi à la nouvelle année ? Ce moment correspond au solstice d'hiver. Dans la littérature folklorique, cette période est décrite comme dangereuse : la nuit devient très profonde, propice
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aux revenants, aux sorcières… (Halloween a d'ailleurs repris cette imagerie). On se fait alors des dons pour conjurer le sort.
« JE COMPRENDS LES PARENTS QUI REFUSENT DE BERNER LEURS ENFANTS »
Comment le Père Noël est-il né ? Une première personnification apparaît au xiiie siècle, avec un seigneur Noël qui distribuait des présents. Mais celui que nous connaissons descend de Saint-Nicolas. Il provient de la réforme protestante et des migrations européennes. Les Allemands et Hollandais partis aux États-Unis au xviie siècle importèrent Saint-Nicolas, qui s’est transformé en Santa Claus. Après la Seconde Guerre mondiale, on assiste en France et en Europe à une réappropriation de ce modèle américain, avec son habit rouge, sa bonhomie… Idéal pour les boutiques qui l'installent dans leurs rayons. Il s'agit donc d'un personnage hybride qui a puisé dans les traditions de plusieurs pays. Pourquoi Saint-Nicolas fut-il supplanté par le Père Noël ? Principalement pour des raisons commerciales : à Saint-Nicolas on offre plutôt des friandises que des cadeaux.
Coca-Cola a-t-il imposé sa couleur rouge ? Le Père Noël était déjà rouge en Allemagne, au xixe siècle. Coca-Cola a fixé sa couleur dans ses publicités des années 1930. Le dessinateur de l'époque, le Suédois Haddon Sundblom, a choisi la couleur, mais elle existait déjà. (ndlr. Michelin, Colgate, Waterman l'ont, avant lui, habillé en rouge et blanc). Faut-il croire au Père Noël ? Quand on a moins de six ans, oui. Mais je comprends les parents refusant de berner leurs enfants, ou voulant contrer leurs exigences parfois folles. Chez Saint-Nicolas, il y a toujours le Père Fouettard pas loin qui punit les enfants pas sages. Avec notre Père Noël moderne, même les enfants turbulents savent qu'ils recevront leurs cadeaux. Ils obtiendront une récompense sans conditions ni sanctions. C'est vraiment le symbole de la société de consommation américaine qui s'est répandu.
À LIRE / Le cadeau de Noël. Histoire d'une invention, (Autrement, 2013), 176 p., 15 €, www.autrement.com Faut-il croire au Père Noël ? (Le Cavalier Bleu, 2010), 160 p., 12 € Noël, idées reçues, (Le Cavalier Bleu, 2002), 125 p., 9,80 €, www.lecavalierbleu.com
Bazar de l’Hôtel de ville © Ogé Eugène / BNF
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Reportage
SANTACON TombĂŠs du ciel Texte & Photos Elisabeth Blanchet
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Chaque année, le samedi avant Noël, des centaines de pères Noël prennent d'assaut les rues de Londres…
Fauve qui peut !
« Petit Papa Noël, quand tu descendras du pub, avec tes bières par milliers, n’oublie pas de payer ta tournée… » : une telle comptine pourrait jaillir de la bouche de milliers de Santas (Pères Noël, en anglais) qui déambulent chaque décembre (enfin, presque…) dans les rues de Londres, le samedi précédant les fêtes de fin d’année. Cette balade au fil des rues et des pubs porte le nom de "Santacon"… En attendant une prochaine tournée générale, une fois le Covid viré du bar, petite revue des troupes.
« Cela doit faire six ou sept ans que je me déguise en Santa », révèle Tane, 42 ans. « J'adore l'ambiance et l'esprit bon enfant du Santacon », poursuit-elle. « En fait, il s'agit simplement d'un pub crawl (une tournée des pubs) dans Londres, mais déguisé en Santa ». Né à San Francisco en 1994, l'évènement a traversé l'Atlantique en 2000. Aujourd'hui, il a lieu dans 298 villes de 41 pays. Mais ce sont surtout chez les Anglo-Saxons que les Santacons font florès. « C'est sûrement dû à la tradition du pub crawl, qu'on ne retrouve pas en Europe continentale par exemple. Et puis, les Anglais adorent se déguiser ! » souligne Tane. hors-série – 27
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Dress Code Mais qui se cache derrière toutes ces barbes et déguisements bon marché ? « N'importe qui, c'est gratuit ! poursuit-elle. Le site web donne le point de départ et, parfois, des éclaireurs indiquent le chemin à suivre ». Si tout le monde est bienvenu, quelques règles basiques sont à respecter : « Un simple chapeau ou une barbe ne suffisent pas. Il faut vraiment être costumé de pied en cap. Les elfes et autres tenues liées à Noël sont acceptées » concède Ian, en charge du website fédérateur des Santacons*. Seconde règle importante : être aussi généreux que le vrai Père Noël. D'où ces hottes remplies de petits cadeaux distribués en cours de route. Un chemin rythmé par des chants de Noël aux paroles un tantinet paillardes... Juste pour rire Subversif, le Santacon ? « Non. Rien de très politique, modère Ian. il s'agit surtout d'un joyeux rassemblement qui s'époumone sur des couplets coquins ». Il y a quelques années, certains y ont vu un pied de nez au consumérisme de masse. Mais selon Tane, l'achat de costumes cheap et la forte consommation d'alcool démontre plutôt le contraire... Covid oblige, des mlilliers de Santas resteront à quai cette année. Des manèges de Leicester Square aux fontaines de Trafalgar Square, Londres pleure ses petits hommes rouges et leurs drôles d’habitude. « Une fois, un Santa a demandé une Santa en mariage devant tous les autres au pied de la colonne de Nelson », se souvient Santa Tane. Ce n’est que partie remise !
À visiter / *www.santacon.info hors-série – 29
Kidexpo 2014 (Paris).
La bo
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histo
ires, L u
Interview
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FRANC
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Michel Moggio,
Present Pets
Ancien directeur général
de la Fédération française Jouet Puériculture aujourd’hui retraité La hotte du Père Noël risque d’être encore bien lourde… S’il y a un secteur qui se porte à merveille, c’est bien celui des jouets. En 2019, il s’en est vendu 219 millions en France. Comment évoluent-ils ? à quoi servent-ils ? Nous avons tendu notre micro en plastique à Michel Moggio, l’ancien directeur général de la Fédération française des Industries Jouet – Puériculture, aujourd’hui retraité.*. Et il en connaît un rayon… Propos recueillis par Julien Damien Photo FJP / Les étoiles du jouet 2015 / Kidexpo
Quel est le profil du jouet d’aujourd’hui ? Il marche sur deux jambes : d’un côté on trouve les jouets traditionnels qui, à chaque Noël, reviennent sous le sapin (Lego®, Barbie®, Playmobil®, etc.). De l’autre il y a ceux qui sont connectés, interactifs. Un ours en peluche, aujourd’hui, a de fortes chances de discuter avec vous !
* Syndicat professionnel qui représente les sociétés françaises ou filiales de sociétés internationales installées dans l’Hexagone. Elle compte une centaine d’adhérents, soit 80% des ventes de jouets en France..
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Comment cela ?
Pack de démarrage Super Mario, Lego
On peut le relier au web, lui apprendre des choses. C’est la grande évolution : la technologie permet aux jouets de prendre vie. Il répond à des questions, lit des livres, sollicite l’enfant... Des propriétés un peu magiques ! Quelles sont les tendances des dernières années ?
Nerf Ultra Dorado Jeu de société Dixit, Libellud
Les robots-animaux se démocratisent, il y a aussi les appareils-photos numériques, les tablettes pour enfants, les drones... C’est le coté “imitation des parents”. Les jeux de construction marchent toujours bien. Qu’en est-il des jeux de société ? Quand j’ai débuté dans ce métier il y a 30 ans on m’a dit : « avec le
Le manoir hanté Scooby-Doo !, Playmobil
« C’EST UN MARCHÉ D’INVENTEURS. LES FABRICANTS SONT DEVENUS DES CRÉATEURS DE CONTENU, AVEC LEURS DESIGNERS, SCÉNARISTES... »
jeu vidéo, tout cela va disparaître ». Mais ils sont toujours là car ils permettent à la famille de se rassembler. Le jouet se porte bien, donc… Oui, quasiment la moitié des jouets sont nouveaux chaque année. C’est un marché d’inventeurs. Les fabricants ne dépendent pas seulement des licences, beaucoup sont devenus des créateurs de contenu, avec leurs designers, scénaristes... Hasbro par exemple a créé un dessin animé, Mon Petit Poney, sans parler de sa série Transformers.
Camping-car de rêve 3 en 1, Barbie
Les jouets vendus en France sont-ils sûrs ? Qu’ils soient fabriqués en France ou en Chine, ils obéissent aux mêmes standards de qualité fixés par une directive européenne, et doivent afficher le logo CE. C’est l’un des produits de consommation les plus contrôlés. Les marques se soucient de la sécurité car le moindre incident peut avoir des conséquences dramatiques pour elles. Pour autant, n’y a-t-il pas des failles ? Il y a des produits non-conformes qui peuvent débarquer ponctuellement en Europe. Mais le jouet reste très surveillé par les douanes (la Task Force Dragon). Elles saisissent chaque année des références importées
Poupées L.O.L. Surprise
frauduleusement. (ndlr. Durant l’été 2020, les douaniers français ont saisi 250 000 contrefaçons de jouets et d’articles scolaires au cours de deux grosses opérations. Ils ont trouvé, entre autres, de faux produits Disney, Lego ou Marvel). Comment cette sécurité est-elle assurée ? C’est de l’autocontrôle. Généralement, le fabricant passe par des laboratoires agréés qui lui fournissent les certificats nécessaires, qui seront ensuite soumis au distributeur. Sinon, pas de « L’ENFANT ACQUIERT mise en rayon !
ÉNORMÉMENT DE COMPÉTENCES EN JOUANT »
Quelle est votre définition du jouet ?
C’est l’outil qui permet à l’enfant de transcender les moments de plaisir. Il est souvent considéré comme "quantité négligeable". Or la pédopsychiatrie ou la psychologie démontrent que l’enfant acquiert énormément de compétences en jouant. Dans quels domaines ? En psychomotricité, développement de l’imaginaire et sociabilité… Aujourd’hui il y a une reconnaissance de la valeur du jeu dans le cursus de l’enfant – y compris par l’Education nationale. On entretient les "esprits joueurs", plus créatifs, mieux adaptés à notre époque. C’est notre mantra : le jouet c’est sérieux ! À VISITER / www.fjp.fr
www.jouercestlavie.fr
© DR
LA CLINIQUE À DOUDOUS Corps démembré, œil arraché, oreille qui pend… les patients d’Isabelle Tanguy sont dans un sale état. Pas de quoi effrayer la quadragénaire. Un peu de fil à coudre et tout ira pour le mieux… Du fil à coudre ? Eh oui : nous sommes ici dans une clinique pour doudous ! Ouverte en 2011, celle-ci offre une seconde vie aux nounours ou poupées abîmés par les câlins. C’est un peu par hasard qu’Isabelle s’est improvisée chirurgienne pour doudous. « J’avais l’habitude de rafistoler ceux de mes trois enfants. Un jour, j’ai publié les photos de ces réparations sur mon blog, ça a été un succès… ». Les demandes ont explosé. Sans emploi jusque là, cette « passionnée de couture » fera de cette activité… son métier. Chez elle, à Andilly (en Charente-Maritime), elle reçoit depuis des doudous de toute la France, de Belgique, et même des États-Unis ! En moyenne, une dizaine par mois. Généralement, les clients sont des enfants. « Mais il y a aussi des adultes, des grands-parents
Portrait
par exemple, qui souhaitent transmettre leur vieux compagnon ». À cœur ouvert – À une époque hyper-consumériste, force est de constater que ces peluches ont « une valeur spéciale, très affective ». « On ne peut pas remplacer un doudou, il est comme un membre de la famille. Souvent, les gens les appellent par leur petit nom ». Et c’est toute la difficulté de la tâche d’Isabelle : retourner l’objet chéri à l’identique. Son travail consiste à leur offrir une nouvelle peau, remplacer le velours, effectuer un petit rembourrage… « Le plus dur c’est de trouver le même tissu, car les collections changent ». Certaines opérations nécessitent près d’un mois. Hélas, parfois, on ne peut plus rien pour eux…. Ne reste plus qu’à ouvrir un cimetière pour doudous. www.lacliniqueadoudous.fr
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Rencontre JEAN-MICHEL LEUILLIER En avant les histoires ! Propos recueillis par Nicolas Pattou Photos Isabelle Leuillier
Tout a commencé avec une bête appendicite à six ans et demi et un cadeau de consolation : une boîte de Playmobil avec cinq cowboys. Une révélation pour Jean-Michel Leuillier, qui se pique de constituer des dioramas avec toute sa famille, soit des mises en situation de sa collection. Le virus ne l'a jamais quitté. Près de cinquante ans plus tard, il est sans doute l'un des plus grands collectionneurs de Playmobil au monde. Rencontre devant le coffre à jouets.
Rome, Egypte - Radinghem, Avril 2010 hors-série – 37
L'essentiel du stock est dans un bâtiment sécurisé, suffisamment vaste pour retrouver tous les éléments utiles, distinguer le département Far West du Safari. Avez-vous des pièces préférées ? Oui. Celles qu'enfant, je n'avais pu acquérir. Des boîtes du MoyenÂge, qui datent de 1974, sous cellophane. Je n'ai jamais pu me résoudre à les ouvrir. Combien possédez-vous de pièces ? Plus d'un million, en comptant les colliers, bottes, épées... En tous cas, plusieurs dizaines de milliers de personnages et animaux. Pour la reconstitution de Danse avec les loups, on a rassemblé 500 bisons sur 40 m2. Nous possédons également énormément de bâtiments, dont de nombreux châteaux médiévaux. Ainsi, on peut concevoir pratiquement n'importe quel type d'architecture, de la place SaintMarc de Venise jusqu'à la Chartreuse de Neuville en passant par des grands hôtels. Comment stockez-vous tout cela ? Nos collections ne restent pas dans leurs boîtes. Elles sont ouvertes, classées et rangées dans des bacs. Chez nous, on trouve toujours un ou deux dioramas en préparation.
Y a-t-il une pièce que vous recherchez particulièrement ? Non. Lorsqu'une série ne me plaît pas, comme celle des agents secrets, j'en achète juste un exemplaire, au cas où j'en aurais besoin plus tard. Presque tous les thèmes ont été abordés, sauf la Chine, où Playmobil peut mieux faire. Et les Première et Seconde Guerres Mondiales. Ces sujets sont sans doute tabous pour une marque allemande. Avez-vous constaté une évolution dans la fabrication des Playmobil ? Depuis le milieu des années 1980, les personnages sont mieux travaillés (articulation, vêtements imprimés). Sinon, je regrette l'évolution des bâtiments, qui sont nettement moins modulables. J'ai noté ce virage à la mort de Hans Beck, le fondateur de Playmobil.
Vous êtes-vous spécialisés dans la conception de dioramas ?
Jusqu'à quel point respectez-vous les faits historiques ?
Oui. Depuis 2009, nous avons réalisé une quarantaine de dioramas de 120 m2, dont Londres en 1912, les batailles de Little Big Horn et de Bouvines. Pour cette dernière, il ne s'agissait pas simplement de placer 4 000 personnages sur un tableau. On a repris les 17 armoiries de l'époque, les blasons. L'historien Jean-Louis Pelon nous a aidés, et commentera l'installation à l'occasion du 800e anniversaire de la bataille l'année prochaine.
Au maximum. Ma seule limite est de ne pas trop détourner l'environnement des Playmobil, en concevant trop d'éléments extérieurs... Ainsi, pour la place Saint-Marc, très rapidement identifiable, il a fallu composer avec des pièces d'églises, de centres équestre. C'est d'ailleurs là qu'on a attiré l'attention de Playmobil France. On leur a commandé tout à coup 2 600 pigeons. Ils ne comprenaient pas ce qu'on voulait faire avec ça. La troisième croisade - Mont Saint-Éloi, Mars 2009
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Hotel Royal de la Place - Mont Saint-Éloi, 2011
Combien de temps consacrez-vous à ces expositions ? Trois heures par soir à se documenter, lire, prendre des notes, travailler des micro-scènes, peindre un liseré sur des petits tonneaux. La mise en place dépend quant à elle de la surface. 50 m2 représentent une grosse journée pour deux personnes. Comment composez-vous avec la famille, le travail ? Ma femme est aussi acharnée que moi. Je m'occupe de la mise en scène et elle est une remarquable accessoiriste et costumière. Pour Bouvines, elle a passé trois mois à peaufiner les armoiries. Je n'aurais
pas la patience. Même mon père donne désormais des coups de main : il coupe des hippopotames et des crocodiles pour Tarzan ! Et vos enfants ? Mon fils nous a toujours vus exposer. Donc pour lui, le Playmo n'est pas un simple jouet. Bon, il réalise quand même un diorama par an : Les Pirates à 6 ans, à 7 ans, L'Âge de Glace et à 8 ans le Marché de Noël... Est-ce une activité onéreuse ? Il faut compter 250 euros pour une série, soit sept à huit boîtes. En quarante ans de collection, c'est le budget d'un couple de fumeurs :
Exposition à Vieux-Condé les 29 février et 1er mars 2020
tout notre argent de poche y est passé ! Notre plus gros investissement est l'achat récent de 4 500 Romains et de 2 500 Égyptiens. Êtes-vous en contact avec la marque Playmobil ? J'entretiens des relations cordiales avec les responsables français et je sais que le Siège allemand, à Zirndorf, m'a repéré. J'aimerais monter un musée pour exposer convenablement, en perfectionnant le décor et la lumière, mais l'entreprise ne perçoit pas l'intérêt de ma démarche.
Eh bien oui. On lui confère une vertu d'enseignement. Il y a des gamins de 10 ou 12 ans qui ont découvert Philippe Auguste devant "notre" Bataille de Bouvines, ou même les Pictes à partir de la IXe légion qu'on a représentée récemment. Un concours de circonstances avec un récent Astérix, d'ailleurs ! Quels sont vos projets ? J'ai de quoi alimenter des projets jusqu'à un âge canonique ! D'ailleurs, je ne peux plus regarder un film ou un monument sans imaginer une adaptation, un prolongement.
Pourtant vous apportez un supplément d'âme à leur produit...
À VISITER /
playmojmisaeric.over-blog.com hors-série – 41
Mario Bros (1983) Super Mario Bros (1993) New Super Mario Bros (2006) Nintendo
O R T E E L GAMING jeu Pas si vieux olab*
b Retrogaming assi Photo Clu Texte Sonia Ab
Liège / L’astr
À l’heure où les jeux vidéo réduisent toute frontière entre virtualité et réalité, certains irréductibles résistent à l’attrait de la modernité. Préférant les pixels gros comme des pouces à la 3D, ils branchent leur console sur le courant nostalgique. Leur nom ? Les retrogamers. Rencontre avec une culture qui, aussi jeune soit-elle, revendique déjà une préhistoire.
43 STYLE
Donkey Kong (1981) Nintendo
hors-série – 43
« Sega, c’est plus fort que toi ! » Pour beaucoup, ce slogan réveille de doux souvenirs des années 1990, partagés avec Sonic le Hérisson. Pour d’autres, il représente un hobby très actuel. Aficionados du joystick ou simples curieux, ils seraient de plus en plus nombreux à s’adonner à cette « passion des jeux vidéo d’antan », comme l’appelle le président du Club Retrogaming de Liège, Vincent Renard. Une tendance caractérisée par la volonté de retrouver « une sensation d’authenticité » surenchérit Ludovic Ozog, créateur de l’association lilloise OrdiRetro. Celle-ci compte une quarantaine de membres et n’a d’autres buts que de sauvegar-
der « le patrimoine du gaming ». Partie à plusieurs – À partir de quand peut-on considérer un jeu ou une console comme "rétro" ? « Quand ils ne sont plus commercialisés ou qu’ils sont détrônés. Par exemple, la Play-station 1 est rétro. La version 3 est en passe de le devenir, simplement parce qu’elle a été éclipsée par la génération suivante », souligne Ludovic Ozog. De Space Invaders à Zelda, en passant par Tekken ou Pacman, le phénomène séduit les nostalgiques mais aussi des gamers qui n’ont pas connu l’époque dorée de l’Atari 2600 ou de la Game Boy. D’après Vincent Renard, le profil type est « un ancien joueur qui recherche les
80 ATARI PONG
ATARI 7800
1974-76
1986
ATARI 2600
NES
1977
1986-87
GAME BOY 1989
SEGA MEGADRIVE 1988
AMIGA 500 1987
COMMODORE 64
NEO-GEO AES
1982
1990
[ Dates de production ]
« UN ANCIEN JOUEUR RECHERCHE LES RÉUNIONS ENTRE AMIS AUTOUR DE LA MÊME CONSOLE. » réunions entre amis autour de la même arcade ou console ». En même temps, l’effet de curiosité attire un public jeune « intrigué par les jeux ou console de ses grands frères ou grandes sœurs, voire de ses parents ». D’une certaine façon, on cherche à revenir aux sources de sa passion vidéoludique. Comme d’autres révisent l’histoire du rock à partir de bons vieux vinyles.
Secouons le joystick – Musique 8-bit, manettes et pixels… un vaste monde avec ses codes, ses références qui séduit aussi les plus fétichistes. Selon Ludovic
Sonic the hedgehog (1991) Sega
2000
90
SUPER NINTENDO
GAMECUBE
WII
1990
2001
2006
PLAYSTATION 1 1994
X BOX 2001
NINTENDO SWITCH
XBOX 360 2005
2017
PS5 NINTENDO 64 1996
2020
Club Retrogaming de Liège
Ozog : « tout comme le CD ou le MP3 ne pourront jamais remplacer la qualité sonore d’un 33 tours », aucun blockbuster actuel ne pourra surpasser la satisfaction « de glisser une disquette dans une Amiga ou d’insérer une cartouche dans une Nintendo Nes ». Tout ceci réveille les premières émotions liées aux jeux. Il est aussi question de « plaisir immédiat » selon Vincent Renard. Alors que les références actuelles sont hyper-stylisées, scénarisées, impliquent une approche toujours plus sophistiquée (ou complexe) : ici, on souffle sur la cartouche, on l’insère et on joue. Tout simplement. De quoi faire réfléchir les géants de l’industrie vidéoludique comme
Sega, qui en août 2014, a lancé sur le marché français une réédition de sa console culte Megadrive. En Angleterre, la même année, 4 000 exemplaires d’une version modernisée de la star des années 1980 ZX Spectrum ont été commercialisés suite à une forte demande du public. Une tendance donc, mais qui, « comme toutes les modes, est sans doute vouée à disparaître », prévient le Président du Club Retrogaming de Liège. Pour mieux réapparaître dans 30 ans ? LE JOUEUR DU GRENIER 3615 USUL :
: joueurdugrenier.fr
www.jeuxvideo.com
MA MAISON DE RETROGAMER - SHAINIIIGAMING :
http://shainiiigaming.be
Jeux d’arcade
hors-série – 47
Goldorak Shogun, Mattel, 1978 Š DR
Toy Story Nom de Zeus Marty, nous voilà revenus dans les années 1980 – eh oui, encore… Plus précisément en pleine campagne des Hauts-deFrance, à Nielles-les-Calais. Ici, dans un hangar agricole réhabilité, on trouve depuis le mois d’octobre un musée exclusivement dédié aux jouets qui ont cartonné durant les eighties. Goldorak, les Transformers ou même Kiki le singe y vivent une seconde jeunesse, loin de leurs confrères connectés et un poil agaçants.
Photos de la devanture du musée "Retour vers le jouet" et de Frédéric Vincent son créateur par V. Dermersédian lors du reportage de France 3 Région
L’idée lui est venue devant Grimlock, l’ancien boss des Dinobots. Il y a près de quatre ans, Frédéric Vincent dénichait sur le Web cette ancienne vedette des Transformers, qui avait tant rythmé son enfance. « C’est lui qui m’a donné envie d’acheter tout ce qu’il y a ici », confie à France 3 ce quadragénaire. « Ici », c’est "Retour vers le
jouet", un musée pas tout à fait comme les autres, niché dans un vaste hangar agricole aux allures de galerie marchande. Au sein de ces 14 vitrines s’ébattent des centaines de personnages oubliés mais ô combien adulés en leur temps, par les garçons comme les filles : les figurines G.I. Joe, Ghostbusters, les peluches parlantes Furby, des
hors-série – 49
Arbre magique des Klorofil, création Vullierme, 1975
Figurines Transformers, Hasbro, 1983
jeux vidéo Nintendo NES ou même quelques raretés telles ces petites voitures Meccano ou la gamme Lucie Village, avec ses maisons truffées de détails et de minuscules gadgets amovibles.
Madeleine de Proust – Tous ces trésors sont en parfait état de marche, parfois présentés au sein
de leur emballage d’origine et même fabriqués en France – une autre époque, on vous dit. « On trouve des modèles avec lesquels j’ai joué étant gamin, d’autres que j’ai rêvé d’avoir ou finalement achetés sur internet, précise le Nordiste. J’aurais pu les conserver dans mon grenier mais c’était absurde, je préfère partager. Je souhaite ainsi que chaque visiteur renoue avec ses souvenirs, entendre des "Waouh", des "Ah oui, tu te rappelles"… c’est ça qui me fait plaisir ». Pour sûr, il devrait trouver pas mal de nouveaux camarades de jeu. Musée des jouets et de la télévision des années 80 Nielles-les-Calais, La ferme d’Opale 06 29 43 83 73, loisirs2caps.com
Peluche éléctronique Furby, Hasbro, 2005
Kiki «Monchichi», Bandai, 1979 © blog.mybrocante.fr hors-série
– 51
EDU CA LUX © Educalux
L'ENFANCE DE L'ART
DESIGN
Il y a eu les pyramides d’anneaux à empiler, les petites figurines en plastique Minitou et surtout Zouki, l’adorable chien en bois à tirer. Iconique dans les années 1960-1970, la marque de jouets Educalux aurait pu rester un hit de brocante, prisé des connaisseurs. C’était sans compter avec l’ambition de trois designers lillois, qui ressuscitent la griffe jurassienne dans une ligne de mobilier et de décoration délicieusement vintage. Officiellement, c’est pour les « offrir à [leurs] enfants » que Sébastien Delobel et les frères Stéphane et Xavier Meurice ont commencé à collectionner les pièces Educalux. Mais les cofondateurs de l’agence de design lilloise l’Atelier télescopique, chineurs invétérés, ne trompent pas grand monde. « Nous nous sommes pris de passion pour ces jouets toujours en parfait état, qui sont aussi de très beaux objets de déco », racontent-ils. En 2016, les trois papas quadras sautent logiquement le pas et rachètent
Trophée lumineux Allondon // Plaques métal Dourdou Bob et Lucille // Coussins inspirés du motif de la roue Éducalux et des personnages Minitou.
hors-série – 53
Educalux, créée par une famille de tourneurs sur bois, pour lui donner une nouvelle jeunesse. Sébastien, qui a rencontré Xavier sur les bancs des Arts décoratifs de Strasbourg, précise : « On ne voulait pas relancer la marque en s'intéressant au jouet, mais en utilisant notre savoirfaire : le design et les petits objets ».
Souvenirs, souvenirs Des luminaires pour chambre d’enfant aux coussins pop et colorés, le charme propre aux joujoux d'antan traverse la collection. Ainsi des posters et plaques en métal, où figurent les bouilles rondes et naïves de la "petite indienne" ou du "petit
Table modulable Madon © Capucine Lamoitte
« ON ESPÈRE QUE DANS 30 ANS, NOS OBJETS CIRCULERONT ENCORE DANS LES FAMILLES »
clown", des appliques murales, patères et miroirs, reprenant les codes graphiques de la ligne Minitou. Le mobilier modulaire (une table de chevet, qui devient table basse puis petit bureau) s'inspire lui du motif de la roue bicolore, « emblématique d’Educalux ». Si le bois a été abandonné au profit du métal et du textile, Sébastien, Xavier et Stéphane sont restés fidèles aux exigences de qualité de la marque, mais aussi à
Posters la petite Indienne et le petit Mexicain
leur région d’origine : l’intégralité de la gamme est produite dans les Hauts-de-France.
En avant les histoires Est-ce le subtil mélange de lignes contemporaines et d’esprit rétro qui a d’emblée séduit le public ? L'e-shop cartonne, et la "jeune" enseigne a déjà eu les honneurs de plusieurs magazines et de quelques boutiques de musée. De quoi inciter l’équipe, qui n’exclut pas de revenir au jouet, à multiplier les idées de développement. Pour les fêtes, les meubles s’habillent de noir et de doré, et une série de cochons 100% déco a vu le jour. « Un peu sur le modèle de l’éléphant de Ray et
Charles Eames », relève Sébastien Delobel, dont les références design reviennent au galop. Les trois amis s'inscrivent dans les pas de leurs prédécesseurs en perpétuant l'âme d'Educalux : un label attachant, qu’on transmet à ses enfants. « On espère que dans 30 ans, nos objets circuleront encore dans les familles. Cette marque a encore beaucoup d’histoires à raconter ». Marine Durand
EDUCALUX
54 rue Gustave Delory 59000 Lille À VISITER : www.educalux.fr, www.ateliertelescopique.com
hors-série – 55
Portfolio
SNAIL WORLD Spirale infernale
Les fêtes de fin d’année approchent et, une fois encore, les escargots feront figure de stars sur les tables de France et de Navarre. Mais avant de vous délecter de leur délicieuse chair visqueuse, vous êtes-vous déjà demandé ce qu’ils faisaient dans la vie avant d’atterrir dans votre assiette ? Comment ils folâtraient avant d’être cruellement ébouillantés et couverts de beurre fondu ? Aleia Murawski et Sam Copeland, eux, se sont posé la question. Et ces artistes américains en ont découvert de belles sur le "way of life" de nos amis hermaphrodites. Shopping au centre commercial, skate en appartement, parties de Twister (plus ou moins) endiablées ou pire : soirées de beuveries et bastons dans des bars louches… À rebours des clichés hélas véhiculés par des documentaires soi-disant sérieux (National Geographic, ce genre), les gastéropodes vivent en réalité à cent à l’heure, et sont plutôt badass. Pour preuve Snail World : Life in the Slimelight. Ce beau livre de photographies compile des aventures baveuses et décalées au sein de petits décors fourmillant de détails. Ces scènes miniatures, parfois inspirées de classiques du septième art (Scream, L’Exorciste, Scarface…) témoignent d’une vie sociale bien fournie et de l’intrépidité de créatures trop mésestimées. À VISITER
/ broccolimag.com/shop/snail-world
Snail World © Aleia Murawski and Sam Copeland / Ed. Broccoli
hors-série – 57
Snail World © Aleia Murawski and Sam Copeland / Ed. Broccoli
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Snail World Š Aleia Murawski and Sam Copeland / Ed. Broccoli
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Snail World © Aleia Murawski and Sam Copeland / Ed. Broccoli
hors-série – 63
When Push Comes Stanley, to Shove the Dog
Portfolio LEXICON LOVE Recette miracle Jouer avec la nourriture, c’est mal. Mais apparemment, ça amuse beaucoup Lexicon Love (et nous aussi). Depuis 2017, cette collagiste installée à Sydney plaque des aliments sur des portraits, principalement féminins. À la faveur de ces joyeuses collisions, elle déconstruit les canons de la beauté. Au menu, on trouve un visage sur œufs de lump (souriant sans en faire des tartines) ou cette femme garnie de crevettes en tenue de cocktail. Plus loin, notre cheffe remet le couvert avec cet homme-dinde dressé à la perfection. « Je suis d’origine grecque, notre attachement à la bonne chère est profond. Cela constitue notre identité culturelle, la base de nos relations », confie-t-elle. Inspiré des dadaïstes, de l’absurde Maurizio Cattelan ou encore du génial John Stezaker, ce travail (réalisé sans excès numérique) est un « JE N’INCORPORE grand mezze d’humour et de tragédie, deux JAMAIS PLUS DE notions intimement liées selon l’Australienne. Le TROIS INGRÉDIENTS, tout saupoudré comme il se doit d’une pincée POUR ATTEINDRE de folie : « Je veux perturber le regard du specCET ÉQUILIBRE ENTRE tateur, et susciter de l’empathie pour mes sujets L’HARMONIE ET LE et leurs potentielles histoires »... À la recherche CHAOS. » de pépites, Lexicon Love arpente régulièrement les rayons des banques d’images. Sa matière iconographique favorite provient du milieu du xxe siècle. Une fois sélectionnée, elle imagine instantanément les combinaisons "photos-objets" idéales. « Mais attention ! Je n’incorpore jamais plus de trois ingrédients, pour atteindre cet équilibre entre l’harmonie et le chaos. Le plus compliqué étant de préserver de légères imperfections, le caractère fait-main de chaque œuvre ». Un festin visuel à déguster sans modération. Tanguy Croq À VISITER / www.lexiconlove.com, Q @lexicon_love À LIRE / L’interview
de Lexicon Love sur lm-magazine.com hors-série – 65
Invitation Only
Whip Myself
hors-série – 67
Hegemony
This is not a Mushroom
hors-série – 69
Do You Think of Me
Doing it my Way
hors-série – 71
DISGUSTING FOOD MUSEUM Souper décalé Photo © Anja Barte Telin
En panne d’idées pour le repas de Noël ? Le réveillon de la Saint-Sylvestre ? Laissez tomber la dinde aux marrons et les sempiternelles huîtres. Pour vous, on a cherché l’inspiration du côté de Malmö, en Suède, dans les allées odorantes du Disgusting Food Museum. Au menu : pénis de taureau ou fromage aux asticots. Dégustation à la bonne franquette.
Le casu marzu est un fromage sarde peuplé d'asticots.
hors-série – 73
Le kale pache est une spécialité iranienne : un bouillon réalisé à partir d'une tête (et des pieds) de mouton.
Le natto, à base de graines de soja fermentées, est un must au Japon. Nippon ni mauvais.
Selon les Chinois, le pénis de taureau comporterait de nombreuses vertus…
hors-série – 75
C'est fin, c'est très fin, ça se mange sans faim.
Ouvert en octobre 2018, le Musée des aliments dégoûtants nous sert quelque 80 mets parmi les plus incongrus (pour rester poli) de la planète. On y découvre, au choix, les graines de soja fermentées (bien filandreuses, humm, au poil pour les Nippons), les fœtus de canard (un hit aux Philippines), l’alcool aux cadavres de souriceaux (avec modération)… « La plupart de ces produits sont vrais, précise Samuel West, le fondateur de cette noble institution. Beaucoup sont odorants et certains peuvent même être dégustés sur place ». Personnellement, notre hôte a un faible pour la chair de requin islandais (pourrie
bien sûr, « ça sent la mort et l’ammoniac ») ou le casu marzu, « un fromage italien infesté de larves de mouches. Les asticots peuvent sauter jusqu’à 15 cm, vous devez donc vous couvrir les yeux lorsque vous le mangez ! ». Miam…
Banquet ou banqueroute Mais pourquoi vouloir nous retourner l’estomac ? « Je me suis toujours intéressé aux concepts négligés, et le dégoût reste la plus délaissée de nos émotions, explique ce docteur en psychologie, déjà créateur du Musée de l’échec. Elle est pourtant universelle et influence notre vie de nombreuses façons :
Retour à l'envoyeur.
notre comportement sexuel et même notre morale ou nos lois ». Certes, mais tout cela ne serait-il pas une affaire de culture ? « Oui, et c’est le but de cette exposition : démontrer que le dégoût n’est pas objectif. Nous aimons la nourriture avec laquelle nous avons grandi. Dévorer une araignée ravit certaines personnes mais donne envie de vomir à d’autres ».
« Notre production de viande est insoutenable du point de vue environnemental, il est donc urgent d’envisager d’autres solutions. Beaucoup de gens sont écœurés à l’idée de consommer des insectes, par exemple. Changer cette perception faciliterait la transition vers des sources de protéines plus durables ». Ne reste plus qu’à finir sa soupe de chauve-souris… Julien Damien
« MONTRER QUE LE DÉGOÛT N'EST PAS OBJECTIF » Au delà de son aspect amusant, le Disgusting Food Museum défend ainsi une noble cause.
À VISITER : disgustingfoodmuseum.com
l’interview de Samuel West sur lm-magazine.com
À LIRE :
hors-série – 77
Peintures de Johnny Deep, Jacques Brel Š J.M. Dessard. Peintures de Michael Jackson & Gainsbourg Š Jean-Yves De Regge.
Jean-Marie Dessard
SHOW CACAO Offrir une boîte de chocolats belges à Noël ? C’est sympa, mais surfait. Pour surprendre vos amis, privilégiez le portrait, de préférence peint avec la précieuse fève de cacao comme Jean-Marie Dessard. Ce sexagénaire conjugue art et dessert pour côtoyer les célébrités de ce monde. De Belmondo à Dustin Hoffman en passant par Lady Gaga, voilà plus de 30 ans que ce Liégeois croque ses stars préférées. Pas n’importe comment : en immortalisant leur bobine… avec du chocolat. « Je voulais leur laisser un souvenir de Belgique, mais autre chose que des pralines » dit-il. Dans son atelier de Lantremange, près de
Liège, ce jeune retraité de 70 ans a inventé une technique unique. Il fixe d’abord une pâte en sucre sur une planche, puis utilise ce support comme une toile. Il la peint ensuite en trempant son pinceau dans un chocolat noir. Pour le reste, il travaille à partir de photos, « même si j’aurais bien demandé à Sharon Stone de poser pour moi… »
hors-série – 79
Celui que Franquin baptisa « le virtuose du chocolat » affiche quelque 200 tableaux au compteur, et a rencontré plus de la moitié de ses modèles.
Merci pour le chocolat Cette passion lui offre surtout « une revanche sur l’éphémère, ajoute l'ancien prof de cuisine spécialisé dans l’ornementation. Dans ce métier, on passe des heures à préparer un joli buffet, mais tout est si vite englouti… ». Désormais, ses œuvres sont certes immangeables, mais impérissables. « Jean-Paul Belmondo conserve ainsi son portrait depuis 28 ans ». Détenteur de plusieurs records inscrits dans le Guinness Book (dont celui de la plus grosse cloche en sucre : 8 mètres de haut, 1 tonne et demie), Jean-Marie n’est jamais avare de défis. Pas de doute : la vedette, c’est lui ! Julien Damien À VISITER /
www.jeanmariedessard.be
Avec Maurane, Kev Adams et Renaud. © J.-M. Dessard
hors-série – 81
DOMINIQUE PERSOONE Showcolat Texte Julien Damien Photos DR
Courons le risque de ne pas vous surprendre : c’est en Belgique que l’on trouve le chocolatier le plus allumé de la planète. Voilà pour le cliché. Pour le reste, il ne sera question que de pâtisserie. Et de rock’ n roll.
The Chocolate Line, 19 rue Simon Stevinplein, Bruges & 50 Palais du Meir, Anvers, mar>sam, 9h30>18h30 & dim>lun, 10h30>18h30 The Chocolate Factory (atelier), Vaarstraat 75, Bruges Sint-Pieters Cacao - les racines du chocolat, une expédition au Mexique, de Dominique Persoone et Jean-Pierre Gabriel, éd. Françoise Blouard (élu « Best chocolate book of the world » en 2009), 256p., 29,95€ Schokkende chocolade (en néerlandais), éd. Lannoo, 96 p., 5,99€, www.lannoo.be — www.thechocolateline.be —
Son nom est Persoone. Dominique Persoone. Et il se revendique « Shock-O-Latier ». Mais on peut aussi le qualifier sans l’offusquer d’explorateur tant il découvre de contrées gustatives insoupçonnées, à la frontière du sacré-sulé, ou du sucré-salé si vous préférez. Un terme galvaudé dites-vous ? Mais avez-vous déjà goûté du chocolat au chou-fleur ? à l’huître ? à l’huile d’olive, au chanvre, au wasabi ? Eh bien c’est le genre de confiseries que l’on peut dénicher dans l’une des deux boutiques du quadragénaire. Baptisées The Chocolate Line, on les trouve dans le cœur historique de Bruges où il s’est installé en 1992, ou au Palais Royal d’Anvers où il expose aussi ses œuvres depuis 4 ans (réalisées avec de la peinture au chocolat). Mais ce ne sont pas là les seules extravagances du Flamand. L’ancien cuisinier se distingue également par d’audacieuses créations qui ne manquent jamais de faire le buzz : le rouge à lèvres goût choco, la praline à l’hélium (qui s’envole quand on ouvre le ballotin) ou encore le Chocolate Shooter, fameux kit de chocolat à sniffer (!) qu’il a présenté lors de la fête d’anniversaire de Charlie Watts et Ron Wood, des Rolling Stones. Willy Wonka peut bien aller se rhabiller.
hors-série – 83
Chocolate Pills Š The Chocolate Line
© The Chocolate Line
hors-série – 85
Dominique Persoone © The Chocolate Line
hors-série – 87
Audrey Basset © Se Faire Food
COOK’N ROLL N ! AGAI Batterie de cuisine
A priori, associer légendes du rock et gastronomie n’avait rien d’évident. Audrey Basset avait relevé le pari avec Cook’n Roll et transforme l’essai avec Cook’n Roll again !, tout juste sorti du four. En réunissant « 50 nouvelles recettes pour cuisiner le rock, de Buns N’ Roses à Sonic Mousse », cette Bretonne conjugue toutes ses passions : le fooding, le rock et les jeux de mots « capillotractés, parfaits pour les métalleux à cheveux longs ».
On aurait bien aimé rencontrer Audrey Basset à l’adolescence. « Je faisais du air guitar, j’avais des cheveux gras et des jeans déchirés, et j’écoutais Nirvana et Freddie Mercury », rit-elle.
« EN FRANCE, LA NOURRITURE, C’EST ENCORE ASSEZ SÉRIEUX ! » Chez la Rennaise à la longue chevelure auburn et au bras droit entièrement tatoué, le goût du rock est venu avant celui des bons petits plats. « Je n’avais jamais vraiment cuisiné avant d’y être obligée. Mais étudiante déjà, j’étais plus nouilles sautées aux légumes que pâtes bolo », remarque cette graphiste de formation.
Les feux de l’humour Dans ses deux domaines de prédilection, Audrey prend plaisir à explorer. Du punk, du hard, du death metal côté musique. Des recettes véganes ou sans gluten côté fourneaux, parce que « la malbouffe est le fléau de notre société ».
Top of the Rock La playlist idéale d’Audrey pour cuisiner DAVID BOWIE – Space Oddity (1969) FREDDIE MERCURY – Don’t Stop Me Now (1978) SYSTEM OF A DOWN – Toxicity (2001) RAMMSTEIN – Sonne (2001) THE INTERRUPTERS – Take Back the Power (2014) et Got Each Other (feat Rancid, 2018)
hors-série – 89
hors-série – 91
51
Qu’est-ce qu’on écoute de Placebo en cuisinant ?
Contrairement au glam rock, le look androgyne et romantique de Brian Molko reflète le désir de sexualiser et renverser les normes genrées, qu’on retrouve également à travers ses textes. Placebo est d’ailleurs choisi par le plus glam des parrains, David Bowie, pour faire sa première partie en 1994. On peut facilement suivre la chronologie des albums de Placebo rien qu’en observant les changements capillaires plus ou moins de goût de son leader ! On se lève de bon matin avec Pure morning (1998).
Lassée de son boulot dans la pub, elle lance en 2015 son entreprise d’impression 3D de moules à biscuits. Et poste, en parallèle, ses récits de voyage, recommandations de restaurants et recettes sur son blog, baptisé "Se Faire Food". « Il y avait un truc à faire en mêlant l’humour et la cuisine, détaille la jeune femme de 36 ans. En France, la nourriture, c’est encore assez sérieux ! ».
AC Desserts Cook’n Roll, dont elle signe, excusez du peu, les textes, photos, recettes et hilarants graphismes,
est un panthéon personnel aussi drôle que gourmand. « Un jour où je préparais des brownies chez moi, la musique à fond, j’ai eu l’idée de les appeler "David Brownie" ». Pour le reste, Audrey trouve généralement le jeu de mots seule ou « pendant un apéritif entre potes », avant d’imaginer la recette correspondante. Cocktail Gin Morrison, frites à l’ail Van Haleine, houmous de betterave Dip Purple pour les pages "Apérosmith" ou cheesecake salé Salmon & Garfunkel pour le chapitre "Plat c’est beau"... Le spectre musical et culinaire est large. Fan de Courtney Love, l’auteure, qui se rêvait en « meuf rock star », n’oublie pas les figures féminines, entre cookies Griotte Grrrl et muffins Craneberries – dans les pages "AC Desserts". Cerise sur le gâteau, elle indique à chaque page la chanson idéale quand on met la main à la pâte – histoire de jouer les dur(e)s à cuire ! Marine Durand
À LIRE / Cook’n Roll, Audrey Basset (Éd.Ouest-France) 120 p., 14,90 €, editions.ouest-france.fr
Cook’n Roll again ! , Audrey Basset (Éd. Ouest-France), 120 p., 14,90 € À VISITER /
sefairefood.com
playlist Cook’n Roll sur Deezer, Spotify et YouTube À ÉCOUTER /
LE MENU DE FÊTE
– Apérosmith –
Grog Dylan Un cocktail de rhum brun, de thé au jasmin, cannelle, citron et miel pour rouler sous la table « like a rolling stone ».
Œufs Rythmix Une recette à base d’œufs de caille relevés, entre autres, d’ail en poudre, de paprika ou de tabasco. À déguster sur Sweet Dreams. – Plat c’est beau –
Nouille Order Des spaghettis servis avec des légumes verts, des asperges émincées et des petits pois. Envisager des légumes rouges pour une version plus sanguinolente. – AC Dessert –
Buns N’Roses Des buns sucrés, parfumés à la cannelle et délicatement badigeonnés de sirop de rose. Le petit plus ? Servir le tout avec quelques pétales… en poussant à fond Welcome to The Jungle, of course ! hors-série – 93
Jean-Bernard Pouy Black Rebel Motorcycle Club x Morgon - Domaine Jean-Marc Burgaud "Grand Cras" © Alex Horn
Interview DE LA VIGNE AUX PLATINES Accords parfaits Rock-pop et pinard, l’accord parfait ? Il faut croire. Dans De la vigne aux platines, Fabien Korbendau et Christophe Mariat ont décanté 50 couples "album-vin". Ces alliances ont ensuite été dégustées et traduites en mots ou images par quelques fines plumes, de Bertrand Belin à Gaëtan Roussel, en passant par Enki Bilal… En résulte une somme inédite de sens et de saveurs. Pas un livre de spécialiste ni d’œnologue, non. Plutôt une expérience synesthésique détonante, où les gammes se marient naturellement.
Pourquoi avez-vous associé musique et vin ?
Roussillon
Né en 1968, je suis fan de rock et de pop depuis l’âge de dix ans. En réécoutant certains disques comme The Queen is Dead des Smiths ou Dolorès de Jean-Louis Murat, des évocations propres au vin me venaient en tête et en bouche : des textures, arômes, couleurs, gammes… Ça ne s’argumente pas, c’est un constat de l’ordre de la synesthésie. Un jour mon beau-frère, Christophe Mariat, et moi, avons réalisé que nous partagions cette passion, en buvant un Côtes-du-
notre démarche, sa complexité
sur
L’Imprudence
de
Bashung. Ce fut l’album clé de poétique a tout déclenché.
« L’ÉCOUTE ATTENTIVE D’UN ALBUM PROVOQUE DES SENSATIONS OLFACTIVES ET GUSTATIVES. » En quoi cette démarche consiste-t-elle ? Un peu à l’ancienne, nous apprécions un album dans son intégralité, sans piocher des morceaux ici ou là et sans rien faire d’autre. hors-série – 95
tantôt frais, chambrés… de même que certains styles musicaux sont glaçants comme la cold wave. Il existe des disques et des breuvages élégants, tels les vins de Vienne, propices à l’élévation spirituelle comme Treasure de Cocteau Twins. D’autres plus terreux, abrasifs, plus rock comme les albums de BRMC.
« À CHAQUE DISQUE CORRESPONDAIENT PLUSIEURS BOUTEILLES. » Comment avez-vous déterminé ces accords "œno-acoustiques" ?
Pour nous un disque reste une œuvre globale comme un livre ou un film. Il s’agit de le déguster pour en redécouvrir sans cesse les subtilités, comme une bonne bouteille de vin ! Dans les deux cas, il y a une progression. Une écoute attentive provoque des sensations olfactives et gustatives.
Dans un premier temps, nous en avons fixé 50, tel un Top 50 (rires) ! La première étape fut de sortir tous les albums de nos discothèques respectives. On a dû en réécouter un millier. L’association fonctionne bien avec la pop et le rock. Nous nous sommes d’ailleurs limités à ces deux esthétiques, même si ça marchait aussi avec le blues ou la soul, mais il a fallu restreindre notre sélection sinon on y serait encore !
En quoi la musique et le vin se marient-ils si bien ?
Comment avez-vous sélectionné les bouteilles ?
Les termes habituellement associés au vin fonctionnent aussi avec la musique. Les deux offrent des gammes très riches, variées. Le vin possède ainsi son propre rythme : il y en a des lents, des rapides. C’est aussi une histoire de température :
Nous avons noté, façon "écriture automatique", tous les termes nous venant à l’esprit en lien avec le vin : "fleuri", "poivré", "charnu", mais aussi des notions de saison ou des adjectifs plus libres comme "baroque", "volcanique". Nous avons
Gaëtan Roussel - The Velvet Underground & Nico x Tavel, Domaine de l’Anglore © Clarisse Fieurgant
également sollicité des amis cavistes avant d’établir un lexique. À chaque album correspondaient plusieurs bouteilles. Il a ensuite fallu déguster tout ça pour trouver la bonne, avec des amis le weekend… Ça nous a pris trois ans ! Ensuite, vous avez choisi des goûteurs, n’est-ce pas ? Oui, nous avons proposé ces "couples" à des chanteurs, journalistes ou dessinateurs, partageant notre passion pour les mots, la photo, la BD… Nous avons offert à chacun d’eux la bouteille correspondante au disque qu’ils avaient choisi, en leur demandant de transcrire leur expérience d’écoute-dégustation à travers un texte ou un dessin.
disque, Bowie ne buvait quasiment que du Riesling ! Plus fort, et ça devient délirant : il avait jeté son dévolu sur celui de notre choix, issu du domaine Bott-Geyl ! Une coïncidence très troublante… Quel serait votre "couple" idéal pour les fêtes ? Je vous suggère de remplacer le champagne par un vin pétillant naturel : le Gewurztraminer, domaine Brand & fils, associé à Night and Day de Joe Jackson. Il s’accorde parfaitement avec ce disque, très festif. C’est une explosion aromatique ! Propos recueillis par Julien Damien
Avez-vous des exemples à nous donner ? Citons An Electric Storm de White Noise, album de 1969 choisi par Sylvain Vanot. C’est un ovni, les prémices de l’electro, qu’on a associé à un vin hallucinatoire, subversif : la Coudée d’or. Il est élaboré par des vignerons un peu barrés, inventeurs du concept de "cosmoculture", plaçant les énergies telluriques au service de la vigne. Vous associez aussi Station to Station de Bowie à un Riesling… Oui, le texte est de Philippe Auliac qui fut son photographe entre 1976 et 2003. Il m’a d’ailleurs avoué qu’à l’époque de l’enregistrement du
Christophe Mariat et Fabien Korbendau © DR
À LIRE / De la vigne aux platines, Fabien Korbendau et Christophe Mariat (éditions de l’Epure) 222 p., 22 € www.epure-editions.com À LIRE / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.
Salvador Dali
# 98
Alfred Hitchcock
© Christophe Gentillon
Luis Buñuel
Entretien Matthias debureaux
ÇA SE DISPUTE Propos recueillis par Julien Damien - Photo Olivier Marty
Chic, les fêtes de fin d’année approchent. L’occasion idéale pour se délester de quelques barbantes relations. Après De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages, le directeur adjoint de la rédaction du magazine Citizen K, Matthias Debureaux, signe un charmant guide pratique pour se fâcher définitivement avec ses amis. Bardé d’exemples historiques, artistiques ou littéraires, Le Noble art de la brouille est un essai aussi drôle qu’instructif. On a pris quelques notes… Comment ce livre est-il né ? D’une phrase d’Alfred Hitchcock. Au cours d’une interview il avait déclaré : « dès que je ressens la moindre nuisance auprès d’un ami, je coupe les ponts immédiatement ». Ça m’avait frappé, car c’est une chose qu’on n’ose pas faire et à laquelle nous sommes pourtant tous confron-
tés, traînant parfois des relations encombrantes, alors qu’on se montre impitoyable quand il s’agit d’amour. Ce livre est certes une pochade, mais assez honnête. Je me suis d’ailleurs rendu compte qu’aucun essai n’avait été écrit sur le sujet. Je citerais aussi Montesquiou : « L’amitié n’est qu’une étape dans la brouille ». hors-série – 99
Faudrait-il voir la brouille comme un art ? Oui, car aujourd’hui tout est devenu trop facile... Les amitiés s’appuient en partie sur les réseaux sociaux, le numérique. Pour rompre, il suffit de tout débrancher. Alors, pourquoi ne pas réhabiliter cette forme d’art ancienne, en tout cas d’élégance ? Pour moi une vraie brouille doit durer toute la vie.
# 100
Faut-il une bonne raison pour rompre ? Pas forcément, les brouilles les plus amusantes sont d’ailleurs les plus dérisoires. Erik Satie pouvait se fâcher quand on ne lui payait pas son café ! Mais cette réaction traduit des choses plus profondes. Plus on avance en amitié et plus on pense pouvoir tout se dire. En fait, c’est l’inverse : les infimes détails créent des dissensions…
© CG
Renaud
André Gide Y a-t-il des "spécialistes" ? Oui beaucoup, André Breton ou Maurice Pialat comptent parmi les plus célèbres. Jean-Pierre Melville était capable de rompre avec une personne lui ayant recommandé un film qu’il n’aimait pas… Ce sont de très grandes susceptibilités, attendant énormément de l’autre. Doit-on mettre en scène la rupture ? On peut opter pour la manière poétique, comme André Gide et Pierre Louÿs. Un jour, lors d’une promenade, ils s’étaient lancés dans une longue discussion, chacun défendant obstinément son point de vue. Arrivés au bout de la route, à un carrefour, l’un prit à gauche et l’autre à droite, et ils ne se revirent plus jamais. Leurs chemins s’étaient séparés. C’est une belle métaphore, tellement plus classe qu’un tweet !
Nous conseillez-vous aussi la lettre ? Oui, en soignant bien la conclusion, tel Renaud à l’adresse de l’impresario Gérard Lebovici : « Puisque tu es devenu visiblement la sous-merde que tu étais déjà essentiellement, mon public, ma gonzesse, mon enfant et moi-même te crachons à la gueule. Adieu grand con ». Il y a ici une forme de courage, en tout cas tranchant avec cette agressivité passive consistant à disparaître sans donner de nouvelles, beaucoup plus cruelle. C’est une méthode perverse... Oui, c’est celle d’Alfred Hitchcock, qui ne livrait jamais aucune explication. C’est la double-peine pour le "quitté". Si on donne une raison, le deuil est possible. Sans, c’est une torture ! Toute sa vie on cherchera à comprendre… La réconciliation comporte-t-elle un grand "risque" ? Il y en a toujours un qui craque. Buñuel, par exemple, en voulait à mort à son ami d’enfance Dali, qui s’était comporté de façon épouvantable, lui refusant son aide alors qu’il se trouvait dans la misère suite à son exil aux États-Unis, fuyant le franquisme. « Je ne peux absolument rien t’envoyer, compte tenu de mes sentiments quasi inhumains d’égoïsme frénétique… » lui avait répondu le peintre. Mais Buñuel, à la fin de sa vie, confia à un ami
commun qu’il aimerait boire une coupe de champagne avec lui avant de mourir. Le message fut transmis et Dali lui a rétorqué : « Moi aussi… mais je ne bois plus ». Il a tenu jusqu’au bout, ce qui n’est pas évident.
« IL FAUT SE DÉLESTER DES AMITIÉS TOXIQUES »
À l’occasion des fêtes de fin d’année, avez-vous quelques conseils ? Mon livre n’évoque pas la dispute familiale, trop automatique. J’ai privilégié les relations amicales. Mais j’ai un conseil : la brouille, ça doit être toute l’année ! Et elle comporte plein d’avantages : déjà, on se déleste d’amitiés toxiques. La vie est comme un ascenseur : à certains étages, il faut laisser les gens sortir ! Surtout, c’est un gain de temps extraordinaire, pour se consacrer à la lecture ou s’occuper de ses enfants.
À LIRE
Le Noble art de la brouille de Matthias Debureaux (Allary Editions), 100 p., 10 € www.allary-editions.fr
hors-série – 101
RICHARD COLES Le Miraculé Texte & Photos Elisabeth Blanchet
C’est dans les Midlands, à une bonne heure au nord de Londres, que le révérend Richard Coles a sa paroisse. Derrière sa soutane et son air bonhomme, il est difficile de l’imaginer près de 35 ans plus tôt en pop-star, aux côtés de Jimmy Somerville dans The Communards. Retour sur un chemin de croix. «On va s’installer dans la cabane de jardin. On y sera tranquille », propose Richard. L’obsession des Britanniques pour leur « shed » est bien connue... C’est donc devant un feu de bois, entouré de ses quatre chiens et de son compa-
gnon (prêtre lui aussi), que Richard revient sur son parcours : « J’ai grandi tout près d’ici, dans un milieu « middle class ». Ado, je me suis enfui à Londres ». Très vite, il y rencontre Jimmy Somerville, qui a déjà créé Bronski Beat et cherche
un musicien pour l’accompagner lors d’un concert. « On faisait partie d’une sorte de gang, un groupe d’une soixantaine d’homos. Entre autres, on animait des soirées dans un pub d’Islington à coups de disques punk et disco. Et au-delà de la musique, on avait aussi une conscience politique… » Entre le fort taux de chômage, la grève des mineurs, les Falklands, chacun se souvient de ces années comme d’une période propice à la création et au combat. Avec un ennemi de taille au centre : Margaret Thatcher !
Up and down. Richard suit donc Jimmy en tournée le saxo en bandoulière, et ils ne se quittent plus pendant trois ans. Tous les deux amoureux de Paris, ils découvrent le mur des Communards au Père-Lachaise. « Un nom que nous avons récupéré stupidement quand j’y repense... Après tout, on reprenait surtout des hits Motown »*. Quoi qu’il en soit, le groupe connaît un succès international, puis se sépare au bout de trois ans. « On ne s’appréciait plus vraiment et nous étions tiraillés par des situations contradictoires : le succès, notre lutte contre la Dame de fer et surtout le sida... » Richard laisse la conversation en suspens. « Notre groupe d’amis a été littéralement décimé par ce virus. Il fallait aussi se battre contre la stigmatisation… ». à la fin des années 80, revenu de la vie en groupe, il voit tout en noir : « Prendre des drogues me semblait la meilleure chose à faire, et ça a duré pendant un an, sans que je réalise vraiment ».
[ BIO EXPRESS ]
Début des années 80 : Il rejoint
un groupe nommé « Alternative Gay Scene » par certains sociologues. Boy George en fait aussi partie.
1983 : Il accompagne Jimmy
Somerville lors d’un concert caritatif dont le but est de collecter des fonds pour un village de mineurs du Pays de Galles en grève. Cette histoire a inspiré le film Pride, de Matthew Warchus.
1985 : Création de The Communards et sortie du single You are my world. 1986 : reprise de Don’t Leave Me This Way de Harold Melvin and the Blue Notes, dans un style très Hi-NRG. Single le plus vendu de l’année au Royaume-Uni. 1988 : Fin de The Communards. 2005 : Richard est ordonné Prêtre de l’Église Anglicane. hors-série – 103
Fathomless Riches : Or How I Went From Pop to Pulpit par le Révérend Richard Coles, sorti le 16 octobre 2014
Du choeur à l’ouvrage. Puis soudain, l’ex-Communards qui a aussi un passé d’enfant de chœur, se « reconnecte » à l’église. Par hasard, alors qu’il est à Edimbourg, il aperçoit de la lumière dans la cathédrale et reconnaît un de ses chants religieux favoris. « Je suis entré, j’ai rejoint les gens pour chanter. Quelque chose s’est produit », confie-t-il. Cependant, il faudra encore une dizaine d’années avant de franchir le pas de l’ordination. Une décennie
durant laquelle il mène une belle carrière de journaliste, éditorialiste à la radio. Pour la BBC, il anime des magazines pour les jeunes puis d’autres, dédiés à l’art. Richard est finalement ordonné en 2005. Depuis, il n’a jamais douté de l’existence de Dieu, mais constamment de lui-même. « Je ne suis pas un très bon prêtre et je suis un très mauvais Chrétien », confesse-t-il. Désormais, une autre passion le gagne : celle d’écrivain. Il vient de publier son troisième ouvrage, Fathomless Riches. Et poursuit à tous les niveaux son combat contre les inégalités : « Je défends toujours l’homosexualité au sein de l’église. Aujourd’hui, la position du clergé est plus doctrinale et refuse le mariage gay alors que les Britanniques l’ont adopté sans faire de vagues… ». Cette double carrière permet à Richard de « mettre son grain de sel », de donner un autre son de cloche, grâce à des écrits et des émissions très suivis. Et, contrairement à il y a 30 ans, ce personnage pas si orthodoxe sait exactement ce qu’il veut : du temps. Avant de rejoindre bien plus tard un petit cottage sur la côte ouest de l’écosse. Avec son compagnon et ses chiens.
À LIRE / Autobiographie de R. Coles : Fathomless Riches : Or How I Went From Pop to Pulpi, Weidenfeld & Nicolson, 288 p. À ÉCOUTER / The Best of Bronski Beat, The Communards & Jimmy Somerville, 2001, London Records
hors-série – 105
THE SUNDAY ASSEMBLY Une église sans Dieu Texte & Photos Elisabeth Blanchet
Dimanche matin, 11h. L’heure de la messe. Des souvenirs mitigés reviennent à la mémoire de ceux qu’on a forcés à aller à l’église. On va encore se geler, se planter avec les gestes rituels, lutter contre les fous rires, se moquer des enfants de chœur… La liste est longue mais ne correspond pas du tout à ce qui attend le "paroissien" de la Sunday Assembly. Rendez-vous sur le banc d’une chapelle pas comme les autres. D’abord, ce n’est pas une église mais une salle de spectacle : le Conway Hall (une organisation membre de « l’union internationale humaniste et éthique », NDLR), en plein centre de Londres. Ensuite, il n’y a pas de Dieu, pas de prêtre, et aucun pré-requis. On est tous les bienvenus. Il y a même un coin enfants. Et c’est gratuit. Toutes les deux semaines, Sanderson Jones et Pippa Evans dispensent un show très spécial. Chaque Sunday Assembly a son thème, ses intervenants. Aujourd’hui, elle est dédiée à la Première Guerre mondiale. On commence en chanson : It’s a long way to Tipperary, un standard du music-hall écrit en 1912. La salle pleine à craquer la reprend en chœur tandis que Pippa mène la danse. Cela nous rappelle certaines images d’église américaine. Ensuite, Sanderson prend la parole. Avec son allure de jeune Jarvis Cocker chevelu, ses talents de comédien (il vient, comme Pippa, du milieu du spectacle), il captive la foule. Il parle de tous ces hommes morts au combat. Pour qui, pourquoi ? Son discours touchant fait réfléchir tout comme celui de Deborah Lavin, historienne, qui qualifie la guerre de 14-18 de crime légalisé.
« Nous sommes les petits-enfants, les arrière-petits enfants des survivants. Et nous sommes là pour célébrer la vie ! ». Telle est la mission de la Sunday Assembly. Son slogan ? « Vivre mieux, aider souvent, se poser plus de questions ».
Tradition populaire. Comment est né ce phénomène ? Tout simplement sur les bancs de l’école primaire britannique. Depuis leur plus jeune âge, les enfants sont habitués aux « assemblies ». Dans chaque établissement, une fois par semaine, on leur réserve un moment pour se retrouver, chanter, préparer des spectacles… La Sunday Assembly en est donc une version dominicale. « On voulait organiser quelque chose de semblable à l’Église, en entretenant
« ON VOULAIT ORGANISER QUELQUE CHOSE DE SEMBLABLE À L’EGLISE MAIS SANS LE DISCOURS SACRÉ » l’idée d’une communauté, mais sans le discours sacré », explique Sanderson. Leur expérience du spectacle a fait le reste. Et c’est ainsi que la première Sunday Assembly eut lieu un matin de janvier 2013. Depuis, elle sévit un dimanche sur deux et grandit de manière exponentielle. Tandis que les religions traditionnelles chrétiennes bataillent pour recruter, cette « Église sans dieu » a inspiré 27 congrégations réparties sur plusieurs continents. La plupart se trouve dans les pays anglo-saxons, probablement parce
que le mouvement est né dans le berceau de l’Église anglicane, et qu’il lui emprunte ses codes. Cela dit on en trouve aussi une en France, en Belgique ou en Allemagne.
De la suite dans les idées. Peuton craindre un virage sectaire ? « Ce n’est pas parce que quelqu’un prend la tête d’une congrégation qu’il devient pour autant un gourou du jour au lendemain ! Regardez les groupes de boy scouts, surenchérit Sanderson. Mais au cas où, on est en train de mettre des systèmes d’accréditation des leaders pour éviter le risque… » Et maintenant ? « Vous m’auriez posé la question il y a un an, je n’aurais jamais pensé qu’on en serait là ! En tout cas, notre projet a du sens à
l’heure où les visions du futur sont si déprimantes ». C’est sur les paroles de Zombie des Cranberries que la cérémonie se termine. Ces drôles de "paroissiens" achèvent leur communion dans le chant, contre l’horreur de la guerre. Puis vient le temps du silence, du recueillement. À la sortie de la messe, Marie, 22 ans, confie : « Je viens ici depuis l’été dernier. Depuis je ne rate pas un office. Je ne suis plus croyante, mais l’atmosphère, les rituels de l’Église et l’esprit de groupe me manquaient un peu ». Grâce à la Sunday Assembly, elle s’est fait des amis et avoue ne jamais manquer les festivités qui suivent chaque messe : le pub du dimanche midi en guise de vêpres ! À VISITER : sundayassembly.com
hors-série – 109