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Laélia Véron

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interview

Propos recueillis par Thibaut Allemand

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La vie en prose

Les jeunes massacrent-ils le français ? Avons-nous affaire à une langue morte ? Quel est l'apport du numérique ? Clin d’œil à Maître Gims et pied de nez aux réactionnaires qui cadenassent notre langage, ce livre remet les pendules à l’heure. Laélia Véron fait partie de ces universitaires érudits qui ne vivent pas dans une tour d'ivoire. À l'instar du regretté Alain Rey, la linguiste et stylisticienne partage son vaste savoir à travers des tweets inspirés, podcasts, chroniques sur France Inter et, donc, Parler comme jamais, ouvrage ludique et très, très instructif. Entretien.

Quel est l'objectif de ce livre ? Questionner et dépasser les clichés sur la langue. Parler comme jamais se veut polyphonique et réunit plus de quarante contributrices et contributeurs. C'est un objet "transmédiatique" multipliant les approches, avec de l'oral retranscrit, des tweets… Ce livre est également ludique, avec des bulles indiquant des prises de paroles, mais aussi des jeux, des exercices. Nous voulons mettre l'accent sur cet aspect joyeux, libérateur, à rebours des discours déclinistes abordant la langue sous l'angle catastrophiste. Le français est souvent difficile à comprendre. C'est ce qui fait sa beauté, non ? L'espagnol ou l'italien sont moins complexes. Ces langues sont-elles moins belles ? Non. Ce prétexte de la beauté dans la difficulté rend la langue abstraite.

LE SAVIEZ-VOUS ?

Le sens des mots change régulièrement. Débile pointait avant une faiblesse physique, avant de décrire un problème mental. Crevard désignait un enfant chétif avant de définir une personne avare.

Je crois plutôt à un amour éclairé. Certaines complexités sont intéressantes et justifiées. D'autres moins : il y a deux "n" à honneur et un seul à honorer, en quoi cela rend-il la langue plus belle ? Ce qui la rend plus attrayante et vivante, c'est lorsque tout le monde s'en saisit.

Comment expliquez-vous de telles crispations autour de la langue chez nous ? Il y a plusieurs raisons. La France, à l'inverse de la Suisse par exemple, est un pays de tradition unilingue. Pourtant, de nombreuses autres langues y sont parlées, mais peu reconnues. Par ailleurs, ces crispations sont liées à une histoire plus large, avec des institutions très normatives comme l'Académie française, qui se positionne contre toute évolution de l'usage. Son approche n'est pas scientifique, mais simplement politique et très conservatrice. Elle veut régenter le langage dans l'ensemble de la francophonie. Or, l'avenir du français ne se joue pas en France car il est parlé sur les cinq continents !

L’anglais menace-t-il le français ? Non. L'agacement autour de l'anglais peut s'entendre, mais le français est la cinquième langue la plus parlée au monde, soit par plus de 300 millions de personnes, il ne va pas disparaître dans trente ans ! On pourrait s’inquiéter si, par exemple, il était remplacé dans toute la production musicale. Dans ce cas, faudrait-il mieux écouter Aya Nakamura que Bob Dylan ? Je ne suis pas sûre que toutes les personnes s'inquiétant de

la "mort du français" soient d'accord ! Cela étant dit, il est vrai que l'influence du français a baissé au profit de l'anglais. Et je comprends que certains anglicismes énervent, car c'est un langage du business, de la publicité, d'une certaine "coolitude", avec des mots en "ing", comme fooding, batch cooking…

Qu'en est-il des jeunes ? Parlent-ils vraiment un autre français ? Pas du tout. Lorsque le "langage jeune" est abordé dans les médias, il est soit présenté de manière extrêmement positive, façon « Oh mon Dieu ! Quelle inventivité ! » ou très négative, en évoquant « des massacres de la langue ». Mais dans les deux cas, ce sont des clichés sur les "nouveaux mots jeunes". La linguiste Françoise Gadet a remarqué que la différence tenait moins au lexique qu'au débit, plus élevé. Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'un ou deux mots ne sont pas compris d'un journaliste que les jeunes parlent forcément une autre langue. N'importe quelle profession, par exemple, possède un jargon spécifique.

À LIRE / Parler comme jamais, de Laélia Véron et Maria Candea (Le Robert), 324 p., 19 €, lerobert.com

La version longue de cette interview sur lm-magazine.com

DES LIAISONS DANGEREUSES

Au pluriel, on dit des "héros" mais des "zhéroïnes". Pourquoi ? Parce que cela induisait une homophonie fâcheuse avec les "zéros". Le "H" de héros est donc devenu aspiré.

DES CHIFFRES ET DES LETTRES

Entre 10 000 et 30 000 mots. Ce serait la "taille" du vocabulaire d'un adulte. Pour les bilingues, il faut donc multiplier par deux. Chaque année 150 mots entrent dans Le Larousse et Le Robert suite à une sélection parmi 4 000 termes jugés intéressants.

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