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Reda Kateb & Thomas Kruithof
interview
Propos recueillis par Zoé Van Reckem Photo © Jérôme Prébois, Wild Bunch Distribution
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Au nom du maire
Avec Les Promesses Thomas Kruithof signe un thriller perçant les arcanes de la politique nationale et locale. Incarnée par Isabelle Huppert, Clémence est maire d’une grande ville de banlieue parisienne. Accompagnée par Yazid (Reda Kateb), son directeur de cabinet, elle tente par tous les moyens d’obtenir une subvention pour rénover la cité délabrée des Bernardins, minée par les "marchands de sommeils". Tout se complique lorsqu’on lui offre un poste de ministre… L'intérêt public l'emportera-t-il sur l'ambition personnelle ? Les promesses seront-elles tenues ? Rencontre avec l’acteur césarisé Reda Kateb et Thomas Kruithof, réalisateur inspiré.
Comment avez-vous écrit le scénario ?
Thomas Kruithof : Nous souhaitions réaliser un film sur la politique locale, saisir l'énergie qui s'en dégage. Il s'agissait aussi de rappeler la place du maire sur l'échiquier politique, le rapport permanent qu’il entretient avec les citoyens, car il est en première ligne. Avec Jean Baptiste Delafon, mon co-auteur, on met ici en exergue la question du logement, un sujet complexe mais fondamental dans notre société. Sur le plan cinématographique, j’ai été inspiré par cette notion de combat, d'engagement et de courage.
Pourquoi avoir choisi Isabelle Huppert et Reda Kateb ?
Thomas Kruithof : Avant même de composer les personnages, nous avions imaginé ce duo. Isabelle possède une autorité naturelle, le propre des grandes dames. •••
De son côté, Reda est aussi très charismatique, on lui devine un riche vécu.
On remarque ici l’importance accordée aux dialogues...
Thomas Kruithof : Oui, car la politique c’est l’art de la parole, pour mieux convaincre. Alors, on a peaufiné les discours et les arguments. En même temps, je ne voulais pas que le film se transforme en concours d’éloquence. Ce qui m’intéressait, c’était la variété de décors, jouer avec ces grands contrastes, passer de l’Élysée à une cage d’escalier délabrée.
Reda, qu’est-ce qui vous a séduit dans ce scénario ?
Reda Kateb : J’avais beaucoup aimé le premier film de Thomas, La Mécanique de l’ombre. J’avais donc une idée de la forme qu’il donnerait à ce thriller politique. Et puis, je n’avais jamais endossé ce type de rôle, dans une ambiance où les mots constituent les armes du personnage. Enfin, la présence d’Isabelle Huppert m’a aussi motivé, c’est une actrice que j’estime énormément.
Comment présenteriez-vous votre personnage, Yazid ?
Reda Kateb : Il est directeur de cabinet de la maire et issu du quartier populaire dont il est question dans le film. Il souhaite sortir de là, il en a marre de manger des kebabs et préférerait des courgettes bio à Paris. Il est brillant, travaille beaucoup. Mais avant de quitter sa ville il veut aller au bout de sa mission. Certes pour servir sa propre ambition mais aussi ces gens défavorisés auxquels il est viscéralement attaché. Ça pourrait être un futur grand homme politique.
Tout comme Yazid, vous avez grandi en banlieue parisienne. Incarner ce rôle représente-t-il une forme d’engagement ?
Reda Kateb : Sans doute, mais je ne me proclame pas artiste engagé. On aborde souvent les quartiers par le prisme de la délinquance, de la police et quantités d'autres problèmes… Ici, il n’y a pas un seul flic à l’horizon. Je n’ai pas habité dans des cités très dégradées, mais si j’étais un habitant du Chêne Pointu (le lieu du tournage, ndlr), je ne me sentirais pas trahi par un film comme celui-ci.
Les Promesses De Thomas Kruithof,
avec Isabelle Huppert, Reda Kateb, Soufiane Guerrab, Jean Paul Bordes… En salle
UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN
Vivre, malgré tout
Présenté lors la Semaine de la critique à Cannes et à l’Arras Film Festival, Une jeune fille qui va bien est le premier long-métrage de Sandrine Kiberlain. L’actrice signe le portrait d’une jeune fille juive, dans une France en proie au nazisme. Une œuvre puissante, portée par la performance de Rebecca Marder, grande révélation du film.
On peut être sceptique devant le passage d’actrices ou d’acteurs derrière la caméra. Certains de leurs films ne dépassent guère le simple objet narcissique. Tel n'est pas le cas de Sandrine Kiberlain qui ne s’offre ici aucun rôle. L'occasion de se concentrer sur l'écriture et la mise en scène d'une œuvre dénuée de la moindre coquetterie. Son sujet, en l’occurrence l’adolescence d’une jeune fille juive durant la Seconde Guerre mondiale, n’aurait supporté aucune faute de goût. L'histoire ? Irène vit l’élan de ses 19 ans à Paris, durant l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion pour le théâtre…
Ennemi invisible
On est d’emblée frappé par la maîtrise de l’apprentie cinéaste. Sa réalisation affirme des choix forts. L’occupant nazi n’est jamais montré. En le plaçant hors du champ de la caméra, Kiberlain ne le rend que plus inquiétant. Ainsi, l’atrocité plane comme une ombre sur tout le récit. Grâce à ce procédé, la cinéaste soutient aussi que rien, ni personne, ne peut empêcher la jeunesse de rêver, de s’accomplir et de vivre ! Enfin, jusqu’au moment où la tragédie de l’Histoire traverse le cadre... Parmi une distribution de premier ordre, la jeune Rebecca Marder, pensionnaire de la Comédie-
Française, est éblouissante, et la réussite d’Une jeune fille qui va bien lui doit beaucoup. Grégory Marouzé
LES JEUNES AMANTS
© Ex Nihilo Kare
Passion ardente
Dans Les Jeunes amants, Fanny Ardant incarne une septuagénaire qui renoue avec l’amour auprès d’un homme sensiblement moins âgé. Drôle et tendre, ce film piquant les conventions est, lui aussi, une belle déclaration d’amour à l’ex-muse de François Truffaut et icône du cinéma français.
Carine Tardieu affectionne les comédies douces-amères portées par de grandes actrices. On se souvient de La Tête de maman (avec Karin Viard), Du vent dans mes mollets (avec Agnès Jaoui) ou encore d’Ôtez-moi d’un doute (avec Cécile de France). Chacun de ces films constitue un magnifique portrait de femme, refusant les clichés. La cinéaste creuse ce sillon avec Les Jeunes amants. L’histoire ? Shauna, 70 ans, a renoncé à toute vie sentimentale jusqu'à sa rencontre avec Pierre, un homme de 45 ans... Faisant fi du regard des autres, elle entame une histoire d’amour passionnée avec lui. Car le fringant quadragénaire ne voit pas en Shauna "une dame d’un certain âge", mais une femme séduisante, qu’il est aussi prêt à aimer. Reste que Pierre est marié et père de famille... Qui, à part Fanny Ardant, pouvait incarner Shauna ? On a beau chercher, on n’imagine personne d’autre dans la peau de cette femme libre. Cela tombe bien, Carine Tardieu a écrit le rôle tout spécialement pour elle. Certes, Ardant fait du Ardant, mais elle nous bouleverse. À ses côtés, Melvil Poupaud, en amoureux transi, est d’un charme irrésistible. Avec Les Jeunes amants Carine Tardieu signe une love story à rebours des conventions et des modes.
Grégory Marouzé De Carine Tardieu, avec Fanny Ardant, Melvil Poupaud, Cécile de France, Florence Loiret Caille… Sortie le 02.02
NOUS
Dénominateur commun
© Sarah Blum
Quel rapport entre un mécanicien d'origine malienne vivant dans sa camionnette et des royalistes priant à la Basilique de Saint-Denis ? Des chasseurs à courre et une infirmière à domicile ? En suivant la ligne du RER B, Alice Diop construit un portrait kaléidoscopique de la France.
Dans la vallée de Chevreuse, un couple et son petit-fils se laissent envelopper par le crépuscule. Immobiles, ils guettent l'orée d'un bois. Un cerf apparaît brièvement, avant de faire retentir dans la nuit son brame. Nous commence et s'achève là, tout au bout du RER. On imagine sans peine que ce monde de la chasse est le plus étranger à la cinéaste, née à Aulnay-sousBois. Mais c'est bien toute la beauté de ce documentaire que de mesurer les écarts, de rapprocher sans confondre. Si chaque figure ou situation mériterait un film à soi, c'est évidemment leur conjonction qui importe à un moment où la division entre "nous" et "eux" – « cet autre qui n'est plus rien qu'un autre », pour citer le philosophe Jacques Rancière – l'emporte dans les débats politiques. Alice Diop prête au contraire la même attention délicate à tous. Logiquement, il y a aussi du "je" en "nous". Diop revient sur son histoire familiale, intégrant notamment quelques images fragiles et émouvantes de son père. S'attachant à montrer la vie des « groupes excommuniés de l'ordre symbolique », comme le dit l'écrivain Pierre Bergounioux lors d'une belle rencontre, Nous construit aussi une chose extrêmement précieuse : une communauté de dissemblables. Raphaël Nieuwjaer
ENQUÊTE SUR UN SCANDALE D’ÉTAT
Après Une vie violente (2017), inspiré de la vie d’un militant nationaliste corse, Thierry de Peretti porte à l’écran la scandaleuse histoire rapportée par Hubert Avoine et Emmanuel Fansten dans leur livre L’infiltré. Octobre 2015, les douanes françaises saisissent sept tonnes de cannabis. Le jour même, un ancien infiltré des stups, Hubert Avoine, contacte un journaliste à Libération (Emmanuel Fansten). Il prétend pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État dirigé par un haut gradé de la police française. Commence une enquête qui mènera jusqu'aux recoins les plus sombres de la République... De ce scandale d’état, de Peretti tire un film puissamment romanesque où chaque interprète (Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon) se met au service d’une mise en scène
haletante. Grégory Marouzé De Thierry de Peretti, avec Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon, Julie Moulier, Valeria Bruni Tedeschi... Sortie le 09.02
© Les Films Velvet © Cédric Sartore
LA VRAIE FAMILLE
Fabien Gorgeart avait étonné avec Diane a les épaules (2017), comédie où une jeune femme portait l’enfant de ses deux meilleurs amis. Après l’homoparentalité, le réalisateur continue de s’intéresser à la famille. Ici, il change néanmoins de registre, passant de la comédie au drame. Anna vit avec son mari, ses deux petits garçons et Simon, un enfant placé chez eux depuis l’âge de 18 mois. Mais un jour, le père biologique de Simon souhaite ardemment récupérer son fils… La Vraie famille, film aux accents autobiographiques (lorsqu'il était petit, les parents du réalisateur ont accueilli un enfant placé), bouleverse en soulevant des questions à la fois intimes et sociétales. Lyes Salem et Félix Moati sont épatants, tandis que Mélanie Thierry confirme le talent qu’on lui connaît.
Grégory Marouzé De Fabien Gorgeart, avec Mélanie Thierry, Lyes Salem, Félix Moati… Sortie le 16.02