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Thomas Quillardet

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THÉÂTRE & DANSE

THÉÂTRE & DANSE

interview

Propos recueillis par Julien Damien Photos Portrait © Mélina Vernant / Une Télévision française © Pierre Grosbois

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Travail à la chaîne

Oubliée de la mémoire collective, la privatisation de TF1 à la fin du siècle dernier marque pourtant un tournant dans l’histoire de l’information à la télévision française. Rachetée en 1987 par l’homme d’affaires Francis Bouygues, la première chaîne d’Europe s’engagea dès lors dans une course à l’audience et au sensationnalisme, bousculant notre vision du monde et notre rapport à l’actualité. Fondateur de la compagnie 8 avril, Thomas Quillardet dresse à travers Une Télévision française le récit de ce bouleversement cathodique. Quelque part entre le documentaire et la sitcom théâtrale, cette fresque mordante nous plonge dans les coulisses de la rédaction de la Une.

Pourquoi s’intéresser à la privatisation de TF1 ?

Je voulais écrire une pièce sur les journalistes, car la salle de rédaction évoque un lieu théâtral, avec ses ego, révélant courage et faiblesse. Ce sujet me permettait aussi de dresser, en creux, un portrait de la France.

Quel est le contexte historique de cet événement ?

On est en 1987, en pleine cohabitation. La France a un président de gauche, François Mitterrand, mais un Premier ministre de droite, Jacques Chirac qui veut moderniser le pays. Il entreprend alors une série de privatisations d’entreprises publiques et notamment une chaîne de télévision. Il s’agit de renflouer les caisses de l’État et de concurrencer les nouvelles chaînes privées que sont La Cinq et Canal Plus.

Ce sera donc TF1…

Il y a d’abord eu un petit moment de flottement, on ne savait pas si c’était Antenne 2 ou FR3 qui allaient être vendues. Les journalistes de la Une s'imaginaient à l'abri, travaillant pour la chaîne la plus puissante et patatras ! Ils apprennent la nouvelle le jour même de l’annonce. •••

« C’est le début de la course à l’audience. »

C’est un coup de massue, mais aussi la peur du licenciement, de l’interventionnisme à outrance dans les journaux. Car c’est un personnage inattendu qui déboule : Francis Bouygues, le patron de la première entreprise de BTP mondiale.

Selon vous, quelles sont les conséquences de ce rachat ?

D’abord, rappelons une chose assez cocasse, voire scandaleuse, quand on se replonge dans le cahier des charges défendu par Bouygues. Son projet était une sorte d'Arte privée, avant l'heure ! Il promet la diffusion de pièces de théâtre, des concerts, de l’opéra et le soutien de la création française pour mieux résister à l’invasion des séries américaines… Mais au lendemain de la signature du chèque, c’est le début de la course à l’audience pour séduire les annonceurs.

« Le journal télévisé devient plus lacrymal. »

Comment cela se traduit-il dans le traitement de l’information ?

En une petite dizaine d’années, le journal devient plus lacrymal, nourri de faits divers. Les sujets sur les sacs à pizza remplacent peu à peu la politique internationale. Le modèle Jean-Pierre Pernaut infuse doucement.

Vous dites qu’aujourd’hui ce journal structure encore une certaine façon de penser l’information en France. En quoi ?

La chaîne a cartonné, elle est devenue la première d’Europe. Depuis, tous les médias audiovisuels ont suivi ce modèle. France 2, France 3, puis les chaînes d’info… Mais soyons honnêtes, si TF1 ouvrait son journal sur la guerre au Kazakhstan, ça aurait moins de succès qu’un sujet sur le prix de l’immobilier. L’un des personnages de la pièce résume la situation, en évoquant la "loi du mort kilométrique" : le spectateur est plus touché par un drame s’il a lieu à un kilomètre de chez lui que s’il y a 10 000 morts à l’autre bout de la planète.

TF1 impose aussi une vision particulière de la France. Seraitelle en partie responsable de la droitisation de la politique française ?

Oui même si, encore une fois, toutes les autres chaînes ont suivi ce modèle. D'ailleurs, nous sommes tous un peu responsables, car nous aimons avoir peur. Voyez toutes ces émissions sur la police aujourd’hui dans le PAF, ça nous rassure.

Comment avez-vous travaillé pour écrire cette pièce ?

J’ai rencontré une quarantaine de journalistes actuels, mais aussi de

l’époque, travaillant à TF1, France 2 ou Mediapart. J’ai effectué des recherches auprès de l’INA, disséqué beaucoup de 20h, de 13h...

Concrètement, que raconte la pièce ?

Une Télévision française, c’est l’histoire de la rédaction de TF1 de 1986 à 1994. Nous suivons dix journalistes en plein travail, confrontés à la privatisation de leur chaîne et au changement de management. On observe leurs doutes, les choix imposés, les coups de gueule, le poids du politique aussi.

Faites-vous référence à des faits historiques ?

Oui, notamment la reconstitution du débat entre Mitterrand et Chirac, Tchernobyl, la chute du mur du Berlin… on revit ainsi une série d’événements par le prisme du JT, mais sans images. Ce qui s’est joué dans ces années 1980 et 90 pèse sur notre actualité. La pièce pose aussi la question de la privatisation, et donc du service public, prégnante aujourd’hui.

Une Télévision française

Mouvaux, 22 & 23.02, L’Etoile, scène de Mouvaux, 20h, 19h, 21 > 6€, www.larose.fr À lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com

ÉDOUARD LOUIS

Vaincre le mépris

Deux compagnies belges adaptent sur scène l'œuvre "coup-depoing" de l'écrivain Édouard Louis, en l'occurrence En finir avec Eddy Bellegueule et Qui a tué mon père. Présentées entre Mons, Bruxelles et Charleroi, ces pièces dissèquent la violence politique et les logiques de domination – pas les thèmes les moins contemporains.

Six mois avant la naissance des Gilets jaunes, Édouard Louis dére © Pierre-Yves Jortay cryptaient dans Qui a tué mon père les mécanismes de la domination sociale broyant les classes les plus fragiles. Dans ce pamphlet, il démontre comment les gouverneQui a tu é mon p è ments successifs ont « détruit » son père. « Tu as à peine plus de 50 ans, tu appartiens à cette catégorie d'humains à qui la politique réserve une mort précoce », écrit-il dans ce monologue d'abord pensé pour le théâtre. Julien Rombaux s'en empare justement. La pièce se joue sur un plateau évoquant une maison abandonnée, « un endroit abîmé dans un bassin sidérurgique où tant d’hommes se sont bousillé la santé », explique le metteur en scène. La seconde pièce est portée par la compagnie Gazon-Nève et le collectif La Bécane, qui adaptent En finir avec Eddy Bellegueule. Dans ce récit qui l'a révélé en 2014, l'auteur raconte sa jeunesse, celle d'un ado harcelé car homosexuel. Élevé dans une famille pauvre de Picardie, il raconte les fins de mois difficiles, la violence, comment il faut devenir « un dur ». Sur scène, quatre interprètes incarnent le père tyrannique, le frère brutal, la mère désabusée. Un acteur-narrateur joue lui le rôle d'Eddy, restituant le texte d'Édouard... mots pour maux. J. Damien

Focus Édouard Louis : Mons, 08 > 17.02, Théâtre le Manège, 2 spectacles : 18€, surmars.be Qui a tué mon père : Mons, 08 > 10.02, Théâtre le Manège, mar & mer : 20h • jeu : 10h, 15 > 9€ Charleroi, 02 > 04.02, Théâtre de l'Ancre, 20h30 (sauf mer : 19h), 15 > 10€, ancre.be En finir avec Eddy Bellegueule : Mons, 16 & 17.02, Théâtre le Manège, mer : 20h • jeu : 10h, 15 > 9€ Charleroi, 23 > 25.02, Centre de délassement, mer : 19h • jeu & ven : 20h30, 15 > 10€, ancre.be

TEMPEST PROJECT

Prospero, magicien et duc de Milan, est chassé du pouvoir par son frère Antonio. Le voilà exilé sur une île mystérieuse, peuplée de créatures fantastiques ou il règne en maître (sur le monstre Caliban et Ariel, l'esprit de l'air). Douze ans plus tard, il tient sa revanche, faisant échouer grâce à la magie le bateau sur lequel a embarqué Antonio... Ultime pièce de Shakespeare, La Tempête se lit comme une fable, pas nécessairement sur la vengeance et le pouvoir, mais d'abord sur la liberté : celle de réussir à pardonner. L'immense Peter Brook en livre ici une nouvelle mise en scène épurée, pour mieux révéler cette tempête intérieure. J.D.

Lens, 05.02, Scène du Louvre-Lens, 19h, 20 > 5€, www.louvrelens.fr

© Philippe Vialatte

THE FAIRY QUEEN

Enchanteresse, cette Fairy Queen constitue le plus grand succès de Purcell. Inspiré du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare (« l'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'imagination… »), ce semi-opéra nous emmène dans une forêt peuplée d’elfes et de fées dont la reine, Titania, qui ne manque jamais de nous envoûter. La pièce mêle théâtre, chant, danse et musique, entre influence italienne et baroque – dont The Plaint représente l’un des sommets. J.D.

PAUL MIRABEL

Drôle de zèbre

© Fifou

C’est la nouvelle sensation du stand-up français. Paul Mirabel s’est révélé auprès du grand public quelques semaines avant le début de la pandémie, soit pile au moment où toutes les salles étaient fermées… Il en fallait un peu plus pour l’empêcher de cartonner avec son premier spectacle, Zèbre, acclamé de toute part.

Droit comme un piquet, micro vissé à la main et avec une autodérision sans égale, le grand échelas retrace des tranches de vie plus ou moins glorieuses et des absurdités de notre quotidien. Fan inconditionnel de rap, le natif de Montpellier a écrit son one-man show comme un album, avec une intro, un interlude et une surprenante outro. En quatre ans seulement, le chroniqueur de France Inter, pilier de La Bande originale de Nagui, s'est hissé au devant des plus belles scènes de l’humour tricolore. Mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière sa musculature de « yaourt nature » ou son allure dégingandée et faussement gauche, le jeune homme de 25 ans est un véritable stakhanoviste. Il a d'abord écumé une flopée de comedy clubs parisiens, assurant parfois jusqu'à six représentations par jour ! Les chiffres étourdissants de son premier passage au prestigieux Festival de Montreux en 2019 lui donnent raison. Son sketch Je me suis fait racketter atteint les 19 millions de vues, devenant de loin la vidéo la plus vue du gala. Qu’on se le dise, ce drôle de zèbre pourrait bien devenir le nouveau roi de la jungle. Zoé Van Reckem

HAMLET

« Être ou ne pas être ». Telle est la question que se pose depuis plus de 400 ans Hamlet. Le prince du Danemark, étudiant en Allemagne, est rappelé d’urgence au royaume. Son père est mort brutalement. Le jeune homme découvrira que c’est son oncle, Claudius, qui l’a assassiné pour prendre le trône... Ses idéaux s’effondrent. Dès lors, que faire ? Agir ou subir ? Disparaître ou mourir ? Entre théâtre, danse et musique, Emmanuel Dekoninck livre une relecture menée tambour battant du chef-d’œuvre atemporel, au sein d’un décor manipulé à vue par les acteurs. Le chanteur Thomas Mustin (aka Mustii) incarne un Hamlet très rock, mais pas moins tourmenté. J.D.

La Louvière, 24 & 25.02, Le Théâtre, 20h, 18/15€, cestcentral.be Mouscron, 07.03, Centre Marius Staquet, 20h30, 15/12€, centrecultureldemouscron.be

© Véronique Vercheval

À L’INTÉRIEUR

À l’intérieur de nous sommeille un monstre. C’est cette part d’ombre qu’Aude Denis révèle dans cette « dissection théâtrale ». Que cache cette maison située à l’orée d’une forêt, où une femme fatiguée a été invitée à entrer ? Dans une mise en scène hybride, entre gestes chorégraphiques, récits, images ou interviewes se succèdent diverses formes du mal, issues de nos cauchemars, de l’Histoire, des contes de fées ou bien réelles… Frissons garantis. J.D.

Dunkerque, 22 > 24.02, Le Bateau Feu mar : 20h • mer & jeu : 19h, 9€, lebateaufeu.com Armentières, 26.02, Le Vivat, 20h, 18 > 2 €, levivat.net

© Julien Weber Focus (Vérino) Ce n’est pas le plus célèbre des humoristes, mais pas le moins talentueux. En témoigne Focus, troisième one-man-show sous forme de mise au point sur sa vie de père de trois enfants, la quarantaine plus ou moins bien vécue (avec les poils dans les oreilles façon « maître Yoda ») et sur l’état du monde. « Écolo ceinture blanche », le stand-upper nous livre en prime quelques conseils pour sauver la planète : « Je suis plutôt dans la filière économie de l’eau : je fais pipi dans la douche ». Ça coule de source !

Lille, 01.02, Théâtre Sébastopol, 20h30, complet ! La Louvière, 19.02, Le Théâtre, 20h, 35 > 15€, cestcentral.be Roubaix, 07.04, Colisée, 20h30, 39 > 10€, coliseeroubaix.com

L’étudiante et monsieur Henri

(Ivan Calbérac / Alexis Goslain et Sandra Raco) À 78 ans, monsieur Henri vit seul dans son appartement parisien, au grand dam de son fils Paul, inquiet pour lui. Le vieux grigou accepte alors de louer une pièce à une étudiante, Constance. Loin de tomber sous le charme de la jeune femme, l’irascible septuagénaire va se servir d’elle pour semer le chaos et se débarrasser de sa bellefille : il lui offre six mois de loyer si elle accepte de séduire son grand dadais de fils… Signée Ivan Calbérac, cette comédie décapante rassemble toute la famille, pour le meilleur et pour le rire.

Bruxelles, 02 > 27.02, Théâtre royal des Galeries, 20h15 (matinée : 15h), 26 > 10 €, trg.be

Phèdre

(Racine / Brigitte Jaques-Wajeman Cie Pandora) Phèdre, seconde femme de Thésée, roi d'Athènes, éprouve des sentiments interdits pour Hippolyte, le fils de son époux qui, lui, jette son dévolu sur Aricie, l’héritière d’une famille ennemie… Dans cette fameuse pièce aux 1654 alexandrins, Racine décrit le surgissement de l’amour et les ravages causés par le désir. Signée Brigitte Jaques-Wajeman, la mise en scène se déploie dans un décor rappelant un tableau de Rothko, tandis que Raphaèle Bouchard incarne une héroïne lentement consumée par la passion.

Calais, 04.02, Grand Théâtre, 20h30, 16>5€ spectacle-gtgp.calais.fr

Lamenta (Koen Augustijnen & Rosalba Torres Guerrero / Siamese Cie) Connaissiez-vous le "miroloï " ? C’est un rite mortuaire séculaire pratiqué en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce, non loin de l’Albanie. Fascinés par ces formes traditionnelles de danse et de musique, Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero s’en emparent pour les mêler au jazz et au rock, dressant un pont entre passé et présent. Sur scène, neuf interprètes donnent littéralement corps à la lamentation, partagent leurs douleurs, dans une allégorie de la résilience.

© ABACA

effrontée (Cristiana Reali & Antoine Mory) Camille est invitée à prendre la parole sur Simone Veil à la radio. Au fil de l’émission, des souvenirs personnels et des enregistrements de la femme politique s’entrelacent, au point qu’une conversation voit le jour, comme un dialogue entre les générations… L’ancienne ministre de la Santé iconique est ici incarnée par Cristiana Reali, qui s’appuie sur son autobiographie, Une Vie, pour retracer les combats politiques et familiaux d’une personnalité, sinon engagée, effrontée.

Douai, 21.02, Théâtre municipal, 20h30, 41 > 20€, ville-douai.fr

Iliade & Odyssée

(Pauline Bayle / Cie À Tire-d’Aile) Actrice, autrice, Pauline Bayle est aussi une dramaturge audacieuse. Elle adapte ici les deux poèmes millénaires d’Homère. Dans Iliade, elle retourne les archétypes de genre exaltés par le texte, offrant à des comédiennes les rôles d’Achille et d’Hector. Dans Odyssée, sa mise en scène sobre et puissante dépeint un Ulysse de retour à Ithaque, mais en proie aux doutes après 20 ans d’errance… Une épopée venue du fond des âges, mais remise au goût du jour avec grâce.

Béthune, 22 > 26.02, Le Palace (La Comédie), 20 > 6 €, www.comediedebethune.org Iliade : mar & mer : 20h • sam : 16h Odyssée : jeu : 20h • ven : 18h30 • sam : 18h Uccle, 31.03 & 01.04, centre culturel, 20h, 25>13 €

L’Homme d’habitude

(Les Blérots de R.A.V.E.L. Compagnie Vilcanota) Sept musiciens et chanteurs (les Blérots de R.A.V.E.L.) rencontrent quatre danseurs de la compagnie Vilcanota. Résultat ? Un grand moment de lâcher-prise… mais réglé au millimètre. Orchestré par Bruno Pradet, ce concert chorégraphié (et résolument rock) réunit ainsi un batteur déjanté à la poursuite de ses cymbales ou des spéléologues lancés dans une logorrhée surréaliste. Un drôle de ballet acoquinant musique et danse, sur fond de ronds de fumée et de ballets de lucioles !

Béthune, 25.02, Théâtre municipal, 20h30 22 > 11 €, theatre-bethune.fr

Shazam (Philippe Decouflé / Compagnie DCA) Créé en 1998, ce spectacle avait marqué l’histoire de la compagnie DCA et révélé au monde l’imagination débridée de Philippe Decouflé, entre danse, cirque, théâtre ou même cinéma – en l’occurrence celui de Méliès. Plus de 20 ans après, la magie est intacte. Hommage au septième art, aux trucages visuels et réflexion sur le pouvoir de l’image, Shazam (soit "abracadabra" en anglais) alterne pyramides humaines époustouflantes, jeux de miroirs et illusions d’optique. Show devant !

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