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Thierry Lodé

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EXPOSITION

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BÊTES DE SEXE

Entretien avec Thierry Lodé

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Ils font l’amour comme des bêtes, mais pas n’importe comment. Qu’on se le dise, les animaux ne sont pas guidés par un désir incontrôlé de répandre leurs gènes sur Terre pour sauver leur espèce. Non, simplement ils prennent leur pied, et cela depuis leurs premiers ébats dans l’océan primitif. Auteur d’une étonnante Histoire naturelle du plaisir amoureux, entre

autres essais iconoclastes, Thierry Lodé balaie quelques idées reçues sur la vie très intime de la faune – et donc, quelque part, la nôtre. De l’art de se masturber chez les dauphins à l’extase du poulpe, en passant par les étreintes saphiques des gorilles, ce professeur d’écologie évolutive nous démontre que sexualité ne rime pas forcément avec reproduction, et comment le plaisir aiguillonne l’évolution et la biodiversité. Let's talk about sex ! Propos recueillis par Julien Damien

Longtemps, on a pensé que le plaisir sexuel était l’apanage des seuls humains. Serait-ce donc faux ?

Oui, d’ailleurs beaucoup de chercheurs nous assurent, encore aujourd’hui, que les espèces animales ne ressentent rien et qu’on peut les traiter comme de vulgaires machines à produire des protéines. Or, l'orgasme a été mis en évidence chez des tas d'espèces, du rat au lion, en passant par la mouche !

Pourquoi a-t-on si longtemps nié le plaisir chez les animaux ?

C'est sans doute une question morale. Le comportement animal a généralement été observé sous le prisme des normes établies par les grandes religions. Dans certains pays, on s’interroge encore sur le droit au plaisir pour les femmes, alors les animaux…

Et puis, durant longtemps on s’est penché sur la sensibilité animale à l'envers : on a d'abord cherché à comprendre ce qui pouvait leur faire du mal, découvrant qu’ils souffraient aussi, ce qui gêne toujours un peu les humains lorsqu'ils se préparent un steak. Enfin, ça ne sert pas à grand-chose de savoir qu'un animal jouit, ce n'est pas de la recherche appliquée.

Quand et comment est apparu le plaisir dans le monde animal ?

Dès la constitution des premiers centres nerveux, chez des espèces très archaïques. L'orgasme n'est pas autre chose qu'une affaire de glandes. Les animaux ont d’abord appris à libérer leurs gamètes à travers ce début d'excitation. Ressentaient-ils déjà un grand plaisir ? C'est difficile à dire. Ensuite, on a assisté à une évolution des modes de reproduction, et ça a changé pas mal de choses…

En quoi ?

Au fil du temps, les espèces animales ont réduit leur capacité à se reproduire. Passant de millions d’œufs chez le poisson à un seul rejeton tous les trois ou quatre ans chez l’éléphant, par exemple. C’est l’apparition de la viviparité, donc la fécondation interne. L’énigme de l’orgasme découle sans doute de cette réduction drastique de la progéniture. Les espèces ont compensé la diminution de leur lignage en multipliant les relations sexuelles. Les animaux se reproduisent donc moins mais s’accouplent plus, car ils ressentent de plus en plus de plaisir à le faire. •••

« L'orgasme a été mis en évidence chez des tas d'espèces. »

Ils sont mignons... mais sacrément pervers. Les manchots d'Adélie peuvent s'adonner à la pédophilie, voire à la nécrophilie.

Le plaisir motiverait donc cette évolution ?

Tout à fait. Le surgissement de la viviparité s’accompagne de l’apparition d'organes reproducteurs. C’est la guerre des sexes ! Chacun poursuit des objectifs différents.

« La chauve-souris est fan de fellation ou de cunnilingus. »

Le mâle aura intérêt à copuler avec le maximum de femelles alors que celles-ci n'auront pas plus de petits en multipliant les partenaires. Ce conflit a des effets biologiques, vérifiables concrètement. Les femelles vont réclamer aux mâles une cour exagérée, voire les inciter à la monogamie afin qu’ils restent auprès d’elles pour s’occuper du nid.

Tout cela aurait même des effets sur la physionomie des organes sexuels…

Oui, la taille du pénis dépend de l’intensité du conflit entre les mâles et les femelles. Les canards argentins, recordmen de la discipline, sont par exemple pourvus d’un organe spiralé de 30 cm, plus grand que leur propre corps, car ils sont très coercitifs dans la relation. En réponse les femelles ont développé un vagin en forme de labyrinthe qu’elles peuvent boucher à certains endroits pour ne pas être fécondées si elles refusent un partenaire. Les humains sont eux dans une forme de conflit assez

moyen, un homme d’un mètre 80 étant doté en moyenne d’un sexe de 13 à 14 cm...

Chose étonnante, vous dissociez la reproduction de la sexualité. Pourquoi ?

À bien y regarder, le sexe complique terriblement la reproduction. Déjà, il faut trouver un partenaire, le choisir selon son âge, sa disponibilité sexuelle... Débute alors la séduction, activité s'il en est très incertaine. Lorsque l'acte se produit enfin, on ne transmet que la moitié de nos gènes, sans parler de la fécondation, qui n’a pas lieu à chaque fois, il faut recommencer... Donc si l’objectif de la sexualité, c'est la reproduction, l’évolution s’est complètement plantée. Regardez le fonctionnement des bactéries, elles se coupent en deux et c’est terminé !

Les animaux peuvent aussi pratiquer la chose sans but reproducteur...

Oui, dans la savane africaine on trouve par exemple un petit oiseau, l'alecto à bec rouge, pourvu d'un pseudo-phallus inutile à la reproduction, et servant uniquement au plaisir de la femelle. Beaucoup d'autres espèces fonctionnent de la sorte.

À vous lire, tous les goûts sont dans la nature, d'ailleurs ?

Oui. Les sexualités animales sont plurielles. On sait que la chauvesouris est par exemple fan de fellation ou de cunnilingus… En fait le problème est inverse : on ne connaît pas d'espèces qui ne pratiquent pas quelque chose. Les dauphins se masturbent en utilisant des éponges de mer, les hérons se frottent sur des touffes d’herbe, s’en servant comme de sextoys ! Ils ne pensent qu’à ça, et pas seulement pour répandre leurs gènes...

Quelles seraient les rois et les reines de l’orgasme chez les animaux ?

Les serpents sont capables de s’unir durant 24 h. Les léopards peuvent s’accoupler jusqu’à 150 fois en une journée, tout comme les bonobos. Toutefois, cette sexualité exacerbée n’est pas toujours recommandable. Certains sont aussi de véritables dépravés, comme les éléphants de mer ou même les petits manchots d’Adélie, s’adonnant à la pédophilie et la nécrophilie…

« Les léopards peuvent s’accoupler 150 fois en une journée. »

À lire / Histoire naturelle du plaisir amoureux, Thierry Lodé (Odile Jacob), 336 p., 22,90 €, odilejacob.fr Tous les sexes sont dans la nature, Thierry Lodé (humenSciences), 256 p., 18 € www.humensciences.com À lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com

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