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VENDREDI 7 DÉCEMBRE 2012

FORUM ILE-DE-FRANCE

VILLES

Photographies IMMO KLINK

SUR TOUTE LA LIGNE


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LIBÉRATION VENDREDI 7 DÉCEMBRE 2012

FORUM ILE­DE­FRANCE

DIX-HUIT MOIS EN ILE-DE-FRANCE Par NICOLAS DEMORAND et PIERRE HIVERNAT Voilà plus de quatre ans que Libération organise régulièrement des débats d’idées. Sporadiquement, l’actualité aidant, la banlieue y a été traitée, de manière tendue, parfois tragique et puis souvent oubliée. Tous les constats ont été faits, tous les grands discours tenus,

surtout en période électorale. Alors, comment réellement rendre compte de la vie de 15 ou 20 millions de citoyens destinés à partager un même territoire, autrement qu’à travers l’unique prisme d’analyses, de statistiques et de chiffres hétérogènes? Tout simplement en occupant le terrain, en prenant le temps d’observer, de rendre compte d’histoires de Franciliens. Pour comprendre, il nous a

paru important de prendre le temps de parcourir ces territoires. Prendre le temps aussi d’observer les bonnes pratiques éprouvées à l’étranger. Aux grands territoires et problématiques complexes, les grands moyens. Cinq villes vont accueillir le Forum Ile­de­France: Nanterre, Bobigny, Vitry­sur­Seine, Paris et Marne­la­Vallée. Le parcours prendra dix­huit mois et a pour ambition de

donner à voir, à lire, à écouter pour plonger dans la prospective et se faire une idée la plus précise possible des options qui orienteraient le paysage francilien à horizon 2030. Pour nous accompagner, la région Ile­de­France qui travaille sur son schéma directeur, et la BNP Paribas, l’un des trois premiers employeurs d’Ile­de­ France, nous donneront l’occasion d’appréhender d’autres éclairages.

RER A

TRAIN-TRAIN FRANCILIEN

Colonne vertébrale est-ouest de l’Ile-de-France, la ligne transporte un million de passagers par jour sur 109 kilomètres de paysages urbains, entre immeubles haussmanniens, pavillons et cités-dortoirs. Par ALICE GÉRAUD Photos IMMO KLINK

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n matin de 1969 à BoissySaint-Léger: le 14 décembre, l’ORTF retransmet l’inauguration du premier tronçon du réseau express régional, que l’on ne désigne pas encore par son sigle. Cette première tranche ne relie pour l’instant que la ville de Boissy-Saint-Léger, dans le Val-deMarne, à Nation, dans le XIIe arrondissement de Paris. Un reportage dans la rame montre ses usagers: des hommes qui portent chapeau et peu de femmes. Promesse d’un «changement de vie» pour «des milliers de banlieusards». Les images s’attardent sur la station futuriste de Nation, qui donne le ton de ce changement. Mais il faudra attendre huit ans, le 8 décembre 1977, pour que la ligne devienne la colonne vertébrale est-ouest de la capitale et prenne le nom de RER A. Ce jour-là, dans le JT spécial de Roger Gicquel, un fringuant Michel Chevalet fait le trajet chronomètre en main et superlatifs en bouche. Il part de La Défense, dans les Hauts-de-Seine, pour rejoindre Marne-laVallée, en Seine-et-Marne. «Nous sommes à 100 à l’heure et effectuons la traversée de Paris en un temps record !», «le miracle du RER!» Sur le plateau, Roger Gicquel parle

d’une réalisation «sans équivalent dans le monde». Il n’avait pas tort. Aujourd’hui, les 109km du RER A sont devenus l’une des lignes de transport en commun les plus fréquentées de la planète. Ce que Cyril Condé, le directeur actuel, appelle «une ligne millionnaire». En semaine, cet axe qui amène les habitants de l’est vers les emplois de l’ouest dépasse le plus souvent le million de voyageurs par jour. Record encombrant : la ligne est depuis dix ans totalement saturée.

8h30

Nation, un jour de semaine, novembre 2012 En direction de l’ouest (Paris-centre et le quartier d’affaires de La Défense), l’immense quai est noir de monde. Une rame arrive. Un flot dense descend à l’ouverture des portes, un autre s’engouffre à l’intérieur. La rame semble ridicule au regard de la foule qui attend. Depuis sa cabine, le conducteur demande aux passagers de s’écarter pour que les portes puissent se refermer. Avec plus ou moins de succès. Le RER va commencer à prendre quelques secondes de retard à Nation, donc plusieurs minutes quelques stations plus tard. «On ne se rend pas compte lorsqu’on est dedans, mais, aux heures de pointe, les trains sont les uns derrière

les autres dans le tunnel. Le moindre problème peut créer un énorme blocage», explique Cédric Gentil, 32 ans, l’un des 500 conducteurs de la ligne – et auteur d’un blog sur Libe.fr. L’un des problèmes, selon lui, c’est la communication. Grand adepte de Twitter, Cédric Gentil fait partie de ces agents, de plus en plus nombreux, qui se servent de leur compte personnel pour informer les usagers des pannes, retards, etc. Il appelle les petits incidents «les grains de sable», minuscules événements capables d’enrayer une gigantesque mécanique. Exemple:«Le classique: un signal d’alarme intempestif, c’est pour nous, en moyenne, quatre minutes d’intervention. En heure de pointe à La Défense, cela déclenche une série de retards sur l’ensemble de la ligne. Une heure plus tard, il y a des conséquences sur la voie d’en face.»

Midi

Le Vésinet­Le Pecq Une bande de «d’jeunes» de banlieue s’affalent bruyamment sur la partie haute de la rame, quasiment vide, en provenance de Saint-Germain-en-Laye. Ils font partie de ces groupes dont on parle finalement assez peu : des étudiants qui portent la chevelure exubérante caractéristique des jeunes gens bien nés. Par la fenêtre, le paysage dessine une réalité sociale à mille lieux de ces banlieues

qui préoccupent tant. D’énormes bâtisses bourgeoises aux jardins soignés. Entre les maisons, des parcs qui ressemblent à ceux de Londres. Dans les rues, des voitures haut de gamme. En se rapprochant de Paris, ces signes extérieurs de richesse s’estompent peu à peu. Entre Rueil-Malmaison et Nanterre, l’habitat commence à laisser place aux immeubles de bureaux avant que la rame ne plonge sous les tours de La Défense et sous Paris. Le RER ne ressortira qu’à Vincennes, de l’autre côté de la capitale. Les étudiants descendent à Châtelet.

14h20

Nanterre­Préfecture Bruno Papillon, 50 ans, conducteur de la ligne A, prend son service dans cette gare des Hauts-de-Seine. Un nœud important sur cette ligne, celui de l’interconnexion entre RATP et SNCF. Au-delà de Nanterre, les branches qui mènent à l’ouest vers Cergy (Val-d’Oise) et Poissy (Yvelines) sont en effet exploitées par l’entreprise de chemins de fer. Seule la branche ouest historique, celle qui va jusqu’à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), est une ligne 100% RATP. Ce jour-là, Bruno Papillon prend donc la suite d’un collègue de la SNCF. Les chauffeurs ont quelques minutes pour échanger leur poste en cabine. Il pose méticuleusement sa feuille de route

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17 heures

La Varenne­Chennevières Le RER est sorti du tunnel parisien depuis un moment, direction Boissy-Saint-Léger. Il a longé les bords de Marne et ses belles maisons début XXe siècle. Déposé une bonne partie de ses voyageurs à Champigny. Il en reste encore plusieurs dizaines par voiture, mais tous doivent descendre à La Varenne: un sous-terminus au milieu de nulle part. Dans un froid glacial, ils devront attendre quinze minutes le train suivant. Aujourd’hui, aux heures de pointe, un train sur quatre en direction de l’est ne va pas jusqu’au terminus historique de la ligne, ce qui suscite la colère des habitants et des élus des communes concernées. En octobre 2011, ils étaient plusieurs centaines à manifester pour demander l’arrêt systématique en gares de Sucy-Bonneuil et de Boissy-Saint-Léger.

19heures Val­de­Fontenay.

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Rames bondées et corps à corps… En direction de Marne­la­Vallée, le nombre de voyageurs a augmenté de 20% en dix ans. s’oppose à la mise en mouvement du train». Aujourd’hui, Bruno Papillon conduit la Rolls des rames: le MI09, la dernière génération d’Alstom, mise en service en décembre 2011 et qui devrait, d’ici 2017, progressivement remplacer toutes les autres: les MI84 et MS61 qui, pour certaines, roulent depuis l’ouverture de la ligne. Pour l’instant, les MI09 sont affectées aux heures de pointe en priorité. Longues de deux

fois 112 mètres, elles permettent de faire monter 2 600 passagers. L’augmentation des capacités représente le gros morceau du schéma directeur pour le développement de la ligne A. Mais l’investissement, 2 milliards d’euros, a fait l’objet d’un rapport très critique de la Cour des comptes, estimant que la facture d’Alstom était un peu salée et la RATP peu regardante sur le prix.

Depuis Nation, dernière station de Paris intra-muros, plus personne n’a réussi à monter dans la rame, bondée. Ceux qui restent à quai prennent des mines qui oscillent entre exaspération et résignation. Ceux qui ont la chance de pouvoir rentrer dans le corps à corps stationnaire à l’intérieur de la rame affichent des visages impassibles. Regards vides et détachés qui coupent court à la proximité incongrue des êtres. Les plus à l’aise, dans un mouvement aguerri de contorsion de l’avant-bras, tripotent leur smartphone. Parfois, ceux-là sourient. Ils ont quitté l’irrespirable espace le temps d’un SMS. Après Vincennes, l’habitat va se dédensifier très lentement. A partir de Neuilly-Plaisance, la rame va commencer, station après station, à se vider. Les corps se desserrent. Mais l’impatience gagne. Par la fenêtre, plongé dans la nuit, le paysage urbain se desserre lui aussi très progressivement et un peu aléatoirement. En poussant vers l’est, le RER semble remonter le temps. La première couronne alterne paysages de ville avec immeubles haussmannien et pavillons cossus ou ouvriers, selon les quartiers. Plus loin, à partir de Noisy-le-Grand, s’étale le résultat de l’aménagement urbain planifié à partir des années 60 autour des villes nouvelles, comme Torcy et les grands ensembles des années 70 et 80. Plus loin, encore, les zones pavillonnaires. Enfin, les dernières phases de développement, la zone commerciale du Val-d’Europe et Marne-la-Vallée, dont la particularité est d’être davantage un axe qu’une ville, et où descendent, aux heures creuses, des touristes à enfants destination Disneyland. Sur cette branche ChessyMarne-la-Vallée, le nombre de voyageurs a augmenté de 20% en dix ans. C’est, reconnaît Cyril Condé, le directeur de la ligne, la plus grosse difficulté à gérer depuis le milieu des années 2000. Et l’origine de la saturation actuelle de la ligne. Dans cet est parisien, le RER court après l’urbanisme galopant qu’il était censé précéder. •

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devant son tableau de bord. D’un format A4, elle fait un peu old fashion au milieu des écrans digitaux qui donnent des informations incompréhensibles au commun des mortels. Avant de démarrer à l’aide de boutons poussoirs, le conducteur a les yeux vissés sur ses écrans contrôles, sorte de rétroviseurs vidéo qui balaient le train. Dans les vieilles rames, il faut utiliser le miroir au début du quai. Il vérifie que «rien ne

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*Distances calculées à partir de la station Châtelet-les-Halles


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«MÉTISSÉS, FATIGUÉS ET ABSORBÉS PAR LEUR ÉCRAN» Né en 1972 en Allemagne, Immo Klink, photographe, vit à Londres. A la demande de Libération, il a arpenté l’Ile­de­France pour ce supplément. Impressions. «J’ai passé six jours à Paris et le seul tourisme que j’ai fait a consisté à apercevoir l’Arc de Triomphe depuis La Défense! Mais, plus sérieusement, le RER m’a donné un sentiment

très différent de ce qu’on ressent dans le métro. Le mélange des gens, de leurs styles dans le RER me faisait penser que c’est ça, le nouveau Paris: brut de décoffrage, souple, fatigué, métissé. Venant de Londres, où le portable ne fonctionne pas dans le métro, j’ai été stupéfait par le nombre de gens qui étaient totalement absorbés par leur écran.

Je ne dis pas que les trajets quotidiens sont une partie de plaisir et d’occasions de rencontres, mais je vois quand même avec un peu de mélancolie cet isolement dans une bulle. Des conversations avec les Parisiens, j’ai retiré l’impression qu’il y avait beaucoup de préjugés à l’égard de la banlieue et vice­versa.»


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La Défense Grande Arche

200 m

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u milieu de la forêt glaciale des hautes tours de verre de La Défense, un bout de rideau s’échappe parfois d’une fenêtre, une antenne satellite rouille sur un balcon, un bac à fleurs vient colorer et perturber ce monde lisse et miroitant de parois vitrées. Petits signes extérieurs de vie rappelant que le plus gros quartier d’affaires européen est aussi un lieu d’habitation. «Les gens de l’extérieur, ceux qui travaillent ou qui viennent faire leurs courses au centre commercial n’imaginent pas que des gens vivent ici. Nous sommes fondus dans ce grand ensemble. Cela peut paraître triste, même effrayant au départ, mais cet anonymat fait aussi partie des charmes de ce quartier qui ne ressemble à aucun autre», décrypte Anne Guillot, ex-Parisienne installée ici depuis peu, à La Défense, devenue une inconditionnelle de ce quartier entièrement piéton situé à dix minutes en métro des Champs-Elysées. Plus de 10 000 personnes vivent sur cette dalle où sont plantées la majorité des tours. Près de 20000 sur l’ensemble du quartier de la Défense. Une population assez mixte, répartie entre immeubles sociaux, accession à la propriété et plus grand standing. En minorité face aux 160000 salariés qui viennent chaque jour s’engouffrer dans les tours de bureaux, cette population devrait croître de manière significative dans les années à venir. Car le quartier de La Défense cherche un second souffle. Le dernier plan de relance du quartier, signé en 2006 par Nicolas Sarkozy, prévoyait de rénover les tours obsolètes et de continuer à construire toujours plus de surfaces de bureaux. Sauf que ce modèle économique, qui s’appuie principalement sur la vente de droits à construire, s’est depuis «cogné à la réalité», résume le conseiller

général socialiste de la Défense JeanAndré Lasserre. La crise a réduit la demande, les coûts d’aménagement et de construction ont augmenté devenant parfois supérieurs aux fameux droits à construire. Les places sur la dalle sont devenues rares. Dans le même temps, La Défense a commencé à connaître un problème structurel: il y a désormais d’autres pôles d’attractivité dans le Grand Paris et les entreprises ont tendance à bouder des tours qui ne correspondent plus forcément à leurs moyens et à leur organisation de travail. Certaines désertent, comme SFR, qui s’apprête à abandonner la tour Séquoia pour rejoindre le nouveau quartier de la Plaine Saint-Denis, au nord de Paris. L’établissement public qui gère La Défense, l’Epadesa (ex-Epad rendu célèbre par les velléités d’un certain Jean Sarkozy à vouloir le présider) connaît de graves avaries. La cour des comptes doit remettre très prochainement son rapport sur la gestion de l’établissement public entre 2006 et 2011. Un prérapport publié par le Monde en octobre, faisait état de «dérives» et s’inquiétait de la pérennité financière de l’établissement, trop «optimiste» sur ses rentrées d’argent. Au bord de la banqueroute, La Défense n’est plus la poule aux œufs d’or des décennies passées. Pour les – rares – élus locaux de gauche de cet ouest parisien, berceau de la sarkozie, l’idée de réintroduire de la vie dans ce quartier voué corps et âme au business, est désormais la seule issue raisonnable en terme de développement. Une vision qui préside également au schéma directeur de la région Ile-deFrance pour corriger la monofonctionnalité de cet espace et réintroduire sur ce pôle ouest parisien un équilibre social et économique.

«L’audace: la présence humaine» «Les logements, c’est l’originalité de La Défense, sa modernité. Il faut rajouter des habitants, construire du logement abordable, du logement étudiant. L’audace aujourd’hui, c’est de la présence humaine», martèle le conseiller général Jean-André Lasserre. Cette idée est très largement partagée et défendue par Patrick Jarry, le maire (divers gauche) de Nanterre, vaste commune populaire sur laquelle La Défense poursuit son développement aujourd’hui. Initialement, le quartier d’affaire, projet d’intérêt national des Trente Glorieuses, était princi-

HAUTS-DE-SEINE

A cheval sur les communes de Puteaux, Courbevoie et Nanterre, le quartier d’affaires se cherche un second souffle. Ses habitants espèrent le réinvestir.

LA DÉFENSE


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Plus de 10000 personnes vivent sur cette dalle. En minorité face aux 160000 salariés qui viennent chaque jour s’engouffrer dans les tours. palement contenu sur les communes de Courbevoie et Puteaux, côté Neuilly-Paris. Faute de place, son avenir se joue désormais derrière, à Nanterre, toujours sur cet axe majeur et historique où s’alignent parfaitement Louvre, Concorde, Champs-Elysées, mais au-delà de la Grande Arche, l’immense voie encore partiellement en friche qui rejoint, vers l’ouest, un autre bras de la Seine. Les premières constructions, les Terrasses de l’Arche, qui commencent à s’étirer derrière la Grande Arche, donnent le ton urbanistique de ce que sera ce futur en rupture avec le passé: une coulée verte autour de laquelle des immeubles de faible hauteur mixent bureaux, commerces et logements. Ce projet, dit «Seine-Arche» est désormais intégré dans La Défense et sous la compétence de l’Epadesa (les lettres SA rajoutées à l’acronyme Epad signifiant Seine Arche). Le maire de Nanterre est bien décidé à casser un modèle de développement qu’il juge «dangereux». L’objectif, explique-t-il, est d’en finir

avec la «spécialisation du territoire» en trecoupés d’échangeurs routiers, est introduisant d’importants programmes encore à dessiner, les anciennes papede logements, dont 40% de sociaux. En teries de Nanterre sont à l’abandon. Il faisant aussi construire un grand équi- aimerait accueillir ici des éco-entrepripement sports et spectacles, le stade ses, une cité de l’artisanat, un centre de Arena (pour l’instant suspendu à un re- formation… cours), qui permettrait de faire vivre A 3 kilomètres de là, sur la dalle, au La Défense le soir et le week-end et cœur historique de La Défense, on est d’attirer dans ce quartier d’autres per- encore très très loin de ce genre d’apsonnes que celles qui viennent y tra- proche. Pour l’instant, les projets, ce vailler. Ce qui avait déjà commencé à être initié «Je suis venu m’installer ici par attrait avec l’ouverture, il y a pour cette architecture, mais je refuse trente ans, du gigantesque centre commercial le choix économique consistant à construire n’importe quoi.» des Quatre Temps. Le maire a même une Jean­Pierre Innoncente de l’association Village autre idée en tête, assez décalée avec l’état d’esprit qui présidait sont encore et toujours des tours. Au jusqu’ici à La Défense mais en phase grand dam des habitants dont un ceravec l’air du temps politique: réindus- tain nombre ont le sentiment d’être satrialiser ce territoire ou, à tout le moins, crifiés au nom d’une folie des grandeurs remettre un peu de production à côté du qu’ils estiment économiquement suicitout tertiaire. Sur les bords de Seine, daire. Deux gigantesques projets focalitout au bout de l’axe Seine-Arche, là où sent leur colère: les tours Hermitage et le paysage, fait de terrains vagues en- la tour Phare. «Le problème c’est qu’en tant qu’habitants, nous n’avons pas vraiment d’interlocuteurs à La Défense. Les communes de Courbevoie et de Puteaux renvoient à l’Epadesa. Et l’Epadesa ne s’intéresse qu’à vendre ses surfaces. Tout est très opaque», explique Claire Augier, habitante de la dalle et présidente de l’association Vivre à La Défense, qui s’oppose au projet Hermitage.

«La tour de trop» Claire Augier a, par exemple, découvert le projet des tours Hermitage… en regardant le journal télé. Une présentation en images de synthèse qui montrait deux flèches de verre de 323 mètres signées par l’architecte britannique Norman Forster, s’élevant vers le ciel depuis la partie nord-est de la dalle de La Défense. La partie dite des «Damiers», du nom de la résidence où vivent plusieurs centaines d’habitants, dont elle. «On était rayés du schéma. A La Défense, au nom de l’argent, on fait disparaître les habitants», dénonce Claire Augier. L’association a multiplié les recours pour empêcher le projet Hermitage. Une histoire de pot de terre et de pot de fer. L’investisseur russe, promoteur des tours, réclame désormais 8 millions d’euros à l’association pour procédure abusive. Délicate invitation à quitter les lieux, les immeubles des Damiers ne sont plus entretenus depuis des années. Dans celui de Claire Augier, une odeur prégnante d’excréments a envahi depuis des années le hall d’entrée à cause d’une fuite non réparée. Les appartements libérés ne sont plus reloués. Devant Les Feuillantines, brasserie dont le principal intérêt était la terrasse surplombant la Seine, de hautes et opaques palissades ont été installées, bouchant parfaitement la vue. Quelques centaines de mètres plus loin, entre le Cnit et le quartier résidentiel

EN RÉSISTANCE

des Faubourg de l’Arche, le projet de tour Phare, 297 mètres «organiques» conçus par l’architecte Thom Mayne, suscite une colère similaire. Jean-Pierre Innoncente, cadre commercial retraité, fait partie des habitants en résistance au sein de l’association Village (créée il y a plus de vingt ans lorsque l’extension de La Défense menaçait, déjà, des pavillons ouvriers voisins de Courbevoie). Il ne se dit «pas hostile aux tours» mais «hostile à un projet» qu’il qualifie de «nuisible», «dangereux», «pas rentable» et finalement «très sarkozyste». «Je suis venu m’installer à La Défense par choix, par attrait pour cette architecture, cette verticalité, mais je refuse le choix économique consistant à construire n’importe quoi, sans se soucier des conséquences pour le quartier.» Pour André Fessy, le président de l’association Village, retraité qui a travaillé pendant quinze ans à la gestion des immeubles d’habitation de La Défense, et a vu «la place des habitants se rétrécir de plus en plus», la tour Phare est «la tour de trop».

La vie sur dalle Paradoxe de ces habitants en colère, tous sont très attachés à leur quartier et à sa singularité, fervents défenseurs de l’urbanisme de dalle, où le piéton est roi et les voitures cachées en sous-sol. Corinne Guéronnet, 55 ans, arrivée à l’âge de 13 ans aux débuts du quartier, n’imagine pas vivre ailleurs. Elle parle d’une forme de «modernité» qui va, selon elle, au-delà de l’architecture. Karim Larnaout, informaticien, qui vit côté Courbevoie résume ainsi ce sentiment : «On a un rapport ambigu à La Défense. Comme un miroir, aussi attrayant que répulsif. Il y a une vie agréable, sans délinquance. Mais c’est aussi une ville où règne l’argent et qui ferme en fin de journée.» Depuis 2009, a été créé Defacto, un établissement public chargé de gérer et d’animer les espaces publics de La Défense (actuellement présidé par Patrick Devedjian). Vaste chantier. Car, l’Epad, occupé à construire ses tours, ne s’était jusqu’ici que peu préoccupé de ces espaces particulièrement chers aux habitants. Un détail: il n’y avait, par exemple, pas de mobilier urbain dans le quartier. L’enjeu est aujourd’hui de rénover les parties dégradées de la dalle et de réintroduire de la vie en dehors des heures de bureau. Pour l’instant, les restaurants ferment à 18 heures. Le concept de commerce de bouche ou de proximité est inexistant. Aujourd’hui, Defacto tente de créer une communauté d’habitants en organisant régulièrement des «forums défensiens». Car beaucoup ici ne sentent pas vraiment citoyens de Courbevoie, de Puteaux ou de Nanterre mais de cette ville qui n’en est pas une, celle de La Défense. ALICE GÉRAUD


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À POISSY,

LA COUDRAIE CITÉ RÉHABI(LI)TÉE Les habitants sont mobilisés pour redonner vie et moyens aux immeubles voués à la démolition et bâtir un avenir à ce quartier des Yvelines. Objectif 2014.

L

a Coudraie est une petite cité HLM constituée de quelques barres décaties aux trois quarts vides, perdue aux confins de l’ouest parisien. Une sorte d’excroissance urbaine malheureuse de la ville de Poissy (Yvelines), coincée sur un plateau entre deux autoroutes et des terres agricoles, séparée de Poissy par un vallon forestier. Le terminus de la ligne A du RER est à plus de 3 km au-delà de ce vallon. Paris à 25 km. Il y a encore quatre ans, ce quartier délaissé par les pouvoirs publics était parti pour être rayé de la carte, ses immeubles rasés et ses habitants dis-

persés comme des moineaux vers d’autres cités dans les environs. Car l’ancien maire de Poissy avait d’autres projets : libérer ici du foncier pour un hôpital, afin de pouvoir installer un peu plus loin l’un des plus grands centres commerciaux d’Europe. Aujourd’hui, La Coudraie est toujours debout et est en passe de devenir un projet exemplaire de rénovation urbaine. Réussissant notamment là où ces grands programmes lancés en 2003 par JeanLouis Borloo pêchent si souvent : l’adhésion et la participation des habitants. A La Coudraie –c’est une première en France–, les habitants ont été of-

ficiellement intégrés au comité de pilotage décisionnaire du projet. La convention signée entre l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), la commune de Poissy, l’Etat, les bailleurs sociaux et les maîtres d’ouvrage prévoit que les habitants soient «intégrés comme partenaires à part entière». Ils participent à toutes les phases d’élaboration du projet, aux commissions de relogement, donnent leur avis sur le choix des démolitions, des futurs équipements et commerces, etc. Dans la convention, il est question de «réappropriation du projet» par ceux qui y vivent. Une réappropriation qui avait

Poissy

La Coudraie

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Pour l’instant, la vie des habitants de la Coudraie et de leur porte­ parole Mohamed Ragoubi (en bas) n’a pas encore changé. Mais ils sont «intégrés comme partenaires à part entière» du projet de rénovation.

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roge les habitants sur ce fameux jour, ils ne manquent jamais de replacer l’anecdote. Ils ne se font pas non plus prier pour raconter les visites de Masdeu-Arus dans le quartier, «avec ses chiens et sa police municipale». Le maire avait un temps fait croire qu’il mènerait ici un projet de renouvellement urbain et avait d’ailleurs déposé un dossier à l’Anru. Vite enterré. «En fait, il avait laissé le quartier se dégrader et se vider depuis la fin des années 90. Le bailleur avait commencé à ne plus trop relouer les appartements vacants», raconte Mohamed Ragoubi.

«Les habitants, des gens compétents»

Ragoubi. En 2008, dans ce quartier qui ne votait pas, huit membres du collectif d’habitants ont intégré l’équipe municipale. La Coudraie aujourd’hui est un projet de plus 80 millions d’euros, financé à hauteur de 23 millions par l’Anru, entre 11 et 15 millions par la ville, 10 millions par le bailleur… L’enjeu, selon la convention Anru, est «la reconquête du quartier» par une amélioration du cadre et de la qualité de vie, la réintroduction de la mixité sociale, le désenclavement. Plusieurs barres ainsi que l’ancien foyer de travailleurs migrants ont déjà été détruits. Les habitants ont eu leur mot à dire sur les immeubles qui seraient démolis. Ils ont désigné les plus hauts, ceux de neuf étages. Ils ont aussi demandé à ce que les chibanis (vieux immigrés) qui vivaient dans le foyer soient relogés dans le quartier. Mohamed Bekali, par exemple, a longtemps vécu là avant de s’installer avec sa famille dans l’une des barres. Cet ancien ouvrier automobile était arrivé ici directement du Maroc, recruté en 1966 par Simca. «J’ai toute ma vie dans ce quartier, je n’ai pas envie de le quitter. Surtout qu’on a vraiment l’impression maintenant d’être comme une famille. On s’aide.» Il fait «naturellement» partie du collectif. Comme tous, il espère beaucoup de l’arrivée de commerces de proximité. Aujourd’hui, à La Coudraie, il faut théoriquement 3,60 euros et une heure pour acheter une baguette : le temps et le prix pour se rendre en bus en ville et revenir. Les habitants ont demandé une épicerie, une boulangerie. Ils ont également fait des propositions pour attirer des gens dans le quartier ou créer de l’emploi avec un restaurant, un atelier de retouches de

Comme beaucoup de cités HLM des années 60, La Coudraie avait déjà entamé une profonde paupérisation dans les années 80. Les cadres de l’usine Simca-Talbot (devenue Peugeot puis PSA) de Poissy, qui avaient constitué le gros des premiers habitants, étaient partis depuis longtemps. Mohamed Ragoubi se souvient que lorsqu’il est arrivé à La Coudraie en 2001, par le hasard d’une mutation professionnelle, il s’était juré d’en partir. «Je n’envisageais même pas que mes enfants grandissent ici.» Il est finalement resté, mais il aura été le dernier à signer un bail. Après l’annonce de 2004, la dégradation s’accélère. Les deux tiers des 608 appartements se retrouvent vides, les rares commerces ferment. En 2007, le maire porte le coup de grâce en annonçant la fermeture de l’école (trois classes seront finalement conservées). La sous-occupation génère une série de problèmes qui font plonger le quartier: dégradations, difficultés pour chauffer les immeubles, insécurité… «Les habitants ont fait comprendre aux élus Pourtant, dans le même temps, la résis- qu’il fallait s’appuyer sur eux parce qu’ils tance s’organise et une solidarité se met en place avec les 120 familles qui res- sont les meilleurs experts, ceux qui tent. «Nous avons monté un collectif pour maîtrisent le mieux les usages du quartier.» proposer une alternative à la destruction Mohamed Ragoubi porte­parole des habitants du quartier. Nous voulions montrer que les habitants étaient des gens compétents et responsa- vêtement, une crèche intergénérationnelle… Au bles. On s’est mis à travailler pour comprendre com- fond de La Coudraie, un immeuble vide est en ment fonctionnaient les dispositifs Anru. Il a fallu ap- cours de réhabilitation. Sur le chantier, des jeunes prendre pour se faire respecter», raconte Mohamed du quartier ont été embauchés. Derrière, un grand Ragoubi. Aucun des habitants n’était professionnel bâtiment jaune entièrement rénové : l’école. «Il de l’urbanisme : leur porte-parole travaille dans fallait que ce soit la première réalisation. C’est symla sécurité incendie, certaines sont mères aux bolique», explique Frédérik Bernard, le maire, qui foyers, employées, d’autres sont des ouvriers de a déjà commencé à faire venir dans l’établissement PSA, des retraités… des enfants d’autres quartiers de la ville, premier geste de mixité et de désenclavement.

«Comme une famille, on s’aide»

en réalité commencé bien avant par une incroyable mobilisation de ces habitants pour sauver leur quartier. A La Coudraie, tout le monde se souvient de ce jour de mars 2004 où l’ancien maire, Jacques Masdeu-Arus (ex-UMP), avait organisé une réunion publique pour annoncer de but en blanc que le quartier allait être entièrement démoli. «C’était très violent, raconte Mohamed Ragoubi, le charismatique porte-parole des habitants. Les gens ne comprenaient pas. Le maire s’est énervé et leur a rétorqué: je vous ramènerai un traducteur la prochaine fois.» La phrase est restée dans les mémoires comme le symbole d’un mépris et lorsqu’on inter-

L’initiative a vite reçu des soutiens à l’extérieur du quartier : élus d’opposition de gauche, l’association Droit au logement. Ils ont également bénéficié de l’expertise des élèves de l’école nationale d’architecture de la Villette, qui les ont aidés à monter un projet urbain. Dans le local du collectif où les habitants se réunissent encore tous les mardis soir, des photos et des maquettes de projets affichés aux murs témoignent de tout ce travail de réflexion et d’étude. A côté, cet énorme panneau annonçant la démolition des 49 000 m2 de La Coudraie, qui n’est plus qu’un souvenir. En 2008, Jacques Masdeu-Arus (condamné entretemps pour des affaires de corruption) a perdu la mairie face à une coalition PS-Modem qui a annulé le projet de démolition. Frédérik Bernard, le nouveau maire PS de Poissy, a repris le dossier à zéro. Ou plutôt l’a repris avec les habitants : «On a essayé de mettre en place du respect mutuel. Considérer la parole de l’autre, créer un climat de confiance. On n’est pas toujours d’accord, mais on fait en sorte de toujours parvenir à un consensus.» La mobilisation a changé le rapport à la politique. «Les gens ont compris qu’ils pouvaient décider de leur avenir. Et ils ont fait comprendre aux élus qu’il fallait s’appuyer sur eux parce qu’ils sont les meilleurs experts, ceux qui maîtrisent le mieux les usages du quartier, parce que ce sont eux qui vont y vivre», décrypte Mohamed

«Le temps, le plus difficile à gérer» Car il va falloir désormais attirer de nouveaux habitants. Parmi les premiers à avoir demandé à bénéficier des futurs logements neufs, on retrouve plusieurs anciens, qui avaient été «relogés» au rabais dans d’autres cités du département, elles aussi vouées à démolition. Mais l’enjeu, c’est surtout de réintroduire de la mixité. Sur les 800 logements prévus, 37% seront sociaux, mais le reste relèvera du secteur privé, proposé à la location ou la vente, dont une petite partie en accession sociale à la propriété. Dans ce secteur du grand ouest parisien, la demande abordable est importante, notamment de la part de jeunes actifs aux revenus modestes. Ces premiers «nouveaux» habitants n’arriveront pas avant 2014. Les «anciens» commencent à s’impatienter. «Le temps est certainement le plus difficile à gérer», explique le maire de Poissy. Pendant que le projet avance à son rythme, il faut gérer les problèmes de rats, de chauffage, d’ascenseur… Pour l’instant, la vie des habitants de La Coudraie n’a, dans les faits, pas encore changé. Malgré le gigantesque panneau peint promettant un «nouvel avenir», le paysage est toujours aussi désolé. Ceux qui ont une voiture continuent à aller acheter des baguettes pour les autres. ALICE GÉRAUD

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BOISSY-SAINT-LÉGER

BOUT DE LA VILLE DÉBUT DE CAMPAGNE Le terminus du RER A a vu sa population quadrupler en cinquante ans, attirant ruraux des environs et surtout Parisiens ou proches banlieusards séduits par une autre qualité de vie. 200 m

Boissy-Saint-Léger

A

peine 8 heures du matin. Il fait nuit. D’un côté de la route, une forêt encore plongée dans le noir; de l’autre, un quartier de pavillons aux fenêtres allumées. Devant, une file ronronnante et ininterrompue de voitures qui roulent au pas, toutes dans le même sens. Sur les routes avoisinantes, le même embouteillage qui regarde Paris, 20 kilomètres plus loin. La zone pavillonnaire du Bois-Clary, à cheval sur les communes de BoissySaint-Léger et Sucy-en-Brie, dans le Val-de-Marne, est l’une des franges urbaines sud-est de l’agglomération parisienne. Le bout de la ville, le début de la campagne. C’est depuis ces frontières plus ou moins nettes que s’amorce chaque matin le grand basculement quotidien de population entre l’est résidentiel, où les gens vivent, et l’ouest économique, où ils travaillent. Un déséquilibre, caractéristique de la plupart des agglomérations, qui prend une ampleur unique en Ile-de-France, du fait de la pression immobilière, de la taille de la région et du nombre d’habitants.

Boissy-Saint-Léger, terminus historique est de la ligne A du RER parisien, est l’une des portes d’accès de ce monde pendulaire. Cette ville de 16 000 habitants a vu sa population multipliée par quatre depuis le début des années 60. Les gens sont venus de l’intérieur de l’agglomération parisienne, poussés toujours plus loin par les prix de l’immobilier. Mais aussi des communes plus rurales autour de Boissy, dans le but se rapprocher des axes de transports. Enfin, depuis plusieurs années, la commune voit arriver des couples de départements plus défavorisés du nord parisien, notamment de Seine-Saint-Denis, qui viennent acheter ici en primo-accession, remarque Régis Charbonnier, le maire socialiste de Boissy-Saint-Léger. Attirés par des prix encore abordables, la proximité de la nature et l’accessibilité.

priorité est plutôt de renforcer ce qu’il considère comme l’identité de Boissy, l’image d’une «ville à la campagne», formule qu’il préfère nettement à celles de «banlieue», «zone périurbaine» ou, pire, «ville-dortoir». Boissy-Saint-Léger dispose, dans ce combat pour la «ville à la campagne», d’un atout précieux: ses forêts, 72% du territoire de la commune. La commune est en effet implantée sur l’Arc boisé (forêts de Notre-Dame, de la Grange et de GrosBois), pièce maîtresse –avec le RER– de son attractivité résidentielle. Ici, plus question de s’étendre, l’heure est au développement «par densification au plus près des modes de transport lourds», explique le maire. La présence de ces forêts protégées a depuis longtemps permis de contenir l’urbanisation galopante ravageant la plupart de ces zones périurbaines. Il suffit d’ailleurs de pousser juste derrière, sur «Gagner une pièce le plateau de la Brie, pour apercevoir supplémentaire» l’extension anarchique des aires paCar, à Boissy, les trois quarts des actifs villonnaires sur les terres agricoles. travaillent en dehors de la commune, Aires dont les habitants viennent, chamajoritairement à Paris et à l’ouest de que matin, engorger les routes de Boissy la capitale, dans les Hauts-de-Seine, où ou de Sucy, et saturer la ligne de RER. le RER A les conduit directement. Mal- A Boissy, un parking relais de plus de gré l’importance des dessertes, les 500 places va ouvrir à côté de la gare pour gérer ces pendulaires qui, aujourd’hui, se garent «Même s’il y a un prix à payer côté n’importe comment dans le transports, c’est un cadre de vie bas de la ville. exceptionnel en région parisienne.» Mais la priorité est surtout de dévier les flux automobiles Corinne Durand auteure de manuels scolaires qui asphyxient la cité. Avec perspectives de développement écono- ses 50000 véhicules par jour, la natiomique de Boissy sont limitées. nale 19 la coupe littéralement en deux. Dans les récents programmes immobi- Après trente ans de combat des élus, les liers, le maire reconnaît que les petits titanesques travaux pour sa déviation projets d’immeubles de bureaux ont eu ont en partie abouti, mais l’Etat traîne du mal à trouver preneurs. Régis Char- pour le dernier tronçon permettant le bonnier n’en prend pas ombrage, car sa raccord jusqu’à l’autoroute franci-

lienne. En attendant, la pagaille aux heures de pointe continue. Corinne Durand, installée à Boissy depuis vingt ans, apprécie ce qu’elle n’hésite pas, elle, à qualifier de «vie de banlieusards». «Un choix de vie», précise-t-elle. Venue avec son mari de Créteil au début des années 90, «pour gagner une pièce supplémentaire», elle n’a jamais songé à repartir. «Nous avons élevé nos trois filles ici et nous sommes bien.» Pour les sorties shopping ou ciné, il y a Créteil, en bus ou en voiture, ou Châtelet-les-Halles, à Paris, via le RER. La famille vivait jusqu’ici dans un des rares pavillons de la partie basse de la ville, où s’étend la Haie griselle, immense ensemble d’immeubles, pour beaucoup HLM, construits parallèlement à l’arrivée du RER, à la fin des années 60. «Même si cela se paupérise énormément avec, notamment, l’arrivée de nombreuses familles récemment immigrées en grande difficulté, le quartier a toujours été agréable. Et, pour nous, vivre dans une maison à cinq minutes à pied du RER, c’était vraiment idéal.»

«La forêt juste à côté» Comme tous les Boisséens, elle est pourtant intarissable sur les dysfonctionnements de la ligne : retards, pannes, incidents, manque de trains aux heures de pointes… Depuis qu’elle travaille à domicile (elle écrit des manuels scolaires), elle se sent «un peu moins dépendante». «En règle générale, on apprend à prévoir quarante-cinq minutes de marge pour ne pas être en retard à un rendez-vous, c’est très contraignant.» Son mari, qui travaille en plein centre de Paris, vers l’Opéra, peut parfois mettre plus d’une heure et demie pour se rendre à son bureau alors que le trajet


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Boissy­Saint­ Léger est implanté sur l’Arc boisé (forêts de Notre­Dame, de la Grange et de Gros­Bois), pièce maîtresse de son attractivité résidentielle. La nature n’est jamais loin.

direct en RER, ne devrait durer qu’une demi-heure. La famille s’apprête cependant à se rajouter quelques contraintes en déménageant sur les hauts de Boissy, dans la plus prisée zone pavillonnaire de BoisClary. «Trente minutes de plus aux heures de pointe pour aller à la gare», résume Corinne Durand. Les fameux embouteillages du petit matin vers l’entonnoir des gares RER. Des trajets en bus pour leurs filles adolescentes. Mais, ajoute Corinne Durand dans un large sourire: «La forêt est juste à côté !» Avec l’impression, cette fois, de se rapprocher vraiment de la campagne. «Même s’il y a un prix à payer en termes de transports, c’est un cadre de vie exceptionnel en région parisienne.» Luc Offenstein, tout juste retraité de la RATP (il était conducteur sur la fameuse ligne A), est arrivé au Bois-Clary avec ses parents lorsqu’il était enfant. Il

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raconte qu’il y avait encore, à l’époque, un épicier en camionnette et une urbanisation balbutiante. Plus tard, lorsqu’il s’est mis en ménage, il a acheté dans ce même quartier (côté Sucy-en-Brie) un terrain où il a construit la maison qu’il habite encore aujourd’hui. Entre-temps, l’espace interforestier s’est entièrement construit. «Vivre ici est devenu plus cher et plus compliqué», estime-t-il. Luc Offenstein se fait souvent la réflexion : avec des maisons à 400 000 ou 500 000 euros, le prix de l’essence et des transports, son quartier est devenu difficilement accessible aux classes moyennes. «Aujourd’hui, je n’aurais plus les moyens m’y installer.» Pour lui, la vie ici était «idéale avec des enfants». Malgré les problèmes de transports. «Le RER, je suis bien placé pour le savoir, fonctionne mal parce que les décisions n’ont pas été prises à temps. Et la voiture, c’est l’enfer. On n’arrive

même pas à se garer près des gares.» Sa femme est infirmière à l’hôpital EmileRoux à Limeil-Brévannes, une commune voisine. Ne conduisant pas, elle doit prendre le bus de l’agglomération, ce qui peut lui prendre… une bonne heure. L’ancien conducteur RATP a choisi la moto : «Le seul moyen d’aller dans Paris rapidement.»

Avions et sifflements au Bois­Clary Pourtant, ce ne sont pas les contraintes de déplacements qui le gênent le plus mais… les avions. Car Boissy-Saint-Léger et Sucy-en-Brie se trouvent pile en dessous du couloir aérien emprunté par les avions d’Orly. Dans le centre de Boissy, le bruit est présent mais semble lointain. Dans le jardin des Offenstein, au Bois-Clary, il est net. Un sifflement lourd toutes les trois minutes. Parfois toutes les minutes

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trente ; 685 mouvements par jour de 6 heures du matin à 23 h 30. Luc Offenstein préside l’association Oyé349, qui lutte contre les nuisances dans le Val-de-Marne. Sur son ordinateur, une application, Flight Radar, permet de savoir en temps réel quel est l’avion qui est en train de survoler sa maison. Le plan de gêne sonore, qui désigne sur une carte un corridor jusqu’à Orly et qui permet aux habitants de bénéficier d’aides à l’insonorisation, s’arrête au bout de sa rue. Mais pas le bruit. En 1994, le nombre maximum de créneaux horaires d’avions a été fixé à 250 000 par an. Luc Offenstein raconte qu’ils ont passé plusieurs années sans manger dehors. «C’est un peu dommage», dit-il en désignant son jardin. Dans quelques années, il envisage de partir plus au vert. Vraiment au vert. ALICE GÉRAUD


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LE

Quartier de La Défense, dans les Hauts­de­Seine.


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MICHAEL STORPER GÉOGRAPHE

PÉRIPHÉRIQUE UN PROBLÈME CENTRAL» Selon ce spécialiste américain des grandes métropoles, si l’Ile-de-France a developpé une politique publique ambitieuse, la fluidité des mouvements n’est pas optimale. Comment imaginez-vous le développement des grandes métropoles occidentales ? Très différemment pour l’Ilede-France, à cause de la situation singulière de Paris. Pour moi, l’existence du boulevard périphérique est un problème central. Manhattan est une île, mais l’eau est une barrière bien moins importante pour New York que le périphérique pour Paris. Londres n’a pas de barrière. Ce sont deux villes dont la plasticité spatiale permet une politique d’urbanisme beaucoup plus inventive. Paris, avec ce centre si bien construit, si prestigieux, où l’on continue à faire des investissements patrimoniaux pharaoniques n’a pas réellement engendré de développements en petite couronne. Là où la fluidité des mouvements entre Manhattan et Brooklyn fonctionne plutôt bien. De plus, la beauté de ce Paris historique, impérial, contraste tellement avec la médiocrité de l’urbanisme en Ile-de-France… Quand on se balade à New York, Londres ou Berlin, on voit des bâtiments extraordinaires. En Ile-de-France, on a visiblement des difficultés à occuper l’espace, à «externaliser» la beauté du centre. Effacer le périphérique suffirait à corriger ce frein au développement? DR

N

é à New York, professeur de géographie économique, Michael Storper est un spécialiste des questions de développement des villes. Il enseigne à Los Angeles (Ucla), à Londres (London School of Economics) et à Paris (Sciences-Po). De vos trois points d’observation, comment voyez-vous l’évolution culturelle de l’Ile-de-France? Par son histoire, Paris est une ville puissante du point de vue de son rayonnement culturel. Mais s’il y a énormément de ressources, leur valorisation économique est à la peine. Je ne nie pas que la France ait développé une politique publique ambitieuse et qu’elle abrite de nombreux talents mais les circuits de financement me semblent sclérosés. Le système produit un réseau fermé, clanique, peu fluide. La différence importante avec les autres métropoles que vous pratiquez n’est-elle pas que New York ou Londres sont des capitales de la finance? Oui, c’est vrai, mais en terme de développement, l’économie ne peut se résumer à la finance internationale. L’Ilede-France a une économie beaucoup plus diversifiée, la gamme d’activité y est multipolaire.

Je ne suis pas loin de le penser. On a d’ailleurs un bon exemple avec ce qui a pu être fait en recouvrant l’A1 à la Plaine-Saint-Denis. Alors oui, je ne suis pas certain des bienfaits de ce projet de super-métro [le Grand Paris Express, ndlr], j’aurais préféré que l’on couvre le périphérique et que l’on joue plus la carte du tramway en l’étendant en dehors du cercle. Mais je le répète, pour réussir ce pari, il faudrait aussi innover en matière d’architecture et là, on est loin du compte. Vous semblez avoir définitivement abandonné une certaine vision marxiste du développement des métropoles? Le système capitaliste ne peut être tenu pour seul responsable des inégalités. Dans les métropoles, la ségrégation spatiale est un bon exemple. On veut bien rester à proximité les uns des autres mais pas trop, la nature humaine prend le dessus et je ne crois pas au mythe de la mixité sociale. L’occupation des espaces est un effet, pas une cause, les inégalités c’est d’abord un problème économique. Comme vous le voyez, je ne suis plus très marxiste ! N’assiste-t-on pas à une certaine standardisation néolibérale affadissant les identités des grandes métropoles qui fi-

nissent par se ressembler toutes ? Je crois que c’est une illusion d’optique de gens qui ne représentent pas la majorité de la population, d’élites qui ont toujours voyagé en générant une certaine homogénéisation des schémas de consommation. Mais je crois que le voyage entre Paris et Shanghai produira toujours le merveilleux des différences. Comment analysez-vous les classements de qualité de vie qui mettent au premier rang Vancouver, Toronto, Zurich, Copenhague ou Melbourne et aucune grande métropole? Cela m’agace profondément! Il y a une discrimination dans ces classements qui pénalise systématiquement les très grandes villes. Parce que forcément, dans une métropole, il existe une complexité, ce que j’appelle le génie des villes que l’on ne peut mesurer. Pour le dire autrement, les critères utilisés par ces études m’apparaissent vraiment «petit bourgeois». La propreté, le taux de criminalité, les temps de trajet, la pollution, bref, on mesure un certain confort. Mais on ne va pas à Paris ou à Londres pour le confort ! C’est une autre dimension, une diversité qui crée une énergie et des synergies comme nulle part ailleurs et qu’aucun des indicateurs du «bien-vivre» ne peut capter. Recueilli par PIERRE HIVERNAT

BNP PARIBAS SOUTIENT LE FORUM ILE-DE-FRANCE DE LIBÉRATION QUELLE RÉGION EN 2030? Pour BNP Paribas, il était naturel de s’associer au Forum Ile­de­France: quelle région pour 2030? aux côtés du quotidien Libération. BNP Paribas est une grande banque européenne, mais également une banque de proximité au service des projets de ses clients. Le groupe est un des trois premiers

employeurs d’Ile­de­France, avec 38000 collaborateurs. Ces collaborateurs travaillent dans les 650 agences de la banque de détail, mais également dans les activités de sièges de la plupart de ses métiers internationaux basés, pour l’essentiel, en Ile­de­France: implantation des équipes informatiques à Montreuil, de BNP Paribas Securities Services à Pantin, de l’assurance à Nanterre, de l’immobilier à Issy­les­Moulineaux… Ce qui fait de BNP Paribas l’une des premières entreprises

de la région et ce qui explique son enracinement sur ce territoire. Banquier et employeur, le groupe a également un rôle fort en tant qu’acteur du tissu social. Un engagement solidaire qui implique la lutte contre l’exclusion et le soutien à l’éducation et la culture. BNP Paribas s’est notamment engagée durablement dans l’aide à la création d’emploi par le micro crédit, aux côtés de l’Adie (1), depuis 1993; le soutien scolaire, avec l’Afev (2), depuis 1994, et aux travers de diverses initiatives

portées par la Fondation BNP Paribas. Que ce soit par le biais de sa fondation, de son réseau d’agences ou de ses collaborateurs, BNP Paribas soutient ainsi plus de 250acteurs de l’insertion sociale et professionnelle, de la création d’entreprise, de l’éducation, de l’insertion par le sport et la culture. (1) Association pour le droit à l’initiative économique. (2) Association de la Fondation étudiante pour la ville.


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ROISSY

DEVENIR

Station La Défense sur la ligne A du RER.

VILLESACLAY L’

Saclay, cas d’écoles

Le Grand Paris Express, futur métro automatique, devrait désenclaver ces zones. Suffisant pour devenir des pôles attractifs?

histoire, parfois, a des constantes tenaces. Le partage de l’Ile-de-France entre l’Ouest et l’Est de l’agglomération est l’une de celles-là. Depuis que Le Nôtre, paysagiste de Louis XIV, a tracé virtuellement un axe partant du Louvre pour aboutir à la terrasse de Saint-Germain-en-Laye, l’Ouest est devenu le lieu du pouvoir et de la richesse. La fabrique, l’usine et le populaire prirent ensuite leurs quartiers à l’Est. Aujourd’hui, cette organisation séculaire perdure dans une version contemporaine, avec - pour schématiser - emplois à l’Ouest et logements à l’Est. Le «rééquilibrage» de la région, comme disent les aménageurs, est une quête éternellement recommencée. Il se pourrait pourtant que l’avenir de l’Ile-de-France se joue au Nord et au Sud. Au Nord, autour de la plateforme Roissy-Charles-de-Gaulle, plus gros secteur pourvoyeur d’emplois de la région. Et au Sud, sur le plateau de Saclay, qui concentre 13% de la recherche française. Deux clés de développement assez contrastées mais qui ont un problème en commun: devenir des villes.

Roissy, hub urbain Longtemps, on a cru qu’un aéroport ne servait qu’à déplacer des avions. Les urbanistes ont donc été un peu surpris quand il a fallu constater que les pistes généraient bien plus que des atterrissages. La plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle, qui s’étale

sur trois départements (Seine-SaintDenis, Val-d’Oise, Seine-et Marne), représente aujourd’hui 92000 emplois. Il y a vingt ans, c’était trois fois moins. Sur les 40 communes du Grand Roissy, on trouve 270000 emplois. A comparer, par exemple, aux 160 000 que compte le quartier d’affaires de La Défense. Le tout a poussé de façon quasi spontanée, malgré un terrain administratif et politique peu favorable : autour de Roissy, les collectivités ont multiplié les petites intercommunalités, en choisissant de préférence la formule minimale de la communauté de communes qui garantit au maire de conserver le plus de pouvoirs, comme à la campagne. Avec ce genre d’outil, la stratégie urbaine est faible. Cela n’a pas empêché la logistique, l’hôtellerie et tous les métiers liés au transport aérien de coloniser des centaines d’hectares. Désormais, fini l’improvisation. Depuis 2002, l’Etat a créé l’établissement public d’aménagement Plaine de France, le plus récent dans une région où les premiers exemplaires furent instaurés dans les années 60 pour bâtir les villes nouvelles. Damien Robert, son directeur général, rappelle que la zone «représente 10% de la richesse produite en Ile-deFrance»: «Mais là où cela devient un peu plus compliqué, poursuit-il, c’est que la majorité des emplois restent très liés aux transports et à la logistique.» Même s’il s’agit souvent d’une logistique «d’assemblage» de marchandises assez complexe, qui génère de la valeur ajoutée. Toutefois, autour de Roissy-Charles-

de-Gaulle, comme partout autour des grands aéroports qui font office de hub, la diversification est en marche. Le directeur évoque «les 25 projets d’aménagement en cours, qui vont entraîner la création de 130 000 emplois supplémentaires» : «On s’aperçoit que de grandes entreprises internationales commencent à installer près des aéroports des fonctions qui ne sont pas du tout aéroportuaires.» Le mouvement, très net à Amsterdam, Francfort ou Londres, démarre à Roissy, où Volkswagen va installer son siège, tandis que des investisseurs brésiliens vont construire l’International Trade Center, un centre de congrès agrémenté de halls d’expositions et de sept hôtels. A cela s’ajoute la perspective de l’énorme projet EuropaCity, porté par Auchan : 1,7 milliard d’investissement pour 450000 m2 de commerces, loisirs, salles de spectacles, au sud de l’aéroport, sur le «triangle de Gonesse». Un projet que l’investisseur conditionne à l’arrivée, avant 2025, du Grand Paris Cergyle-Haut

Roissy Charles-de-Gaulle SEINESAINT-DENIS

Poissy SaintGermainen-Laye

Express, futur métro automatique de la région capitale. Et en particulier de la ligne nord-est, reliant le carrefour Pleyel et l’aéroport, supposée passer devant la porte d’EuropaCity. Le projet du Grand Paris Express, qui prévoit 205 km de lignes pour un investissement de 32 milliards d’euros, a été maintenu par la gauche, mais sérieusement réétudié. La ligne nord-est, qui suit en partie l’actuel RER B, figurera-telle dans les priorités ? Les services de Cécile Duflot, ministre en charge du Grand Paris, dissèquent actuellement les tronçons, leurs coûts, les bénéfices attendus. Les arbitrages devraient être rendus en fin d’année. Mais attirer les entreprises, c’est aussi plaire à leurs salariés, et là commencent les difficultés. La zone souffre d’un déficit de transports collectifs tel que les habitants de Garges, Sarcelles ou Villiers-le-Bel, voisins de Charles-deGaulle, doivent repasser par Paris pour aller travailler à l’aéroport. De plus, marquée par les grands ensembles et les balafres autoroutière et ferroviaire, l’image du territoire est assez peu attractive. Au nord des pistes, Louvres et Puiseux-en-France développent un écoquartier de 3 500 logements, susceptible de plaire à des classes moyennes. Un début dans un Grand Roissy qui peine à faire ville.

RER A

PARIS

YVELINES

Plateau de Saclay

BoissySaint-Léger

ESSONNE

5 km

Même problème urbain sur le plateau de Saclay, quoique sur des bases différentes. Ici, le territoire, campagnard à souhait, est attractif pour quiconque souhaite investir 700 000 euros dans une maison en vallée de Chevreuse. Mais pour les 48000 étudiants et 16000 enseignants et chercheurs qui travaillent sur le site dans les deux universités, dix écoles et sept grands organismes qui composent la future université Paris-Saclay, l’attractivité urbaine est faible. Premier souci: il n’y a pas de logement. Président-directeur général de l’établissement public Paris-Saclay, Pierre Veltz résume la situation: «Chaque école loge ses étudiants dans des petits ghettos et les universités se débrouillent.» Il faut donc essayer de mélanger ces différents publics. Et mieux encore, «ajouter des logements pour des familles». Ce qui suppose de penser l’aménagement du plateau de façon globale. Retenu en 2009, le paysagiste Michel Desvignes a élaboré une trame d’aménagement. Pierre Veltz explique les choix : «Nous avons décidé d’organiser un campus archipel, en quatre ou cinq pôles. Mais le parti d’aménagement fondamental est de faire de ces pôles de vrais quartiers d’habitation.» Sinon, on reviendra à la situation actuelle où chaque entité présente sur le plateau vit dans sa coquille. Mais «le sujet principal aujourd’hui, dit Pierre Veltz, ce sont les transports». Comme Roissy-Charles-de-Gaulle, Saclay a besoin de son morceau de Grand Paris Express. Avec, difficulté supplémentaire, le fait qu’un métro souterrain ne se justifie pas dans un endroit moins peuplé que le centre de l’agglomération. Après des mois de tergiversations, et une active opposition des verts, tout le monde s’est mis d’accord sur un métro aérien. Mais réalisé quand ? A Saclay, comme à Roissy, on attend le Grand Paris Express comme le Messie. Après, restera à élaborer une ville. SIBYLLE VINCENDON


j’ai découvert qu’il y aura toujours quelqu’un pour m’aider à voir plus haut.

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Demain s’invente ici


PROGRAMME SAMEDI 8 DÉCEMBRE

Une journée de débats au Théâtre des Amandiers à Nanterre. Entrée Libre.

10H À 11H30 UNE JEUNESSE À DEUX VITESSES?

Valérie Fourneyron Ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative Michel Kokoreff Sociologue

10H À 11H30 ILE-DE-FRANCE 2030, TOUT UN ROMAN Olivier Adam Ecrivain Maylis de Kerangal Ecrivain

13H30 À 15H EXISTE-T-IL UNE IDENTITÉ FRANCILIENNE?

Jean-Paul Huchon Président du Conseil régional d’Ile-de-France Jean Robert Géographe Patrick Jarry Maire PCF de Nanterre

15 H30 À 17H QUELLE POLITIQUE DE LA VILLE POUR DEMAIN?

François Lamy Ministre délégué à la Ville Mohamed Mechmache Président de l’association AC-Le feu

15H30 À 17H MÉTROPOLE, MODÈLE INDÉPASSABLE DU DÉVELOPPEMENT URBAIN?

Kerwin Datu Rédacteur en chef de «The Global Urbanist» Thierry Paquot Philosophe de l’urbain à Paris-XII

17 h À 18H RENCONTRE AVEC LA RÉDACTION DE LIBÉRATION

Nicolas Demorand Directeur de la publication et de la rédaction de «Libération» et des journalistes de la rédaction

Avec le soutien de


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