Next - Février 2013

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récit : pierre le-tan par simon liberati, et inversement

SUPPLÉMENT À « LIBÉRATION » NO9868 DU 2 FÉVRIER 2013. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT.

pop-culture / mode / lifestyle / idées / récits

musique

la dernière ruse de l’industrie du disque mode

pierre hardy, secret chausseur portfolio

à berlin, balade d’hiver business

des stars mortes bientôt sur scène idées

l’année gatsby, pourquoi, comment

ana dans la tête girardot d’une jeune actrice next.liberation.fr

NO 50


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ÉDITO

prémisses

Entre guerre et neige, dans les derniers soubresauts d’une polémique fatigante autour des cachets du cinéma, l’année a bizarrement commencé. Nous avons eu envie, par contraste, de nous intéresser à une jeune actrice dont la fraîcheur est loin d’être entamée. Elle s’appelle Ana Girardot. La photographier, la rencontrer, raconter ce qu’est la vie d’une comédienne qui apprend son métier, qui voit des films, qui étudie le chant, qui se rend parfois à des défilés de mode… Elle croque la vie à pleines dents et en fait un festin. Sa carrière débute. On lui promet de belles choses. Et dans Next, comme un instantané, un arrêt sur image, voilà Ana Girardot qui entre dans la danse. À Londres, sur scène, explose l’énergie monstre des rockeuses de Savages. Là encore, il s’agit de premiers pas, d’une jeunesse qui refuse de se laisser capturer si facilement. Tout en étant prête, pour conquérir le monde, à faire alliance avec les «majors». Et ces maisons de disques n’attendent que cela, s’acheter de la radicalité… C’est le thème de notre grande enquête qui décortique les nouveaux rapports de force au sein de l’industrie musicale. Ou comment vendre sa fièvre, son indépendance, sans céder un pouce de son âme… Une gageure? Françoise-Marie Santucci

ALISTAIR TAYLOR-YOUNG

Retrouvez l’intégralité de Next en téléchargeant notre application pour iPhone et iPad.

Tee-shirt en coton blanc, Balenciaga par Nicolas Ghesquière. Leggings en cuir noir, Pellessimo. Sautoir en métal et perles porté en ceinture, collier et bracelet en cuir noir et métal, Chanel. Bracelets « Love », Cartier. Bracelet en veau, Hermès.

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SOMMAIRE

18 making-of

Ana Girardot devant l’objectif d’Alistair Taylor-Young.

Portrait de l’artiste en BD ; Beyoncé, légende en marche ; Julie Mehretu, de passage à l’intime cinéma Brisseau en chiffres ; 3 questions à Brigitte Roüan ; Zemeckis, De Palma, deux ex-perdus de vue ; le pitch du mois musique les revenants ; portrait sonique de Jamie Lidell ; le groupe du mois : Darkstar ; les mélanges de Melissa ; la bonne recette art parcours au Parc ; Antoine d’Agata mène le bal livres la mémoire qui flanche ; le top 5 d’Antoine Bello ; quelques mots de Xavier Houssin ; noces rebelles stratégeek la smart home data buzz la fashion week mode l’afrique au Diesel ; des british à Paris horlogerie coup double mobilité un top, un cheval, un concept beauté belle de concours parfum raide dingue personal shopper orange mécanique

Jehnny Beth, du groupe Savages page 52.

ANTOINE CARLIER

22 le podium de février

42 ana girardot, l’entrée dans la danse

La comédienne de 24 ans, à qui l’on promet une belle carrière, raconte en détail l’apprentissage du métier et assume ses origines.

52 espèce de savages

En couverture, Ana Girardot photographiée par Alistair Taylor-Young. Réalisation : Leïla Smara. Pull en résille noir, Azzedine Alaïa. Collier « Orient » en méthacrylate motif feuilles de vigne en laiton et cristaux, Prada. Sautoir en métal, perles et camélia, Chanel.

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Berlin, page 74.

JONAS UNGER

Rencontre avec ce groupe post-punk venu de Londres, 100% féminin, qui cultive l’androgynie et l’insolence.


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L’ASSEMBLAGE EST UN ART COMPLEXE Il faut 18 ans de patience et un mode d’élaboration unique pour que CHIVAS 18 dévoile enfin ses 85 arômes.

L ’ABUS D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É.. À CONN S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N .


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SOMMAIRE

56 journal de wulfran, aventures et rencontres (2005-2012)

Correspondances amicales entre l’écrivain Simon Liberati et l’illustrateur Pierre Le-Tan, qui signent ce récit du mois.

62 hardy, de pied en cap

Portrait du chausseur français qui, autant pour sa propre marque que pour Hermès, se distingue comme une figure atypique et lettrée.

66 qualité street

Superpositions d’habits, tatouages zébrés, imprimés et couleurs chatoyantes sont les thèmes de cette série mode très streetwear.

Visite de l’exposition Fashioning Fashion au musée des Arts déco, à Paris, où s’étalent plusieurs siècles d’histoire du costume.

74 un autre berlin

Plongée dans les friches berlinoises, ces zones désaffectées qui témoignent des aléas qu’a connus la capitale allemande.

82 le nouveau partage de la galette (musicale)

De plus en plus de jeunes groupes pointus sont signés par de grosses maisons de disques. Pourquoi ? Enquête sur un phénomène qui secoue l’industrie musicale française.

88 ci-contre, un mort

Aller voir Dalida ou Marilyn en concert ? Pas possible, pour l’instant. Mais les hologrammes, encore balbutiants, pourraient changer la donne dans le monde de l’entertainment.

92 sur la planète cosmétofood

Je mange donc je suis beau. Au rayon beauté, on trouve aujourd’hui des produits comestibles qui font l’effet de cosmétiques. Décryptage.

Pierre Hardy, page 62.

next cetera 96 intelligence service

Plusieurs décennies après sa parution, Gatsby le magnifique de Fitzgerald connaît un regain d’intérêt, au cinéma comme au théâtre. L’universitaire Sarah Churchwell esquisse des réponses.

100 design

Enquête sur le phénomène des petites maisons d’édition d’objets. Où l’indépendance permet parfois de conjurer la crise.

106 gastronomies

Le bistrot parisien a changé. S’ouvrent désormais des établissements d’inspiration anglo-saxonne, où le café est finement sélectionné, la connexion wi-fi de rigueur et l’ambiance décontractée.

109 le cabinet de curiosités Les choix de la directrice mode de Next.

110 voyage voyage

Haltes à Fredericksburg et Austin, Texas.

112 next next

Bientôt on parlera d’eux partout, ils sont déjà dans Next.

113 curator

Les insomnies de l’écrivain Ann Scott sur Twitter.

114 la liste

Livre, lieux, objet bizarre… la rédaction de Next dresse sa hit-liste.

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ADRIAN CRISPIN

72 tout va très bien, madame la marquise


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SUPERDRY.COM


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MAKING-OF

millenium girl

U FRANÇOISE-MARIE SANTUCCI

Retrouvez, sur next.liberation.fr, les images de cette session photo, ainsi qu’un « making-of » vidéo réalisé par Walter Films.

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WALTER FILMS

n dimanche de janvier. Presqu’une journée de studio avec Ana Girardot, de passage à Paris entre deux voyages en province pour la promotion de son nouveau film. Maquillage, coiffure, stylisme et bijoux. Cette panoplie glamour de la jeune actrice, il était bien convenu avec elle de la tordre, de la rendre plus rock, plus drôle. Elle n’aime pas la joaillerie ? Qu’à cela ne tienne, on l’en couvrira comme si elle était la chanteuse d’un groupe de metal. Elle s’étonne que ça lui aille si bien, mais « en noir et blanc hein », pas dans la vraie vie, elle raconte en riant des anecdotes de sa tournée avec Gérard Lanvin et toute la troupe du film. Puis d’un coup, devant l’objectif du photographe Alistair Taylor-Young, cette gamine se révèle d’une force et d’un aplomb saisissants. Rendez-vous page 42.


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Révélez votre beauté VISAGE - CORPS - CHEVEU Depuis 60 ans, CARITA est synonyme à travers le monde de beauté, de luxe et d'élégance. Au commencement, il y avait deux soeurs, Rosy et Maria CARITA, réunies autour d'une seule et même passion : celle de transformer et sublimer les femmes. Très vite, elles créent leur premier produit de beauté révolutionnaire, le FLUIDE DE BEAUTÉ 14, une huile sèche ultra-fine qui nourrit et satine la peau et les cheveux. Véritable emblème de la Beauté Globale, ce soin reste à ce jour toujours inégalé.

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CONTRIBUTEURS

Libération 11, rue Béranger 75154 Paris Cedex 03 Tél. : 01 42 76 17 89 next.liberation.fr

en septembre 2011 Jayne Mansfield chez Grasset, qui a reçu le prix Femina. Auparavant, il avait fait paraître chez Flammarion Anthologie des apparitions (2004), Nada exist (2007) et L'hyper Justine, prix de Flore en 2009. Alors que sort son nouveau livre, 113 études de littérature romantique, il a écrit pour Next un récit sur son ami l’illustrateur Pierre Le-Tan, et sur d’autres figures merveilleuses de son univers.

PIERRE LE-TAN est né à Neuilly-sur-Seine en 1950. Il dessine depuis l’enfance, et a commencé à travailler en 1968 pour le New Yorker. Depuis, il a publié de nombreux livres en France et à l’étranger. Il vient de sortir aux éditions Alma les Aventures de Ralph et Wulfran, en collaboration avec le dessinateur Emmanuel Pierre. Il prépare depuis longtemps une biographie de Louis XI.

ANN SCOTT est l’auteur de six romans dont Superstars, sacré par certains manifeste pop des années 2000. Elle vit à Paris dans un appartement quasiment vide à l’exception d’une montagne de livres, d’un écran plasma et d’un chat, elle voue un culte à Jack White, ne répond jamais à son portable. Quand elle ne travaille pas à son nouveau roman, elle vagabonde la nuit sur Twitter. Et inaugure ce mois-ci dans Next une nouvelle chronique nourrie de ses insomnies.

ALISTAIR TAYLOR-YOUNG est né au Royaume-Uni, et vit aujourd’hui entre Paris et New York. Il a photographié des paysages du monde entier pour un magazine de voyage américain, avant de se concentrer sur la mode et la publicité. Après une première session pour Next l’an dernier (avec le chanteur Raphael), Alistair a réalisé ce mois-ci le portrait de la jeune actrice française Ana Girardot.

ANTOINE CARLIER est réalisateur et photographe. Il a mis en boîte des clips pour Étienne Daho, Vanessa Paradis, et plus récemment pour Lou Doillon sur son titre I.C.U. Il flirte aussi avec l’art contemporain et la mode. Dans ce numéro, Antoine revient à ses premières amours, la musique, croquant sur scène le jeune groupe londonien Savages, quatre filles à l’énergie conquérante.

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Co-gérants Nicolas Demorand Philippe Nicolas Directeur de la publication et directeur de la rédaction Nicolas Demorand Rédactrice en chef Françoise-Marie Santucci Chef de service adjoint Élisabeth Franck-Dumas Directeur artistique sheeno Directrice mode Leïla Smara Assistante mode Mélanie Bougoin Édition Isabelle Wesolowski Textes Elvire von Bardeleben, Nicolas Dembreville, François-Luc Doyez, Konrad Elman, Anne-Marie Fèvre, Julien Gester, Clément Ghys, Xavier Houssin, Titiou Lecoq, Simon Liberati, Marie Ottavi, Jean-Pierre Perrin, Emmanuèle Peyret, Renaud Roubaudi, Ann Scott, Maïté Turonnet Photos et illustrations Elvire von Bardeleben, Antoine Carlier, Adrian Crispin, Frédéric David, Joseph Lacourt, Pierre Le-Tan, Alistair Taylor-Young, Jonas Unger, Leïla Smara, Walter films Publicité Libération Médias 11, rue Béranger 75003 Paris Tél. : 01 44 78 30 48 Directrice générale Marie Giraud Directrice de la publicité Géraldine Quintard Rédacteur en chef technique Christophe Boulard Prépresse Jacques Baboyan, Brigitte Bertrand, Didier Billon et Perla Ohayon Fabrication Graciela Rodriguez, Daniel Voisembert Photogravure numérique Libération Imprimé en France Maury Imprimeur Z. I. route d’Étampes 45330 Malesherbes Distribution NMPP CPPAP no C 80064 ISSN 1958-1440

HIDIRO - PIERRE LE-TAN - ANN SCOTT - ALISTAIR TAYLOR-YOUNG - ANTOINE CARLIER

SIMON LIBERATI est journaliste et écrivain, a publié


« UN SÈCHE-LINGE QUI AIME LES FORMES ET LA LINGERIE COMME MOI. » Stephan Lanez, designer, Paris

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Des idées pour la vie Panasonic France – 1-7 rue du 19 Mars 1962, 92230 Gennevilliers – RCS Nanterre B 445 238 757 – Succursale de Panasonic Marketing Europe GmbH – Siège social : Hagenauer Strasse 43, 65203 Wiesbaden (Allemagne) – Wiesbaden HRB 13178

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Prenez soin de ce que vous aimez. En tant que directeur artistique de Chevalier édition, éditeur de tapis contemporains, Stephan est un amoureux des formes et des belles matières. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est que les tissus restent beaux, raison pour laquelle il aime autant le sèche-linge G1 de Panasonic. Ses options de séchage intuitives et sa technologie d’ondulation lui permettent de sécher tous les textiles, même les plus délicats dès 45 °C. Pour Stephan c’est impeccable, il sait que tout ce qu’il met dans le sèche-linge ressortira comme il aime : en parfait état. Venez rencontrer Stephan sur panasonic.fr/stephan-seche-linge


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LES TROIS NEWS

sur le podium ALBUM Les spécialistes de James Joyce voient en elle l’inspiration d’Issy, la fillette « arc-en-ciel » de Finnegans Wake. Fille de Joyce, amante de Beckett, patiente de Carl Jung, Lucia Joyce fut peut-être la première « fille de » et it-girl du XXe siècle. Avec le destin tragique qui s’ensuit : internée à l’âge de 24 ans, elle termina sa vie dans une institution. Une bande dessinée atypique et enthousiasmante, qu’on espère voir bientôt traduite, lui rend hommage. Dotter of her father’s eyes vient même de remporter le prestigieux prix britannique Costa de la meilleure biographie, une première pour le genre. Les planches, au réalisme expressif et poignant, alternent sépia, couleur, noir et blanc, et sont signées d’un maître de la BD, Bryan Talbot. Sa femme Mary, elle-même fille malheureuse d’un grand spécialiste de Joyce, signe le scénario, qui tisse des liens habiles entre sa propre histoire et celle de Lucia. Réglant enfin son compte au « froid et fou et terrifiant père ». ÉLISABETH FRANCK-DUMAS

Channy Leaneagh.

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BRYAN TALBOT

Dotter of her father’s eyes, de Mary et Bryan Talbot, éditions Jonathan Cape, Londres, www.vintage-books.co.uk


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DOCU Elle ne laissera sa place à personne, Beyoncé. Installée en haut de la pyramide avec son Jay-Z de mari, la reine du showbusiness n’est jamais rassasiée. Plus blonde que jamais, (et blanche si l’on osait), comme sur la dernière couverture de GQ signé Terry Richardson, Beyoncé Knowles construit en direct sa légende médiatique. Après avoir créé un Tumblr (« I Am ») dédié à sa vie, son body et son œuvre, elle vient de réaliser et produire un documentaire (photos ci-contre), qui – on aimerait tant y croire – nous fera pénétrer dans l’intimité de la jeune femme de 31 ans : les répétitions de ses shows, la maternité, Jay-Z, ses parents et sa sœur Solange, et un flot d’images d’archives qui expliquent l’ascension exceptionnelle de la chanteuse venue du Texas. Dans la veine du « do it yourself » que son blog met quotidiennement à disposition de ses fans, elle se dévoile face caméra à l’aide de Photo booth, personnage informatique clef de la vie intime des ados chatteurs de ce bas monde. Jonathan Caouette, sors de ce corps ! La diffusion du documentaire, sur HBO le 16 février, viendra couronner un début d’année tonitruant, entre sa prestation à l’investiture d’Obama, la mi-temps du Super Bowl, le renaissance des Destiny’s Child et les premiers pas de l’héritière Blue Ivy Carter, sa fille. MARIE OTTAVI

BEYONCÉ/HBO - JULIE MEHRETU

Life is but a dream, de Beyoncé, le 16 février sur la chaîne américaine HBO.

EXPO À cheval entre abstraction et figuration, les toiles de Julie Mehretu disent l’expérience de la ville contemporaine. Lignes éclatées, perspectives explosives et aplats de couleur recréent le vertige de ces mégalopoles modernes, anarchiques et saturées de flux. Le trait est dynamique, rappelant parfois Vieira da Silva ou encore Twombly, et l’échelle, immense, a séduit le marché: un Mural de 24 mètres de long signé Mehretu orne le lobby de la banque Goldman Sachs à New York. Pour sa première exposition parisienne, l’Américaine d’origine éthiopienne, âgée de 42 ans, présente un travail plus intime: quinze dessins sur papier et onze sur toile, ainsi qu’une poignée d’eaux-fortes. L’occasion de retracer pas à pas sa démarche créative, et démêler un peu l’enchevêtrement de références et de traits qui produisent ces vertigineuses créations. É. F.-D. Mind Breath and Beat Drawings, Julie Merhetu, galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, Paris IIIe, jusqu’au 16 mars.

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NEWS CINÉMA

3 questions à brigitte roüan

Michaël Abiteboul et Nicole Garcia.

Virginie Legeay dans la Fille de nulle part.

70 000 euros L’argent empoché par Jean-Claude Brisseau au titre de ses droits d’auteur pour la diffusion de Noce blanche à la télévision. Butin aussitôt réinvesti dans un film homemade et très beau, la Fille de nulle part. Comme il n’y a pas de petites économies, l’appartement de Brisseau en est le décor presque unique, et le cinéaste prête lui-même son corps massif et son étrange présence de catcheur en pantoufles au protagoniste, un prof de math à la retraite, épris de philosophie et de métaphysique, soudain hanté par une blonde et jolie jeune fille au sillage constellé d’autres inquiétantes apparitions. 10 Le nombre de noms qui figurent au générique du film, interprètes et techniciens confondus – l’actrice principale, Virginie Legeay, par exemple, endosse également la casquette d’assistante réalisation –, dont un certain « Prise Sauvage » crédité au son. Une carence de moyens qui ne se ressent guère à l’écran, tant la Fille de nulle part se révèle un sidérant précis de mise en scène et d’épure dans la figuration de phénomènes surnaturels, grâce, outre le talent de Brisseau, à quelques trésors de débrouille : tous les travellings ont été effectués à l’aide d’une poussette. 0 distributeur 0 producteur (sinon lui-même). C’est ainsi que se sont présentées l’été dernier les splendeurs lo-fi du film, pas tout à fait fini, au festival de Locarno – avec à la clé, un Léopard d’or inespéré. S’il a heureusement trouvé depuis le chemin des salles (sortie le 6 février), c’est peut-être du fait de cette absence de cadre industriel à l’heure de son tournage que le film a pu se concevoir avec une si séduisante liberté à voguer entre les registres et les genres, et à croiser ainsi chronique du quotidien et fable fantastique, magies noire et blanche, furtifs éclats de comédie et stridulants flashes d’effroi. JULIEN GESTER La Fille de nulle part, de Jean-Claude Brisseau, avec Virginie Legeay, Jean-Claude Brisseau, Claude Morel, en salles le 6 février.

« J’essaie d’aller là où je suis terrifiée »

Nicole Kidman, à propos de ses choix cinématographiques, dans le « Hollywood Reporter ».

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Quel a été le point de départ de ce film, le premier depuis Travaux (2005) ? Toutes les femmes de mon entourage ont un amour barbare, houleux, pour leurs enfants. Quand on aime un homme on cherche à le garder ; quand on aime un fils, on cherche à ce qu’il s’en aille. Même si c’est un déchirement, et c’en est un car c’est un lien dont on ne divorce pas. Je me suis dit que l’histoire archétypale qui racontait cela, l’amour sans but d’une mère pour ses fils, c’était celle d’Œdipe et Jocaste, dont je me suis très librement inspirée. C’est ce qui vous a menée à cette histoire de famille pléthorique en vacances en Grèce ? Je suis amoureuse de ce pays, alors c’est venu très naturellement. Je souhaitais néanmoins que ça se passe dans un univers qui m’était familier, d’où le choix de faire du personnage principal que joue Nicole Garcia une espèce d’intello fauchée qui porte sa famille à bout de bras et se bat contre vents et marées. C’est un film sur la nostalgie, emballé dans une comédie car je n’aurais pas voulu le faire sur le ton de la plainte. Il vaut toujours mieux en rire, non ? Le tournage de cette fiction s’est doublé de celui d’un documentaire. De quoi s’agit-il ? Les Grecs sont fous de leur pays comme je ne pourrais pas l’être de la France, et il faut voir la crise là-bas pour réaliser ce que c’est. Dès les repérages, on m’expliquait que le Pirée, par exemple, a été vendu aux Chinois. En février dernier, quand lors d’une manifestation un pâté de maison entier a flambé au cœur d’Athènes, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. Je suis retournée interviewer mon équipe, me documenter sur ce que ces gens traversaient. L’un est devenu maçon, d’autres travaillent tout le temps mais ne sont jamais payés, la plupart sont retournés vivre chez leurs parents, à 35 ou 40 ans ! Et, tragiquement, cela provoque dans leurs vies une régression qui recoupe un peu ce que raconte ma fiction, finalement. Propos recueillis par J. G. Tu honoreras ta mère et ta mère, en salles le 6 février.

ACACIA FILMS - AD VITAM DISTRIBUTION

L’actrice-réalisatrice vient de tourner Tu honoreras ta mère et ta mère.


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NEWS CINÉMA

Rachel McAdams dans Passion ; à gauche, Denzel Washington dans Flight.

1. ZEMECKIS Extrait de l’impasse pavée de possibles en image de synthèse de sa nouvelle marotte, la performance capture, qui lui a fait enchaîner les croûtes tout-numériques au cours de la dernière décennie (les Beowulf et autres le Pôle express), le réalisateur Robert Zemeckis boucle quelque chose avec Flight. Ce premier film en prises de vue réelles depuis Seul au monde (2000) émerge lui aussi des fumerolles d’un crash, pour conter l’histoire (vraie, évidemment) d’un pilote d’avion qui eut le malheur de sauver miraculeusement presque tous les passagers d’un appareil en flammes et vit alors son indécrottable alcoolisme menacé d’être ébruité par sa célébrité nouvelle. Parfois un peu trop long et lymphatique dans sa peinture du déni de l’addiction, le film réussit néanmoins, par la précision sereine d’un classicisme retrouvé, à résoudre avec adresse la plus schizo des équations hollywoodiennes – celle qui l’oblige à réserver à un personnage de pilote junkie à la fois la punition d’une fin édifiante et un happy end.

2. DE PALMA À

force d’espérer de ses nouvelles en vain depuis cinq ans, on commençait à croire Brian De Palma enlisé pour de bon dans l’imagerie YouTubisée de Redacted (2007), pamphlet définitif sur le conflit irakien. Voilà qu’il ressurgit aux commandes d’un remake berlinois de l’ultime navet d’Alain Corneau, Crime d’amour. Labyrinthe aux innombrables miroitements autoréférenciels, Passion se présente, dix ans après Femme fatale, en nouvelle manifestation d’un penchant désormais récurrent de l’œuvre de De Palma à s’auto-récapituler. Dans un climat de rêverie vénéneuse, le cinéaste orchestre un invraisemblable et magistral ballet de mise en scène où se croisent et se toisent tous les fantômes de sa filmographie, de Phantom of the Paradise à Body Double. J. G. Flight, de Robert Zemeckis, avec Denzel Washington, John Goodman, en salles le 13 février. Passion, de Brian De Palma, avec Rachel McAdams, Noomi Rapace, en salles le 13 février.

UFO DISTRIBUTION - DR

le pitch du film raté Brandon, 27 ans, est le fils de David Cronenberg. Persuadé d’avoir reçu le cinéma en héritage, Brandon réalise un premier long en forme de relecture maniérée des chefs-d’œuvre eighties de papa : ici une dose de Vidéodrome, là un soupçon de Scanners et de Chromosome 3… Soit un conte SF cynique et aseptisé, ancré dans une époque où la reproductibilité des cellules à l’infini étant donnée à tous, on s’arrache germes et chair des stars, si bien que chacun peut s’offrir un steak de tel acteur ou l’herpès d’une it-girl. Non dénuée d’ambition, notamment plastique, l’entreprise embarrasse par sa façon balourde de chercher à s’inscrire dans le sillage de l’œuvre paternelle. Son seul mérite est de révéler un acteur magnétique et maladif à la présence rousse rongée par on ne sait quoi, Caleb Landry Jones, que l’on verrait bien tenir le rôle principal d’un prochain biopic sur Nathalie Kosciusko-Morizet. J. G. Caleb Landry Jones. Antiviral, de Brandon Cronenberg, en salles le 13 février.

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NEWS MUSIQUE

de jamie lidell

1. On prend les mêmes et on recommence. Voici le mot d’ordre de l’année 2013, riche en comebacks. Le trio américain TLC, auteur de quatre bons disques r’n’b entre 1992 et 2002, se heurte à une difficulté de taille: l’une des chanteuses est morte. Pas grave, sur l’album à paraître en 2013, «nous garderons le son de TLC», assurent les survivantes, qui envisagent d’utiliser un hologramme en concert. 2. Parmi les Destiny’s Child, Beyoncé est la seule à avoir véritablement tiré son épingle du jeu, depuis que le groupe a entamé une pause de sept ans. Le trio se reforme à l’occasion d’un nouveau best-of (sur le thème de l’amour, ça change), qui comporte un inédit mou du genou. Et se paye un live à la mi-temps du Superbowl, ce dimanche 3 février. 3. #JT2013: c’est le tag officiel sur Twitter signalant le retour musical de Justin Timberlake, qui se consacrait à sa carrière cinématographique depuis 2006. L’énergique mise en scène sur les réseaux sociaux a assuré à sa nouvelle chanson Suit & Tie, produite encore par Timbaland, une visibilité maximale. 4. David Bowie opte aussi pour l’effet de surprise. Mi-janvier, Sony a annoncé un album à paraître le 11 mars, accompagné d’un single et d’un clip pas très engageant. Ça faisait deux ans que David planchait incognito sur The Next Day (Iso/Columbia), seul avec son producteur historique, Tony Visconti. 5. La sortie d’un deuxième album de My Bloody Valentine, running gag depuis que les Irlandais ont enregistré Loveless en 1991, semble confirmée: le bassiste affirme que toutes les chansons sont prêtes. Qu’on se rassure, aucune date officielle n’est annoncée. ELVIRE VON BARDELEBEN

« L’idée qu’un banquier ou David Cameron aime notre musique me déplaît. (…) S’il s’en servait pour sa campagne, je lui ferais un putain de procès. » Thom Yorke, chanteur de Radiohead, dans « Dazed & Confused ».

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Si votre musique était… un événement ? Quand Jimmy Jam et Terry Lewis ont gagné un Grammy Award en 1986 pour la production de l’album Control de Janet Jackson. ...un animal ? Un bébé tigre. ...un proverbe ou un tweet ? « Rien ne sert à rien si on ne peut pas s’amuser. » Tu peux tweeter tant que tu veux, l’important, c’est de vivre. ...une célébrité ? George Clinton, auteur de la citation précédente. Il avait des tubes puissants, mais comme tous les vrais pionniers, on s’est demandé s’il était génial ou taré. ...un livre ? Absolute Beginners de Colin MacInnes, même si je ne l’ai jamais lu. ...une boisson ? Un dark’n’stormy, un cocktail au rhum et au gingembre. ...une salle de concert ? Le studio 54. Cet album est fait pour danser !

JIMMY KING - LINDSEY ROME 2012

David Bowie.

Pour écrire son cinquième album, le bel Anglais a posé ses valises à Nashville. Pas de country en vue, mais un mélange détonnant de disco maximaliste et r’n’b futuriste, à paraître le 18 février sur Warp.


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NEWS MUSIQUE

Palma Violets.

ultraviolet

ALBUM « Les gens sont tellement en manque de groupes de rock qu’ils trouvent géniaux n’importe quels mecs avec des guitares », assure Jake Bugg, songwriter-philosophe de 18 ans à l’indéniable talent. L’engouement général pour Palma Violets, qu’il citait pour illustrer sa théorie, est peut-être le résultat d’une overdose de synthé dans la musique actuelle. Et si 180 était sorti à l’époque où les Libertines avaient encore la santé, on l’aurait certainement moins remarqué. Mais en 2013, ce premier album ne démérite pas, avec des chansons rock efficaces, des guitares mélodiques et ce grain destroy typique des Anglais, qui donnent souvent l’impression d’hésiter entre vomir et chanter. E. V. B. Palma Violets, 180, Rough Trade/Naïve, sortie le 25 février.

buzz buzz

TOM BEARD - VINCENT DESAILLY - DR

MEMBRES James Young, Aiden Whalley et James Buttery. PATRIE Londres, ville du spleen et du dubstep. PROFIL Whalley et Young se font remarquer en sortant sur Hyperdub, le label

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, le Français Kavinsky a composé Night Call, sur la B.O. de Drive, chanson par laquelle le buzz est arrivé, et deux autres morceaux qui ont servi de génériques publicitaires. Dans la lignée de ces titres populaires (présents sur l’album), Outrun est électronique, dense, homogène, quasi-instrumental. Les claviers s’empilent jusqu’à l’écœurement, soutenus par des guitares électriques et une voix auto-tunée. Avec la légèreté d’un Hummer, la fraîcheur d’un album de Justice datant d’il y a deux ans et un marketing en béton, Outrun a de bonnes chances de cartonner. E. V. B.

fondé par Kode9, des singles différents des autres signatures : électroniques, leurs chansons ont aussi une sensibilité pop. Cette orientation se confirme avec la rencontre du chanteur Buttery et se concrétise sur North, en 2010 : sombre et épuré, il est la réponse à XX de The XX, sorti un an plus tôt. ALBUM Les textures électroniques et l’orchestration minutieuse sont fouettées par la production hip-hop. News From Nowhere est l’admirable résultat d’un travail d’orfèvre où chaque élément est à sa place. ESPRIT « Cet album est plus lumineux que le précédent dans l’ambiance, mais plus profond dans l’intention, plus rythmique et plus fluide », explique le trio. RÉALITÉ Il faut en effet plusieurs écoutes pour saisir la complexité du disque. Et l’aimer à chaque fois plus. E. V. B. Darkstar, News From Nowhere, Warp/Differ-Ant, sortie le 4 février.

Kavinsky, Outrun, Records Makers/Mercury, sortie le 25 février.

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NEWS MUSIQUE

veronica falls, girl power ROCK Depuis Found

CANADA Melissa Laveaux est née à Montréal de parents immigrés haïtiens. Elle se destine à la fonction publique, mais une bourse pour enregistrer un album et une succession de festivals réussis l’en détournent. En 2008, elle sort l’élégant Camphor & Copper, aux sonorités folk. FRANCE Installée à Paris en solitaire, elle vit des moments rudes, qui lui inspirent les paroles de Dying is a wild night – titre emprunté à un vers d’Emily Dickinson plus optimiste : « Dying is a wild night and a new road ». ÉTATS-UNIS Musicalement, ce disque énergique explore les fondamentaux musicaux américains. Melissa confronte les rythmes du jazz à sa voix soul, et se paie une étonnante reprise des rockeurs californiens de Weezer. Brillante synthèse d’influences variées, ce disque pourrait rassembler les fans a priori incompatibles de Billie Holiday et Santigold. E. V. B. Melissa Laveaux, Dying is a wild night, No Format/Universal, sortie le 25 février.

love in the graveyard, son premier single prometteur sorti en 2010, le quatuor londonien Veronica Falls a prouvé que l’espoir placé en eux était fondé. Leur deuxième album en deux ans, Waiting For Something To Happen, est un condensé de pop-rock, où les guitares musclées s’opposent aux chœurs féminins, les mélodies catchy au son très plein. Dans la lignée de Vivian Girls et Best Coast, Veronica Falls s’impose comme un des piliers des rockbands menées par des filles. E. V. B. Veronica Falls, Waiting For Something To Happen, Bella Union/Cooperative Music, sortie le 4 février.

Sur les montagnes russes du succès, Indochine a expérimenté les bas-fonds et les sommets. Mais depuis qu’il a demandé en 2002 à la Lune si on voulait encore de lui, Nicola Sirkis ne connaît plus de revers. Black City Parade ne devrait pas déroger à la règle. Lumineux, ce douzième album développe les codes habituels du groupe : des chansons pop/rock, un peu grandiloquentes, qui parlent d’amour contrarié, et produites de manière à plaire à tout le monde, sauf à quelques rétifs dont nous sommes. Le monde peut s’écrouler, Sirkis est bien accroché à son sommet. E. V. B. Indochine, Black City Parade, Arista/Sony, sortie le 11 février.

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EMMA PICK - ROBIN CHRISTIAN - YVES BOTTALICO

le pitch du mois


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NEWS ART

All-in, 2012.

l’artiche selon l’artiste

EXPO À noter, l’exposition All-in de Mohamed

COLLECTION : JULIO LE PARC/PHOTO : ATELIER LE PARC - MOHAMED BOUROUISSA/COURTESY THE ARTIST AND KAMEL MENNOUR, PARIS - ANTOINE D’AGATA

Bourouissa chez Kamel Mennour. Le jeune plasticien traite ici de l’argent, thème que l’on croyait usé jusqu’à l’os. Mais l’originalité, du jeune homme réside dans la convocation qu’il fait du rappeur bling Booba, pour qui il a réalisé une vidéo ainsi qu’une pièce à son effigie (voir Next no48), en partenariat avec la Monnaie de Paris. Dans l’usine de l’institution, à Pessac, près de Bordeaux, Mohamed Bourouissa a filmé la fabrication concrète du fric. D’autres installations, photographies ou vidéos prolongent ce sujet qu’est l’argent, qu’il soit qualifié de sale, de flouze ou de blé. CLÉMENT GHYS All-in, de Mohamed Bourouissa, à la galerie Kamel Mennour, 47, rue Saint-André des Arts, Paris VIe, jusqu’au 16 mars.

antoine d’agata mène le bal

Modulation 1125, 2003, de Julio Le Parc.

PHOTOS Antoine d’Agata est trop rare, pas assez exposé. La faute à la radicalité de l’œuvre, au dépouillement ascétique, à la dureté de ses corps nus, à la violence sourde qui habite chacun de ses clichés. Mais le Français, né à Marseille en 1961, profite de cette discrétion pour mieux mûrir. Comme l’en atteste l’exposition Anticorps, à l’espace parisien du Bal. S’immiscant de plus en plus vers l’abstraction, floutant les personnages, ses images interrogent elles-mêmes leur statut, oscillant entre photographie documentaire, expressionnisme dépouillé ou rendu d’une performance brutale. C. G.

RÉTRO Chic, les expérimentations hypnotiques de Julio Le Parc sont de retour. Et avec elles, cet esprit ludique et utopique qui présida à l’essor de l’art cinétique en France, grande kermesse de la perception visuelle à visées politiques qui s’épanouit dans les années 60. Les œuvres du Franco-Argentin, précurseur de l’Op Art et fondateur du GRAV (Groupe de Recherche d’Art Visuel) sont un enchantement : déformations cycliques de rubans de métal, jeux de lumière aléatoires, cloisons à lames dont l’aspect change avec le déplacement du spectateur (on passe, on repasse, on passe, on repasse...), autant d’invitations à s’engager pleinement dans l’expérience sensorielle. La rétrospective qui s’annonce au Palais de Tokyo, première exposition monographique de l’artiste depuis les années 80, mêlera œuvres historiques (Contorsions, Mobiles, Modulations…) et interventions monumentales et spécifiques. L’occasion de redécouvrir le mot d’ordre, toujours d’actualité, de ce jeune trublion de 84 ans : « Combattre la passivité, la dépendance ou le conditionnement idéologique, en développant les capacités de réflexion, de comparaison, d’analyse, de création, d’action. » É. F.-D.

Anticorps, au Bal, 6, impasse de la Défense, Paris XVIIIe, jusqu’au 14 avril.

Julio Le Parc, du 27 février au 13 mai au Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris XVIe.

Marseille, 1997.

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NEWS LIVRES

quelques mots de xavier houssin

NOUVELLES Où se nichent nos souvenirs ? Vers quel destin nous conduisent-ils ? Dans les nouvelles d’Anthony Doerr, qu’elles se déroulent dans le Karoo sud-africain ou une vallée chinoise promise à un engloutissement proche, la réponse varie. « Dans l’espace intracellulaire » avance un personnage. « Ils disparaissent, des atlas entiers entraînés dans des tombes » juge un autre. Et pourquoi pas dans de fines cartouches de plastique que l’on insérerait dans notre crâne, façon Total Recall, dès qu’on sentirait notre mémoire flancher ? Telle est en tout cas l’idée phare de la longue nouvelle d’anticipation qui ouvre et donne son titre à l’ouvrage de Doerr, décrivant là un grand marché de la mémoire où les souvenirs se monnayent et se vivent tels des shoots de drogue. À travers ces histoires, et malgré quelques maladresses, Doerr travaille la fragile matière de nos consciences, démontrant que nos vies ne nous guident pas « vers l’extérieur, à travers le temps » mais chaque jour plus au-dedans, vers un « mystérieux royaume miniature » qui nous attend « depuis toujours ». É. F.-D. Le mur de mémoire, Anthony Doerr, Albin Michel, 285 p., 21,50 €, sortie le 7 février.

L’auteur de l’Éloge de la pièce manquante, des Falsificateurs et des Éclaireurs publie le footballistique Mateo, chez Gallimard. 1. La taupe, John Le Carré Le sommet du roman d’espionnage servi par une verve et un sens du détail dignes de Balzac. 2. La grève, Ayn Rand Un roman épique sur le capitalisme, le vrai, celui des entrepreneurs et autres héros. 3. Fictions, Jorge Luis Borges Une intelligence et une finesse d’écriture jamais surpassées. Ma bible. 4. La tante Julia et le scribouillard, Mario Vargas Llosa Un roman jubilatoire sur le pouvoir des mots et de la littérature. 5. Characters and viewpoint, Orson Scott Card Des conseils sur l’art de caractériser des personnages, par l’auteur de La stratégie Ender.

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fleur de pavé On n’a pas forcément envie de souffler les bougies des couronnes mortuaires. Et d’ailleurs, question anniversaire (3 février 1951), le compte ne tombe pas tout à fait rond. Cela dit, pour les 50 et les 60 ans de la disparition de Fréhel en 2001 et en 2011, il ne s’est pas trouvé grand monde pour se souvenir de l’interprète d’Où sont tous mes amants ? et de La java bleue. Sacrée chanteuse pourtant que Fréhel. Une « chanteuse réaliste » comme on disait encore il n’y a pas si longtemps. Tellement réaliste qu’elle en a fracassé le miroir. Avec elle il n’y a pas d’autre côté. La chandelle se brûle par les deux bouts. Elle a chanté les putes et les sales types, l’alcool, la came (Comme les copines,/ Je me morphine,/ Ça me rend tout rigolo./ Je prends de la coco), la folie et le désespoir. Elle a tout vécu. On l’appelait la môme Pervenche à ses débuts. Une vraie fleur de pavé. Elle l’est toujours restée, même après, froissée, moche et fanée. Je l’avais découverte dans cette scène de la Maman et la Putain d’Eustache où Jean-Pierre Léaud fait écouter La chanson des Fortifs à Françoise Lebrun. Fréhel est morte à 59 ans, très seule et très malade, gonflée d’ascite et d’œdème, dans la toute petite chambre de l’hôtel de passe où elle habitait 45, rue Pigalle. Il paraît que le bougnat d’à-côté était à son chevet. Le bistrot du bougnat est devenu aujourd’hui un restaurant de spécialités du SudOuest et l’hôtel borgne est plutôt un immeuble bourgeois. Personne n’a fait poser de plaque sur la façade. Où est l’actualité de tout cela ? Peut-être juste dans le souvenir ému. Il faut l’écouter Fréhel. On trouve des CD sans difficulté. Il en existe un très beau (1930-1939) chez Frémeaux & Associés. Et si vous avez envie d’en savoir plus, procurezvous sa biographie (Fréhel de Nicole et Alain Lacombe, Belfond, 1990). Elle est épuisée, mais il ne manque pas de libraires d’occasion…

C. HÉLIE/GALLIMARD - DR

Total Recall, de Len Wiseman.

par antoine bello


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NEWS LIVRES

Caroline Pochon, au centre.

CAROLINE POCHON

Dans le village de Keur Massar.

ROMAN En wolof, on emploie le même mot, bëgg, pour aimer et vouloir. J’aime, je t’aime, je veux, je te veux. C’est à l’articulation de ce double sens, entre élan du cœur et détermination, entre attirance et affirmation, désir et consentement, que se situe le premier roman de Caroline Pochon. Hortense a toujours rêvé de l’Afrique comme d’une terre de liberté. De sa liberté. Parce que c’était peut-être l’endroit au monde le plus éloigné de la vie enfermée où elle étouffait depuis l’enfance normande entre ses deux parents. À 24 ans, épuisée d’angoisse et de dépression, elle passe à l’acte et part à Ouagadougou au prétexte d’un festival de cinéma. Là-bas, elle va rencontrer Seydou qui va l’entraîner se marier au Sénégal, chez lui, à Keur Massar, un village près de Dakar. Deuxième femme est le récit d’une passion amoureuse et le journal intime des noces africaines difficiles et jalouses. Seydou est déjà marié. Sa jeune épouse, mère d’un petit garçon, attend même un enfant. Il va falloir composer avec la famille, les coutumes, la religion. Vivre la vie commune et se plier aux règles qu’on n’a jamais apprises. C’est écrit avec une grande proximité. Troublante, infiniment sensible. Peut-on devenir l’autre, quelque soit la façon dont on l’entend ? X. H. Deuxième femme, de Caroline Pochon, éditions Buchet/Chastel, 320 p., 16 €.

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NEWS STRATÉGEEK

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chiffres net

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INNOVATIONS Début janvier avait lieu le grand show des produits électroniques, aka le CES, à Las Vegas. Alors, quelles sont les trouvailles technologiques auxquelles on accédera bientôt? L’idée dominante est celle de la smart home, soit la maison intelligente, avec des produits électroménagers qui acquièrent une certaine autonomie. Samsung a présenté son frigo intelligent, celui qui vous signale qu’il y a un vieux paquet de gruyère périmé qui traîne au fond du bac, et qui vous envoie par Internet une notification pour vous rappeler qu’il ne reste presque plus de lait. De l’autre côté, les constructeurs se font la guerre autour de la télé, dont les ventes ont diminué l’an passé. de l’inattendu Pour les relancer, on a droit à des écrans 4K (=ultra haute définition qui donne presque une impression Au CES, on trouve aussi : de 3D), des écrans incurvés, une télé commandée par #inventionàlacon Un pot pour enfant avec le regard, une autre sur laquelle deux personnes peuvent un support pour tablette intégré. regarder deux programmes différents (grâce à lunettes Le charmant bambin peut donc rester assis et casques). Si on fait un bilan d’ensemble, il s’agit sur son pot en regardant un dessin animé. désormais pour les constructeurs d’exploiter toutes #inventionmignonne Le Power Flower. les possibilités techniques offertes par les smartphones Un petit bâton en plastique qu’on pique et les tablettes. On avait justement reproché aux dans un pot de fleurs et qui mesure la précédentes éditions du CES de passer à côté de la fréquence d’arrosage, la qualité de l’engrais connectivité des objets. Cette fois, l’évolution est actée. et l’ensoleillement dont profite la plante. Au fur et à mesure, notre téléphone est en passe de #inventionbizarre La fourchette qui fait devenir la télécommande générale de notre maison, maigrir. Manger trop vite n’est jamais bon. notre voiture, notre vie. Évidemment, tout cela sera Voici donc une fourchette électronique ringard quand Internet sera connecté à notre cerveau qui vibre quand on se goinfre. T. L. grâce à un implant électronique. TITIOU LECOQ

vers un « profil émotionnel » ? PROTO L’entreprise Technicolor a présenté un prototype d’analyseur d’émotions. Grâce à des capteurs, l’engin enregistre et analyse les émotions ressenties par des spectateurs de cinéma au cours d’un film. À quelles fins ? Permettre, par exemple, aux studios de cinéma de contrôler les sensations provoquées par leur production, notamment avant diffusion. Les spectateurs, eux, pourraient choisir leur film en fonction de leur «profil émotionnel» (quelle horreur!). Mais le site 01.net met en avant une autre piste : l’exploitation des données par des sites de rencontre. Notre «profil émotionnel» serait partagé sur les réseaux sociaux dans le but de trouver l’âme-sœur. Bienvenue à Gattaca ! T. L.

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Les femmes sont 23 % moins nombreuses que les hommes à avoir accès à Internet dans le monde. C’est ce que révèle une étude publiée par Intel et l’agence de l’ONU dédiée aux femmes. Cette inégalité s’explique en partie par l’essor d’Internet dans les pays en voie de développement, où les femmes sont très souvent privées de cet accès à l’information. Pourtant, l’intégration des femmes à Internet permettrait, d’après cette étude, une augmentation du PIB en trois ans de 13 à 18 milliards de dollars dans 144 pays.

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Nombre d’applis qui ont été téléchargées sur iTunes depuis sa création en 2008. Le plus fort, dans ces chiffres déjà époustouflants, c’est que 20 milliards d’entre elles ont été téléchargées au cours de la seule année 2012.

DR

Après le téléphone et la tablette, la maison intelligente est en train de se bâtir. Au CES de Las Vegas, le réfrigérateur fait un état des lieux de son contenu, la télévision se commande d’un regard…

Pourcentage de tweets au Royaume-Uni qui concernent la télé. Des chiffres qui doivent être sensiblement les mêmes en France, tant il est évident que l’activité principale des tweetos consiste à commenter les programmes qu’ils sont en train de regarder (en général, pour en dire du mal). L’équation télé + Twitter est devenue si importante qu’une nouvelle mesure d’audience vient d’être créée aux Etats-Unis par l’agence Nielsen, qui calcule «l’audience sociale» des programmes télés.


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DATA BUZZ Ce mois-ci, Next passe un rendez-vous au jeu des chiffres et des lettres.

PAR E. V. B. & E. P.

la fashion week (prononcer fachieune ouike) naissance : le grand bal de l’industrie de la mode naît en 1943 à new york ; en 1973 à paris, sous sa forme actuelle actualité : du 26/02 au 06/03, le prêt-à-porter féminin à paris en quoi ça consiste ?

dans le monde entier

extravagances

Les maisons de couture présentent leurs nouvelles collections aux acheteurs, à la presse, aux fashionistas et aux people. Parmi les grandes maisons: Chanel, Hermès, Christian Dior, Saint Laurent, Louis Vuitton. Parmi les jeunes, Iris Van Herpen, Alexander Wang (Balenciaga), ou Christopher Kane.

# Quatre grandes Fashion Week : New York, Londres, Milan et Paris. # Une cinquantaine d’autres, dont Madrid (depuis 1963), Hong Kong (1968), Tokyo (1985), Auckland (2001) ou Tirana (2007).

1. En 2005, Karl Lagerfeld fait venir un iceberg de 265 tonnes au Grand Palais pour un show Chanel. On y avait déjà vu un lion doré de 18 mètres de haut. 2. Le show d’Hedi Slimane pour la collection automne/hiver 2005 de Dior Homme, avec Razorlight en live et des batteurs installés sur des plate-formes au-dessus du public. 3. Le dernier défilé Alexander McQueen autour de l’abeille, avec des mannequins prises dans des chapeaux en forme de ruches.

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lexique Les mots à manier sans modération: - les «it»: it-girl, it-bag, it-shoes… - les néologismes «y»: le preppy, le wavy, le glossy… - le franglais: le fashion faux-pas, shopper, shoesque… - n’importe quoi en «ista»: fringuista, shoesista (sauf tourista)…

défilés par jour maximum, pendant neuf jours.

« Résumer la Fashion Week de New York, c’est comme résumer une fête chez Charlie Sheen : il y a plein de jolies filles, ça dure des jours et des jours, et c’est un miracle si personne ne meurt. »

115 000 euros, le coût moyen d’un show. Les plus spectaculaires peuvent atteindre un million d’euros, voire deux.

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Joan Rivers au « Buzzfeed Shift », en septembre 2012

maisons sont inscrites au programme, sans compter le «off».

quatre lieux à paris Le plus majestueux : le Grand Palais. Le plus beau : le couvent des Cordeliers. Le plus utilisé : le Palais de Tokyo. Le plus protocolaire : l’hôtel particulier Salomon de Rothschild.

au premier rang… Les acheteurs (de Neiman Marcus, Bergdorf Goodman…) Les figures de la mode (Jefferson Hack, Inès de la Fressange…)

Les people (Kanye West, Deneuve, Charlène de Monaco…) Les journalistes star (Suzy Menkes, Anna Wintour, Carine Roitfeld…)

DR

six films emblématiques

Qui êtes-vous Polly Maggo ?, William Klein (1966)

Prêt-à-porter, Robert Altman (1994)

Le Diable s’habille en Prada, David Frankel (2006)

Gloss, Andrei Konchalovsky (2006)

Brüno, Larry Charles/Sacha Baron Cohen (2009)

Coco Chanel & Igor Stravinsky, Jan Kounen (2009)

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NEWS MODE

co-branding

Certains mariages ont beau être étonnants, ils n’en sont pas moins heureux. Ainsi, que venait donc faire la marque japonaise Comme des Garçons, toujours übercool depuis ses apparitions conceptuelles dans les années 80 où elle était qualifiée de «Comme des Glaçons», chez Hermès et sa kyrielle d’objets luxueux? Des carrés pardi. Mais la créatrice Rei Kawakubo est trop maligne pour coudre une simple étiquette sur une écharpe de soie et boucler l’affaire. Elle préfère l’entrisme. Sur de très classiques foulards, la Nippone a imprimé ses fameux pois ou des messages. Sur un autre, elle a cousu une bande de matière quelconque, transformant très logiquement le carré en rectangle. Les deux collections, Noir et Blanc et Couleur, sont vendues ces jours-ci dans plusieurs boutiques du monde. Comment on dit «la classe» en japonais? C. G.

COLLECTION Bono annonçait récemment que le prochain album de U2 ne sortirait peut-être pas avant dix ans. Une révélation guère surprenante : ces dernières années, le chanteur s’est plus illustré par ses actions caritatives que sa prose. En 2005, il a lancé avec sa femme Ali Hewson la marque de vêtements équitables Edun, pour encourager l’emploi en Afrique sub-saharienne. L’hiver dernier, il est allé avec Renzo Rosso, fondateur de Diesel, visiter leurs programmes respectifs : Only The Brave, fondation soutenue par Diesel au Mali, et la conservation Cotton Initiative d’Edun en Ouganda. De ce voyage est née la collection de denims Diesel + EDUN, composés à partir de cotons ougandais et produits localement, afin de développer un commerce durable en Afrique. S. G. Collection Diesel + EDUN, disponible en boutique et sur Internet à partir du mois de mars. www.diesel.com/diesel+edun/

lagerfeld enfin seul

BOUTIQUE Entièrement noire et blanche (subtil rappel de la tenue deux-tons du designer ?), la première boutique de Karl Lagerfeld fait honneur à la rigueur allemande. Sur 200 m2 et deux étages, elle présentera les collections homme et femme, des accessoires, et les goodies de Karl : des livres de photos et de design ainsi que les productions issues de ses collaborations exclusives (et nombreuses, des briquets ST Dupont aux bouteilles de Coca-Cola). E. V. B. Boutique Karl Lagerfeld, 194, boulevard Saint-Germain, Paris VIIe, ouverture le 28 février.

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Collection Noir et Blanc et Couleur, de Rei Kawakubo, chez Hermès.

« La normalité peut être provocante. »

Miuccia Prada au site Style.com après son défilé masculin, en janvier à Milan.

REI KAWABUKO/HERMÈS - DR

Ali Hewson.


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ELVIRE VON BARDELEBEN

NEWS MODE

SHOWROOM Il y a un mois, le siège français du couturier anglais Paul Smith a pris ses quartiers au cœur du IIIe arrondissement parisien. Dans le somptueux hôtel particulier de Montescot, construit en 1647, le designer londonien a procédé à quelques aménagements, créant des univers propres à chacun des sept étages, avec une attention particulière aux détails : le parquet a été récupéré dans tel manoir ou tel gymnase outre-Manche, les luminaires chinés en Europe ou provenant de chez Graypants. Même les deux ascenseurs ont eu droit à un habillage exclusif, en cuir et tons pastels. Au sous-sol, les caves voûtées servant de salles de (visio-) conférences évoquent un bunker de Président en pleine guerre atomique… Quant au mobilier, il mêle classiques du design (James Burleigh ou Modus) et créations signées sir Paul. Entre ces murs très colorés, bleu Klein, vert arsenic ou rouge sang, toutes les collections de la griffe, des costumes sobres aux chemises imprimées, sont exposées. Si l’endroit reste une vitrine réservée aux acheteurs professionnels et à la presse (ce n’est donc pas une boutique), il respire l’élégance discrète et le twist de son propriétaire. E. V. B.

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NEWS BEAUTÉ

prendre langue

SOINS Vous n’êtes pas sans savoir que la SaintValentin, c’est demain. Ou tout comme. Pour ceux qui n’ont rien prévu, sauf le bisou appuyé de circonstance, ce qui suit est indispensable : menthe verte, clou de girofle et graines d’anis infusés dans une potion sans alcool. Dès le réveil, on se gargarise mezza voce, on recrache subrepticement et on embrasse. Il y a même de la glycérine pour que ça glisse mieux. M. T. Mouthwash, Aesop, 20 € les 500 ml.

ÉGÉRIE Jelena Abbou, voyez qui c’est ? Pas grave, on va pouvoir admirer (?) cette Serbo-Américaine, championne de fitness (nouveau mot pour musculation) en pleine page pub de divers magazines. Elle devient en effet l’égérie 2013 du maquillage M.A.C. C’est sûr qu’elle a la taille de guêpe, l’œil de biche et les arguments pour faire valoir à ceux qui s’en étonneraient qu’elle le vaut bien… La collection ? Comme d’habitude, toujours impec chez M.A.C. MAÏTÉ TURONNET

éloge du gonflé

SOINS Alors on étale la crème sur ses mimines toutes rabougries et elles reprennent forme. Ce « soin volumateur des mains » est une première. Mais on s’interroge… Fait-il grossir les doigts – pratique quand on a des bagues trop grandes ? La paume aussi ? L’effet est-il botox like, comme boosté à l’hélium ? En fait non. Il s’agit plutôt d’un antirides qui atténuerait les irréparables outrages de l’âge : perte d'élasticité et d’éclat, relâchement cutané, texture inégale, sécheresse. M. T. StriVectin-SD, 60 ml, 29 € chez Sephora.

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Monsieur Alber Elbaz, directeur artistique de la maison couture Lanvin, et Mademoiselle Lancôme (que l’on ne présente plus) ont le plaisir de vous annoncer leur union prochaine. Pour l’occasion, le prétendant offrira à sa belle une collection de maquillage digne de leur amour. La fête aura lieu le 15 juin 2013. Invitation suit. M. T.

LANCÔME X ALBER ELBAZ 2013 - DR

carnet du mois


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NEWS PARFUM

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Certains se mettent à la colle avec des artistes, d’autres avec des écrivains, des pâtissiers. Chez Guerlain, on s’acoquine avec le fabricant de dessous féminins Absolutely Pôm pour illustrer par quelques « déshabillés » les six Élixirs Charnels de la maison. Et on en profite pour y ajouter une Eau de Lingerie d’aimable facture et ineffable guerlinade (tonka, ambre, iris…). M. T. Body « Boisé Torride », Absolutely Pôm, 300 €, à partir du 14 février, au Printemps. L’Eau de Lingerie, Guerlain, 65 € les 125 ml.

des hauts et des bas Ci-contre, No5 de Chanel, premier parfum que les hommes préfèrent offrir aux femmes, et J’adore de Dior, premier parfum que les femmes préfèrent pour elles-mêmes.

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INDICES On connaissait les classements par nombre de flacons vendus, par tonnage, par pays, par mode de distribution. Voici que Le Huffingtonpost.fr (si, si) et le cabinet Promise Consulting ont dévoilé un classement « aspirationnel », des marques, c’est-àdire dont l’« indice de

désirabilité » définit la brand value. Pour parvenir à cette cotation, l’étude prend en compte les hauts et bas, soit la différence entre les avis opposés. Ainsi, le célébrissime Angel de Thierry Mugler (invariablement dans les trois premiers des autres classements mais ici tout juste dixième) ne correspond « pas du tout au parfum idéal » pour 35 % des consommatrices et Le Mâle de Jean Paul Gaultier, pourtant bestseller absolu du genre, fait un flop auprès de 27 % de ses destinataires… Comment appelle-t-on ça, déjà ? Indice de « dé-désirabilité » ? M. T.

FLACON Bon an mal an (vingt, déjà…), la marque Hugo Boss trace son sillon de mega star de la parfumerie masculine. Il y a toujours l’une ou l’autre de ses créations (Bottled, In Motion, Intense, Dark Blue, Element, etc…) pour empocher la mise. Il est fignolé au nanogramme près pour satisfaire aux exigences du genre blockbuster, et rien n’est laissé au hasard. À vérifier dans le dernier né, nommé Hugo Red, qui se lance sur un accord froid (galbanum bien vert, rhubarbe assez stridente) puis chaud (ambre impeccable et cèdre classique) plutôt réussi. La bouteille thermosensible qui change de couleur au toucher est vraiment bien. M. T. Hugo Red, de Hugo Boss, 43 € les 40 ml.

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NEWS HORLOGERIE/JOAILLERIE

la dame aux camélias

RÉÉDITION Si sa conception remonte au XVIe siècle, la montre gousset a disparu peu à peu au début du XXe, pour laisser place à la montre-bracelet. Mais au début des années 2000, la montre gousset devient un accessoire de mode. En 2008, l’horloger Richard Mille lance son modèle, résolument moderne, au cadran très carré, la RM 020. L’année dernière, Cartier propose à son tour sa propre version, accompagné par March LAB et Nixon, des marques plus street. Aujourd’hui, Hermès revisite le genre avec la In The Pocket au délicat bracelet de veau Barenia, un cuir tanné dans une peausserie alsacienne où les bovins sont encore élevés sous la mère. Pour la petite histoire, en 1912, Jacqueline Hermès, âgée de 9 ans, avait reçu de son père Émile-Maurice Hermès, dirigeant du sellier parisien, un « oignon » qui s’adaptait à un bracelet de cuir, se transformant ainsi en montre de poignet. C’est en hommage à ce modèle historique qu’a été conçue cette déclinaison contemporaine. NICOLAS DEMBREVILLE

fleur pouvait représenter Coco Chanel mieux que le camélia ? Un petit air androgyne, un léger côté ambigu… Tout pour plaire à cette femme qui aimait transgresser les genres. On le sait moins, la couturière collectionnait les paravents de Coromandel, des pièces laquées et fabriquées en Chine au XVIIe siècle, qui portent le nom de la côte orientale de l’Inde. C’est en hommage à ce passé-là que Chanel lance sa collection de haute joaillerie Jardin de Camélias. La broche marie les ors blanc et jaune, et reçoit en son centre un diamant « coussin » de 4 carats ainsi qu’une flopée de petits frères délicatement taillés en poires, marquises ou brillants. N. D.

In The Pocket, Hermès, boîtier de 40 mm en palladium, mouvement automatique, réserve de marche de 50 heures, édition limitée à 24 exemplaires, prix sur demande.

Chanel Joaillerie, broche Camélia Coromandel.

l’heure bleue

ANNIVERSAIRE En Suisse comme en Bourgogne ou dans le Bordelais, le temps qui passe est synonyme de grands crus et de bons millésimes. Et Jaeger-LeCoultre ne déroge pas à la règle, puisqu‘elle fête cette année ses 180 ans. Au cours de cette longue existence, la firme de la vallée de Joux a déposé 400 brevets et créé 1 200 mécaniques différentes. Pour 2013, elle promet un florilège de belles montres. La Rendez-Vous Celestial fait partie d’une première éclosion. Cette pièce invite à un voyage galactique sous la voûte céleste de son cadran en lapis-lazuli qui intègre un calendrier zodiacal. En prime, une étoile filante manœuvrée par sa propre couronne permet de noter l’heure d’un rendez-vous… En avril, une exposition à la Manufacture maison retracera les heures de gloire de Jaeger-LeCoultre et de ses productions. N. D. Rendez-Vous Celestial, Jaeger-LeCoultre, boîtier de 37,5 mm en or blanc, mouvement automatique.

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CLAUDE JORAY - DR

COLLECTION Quelle


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NEWS MOBILITÉ

la glam électrique

La Tesla.

HAUTE TECHNO Cantonnée jusqu’alors aux modèles urbains ou utilitaires, la voiture électrique sort enfin du bois pour séduire une clientèle dubitative, en mêlant glamour et très haute technologie. L’initiative revient à deux belles Américaines, la Tesla S et la Cadillac ELR. La première est une berline aussi sexy qu’une Jaguar et qui s’offre le privilège de couvrir 400 km d’une traite par la seule force du courant. La seconde est un coupé futuriste qui peut faire un Paris-Nice avec l’aide d’un prolongateur d’autonomie. Ces deux challengers ont le potentiel pour démoder les éternelles références allemandes qui monopolisent le haut de gamme. Reste à savoir si les amateurs habituels de belles automobiles se laisseront convaincre par le statut social alternatif des voitures électriques de luxe. R. R. Tesla S, disponible en France en avril 2013 ; Cadillac coupé ELR, disponible aux États-Unis au printemps.

RYAN MCGINLEY - T. ANTOINE/ACE TEAM - DR

qui pneu le plus, pneu le moins SERVICE Barnabé est poli et bien élevé. Il a un nœud papillon et des gants blancs. Vous l’appelez et il vient chez vous avec son beau camion pour changer vos pneus. Fini la corvée du garagiste pas très sûr. Que votre voiture soit dans un parking ou sur la voie publique, Barnabé s’occupe de tout et effectue les changements en moins d’une heure, à un prix égal ou inférieur aux tarifs en concession. En supplément, il peut laver votre auto ou réaliser une retouche peinture. Barnabé est une nouvelle société parisienne qui réserve dans un premier temps ses services aux voitures haut de gamme avec des pneus de 17 pouces de diamètre ou plus, localisées en Île-de-France. R. R.

FASHION WEEK Depuis dix ans, Mercedes est partenaire de la Fashion Week au niveau international : l’occasion de réaliser régulièrement une campagne exclusive signée par de grands noms de la mode. En ce début d’année 2013, c’est le photographe arty Ryan McGinley qui immortalise le concept Style avec le top model Karlie Kloss, d’après une mise en scène de Jefferson Hack, le cofondateur de Dazed & Confused. La nouvelle Mercedes CLA qui vient d’être dévoilée à Detroit dérive directement du concept Mercedes Style Coupé. Et a pour ambition de rajeunir la clientèle de la marque à l’étoile. RENAUD ROUBAUDI Fashion Week de Paris, du 26 février au 6 mars 2013.

Plus d’infos au 01 39 52 10 10 ou sur www.barnabeservices.com

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PERSONAL SHOPPER

orange mécanique Pour twister les silhouettes, une touche d’agrume, une pointe d’or, c’est le choix assumé de notre personal shopper. Réalisation Leïla Smara / Photographie Frédéric David

De haut en bas, de gauche à droite : Sac « Roseau Héritage » en cuir barénia, 780 €, Longchamp. Eau de parfum intense « Love », 81 € les 50 ml, Chloé. Escarpins en cuir vernis, 130 €, Géox. Lunettes de soleil en acétate ornées de topazes, 306 €, Prada chez Marc Le Bihan. Bracelet « Clic H Extra large » en émail et laque, 740 €, Hermès. Pochette en python et métal, prix sur demande, Chanel. Gel nettoyant pour le corps au pamplemousse, 13 € les 295 ml, C.O. Bigelow chez Colette.

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COVER


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l’entrée dans la danse

Dans cette période chahutée du cinéma français, la jeune actrice Ana Girardot raconte l’apprentissage du métier, ce qu’on fait quand on a 24 ans, des parents acteurs et l’envie de s’installer pour de bon au pays du rêve. Texte Françoise-Marie Santucci Photographies Alistair Taylor-Young Réalisation Leïla Smara Coiffure Mehdi R’Guiba Maquillage Eny Whitehead @ Calliste Assistante mode Mélanie Bougoin

Boléro en tweed noir et blanc ; collier « Nœud » en métal et strass sur ruban, Chanel. Soutien-gorge en python noir, Azzedine Alaïa. Autres colliers et bagues en or gris et diamants, Chanel Joaillerie.


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n se rend compte assez vite qu’Ana Girardot est plus marquante en représentation, filmée ou photographiée, qu’en vrai (et ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas jolie en vrai). C’est l’indispensable qualité d’un acteur, et peut-être la seule pour laquelle il n’a aucun mérite : ce qu’il laisse échapper de lui, malgré lui. Est-ce pour cela qu’on a eu envie de rencontrer Ana Girardot, 24 ans et une poignée de films, d’apparitions – elle et pas une autre ? Outre la photogénie, elle possède, comme « la ménagère de moins de 50 ans » ou le « Français moyen », la particularité rare, en ces temps de distinction forcenée, de représenter une sorte de stéréotype, celui de « la-jeune-actrice-qui-monte ». Faire son portrait revient à faire le portrait de filles comme elles, aspirantes vives et futées, qui avancent leur absence de pimbêcherie comme une arme, leur candeur pas dupe comme la preuve du vrai, et ce n’est pas faux : Ana Girardot est réellement sympathique. Dans ce bistrot du Marais parisien où on lui a proposé de se retrouver (ça tombait bien, elle habite à deux pas), elle commande un thé épicé et entreprend d’expliquer d’emblée, sourire aux lèvres, qu’elle a perdu son cornet de frites. Pardon ? Avant de se soucier des frites, parlons d’elle. Après l’intrigant Simon Weber a disparu, voilà trois ans, elle a joué de petits rôles dans des films plus populaires – Cloclo, Radiostars, Amitiés Sincères (sorti cette semaine) –, et dans la série télévisée les Revenants (sur Canal Plus). Des bouts de scènes, bouts de pellicule parfois banals. Ce n’est pas qu’elle y joue formidablement bien. Mais quelque chose imprime l’image. Et sa cote, dans le casino Las Vegas du cinéma, commence à grimper. Un premier rôle dans le prochain film de Julie Lopes-Curval, un rôle dans le Cannes de Christopher Thompson, qui raconte le festival, et deux autres projets « excitants » dont on ne saura rien. Mais si tout va bien, elle travaillera non-stop jusqu’en juin 2014 (sans compter, si elle est confirmée, la saison 2 des Revenants). POTENTIEL COMIQUE On avait déjà rencontré Ana Girardot à Cannes pour Simon Weber…, de Fabrice Gobert. Premier film et première interview de sa vie, se rappelle-t-elle, tôt le matin sur l’une des petites terrasses venteuses du Palais des festivals. Et voilà qu’elle annonce, trois ans plus tard devant son thé épicé qu’elle n’aime pas (« trop de cannelle »), que son pendentif d’alors, dûment décrit dans l’article, a disparu. C’était un cornet de frites en argent. Peut-être que les frites y étaient pour beaucoup, mais on pouvait déjà percevoir son potentiel comique et tchatcheur (ses personnages les plus marquants, dans Simon… et les Revenants, sont pourtant des filles plutôt mutiques). Or il y a bien, derrière cette sorte d’understatement qui s’est encore affirmé, cette manière de finir ses phrases, bam, d’un bon mot, ou de retomber sur ses pieds vingt minutes après avoir lancé une bêtise, une dose de « belgitude » absurde à la François Damiens. On lui dit. Elle bondit : « Ah c’est drôle que vous pensiez ça. J’adore faire rire les gens. Et mon père aurait aimé que je fasse Sciences-Po, ou des one-woman show ! » Son père est Hippolyte Girardot, l’inoubliable Hippo d’Un monde sans pitié (les plus de 40 ans comprendront). Sa mère est Isabel Otero, également actrice. Dans cette famille recomposée, Ana compte de nouveaux beau-père, belle-mère, et trois demi-frères et sœur. En somme,

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une belle représentation du clan moderne (après chaque fête familiale, ils prennent d’ailleurs une photographie de groupe). Un monde sans pitié a été le film d’une génération. Qui n’avait pas de téléphone portable, pas d’Internet. Pour qui le Virgin des Champs-Elysées était une preuve de l’arrivée frémissante dans le XXIe siècle. Un quart de siècle après, que reste-t-il ? Plus de Virgin mais des écrans partout, et la culture qui se pratique différemment. Ana n’a guère regardé les films de ses parents (« pas génial de les voir faire les guignols, non ? »), et ne semble pas réfléchir en terme de génération. Elle vit, prend ce qu’il y a à prendre, ne se sent gênée d’aucune lacune culturelle, n’a eu l’idée que récemment de la signification du mot « effort » (à New York lors de ses cours de théâtre), et malgré (ou en vertu de) toute cette immédiateté au monde, cette innocence, il est impossible de la juger, de lui en vouloir – et de quoi encore, d’être d’une autre trempe ? Grand bien lui fasse. Une chanson des Smiths passe dans le bistrot (Heaven Knows I’m Miserable Now). Connaît-elle ? Pas du tout. Même le nom des Smiths lui paraît vague. Elle avait dit en pincer pour les Red Hot Chili Peppers ou Madonna, ce genre. « Oui, des airs qui donnent du peps quand tu marches dans la rue… Mais j’ai changé, j’avais dit ça il y une éternité […18 mois, ndlr]. Là j’écoute du jazz des années 30, des vieux trucs. Je ne vais pas voir de concerts, je n’aime pas les choses branchées. Ah si, Lana Del Rey pour son côté Hollywood des 50’s, un peu glauque. Quand je l’ai découverte, elle n’avait que 100 000 vues sur YouTube hein, j’étais quasi-précurseuse ! » DU TAEKWONDO À UN FILM PAR JOUR Ana Girardot est velléitaire. Cela doit aller avec le comique, la légèreté. Elle a tout fait. Taekwondo, ukulélé, danse, dans une manie de toujours commencer, jamais finir. Là, elle s’attache quand même à pratiquer le chant (« je ne peux pas fuir, le prof est mon voisin de palier »), et la flûte à bec. Elle « gribouille » aussi, tout le temps, sur des « tonnes de carnets Moleskine », et a finit d’écrire un court-métrage. Plongée dans Just Kids de Patti Smith, elle avoue « lire mal, lentement ». La seule chose qu’elle fait avec constance, c’est de visionner un film par jour, en DVD ou au cinéma. Elle s’amuse à mimer son arrivée hyper-naturelle à l’UGC des Halles, où comment entrer dans la salle avec un grand latte du Starbucks du coin dissimulé dans son écharpe. En ce moment, elle regarde tout Marilyn Monroe, quand la promotion d’Amitiés sincères, avec Gérard Lanvin et Jean-Hugues Anglade, lui laisse du temps libre (à raison de 4 virées par semaine en province, ils ont visité 30 villes françaises : « On débarque le soir, on file dans un cinéma, projection du film et conférence de presse, puis dîner, on enchaîne avec un second cinéma, re-projection, ensuite on boit un coup et hop au lit »). Et c’est comment ? « Ça va. On me pose peu de questions, mais à Gérard (Lanvin) oui. Il est très populaire. J’observe, j’enregistre… Depuis trois ans, j’ai appris à vivre parmi ces gens du cinéma. Je me sens faire partie de cette graaaaaande famille. » Elle rit. C’était déjà le cas, de par ses parents, les amis de ses parents. Encore une « fille de », une privilégiée qui va rejoindre la horde des enfants célèbres ? Qui sont tellement nombreux qu’être né de personne devient l’exception. Sur la question, la môme Girardot (qui n’est pas, enlevons-lui au moins une ascendance erronée, la petite-fille d’Annie, « seulement » la fille d’Hippolyte et d’Isabel) est super-combative, elle agiterait presque ses petits poings devant vous en crânant : « Ah, si on vient me chercher là-dessus j’ai du répondant. » Chiche ? « Ben oui, les enfants d’artistes voient que leurs parents ont un amour dingue de ce qu’ils font. Ça marque ! Et puis ce sont des vies d’éternelle enfance, où l’on passe son temps à ouvrir le coffre à jouets, la boîte à costumes, à travailler de nouveaux déguisements… »

Perfecto en cuir noir, The Kooples. Débardeur en soie noire et débardeur en soie écrue, Jean Colonna. Jean en denim noir, Levi’s. Bracelet « Juste un Clou » en or gris, Cartier.


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Qui, devant l’espoir d’une telle existence, choisirait un travail « normal » qui du coup, laisse-t-elle entendre, paraîtrait exotique et intimidant ? Le mode de reproduction des artistes, pour paraphraser Bourdieu, fonctionne à plein, et ce depuis toujours. Car si on croit que c’était mieux avant, que Michel Piccoli, au hasard, ne nous emmerdait pas avec ses enfants : raté. Cordelia Piccoli faisait partie du Big Bazar, troupe comico-musicale à succès des années 70, où elle avait comme camarade de régiment Carine, la fille de Reggiani… La différence, c’est que leur généalogie n’était pas source attendue de glamour ou de drame, que leur généalogie ne justifiait pas tant de scrutation, de commentaires, de peopolisation – comme aujourd’hui. CLOTILDE, ISABEL ET HIPPOLYTE À parler d’héritage, celui d’Ana Girardot est bien singulier. La mère de sa mère était une artiste-peintre au succès grandissant, Clotilde Vautier, morte en 1968 à même pas 30 ans des suites d’un avortement clandestin. Un film a été tourné sur sa vie (1), des expositions régulièrement organisées (où l’on a pu voir Simone Veil), un collège rennais porte même son nom. On sent la petite-fille fière mais intimidée par l’histoire, qui préfère parler de son grand-père, le réfugié espagnol devenu veuf de Clotilde bien trop tôt, ce grand-père aimé à l’accent chantant. Sa famille semble être de celles qu’on voit dans les films français grand public où chacun s’adore follement, où l’on festoie souvent et résout les drames en cuisine, où chacun obéit à une typologie bien précise –ainsi la mère d’Ana, Isabel Otero, serait «la mère admirative et un peu envahissante». «Quand j’étais petite, raconte Ana, je me filmais dans des minisketchs que je faisais voir à ma mère… Qui s’empressait de les montrer à tout le monde!» Son père Hippolyte, tel un beau personnage de fiction, a pour elle de délicates attentions. À Noël, comme tous les ans, il lui a offert la recharge d’un agenda en cuir provenant d’une luxueuse maison française, agenda orné de quelques aquarelles peintes de sa main. On passe à quelque chose de plus brutal que le nid d’enfance. La grande-famille-du-cinéma-français, la concurrence, etc. Elle est d’une décontraction ultramoderne : « Pffft. On sait qu’on est beaucoup et qu’il n’y a pas beaucoup de films. Mais pourquoi se faire des crochepattes ? » À la place, les « jeunes » (elle est devenue copine avec Mélanie Bernier, Félix Moati ou Astrid Bergès-Frisbey) ont des relations « cool », s’échangent les coordonnées d’un bon coach d’anglais, font l’apprentissage du système de starification. Pour combien d’élus ? Ana Girardot s’en fiche. Elle croit en sa chance. A le culot de faire le pitre sur les tournages. Se dit prête à appeler un réalisateur si un projet lui fait envie. N’hésite pas à dire son admiration. Pour Maïwenn, rencontrée trois fois, qui « la fascine, ses films sont tellement forts ». Pour Grégory Gadebois ou Céline Sallette, ces acteurs « trop géniaux, trop doués », croisés sur le tournage des Revenants, série pour laquelle on lui dit nos réserves, elle semble étonnée avant de reconnaître, à propos de son personnage de pythie mystérieuse : « Je n’ai pas vraiment compris mon rôle, et je ne suis pas sûre que Fabrice Gobert – le réalisateur – non plus, mais c’était emballant, et il y avait une telle atmosphère… » Son enthousiasme est explosif, total. Suspect ? Serait-elle trop gentille ? « Ah moi je suis réellement gentille, et facile à vivre. Mais déterminée. Quand je dis non, c’est tellement surprenant pour les gens qui ont l’habitude que je sois gentille, que ça porte encore mieux : c’est non. » On revient aux jeunes actrices, à cette chair fraîche qui s’étale en couverture des magazines, dont Next, à la surprise qu’on peut ressentir de les voir invitées aux défilés de mode, invitées à incarner le glamour d’une époque bien sombre… « Je ne connais pas une seule “ jeune actrice ” qui n’ait pas été abordée par une marque. Et alors ? C’est comme ça, on le sait, ça ne change rien à ce qu’on fait si on le fait bien. C’est juste une donnée de l’équation. »

Débardeur en coton et dentelle blanc, Carven. Soutien-gorge en satin noir, Prada. Jupe en coton noir, Hakaan. Bracelets « Love », Cartier. Colliers, Chanel.

L’autre équation qui occupe le cinéma français depuis presque deux mois est celle des cachets. Depardieu, Maraval. Et elle, combien ? « Ouh la la ! Un million de dollars ! » On insiste, elle refuse, dit qu’en France ça ne se fait pas, que même sur les tournages personne ne parle d’argent alors qu’à New York, oui, sans problème. Elle a révélé combien elle gagnait à se meilleure amie qui lui avait demandé, point. On lui promet de se renseigner, elle glousse, dit « OK », et voilà ce qu’on apprend : qu’une actrice de son « rang », qui commence à avoir « un petit nom », toucherait des cachets compris entre 1 000 et 3 000 euros par jour de tournage, que ce tarif est susceptible d’évoluer proportionnellement à une cote médiatico-commerciale aléatoire, mais liée quand même au budget des films, à leur succès public, etc. Admettons donc qu’Ana Girardot se fasse vraiment remarquer dans le film Cannes, ainsi que dans la saison 2 des Revenants, et qu’elle enchaîne sur une publicité : son cachet, nous confient un agent et un producteur, pourrait se voir multiplié par 5 d’un coup – sans que cela corresponde à un saut de carrière réel – mais pourrait aussi, après des contreperformances, baisser d’autant (on la rappelle pour la faire réagir – elle rit, no comment, répète : « Un million de dollars »). En attendant cette arrivée dans la cour des grands, elle profite de ce qu’elle a avec un naturel désarmant. Elle aurait tort de s’en priver. Pour elle les choses sont simples, comme d’aimer le bon vin mais d’en connaître le prix et mesurer sa chance d’en boire (notamment l’AloxeCorton, elle a même goûté un Cheval-Blanc 2003 lors de la tournée d’Amitiés sincères), comme d’avoir pas mal de copains et copines (en deux heures d’interview, 10 appels et 8 messages sur son téléphone – elle ne décrochera pas), comme d’habiter au cœur de Paris avec son chat. Comme de partir bientôt en Thaïlande avec un « ami » dont on ne sait pas vraiment si c’est son « petit ami », seulement qu’il est « manager d’un restaurant ». ÉCONOME MAIS PAS DE SES EFFORTS Son naturel la rend presque exemplaire. Elle fait son shopping chez Zara, se dit « pas dépensière ». Sa chemise à rayures bleu ciel et blanc est à moitié chiffonnée. Elle attendra sagement la fin de l’interview pour fumer dehors. Bien élevée. Elle n’est pas sur Twitter, n’utilise guère Facebook, préfère Instagram tout en disant : « Mais ça intéresse qui de regarder les photos que j’y mets (son chat, la bouteille de ChevalBlanc) ? » Sur un mur, chez elle, il y a un panneau en liège où punaiser des photos, bouts de phrase, cartes postales, tout ce qui l’inspire pour un rôle quand il s’agit d’en composer un. Elle a étudié à New York auprès de la professeur de théâtre Sheila Gray (son credo : The drama continues), dont elle fut aussi l’assistante. Même lorsqu’elle ne pouvait plus parler anglais tant elle était épuisée, il fallait continuer et là, dit-elle, « c’était génial de se rendre compte qu’à force d’efforts, j’y arrivais ». Se glisser dans un rôle, à l’image des acteurs/actrices qu’elle aime (Katharine Hepburn, Steve McQueen, Natalie Portman, Al Pacino…), revient à inventer une vie : imaginer la musique que le personnage écoute, comment il se rassure en cas d’angoisse. On dirait qu’elle découvre son métier à mesure qu’elle se découvre ellemême, tout étonnée par l’ampleur de ses trouvailles. Le lendemain, elle envoyait un texto. Ravie/rassurée. Le cornet de frites en argent est toujours dans sa boîte à gris-gris. (1) Histoire d’un secret (2003), réalisé par Mariana Otero, la tante d’Ana Girardot. À signaler aussi : Clotilde Vautier, par Sylvie Blottière Derrien, avec un texte inédit de Nancy Huston, aux éditions du Carabe (2004).

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Pull en résille noir. et ceinture en python vert, Azzedine Alaïa. Robe en brocard imprimé vert, Valentino. Sautoir en métal, perles et camélia, Chanel. Collier motif feuilles de vigne, Prada. Main droite, bracelets en argent pavé de diamants noirs, David Yurman. Bracelets en veau, Hermès. Manchette en cuir noir, Lanvin. Main Gauche, bracelet en émail et bracelet en veau, Hermès. Bracelet motif feuilles de vigne, Prada. Bracelets en argent pavé de diamants noirs, David Yurman.


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Veste en laine noire, Paul Smith. Chemise en coton blanc, Hermès. Cravate en soie, Lanvin. Bagues « Ultra », Chanel Joaillerie.


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MUSIQUE

espèce de savages ! Les quatre Londoniennes de Savages font du rock pur et dur. Explications de ces jeunes guerrières fiévreuses et ultramodernes. Texte Elvire von Bardeleben Photographies Antoine Carlier uand elle était petite, Gemma, la guitariste du groupe, imaginait avec plaisir des situations catastrophiques. Être avec ses parents dans un train qui déraille par exemple. Elle voyait le moment de la mort, sentait l’adrénaline monter en elle, l’excitation, la peur du danger. C’est cette sensation qu’on veut reproduire sur scène. » La chanteuse Jehnny Beth énonce là une des raisons fondamentales de la réussite du quatuor : Savages veut atteindre son spectateur, le réveiller, quitte à le brutaliser. GIRL GROUP Jehnny Beth vit à Londres depuis plusieurs années, se sent britannique et n’aime pas évoquer son pays d’origine, la France. Déjà avec son compagnon Johnny Hostile, sous le nom de John & Jehn, elle chantait en anglais. Quand, en 2011, Johnny décline l’offre de Gemma Thompson, la guitariste qui les accompagne en tournée, de rejoindre le groupe qu’elle forme avec son amie bassiste Ayse Hassan, Jehnny, très excitée par le projet, se propose. Gemma accepte, elles décident alors qu’elles seront un groupe de filles, pour être sur un pied d’égalité, s’amuser, être plus libres. Elles recrutent une batteuse, Fay Milton. Le groupe est lancé, 25 ans de moyenne d’âge aujourd’hui. VIOLENCE Savages, le nom qui a séduit Jehnny Beth lorsque Gemma évoquait le projet, n’est pas sexué, et cela a son importance. Les sauvages, c’est la violence, la guerre, mais aussi la nature, la simplicité. Les quatre Londoniennes se reconnaissent dans ces valeurs. « Nous sommes des filles qui faisons de la musique de mec ; on est exigeantes les unes envers les autres, pas tendres, ni sentimentales », explique Jehnny, qui, au début, refusait d’écrire des chansons d’amour, car le sujet

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n’était pas assez brutal. Finalement, plusieurs titres évoquent des relations sentimentales. Quitter ses Husbands (« Get rid of it, my house, my bed, my husbands »), se faire battre et aimer ça (« I took a beating today, and that was the best thing I ever had »). Les Savages ne font pas l’apologie de la violence conjugale, mais s’irritent contre la victimisation des femmes, les préjugés de genres. Et s’intéressent aux formes étranges que le désir peut prendre, à ses anomalies. POST-PUNK À l’image des paroles, leur son est brut, joue sur les silences et les bruits, se fiche des refrains. Elles taillent leurs chansons pour la scène. Sur Youtube, pas de clips, uniquement des vidéos de live, prises par des fans secoués au premier rang. Très britannique, inspiré du postpunk des années 70, leur son n’est pas nostalgique. Car Savages ne composent pas dans le regret d’une époque révolue, mais en répétant ensemble, jusqu’à ce qu’une bonne chanson émerge. « On est jeune, on joue avec des instruments contemporains. Pourquoi ferait-on de la musique passéiste ? » Le groupe s’est formé en réponse à la léthargie du rock de ces dernières années, qu’il estime souvent « poseur, verbeux, inefficace ». MODERNITÉ Pour Jehnny Beth, la modernité réside dans le naturel. « Quand il a fallu faire des photos, on nous proposait de faire du rétro, des images vintage. » Ça ne lui plaît pas. Une solution providentielle s’offre en la personne d’Hedi Slimane, designer de la maison Saint Laurent et photographe. « Il utilisait un appareil numérique récent, et prenait directement les photos en noir et blanc. C’était simple, adapté. On ne savait pas qui c’était. » Le contact passe bien, il vient les voir en répétition, puis rend visite à Jehnny chez elle ; elle en profite pour briser la glace et lui demander ce qu’il fait dans la vie. GANG Elles ne suivent pas la fashion week, mais les Savages soignent leur allure pour les shows. Habillées de noir, elles jouent de leur androgynie, surtout Jehnny, à qui la coupe à la garçonne et les transes donnent un air de Ian Curtis. « C’est important d’avoir un physique particulier, un look. Montrer au public un gang dont il aurait envie de faire partie. » Pour leurs concerts, elles choisissent les DJs capables de faire monter la tension dans la salle. Bientôt, il y aura aussi des films et des images projetées, des danseurs pour préparer le terrain. Et pour se garantir une totale indépendance, Jehnny a fondé avec Johnny Hostile le label Pop Noire (qui a repéré et sorti le premier EP de Lescop avant qu’il ne signe chez Universal ; voir article page 82). Ces Savages ont décidé de ne pas entrer dans la cage. En concert à Paris, le 23 février au Nouveau Casino, 109, rue Oberkampf, Paris XIe, http://savagesband.com


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De gauche à droite, Gemma (guitariste), Faye (batteuse), Ayse (bassiste), et Jehnny (chanteuse). Pages suivantes, lors d’un concert à Londres en janvier 2013.

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RÉCIT

journal de wulfran, aventures et rencontres (2005-2012) L’écrivain Simon Liberati avait envie d’évoquer son ami, le dessinateur Pierre Le-Tan, qui vient de publier l’album les Aventures de Ralph & Wulfran, et Le-Tan a accepté d’illustrer ce récit pour Next. Mais Liberati, dont paraît aussi le nouveau livre, a finalement écrit beaucoup plus ; sur lui-même, d’autres amis, et « sa suite overdose ». Texte Simon Liberati / Illustrations Pierre Le-Tan

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« On rencontre beaucoup de gens la nuit, encore faut-il s’en souvenir. » Mike Romanoff, Los Angeles Time, 1956

J

’ai rencontré Pierre Le-Tan pendant l’hiver de 2005. Il vivait déjà dans ce bel appartement de la place du Palais-Bourbon dont les murs peints en vert m’évoquent un cabinet de collectionneur de l’époque romantique. Je me souviens que les premiers temps nous nous sommes observés sans sympathie. Le rapprochement s’est fait lors d’un dîner, nous attendions une amie de Londres – appelons-la Cassandra – dont PLT m’a dit : « C’est la femme la plus laide, la plus riche et la plus avare que je connaisse ». Il n’en fallait pas plus pour que je tombe amoureux de Cassandra. Plus tard, alors que nous allions tous au parking chercher une voiture que j’étais incapable de conduire, j’ai glissé à mon Cupidon chinois : « Nous sommes vraiment des poubelles », et j’ai vu pour la première fois son œil briller, un éclat particulier, celui de certaines pierres dures, qui n’apparaît que rarement, comme le rayon vert, lorsqu’il vous portraiture. Les liens se sont serrés à l’occasion d’un entretien que nous avons fait de concert pour le magazine Purple Fashion à la demande d’Olivier Zahm. J’ai lu ses livres et en particulier Paris de ma jeunesse aujourd’hui épuisé et qu’il faudrait rééditer. Du Modiano en plus exact sans le flou, la vapeur soufflée sur l’objectif. Il y est question de Bao Dai, l’empereur déchu, du XVIe arrondissement et de quelques personnages désuets très finement peints. Paris de ma jeunesse est un des rares livres modernes que j’ai relu plusieurs fois. Le-Tan est secret et il a fallu cet entretien officiel pour qu’il s’ouvre d’avantage. Il y évoquait le New York des années 1970 qu’il a bien connu et des silhouettes aux noms oubliés : Fabio Coen, Ole Risom, Henry Wolf, Ivan Chermayeff, Frank Zachary, Bea Feitler…

I Rendre à César ce qui est à César

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epuis cette époque nous nous téléphonons tous les jours. Nous échangeons des souvenirs recherchant désespérément des noms propres (de Lord Pakenham surnommé Lord Porn à Barbara Carrera ou Jean Babilée). Une fois par semaine nous faisons le point en compagnie d’une farandole d’amis distingués dans le grenier de mon hôtel de la rue de Beaune que j’ai surnommé La suite overdose. De toutes ces conversations il nous reste parfois des souvenirs. Un stock commun dont nous avons tour à tour l’usage. Mon dernier livre doit beaucoup à Pierre, et lui me doit au moins une des planches de son album Les aventures de Ralph et Wulfran ou comment ne jamais s’ennuyer. Cet album en rouge et noir, hommage discret aux crayonneurs de la Renaissance (Jean et François Clouet, Jeanne Mas) raconte les aventures de deux vieux camarades Ralph et Wulfran. Ralph n’est pas le contraire de Tintin, Wulfran, dessiné par le charmant Emmanuel Pierre, est un travesti à béret basque. Ils se sont connus au Royal Lieu, un dancing des Grands Boulevards à Paris. En page 48-49 se trouve l’aventure qui me revient en propriété. L’usage qu’en fait PLT me rappelle à quel point il faut atténuer le réel pour qu’il s’intègre à nos fantaisies. Notre travail n’est pas d’embellir mais d’estomper. La vraie vie sonnant souvent plus faux que la littérature. Résumons l’épisode intitulé Au restaurant : R et W vont dîner à l’Atelier Roubignon, un restaurant gastronomique recommandé par un célèbre critique culinaire de Télérama. Là ils sont confrontés à une invasion de souris. Certains clients s’émeuvent, seuls R et W, les Bouvard & Pécuchet du life-style, toujours bon public, se montrent ravis. Allons à la vraie vie : un dimanche de juin dernier au soir de la finale de l’Open de Roland Garros, ma camarade Rose Singh (surnommée par Jean-Jacques Schuhl « The bride of Frankenstorm ») m’emmène dîner à l’atelier Robuchon en compagnie de Gilbert Yeung, un des rois de Hong Kong, patron de la discothèque The Dragon-i. Il pleut à torrent, les Yeung arrivent en retard. Gilbert, un vieil étudiant souriant, porte des tennis Stan Smith usées, un jean et une montre de prix. Il est accompagné de son fondé de pouvoir, un Chinois strict en costume bleu marine, et de deux jeunes prostituées tchèques. L’une est vêtue d’une mini-robe à l’antique sortie du Satyricon, l’autre porte des lunettes correctrices et un imperméa-

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PIERRE LE-TAN & EMMANUEL PIERRE

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ble qu’elle ne quittera pas de la soirée. Pendant que Rose et Gilbert évoquent le passé brillant de Hong Kong (circa 1999), et le souvenir d’une autre discothèque gérée par Gilbert : le mythique Pink Mao Mao, je parle avec ma voisine en imperméable de Prague, d’Ibiza et d’Edgar Poe que la jeune fille appelle cérémonieusement « Edgar Allan Poe ». Elle me rappelle un Libanais de la Phalange, mon condisciple à Stanislas, qui lui aussi énonçait toujours les noms complets des auteurs célèbres. Au moment de le lui dire, des cris interrompent notre conversation, c’est une septuagénaire américaine assise en face qui vient de monter sur le bar. Le serveur nous rassure, les rats qui courent un peu partout s’appellent en fait des souris. Ces grandes souris ne sortent pas d’un vulgaire égout mais du parc Montalembert, alors en travaux. Enchantées, les deux petites Tchèques se jettent à terre en riant. « They look like puppets » s’écrie la plus jolie qui n’était pas assise à côté de moi. Je vois son haut chignon à la Méduse osciller de joie et d’excitation.

II Le devoir d’oubli

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ivre des bêtises donne quelque chose à raconter. Une mémoire utile dans ma profession. Nuisible dans d’autres. J’admire ceux qui en ont fait beaucoup et qui se taisent comme cet autre patron de boîte de nuit, un play-boy bien français celui-là, qui me confiait un matin d’octobre, vers six heures et demi, alors que nous étions tous échoués dans son étrange appartement du

A1. Neveu de la sublime Anne-Marie Deschodt (cf Luis Buñuel), RD est l’auteur d’un joli roman qui porte un titre de circonstance piqué à Catherine Deneuve : Souviens-toi de m’oublier. C’est un joyeux drille dont le rire m’égaye.

III Au fond de la cave

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e matin-là j’avais à lui raconter ce que les journalistes appellent « du lourd ». Enfin du lourd pour moi, ce qui reste léger par rapport à la vie des hommes illustres de Plutarque. On dirait plutôt du Pétrone ou du Maurice Sachs. On dirait aussi un rêve, celui du général de Rosbourg dans les Vacances de la comtesse de Ségur. La veille j’avais dîné en compagnie d’une dizaine d’amis de fraîche date au restaurant Ya Lamai (la version de poche de Davé). Puis Montana, puis plus rien… Depuis quelque temps, l’établissement de la rue Saint-Benoît est pour moi comme le terrier de certains lapins anglais, j’y tombe et je me retrouve ailleurs. En l’occurrence ce matin-là dans un lit trempé au fond d’une sorte de cave. En regardant le plafond gris dont la peinture s’écaillait je me suis demandé un instant si j’étais gardé à vue. Mais le plafond était bien trop haut pour une cellule de dégrisement et la pièce était encombrée de stoyaks couverts de housses. Ça ressemblait à un dressing ou à un bureau de presse. En tournant la tête vers la gauche du lit j’ai vu un bras masculin orné d’une kyrielle de bracelet et de grigris. Je me suis dit : « mon Dieu qui est cette personne ? ». Le

« Depuis quelque temps, l’établissement de la rue Saint-Benoît est pour moi comme le terrier de certains lapins anglais, j’y tombe et je me retrouve ailleurs. » quartier Saint-Germain-l’Auxerrois : « Au fond j’en n’ai rien à foutre de rien ». Une leçon de sagesse stoïcienne. Une femme de relations publiques que j’ai fréquentée longtemps était ainsi : elle pratiquait le devoir d’oubli. Dix vies successives, rien à déclarer. Elle ne se reconnaissait même pas elle-même sur les vieilles photos de sa jeunesse jetées en vrac dans une boîte à chaussure. C’est moi qui lui ai appris qu’elle avait été la maîtresse du champion de Formule 1 François Cevert (†1973) en piochant un portrait d’eux pris chez Castel à une époque indéterminée. On dit que la lune, patronne des naufragés, rend fou, elle rend plutôt oublieux… Notons que le passage secret qui relie l’art à la vie peut s’emprunter dans les deux sens. Je ne me souviens plus de la teneur des propos de la jeune fille tchèque sur Edgar Allan Poe, en revanche, j’ai en mémoire une conversation très amusante à propos des grisailles de Mantegna avec ma camarade Camille Bidault-Waddington, un matin sur le toit en zinc de La suite overdose. Camille, qui aime à se présenter comme « une connasse de la mode », m’a souvent étonné par la précision de son jugement aussi bien en matière littéraire qu’artistique. Comme quoi le goût est une forme avancée de l’intelligence. Dommage qu’à l’époque je n’avais pas encore retrouvé cette lettre d’Oscar Wilde, racontant la conférence sur Mantegna qu’il a faite à Kansas City au lendemain de la mort de Jesse James. Je n’écris pas de journal et pour me souvenir j’adopte la méthode homérique, rien de tel que de raconter mes aventures cent fois au plus d’amis possibles. Parfois ce besoin est si urgent qu’il me faut m’épancher très vite. Il y a une semaine je me rappelle avoir téléphoné à Régis Descott tout en conduisant d’une main sur l’autoroute

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bras a bougé, une tête est apparue, celle de Dani Morla, directeur artistique de plusieurs établissements de nuit en France et à l’étranger. Nous avions sympathisé au dîner la veille mais je ne pensais pas que ce serait au point de dormir ensemble. Je lui ai dit : « Hello, cher ami désolé de te réveiller mais je crois que j’ai pissé dans ton lit ». Du tac au tac il m’a répondu avec son charmant accent vénézuélien : « C’est pas grave chéri c’est normal ». Cette réponse m’a mis en joie. J’aime les gens qui ont le sens de la repartie, surtout de bon matin. J’étais encore au téléphone en train de raconter à RD la fin de l’histoire (un final sur les cheveux rose de Marie Beltrami, la vraie propriétaire du lit sinistré) tout en payant mon plein d’essence à la station-service Total de la Courneuve lorsque le caissier polonais m’a lancé un clin d’œil : « Je n’ai pas besoin de regarder votre carte bleue je sais qui vous êtes »… Silence, le temps de me rengorger… « Vous êtes le chanteur Antoine ». Il était temps de baisser le rideau et de remonter le temps. De retour dans mon ermitage cistercien de la forêt de Retz, j’ai retrouvé la littérature grâce à Jacques Laurent et une excellente critique du dernier roman de François Mauriac : Un adolescent d’autrefois. C’était dans la revue Le spectacle du monde, en avril 1969. Les aventures de Ralph & Wulfran ou comment ne jamais s’ennuyer, Emmanuel Pierre & Pierre Le-Tan, Alma éditeur, 2012. Souviens-toi de m’oublier, Régis Descott, J C Lattès, à partir du 15 février 2013. 113 études de littérature romantique, Simon Liberati, Flammarion, 2013.


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PORTRAIT

hardy, de pied en cap

Il dessine des chaussures, follement désirables, pour sa propre marque et pour Hermès. Mais Pierre Hardy est aussi un ex-danseur, scénographe, illustrateur et professeur. Rencontre avec un designer hors mode et ultra moderne. Texte Clément Ghys / Photographies Adrian Crispin

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Se définit-il lui-même comme chausseur? «Je ne sais pas.» Dans le showroom d’Hermès, où a lieu l’entretien et où trônent des dizaines de paires de pompes sur les étagères, la phrase pourrait faire sourire dans la bouche de ce quinquagénaire, très élégant, discret, l’œil rieur et le débit de paroles châtié, sensiblement altéré par une recherche du mot précis, de la formulation adéquate. Et pourtant, malgré cette envie de spécifier chaque expression, d’apporter à chaque réflexion une nuance, flottera pendant toute la rencontre un flou, charmant au demeurant, et l’idée que ce poisson-là, d’une tenue impeccable, n’est pas si facile à ferrer.

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a modernité, cet ensemble théorique et disparate, a ses professionnels, ses corps de métiers incarnant pendant un temps toute la complexité de l’époque. La faute aux magazines de mode, à la culture du tapis rouge, aux stratégies commerciales des marques et aussi à une série télé (Sex & the City), les chausseurs sont, depuis une vingtaine d’années environ, les fabricants du contemporain, faisant de leurs godillots des objets rêvés ou traités comme tels. Des moulages de corne, de bois et de cuir, qui par un fétichisme psychanalytique ont connu un glissement sémantique, transformant les noms propres en noms communs. Aujourd’hui, l’on ne parle plus de godillots ou de ballerines mais de ses Louboutin, ses Manolo et ses Jimmy Choo. Et, en parallèle, de Pierre Hardy : baskets montantes ou escarpins constructivistes, pièces d’orfèvrerie pour une clientèle de « bon goût », adepte d’un style très éloigné du clinquant et du tapageur. Seulement, voilà. Pierre Hardy – l’homme, pas la paire de bottines – est gêné à chaque fois qu’il entend quelqu’un dire : « Je vais mettre mes Pierre Hardy ». Et, au vu du succès de sa propre marque, fondée en 1999, et de sa collaboration avec le géant du luxe Hermès, entamée en 1990, l’on parie que la situation se produit souvent. Mais alors, le narcissisme, ou du moins la fierté, de voir son nom imprimé sur la devanture d’une boutique ? Même pas. « Avec le recul, je me dis que j’aurais peut-être dû choisir un autre nom pour ma griffe. »

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UN TRAVAIL D’ÉQUIPE Comme lorsque, première question (due au lieu de l’interview comme à la présence de l’attachée de presse à sa gauche), est évoquée sa relation avec la maison Hermès. « C’est très compliqué à définir. C’est ancien et puis tout est né d’une rencontre. » Avec Jean-Louis Dumas, patriarche (et relanceur) de la griffe, disparu en 2010. « D’emblée, avec lui, et avec ceux qui lui ont succédé, l’idée de liberté a prévalu. Accompagnée d’une certaine sérénité. On ne peut pas rester longtemps sans se sentir libre. Je travaille beaucoup, j’expérimente, j’essaie des choses. Étrangement, je n’ai jamais la sensation que ça va s’arrêter. » Sur le rapport quasi-quotidien avec les équipes de création ou de fabrication, il estime qu’il « ne s’agit en rien d’un lien pseudofamilial ou pseudo-amical. C’est au contraire un rapport créatif très assouvi ». Quand Jean-Louis Dumas l’invite à dessiner la collection de chaussures, le secteur est encore riquiqui. Juste de quoi accompagner le prêt-à-porter, lui-même peu développé à l’époque. Dix ans plus tard, on lui propose de dessiner les lignes de bijoux. « Je n’y connaissais rien, cela représentait donc un nouveau défi. Et une nouvelle donne, une temporalité inédite, “éternelle”. » Les grandes maisons sont des vieilles dames, parfois endormies, que les créateurs contemporains réveillent. Parfois, la tâche fait peur, les sacro-saints codes étant trop lourds à porter. « Hermès est très ancien, il y a donc énormément de stratifications. C’est comme les carottes en géologie, on creuse et l’on trouve des couches, des sédiments. Paradoxalement, chez Hermès, comme les référents visuels sont énormes, ils ne sont pas tant définis que ça. La marque peut osciller entre le baroque le plus flamboyant et le minimalisme le plus rigoureux. Les choses sont incroyablement hétéroclites. » DES CHAUSSONS AUX CHAUSSURES « Hétéroclite. » L’adjectif pourrait être utilisé pour définir son parcours. Naissance dans les années 50. Élève brillant, il rentre à Normale sup’ à Cachan, « parce qu’à l’époque, c’était le meilleur endroit, avec des ateliers parfaits, pour faire des arts plastiques. Et puis, le système de l’ENS est incroyable. On est payés pour faire des études, penser et apprendre ». En parallèle, depuis ses 13 ans, Pierre Hardy danse. Tient-il de là ce port du corps irréprochablement droit ? La vingtaine approchant, il intègre plusieurs compagnies, s’immisce dans la scénographie, avec son bagage de plasticien, intervenant, aidant les chorégraphes. Aujourd’hui, il estime n’avoir pas continué la danse parce que « le travail sur soi est trop demandant, le contrôle est trop nécessaire ». La tension inhérente au danseur, les heures de travail pour corriger un mouvement, la solitude du tapis et de la magnésie sur les mains l’ont lassé. « Du coup, j’ai renoncé au plaisir de la scène, à ce contact très particulier. » Il devient illustrateur, « pigeant » pour des magazines, des cahiers de tendance ou des lookbooks de marques, dans le bouillonnement du milieu de la mode des années 80. Il rentre chez Dior où, après quelque temps, il dessine les collections de chaussures, sa première incursion (« publique » précise-t-il) dans le domaine de la godasse. Pierre Hardy avoue lui-même ne pas trouver son propre parcours « si cohérent que ça » : « J’ai toujours essayé des choses, j’aime le côté expérimental. Si je suis mauvais dans un domaine, j’arrête tout de suite. Je n’ai continué que les choses qui ont fonctionné. Tout cela est très atomisé, mais au fond, il y a une certaine ligne de conduite. » Il est une seule étiquette que Pierre Hardy a longtemps revendiquée : prof. Enseignant pendant vingt-trois ans, puisque Normale sup’ prévoit de travailler après ses études pour la fonction publique. Jusqu’à septembre dernier, il encadrait des projets d’élèves un jour par


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semaine, interrompant un agenda ultra-chargé, à l’école parisienne Duperré. Annie Toulzat, directrice de l’institution, loue sa faculté à « transmettre l’intransmissible, sa bienveillance exigeante ». De ces années d’enseignement, « un métier fondamental », il retient la relation « certes hiérarchisée mais non quantifiée », l’idée de « modeler des étudiants ». Au passage, ce créateur évoluant dans les officines du luxe, rappelle, à raison, la valeur de ce « métier, magnifique, totalement méprisé dans la plupart des sociétés ». Mais l’étiquette professorale est aussi un élément constituant, réglant d’un coup la question, difficile chez lui, du « Que faites-vous dans la vie ? » : « Sur les papiers d’administration, c’était facile, j’inscrivais prof. » TOUJOURS SUR LE FIL Depuis 1999, il est à la tête de sa propre marque, travaille avec une poignée d’assistants dans son studio. Chaque saison, il dessine plusieurs dizaines de paires de chaussures. Contrairement à Hermès, pour lequel il sert d’interprète, il a là pour mission de créer ses propres codes. « Pour ma griffe, mon travail est plus risqué, peut-être moins complexe mais en permanence sur un fil. » Inventer sans dérouter les clients habitués à ses baskets. Jongler entre assurance et effet de surprise pour ceux qui viennent dans ses boutiques acheter un modèle déjà existant. Il voit les hommes comme « plus figés » que les dames, davantage attirés par des objets déjà définis, tandis que leurs consœurs veulent des chaussures « papillons, éphémères », qui les amusent. Mais au fond, dans quelle case ranger Pierre Hardy ? À Duperré, Annie Toulzat estime qu’il « n’a d’autre discipline que la créativité ». Accumulant, à son plaisir ostensible, les casquettes et les activités, il représente la lecture très contemporaine d’un homme de la renaissance, individu aux pieds chaussés dans un système qu’il voudrait voir évoluer. Comme lorsqu’il se plaint du manque d’expérimentation dans la mode actuelle, de la pénurie d’audace chez les créateurs.

Et de déplorer justement le départ de Nicolas Ghesquière de Balenciaga, avec qui il collabora pendant dix ans, l’un des seuls couturiers de la dernière décennie à inventer une silhouette inédite. LE GOÛT DE L’IRRÉCUPÉRABLE Quand nombre de ses confrères modeux piochent dans leurs affinités artistiques pour copier/coller un motif ou une couleur, Pierre Hardy avoue aimer « tout ce qui est irrécupérable ». S’il cite les premières mises en scène de Patrice Chéreau ou une récente exposition du plasticien Rudolf Stingel, c’est que « formellement, rien ne (l’)inspire » : « C’est la manière dont ces êtres que je respecte travaillent qui m’influencent. Inconsciemment évidemment. » Homme de son temps, il déteste la vague nostalgique, n’affectionne pas le rétropédalage esthétique. Et évoque seulement quelques périodes, les années 80 où il découvrit vraiment la mode, ou le mitan des seventies quand « tout le monde croyait que les choses allaient s’améliorer et tout se déclinait en une liberté, une fluidité dynamique. » Il aime les voitures, en possède quelques-unes de très bonne facture (Jaguar, Mercedes…), apprécie le fantasme que ces froissements de tôle, ces bulles esthétiques, provoquent, regrette l’uniformisation du parc automobile actuel. Mais, surtout, il apprécie l’aspect « complètement archaïque, cette bêtise totale de concevoir une boîte précieuse, laquée et magnifique, puis de la lancer à 200 kilomètres heure et risquer de la voir finir écrasée comme un Chamberlain ou un César ». On émet l’idée que les chaussures, dont il a fait sa profession, ne sont rien d’autre que cela : des fantasmes. Un peu idiots, comme tous les fantasmes. Des objets-écrans sur lesquels se projettent vanités et fétichismes. L’œil amusé, il acquiesce et reste coi. Boutiques Pierre Hardy, 9-11, place du Palais Bourbon, Paris VIIeet 156, galerie de Valois-Jardins du Palais Royal, Paris Ier. www.pierrehardy.com

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MODE

qualité street Des gueules d’angelots zébrées de pointes noires, tel un mixage des sous-cultures du monde entier, des gangsters russes aux kids de Larry Clark. Avec superposition de vêtements obligatoire. Photographies Joseph Lacourt Réalisation Leïla Smara Coiffure Mehdi R’Guiba Maquillage Eny Whitehead @ Calliste Assistante mode Mélanie Bougoin

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Veste sans manches en polyester et soie, Ann Demeulemeester. Sweat zippé à capuche en coton, Nike. Perfecto zippé à rayures en coton, Sacai. Pull sans manches en cachemire, Prada Homme. Tee-shirt en coton, Marni. Page de gauche, perfecto en cuir et coton, The Kooples. Chemise en coton, Paul Smith. Tee-shirt en polyester, Kiliwatch. Pantalon en coton, T by Alexander Wang. Main droite, bague en bronze et bague en bronze et pierre de lune, Bernard Delettrez. Main gauche, bague en métal, Maison Martin Margiela ; bague en argent, Thomas Sabo.

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Casquette en coton, Anything chez Colette. Anorak en polyuréthane, Wanda Nylon. Chemise à carreaux en coton, Boss Green. Tee-shirt en coton imprimé, Topman. Pantalon en velours côtelé, Ann Demeulemeester. Page de gauche, veste en jacquard, Haider Ackermann. Sweat zippé à capuche en coton, Calvin Klein. Tee-shirt en polyester, Kiliwatch. Jean en denim, Le Temps des Cerises. Tennis en toile, Vans. Collier en bronze, Bernard Delettrez. Main droite, bague en bronze, Bernard Delettrez ; bague en or, Bijules. Main gauche, bracelet en or, Bijules.

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Casquette en coton imprimé, Lacoste Live. Doudoune sans manches en polyester, Boss Green. Tee-shirt en polyester, Supreme. Veste en toile « mesh » technique, Hermès. Jean en denim, Le Temps des Cerises. Étui multifonction en cuir, Lanvin Homme. Page de droite, veste zippée à capuche en soie, Hermès. Sweat zippé à capuche en coton, Y-3. Tee-shirt en polyester, Kiliwatch. Chaine en argent, Bijules.

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MODE

tout va très bien, madame la marquise L’exposition Fashioning Fashion, au musée des Arts décoratifs de Paris, convoque, via cent silhouettes grand genre, deux siècles d’histoire de la mode. Virée éblouie.

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Texte Emmanuèle Peyret

PERRUQUÉES, ENTURBANNÉES ET CHAUSSÉES Cent silhouettes masculines et féminines sont présentées chronologiquement, des pièces venant essentiellement de France, d’Angleterre et d’Italie, accessoirisées, perruquées, chaussées, c’est presque flippant ce qu’elles ont l’air quasi vivantes (et petites, les tailles des siècles précédents étant plus réduites qu’à notre époque, ce qui est fort plaisant, pour les plus petits d’entre nous). Incroyable aussi tant on se croirait dans un défilé de Vivienne Westwood, John Galliano, Christian Lacroix et de bien d’autres qui ont si souvent emprunté à leurs homologues des siècles passés : à Rose Bertin, la jeune créatrice de mode de la rue Saint-Honoré – peut-être la grand-mère de la haute couture – qui devint vite la faiseuse de robes de Marie-Antoinette, à Louis-Hippolyte Leroy, fournisseur de Napoléon, couturier star de l’époque. Avec Charles Frederick Worth, d’origine britannique, qui fonde en 1858 sa propre maison rue de la Paix, et ne se laisse plus commander les modèles par les clientes, mais leur propose ses propres créations, naît véritablement la haute couture. Les élégantes admirent les tenues sur des « sosies » à la morphologie correspondant à la leur pour être sûres

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lles sont là, quasi tapies dans l’ombre, un peu fantomatiques : des silhouettes d’un autre temps en féerie de taffetas, soie, mousseline, fils d’or, broderies, boutons en strass. Du blanc, du vert pâle, des petites fleurs, du mauve. Des paniers, des faux culs, et bien sûr, des crinolines. Ici une élégante de 1760, là une beauté 1810, une vaporeuse Second Empire, une splendeur en S de la belle Époque : on ne sait plus où donner de la tête de midinette devant ces silhouettes rassemblées par deux collectionneurs de costumes et de tissus anciens, Martin Kamer et Wolfgang Ruf : de 1700 à 1915, deux siècles d’histoire de la mode, Fashioning Fashion, une expo qui vient du LACMA (le Los Angeles County Museum of Art, rien que ça), présentée au musée des Arts décoratifs à Paris.


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Page de gauche, en haut, détail de robe à la française, en soie, Europe, vers 1725 ; en bas, robe et châle, en gaze de coton brodé, 1820. Ci-contre, de haut en bas, gilet pour l’Europe, textile chinois, en faille brodée de soie, vers 1740 ; détail de chaussure, satin, broderies, perles, Londres, vers 1913 ; costume trois-pièces en laine façon tenue de sport anglaise, Espagne, 1785 et tricorne vers 1780 ; détail de robe en soie, à la française, Europe, vers 1725.

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avant de les acheter. Le succès est énorme. Ces deux siècles laissent voir les débuts de l’industrie de la mode internationale telle que nous la connaissons – activité de commerce importante, et cela dès le XVIIIe –, rythmée par les saisons, centrée sur Paris. On fit la balade avec les deux commissaires de l’expo, Denis Bruna, pour le XVIIIe siècle, Véronique Belloir, pour le XIXe (et la fin du parcours juste avant-guerre, avec ce magnifique turban à plumes de Poiret datant de 1911). L’on se promena, avec délice, dans les extravagances de la Cour, les influences britanniques, l’exotisme de la Chine, la façon d’une robe à la française (le corps à baleine, les paniers, le tissu), ces corps incroyablement rectilignes et rectifiés de paniers quasi rectangulaires sur les hanches, comme un piédestal soulignant le buste et le visage. Les gens de la Cour ne marchent pas ou très peu, circulent à peine d’une pièce à l’autre, tombent comme des mouches, surtout les femmes qui portent des chaussures encore plus inconfortables que leurs robes, au XVIIIe, le talon étant logé au milieu de la pompe, on imagine la facilité pour marcher. La chaussure d’homme a le talon rouge, une idée qu’on a vu reprise à notre époque. Ainsi va la mode qu’elle se répète et se cite sans fin : Napoléon emprunte à l’Antiquité, et la mode après sa chute se référera plutôt à la Renaissance. À la fin du siècle, qui fit tomber des têtes (ne pas rater le gilet révolutionnaire, « l’habit ne fait pas le moine » brodé dessus) fit aussi tomber cette rigidité, le vêtement, à la manière de l’aristocrate anglais, qui lui, bouge, s’occupe de ses terres, monte à cheval, s’assouplit et devient plus confortable : l’anglomanie en cette époque post-révolutionnaire est de rigueur. FAUX CULS ET CRINOLINES Frac et gilet, redingote vont accompagner les mousselines de l’Empire aux seins soulignés, à la ligne fluide d’inspiration antique: une période confortable pour les femmes, que le XIXe, pudibond, répressif, hygiéniste et fort machiste, qui va les serrer dans des corsets, et faire changer les silhouettes au fil des décennies: le sablier, le S, les tournures. Les dandys vont faire danser les belles dont les crinolines chantent haut et fort l’essor de la métallurgie et de la sidérurgie: pas moins de 4,8 millions de crinolines vendues entre 1858 et 1864, c’est dire l’ampleur de ce premier phénomène de mode qui touche toutes les couches de la société. Les colorants vont faire des tenues plus flashy, on s’habille léger pour le sport, on taille des amazones pour le cheval, on cède au japonisme (qu’on voit aujourd’hui sur tous les podiums). Une mode qui puise dans toutes les époques et dans le monde entier et qui ainsi, conclut la conservatrice du LACMA Kimberly Chrisman-Campbell, dans sa préface au magnifique catalogue de l’expo, «échapperait à la mort». Fashioning Fashion : deux siècles de mode européenne 1700-1915, au musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris Ier, jusqu’au 14 avril.

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PORTFOLIO

un autre berlin Depuis la chute du Mur, la ville est en perpétuelle rénovation. À la marge, des ruines subsistent. Virée fantomatique avec le photographe Jonas Unger.

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ous ces putains d’étudiants, d’artistes, toute cette mafia appelée “classe créative” avec leur petit Club-Mate à la main, soudain, le quartier en est rempli, et tout change. » L’irritation d’un cafetier de Neukölln, quartier turc popu du sud de Berlin, n’est pas une exception. Depuis plusieurs mois, des graffiti, des pancartes et des vidéos accusent « les touristes » d’embourgeoiser la capitale. Qui n’est pas seulement un centre culturel bouillonnant, un repère d’artistes, d’intellos et de designers. Mais aussi une ville rafistolée, sans cesse redessinée par l’histoire et les gouvernements en place, où il n’est pas rare de tomber, au hasard d’une station de S-Bahn, sur un site abandonné. Berlin est immense (neuf fois la taille de Paris), peu densément peuplé (5 fois moins d’habitants au km2) et n’est pas un nerf économique (seulement politique). Depuis la réunification, les travaux de rénovation massifs ont surtout porté sur les quartiers du centre, anciennement situés à l’Est (Mitte et Prenzlauerberg), aujourd’hui redevenus bourgeois. Il subsiste encore d’immenses terrains vides au cœur de la ville, et de beaux édifices qu’on laisse se détériorer, faute de moyens ou d’intérêt. Le photographe Jonas Unger a exploré trois lieux laissés à l’abandon, situés dans Berlin ou sa périphérie : une salle de bal du XIXe siècle, le jardin olympique construit en 1936 et l’ambassade d’Irak, souvenir de l’architecture soviétique des années 70. À divers stades de délabrement, voués à des destins différents, leur éclat actuel aura disparu d’ici quelques années, sous une couche de peinture fraîche ou des gravats. À Berlin-Grünau, la salle de bal d’un hôtel (voir pages suivantes).

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Texte Konrad Elman / Photographies Jonas Unger


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salle de bal de grünau

Les Berlinois bourgeois venaient en villégiature le week-end profiter de la salle de bal, du restaurant et de l’hôtel, construits autour de 1895. Transformés en discothèque dans les années 80, puis abandonnés, les bâtiments abritent maintenant des fêtes sauvages, comme en témoignent le tag ci-dessus, « C’est par là-bas ». Très endommagé, à l’écart de Berlin, le Ballhaus semble voué à la destruction. Regattastraße, 12527 Berlin-Grünau.

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village olympique

Construit à l’occasion des J.O. de 1936 en périphérie de Berlin, le village accueillait les sportifs sur 555 000 m2. Aussi conçu dans un but militaire, il a été occupé par l’armée allemande pendant la guerre, puis par les Soviétiques jusqu’en 1992. Attractif pour les touristes, le village est restauré depuis 2005 par un investisseur privé. La visite est dorénavant payante et limitée à l’extérieur des bâtiments. Rosa-Luxemburg-Allee 70, 14641 Wustermark.

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ambassade d’irak de l’ex-rda

Le bâtiment massif, typique des années 1970, construit au nord de la ville, a été érigé au moment où la RDA et l’Irak entretenaient des relations très cordiales. Le départ précipité du personnel, abruptement rappelé en Irak en 1991, et l’incendie survenu peu après ont transformé l’ambassade en un extraordinaire bazar où l’on tombe sur des objets d’époque (magazines, documents officiels, machines à écrire, mobilier…). Aucun projet de restauration en vue pour ce symbole de l’exRDA, situé dans le quartier encore peu attractif de Pankow. Tschaikowskistraße 51, 13156 Berlin-Pankow.

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Le groupe Saint Michel (Columbia).

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LÉONCE BARBEZIEUX

DÉCRYPTAGE


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le nouveau partage de la galette (musicale) Aujourd’hui, les majors chassent tous azimuts les jeunes groupes de valeur adoubés par la hype. Un pari artistique inédit qui bouleverse l’économie du secteur. Texte Elvire von Bardeleben

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escop chez Universal, Saint-Michel chez Sony, Granville chez Warner. La liste des petits groupes français signés sur les trois majors qui dominent l’industrie musicale s’allonge chaque mois. D’où vient cette mode? Et pourquoi diable investir dans des artistes a priori peu rentables en pleine crise du disque? Pour comprendre ce mouvement, il faut opérer un petit retour en arrière, quand tout allait (presque) bien. Dans les années 80 et 90, les majors ne se souciaient guère de signer des groupes «alternatifs», dont les projets artistiques étaient souvent à l’opposé du succès commercial, jugé infamant. De surcroît, l’organisation des grandes maisons de disques n’aidait pas: chaque label appartenant à une major se divisait en trois entités distinctes (production, marketing, promo) qui s’occupaient de tous les artistes, quelle que soit leur envergure. La priorité allait toujours aux pointures, aux dépens des plus petits, la découverte de jeunes talents étant laissée aux labels indépendants. «À cette époque, les majors produisaient un album très vite, assez cher, sans chercher à se positionner. On mettait beaucoup d’argent sur la table, et si ça ne marchait pas, on marketait encore plus», explique Olivier Nusse, aujourd’hui directeur de Mercury, filiale d’Universal. Le son était alors formaté pour passer à la radio et toutes les productions se ressemblaient, de Johnny à Pagny. «Après le succès de Rage Against The Machine, chaque label voulait son groupe de rock fusion, se souvient Stéphane Espinosa, directeur chez Warner. Ils étaient montés de toutes pièces et ça se voyait.» Mais, à cette époque, même les échecs commerciaux étaient compensés par le marché, toujours en croissance.

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LES MAJORS S’ADAPTENT Ce double constat oblige les majors à revoir leur stratégie. En premier lieu, elles (re)créent des structures adaptées à la découverte et au développement de nouveaux groupes. Une petite équipe de quatre ou cinq personnes polyvalentes (repérage, marketing, promo…) suffit à faire tourner la sous-branche, à qui l’on donne le nom d’un ancien label prestigieux. Universal est la plus imaginative, qui crée en 2005 Motown (sans autre lien que la soul avec le label des Supremes), puis en 2009, Fontana, Casablanca et Vertigo. En 2012, Warner suit son exemple et ressuscite East West (disparu en 2004 lors des coupes budgétaires), puis en septembre Sony recrée Arista (éteint en 2011, c’était le label de Whitney Houston). Même si leur petite taille les apparente à des labels indépendants, ces nouvelles entités adoptent des stratégies qui relèvent d’une grosse compagnie. D’abord, elles diversifient les genres : seule East West dit s’occuper de musique « alternative et urbaine » (ce qui reste assez large), les autres assument leur volonté de ne pas s’enfermer dans une catégorie. Attirer une célébrité permet aussi de rassurer les arrivants et de se faire rapidement une réputation. Ainsi, le retour de Rhoff se fait chez East West, celui d’Indochine chez Arista. Mais surtout, il s’agit de rester pragmatique et connaître le marché, comme en témoigne Vincent Boivin, fondateur d’Arista France : « Avoir un coup de cœur pour un groupe est important. Je ne signerai cependant pas un album de reggae, même bon, car ça n’intéresse personne. On cherche plutôt des profils branchés comme Woodkid (musicien/réalisateur des clips de Lana del Rey, entre autres). Et si je pouvais piquer C2C (Djs nantais auteurs d’un hit breakbeat calqué sur un sample de blues) à Universal, je le ferais. » « Avoir un coup de cœur », pour un directeur de label, cela signifie trouver un groupe qui combine cinq talents : une forte identité artistique, la capacité de raconter une histoire, l’aisance sur scène, une vision globale de son projet, et une fanbase déjà constituée sur les réseaux sociaux. « Les gamins découvrent les artistes par YouTube, en concert ; on doit donc soigner l’image dès ces premiers stades,

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Aline (Accelera son).

Lescop (Casablanca Records).

FRANK LORIOU - DR

INTERNET CHANGE L’OFFRE MUSICALE À partir de 2000, l’arrivée d’Internet modifie la donne. Non seulement par le biais du téléchargement (illégal ou non), mais aussi dans le rapport des curieux à la musique. Internet éveille leur appétit, facilite la découverte et la multiplication de groupes dotés de peu de moyens. L’équation change radicalement: le spectre musical s’élargit tandis que le business se rétrécit. Face aux ventes de disques en chute libre, les majors coupent dans les budgets, élaguent leurs équipes, fusionnent au maximum. En parallèle, un certain nombre de groupes alternatifs signés chez des indépendants rencontrent de gros succès. En 2007 par exemple, Moriarty, chez Naïve, écoule 150000 exemplaires de son premier album; même chiffre pour Cocoon chez Sober & Gentle; Justice atteint même les 700000 chez Ed Banger. En 2010, Zaz dépasse le million. Un an plus tard, Brigitte, sans passer à la radio, réalise 250000 ventes et Orelsan près de 150000. Les majors, de leur côté, se rendent compte que les «valeurs sûres» n’en sont plus. La compilation des Enfoirés, un énième album de Johnny ou la B.O. d’une comédie musicale n’est plus la certitude d’une réussite commerciale.


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qui parle ? Olivier Nusse, directeur de Mercury (Universal). Stéphane Espinosa, directeur d’East West (Warner). Vincent Boivin directeur d’Arista (Sony). Arthur Peschaud, fondateur du label indépendant Pan European Recording. Stéphanie Fichard, fondatrice du label indépendant Kill The DJ.

de qui ? Mustang (Arista).

C2C Collectif de DJs nantais dont le premier album Tetra cartonne depuis sa sortie en septembre. Lescop, chanteur versé dans la pop aux accents eigthies. Son premier album n’a pas eu le succès escompté. Kavinsky, musicien électro actif depuis sept ans, révélé par la B.O. de Drive, l’an dernier.

JEAN-BAPTISTE MONDINO - DIANE SAGNIER

Aline, quatuor qui buzze avec sa pop en français sous influence des Cure et Morissey. Woodkid, chanteur et compositeur, il s’est fait remarquer par la réalisation de clips, notamment celui de Lana del Rey.

Granville (East West).

Saint-Michel, duo versaillais romantique, dont le premier album paraîtra cette année.

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« Les têtes chercheuses des mini-majors écument les concerts, se remettent à écouter des démos, signent les artistes pour deux albums ou plus, un pari risqué dans une industrie qui pique autant du nez. »

souligne Stéphane Espinosa, directeur d’East West. Le temps où un artiste pouvait s’en tirer avec un bon disque, même s’il n’était pas bon en live ou en promo, est révolu. » Et l’honnêteté de la démarche est essentielle, car « le public distingue de plus en plus les techniques marketing, le vrai du faux ». My Major Company, suspectée d’avoir acheté une grande quantité d’albums de Baptiste Giabiconi pour le placer dans le top des ventes, en sait quelque chose. Et comme au temps jadis de Brian Epstein, les têtes chercheuses de ces mini-majors écument les concerts, se remettent à écouter des démos, signent les artistes pour deux albums ou plus – un pari risqué dans une industrie qui pique autant du nez. De toute évidence, les projets s’inscrivent dans le temps. Il faut partir en tournée pendant un ou deux ans, cibler un public. Et être capable de mentir, de marketer son indépendance. Ainsi, le deal entre l’artiste et la major peut rester secret pour ne pas perturber le lien naissant avec ses fans. C’est le cas pour C2C, « qu’on a d’abord laissé se développer comme un groupe indé », raconte Olivier Nusse. Avant de leur assurer une promo royale, une fois que la mayonnaise était bien montée. L’INDÉPENDANCE SOUS MAJOR ? Pour un jeune groupe, signer sur une major présente de sacrés avantages : un beau chèque d’à-valoir (entre 30 et 100 000 euros), la certitude de bénéficier d’une promo conséquente, d’une mise en avant dans les réseaux de distribution, et de grands moyens marketing si le projet se développe. Saint-Michel, duo pop versaillais signé en licence chez Sony, ne regrette pas son choix : « On nous avait mis en garde contre les majors désincarnées qui essaient d’imposer leurs idées. Rien de tout ça n’est vrai. On est complètement indépendants, Sony nous laisse gérer nos affaires, mais répond présent quand on a besoin d’un coup de main, pour enregistrer en studio par exemple. » Les labels indépendants sont aussi sensibles au charme des majors : Pan European Recordings (où sont signés Koudlam et Poni Hoax), a confié la distribution de son catalogue à Sony : « On profite de leur force de frappe sans qu’ils se mêlent de notre stratégie », se félicite son fondateur Arthur Peschaud. Évidemment, la liberté accordée aux indépendants n’est pas dictée par la charité, mais par le fait qu’aujourd’hui, un groupe aseptisé risquerait de moins marcher. « On n’est pas là pour faire du chiffre, mais enrichir le catalogue. Du moins dans un premier temps », confie Vincent Boivin. L’équilibre financier de ces entités d’un nouveau genre dans les années digitales semble tout de même fragile. Produire le disque d’un débutant coûte entre 75 000 et 100 000 euros, marketing et promo inclus. « Tous les soirs, je me demande dans quoi je me suis embarqué, poursuit Boivin. Mais je me dis que celui qui a signé Adèle, qui a vendu plus de 30 millions d’albums doit être content aujourd’hui. » De fait, comme il y a trente ans, c’est l’équilibre entre les flops et les tops qui permet de continuer. « Avec 1,2 million de Bretonne vendus, Nolwenn Leroy finance d’autres artistes », constate Olivier Nusse, qui relativise aussi le poids de l’argent investi. D’abord les concerts et les clips d’un artiste en développement ne coûtent presque rien ; ensuite, on ne leur fait pas de pub à la télé ou à la radio ; et enfin, Internet permet de tester à moindre coût la cote d’un groupe, en sortant un Ep digital par exemple, avant d’adapter sa stratégie au résultat.

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L’OFFRE ET LA DEMANDE Mais les indépendants coûtent parfois cher. Si le buzz monte, les enchères aussi. C’est le cas de La Femme, signé en novembre chez Barclay, ou de Lescop repéré par Pop Noire (lire l’article sur Savages en page 52) puis récupéré par Casablanca (Mercury) en mai. Olivier Nusse refuse de dévoiler pour combien il a arraché ce dernier à la concurrence, mais il est certain que les maigres ventes d’albums de Lescop (moins de 15000) n’ont pas rentabilisé l’investissement. «On l’a sorti trop tôt, admet Nusse. Il n’avait pas assez tourné. Mais le buzz était là, la chanson La Forêt tournait sur France Inter, il fallait battre le fer tant qu’il était chaud.» Il reste persuadé que Lescop pourrait cartonner sur son prochain album (il a signé pour deux disques au minimum). «Il suffit d’une chanson qui provoque un déclic, comme D.A.N.C.E. pour Justice ou Night Call pour Kavinsky. Lescop peut devenir Zazie.» En terme de ventes, naturellement. Universal n’a de toute façon pas acquis Lescop ou La Femme dans un but uniquement lucratif. Ces artistes très visibles dans la presse – branchée et pas que– et dont le succès est d’abord parisien, servent de vitrines vis-à-vis du public, mais surtout des musiciens. Pour convaincre Fauve de signer (nouveau groupe parisien le plus convoité du moment), mieux vaut sortir l’atout Lescop que Maurane. «On montre aux artistes qu’on a compris leur démarche et qu’on respecte leur projet, souligne Nusse. Nous sommes complémentaires: ils ont un univers, nous avons du temps, et de l’argent.» LES RÉCALCITRANTS DU LABEL Irait-on alors vers un mieux? Certains résistent encore et refusent de s’associer aux majors, à l’instar de Tristesse Contemporaine, Wagner ou Aline, le groupe sensation du moment, qui a sorti en janvier son premier album sur Accelera son, une entité montée pour l’occasion. «Barclay est venu nous voir, mais se posait des questions, n’aimait pas qu’on chante en français, alors que pour nous, c’était une évidence, témoigne le chanteur Romain Guerret. On voulait travailler avec des professionnels qui appréciaient notre musique telle quelle. Et ne pas recevoir d’ordre sur la manière de s’habiller, la maquette de notre album ou les groupes pour assurer nos premières parties.» De fait, même si Universal et consorts s’intéressent à la chair fraîche, le temps consacré au terrain reste limité, faute de personnel. «Et les salariés passent plus de temps à compter les like sur les pages Facebook de leurs poulains qu’à écouter les démos que des inconnus leur postent», se moque un producteur indépendant. Internet, accusé à raison de tuer les ventes, a quand même quelques vertus. Parmi lesquelles celle de faire bouger les choses. Les majors ne formatent plus autant, sont moins obsédées par la rentabilité immédiate d’un projet, le terrain s’assainit. «Avant, un type qui voulait devenir célèbre sortait un single. Maintenant, il fait de la télé-réalité», constate avec satisfaction Stéphane Espinosa. Le plus optimiste (parce qu’il a le plus investi?) reste Olivier Nusse: «Les années rudes nous ont aguerri. On a tenu le coup pendant dix ans, en s’adaptant à de profondes mutations. L’accessibilité à la musique a tellement progressé que le marché ne peut que grandir. Aujourd’hui, le digital représente 30% des ventes et le physique 70%. D’ici, deux ou trois ans, si le pourcentage s’inverse, et si des plateformes comme Deezer ou Spotify continuent de se démocratiser, on vivra des années formidables. Et ceux qui auront le mieux travaillé en profiteront.» On devine à qui il pense.


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QUENTIN CURTAT - LAURENT CHOUARD - DR

et les marques s’emparent des titres… Une solution largement exploitée par les majors, pour rentabiliser l’argent investi dans les jeunes talents sans garantie de retour, est le Business to Business (B to B). Autrement dit : se transformer en une agence pour artistes. Organiser des concerts privés en partenariat avec une marque, faire du sponsoring, du placement de produits, du mécénat, vendre sa musique à la pub. « Les groupes alternatifs marchent bien auprès des marques qui veulent toucher les trendsetters. Si par exemple Nike veut lancer une basket en édition limitée, un groupe comme Birdy Nam Nam fait bien l’affaire », témoigne Vincent Boivin. L’archétype du genre est Kavinsky, dont les affaires prospèrent depuis que la B.O. de Drive l’a lancé : Road Game apparaît dans le jeu vidéo Hitman Absolution et une pub Mercedes ; Odd Look a été utilisée par BMW. Universal le mentionne dans ses communiqués de presse et met le paquet en organisant la soirée de lancement d’album chez Ferrari avec un photocall dans une Testarossa, voiture de prédilection de Kavinsky. La pub

peut même être à l’origine du décollage d’un groupe. Aujourd’hui vendu à 170 000 exemplaires, l’album de C2C a été propulsé en tête des ventes quand Google Chrome s’est servi de leur chanson Down The Road dans leur spot en septembre. Le collectif de DJs nantais part maintenant à la conquête de l’Amérique : le même titre vient d’être choisi pour une campagne Dr. Pepper aux USA. « Que l’on vende sa musique à une pub, je comprends tout à fait, explique Stéphanie Fichard, fondatrice du label indépendant Kill The DJ. Cependant, les dés sont pipés car les majors monopolisent le marché de la pub avec leurs artistes “à la manière de” qui proposent des morceaux inspirés de groupes underground, mais polissés pour les besoins des marques. En effet, C2C explose, sauf que Chinese Man était là avant… » Et d’évoquer les partenariat douteux, où les artistes se mettent en scène pour la marque : « Quand le nom devient un argument de vente, comme Brodinski pour la vodka Wyborowa ou Bob Sinclar pour Sennheiser, c'est difficilement défendable ».

De gauche à droite, de haut en bas, C2C (Mercury), Woodkid (GUM) et La Femme (Barclay).

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ENQUÊTE

ci-contre, un mort Aujourd’hui, les disparus ressuscitent sur scène grâce à la technique de l’hologramme, de plus en plus en vogue. Un procédé renversant, décrypté.

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Texte François-Luc Doyez

COMMENT ÇA MARCHE ? En fait, le Tupac de Coachella n’était pas un hologramme, c’est-à-dire une image entièrement en trois dimensions. Pour redonner vie au rappeur, une image en 2D était projetée sur un miroir posé au sol puis reflétée sur une feuille transparente, en relief, et installée sur la scène avec une inclinaison de 45°, pour donner une illusion de volume aux spectateurs. « Recréer une image 3D demande un processus très fastidieux », explique le producteur Benjamin Fournier, qui s’est essayé à l’exercice. Dans les vingt-quatre images par seconde d’une vidéo, on prend les images une par une, on efface le décor autour du personnage pour en rajouter un, en trois dimensions. Puis il faut s’atteler aux finitions pour les parties “sensibles” comme les mains ou le visage, et mettre finalement le décor en perspective. C’est un processus qui demande environ cent heures de travail pour un peu plus de deux minutes d’images en 3D. » Pour les cinq minutes de concert de Coachella, quatre mois ont quand même été nécessaires, selon Nick Smith, le président d’AV Concepts, à l’origine du projet.

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2012 GETTY IMAGES

l est revenu d’entre les morts devant une foule en délire. Tupac, décédé en 1996, est ressuscité, ou presque. Son hologramme s’est invité au printemps 2012 sur la scène du festival de Coachella, aux États-Unis, devant 75000 personnes. Avec la participation des chanteurs Dr. Dre et Snoop Dogg, biens vivants, eux, ce show inédit a été vu quinze millions de fois en quarante-huit heures sur YouTube, provoquant aussi, pour le best-of du rappeur disparu, une hausse de 573% des ventes. Et déjà, Elvis Presley, Jim Morrison ou Jimi Hendrix «préparent» leur come-back pour une série de concerts, en attendant ceux, pourquoi pas demain en France, de Claude François ou Serge Gainsbourg. Au-delà de la fascination contemporaine pour la technologie, cette tendance lourde à la résurrection digitale pose pas mal de questions quant à notre rapport à la mort.


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L’ hologramme de Tupac (mort en 1996) sur la scène du festival de Coachella au printemps dernier.

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Si, à destination d’un public l’international, Dior réussit à réunir Marilyn Monroe, Grace Kelly, Marlene Dietrich et Charlize Theron, un spot pour une huile d’olive, diffusé dans l’Hexagone, montre Michel Boujenah face à Fernandel dans des images d’assez mauvaise qualité, qui ont pourtant coûté très cher.» En raison de ces coûts de production, les tournées ne devraient pas arriver en France «avant quatre ou cinq ans», selon le producteur Michel Alguet.

QUI RESSUSCITERA ? L’hologramme de Freddie Mercury est déjà revenu sur scène pour les dix ans de la comédie musicale We Will Rock You à Londres, celui de Marilyn Monroe est en préparation pour un spectacle intitulé Virtual Marilyn Live: célébration musicale de la naissance d’une icône pop. Et les résurrections devraient s’accélérer. Après le succès de Coachella, la société Digital Domain, fondée par le réalisateur James Cameron, a levé 10,5 millions de dollars (7,53 millions d’euros) à la bourse de New York pour financer la création de nouveaux hologrammes, notamment celui d’Elvis Presley. Le King reviendrait à la vie à la fin de l’année 2013 pour des apparitions dans des concerts, des émissions télévisées et des films. Jim Morrison devrait également faire son retour: son hologramme «sera capable de marcher vers vous et de chanter en vous regardant droit dans les yeux», prévient le producteur Jeff Jampol (1), pour qui ce ne pourrait être qu’un coup d’essai. Jampol détient également les droits d’Otis Redding, de Janis Joplin et de Michael Jackson. Les frères du défunt roi de la pop sont d’ailleurs intéressés, ont-ils fait savoir, par une tournée des Jackson Five avec hologramme inclus. La sœur de Jimi Hendrix s’est également associée avec les Anglais de Musion Systems déjà responsable de la «re-création» de Tupac, afin de créer un double de son frère. «Pour les ayant-droits, c’est vraiment bénéfique, puisque le succès d’une tournée va de surcroît générer des revenus indirects, avec ventes de disques, de livres ou de posters», explique Paul Morizet, directeur du développement de GreenLights, filiale de Corbis (qui appartient à Bill Gates) pour gérer les droits à l’image de personnalités comme Steve McQueen, Charlie Chaplin, Andy Warhol ou Maria Callas: «Les ventes de disque de Tupac ont explosé après Coachella, et tout le monde l’a bien noté.» Les premières tournées de morts-vivants, enfin, d’hologrammes, devraient donc arriver à la fin de l’année aux États-Unis, «mais ces techniques, dans lesquelles les salles de concert doivent également investir, devront d’abord être rentabilisées sur le marché américain avant d’arriver chez nous», note Paul Morizet À QUAND EN FRANCE ? Ici, toutes ces histoires d’apprentis-sorciers restent timides : Lara Fabian a bien essayé de chanter avec Edith Piaf et Dalida en 2009, mais le procédé avait été jugé « pas totalement au point », avec un « rendu plat au mieux, flou au pire » (2). Dalida est aussi apparue en mai 2012 dans le spectacle de… son sosie, Sandy Sims. Mais pour Benjamin Fournier, qui a créé les images 3D de la chanteuse de Paroles, paroles, les doubles doivent maintenant être virtuels : « Les hologrammes représentent forcément l’avenir, explique-t-il. Regardez les ventes de disques des artistes morts ». Pourtant, aucune tournée de Joe Dassin ou Yves Montand n’est encore programmée. «Créer des hologrammes de personnalités françaises mortes ne serait pas rentable dans l’immédiat pour un marché strictement franco-français, estime Paul Morizet. Le problème se pose aussi pour les publicités.

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QUELLES LIMITES ? Michel Alguet, à l’origine des tournées Âge tendre et tête de bois, a voulu voir les hologrammes de près : « En tant que producteur, nous sommes obligés de nous y intéresser. Je suis allé à Las Vegas pour faire des tests, mais c’est encore une usine à gaz. Disney utilise bien des hologrammes pour ses parcs d’attraction, mais uniquement sur des petits formats. Je ferai pareil dans mon prochain spectacle, Alice au pays des merveilles, il y aura des décors en images 3D. » Mais le producteur ne compte pas récréer d’artiste disparu : « C’est bizarre à voir, ça manque d’émotion, d’âme. J’ai l’impression que nous ne sommes pas encore prêts, le cerveau voit le détourage sur fond vert, il sent que ce qu’il voit est une illusion, et le rejette. Il s’agit quand même de recréer un être vivant ! » Ou plutôt de redonner vie à un mort, ce qui pose quelques problèmes moraux: Tupac était arrivé sur scène en criant: «What the fuck is up Coachella?», alors que le festival n’a été créé qu’en 1999, et que le rappeur fut abattu en 1996. «Ça veut dire qu’on place des propos dans la bouche d’une personne décédée, que quelqu’un a enregistré ça pour lui, ce qui est quand même dérangeant», avait remarqué MTV.com. Un rappeur d’Atlanta, Waka Flocka Flame, avait également dénoncé Dr. Dre et Snoop Dogg, à l’origine du projet: «Ils se font de l’argent sur le cadavre de quelqu’un. On ne sait pas ce qu’un mort souhaiterait.» Des considérations éthiques qui pourraient freiner le développement des hologrammes: «Si Paul McCartney annonçait une tournée avec un hologramme de John Lennon, les fans des Beatles trouveraient ça de mauvais goût et ne viendraient pas», pronostique le journaliste de MTV Gil Kaufman. Les hologrammes posent aussi, et surtout, une question juridique inédite, insiste Paul Morizet: «À qui appartient le double numérique d’un mort? À celui qui l’a créé? À celui qui détient les droits de représentation du disparu? La loi n’en dit rien pour l’instant.» APRÈS LA MUSIQUE ? Marlon Brando et Charlie Chaplin à l’affiche d’un nouveau blockbuster? C’est bientôt possible. «La création d’êtres humains numériques s’affine. Des acteurs pourront bientôt se créer un double, ce qui leur permettra, potentiellement, de tourner dans des films après leur mort. Et un long-métrage avec un acteur entièrement numérique dans un premier rôle devrait vite arriver sur les écrans», pronostique la revue New Scientist (3). Les hologrammes ont déjà fait leur chemin jusqu’aux podiums des défilés de mode: en avril 2011, un show Burberry avait été réalisé, en partie, avec des images 3D, et lors d’une exposition à Londres consacrée à Christian Louboutin, une Dita von Teese virtuelle dansait devant les visiteurs, avant de se transformer en stiletto. Résultat: 38000 visiteurs ont acccouru au Design Museum, nouveau record d’affluence pour le musée. Et pour Paul Morizet, les spectres numériques ne s’arrêteront pas aux salles de spectacle: «C’est un business encore cantonné au domaine de l’entertainement, mais les grandes marques vont s’y intéresser dès que le coût de réalisation baissera. Leur application est infinie ou presque, explique le directeur du développement de GreenLights, on peut imaginer des hologrammes dans les grandes surfaces pour présenter les produits, dans les administrations pour guider les usagers. Ou même Alfred Einstein en guide de musée!» Marilyn Monroe serait donc bientôt vendeuse chez Gap, pendant que James Dean ferait l’ouvreur dans les multiplexes. Dans le futur, même les morts travailleront. http://www.billboard.com/news/estates-ready-holograms-of-elvishendrix-1007299352.story (2) http://www.ozap.com/actu/lara-fabian-zenith-chanteuse-incroyablespectacle-ennuyeux/305242 (3) http://www.newscientist.com/blogs/onepercent/2012/04/rappertupac-rises-from-the-de.html (1)


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l’hologramme, un fantasme d’immortalité ?

MUSION SYSTEMS - DR

Dans Petite philosophie du zombie, sorti en septembre chez Puf, le sociologue canadien Maxime Coulombe analyse la symbolique de ces monstres à la démarche hésitante. Pour Next, il se penche sur d’autres mortvivants, les hologrammes. Le succès des zombies et des hologrammes montrent-ils la fascination de nos sociétés pour la mort ? Lacan rappelait que nous mourrons toujours deux fois, une fois dans la réalité, l’autre fois symboliquement; une fois en tant que corps, l’autre en tant qu’autorité symbolique. Si les vedettes dont on fabrique des hologrammes sont bel et bien mortes dans la réalité, elles ont encore une longue vie symbolique à jouer, un rôle dans notre imaginaire, dans notre mémoire. Cela dit, notre époque a de plus en plus de peine à donner sens à la mort et plus généralement, à articuler les rapports entre présent, passé et futur. Les zombies, et sans doute ces hologrammes de stars, sont bien la marque de cette difficulté où la mémoire, plutôt que de servir de levier pour le présent, tend à le remplacer. La résurrection partielle, des zombies comme les hologrammes, est-elle en train de devenir un mythe de la pop culture ?

Ci-dessus, simulation d’hologramme de Freddie Mercury. À gauche, hologramme, réalisé par Musion Systems, de Dita von Teese pour Louboutin.

Probablement, et pour le comprendre, il faut se pencher sur le rapport de notre société à la mort. Elle est l’impensable par excellence. Le but de notre existence sans dieu ni guide étant désormais équivoque, il est préférable d’oublier sa brièveté, sans quoi il nous faudrait décider du sens de ce temps qui nous est imparti. Sans réponse satisfaisante, tout rappel de la mort nous renvoie à un certain vide. Nous préférons l’oublier. Dans mon ouvrage sur les zombies, j’analysais que ceux-ci étaient les symptômes d’une mort refoulée qui faisait retour – un retour cauchemardesque, fantasmatique – dans l’imaginaire. Dans le cas des hologrammes, j’ai plutôt le sentiment que l’immortalité de la vedette rassure – en ce qu’elle implique pour le sujet de fantasme sa propre immortalité. Pourquoi si peu de critiques sur le côté amoral de hologrammes ? Le phénomène n’est pour l’instant qu’émergent, rendu possible par le développement technique. Je ne sais pas si tout cela est amoral, il est toutefois certain que si les hologrammes se généralisaient, si les morts en venaient à faire de l’ombre aux productions du présent – après tout, les morts jouent sur la scène des vivants –, on devra s’interroger.

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BEAUTÉ

sur la planète cosmétofood Bienvenue dans un monde où de nouveaux aliments rendraient beaux, où des pilules doperaient corps et esprit : la dermonutrition à la nippone fait de plus en plus d’adeptes. Explications sur un créneau en plein essor, mais qui peine à décoller en France. Texte Maïté Turonnet

l y a quelques mois l’artiste Lucy McRae avait imaginé un parfum en gélule pour que le corps transpire le chypre aussi bien que le no5 (plutôt que le fromage caillé, comme le prétendent nos amis les Japonais). On pensait l’œuvre strictement conceptuelle, prétexte à de jolies images réalisées par la créatrice australienne – laquelle nous avait d’ailleurs confirmé qu’il s’agissait davantage d’une vue de l’esprit que d’un projet réel. Or, voici que vient d’être annoncée la sortie justement au Japon de bonbons qui font que l’on sent bon. Comment ? Ils contiennent une haute dose de géraniol (l’un des composants odorants de la rose) dont les molécules, telles celles de l’ail, se mêlent à la sudation. Tout ça sans coller aux dents. C’est fabriqué par Kanebo Cosmetics et le succès nippon s’avère énorme, dans la lignée de ce que l’on trouve dans les supermarchés locaux. Où ça balaye pointu, allant du collagen drink à un autre breuvage au placenta de porc goût framboise, en passant par un chewing-gum bust up qui ferait pousser les poitrines inhibées grâce à des phytoestrogènes extraits d’une plante exotique… ce dernier produit ayant déclenché une vraie polémique. Soit ça ne marche pas et ce n’est qu’une arnaque attrapenouille, soit ça marche mais c’est un danger public. Car, le cas échéant, en multipliant les cellules mammaires, le risque de prolifération cancéreuse augmente aussi. LA BEAUTÉ VIENT DE L’INTÉRIEUR Tout cela ne concerne pas que nos étranges amis japonais. La cosmétofood, ainsi que l’on nomme ces aliments qui rendent beaux, est parmi nous itou. Sont ainsi en vente dans l’Hexagone les yaourts Perle de lait Yoplait dont la publicité vante sans ambiguïté l’effet bénéfique sur la peau, les chocolats Eternity et Young de Newtree qui « contribuent au ralentissement du processus de vieillissement », ou les jus Tropicana Essentiels Antioxydants, de mêmes prétentions. Voire aussi l’Eau de Vichy Célestins (« l’éclat du teint »), déclarée d’intérêt public en 1861 et revendiquant sa haute teneur en oligo-éléments pour une « beauté qui vient de l’intérieur ». Et bientôt, dans le courant de l’année, les boissons Beautyfic Oenobiol lancées conjointement par Coca-Cola et le groupe pharmaceutique français Sanofi. Selon le Wall Street

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« La cosmétofood est née il y a plusieurs années, sans surprise à Osaka et Tokyo, là où le lien aliments/beauté a été compris voilà des siècles, bien avant Vichy-Célestins. » Journal du 22 novembre 2012, qui ne plaisante pas tous les jours, elles auront pour ambitions de « renforcer la chevelure et les ongles, embellir la peau, perdre du poids et améliorer la vitalité ». « À condition, tempère Christian Latge, responsable de développement Nutrition pour les Laboratoires Pierre Fabre, que l’on résolve la question de la distribution… Ces produits seront-ils vendus en grande surface ? Leur prix, positionné très haut comparé à celui des boissons ordinaires, leur sera défavorable comme l’ont prouvé quelques déconfitures précédentes – Essensis le yaourt anti-âge de Danone et Nesfluid Body, boisson coupe-faim de Nestlé, deux échecs exemplaires. En pharmacie ? Les officines n’ont pas pour habitude de vendre de la nourriture, ni l’espace de stockage. Et sinon, sur Internet ? Aux risques et périls des consommateurs, les contrôles sanitaires y étant quasi impossibles. » Malgré ces bémols tout à fait justifiés, l’équation : boire du Coke et maigrir est le rêve de quelques milliards d’humains, mâles et femelles. Et pourrait donc signer les prémices d’un raz-de-marée. DE LA DERMONUTRITION POUR TOUS LES GOÛTS En fait, la cosmétofood, avant d’essaimer avec succès au Brésil, aux États-Unis et depuis peu en Russie, est née il y a plusieurs années, sans surprise entre Osaka et Tokyo, là où le lien aliments/beauté a été compris voilà des siècles, bien avant Vichy-Célestins. Le thé vert, par exemple, y est depuis toujours (et à juste titre) conseillé comme essentiel à la qualité de la peau. L’amour de la technologie, des mignardises kawaii, et l’obsession culturelle de l’apparence ont fait le reste. Il existe aujourd’hui dans cette partie de l’Asie plusieurs milliers de produits miam à visées cosmétiques. Rien de tel ici. Beaucoup moins amusants à ingérer, les compléments alimentaires seraient leurs équivalents occidentaux. Ces comprimés, pilules et capsules concrétisent surtout la vision des années 50 selon laquelle les humains de l’an 2000 ne se nourriraient plus d’aliments, pas même de choucroute. Il y a des pilules pour ressusciter les cheveux, durcir les ongles, soutenir et exalter le bronzage, hydrater l’épiderme (et ses sous-couches), épurer l’organisme, désenfler du ventre, maigrir des cuisses ou des fesses, raffermir l’ensemble, bousiller les capitons ; d’autres pour homogénéiser le teint, défriper les rides, effacer les cernes… Estimé à un milliard d’euros en 2012, ce marché ne connaît pas la crise. L’Afssa (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments) compte qu’un adulte sur cinq et un enfant sur dix en avalent au moins une fois par an. Et parmi ceux-là, 23 % et 12 % tout au long de l’année. Même les enfants ? Ben oui. UN MARCHÉ QUI A SES RAISONS La cause de cette drôle de médicalisation de la vie quotidienne ? Il pourrait s’agir d’un comportement de malades en puissance. Ce que le psychologue Patrick Denoux appelle « l’orthorexie ». C’est-à-dire, dans un monde traumatisé par les crises alimentaires et les injonctions sans appel (« mangez cinq fruits et légumes pas jour », « limitez les graisses et le sucre », « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé »,

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« évitez de grignoter entre les repas »), le besoin compulsif des consommateurs flippés de contrôler tout ce qu’ils ingèrent. Nourriture « saine », pilules et autres pseudo-médicaments qui du coup rassurent, permettant de planifier vieillissement, beauté, santé comme autant de données scientifiques abstraites. Autre raison assénée par certains écologistes, que l’on a connus plus combatifs contre l’industrie pharmaceutique, les sols laminés par l’agriculture de rendement, l’élevage intensif et la pollution des eaux auraient entraîné la diminution de micronutriments essentiels, créant ainsi des carences que l’on ne saurait réguler autrement qu’avec des compléments (bios, bien sûr). Troisième argument lancé par les gastronomes les plus chauvins, la cosmétofood ne pourrait pas prendre dans un pays aussi culinairement culturé que la France, faisant du même coup bien peu de cas de la cuisine japonaise, sans doute la plus codifiée au monde. Enfin, dernière analyse avancée par la nutritionniste consultante Béatrice de Reynal : « Les pays développés disposent désormais d’une telle qualité alimentaire que l’exigence a passé un cap : nous ne voulons plus seulement nous nourrir, mais aussi avoir la meilleure santé et le plus bel aspect possible, le plus longtemps possible. On recherche donc des aliments qui apportent toujours plus. Ils permettent aussi aux industriels d’innover ». Et espérer plus de rentabilité… Le marché n’ayant d’autres raisons (et options) que croître et multiplier, les marges économiques de l’agroalimentaire étant ce qu’elles sont (minuscules) et celles de la cosmétique à l’opposé (colossales), l’irrépressible tentation de marier les deux va finir par céder, ici comme partout. Il n’y a qu’à voir les paquets de baies de goji, qu’on dit bourrées d’antioxydants bénéfiques pour la peau, empilés dans tous les Naturalia de France pour s’en convaincre. Les fabricants de cosmétiques traditionnels le savent bien, qui développent à qui mieux-mieux des soins dits « gourmands ». Ligne pour le bain signé du pâtissier Christophe Felder, Exfoliant à la pêche jaune d’Yves Rocher et Crème Soufflée pour le corps à la pistache de Laura Mercier, parfums aux effluves de chocolat ou de barbe à papa… Encore un verre de collagène-cassis ?

en complément Les suppléments alimentaires sont pris dans un double paradoxe : celui d’être classés comme « denrée alimentaire » et, du fait de leur mode d’ingestion, de dépasser la frontière de l’épiderme, ce que les cosmétiques n’ont pas le droit de faire (sauf à changer de registre et devenir médicament). Ils n’ont par ailleurs aucune preuve à faire du bien fondé de leurs promesses. L’Afssa a donc mis en place un « dispositif de vigilance » demandant aux professionnels pharmaciens ou médecins de lui rapporter tout effet inattendu et inexpliqué de ces produits sur leurs clients. On en est là. Pour ceux qui, taraudés par l’orthorexie, souhaiteraient en savoir plus, la revue 60 millions de consommateurs a publié une étude assez complète sur trente-quatre compléments à but cosmétique (no454). Pas très rassurante : seuls quatre ont été jugés « satisfaisants ».


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INTELLIGENCE SERVICE Chaque mois, Next invite des spécialistes à décrypter les nouveaux comportements et les mutations de l’époque.

SARAH CHURCHWELL

gatsby, le magnifié Propos recueillis par Élisabeth Franck-Dumas

Comédie musicale, long-métrage, livre : les projets autour de Gatsby le magnifique se multiplient cette année. L’universitaire Sarah Churchwell décrypte l’emballement.

PAULA COURT - DR

L La pièce de théâtre Gatz, par la troupe Elevator Repair Service, avec Jim Fletcher.

’idée était au départ d’écrire « quelque chose de neuf – quelque chose d’extraordinaire et beau et simple et méticuleusement composé ». Le roman en question, Gatsby le magnifique (1925), fut mal accueilli. Il tomba dans l’oubli, tout comme son auteur. Pour être redécouvert quelques décennies plus tard, à l’heure où sa critique acerbe de la société qu’il mettait en scène était enfin prête à être entendue. F. Scott Fitzgerald serait-il heureux que son livre, désormais consacré monument de la littérature américaine, fasse l’objet ces jours-ci d’une énième et attentive redécouverte ? Depuis un an, on ne compte plus les projets : une pièce de théâtre, Gatz, lecture/mise en scène marathon de huit heures qui joua à guichets fermés à New York et à Londres. Une comédie musicale, mise en scène à Broadway et outreManche. Un film signé Baz Luhrmann, avec Leonardo DiCaprio dans le rôle titre (sortie prévue en mai, bande-annonce qui enflamme YouTube). Et même une théorie économique, « The Gatsby Curve », qui fit grand bruit l’an passé en pointant les inégalités économiques croissantes aux États-Unis. L’universitaire

anglaise Sarah Churchwell, déjà auteur d’un essai brillant sur Marilyn Monroe (1), prépare un livre sur le sujet, Careless People : Murder, Mayhem and the Invention of the Great Gatsby, à paraître chez Little, Brown en juin. Elle revient pour Next sur les raisons de cet engouement. Comment analysez-vous cette remise au goût du jour de Gatsby le magnifique dans la pop culture contemporaine? Je n’avais pas prévu, il y a quatre ans, quand j’ai commencé à travailler sur le livre, que Gatsby serait en plein revival ! Mais j’ai toujours aimé ce livre et il se trouve que je suis tombée sur des articles, des archives, des documents qui ont trait à la genèse du roman et qui n’avaient, à mon sens, jamais été mis en lumière. Je ne peux pas vous en dire plus, mais disons qu’il sera question de contexte, d’événements se passant en 1922, qui est l’année où Gatsby est censé se dérouler. Pour le reste – le film, la pièce Gatz, les théories économiques – je crois qu’à l’heure où nous vivons une grave crise, qui suit une période de boom économique, Gatsby a quelque chose de prophétique. Notamment dans sa mise en scène de la poursuite effrénée de la richesse, bien sûr, mais aussi, plus précisément, du matérialisme. Fitzgerald fut visionnaire de reconnaître cet

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intérêt grandissant de la société pour les objets symboliques, les signes statutaires, ces choses qui deviennent terriblement importantes pour nous, ou plutôt qu’on nous apprend à aimer, et qui masquent un vide intersidéral. Gatsby est un roman saturé d’« objets enchantés », comme Fitzgerald les appelle, qui ne sont autre que les objets de marque d’aujourd’hui. Que sont ces objets enchantés ? La lumière verte au bout d’un ponton, symbole de l’amour que Jay Gatsby porte à Daisy ; sa maison, lieu de sa réussite par excellence. Il insiste d’ailleurs pour que Daisy vienne l’y retrouver, plutôt qu’aller la voir chez elle, car c’est là que les retrouvailles parfaites doivent se dérouler, il veut tout lui montrer, ses innombrables chemises qu’il lui jette à la figure et qui la font pleurer. Jusqu’à sa Rolls Royce, dont il est si fier, et que Tom Buchanan, le mari de Daisy, appelle « sa roulotte de cirque ». Fitzgerald décrit, avec beaucoup de prescience, le début de l’empire des marques et du bling. Ce qui est amusant, c’est que le livre joue sur les deux tableaux : il nous attire avec ses descriptions de fêtes, de vie luxueuse, tout en les dénonçant. Cette ambivalence, qui était aussi celle de Fitzgerald lui-même, trouve un écho évident à notre époque : je pense que personne n’ignore, en tout cas depuis la crise de 2008, que cette surenchère matérialiste est vaine et dangereuse, et pourtant elle ne s’est pas arrêtée du jour au lendemain. On recherche le glamour tout en le sachant toxique. C’est peut-être pour cela que le livre, en dehors de ses autres qualités, son écriture et sa construction brillantes, plaît autant. Dans quelle mesure Fitzgerald voulait-il faire de ce roman une dénonciation sociale ? Il en avait l’intention, des lettres et notes de l’époque l’attestent. Il parlait beaucoup,

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notamment avec son ami l’écrivain Edmund Wilson, de l’effondrement des valeurs aux États-Unis, de l’obsession pour la richesse. Et il avait été très marqué par la lecture de la Terre vaine, de T.S. Eliot, publié en 1922, qui décrit si bien ce monde moderne stérile, en perte de sens. Mais ses motivations allaient bien plus loin, il s’agissait avant tout pour lui d’être pris au sérieux, enfin. Jusqu’alors, Fitzgerald était surtout connu pour les nouvelles qu’il publiait dans des magazines grand public, et dont la lecture était, avant l’apparition de la radio, l’un des passe-temps favoris de la classe moyenne – ce travail était pour lui un moyen de payer les factures. Aujourd’hui, ce serait comme d’écrire pour une sitcom. Avec Gatsby, il a voulu écrire une chose « neuve et merveilleuse ». Et aussi reconstruire l’atmosphère particulière qui régnait alors à Long Island. Il finira par écrire le roman en Europe, en l’espace de dix mois. Comment l’ouvrage a-t-il été accueilli, à sa sortie ? Plutôt mal. Les critiques étaient très partagés, la plupart d’entre eux n’ont tout bonnement pas compris ce que Fitzgerald avait voulu faire, ont trouvé le livre « insignifiant », voire « consternant ». Et il n’a pas été un succès commercial. Ses deux premiers romans [l’Envers du paradis et les Heureux et les Damnés, ndlr] avaient très bien marché, celuilà déçut tout le monde. Mais en 1925, en plein boom économique, personne n’avait envie d’entendre un message apocalyptique. À quel moment les avis ont-ils changé ? Cela a commencé après sa mort. Edmund Wilson voulait publier le roman inachevé de Fitzgerald, le Dernier nabab, et comme le texte était plutôt mince il a décidé de lui adjoindre Gatsby le magnifique. Nous sommes en 1941, quinze ans après la première parution, et

surtout après le krach de 1929. L’Europe est en guerre, et bientôt les États-Unis. Et tout à coup, on découvre combien Fitzgerald a pu être visionnaire, et tout ce qu’il a prophétisé : que la fête aurait une fin tragique, que cette génération s’était engagée dans une colossale fuite en avant. On voit, dès 1951, paraître les premiers livres lui étant consacrés. Un économiste américain, Alan Krueger, a théorisé que l’inégalité sociale grandissante aux États-Unis s’accompagne d’une chute de la mobilité sociale, et a baptisé ce phénomène « la courbe Gatsby ». Trouvez-vous l’image juste ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de déprimant à utiliser un constat établi dans les années 20 pour observer un phénomène contemporain ? J’ai été très sensible à cet argument, et très étonnée. On aurait pu croire que plus l’écart de richesse augmentait entre les riches et les pauvres, plus il existerait de mobilité sociale entre les générations. C’est en tout cas l’argument d’une certaine droite américaine : « La marée montante soulève tous les bateaux ». Or ce n’est pas vrai du tout. En cela, Krueger a vraiment compris Gatsby, dont le héros se heurte à un plafond – non de verre, mais de béton. La mobilité sociale n’existe pas dans le livre. Ce qui est un peu ironique, cela dit, est de baptiser un tel concept « la courbe Gatsby », car c’est en faire une marque pour créer du buzz, un mécanisme classique de notre culture people. Et la preuve : on en parle. Pensez-vous que l’on puisse, pour tous les personnages et même l’intrigue, établir une correspondance entre l’époque du roman et aujourd’hui ? Oui, car il y a beaucoup de ressemblances entre l’époque décrite et la nôtre, tous les personnages existent encore. Jay Gatsby, le bootlegger, serait un dealer mondain. Les Buchanan

2011 BAZMARK FILM III PTY LIMITED/COURTESY OF WARNER BROS. PICTURE

Leonardo DiCaprio dans Gatsby le magnifique de Baz Luhrmann, à sortir au printemps.


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XXXXXXXXXXXXXXX RICCARDO VECCHIO- DR

TÊTIÈRE DROITE seraient ce couple d’urbains sophistiqués, old money, c’est-à-dire pas nouveaux riches, qui n’est pas contre s’encanailler dans une soirée chez lui. Jordan [la petite amie du narrateur Nick Carraway, golfeuse professionnelle et demi-mondaine, ndlr] serait une de ces innombrables athlètes-célébrités, je n’aime pas citer de noms, mais elle pourrait ressembler à Anna Kournikova. Peut-être qu’elle dessinerait des chaussures pour s’occuper… Et les Wilson (il est garagiste, elle est l’amante de Tom Buchanan, ndlr) seraient des arrivistes, en Angleterre on dirait des « chavs ». Myrtle Wilson tapisse tout son appartement de toile de Jouy parce qu’elle pense que c’est chic, aujourd’hui elle aurait un total-look Burberry, des pieds à la tête. Le roman pourrait se dérouler à Hollywood, ou plutôt dans les Hamptons [lieu de villégiature prisé de la Côte Est, ndlr], car on y trouve tous les excès, et il y a un vrai mélange old money/new money. Le musicien Jay-Z est pressenti pour composer plusieurs morceaux de la bande originale du film de Baz Luhrmann qui sortira cette année, et l’on entend No Church in the wild, le tube qu’il a composé avec Kanye West, dans la bande-annonce. Jay-Z a-t-il quelque chose de Jay Gatsby ? Oui et non. Il est certes devenu riche grâce à une économie parallèle, en dealant, puis s’est construit une nouvelle identité. Mais nous vivons dans une société plus ouverte que dans les années 20, et Jay-Z en est un membre légitime, et même éminent. Est-ce parce que nous attachons désormais un tel prix à la richesse que Jay-Z est accepté là où Gatsby ne l’était pas ? Est-ce que Fitzgerald penserait que nos standards ont baissé ? Je crois plutôt que Jay-Z n’avait peut-être pas le choix, au début, et qu’il est ensuite revenu dans le droit chemin. Sa fortune n’a rien d’illégitime. Que pensez-vous de l’adaptation filmée de 1974, où Robert Redford jouait le personnage de Gatsby ? C’est un film trompeur, qui trahit l’esprit du livre, puisque bien trop clément à l’égard de Jay Gatsby. Il ne montre pas sa vulgarité, sa gaucherie. Redford est bien trop glamour, trop parfait, trop classe. Lorsque je projette ce film à mes étudiants, ils ont toute les peines du monde à comprendre pourquoi Daisy ne s’enfuit pas avec lui. On ne voit pas le costume « rose fluorescent » dont parle Fitzgerald, ni toutes ses maladresses. Je dois alors replacer les choses dans leur contexte, expliquer que Daisy et Tom Buchanan s’apparentent à un couple de la haute qui, disons, consommerait de la cocaïne lors d’une soirée chic, mais dont la femme n’envisagerait sans doute pas de s’enfuir avec le dealer. Mais peut-être notre société est-elle tellement saturée de signes extérieurs de richesses, d’incitations à consommer, qu’on a perdu tout recul critique vis-à-vis des personnages qui les incarnent… Qu’on ne voit plus en quoi Jay Gatsby est vulgaire. (1) The many lives of Marilyn Monroe, aux éditions Picador.

Illustration extraite de la revue Desports.

va y avoir desports

Sportive, graphique et conséquente, la revue Desports, « petite sœur » de Feuilleton, paraîtra tous les quatre mois.

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e sport est un phénomène de civilisation tellement important qu’il ne devrait être ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels », affirmait Pasolini. Presque quarante ans après son assassinat, la nouvelle revue quadrimestrielle Desports fait écho aux propos du cinéaste-philosophe, tournant, comme son nom l’indique, autour de l’exercice physique. Nouvelles, dont un réjouissant texte de l’écrivain Maylis de Kerangal, enquêtes, portraits se succèdent, allant de la F1 au football en passant par le saut de chameau (ça existe), dans la lignée de la revue Feuilleton, elle-même dirigée (avec le journaliste Victor Robert) par l’un des co-fondateurs, Adrien Bosc. Comme sa publication sœur, Desports s’inspire d’un modèle rédactionnel anglo-saxon et porte un soin particulier au graphisme, traduisant, si besoin est, des articles de la presse étrangère. Quant à la dimension économique, deux publicités se nichent dans la revue : Lacoste et Onitsuka Tiger, les deux marques ayant accepté de voir leurs campagnes redessinées par les graphistes de la revue. Malin. Tout comme devraient l’être les futures parutions. À la question, délicate pour une jeune publication, du renouvellement de l’offre éditoriale, Adrien Bosc répond que la revue choisira une discipline pour chaque numéro. « Comme une amorce et non un prétexte », selon son fondateur. Prochaine étape : le tennis. CLÉMENT GHYS Desports, numéro 1, 296 p., Diffusion Le Seuil Volumen, 20 €.

à contre-pied

a contrario

Hilarant et toujours didactique, Bienvenue à Tchernobyl : un tour du monde des lieux les plus pollués de la planète, invente le journalisme écologique tel qu'il devrait plus souvent se pratiquer : percutant, sans se prendre au sérieux. Avec nul voyeurisme (et c'est un exploit), le journaliste américain Andrew Blackwell visite la zone d’exclusion de Tchernobyl ou la rivière Yamunâ en Inde, se posant toujours la question de ce que ces lieux hors guides ont à offrir. Il en rapporte des reportages fouillés, provocants, qui révèlent « une trace du futur, mais aussi du présent », quelque chose « d’impénétrable et beau ». É. F.-D.

« Pourquoi et comment des personnes formées à la science se mettent-elles, à un certain âge de leur vie, à prendre une attitude violemment opposée à la science qui leur est contemporaine ? » Ce questionnement est à l'origine des recherches d’Alexandre Moatti, dont l’Alterscience est une somme inquiétante, originale, qui va de Marat à l’ultra-gauche contemporaine en passant par le créationnisme. Parvienton à leur trouver des points communs ? Rejet du signe, de l’abstraction. Ils sont le reflet de crispations collectives face à la modernité. É. F.-D.

Bienvenue à Tchernobyl, Andrew Blackwell, Flammarion, 350 p., 21€, sortie le 27 février.

Alterscience : idéologies radicales autour de la science contemporaine, Alexandre Moatti, Editions Odile Jacob, 336 p., 23,90 €.

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objets innovants bien identifiés Depuis quelques années fleurissent de petites maisons d’édition de design à la créativité débordante. Entre audace et débrouille, tour d’horizon via cinq frondeurs made in Europe.

Texte Anne-Marie Fèvre et Élisabeth Franck-Dumas

JULIEN RENAULT

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Ambiance épurée chez Objekten, entreprise de Bruxelles, avec la table La Cambre, d’Irina Scrinic.

oustache, Petite Friture, Editionsous-étiquettes (Esé), Super-ette, Objekten, Y’a pas le feu au lac, La Chance… Ces petits noms, cocasses souvent, n’évoquent pas directement le design. C’est pourtant le nom de ces micromaisons de création et d’édition apparues depuis 2009 en France, en Belgique ou au Luxembourg. La pionnière, la parisienne Moustache, mise sur un ensemble de «petits» meubles et accessoires moyenne gamme, signés de designers comme François Azambourg ou Inga Sempé. La plupart de ces entreprises renouvellent les typologies des objets, particulièrement les lampes, et viennent vivifier et élargir (un peu) le paysage du design domestique. Car longtemps, il n’y a eu que LigneRoset/Cinna pour faire travailler les frères Bouroullec ou François Bauchet, et défendre des meubles et objets contemporains fabriqués en France. L’autre grande enseigne, RocheBobois, si innovante dans les années 60, a adopté une ligne plus trouble, orientée vers la décoration. Certes, quelques petites industries se sont bien repositionnées, telles Tolix qui redonne forme au métal grâce au duo Normal Studio, ou les couteaux Nontron et Laguiole, qui retrouvent du tranchant avec Christian Ghion. Il y a bien sûr, aussi, les galeries qui, elles, produisent en éditions très limitées, comme des laboratoires de recherche de luxe. Cette pépinière de nouvelles entreprises est

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donc la bienvenue. Mais en pleine crise économique, elles ne jonglent pas avec des chiffres d’affaires astronomiques. Comment ces courageux jeunes entrepreneurs, encore fragiles, résistent-ils? Comment font-ils comprendre leur métier si mal identifié ? Démonstration, avec cinq modèles économiques et culturels très différents.

goodbye edison, de l’intuition avant tout

Au départ, pas de modèle économique, ni d’étude de marché. Mais une intuition, qui préside à la création de cette petite société jurassienne: que les changements induits par les technologies LED vont «ouvrir une porte» dans la création de luminaires. «On connaissait tous les grands leaders dans le domaine, des Italiens surtout, se souvient FX Balléry, designer de 34 ans qui monte il y a deux ans, cette structure avec son père et sa sœur. Avec les LED, l’occasion s’est créée de parler autrement, de montrer autre chose.» À leur premier salon Maison & Objets, en 2011, les prototypes n’ont pas les bonnes finitions, les prix des lampes changent quotidiennement. Mais qu’importe, les modèles séduisent. Comme ceux de la ligne Fines, simples parallélépipèdes d’aluminium enrichis de rubans de LED, aériens, à poser sur un bureau. Ou les lampes Framed, petits cadres évidés et ludiques qui rappellent des miroirs. La collection s’est depuis enrichie de pièces en bois brut, plus chaleureuses, et le tout est distribué dans une quarantaine d’adresses en France (dont le Conran Shop et certains Roche

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Bobois), et une vingtaine à l’étranger. Mais fort peu sur Internet: «Nos lampes sont des objets qu’on rencontre, on ne se rend hélas pas compte de leur échelle sur un écran.» Le montage et l’assemblage des pièces est fait en France, les LED commandées en Asie, et la gamme de prix, allant de 245 à 375€, soustend une architecture financière fragile. «Ce sont des produits onéreux, et pourtant on rogne sur nos marges pour que les objets soient distribués, pour qu’ils se vendent, regrette le designer. C’est lié au coût du travail en France. Si l’on veut se pérenniser, il faudra peut-être que l’on parte. Car il est certain que je ne mourrai pas pour le made in France…»

la chance, terrain de jeu de stratèges

Ne pas se fier au nom «mignon», la Chance cache une redoutable stratégie marketing. Ses deux associés pas encore trentenaires, JeanBaptiste Souletie et Louise Breguet, ont pour ambition de devenir «la marque emblématique du design français», d’être l’étendard de la création nationale, au même titre que le seraient un Tom Dixon ou un Established & Sons pour l’Angleterre, voire un Marcel Wanders pour les Pays-Bas. À ces fins, l’architecte de formation (Breguet) et l’ex-stratège chez PPR (Souletie) ont soupesé tous les aspects de «l’univers de marque» de leur projet pendant de longs mois, suite à leur rencontre en janvier 2011. Leur nom, d’abord: «le déterminant “la” donne le côté français, décrypte Souletie, et le sens est compris partout.» L’identité visuelle, ensuite, avec

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Ci-dessus, lampe Woody, de FX Balléry, Goodbye Edison. À droite, de haut en bas, étagères Leaning et table pique-nique Hotspot, Objekten.


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des références que le duo veut sous influence Art déco français: empilements, ornementation, diversité de matières pour un même objet. La multiplicité d’horizons et de designers, enfin, avec douze nationalités pour quinze créateurs –française, tchèque, israélienne, italienne, suédoise… et bientôt chinoise. «C’est une manière pour nous d’exister sur des marchés très différents, puisque la presse est partout assez chauvine, et de bénéficier de certaines facilités de distribution ou de fabrication, sur des territoires où ces designers sont déjà connus», avance Souletie. Sont déjà de la partie Luca Nichetto, Jonah Tagaki, Pierre Favresse et Noé Duchaufour-Lawrance. La décoratrice India Mahdavi est une inspiration assumée: «C’est l’une des rares personnes aujourd’hui qui utilise la couleur sur des choses haut de gamme.» Pour quel résultat? Une première collection de quinze objets séduisants et dans l’air du temps, aux prix variant de 330 à 5000€, présentés à Milan l’an dernier, et sont exposés au Bon Marché à Paris ces jours-ci (1). Un tabouret Tembo signé Note Design Studio, dont la construction empilée rappelle finalement plus Memphis que l’Art déco, et qui mêle liège, bois laqué et métal. Une sympathique lampe Tip Top de Jonah Tagaki, base en aluminium et abat-jour dôme de verre, qui n’est pas sans rappeler d’autres créations du moment, signées Ionna Vautrin ou les frères Bouroullec. La plupart des objets sont disponibles en version sobre (noire, grise) ou plus pop et colorée, dans une dizaine d’enseignes de par le monde, triées sur le volet, dont Silvera à Paris. Toute jeune, la structure

de «trois personnes et demie», qui a bénéficié d’investissements privés (on n’en saura pas plus), n’est pas encore rentable, mais nul doute que le positionnement, «être l’étincelle qui vient twister un intérieur sobre», trouvera son marché ici et ailleurs.

Ci-dessus, tabouret Tembo, Note Design Studio, La Chance. À gauche, buffet Rocky, Charles Kalpakian, La Chance.

objekten, entre ikea et le luxe

« On se développe », annonce enjoué le designer belge Alain Berteau, né en 1971 en Allemagne. Le fondateur d’Objekten à Bruxelles en 2011 a la chance d’être un designer industriel expérimenté et reconnu. Il dispose de moyens financiers, porté par le groupe de communication Emakina et un fonds d’investissement belge. Cela lui permet, avec une équipe de sept permanents, en partie franco-belge, d’avoir un «objectif» clair pour les années à venir. «Pas question de faire fortune en six mois grâce à la nouvelle économie, argumente-t-il, mais d’opérer un retour aux sources vers un design abordable, orienté vers l’usage et non pas le style ou le seul casting de stars. On se situe dans une zone dangereuse, le milieu de gamme, elle n’existe plus entre Ikea et le luxe, il faut la recréer.» Objekten a choisi de produire avec des entreprises européennes, d’Allemagne, France, Belgique, entre numérique et savoir-faire. «C’est insensé de remplir des conteneurs chinois. Ce n’est pas une position écologiste morale, il faut prendre le risque de fabriquer deux mille objets, ce qui abaisse les coûts.» La distribution est multi-réseaux, entre Internet, magasins Silvera, Bon Marché et Edifice à

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Paris, et la recherche de débouchés aux États-Unis et au Japon. La marque s’est fait remarquer par le mobilier élémentaire en système, tel le bureau combinatoire Strates de Mathieu Lehanneur. Une des nouveautés présentées au Salon Maison & Objet 2013, c’est le pouf Cover, dont l’emballage en fibre de carton est la structure, avec une housse en tissu mousse: il n’y a aucun déchet. Une création de la team Objekten. «Sauf accident, cela devrait marcher», conclut l’optimiste Berteau. Serontils un petit Vitra, ou l’équivalent de la jeune société danoise Hay?

super-ette, la nouvelle vague

En 2010, Stéphanie Rollin (née en 1980) a créé Super-ette avec David Brognon à Luxembourg. L’«Européenne» Stéphanie a fait des études d’art et travaillé au musée d’Art contemporain de Luxembourg (Mudam), avec la directrice Marie-Claude Beau. «Elle m’a convaincue de ne pas mettre de frontières entre art et design», se souvient-elle. Cela a orienté la démarche de Super-ette dans deux directions: la série spéciale limitée, avec la chaise qui interroge le design Love me tender de Didier Faustino, et l’édition illimitée, milieu de gamme, avec les lampes Forêt illuminée de Ionna Vautrin (260€), ou l’horloge Jean, de Pierre Favresse, qui se vend bien (400€). « Pour nous les trentenaires, cette crise économique, c’est l’émulation, on n’a pas le choix, il faut créer, chercher. » Avec trois personnes permanentes, et des employés externes notamment pour le bureau d’études,

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Super-ette « est soutenue par un financier privé luxembourgeois, qui ne cherche pas du cash-back immédiat, poursuit Stéphanie Rollin. Au Luxembourg, on bénéficie d’aides à l’exportation, pour exposer au salon Maison & Objet par exemple. Mais ce sont surtout les designers français qui sont notre appel d’air, on a les meilleurs d’Europe. » Le plus gros marché se trouve en France, puis en Europe, avec un revendeur en Asie. Entre vente en ligne pas encore très concluante et magasins Sentou, Centre Pompidou, Bon Marché et RBC, la marque doit encore s’imposer. La petite enseigne affiche une direction artistique claire et travaille avec des artisans en Europe, dont un en Bourgogne pour le bois. Les derniers produits découverts à Maison & Objet sont l’impeccable table Gilda d’Eric Jourdan, l’étagère minimaliste de François Bauchet, et la table plus arty de Tomas Kral, qui donne l’impression qu’il a relevé les bords d’une nappe en aluminium sur une table en bois. « C’est excitant de faire partie d’une nouvelle vague d’éditeurs, se réjouit Stéphanie Rollin. Mais qui va rester, qui va mourir ? Super-ette n’est encore qu’une promesse, on va chatouiller le marché, et aller jusqu’au bout de l’histoire. »

y’a pas le feu au lac, du bon sens au plaisir

Pérenniser un outil de travail et un savoir-faire français en lui trouvant de nouveaux débouchés: tel est l’objectif de la société jurassienne (encore!) Y’a pas le feu au lac, qui édite une

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Ci-dessus, tabouret Love me Tender, Didier Faustino, Super-ette. À droite, lampe Forêt illuminée, Ionna Vautrin, Super-ette.


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d’autres maisons d’édition

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collection de petits objets de bois, sensuels, ludiques et quotidiens. On y retrouve le designer FX Balléry, de Goodbye Edison, dans le rôle du directeur artistique, associé en 2011 à Grégory et Marie Bodel, tourneurs tabletiers qui voulaient faire vivre une société familiale de travail sur bois. Cette imbrication pas si complexe signe un certain système D du milieu: les connaissances et les outils sont là, les machines aussi, pourquoi ne pas en faire quelque chose de novateur? L’esprit des collections, où participent des designers tels Godefroy de Virieu, Ed Carpenter et André Klauser, est lié «au bon sens et au plaisir, résume FX Balléry. On voulait quelque chose d’immédiat, de pas guindé, d’humain». Mais aussi, de contemporain, les formes s’éloignant du folklore sylvestre. Des vides- poches rappellent la ligne d’une montgolfière, une série de contenants en tilleul baptisés Perrette louchent du côté d’objets rustiques mais avec une épure ultra moderne, pour un fini poétique. La taille des objets est dictée par des impératifs commerciaux: capacités de stockage, vente en ligne, machines à rentabiliser. Achetés à 60 % à l’étranger, ils gardent des prix raisonnables pour du made in France de qualité. «On a parfois du mal à les vendre, relativise FX Balléry. À cause de la dégradation économique, et aussi parce qu’on a perdu la notion d’objet. Les gens achètent d’abord un prix, aujourd’hui.» (1) Au Bon Marché Rive-Gauche, 24, rue de Sèvres, Paris VIIe, jusqu’au 9 février, au 2e étage.

Ci-dessus, coupes Montgolfière, Fx Balléry, Y’a pas le feu au lac.

Wadebe, créée par Gérard Wantz, Claire Desbois et Rodrigo Bertoto à Paris en 2008. Pièce emblèmatique : la chaise Granny Chair, tricotée main par des grand-mères, produit engagé. www.wadebe.com Moustache, fondée par Stéphane Arriubergé et Massimiliano Lorio, en avril 2009 à Paris. Pièces emblèmatiques : la chaise Bold de Big Game et la lampe Vapeur d’Inga Sempé. www.moustache.fr Petite Friture, créee par Amélie du Passage en 2009 à Paris. Pièce emblèmatique : la suspension Vertigo de Constance Guisset. www.petitefriture.com Esé, Édition-Sous-Étiquette, fondée par François Mangeol et Valérie Gonot en avril 2010 à Saint-Etienne. Pièces emblèmatiques : le tapis Occidorient de François Mangeol et les assises en bois Animali domesticki de Jean-Sebastien Poncet. www.editionsousetiquette.fr Made in design Catherine Colin crée la boutique no1 du design sur Internet en 1999 à Grenoble. Devient éditrice avec le DA Guillaume Petit en 2011. Doit produire les objets et meubles du Palm Lab de Nefta (Tunisie), signés Matali Crasset, avec l’hôtel Dar Hi. www.madeindesign.com Marcel by, fondé par Stephan Lanez et JeanJacques Lejal en 201, à Paris. Pièces emblèmatiques : la Bamby, chaise de Noé Duchaufour-Lawrance et Rain, étagères en pin de Jakob+MacFarlane. Show room à Paris, 28 rue Saint-Claude, Paris IIIe. www.marcelby.fr Singularité, créée par Éric Perez fin 2012 à Paris, édite des objets faits main. Pièce emblèmatique : le mobilier sanglé de Marie Dessuant , Watching the Ships Roll In. www.singularite-editions.com Kaer & Splann, fondée en juin 2011 par la société AllSplann, éditeur de luminaires situé à Limoges. Pièces emblèmatiques : lampes de la première collection signées Pierre Lota. www.kaer-splann.com/fr Vente des produits édités par Moustache, Esé, Y’a pas l’feu au Lac, Good by Edison, wadebe au Magasin M1, Dock-en-Seine, Cité de la mode et du design, 34, quai d’Austerlitz, Paris XIIIe.

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GASTRONOMIES

Textes Elvire von Bardeleben

Ces bistrotiers parisiens sont d’un genre nouveau : ils proposent du bon café dans des lieux souvent riquiqui, font risette et taquinent les petits prix. Tour de zincs.

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ésagréable, pressé, revêche. Le garçon de café parisien est un mythe, en partie faux, entretenu par quelques pingouins sur les terrasses les plus fréquentées. Le service n’est pourtant pas le seul reproche que l’on pourrait adresser aux brasseries contemporaines. Il y a cette irritante obsession de rentabiliser l’espace. Consommer un expresso à deux euros puis passer des heures attablé en résistant aux assauts répétés des serveurs est un sport. Puis, le café en luimême : dans la plupart des cas, il s’agit d’un Richard, un Robusta goût médiocre, trop allongé, pas assez chaud. Et le meilleur pour la faim : le menu. Long comme le bras, d’une diversité inquiétante, proposant en toute saison un burger (à 14 €, le steak est quand même un Charal), un pavé de saumon (décongelé garanti sans arêtes ni saveur), des salades de tomates (les farineuses du Maroc, disponibles de novembre à avril).

Or, depuis quelques mois ont fleuri à Paris des cafés à rebours : où l’on boit du bon café, où la connexion wi-fi est une invitation à squatter, où l’on ne choisit pas de quoi on déjeune, car le menu se compose souvent d’une soupe ou d’un sandwich, cuisinés du jour. Détail d’importance : les prix sont équivalents ou inférieurs à ceux pratiqués dans un bistrot lambda. Black Market Coffee a ouvert, l’été dernier, près de la rue de Clignancourt. Ses fondateurs, âgés de 25 et 27 ans, voulaient ouvrir un endroit « où mieux consommer » et ont d’abord songé à revendre des fruits et légumes cultivés par un producteur local. Puis diagnostiquent qu’un café sera une entreprise plus aisée. Ils se forment et se fournissent chez Coutume, café parisien et torréfacteur indépendant, s’installent dans le XVIIIe avec un équipement simple : une table centrale chinée aux puces pour la convivialité, des prises électriques pour brancher son portable, des jeux de société à disposition. Augustin Blanchard, de son côté, a élaboré un business plan plus sérieux avant d’ouvrir Craft, en face du canal Saint-Martin. Ancien consultant, il voulait créer un coffee shop comme à New York, où l’on vient travailler seul avec son ordinateur ou pour un rendezvous. Il fait quelques mois d’apprentissage

SAMUEL KIRSZENBAUM - ELVIRE VON BARDELEBEN - DR

un cappuccino, une connexion et l’addition !

À gauche, le Craft, en haut, le Black Market, et le Tuck Shop.


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chez Starbucks, puis au café Lomi (l’équivalent de Coutume rive droite), et fait appel aux designers Pool pour habiller l’endroit, sobre et chic, noir et blanc. « Les créatifs et les indépendants » doivent se sentir chez eux. Et les bistrotiers du quartier ? « Ils ont apprécié l’expresso [à 2,5 € et le capuccino à 3,90 €, ndlr] mais n’ont pas aimé l’idée de mélanger café et lieu de travail. » À cent mètres de Craft a ouvert Tuck Shop, sous l’impulsion de trois Australiennes en mal du pays. « On voulait rester à Paris, mais il n’y avait aucun café où l’on se sente à la maison, avec des bons produits, pas chers. » C’est elles qui servent l’expresso meilleur marché : 1,80 €, sur place ou à emporter (3 € le cappuccino), torréfié par Coutume. Et 10 € le déjeuner ou le brunch dont la recette du croque-madame-muffin est déjà fameuse dans le quartier : une tartine superposant brie, avocat, œuf et sauce béchamel. Un peu de maths maintenant. Un café de qualité, tel que ceux que produisent Coutume ou Lomi, coûte 35 centimes le shot, contre 8 centimes pour un café standard type Richard. Préparer un bon cappuccino prend plus de temps (surtout si on s’essaie au latte art) qu’une noisette, et la machine représente un investissement de 10 000 €, tandis que Richard entretient celles qu’il fournit. Les clients prennent leur temps dans ces espaces de la taille d’un mouchoir de poche, de 20 ou 30 mètres carrés. Comment un tel modèle économique peut-il prospérer dans un Paris en pleine gentrification ? D’après nos cafetiers, l’implantation dans le nord-est parisien est importante : « Pas trop cher », et fréquenté par des classes potentiellement intéressées par ce type d’endroits. Ils ouvrent tous les jours ou presque, font euxmêmes le service, parfois aussi la cuisine (chez Tuck Shop). La vente à emporter, qu’il s’agisse du café ou du déjeuner, au même prix que la conso sur place, crée un équilibre. La courtoisie parisienne se révèle : les clients ne s’éternisent

pas avec un cappuccino quand ils voient que d’autres patientent pour déjeuner. Et puis « on se fait quand même une marge importante sur le café », rappelle Stella de Tuck Shop. « Le café (la boisson) est un des éléments le plus rentable pour un établissement », confirme Monique Eleb, sociologue auteur de Paris, société de cafés. Pour elle, ces nouveaux cafés tiennent le coup parce qu’ils sont petits, leurs gérants jeunes et très investis. Mais il ne s’agit pas d’un mouvement qui révolutionnera les cafés parisiens comme celui initié par les frères Costes dans les années 80. « Ils sont installés dans des arrondissements qui manquent de cafés. C’est normal qu’ils prospèrent. Mais c’est justement leur présence qui transforme les quartiers, fait augmenter les baux. Et cela pourrait les forcer à s’installer ailleurs, s’ils ne sont pas assez rentables. » Car pour survivre, un café a besoin de d’accueillir des clients différents tout au long de la journée. « Si on ne cible qu’une clientèle, on est plus fragile » constate Monique Eleb. Pour l’instant, la leur est assez homogène : des habitants du quartier, des auto-entrepreneurs, des trentenaires et beaucoup de familles le week-end. Mais les garçons de Black Market se vexent quand on évoque le mot « bobo ». « Bobo ? Mais c’est quoi bobo ? Faire du bon café ? Servir des produits frais ? Avoir repeint les murs ? Nos prix sont les mêmes qu’un autre rade dans la rue, et on accueille tout le monde. » Pourvu que ça dure. Black Market Coffee, 27, rue Ramey, XVIIIe. Craft, 24, rue des Vinaigriers, Xe, tél. : 01 40 35 90 77. Tuck Shop, 13, rue Lucien Sampaix, Xe, tél. : 09 80 72 95 40. Et dans le même esprit : Kooka Boora, 53, avenue Trudaine, IXe, tél. : 01 56 92 12 41 (2 € l’expresso, 4 € le cappuccino). Paris, société de cafés, Monique Eleb et Jean-Charles Depaule, édition de l’Imprimeur, 2005, 38 €.

sur le pouce

WWW.PHILIPPELEVY.NET - DR

gai ou mimi La crise de la trentaine peut-

être fructueuse. Agathe Audouze a lâché son job dans une boîte de cosmétiques pour des études de naturopathie. Découvrant les méfaits des pesticides accumulés, en même temps que son intolérance au lait de vache et au gluten, elle décide d’ouvrir un lieu de restauration bio et végétarien, à tendance végétalien. Pas un endroit limité à la soupe de crosnes et au steak de soja, car elle est gourmande. Chez Pinson, sa jolie enseigne dans le Marais parisien, on déguste un risotto à la spiruline (une algue bleue riche en fer), carotte et coriandre, avec salade de betterave, fenouil et câpres. Avant d’engloutir une madeleine au kaki et à la vanille (sans gluten), et finir avec un cappuccino au lait d’amande. Pas de quoi sustenter un incurable du Beef Club (enseigne carnivore également parisienne, dont la décoration a été, comme chez Pinson, assurée par Dorothée Meilichzon) ; mais la preuve que veggie ne rime pas avec ennui. Pinson, 6, rue du Forez, Paris IIIe, tél. : 09 83 82 53 53. Formule déjeuner : 17 €. Café : 2,5 €.

in vino veritas

Loïc Mougene, sommelier À 36 ans, Loïc Mougene règne sur la cave de La Robe et le Palais, bistrot de bonne chère où le vin, excellent et sans traficotage, se boit aussi au compteur, et même à emporter. Considéré comme l’un des « kings du vin nature à Paris », Loïc assume carrément sa réputation d’« ayatollah » du genre. Mais sa passion est si communicative qu’elle convaincrait même les défenseurs du chimique – s’il en reste. Vos débuts ? J’ai été serveur puis chef de salle, en apprentissage au Pavillon du Lac. La sommellerie est venue peu à peu, avec des passages chez quelques étoilés dont Stella Maris. Et depuis dixhuit mois, je suis à la Robe et le Palais. Vos choix à la Robe ? Nous avons plus de 350 références, des rouges pour les deux tiers, et un stock d’environ 15 000 bouteilles. La particularité des vins nature est qu’il s’agit souvent de micro-productions : pas facile d’obtenir des flacons tant les quantités sont infimes. En Ardèche par exemple, Hervé Souhaut ne travaille que sur 4 hectares [sa Souteronne, un gamay à 38 euros la bouteille, est un sommet de fraîcheur parfumée]. Une région de prédilection ? La Loire, puisqu’à la Robe, on privilégie les vins dotés de buvabilité – on pourrait même dire d’une certaine « picolabilité » (rires). Votre sélection ? Le pouilly-fumé d’Alexandre Bain, les Jura de Jean-François Ganevat, le Petit domaine de Gimios d’AnneMarie Lavaysse, en Languedoc, le domaine de Montrieux d’Émile Hérédia, où le pineau d’Aunis fait merveille... Et je fais aussi rentrer pas mal de vins grecs et serbes, à découvrir ! La Robe et le Palais, 13, rue Lavandières Sainte-Opportune, 75001 Paris, tél.: 01 45 08 07 41, ouvert tous les jours sauf dimanche. Propos recueillis par FRANÇOISE-MARIE SANTUCCI

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giverny tient sa plume Après La Mare aux Oiseaux en Loire-Atlantique, le chef Éric Guérin a créé le Jardin des Plumes à Giverny. Son pari ? Une restauration authentique en pays impressionniste.

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ric Guérin aime voyager loin. Au Mali ou en Birmanie. Une aubaine pour ses clients de la Mare aux Oiseaux, qui se payent un tour du monde gustatif depuis le parc national de Brière. Son dernier point de chute est à peine moins dépaysant que les déserts africains et la forêt tropicale : Giverny, Haute-Normandie. À 400 kilomètres de sa première adresse, le chef a ouvert son nouvel hôtel-restaurant, Le Jardin des Plumes. Fidèle à son amour des volatiles, en cage ou en cuisine. La commune normande de cinq cents âmes lui tient à cœur, il y a grandi ; à l’hiver dernier, sa mère, dont la galerie d’art est située non loin, a repéré une charmante bâtisse à vendre. Qui pourrait s’avérer un investissement très profitable, car d’après Éric, il y a peu de lieux de restauration authentiques du côté de Giverny. « La politique ici, c’est “faire des bus” quand le musée des Impressionnistes est ouvert. » Autrement dit, envoyer les 700 000 touristes par an directement dans des brasseries en cheville avec les tours opérateurs. Flairant le filon, Éric investit et démarre les travaux de rénovation au pas de charge l’été dernier. Sa mère transforme la maison anglonormande de 1912 en un hôtel haut en couleurs (marbre rouge et noir dans l’entrée, cuir blanc et mur bleu roi dans la salle à manger) et riches en toiles de sa propre galerie. Un

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goût discutable, mais qu’importe, la salle du restaurant est claire et spacieuse. Surtout, le contenu de l’assiette vaut bien une heure de route depuis Paris. Même s’il chapeaute le projet, Éric a confié la cuisine du Jardin à Joackim Salliot, ancien de la Mare aux Oiseaux. Vingt-sept ans, timide, bosseur, soucieux de ne pas trahir la réputation de son maître, ni son esprit. En entrée, on se régale d’un tartare de veau de la taille d’une boule coco : entouré de bœuf cru, relevé avec du céleri, et un escargot petit gris, croquant comme un bonbon. La SaintJacques, trop vue en cuisine, impressionne une fois transformée en raviole fondante, associée à une sauce au lard fumé et une mousse de panais. Le turbot se révèle à la japonaise, avec du chou grillé, du saké, du wakame (la fameuse algue de la soupe miso), et de la poire, comme un shoot de sucre providentiel. Alors qu’on déguste un expresso bien équilibré de l’Arbre à café, un rayon de soleil frileux – on est en décembre – traverse la baie vitrée. L’espace s’anime, prend des couleurs. Éric Guérin a vu juste, son jardin des plumes est un havre de paix, et son Salliot justifie bien un abonnement au musée des Impressionnistes. E. V. B. Le Jardin des Plumes, 1, rue du Milieu, 27 620 Giverny, tél. : 02 32 54 26 35. Menu déjeuner à partir de 29 €, 46 € le soir.

spirit es-tu là ?

Est-ce que l’on aimerait autant le rhum s’il ne s’était blotti dans notre imaginaire, en compagnie de quelques pirates fameux, des chasses aux trésor de l’enfance, de Tintin et Rackham le Rouge ? Et s’il n’avait adouci, en particulier par la rassurante et maternelle rondeur de ses barriques et sa bouche souvent un peu sucrée, cette part affreuse des histoires des Frères de la côte et autres écumeurs des mers, âmes tourmentées et effrayantes ? Aujourd’hui, la piraterie, depuis qu’elle s’est déplacée en Somalie ou au large des Moluques, a perdu ses belles histoires. Mais le rhum, lui, a continué les siennes. Le Caroni en est une illustration. Au départ, on a une distillerie d’Etat dans l’île de Trinidad, entrée en activité dès 1918. Équipée aussi bien d’alambics à colonnes que d’alambics à repasse, elle élaborait des heavy rums, plus puissants, de vrais arômes de pirates, avec des nuances pétrolées, que les lights rums, davantage prisés du grand public. Comme elle ne produisait que rarement des embouteillages sous sa propre étiquette, la distillerie Caroni est longtemps restée l’apanage de rares connaisseurs. Son statut mythique s’est encore renforcé après sa fermeture, décidée par le gouvernement trinidadien en 2002. C’est alors que son histoire devient celle d’une chasse au trésor : en 2004, plusieurs centaines de fûts sont découverts dans un entrepôt. Ils sont rachetés conjointement par la société italienne Velier et La Maison du Whisky qui vont mettre en bouteille quelques millésimes rares, proposés en édition limitée. Sont actuellement disponibles des 18 ans et 20 ans d’âge, à des prix compris entre 75 et 99 euros, qui castagnent forts (62,6 et 60,2°). Et, dernière nouveauté, un Caroni 12 ans (vendu 45 €), très caractéristique de la distillerie, avec des notes de macadam chaud. Pour adoucir le coup de sabre d’abordage de ses 55 °. JEAN-PIERRE PERRIN

ELVIRE VON BARDELEBEN - DR

À gauche, le Jardin des Plumes ; et le tartare de veau de Joackim Salliot.


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LE CABINET DE CURIOSITÉS

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ouvrez le placard Sélection et photographies Leïla Smara

Chaque mois, la directrice mode de Next rassemble quelques objets, vintage, incongrus, bizarres. Pourquoi ? Parce que.

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX LEÏLA SMARA AVEC LE SAMSUNG « NX 200 »

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Collier en bronze de Fiona Paxton, rapporté de Londres. Pour sa dégaine Rahan, celui qui marche debout.

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Feuilles de savon Yojiya, à tremper dans l’eau. Cette compagnie de cosmétiques, fondée en 1904, est le nec plus ultra du « Made in Kyoto ».

Porte-clefs Supreme. La marque la plus cool du streetwear a compris que les skaters aussi veulent pouvoir rentrer chez eux.

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Bracelet vintage rapporté de New York. Avec têtes de lion, pour rugir de plaisir.

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Pochette achetée chez Macy’s à l’effigie des Yellow Cabs de New York. Un petit quartier de la Big Apple.

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VOYAGE VOYAGE

adresses ENCHANTED ROCK Le rocher enchanté est un énorme morceau de granite rose, tout nu, au milieu d’un parc naturel, à 15 km au nord de Fredericksburg. Beau, dépaysant, facile à escalader, même en Converse. 16710 Ranch Rd. 965, Fredericksburg. 5,30 € l’entrée. www.tpwd.state.tx.us/stateparks/enchanted-rock.

rodéo texan Balade dans l’état américain sur fond de musique country et de food trucks, et bienvenue à Fredericksburg, incongruité allemande avec bières et bretzels à foison. Textes et photographies Elvire von Bardeleben

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uitte à se risquer au Texas, autant voir ses deux faces. D’abord le pittoresque, avec la perle rare : Fredericksburg, bourgade fondée par les colons allemands qui prospère aujourd’hui grâce à ses vignobles. Ensuite, le cool : Austin, spot démocrate dans un désert républicain. Première étape à Fredericksburg, pour tester le bretzel et le merlot texans. La rue principale (Main Street) sert de gage d’authenticité à la ville avec ses maisons du XIXe siècle, et joue à fond la carte « bienvenue chez les Teutons ». Les échoppes ne sont pas des saloons, mais des Biergarten, des drapeaux noir, rouge et jaune flottent aux côtés d’aigles victorieux (pratique, ça peut représenter les USA ou l’Allemagne). Les restos servent des schnitzel (escalope de veau panée typique de Vienne) à la texane, avec du guacamole et du fromage fondu, accompagné d’un muffin sombre. Du pumpernickel assure le gérant, débarqué de Houston l’année précédente. Outre la « gastronomie germanique »,

l’autre business de Fredericksburg, c’est les vignes. Le climat est semi-aride, le sol sec, et personne ne sait vraiment comment le travailler. Mais depuis dix ans, les producteurs s’y essaient, testent tous les cépages, du viognier très correct à un abominable gewurztraminer. D’un point de vue français, pas de vins extraordinaires, mais un cadre convaincant : la route 290 rassemble une dizaine de vignobles proposant des dégustations face aux vignes, souvent accompagnées de concerts (Country, of course).

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En roulant vers l’Est sur la 290, on tombe sur

Johnson City, qui mérite un arrêt pour le ranch de feu Lyndon Johnson, inchangé depuis que le 36e président y a fait sa crise cardiaque en 1973. Quatre-vingt kilomètres plus loin, on se croirait dans un autre pays : Austin, le repère des weirdos, hipsters, étudiants et musiciens. La moyenne d’âge chute de trente ans, l’indice de masse corporelle de vingt points. Autour de la South Congress Avenue, tatoueurs et boutiques de vintage côtoient les food trucks, qui se déclinent à l’envi : thaï, tex mex, spécialistes du cupcake ou de l’empanada… Un panneau lumineux avec une pin-up rétro annonce Lucy’s Fried Chicken, un restaurant de poulet frit extraordinaire, tant pour la qualité que la quantité de sa viande et ses grits à 2€ (sorte de polenta du Sud des États-Unis). Au nord du fleuve, sur Lamar Street, le disquaire Waterloo donne l’impression que la crise de l’industrie musicale n’a jamais existé, il faut lutter pour faire sa place face aux vinyles. Le quartier autour de la 6th Street, un peu trop touristique, abrite beaucoup de bars dont certains valent le coup, comme Stubb’s, minuscule salle de concert où jouent des groupes d’envergure (en février : Tame Impala, Fun., Two Door Cinema Club). Quand on pense que le festival South By Southwest démarre en mars, on se demande bien pourquoi on est rentré. infos pratiques : aller-retour à partir de 500 € sur American Airlines (avec une escale à Dallas). Location de voiture à partir de 180 € la semaine. Compter 80 € la nuit à Austin, 40 € à Frederiksburg.

PECAN STREET BREWING Une large sélection de bières (au moins dix), brassées maison et adaptées aux saisons. La base : une blonde, (« genre Bud Light », ricane le patron), une brune (du type Guinness) et une incroyable variation autour de la rousse (les ales, stars locales). Le mieux, c’est de les tester toutes. 106 East Pecan Drive, Johnson City, www.pecanstreetbrewing.com SALT LICK BBQ Une institution dans la région : la famille de Scott Roberts tient le barbecue depuis des générations, et lui le gère d’une main de fer. Les ribs (travers des porc) sont croustillants, la poitrine de bœuf fondante. Malin, le vieux Scott a publié un livre de recettes de 400 pages sans dévoiler la composition de sa sauce BBQ. 18300 FM 1826, Driftwood. www.saltlickbbq.com DIVE BAR À l’entrée, un tableau indiquait : boissons « recherchées », musique « super », ambiance « sexy », gens « classe ». Derrière la porte, un bar normal : une serveuse au look grunge, des barbus installés au comptoir, The Shins en fond sonore, un écran de télé qui retransmet le mythique Trois amigos ! avec Steve Martin. Et de bons cocktails à 6 €. 1703 Guadalupe Street, Austin. www.diveaustin.com BIJOU STUDIO Que rapporter d’Austin sinon un tatouage ? S’il faut en faire un dans sa vie (ou compléter sa collec’), c’est chez Bijou, dans les mains de femmes avisées, qui comptent, dans leur bibliothèque, quelques ouvrages de références, type Tatouages de taulards d’ex-URSS. Entre 45 et 95 € l’heure. 1618 East 6th Street, Austin. www.bijoustudio-atx.com


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9 1. Une maison d’époque sur Main Street à Fredericksburg. 2. Le fameux « schnitzel à la texane » du restaurant Ausländer sur Main Street. 3. Vignobles de chez Becker, sur la route 290. 4. Des Babybel et du « brie de Provence » en accompagnement. 5. Vue sur Downtown depuis la Congress South Avenue, à Austin. 6. La brasserie Pecan Street à Johnson City. 7. Les grillades du Salt Lick BBQ. 8. Un foodtruck « Wurst-Tex » sur Congress South Avenue, à Austin. 9. La pin-up du Lucy’s Fried Chicken. 10. Au sommet de l’Enchanted Rock à Fredericksburg. 11. Le cochon, l’emblème du restaurant Bacon à Austin.

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NEXT NEXT

délectables

Celles et ceux dont on parlera bientôt sont déjà dans Next.

1. lena dunham, si cool

Un an après son trajet express jusqu’au firmament de l’entertainment US, Lena Dunham (voir Next no43) est toujours la fille la plus cool du monde. « Toujours » parce que le retour de manivelle est parfois si rapide – même quand, comme elle, on est la créatrice de l’une des séries des plus délectables du moment, Girls (dont la saison 2 est diffusée aux États-Unis). Photographiée avec une coupe de cheveux très Liza-Minnelli-à-sa-grande-époque en couverture du magazine Interview, la jeune femme de 26 ans s’est confiée sur le couple qu’elle forme avec Jack Antonoff, guitariste du groupe indé Fun. Et se moque volontiers de ses congénères starlettes qui jouent à « ni oui ni non » quand on leur demande si elles sont célibataires. À la question d’un mariage éventuel, elle proclame qu’elle épousera son chéri seulement quand l’union gay sera légale aux États-Unis. Cool, vraiment.

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2. les ados ciblés

Le projet est encore embryonnaire mais il a tout d’une bonne idée. Sur son compte YouTube, le magazine anglais Dazed & Confused diffuse de courtes vidéos, conçues par de jeunes vidéastes et sélectionnées par le tout aussi jeune réalisateur AG Rojas. Centrée autour de la question de l’adolescence, le cœur de cible tantôt rêvé, tantôt réel, de la revue mensuelle, la série suit par exemple deux jeunes éphèbes se baladant dans les terrains vagues berlinois, ou des skateurs américains très énervés. L’ambition est de réaliser, à terme, un corpus visuel autour de cette sale période qu’est l’adolescence, sur laquelle la culture contemporaine, principalement modeuse, n’en finit plus de projeter ses fantasmes.

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Beaucoup parient sur le Scandinave Henrik Vibskov qui floute depuis plusieurs années les rapports entre mode et art contemporain, défilant à Paris et exposant des installationsrobes dans des musées. À partir du 27 février, la Galerie des Galeries (40 boulevard Haussmann, Paris IXe) lui offre une carte blanche, baptisée « Neck plus ultra », jeu de mots sur l’expression latine et le mot « Neck », « cou » en anglais. Il installera, entre autres, une salle du torticolis, suspendant des cous d’oiseaux du plafond, forçant le visiteur à se tordre le cou. C. G.

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AG ROJAS - HENRIK VIBSKOV - DR

3. l’espoir danois


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CURATOR

#insomnies

Les errances nocturnes de l’écrivain Ann Scott sur Twitter.

ANN SCOTT

L

e monde online est l’arène planétaire où réclamer son lot de sucre ou de sperme ou de sang qu’on ne sent plus assez sur le bout de sa langue dans un réel scindé entre ses lingettes antibactériennes et ses ramassages du 115 – et la bête ne dort jamais. À 3 heures et demi du matin, heure de Paris, heure d’insomniaque, les US continuent de s’étriper pour ou contre le port d’armes depuis le mass murder du Connecticut et des centaines de misérables connards appellent à boycotter les livres de Joyce Carol Oates, résolument contre, en jubilant d’avoir la liberté de traiter une personne publique (de 74 ans) de « putain d’antipatriote ». Pendant ce temps, à Los Angeles, une armada d’it girls pour la plupart mannequins et lesbiennes, clones d’Alison Mosshart attifés de fédoras et de fripes gypsy et de chihuahuas, jouent l’érudition saltimbanque sépia sur Instagram entourées de dessins de Cocteau et de bouteilles de Jack Daniel’s, ce qui serait foutrement sexy si elles n’étaient pas déjà devenues génériques tant elles sont nombreuses. Ailleurs, dans le reste du monde, You can be my black Kate Moss tonight de Kanye est reposté toutes les nanosecondes, ce qui en fait sans doute la « citation » la plus lue depuis la création d’internet, pendant que des troupeaux d’ados anorexiques se fabriquent des tee-shirts du Nothing tastes as good as skinny feels de Kate Moss, sa version embarrassante du Never too thin de Wallis Simpson qui était destiné aux femmes du monde et non à des gamines qui pèsent déjà moins de trente-huit kilos. Une clique grandissante dévore le Memoir de Grace Coddington, lecture suggérée par Kanye, toujours Kanye, et la question est : combien pensent que Ce qui ne tue pas rend plus fort repris dans Stronger est de lui et non de Nietzsche ? La fascination pour le couple Moore/Kutcher retweeté cinq mille fois par jour s’est éteinte quand ni l’un ni l’autre n’a eu envie de livetweeter la rupture. Le règne de Charlie Sheen s’est aussi écroulé dès qu’il a arrêté de tweeter sous coke. L’aura de Courtney Love, évaporée, quand elle a cessé de se plaindre de ce qui la rendait folle de rage en faisant des fautes

de frappe tous les trois mots. La curiosité pour l’extravagance de Lady Gaga, émoussée, elle aussi. Même Lindsay Lohan n’excite plus grand monde depuis qu’elle raconte ses déjeuners avec sa mère et, pour la première fois, Twitter n’a désormais plus de roi, les trente-deux millions d’accros aux « bonne journée » de Justin Bieber étant probablement des petites filles de 5 ans qui ne savent pas encore lire. L’élégance de David Lynch qui consiste à saluer ses followers sans jamais leur parler a aussi fini par lasser un peu et, tandis que vingt-sept millions de pigeons continuent de regarder Rihanna prendre des pauses faussement thug life dans son jet d’où elle tweete son admiration pour Michael Bolton, les plus esthètes préfèrent s’imaginer vivre dans Just Kids de Patti Smith relu pour la troisième fois, même si l’époque ne s’y prête plus et qu’on parvient tout juste à faire semblant, avec ou sans panache, à coup de clichés de vernissages en noir et blanc dans lesquels on ne fait que passer. Quant au mystère de la dépression de Bret Ellis, sa photo de sapin de Noël l’a peutêtre résolu, qu’elle ait été prise chez lui ou ailleurs, tant son malaise de se sentir écartelé entre deux époques y semble flagrant. D’un côté l’ancienne, qu’il appelle Empire, qui désigne ce qui a précédé les années 2000 où tout n’était qu’hypocrisie ; de l’autre le Post Empire, où on ose désormais tout dire et tout montrer ; et sa page est une ode à la seconde à laquelle il renouvelle quotidiennement sa gratitude, alors que ce sapin, simplement décoré de guirlandes LED blanc froid, immense et parfaitement conique dans le fond d’un salon dépourvu de meubles à l’exception d’un canapé devant un home cinema – ce sapin sans aucun cadeau autour et qui ne dégage pas la moindre chaleur est un foutu sapin de yuppie eighties, ce qu’Ellis crève d’envie de ne plus être sans y parvenir. Reste alors la poésie d’anonymes qui jaillit ça et là, celle qui raconte le bas de leurs jeans qui s’effilochent sur un trottoir pendant que leurs ex continuent d’exister en ligne au lieu d’atterrir sur orbite, cette poésie poignante que seuls cent quarante caractères savent reproduire, la poésie accidentelle.

Dernier roman : À la folle jeunesse, éditions Stock. Twitter : @scott_ann

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LA LISTE

Exposition, livre, clip, gens, lieu, objet bizarre… Chaque mois, Next établit sa hit-liste.

> Le roman Liège, oui, > de Joanne Anton, éditions Allia. > Le stylo Parker « 5 », > finition chocolat mat. > L’interview de Fran Lebowitz dans > le dernier numéro d’Acne Paper. > Les chemises de Laurence Airline. > La tarte au citron de Petter Nilsson, > restaurant La Gazzetta, Paris. > Le casque Sony « MDR-V55 », > couleur rouge. > Une paire de Vans « Authentic > navy ». > Le mapo tofu du restaurant Mission > Chinese Food, New York. > La chanson San Francisco, > de Foxygen. > Le cocktail « White Shadow » > du Blind Bar à la Maison > des Centraliens, Paris. > Le clip Since You’re Gone des Cars. > Le chocolat au lait et caramel > au beurre salé, Dolfin. > Le mannequin homme du moment, > Miles Langford. > L’eau de coco de Harmless Harvest. > L’hôtel Pinarello, Sainte-Lucie-de> Porto-Vecchio, Corse. > Le livre le Primitivisme dans > la photographie, de Valentine > Plisnier, éditions Trocadéro. > Le genre musical Twinklecore. > L’exposition de Jonathan Monk > chez Yvon Lambert, Paris. > La new wave de Peine Perdue. > L’exposition Exhibition #1.1 > au Museum of Everything, Paris. > Les tweets de l’écrivain Teju Cole.

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La Ligne de CHANEL - Tél. : 0 800 255 005 (appel gratuit depuis un poste fixe).

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Montre J12 CHROMATIC en céramique de titane, un matériau hautement résistant aux rayures. Couleur et éclat uniques obtenus par adjonction de titane à la céramique et polissage à la poudre de diamant. 54 diamants (~1,4 carat). Mouvement mécanique à remontage automatique. Réserve de marche 42 heures. Étanchéité 50 mètres. www.chanel.com


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