Altermondes - Libération : commerce équitable

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SUPPLÉMENT ÉDITION N°9944 DU VENDREDI 3 MAI 2013

COMMERCE ÉQUITABLE DES ÉCHANGES DE VALEURS


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ALTERMONDES REVUE TRIMESTRIELLE DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE 14, passage Dubail | 75 010 Paris TÉL. : 01 44 72 89 72 / FAX : 01 44 72 06 84 E-MAIL : altermondes@altermondes.org SITE : www.altermondes.org

Édito

PERSPECTIVES ÉQUITABLES EN 2012, 91 % de la population française considérait le commerce équitable comme une démarche positive et 39 % déclarait même que, si elle n’achetait pas davantage de produits équitables, c’est qu’elle avait du mal à en trouver 1. Un véritable plébiscite… ou presque. Car la même enquête révélait que 3 Français sur 10 seulement étaient des acheteurs réguliers de produits équitables. 37 % de la population restait aussi à convaincre que cette démarche profite réellement aux petits producteurs… Encore et toujours, la consommation responsable doit faire ses preuves et convaincre. La crise qui frappe l’Union européenne et la méfiance que suscitent de plus en plus les acteurs de l’économie mondialisée, sont passées par là. Rien d’étonnant, diront certains. Le philosophe grec Aristote n’expliquait-il pas déjà que les ennuis commencent, lorsque le négoce devient un but en soi, que l’argent, au lieu de n’être qu’un médiateur entre deux marchandises, devient une fin et la marchandise un intermédiaire pour l’acquérir ? Peut-être. Mais il faut également admettre que le commerce équitable qui s’est bâti sur un socle de valeurs et de principes, dont l’organisation de producteurs est le pivot, a profondément évolué. L’entrée des sociétés multinationales dans la démarche n’est pas la moindre de ces évolutions. L’interroger est donc inévitable voire nécessaire. C’est le sens de ce numéro spécial qui veut nourrir le débat, sans jamais perdre de vue ce que le commerce équitable a ouvert comme perspectives à des centaines d’organisations de petits producteurs dans le monde. Et à ceux qui douteraient encore de l’efficacité d’un système porté par des valeurs, Santiago Paz, gérant de la coopérative Cépicafé, au Pérou, répond : « Ce n’est pas parce qu’on est petits, qu’on est amateurs, ce n’est pas parce qu’on a une vision sociale, qu’on est inefficaces » 2.

DIRECTEUR DE PUBLICATION : Gustave Massiah RÉDACTEUR EN CHEF : David Eloy ONT PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE NUMÉRO : Mathieu Brancourt, Hélène Bustos (Transrural Initiatives), Julie Chansel, Mickaël Correia (Transrural Initiatives), Édouard de la Rochefordière, Anna Demontis, Mathilde Guillaume (Libération), Erik Lavarde, Myriam Merlant, Andrea Paracchini, Sarah Portnoï, Stépha Rouichi et Fatou Sall SECRÉTARIAT DE RÉDACTION : Mathieu Brancourt, Anna Demontis et David Eloy PARTENARIATS ET DIFFUSION : Flora Barré GRAPHISME : Atelier des grands pêchers (atelierdgp@wanadoo.fr) IMPRESSION : L’Imprimerie (Tremblay-en-France, 93) DIFFUSION LIBRAIRIE : Dif’pop, 81, rue Romain Rolland, 93260 Les Lilas Numéro tiré à 120 000 exemplaires CPPAP n° 0913 G 86343 / ISSN : 1772-869X Dépôt légal à parution

Altermondes est éditée par l’association Altermondes Informations. Le Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID), Oxfam France, Peuples Solidaires et Ritimo sont les membres de cette association. Cette publication a été réalisée dans le cadre de la Quinzaine du commerce équitable 2013 et a reçu le soutien de

DAVID ELOY | RÉDACTEUR EN CHEF 1. Les Français et le commerce équitable, enquêté réalisée par BVA pour Max Havelaar France, avril 2012 2. Lire « Ils s’imaginent qu’on travaille pieds nus », page 11

Sommaire 3 Comment vivre humainement dans la société ? 4-9

QUELS ÉCHANGES DANS UN MONDE EN CRISES ?

5 XXIe siècle : l’urgence d’un changement 8 Il était une fois le commerce équitable

10-20 LES ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS,

LE MAILLON FORT 11 Reportage Pérou - « Ils s’imaginent qu’on travaille pieds nus » 13 Commerce équitable : le catalyseur d’impacts 16 Organisations de producteurs : le contrat de confiance ? 18 Le pouvoir (enfin) aux producteurs ! 20 Vers une production équitable au Nord

22-30 CONSOMMATEURS, CITOYENS, ÉLUS…

CHACUN A UN RÔLE À JOUER 23 24 25 28

Le citoyen reprend le pouvoir sur le consommateur «La consommation responsable est une tendance de fond» Tu símbolo: quand les producteurs créent leur label… Collectivités territoriales - Un ferment de développement local 29 Entreprises - Éthiquable, le mariage des valeurs 29 Distributeurs - Disponible au rayon sensibilisation 30 Associations - Regards croisés France-Brésil

32-38 IL FAUT CHANGER LES RÈGLES

DU JEU ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE 33 Changement d’échelle : attention à la marche ! 35 « Un système qui a transformé ma société » 36 Le commerce équitable peut-il changer la donne politique ? 37 « Les paysans participent efficacement au marché ! » 38 « Le commerce équitable tire la mondialisation vers le haut »


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TRIBUNE Comment vivre humainement dans la société?

Prêtre ouvrier, Francisco Van der Hoff part dans les années 1980 à Oaxaca au Mexique, où il prend conscience de la misère des producteurs de café. En 1988, il participe à la fondation du label Max Havelaar. Résident toujours à Oaxaca, il nous parle de la crise de valeur que traverse l’humanité.

PAR FRANCISCO VAN DER HOFF | CO-FONDATEUR DU LABEL MAX HAVELAAR

ous vivons aujourd’hui une crise qui est tout à darité, le respect, la considération, non seulement la fois sociale, économique et écologique, mais entre les gens, les générations et les sexes, mais aussi qui n’est de fait que le résultat d’une crise cul- avec notre mère, la Terre. C’est une mère qui donne turelle, d’une crise de civilisation. Nous n’avons pas la vie, mais qui a aussi besoin de respect, d’attenpris au sérieux ce que de nombreux humanistes tion, de solidarité et qui a également ses propres avaient énoncé par le passé: l’être humain est par droits. essence un être social. Ici, dans les montagnes mexi- Dans les montagnes d’Oaxaca, nous avons repris caines –où nous vivons une crise constante, à l’ori- – sans en être très conscients au début – les idées de gine d’une misère et d’une pauvreté importantes–, Karl Polanyi. Cet économiste a analysé comment nous avons appris que la crise dans les pays riches les processus de marché pendant la Révolution est bien une crise culturelle : l’égoindustrielle avaient engendré de «Les riches n’ont plus centrisme, sous toutes ses formes, a graves ruptures dans le tissu social. besoin de nous pour provoqué des ruptures dans le tissu Il a largement soutenu l’idée que social, économique et politique. Nous échouer et nous n’avons nous devions changer cela et trouavons placé la solidarité sociale au ver un équilibre entre le marché et plus besoin d’eux cœur de notre mission pour redonla notion de juste répartition, en pour survivre» ner sa place à l’humain, en tant que cherchant un équilibre sain entre producteur et citoyen. Le commerce équitable défie le secteur privé et le secteur public, entre l’individu ainsi la société de consommation, fondée sur une et la communauté. Nous avons donc choisi, dans économie qui prétend produire une croissance infi- les années 1980, de créer un autre marché, une autre nie. Cette économie n’est ni possible, ni saine tant économie, un autre rapport à l’environnement et, pour la planète que pour les êtres humains. La crise réunis entre organisations de petits producteurs, dans les pays du Nord le prouve. nous avons construit un « commerce différent », le commerce équitable qui s’appuie sur des producteurs organisés qui pratiquent l’agriculture bioloLe commerce équitable, que nous appelons, ici, à la gique, en recourant à des techniques adaptées. campagne,le «commerce différent»,propose un nouveau modèle pour le commerce conventionnel. C’est un commerce qui promeut la démocratie, le partage La construction du commerce équitable et la prodes biens entre les petits producteurs organisés et les duction biologique, c’est être en harmonie avec consommateurs, où la valeur d’usage d’un produit l’environnement, attentif à la Terre Mère –d’où nous prime sur sa valeur d’échange.Ainsi, après trente ans venons et où nous retournerons un jour–, et être de lutte, nous constatons qu’ont émergé de nouveaux responsable de la sécurité des produits pour les types de relations et un avenir différent pour les pay- consommateurs. Cette démarche nécessite la rechersans indigènes que nous sommes.Comme on dit dans che d’une vision. Or, vision et utopie sont étroitenos montagnes: les riches n’ont plus besoin de nous ment liées. Comment vivre humainement dans une pour échouer et nous n’avons plus besoin d’eux pour société, si nous ne nous posons pas la question fondamentale: quelle vie puis-je vivre et dans quel envisurvivre. Par le commerce équitable, nous avons appris –à tra- ronnement social et global puis-je me déplacer librevers les succès comme les erreurs– que les relations, ment avec le simple désir de vivre heureux? Le qu’elles s’opèrent dans le commerce, dans le travail commerce équitable, comme d’autres mouvements quotidien, dans les réunions ou assemblées, peuvent qui aspirent à des transformations sociales, promeut être réorientées vers des valeurs essentielles: la soli- cette vision.

Un commerce différent

© Erick Bonnier

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A LIRE Manifeste des pauvres – Les solutions viennent d’en bas, Francisco Van der Hoff, Ed. Encre d’Orient, 2010

Vision et utopie

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© Camille Millerand

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XXI siècle: l’urgence d’un changement

Le modèle de développement qui prévaut aujourd’hui donne la priorité à l’ouverture des marchés, à la concurrence et à la concentration de la rente, au détriment des petits producteurs. De nombreux observateurs en appellent à un changement de paradigme. Et si le commerce équitable servait de matrice pour la définition d’un nouveau système de production ? Entretien avec Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉDOUARD DE LA ROCHEFORDIÈRE | JOURNALISTE

Les pays émergents bouleversent également la donne de la géopolitique alimentaire. Quelle sera leur influence dans les années à venir ? O.D.S.: Il faut évoquer ici deux aspects très divergents mais qui sont liés l’un à l’autre par l’émergence d’un monde multipolaire. Le premier, c’est qu’il est devenu

très difficile de faire progresser le multilatéralisme, autrement dit de trouver un consensus maintenant que les pays émergents –comme le Brésil, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, et en partie la Russie– veulent à juste titre disposer d’une voix dans le concert international. La diversité des intérêts rend donc difficile la progression vers des solutions globales et durables. Le second aspect, c’est que dans ces pays, comme dans les pays en développement plus généralement, on observe l’émergence d’une «Je vois à l’avenir coexisclasse moyenne et une urbani- ter deux grands systèmes sation rapide,qui entraînent des alimentaires: un système changements des comporte- de chaîne d’approvisionnements alimentaires, tournés ment mondialisée, où le vers des régimes plus diversifiés. paradigme du commerce C’est une évolution positive. Mais elle s’accompagne d’une équitable doit devenir la forte pression sur les ressour- règle, et des systèmes ces. Ces régimes alimentaires agroalimentaires locaux» sont de fait plus riches en protéines animales; la production agricole doit donc non seulement progresser au rythme de la croissance démographique, mais elle doit aussi produire plus de céréales pour la même quantité de calories absorbées par l’homme, une partie importante de ces céréales devant nourrir le bétail. © DR

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 870 millions de personnes dans le monde n’ont pas mangé à leur faim sur la période 2010-2012, que démontre ce chiffre ? Olivier de Schutter : Mettons d’abord ce chiffre en perspective.Le problème majeur aujourd’hui n’est pas celui de la sousalimentation –bien qu’il soit réel– mais celui de la malnutrition, c’est-à-dire de régimes alimentaires qui sont trop pauvres en certains micronutriments essentiels. La malnutrition concerne plus du quart de l’humanité, soit près de deux milliards de personnes. Cela dit, pour bien comprendre le problème de la faim, il faut partir de la question: Qui sont les affamés? Or, la majorité de ces 870 millions de personnes est très pauvre et vit dans des zones rurales. Ce sont des petits producteurs, pour lesquels on n’a pas assez investi au cours des trente dernières années. Je suis critique à l’égard des résultats obtenus jusqu’à présent. Je considère en effet que les questions de justice sociale et de protection des petits paysans n’ont pas été suffisamment mises en avant dans la définition des règles du commerce international. Ces dernières ont surtout bénéficié à l’agro-export et aux grands producteurs, en aucun cas aux petits producteurs car non seulement leur accès au marché n’a pas été facilité, mais ils ont aussi été victimes de dumping sur leur propre marché, ce qui les a très souvent menés à la ruine et les a confinés à l’agriculture de subsistance. C’est cette logique qu’il faut essayer maintenant de remettre en cause.

Le phénomène d’accaparement des terres fragilise également l’agriculture des pays en développement et pose la question de la différence entre sécurité et souveraineté alimentaire. O.D.S. : Il y a une vraie compétition à l’échelle mondiale pour l’accaparement des terres mais aussi, ce qui est moins connu, pour l’accaparement des mers et de leurs stocks de poissons. Or, il est très clair que les pays en développement n’en sont pas les gagnants puisque leur capacité de négocier des accords équitables est très faible.En filigrane,c’est la question de la sécurité versus la souveraineté alimentaire qui

est posée. La sécurité alimentaire considère que la manière dont les gens ont accès à la nourriture importe peu, tant qu’ils peuvent avoir une alimentation suffisante et adéquate à un prix abordable. La souveraineté alimentaire place la barre plus haut: elle exige aussi que chaque pays puisse définir ses propres politiques agricoles et alimentaires, sans qu’elles ne soient conditionnées par les exigences du commerce international. Cette revendication est une réaction à la situation qui prévaut depuis le début des années 1980, dans laquelle les politiques agricoles des pays en développement ont d’abord visé à augmenter les exportations. Cette politique a joué au détriment du développement rural et des cultures vivrières. La souveraineté alimentaire est une exigence de réappropriation démocratique des politiques agricoles et alimentaires, mais elle est liée aussi à une exigence de développement rural et de capacité pour les petits producteurs à vivre de leur travail. Le droit à l’alimentation est inscrit dans le droit international, quelles obligations confère-t-il à la communauté internationale ? O.D.S. : Le droit à l’alimentation progresse rapidement. Il exige essentiellement que les gouvernements rendent des comptes à leur population.Au fond, c’est l’idée que les politiques qui vont influencer l’accès à l’alimentation soient des politiques définies de manière participative, dans la transparence, en associant à leur définition les organisations de producteurs et les ONG, plutôt que des politiques définies de manière purement technocratique par quelques élites. Dans les conférences internationales, les gouvernements reconnaissent que la question de la gouvernance des institutions et celle de la reddition des comptes sont des aspects tout à fait centraux des politiques agroalimentaires. >>

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>> Certains pays sont-ils novateurs dans ce domaine ? O.D.S.: Le Brésil est peut-être le pays le plus remarquable par les progrès réalisés. Quand Lula a accédé à la présidence du Brésil en 2003, il a lancé le programme «Faim Zéro» que Dilma Rousseff, qui lui a succédé, poursuit aujourd’hui. Ce programme a été extraordinairement important. Il a notamment réduit de façon considérable la mortalité infantile, grâce à des politiques participatives,à travers lesquelles les citoyens étaient amenés à collaborer à la définition de mesures qui combinaient politiques agricoles et politiques sociales. Autre exemple, en Inde, la Cour suprême indienne a aussi joué un rôle majeur depuis une dizaine d’années pour garantir le droit à l’alimentation. Comment faire pour que les pays dits «moins avancés» puissent protéger leurs marchés? O.D.S. : Il conviendrait de faire une place importante au débat sur la constitution de réserves alimentaires pour réduire la volatilité des prix sur les marchés agricoles. Les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) interdisent l’introduction de distorsions des prix par des stocks alimentaires gérés par l’État.Autrement dit, les États ne peuvent pas acheter en période de prix bas, pour soutenir les revenus des producteurs, et écouler des stocks en période de prix haut pour soutenir l’accès à la nourriture des consommateurs pauvres et réduire la spirale inflationniste des prix. Les pays «les moins avancés» ont déjà exprimé le souhait de pouvoir recourir à cet instrument de régulation des prix par les stocks,mais les règles de l’OMC n’y sont pas favorables. Protéger ses marchés contre la concurrence extérieure, n’est-ce pas aussi défendre une agriculture de proximité? O.D.S. : Absolument, l’enjeu est là: dans la possibilité pour ces pays de soutenir leurs petits producteurs et par là de contribuer au développement rural et à la réduction de la pauvreté rurale, même si les règles du commerce ne sont pas le seul paramètre à prendre en compte. L’augmentation de la dette extérieure des pays pauvres les oblige notamment à produire pour l’exportation parce que c’est uniquement en produisant du cacao, du café, du coton, du tabac… qu’ils peuvent avoir accès à des devises étrangères afin de rembourser leurs dettes. Ce n’est pas en produisant du manioc ou du sorgho qu’ils peuvent le faire!

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© David Longstreath / IRIN

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L’enjeu pour les pays du Sud, soutenir les petits producteurs.

L’agriculture familiale, érigée comme alternative à l’agriculture conventionnelle, estelle un modèle d’agriculture durable ? O.D.S. : Pas forcément, et on constate que l’agriculture pratiquée à petite échelle, comme elle l’est dans beaucoup de pays en développement, n’est pas durable. Les gens ont de très petites parcelles, ils surexploitent les sols et n’ont pas les moyens de les maintenir en bonne santé. C’est la raison pour laquelle il faut d’une part soutenir ces petits producteurs afin qu’ils puissent mieux gérer les sols, avoir accès à davantage de terres, de meilleure qualité, par le biais de réformes agraires, et d’autre part enseigner des techniques agroécologiques qui ne sont pas suffisamment appliquées dans ces pays et qui permettent, par des moyens durables comme les programmes d’agroforesterie, d’entretenir la fertilité des sols. L’agroécologie, c’est un peu la nouvelle révolution verte ? O.D.S. : Oui, même si beaucoup de spécialistes n’aiment pas cette expression de «révolution verte» qui évoque beaucoup trop ce qui s’est fait dans les années 1960 et 1970. En tout cas, on peut dire que c’est l’agriculture du XXIe siècle, parce que c’est une agriculture peu intensive en intrants,c’est-à-dire en engrais chimiques et en pesticides.Or,les intrants vont coûter de plus en plus cher et leurs prix vont être de plus en plus volatiles, parce qu’ils sont liés au prix des énergies fossiles. L’agroécologie est en revanche intensive en connaissances, elle demande la formation et l’acquisition de techniques agricoles. L’agriculture contractuelle reste le modèle dominant, dans quelles conditions peut-elle bénéficier aux petits exploitants agricoles? O.D.S.: L’agriculture contractuelle a effectivement un rôle important et présente des

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avantages, comme l’accès facilité aux marchés pour les petits producteurs qui, à travers elle, sont certains de pouvoir écouler leurs récoltes à des prix définis d’avance. Il y a des modèles contractuels plus intéressants que d’autres, notamment ceux où des coopératives de petits producteurs peuvent être dans une position de négociation plus forte par rapport aux acheteurs. Ces coopératives peuvent permettre aux producteurs de produire des récoltes, de les transformer voire même de les commercialiser, pour conserver une part plus grande de la valeur ajoutée. C’est peut-être le modèle d’avenir. Il suppose malgré tout des réformes institutionnelles et un soutien aux petits producteurs, notamment pour la formation de coopératives. En cela, le commerce équitable apportet-il des réponses ? O.D.S.: Le commerce équitable apporte des réponses complémentaires à la nécessité de réhabiliter les cultures vivrières et la relocalisation des systèmes alimentaires. Nous aurons toujours besoin de produits tropicaux cultivés dans d’autres régions du monde. Les Européens, par exemple, sont très gourmands en café, en chocolat, en fruits et légumes exotiques.Mais le commerce équitable pour ces produits doit aller de pair avec la promotion de systèmes agroalimentaires davantage relocalisés et avec la promotion de circuits d’approvisionnement courts. Idéalement, je vois à l’avenir coexister deux grands systèmes alimentaires: d’un côté un système de chaîne d’approvisionnement mondialisée, où le paradigme du commerce équitable,rémunérateur pour les producteurs et respectueux de l’environnement, doit devenir la règle, et de l’autre des systèmes agroalimentaires locaux. Cela me parait être la voie à suivre.


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Il était une fois le commerce équitable Permettre aux petits producteurs de vivre dignement de leur travail. Un engagement qu’ont souscrit les acteurs du commerce équitable dès l’origine et auquel ils ne dérogent pas, même si l’histoire de cette utopie devenue réalité n’est pas un long fleuve tranquille. PAR ANNA DEMONTIS | JOURNALISTE

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D’abord les boutiques C’est dans les années 1960 que s’amorce le tournant. Les uns après les autres, les pays du Sud accèdent à l’indépendance.Dans les pays du Nord, les mouvements dits tiersmondistes dénoncent haut et fort les inégalités dans les échanges économiques, qu’ils assimilent à une nouvelle forme de domination, et réclament l’équité dans le commerce. En 1964, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) leur donne raison, en proclamant le fameux slogan «Trade, not Aid» (Du commerce, pas de l’aide). Dix ans plus tard, la première boutique française spécialisée dans le commerce

1. Egalement coauteur du chapitre « Histoire » du Dictionnaire du commerce équitable, Ed. Quae, 2012 2. En 1992, Guy Durand a participé à la création de l’association Max Havelaar France. 3. Créée en 1997, la Plate-Forme pour le commerce équitable rassemble les principales organisations agissant pour la promotion et la défense du commerce équitable. En savoir plus : www.co mmercequitable.org 4. Créée en 1999, Minga regroupe des entreprises, des associations et des particuliers dont l’objectif est de participer au développement d’une société plus équitable. En savoir plus : www.minga.net 5. La loi du 2 août 2005 sur les Petites et moyennes entreprises (PME) stipule que « le commerce équitable organise des échanges de biens et de services entre des pays développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays en développement ». 6. Lire Organisations de producteurs : le contrat de confiance ?, page 16 et Changement d’échelle, attention à la marche!, page 33

© Artisans du Monde

u commencement était Ten Thousand Villages, une organisation américaine qui, en 1946, décide de venir en aide aux populations pauvres de Haïti, de Palestine et de Puerto Rico, en important les produits qu’elles fabriquent. «C’était une approche principalement caritative», analyse Thierry Brugvin,docteur en sociologie 1. On est alors encore loin de la démarche de consommation responsable –aujourd’hui bien connue – qui veut permettre aux producteurs du Sud et à leur communauté de vivre dignement de leur travail, se revendiquant de l’Article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme: «Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité.»

équitable ouvre ses portes dans le 9e arrondissement de Paris.Nous sommes en 1974. Ce magasin est le premier maillon de ce qui deviendra la Fédération Artisans du Monde. Sous son influence, la filière intégrée du commerce équitable se structure.«Elle repose sur l’idée qu’il faut être le plus équitable possible tout au long de la chaîne, du producteur au consommateur en passant par l’exportateur et le distributeur», insiste Gilles Faguet, d’Artisans du Monde. D’autres acteurs vont émerger et s’inscrire dans cette voie, comme Artisanat Sel ou l’Aspal. L’écho positif rencontré par cette démarche auprès des consommateurs du Nord convainc de plus en plus de producteurs du Sud de se convertir au commerce équitable. Pour soutenir leur dynamique de développement,il faut ouvrir de nouveaux

LE COMMERCE ÉQUITABLE, PAR DÉFINITION… EN 2001, les quatre organisations internationales du commerce équitable basées en Europe (FLO, IFAT/WFTO, NEWS ! et EFTA) ont proposé une définition commune : « Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect dans le but de parvenir à une plus grande équité dans le commerce international. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions d’échanges et en

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garantissant les droits des producteurs et des travailleurs salariés, en particulier ceux du Sud. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à appuyer les producteurs, à sensibiliser l’opinion publique et à mener des campagnes pour des changements dans les règles et les pratiques du commerce international conventionnel. »

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En 1974, le premier magasin Artisans du Monde ouvre ses portes.

débouchés. Or, à cette période, le commerce équitable est cantonné au cercle restreint des consommateurs, qui connaissent et fréquentent les magasins spécialisés. «Artisans du Monde commercialisait trente tonnes de café équitable par an, soit une production équivalente à celle de douze producteurs du Sud qui vendraient équitable en France», souligne Guy Durand, professeur à l’Agrocampus de Rennes 2. C’est le père néerlandais Francisco Van der Hoff, très engagé auprès des petits producteurs de café mexicains, qui, en 1988, ouvre la voie à une nouvelle forme de commerce équitable, dite labellisée. La création du label Max Havelaar – devenu depuis Fairtrade– ouvre la porte des grandes et moyennes surfaces aux produits équitables. Objectif: être présent, là où la grande masse des consommateurs s’approvisionne pour démultiplier les volumes de vente.

Puis la grande distribution Cette stratégie «pragmatique» va susciter un débat très vif et diviser fortement et durablement le monde du commerce équitable. Pour ses opposants, l’alliance avec la grande distribution est contrenature, un dévoiement des principes mêmes du commerce équitable. Certains acteurs historiques,comme Andines,quittent la Plate-Forme pour le Commerce


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De nouveaux défis

IDÉES REÇUES : OPÉRATION DÉMINAGE Bien connu du grand public, le commerce équitable n’en continue pas moins de susciter des interrogations chez les consommateurs. Moins de 3 Français sur 10 sont des acheteurs réguliers. Il y a donc un véritable enjeu à convaincre. Or, les idées reçues ont la vie dure et freinent certains consommateurs, de plus en plus méfiants sur ce qu’ils achètent. Avant de plonger au cœur des débats qui traversent ce secteur, des militants du commerce équitable s’essaient au déminage de deux idées reçues.

Est-ce durable de consommer des produits qui viennent du bout du monde ? Irrévocablement oui ! Le commerce équitable n’est en effet pas plus polluant que le commerce traditionnel. Pourquoi? D’abord parce que les modes de production auxquels il recourt (agriculture biologique, agroécologie) utilisent moins d’intrants chimiques et de pesticides que les pratiques de l’agriculture productiviste. Ensuite parce que ces bénéfices, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, sont bien supérieurs à ce qu’émet le transport lié à l’exportation. Des études montrent que, sur ce point, ce sont les emballages et les transports routiers qui ont les impacts les plus négatifs. Or, les produits équitables sont généralement exportés par conteneurs maritimes, un mode de transport qui, par exemple, pèse moins de 3 % des gaz à effet de serre générés par la production d’un paquet de riz. Il faut aussi rappeler que le développement durable combine les dimensions économiques, sociales et environnementales. Il ne se limite pas à cette dernière dimension. Les produits équitables sont donc aussi un gage de consommation responsable, parce qu’ils permettent à des personnes en situation de fragilité ou de marginalité de disposer d’un revenu décent et parce qu’ils sont cultivés, produits et transformés dans des conditions de travail respectueuses de l’être humain (santé, sécurité, protection sociale…).

© Artisans du Monde St Nazaire

Que s’est-il passé depuis? Les grandes entreprises se sont engagées encore plus avant dans la démarche, au grand dam des «puristes».Starbucks s’est converti au café équitable, Ben & Jerry’s et Cadbury proposent respectivement des glaces et des barres chocolatées équitables et les grandes surfaces,comme Monoprix,Carrefour PAR STÉPHANE LEBORGNE | ARTISANS ou Leader Price, distribuent des produits DU MONDE RENNES (ILLE-ET-VILAINE) équitables sous marque de distributeur... Le commerce équitable a-t-il conquis la cour des grands? Pas pour autant. Les débats sont toujours vifs sur les risques que font peser ces puissants acteurs économiques sur la filière équitable 6. D’autant plus que la crise économique mondiale n’épargne personne,qu’elle a fragilisé nombre d’acteurs historiques du commerce équitable et que les consommateurs, au Nord,sont plus qu’avant tentés de jouer la carte de la solidarité de proximité. Une nouvelle page du commerce équitable est en train de s’écrire.

© Les Jardins de Gaïa

Équitable 3 et fondent le réseau Minga 4. Considérant que le «commerce équitable» a perdu tout sens, ils s’engagent dans une «démarche pour une économie équitable», plus fidèle à une vision qui veut également déconstruire la dimension Sud-Nord des échanges équitables. «Il faut d’abord être équitable avec les commerces de proximité, se battre pour construire des réseaux alternatifs,affirme Michel Besson,gérant d’Andines. Nous suivons une démarche de transformation sociale et politique globale.» La stratégie de la filière labellisée s’avère gagnante en termes de volume de ventes, «quitte à tenir un discours de plus en plus lisse autour de la régulation des échanges visà-vis des pouvoirs publics», indique Thierry Brugvin,faisant référence à Max Havelaar. Le concept de commerce équitable pénètre l’inconscient collectif. En 2000, 9% des consommateurs français avaient entendu parler du commerce équitable contre 81% en 2007. La filière labellisée peut donc se targuer d’avoir fait exploser la notoriété du secteur. Les volumes de vente augmentent, l’offre se diversifie – Finie la gamme limitée au seul café! Bienvenue aux bananes, au riz, aux jus de fruit, aux épices…– et les labels se multiplient. Avec la loi du 2 août 2005 5, les pouvoirs publics donnent un cadre légal au commerce équitable.Il entérine cependant une vision qui favorise les échanges commerciaux Sud-Nord, sans faire référence à une volonté de transformation sociale.

Vietnam. Le commerce équitable, ça n’a rien de charitable !

Le commerce équitable se préoccupe des producteurs les plus défavorisés. C’est charitable ! Dans l’esprit des gens, le commerce équitable c’est une bonne action, donc c’est de la charité. Notamment car à l’origine, c’était surtout des associations un peu caritatives qui essayaient de vendre des produits, pour la plupart artisanaux. Mais être équitable, ce n’est pas être charitable. C’est fixer un prix juste pour un bon produit, un prix juste pour celui qui achète comme pour celui qui vend. Tout le monde doit y trouver son compte. Un jour, j’ai demandé à un producteur ce qu’il attendait du commerce équitable, il m’a répondu : « Seulement que ce soit équitable ». Pourquoi se tourner vers les petits producteurs ? Parce que, eux aussi, ont le droit de pouvoir évoluer. Un producteur seul ne peut y arriver. Il faut donc en général une coopérative. Comme il est très rare que les petits producteurs soient déjà organisés, il convient de les accompagner dans leur projet, de les mettre en relation avec d’autres acteurs, de les former à la comptabilité, de leur apprendre la démarche de certification, etc. Les consommateurs n’ont souvent pas conscience que la mise en place d’une filière de commerce équitable passe aussi par ces tâches qui n’ont rien de simple pour des petits producteurs et qui demandent un investissement colossal à la fois humain et financier. Ça n’a rien de charitable. PAR ARLETTE ROHMER | LES JARDINS DE GAÏA

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«Ils s’imaginent qu’on travaille pieds nus» PEROU Permettre aux petits producteurs des pays du Sud et à leur communauté de vivre dignement de leur travail. C’est le credo sur lequel s’est construit le commerce équitable. L’expérience de la coopérative péruvienne Cépicafé risque de balayer les doutes de ceux qui s’interrogent encore sur l’impact du commerce équitable et sur ce que des producteurs organisés sont capables de réaliser. Reportage. PAR MATHILDE GUILLAUME |

D

ans le petit hameau de Platanal bajo, au Nord du Pérou, accessible seulement par une longue piste défoncée qui serpente au milieu des montagnes recouvertes de végétation tropicale, une dizaine de petits producteurs se sont réfugiés du soleil brûlant dans la salle commune. C’est la période de récolte du cacao et les fèves sèchent à l’extérieur, dégageant une odeur douceâtre et vinaigrée qui se mêle à celle de la terre noire et humide. Ils sont réunis aujourd’hui pour discuter avec Santiago Paz, le cogérant de Cépicafé (Centrale de café de Piura), une coopérative qui regroupe 90 associations comme la leur, et qui représente plus de 6600 petits producteurs. Il a une bonne nouvelle à leur annoncer: un de leurs clients, le chocolatier américain Théo, débloque 25000 dollars d’investissement pour leur district de Chulucanas. 8000 dollars seront destinés à la construction d’un centre de fertilisation pour l’association. «Je sais que c’est normalement ce qu’une ONG à gros budget dépenserait rien que pour les plans, plaisante-t-il. Mais on va faire comme d’habitude, faire valoir chaque centime.»

Un travail de fourmi

UCTEURS,

Teofila Castilla Solana a gardé son élégant chapeau, qui contraste avec sa mise simple et ses mains abîmées de travailleuse de la terre. À côté de sa chaise en plastique fermente une partie de la production dans une dizaine de grosses caisses en bois. « Au début, mon mari ne voulait pas qu’on intègre l’association. On vivait de notre quart d’hectare, on récoltait un ou deux kilos de cacao qu’on vendait sur le marché et il disait: pourquoi vouloir plus? Il disait aussi que d’autres organisations étaient venues, qu’elles avaient montré comment produire plus. Mais pourquoi produire plus si on ne sait pas à qui vendre? Et puis les réunions, ça l’ennuyait.» Mais Teofila est têtue et voit la possibilité qui s’offre à elle: «J’y suis allée quand même et j’ai assisté à toutes les formations, je n’en ai pas loupé une. Au début c’était dur, surtout pour la taille des arbres. Je pleurais, j’avais l’impression qu’on me coupait un bras à chaque fois qu’on coupait une branche! Mais aujourd’hui j’ai appris et je pratique la taille toute seule. Je prépare aussi mon propre engrais biologique. Et sur le même terrain, on a récolté 107 kilos l’année dernière qu’on a vendus via l’association à Cépicafé.» Depuis sa création en 1995, Cépicafé a réalisé un travail de fourmi en prenant sous son aile toujours plus de petits producteurs et en les encourageant à se regrouper en associations. Leur argument: passer au biologique pour accéder au marché du commerce équitable, toujours accompagner la formation d’une offre concrète de débouchés. «On s’appuie systématiquement sur ce qu’ils savent, explique le technicien agricole Efren Troncos. On essaye de conserver leurs pratiques. Par exemple, Teofila utilisait déjà la cendre et le citron pour soigner ses arbres malades. On a mis à profit sa connaissance des phases de la lune pour la taille. Notre meilleur argument, ce sont leurs résultats. Les producteurs

qui doutent voient la réussite de leurs voisins et ce sont eux qui viennent maintenant vers nous.» L’exemple de réussite le plus flagrant de Cépicafé, c’est celui des producteurs de panela (sucre de canne non raffiné) des montagnes reculées de Piura. En dix ans, ils sont passés de conditions de vie terribles, incluant l’alcoolisme, le manque de salubrité basique et surtout l’absence totale de perspectives, au statut d’entrepreneurs vendant leurs produits partout dans le monde, dont les principales chaînes de supermarchés français.

Marché, qualité, débrouillardise «Le développement de ces communautés a été impressionnant. En voyant appliquer les mesures d’hygiène nécessaires à l’obtention des certificats biologiques et équitables sur les petites usines qu’on leur a construites, elles les ont reproduites chez elles, s’enthousiasme Santiago Paz. Aujourd’hui, elles trient même leurs déchets. La consommation d’alcool a chuté et la violence familiale aussi, non pas parce qu’on a fait des formations sur le sujet, mais parce qu’on a amené des perspectives! L’inclusion des femmes et l’éducation ont été fomentées par le travail. Aujourd’hui les producteurs envoient leurs enfants à l’école et rêvent qu’ils soient ingénieurs, ou médecins. Et ils sont fiers: “on vend à l’Italie!”» L’histoire de la panela est représentative des trois axes principaux de Cépicafé: la recherche de marchés, la qualité et la débrouillardise. «On a commencé avec des bouts de ficelles, avec 3500 dollars donnés par des groupes allemands d’appui au Tiers Monde. Un an plus tard, on exportait notre premier container et demi de café vers l’Europe. Aujourd’hui on exporte 27200 quintaux de café, 342 tonnes de cacao et 560 de panela. Le commerce équitable et la coopération internationale nous ont ouvert la porte, nous n’aurions jamais eu accès au marché international sans ça. Mais nous prospérons grâce à la qualité.» Un souci d’excellence qui paye: l’année dernière, Cépicafé a raflé huit prix sur les onze que décerne le Salon du cacao et du café du Pérou. Son secret, c’est le cacao blanc. Une fève autochtone aux arômes floraux qu’ils ont récupérée… et marketée. «Préserver la biodiversité c’est très bien, mais le faire en permettant aux gens de vivre dignement, c’est mieux. En se réfugiant dans la niche des cacaos rares, on peut négocier nos prix de vente en s’affranchissant des prix de la bourse. C’est un luxe terrible! Les prix du marché tournent autour de 2000 dollars la tonne mais nous, on négocie nos meilleures productions de cacao blanc autour de 8000 dollars! Ce qui nous permet de payer les producteurs plus du double de ce qu’ils toucheraient normalement et de continuer à investir dans de l’infrastructure.» L’usine de traitement de cacao et de café de Cépicafé à Piura est rutilante. Martin Dominguez, son responsable, s’en amuse: «quand nos importateurs viennent nous voir, ils semblent étonnés. On dirait qu’ils s’imaginent qu’on travaille pieds nus dans nos cuisines!» Santiago Paz complète: «Ce n’est pas parce qu’on est petits qu’on est amateurs, ce n’est pas parce qu’on a une vision sociale qu’on n’est pas efficaces.» En plus >> ALTERMONDES|SUPPLÉMENT LIBÉRATION N° 9944

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>> de la panela, du cacao et du café, Cépicafé produit des fruits, a développé un organisme de microcrédit, Norandino, et fait aussi le commerce de crédits carbone. Aujourd’hui, Cépicafé représente une vraie force de lobby politique. «On a rendu visibles les invisibles, s’enthousiasme Santiago Paz. Aujourd’hui, ils sont organisés, formés et ils ont pris conscience de leur valeur et de leur poids. Ce qu’ils demandent aux politiques, ce ne sont plus des subsides, ce sont des routes pour acheminer leur production, des investissements dans leurs outils de production. Ce sont des citoyens entrepreneurs.» Et depuis 2011, ils sont représentés au plus haut de l’État par Marisol Espinoza, une fille de petits producteurs de Piura, aujourd’hui députée et vice-présidente. Elle a couvert les débuts de Cépicafé en tant que journaliste pour le quotidien local El tiempo de Piura. «On leur avait toujours dit: la politique c’est sale, c’est mal, c’est corrompu. N’y participez pas. Par le biais de la démocratie participative au sein des associations, Cépicafé leur a montré qu’ils avaient une voix. Et je suis fière de la porter.» Mais avoir une voix ne signifie pas être écouté. «La première fois que j’ai parlé des petits producteurs au Congrès, les députés m’ont regardée comme si j’arrivais de mars. Ici les élites sont de Lima, alors imaginez un peu s’ils se soucient des producteurs des montagnes de Piura! Le chemin est encore long, même si on vient de décrocher 15 millions de dollars d’investissement en infrastructures pour Piura…» Cépicafé étend aujourd’hui son domaine d’influence dans six régions du Nord du Pérou. Sa prochaine frontière: l’Amazonie toute proche et pourtant si enclavée, où elle a commencé à travailler avec les communautés indigènes Awajun.

© Éthiquable

Avoir une voix, être écouté

CONTACT Cépicafé, Urb. El Bosque, Mz. A lote 18 y 19, Castilla, Piura, Pérou, www.cepicafe.com.pe

À Piura, l’usine de traitement de cacao de Cépicafé est rutilante.

MADAGASCAR, L’EXPÉRIENCE PORTE SES FRUITS À Madagascar, la coopérative Fanohana commercialise des litchis équitables. Illustrant la nécessité de transformer le modèle agricole dominant, Serge Marohavana, son gérant, témoigne de ce que le commerce équitable a apporté aux producteurs malgaches : « Sur la côte Est, les paysans malgaches peinent à dégager des revenus suffisants de leur activité: les cultures de rente profitent aux grands exportateurs, qui contrôlent le marché via les intermédiaires locaux. Avec la création de la coopérative Fanohana en 2007, les petits producteurs ont commencé à tirer profit des cultures de rente, en recevant un prix supérieur à celui du marché local d’une part, et grâce à l’exportation directe des produits. Les importateurs des produits du commerce équitable de Fanohana ont une demande

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encore limitée, la coopérative vend donc une partie des produits aux exportateurs locaux. La professionnalisation de la gestion de la coopérative, la qualité des produits et les volumes proposés, en partie grâce au commerce équitable, permettent aujourd’hui une négociation plus équilibrée des prix. Grâce à cela, les membres ont pu acheter des terres ou légaliser leurs titres de propriété. Ils diversifient leurs productions, investissent (maraîchage, petit élevage ou cultures vivrières) et mettent en place de nouvelles pratiques agricoles, comme l’utilisation de semences améliorées qui permettent deux récoltes de riz par an. Certaines parcelles associent cultures de rente et cultures vivrières (litchi et girofle entre lesquels sont plantés du manioc ou du maïs par exemple). Cette

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production diversifiée et respectueuse de l’environnement compense en partie le manque d’accès à la terre et la dégradation des sols, et réduit les risques pour les paysans en cas de mauvaise récolte d’une des cultures. Elle leur permet de produire pour l’autoconsommation tout en offrant des produits de qualité sur les marchés local et international, et de dégager des revenus bien supérieurs à ceux des familles paysannes non-organisées, particulièrement importants en période de soudure. La valorisation des cultures de rente sur les marchés du commerce équitable permet donc d’améliorer la production vivrière et la sécurité alimentaire des familles membres, il y a une vraie complémentarité. » PROPOS RECUEILLIS PAR ADRIEN BRONDEL | AVSF


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Commerce équitable: le catalyseur d’impacts

Le reportage réalisé auprès de Cépicafé au Pérou montre combien le commerce équitable peut être un puissant levier pour améliorer le quotidien des producteurs et de leur communauté. Une exception ? Pas vraiment. C’est ce dont atteste dans leur ensemble – et malgré une réalité contrastée – la profusion d’études réalisées sur le terrain et les témoignages qui accompagnent cet article. PAR ERIK LAVARDE | JOURNALISTE

n permettant aux petits producteurs péruviens de vendre leurs productions de café, de sucre ou de cacao dans les pays du Nord, Cépicafé a démontré combien le commerce équitable pouvait changer la vie de petits producteurs, de leur organisation et, plus largement de leur communauté 1. Aux dires des acteurs du commerce équitable,Cépicafé n’est qu’une illustration –certes, très belle– de ce que le commerce équitable peut occasionner comme bienfaits. Comment en être sûr? Comment savoir si ce n’est pas là l’arbre qui cache la forêt? En se penchant, par exemple, sur la multitude d’évaluations et d’études d’impact. En 2010, Isabelle Vagneron, chercheure au CIRAD 2, s’est ainsi lancée dans une «Cartographie et analyses d’impact du commerce équitable », croisant les résultats de quelque 77 études. Pourquoi autant d’études? Parce que l’intérêt grandissant pour le commerce équitable suscite en retour des doutes et, à tout le moins, un besoin d’informations précises sur son impact,qui aillent au-delà du discours généralement et automatiquement diffusé.

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«En 2005, pour répondre aux interrogations des acteurs de la filière, du grand public ainsi que des bailleurs, Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) a élaboré un référentiel d’analyse des impacts du commerce équitable sur le terrain, au Sud », explique Romain Valleur, chargé de programme pour AVSF 3. Évaluer l’impact du commerce équitable relève souvent de la gageure. Dans son référentiel qui fait aujourd’hui référence, l’association propose de mesurer les résultats à partir de «cinq aires de changement»: au niveau du statut social des bénéficiaires du commerce

2. Centre de coopération international en recherche agronomique sur le développement. En savoir plus : www.cirad.fr 3. Lire « Dispositif de mesure d’impact du commerce équitable sur les organisations et familles paysannes et leurs territoires », Nicolas Eberhart, AVSF, 2005. En savoir plus : www.avsf.org 4. Lire Liban : les femmes sont écoutées, page 14

© Mujahid Safodien / IRIN

Cinq aires de changement

1. Lire « Ils s’imaginent qu’on travaille pieds nus», page 11

équitable, du renforcement des organisa- les revenus des producteurs». De là à crier tions de producteurs et de leur famille, de victoire… Les réalités sont complexes et l’amélioration des conditions de vie, de la la chercheure relève dans le même temps contribution au développement local et que «les études s’intéressant aux conditions national et, enfin, de la gestion des res- de vie et de travail de la main d’œuvre des sources naturelles. petits producteurs du commerce équitable C’est en étudiant chacun des change- sont très rares», tout comme celles qui ments à chacun des niveaux et en croisant démontrent formellement que le comles analyses que l’on peut mesurer réelle- merce équitable contribue à réduire les ment les conséquences du dont sont victi« Le commerce équitable inégalités commerce équitable. Sur mes les femmes.Fair Trade permet l’accélération Lebanon 4 ferait-il figure l’effet prix, par exemple, Isabelle Vagneron a mon- d’un processus qui aurait d’exception ? En tout cas, là une incitation à tré que «87% [des études pu voir le jour sans lui, c’est poursuivre les efforts dans qu’elle a analysées] s’accordent à dire que le commerce mais qui aurait pris bien ce sens. Les organisations de proéquitable a un effet positif en plus longtemps » ducteurs ont un rôle majeur termes de prix» et «64% [d’entre elles] reconnaissent que le commerce à jouer pour que les fruits du commerce équitable a un effet globalement positif sur équitable profitent à l’ensemble de la >>

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>> communauté. Il convient donc d’étudier ce que le commerce équitable leur apporte en termes de «capacité à former et informer leurs membres,à les préparer à faire face aux réalités économiques de leur secteur, à professionnaliser leur gestion avec la mise en place d’outils administratifs et comptables…», souligne Romain Valleur. Ce que semble confirmer Isabelle Vagneron: «32 études mentionnent un effet positif en termes d’offres de services sociaux par les organisations.C’est un des effets positifs les mieux renseignés. » Et d’énumérer les progrès dans l’éducation (création de bourses d’études, achat de fournitures…), la santé (ouverture de centres de soins, amélioration des services de santé…) ou les projets communautaires (construction de latrines, de routes…). La prime de développement (environ 10% de la valeur du produit) versée par les importateurs du Nord n’est pas étrangère à ces bénéfices, qui diffusent au-delà des seules familles de producteurs. Tout comme «elle favorise la structuration de la société civile locale et la prise de décision démocratique car l’usage de cette prime doit être voté en Assemblée générale», tient à souligner Romain Valleur. Ce que nuance Isabelle Vagneron, en rappelant que de nombreux produc-

teurs ont encore «une vision relativement “floue” des principes du commerce équitable et de son fonctionnement». « Ces deux points ne sont pas incompatibles», affirme Romain Valleur.

De la difficulté d’évaluer Le commerce équitable est aussi un processus permanent d’amélioration. « La mesure d’impact dans les pays en voie de développement ne peut pas répondre uniquement aux intérêts immédiats des utilisateurs de label en termes de communication,mais aussi se traduire par une activité de renforcement et d’accompagnement de l’organisation sur le court terme», prévient d’ailleurs AVSF dans son référentiel. La prudence est d’autant plus de rigueur qu’il faut tenir compte des difficultés inhérentes à l’évaluation d’un processus complexe –le développement local– sur lequel le commerce équitable n’est pas le seul à jouer. Il est de fait difficile d’attribuer certains effets exclusivement au commerce équitable: «On peut considérer que les effets combinés du commerce équitable avec ceux de la certification bio et ceux des projets de développement sont supérieurs à la somme des effets isolés» qu’aurait chacun de ces programmes pris séparément.

«La difficulté majeure des analyses d’impact est qu’elles reposent souvent sur des méthoAprossa – Afrique dologies de type “Avant et après le commerce verte Burkina équitable”ou ”Avec ou sans le commerce équi01 BP 6129 table”, qui sont souvent sources d’approxiOuagadougou 01 mation, certains effets étant très largement Burkina Faso www.afriqueverte.org sous-estimés ou au contraire surévalués», souligne Gaëlle Balineau, économiste, Fair Trade Lebanon membre de Fairness. Évaluer l’impact du BP 45-249 commerce équitable revient donc à anaHazmieh, Liban www.fairtradeleba lyser la différence entre la situation obsnon.org ervée avec le commerce équitable et la situation –en pratique impossible à obsCooperativa Manduvira Ltda erver– qu’auraient ces mêmes bénéficiaiLas Palmas 627 res sans le commerce équitable et pour y Fidel Maiz, laquelle on recourt à une population Arroyos y Esteros, témoin. «L’analyse d’impact prête le flanc Paraguay www.manduvira.com à des critiques méthodologiques.» « Le commerce équitable est avant tout un outil, rappelle Romain Valleur. L’accompagnement des organisations de producteurs dans le temps permet de démultiplier son impact. » S’appuyant sur les études – nombreuses – menées par AVSF, il conclut : « Le commerce équitable permet l’accélération d’un processus qui aurait pu voir le jour sans lui, mais qui aurait pris bien plus longtemps et rencontré bien des freins. C’est un peu le principe d’un catalyseur chimique. »

CONTACTS

CRÉÉE EN MARS 2006, l’association Fair Trade Lebanon aide les producteurs et les transformateurs de produits libanais tels que la mélasse, la confiture, les graines ou encore les épices, à accéder aux marchés internationaux par les circuits du commerce équitable. Elle a également impulsé une dynamique en faveur des femmes des régions rurales. Témoignage de Cynthia Dahdah, en charge du marketing et de la communication de l’association : « Nous travaillons avec quatorze coopératives, dont les trois quarts sont des coopératives de femmes. La société libanaise est très patriarcale : l’homme travaille et rapporte le revenu, tandis que la femme reste à la maison. Grâce à Fair Trade Lebanon, les femmes peuvent désormais se réunir en coopératives au niveau des villages, travailler et être rémunérées. Les femmes se retrouvent dans un local mis à leur disposition à Ain Ebel [au sud du pays], où elles disposent de tout le matériel nécessaire. Au lieu de rester à la maison, elles se retrouvent dans ce bâtiment pour préparer et exposer leurs produits. Elles peuvent aussi y

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recevoir des clients. C’est leur endroit. Elles se sentent ainsi plus libres par rapport à leur mari et acquièrent une certaine autonomie économique et sociale. Au sein de la communauté, elles ont aussi leur mot à dire, elles sont écoutées. Cette reconnaissance, elles l’ont acquise parce que leur travail est maintenant monétarisé et qu’elles accèdent à des postes de décision au sein des coopératives (présidente, responsable du budget ou secrétaire). Dans la Bekaa, région frontalière de la Syrie, une femme a même été élue présidente de la coopérative mixte de Nejmet el Sobeh, certains hommes ayant voté pour elle. L’impact se répercute enfin sur toute la communauté. Par exemple, dans la Bekaa, les terres sont très fertiles et il y a souvent une surproduction de raisins. Au lieu de les vendre à perte, les femmes de la coopérative de Fourzol ont récupéré les excédents pour produire de la mélasse, que commercialise Fair Trade Lebanon. Elles ont ainsi aidé les hommes à écouler leur surproduction. » PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA DEMONTIS | JOURNALISTE

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© Fair Trade Lebanon

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hors série AU PARAGUAY, dans le district d’Arroyos y Esteros, à 67 kilomètres d’Asunción, la capitale, Manduvirá, une coopérative fondée en 1975, a décidé de construire sa propre usine de transformation de canne à sucre. Le directeur général, Andrés Gonzalés, revient sur ce projet : « C’est en 2002 que la coopérative, composée de plus de 1 500 associés, a entamé ce que nous avons appelé “la révolution douce”. L’idée ? Produire, raffiner et exporter nous-mêmes le sucre, sans recourir à une entreprise prestataire, comme nous le faisions alors. L’essence du commerce équitable, c’est de donner un pouvoir très important aux petits producteurs. Nous souhaitions donc intervenir sur pratiquement toute la chaîne de production, pour que l’essentiel des bénéfices demeure entre les mains des travailleurs. Depuis 2005, Manduvirá loue une usine, située à 90 kilomètres de Arroyos y Esteros, pour la transformation de la canne à sucre. En 2006, nous avons commencé à exporter notre sucre et la croissance des exportations a été exponentielle dans les

années qui ont suivi. Mais, nous nous sommes rapidement heurtés à un sérieux problème : l’usine que nous louons ne peut produire que 6 000 tonnes par an, alors que le marché mondial du sucre équitable peut en absorber 15 000 à 20 000 tonnes. Nous avons donc décidé de franchir un pas supplémentaire. En 2011, nous avons commencé la construction de l’usine de nos rêves, un projet d’un coût de 15 millions de dollars [environ 11,7 millions d’euros], qui bénéficie notamment du financement d’Oikocrédit. Cette raffinerie va nous permettre de mieux répondre à la demande mondiale. Elle aura un impact considérable sur la vie des 25 000 personnes qui vivent à Arroyos y Esteros et dans les districts voisins. L’usine sera en activité dès le mois d’août 2013. La “révolution douce” continuera ainsi à porter ses fruits, d’un point de vue économique, social et environnemental. »

© Oïkocrédit

ZOOM N°1 douce au Paraguay Révolution

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA DEMONTIS | JOURNALISTE

LE FONIO, une céréale locale adaptée aux conditions agricoles de la région, est de moins en moins cultivé par les paysans burkinabés à cause de la pénibilité des travaux après la récolte. Il souffre également d’une désaffection de la part des consommateurs urbains qui ne trouvent pas sur le marché un fonio de qualité, prêt à l’emploi. Depuis 2008, l’organisation burkinabé APROSSA accompagne les producteurs et les transformatrices dans la construction d’une filière qui garantisse la qualité du fonio produit et transformé ainsi qu’une meilleure répartition des marges entre les différents maillons économiques. Ce deuxième volet suppose une approche spécifique. Le partenariat entre l’ONG burkinabé et Artisans du Monde, y prend tout son sens. Ensemble, ils ont défini une méthode, des outils et une pédagogie, à même d’organiser le dialogue et la concertation entre les acteurs de la filière (semenciers, producteurs, transformatrices et

© Aprossa AVB

Burkina Faso : un fonio équitable et local Les résultats sont encourageants : les 250 agriculteurs familiaux qui ont utilisé les semences certifiées, produites localement, ont doublé leur rendement par hectare et vendu à un prix rémunérateur 31 tonnes d’un fonio de meilleure qualité ; les transformatrices ont vu leur revenu augmenter de 25 % ; les clients en ville sont fidélisés. Et la réflexion menée dans les villages, pour calculer le temps de travail et sa répartition tout au long de la filière, a mis en lumière un maillon jusque là «invisible»: l’épouse du paysan chargée du pilage du fonio, qui était jusqu’alors considéré comme une tâche domestique. Désormais reconnue comme acteur à part entière, elle perçoit une part des gains. Dans le respect des principes de l’équité.

distributeurs), qui ne partagent pas toujours les mêmes intérêts. L’intérêt de l’expérience tient également à la conception de ce qu’est un « commerce équitable ». L’exportation du Sud vers le Nord y reste marginale. C’est aussi au niveau local que le commerce doit être équitable. Les exigences appliquées à la part exportée ont alors un effet d’entraînement PAR PHILIPPE KI | APROSSA AFRIQUE sur la qualité et donc la quantité de la VERTE BURKINA FASO ET ISABELLE production consommée dans la région. DUQUESNE | CFSI

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hors série © Fair Trade Austria / Vipul Kulkarni

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L’agriculture sous contrat a été expérimentée en Inde dès 2004.

Organisations de producteurs: le contrat de confiance? Le commerce équitable est un secteur en perpétuelle évolution. Si les principes fondamentaux semblent gravés dans le marbre, certains acteurs voient d’un mauvais œil les propositions d’ouvrir davantage le commerce équitable à l’agriculture de contrat ou à de nouveaux types de plantations. Une évolution nécessaire qui sera maîtrisée ou un dévoiement aveugle des principes ? PAR JULIE CHANSEL | JOURNALISTE

uulia Syvanen, directrice des opérations de Fairtrade International, est catégorique. En matière de commerce équitable, il y a une vraie nécessité à «développer de nouvelles voies pour augmenter le nombre de pays producteurs et diversifier l'offre de produits, tout en essayant de toucher les petits producteurs isolés afin de leur garantir un revenu minimum». En ligne de mire, le développement de l’agriculture de contrat et l’élargissement du champ de la certification à de nouveaux types de plantations 1. Cette évolution n’est pas du goût de tout le monde et les débats sont vifs au sein de la famille équitable.

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Des standards adaptés En pleine expansion dans les pays du Sud,l’agriculture de contrat est basée sur la relation contractuelle entre des paysans et un acheteur qui s’engage à acquérir la production agricole une fois produite et à un prix déterminé. Dans son rapport du 4 août 2011, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter,écrivait:«[Elle] représente souvent l’unique option viable d’améliorer les moyens d’existence, car les contrats garantissent l’accès au marché ainsi qu’à des intrants de qualité et aux conseils techniques, tout en facilitant l’accès aux mécanismes de certification et aux possibilités de répondre aux normes.» S’en suit cependant une longue liste de recommandations pour que les bienfaits de ce type d’agriculture arrivent réellement jusqu’aux petits producteurs.

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Depuis 2005,certains acteurs du commerce équitable– Fairtrade International et Ecocert – ont décidé d’intégrer l’agriculture de contrat, en établissant un référentiel spécifique. Et à ce jour une vingtaine de groupements de producteurs et de structures intermédiaires (sur les filières riz Basmati et coton en Inde, ainsi que coton et fruits secs au Pakistan) est concernée. Cette «ouverture» vise trois objectifs: toucher des cultivateurs isolés et marginalisés, les intégrer au système et mieux répondre à la demande croissante, à l’échelle internationale, du marché. Or, «nous ne sommes pas face à un problème d'offre, rétorque Stéphane Comar d’Éthiquable. Seulement 20% en moyenne du total de la production est écoulé aux conditions du commerce équitable. En général, le reste est vendu sur le marché local ou sur le marché conventionnel. » Selon lui, avant même de penser à s’engager sur cette voie, « il faut donc améliorer l'existant, en respectant les fondamentaux du commerce équitable et le renforcement des organisations de producteurs ». Dans certains pays (GrandeBretagne, États-Unis, Allemagne, Pays-Bas), la logique de développement des marchés par l'offre a des adeptes. D’où la rédaction de nouveaux référentiels, de cahiers des charges spécifiques, « adaptés » à l’agriculture de contrat. Stéphane Comar dénonce « une vue à court terme, une volonté de grandir au détriment de l'impact, la croissance pour la croissance ». L’agriculture de contrat ne risque-t-elle pas de diluer la capa-


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hors série cité du commerce équitable à avoir de l’impact pour les petits producteurs et leurs organisations? C’est la principale crainte de ses détracteurs. Depuis sa création, le commerce équitable mise en effet sur l’organisation des petits producteurs pour défendre leurs droits et leur qualité de vie, pour leur permettre de devenir des acteurs socio-économiques essentiels. Or, «en mettant en relation un acheteur avec des producteurs individuels, l’agriculture sous contrat constitue une rupture avec le mode opératoire traditionnel du commerce équitable»,explique Romain Valleur, d’Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF), coauteur de l’étude «Agriculture sous contrats et commerce équitable: identification des freins et leviers pour encourager l'émergence et la consolidation d'organisations de producteurs» 2. Certains y voient un retour en arrière, où le pouvoir est redonné à l’acheteur du Nord, une voie dangereuse qui dénature le commerce équitable et pourrait conduire à le rapprocher du commerce conventionnel.

Quelles garanties ? «L'organisation collective reste au cœur de la mission de FLO, réaffirme Tuulia Syvanen. Il est normal et pertinent d'explorer différents modèles, de penser à ceux qui sont encore aujourd’hui exclus du commerce équitable. L’agriculture de contrat peut leur permettre de retirer des bénéfices immédiats de leur activité et de s'organiser collectivement pour prendre plus de place dans la filière, à l'export notamment.» La directrice des « En mettant en relation un opérations de Fairtrade International fait ici réfé- acheteur avec des producrence au cahier des charges de l’organisation qui demande non seulement de garantir des prix de teurs individuels, l’agriculvente supérieurs au coût de production et de sécu- ture sous contrat constitue riser l’accès au marché mais aussi de verser une une rupture avec le mode prime de développement et de renforcer à terme la structuration d’organisations de producteurs, opératoire traditionnel du afin que l’agriculture de contrat soit une étape tran- commerce équitable » sitoire. Tous les attributs du commerce équitable, donc. Stéphane Comar, lui, n’en démord pas: «On ne pose pas suffisamment la question de l'impact au Sud. Ce qui est mis en avant c'est le revenu garanti et la prime de développement que toucheront ces agriculteurs. Ce qui est visé, c'est de prendre des parts de marché, au lieu de renforcer la spécificité du commerce équitable. L’agriculture de contrat ne transforme pas la nature du commerce.» Un point de vue que corrobore Romain Valleur, en s’appuyant sur les résultats mitigés obtenus lors de l’étude qu’il a menée: «L’agriculture de contrat ne garantit pas la constitution de véritables groupements autonomes de paysans, qui est pourtant un objec- 1. Historiquement jusqu’à présent tif essentiel du commerce équitable.» En Inde, Chetna, une orga- et Fairtrade International nisation de producteurs de coton biologique, montre pourtant (FLO) ne certifie des de plantations que c’est possible. Les cotonculteurs indiens ont en effet com- produits que sur les filières thé mencé en 2004 «sous contrat» avant de se structurer en une ou banane, là où les de petits organisation de petits producteurs indépendante en 2010. organisations producteurs sont rares. Aujourd’hui, elle compte 6200 producteurs, regroupés en 25 2. Cette étude a été groupes disséminés dans les régions de l’Andhra Pradesh, réalisée en octobre par AVSF pour de l’Orissa et du Maharashtra. Arun Amabpitudi, l’un de ses 2012 le compte de la Plate-forme pour le dirigeants, membre du bureau de la Network of Asian and PaciCommerce Équitable. fic Producers (NAPP), précise: «L’agriculture sous contrat a été 3. En 2011, les expérimentée en Inde dès 2004 car la culture du coton y est le fait standards de Fairtrade de beaucoup de petits producteurs isolés.» La réussite de son orga- International pour l’agriculture de contrat nisation ne l’empêche pas cependant d’être prudent: «Il ne faut ont été révisés afin de les exigences plus intégrer d'agriculteurs sous contrat dans le système, particu- renforcer vis-à-vis des structures lièrement pour le coton. Car, en l'état, nous ne sommes déjà pas certifiées.

capables de commercialiser plus de 20% de la production. Il faut donc stabiliser le marché et trouver de nouveaux débouchés.» Quant à la question d’étendre cette agriculture à d’autres filières équitables, il se range à la position de NAPP: «Cela ne peut se faire qu’au cas par cas. Sur décision de NAPP et des cultivateurs spécifiquement concernés.» Une position qui fait écho à celle beaucoup plus tranchée de la Coordination latino-américaine et caribéenne du commerce équitable (CLAC), qui s'est déclarée contre l'agriculture de contrat et l’élargissement de la certification à de nouveaux types de plantations.

Une vision politique Pourquoi une telle réticence? Les auteurs de l’étude commanditée par la Plate-Forme pour le Commerce Équitable en évoquent plusieurs: l’augmentation de la dépendance des producteurs dans des conditions de pouvoir et d’information déséquilibrée vis-à-vis de leur acheteur, le partage inadéquat de la valeur ajoutée sur les filières au dépend des petits producteurs, la surspécialisation sur des cultures de rente… Ce que reconnaît Olivier de Schutter: «L’agriculture sous contrat peut entraîner une perte de contrôle sur la production […]. Elle est susceptible de cette manière de transformer les agriculteurs en ouvriers agricoles sur leur propre terre.» Des risques forts que Chetna a réussi à éviter. Comment? En étant soutenue et accompagnée par une ONG de développement. «Les résultats des études de cas mettent en évidence l’importance de la nature de l’opérateur en charge d’appuyer la structuration et la consolidation de l’organisation des producteurs [...]. Le renforcement du rôle commercial des organisations est un point sensible: il est présent dans le travail d’appui de l’opérateur lorsque celui-ci est une ONG mais est absent dans les deux autres, où des structures commerciales en sont responsables, du fait de potentiels conflits d’intérêt et du coût que cet appui représente», note l’étude d’AVSF. Romain Valleur insiste sur ce point: «Les ONG sont là pour renforcer les capacités techniques des organisations de producteurs, leur réflexion sur les politiques actuelles, de telle sorte qu’elles soient à même de formuler les propositions qui leur semblent les plus pertinentes et qui satisfont au mieux les intérêts des États et ceux des familles que ces organisations représentent. Si on ouvre le système à d’autres types d'acteurs, on risque de perdre cette vision politique du commerce équitable, notamment dans les pays du Sud.» La prudence est donc de mise. D’autant qu’à ce jour, après huit années de pratiques de l’agriculture sous contrat, Fairtrade International n'a toujours pas mené d'évaluation, par rapport aux objectifs initiaux3. «L’histoire du commerce équitable a toujours été marquée par des débats, de grandes questions philosophiques! résume Tuulia Syvanen. En l'état, Fairtrade International a décidé pour les deux ans à venir de ne pas étendre l'agriculture de contrat à l’Amérique latine et de ne pas élargir la certification à de nouveaux types de plantations. Par contre, dans les cinq à dix ans à venir, nous devrons étudier la certification de nouveaux produits, décider si nous voulons ou pas nous agrandir, si nous nous en tenons strictement au modèle coopératif ou si nous explorons de nouvelles voies. Et à chaque fois que nécessaire, nous débattrons.» Les discussions sur les standards du commerce équitable et leur adaptation aux évolutions du secteur seront sûrement vives,d’autant que les trois réseaux continentaux de petits producteurs (CLAC, NAPP et Fairtrade Africa) disposent depuis cette année de 50% du pouvoir de décision dans le système Fairtrade International.

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Le pouvoir (enfin) aux producteurs! Les petits producteurs n’ont pas toujours eu toute la place qu’ils méritaient dans la gouvernance de certains systèmes de commerce équitable. En juin 2013, les réseaux de producteurs occuperont pour la première fois la moitié des sièges au conseil d’administration de Fairtrade International (FLO). Retour sur une révolution en marche. PAR ANDREA PARACCHINI | JOURNALISTE

La place des producteurs Les années passent, le nombre de producteurs engagés dans le système FLO augmente et les premières divergences d’appréciation sur ce qui est prioritaire apparaissent. Les producteurs ressentent le besoin de peser davantage sur les choix de Fairtrade International. Certes ils disposaient jusqu’alors, formellement, de représentants dans le bureau et le conseil d’administration de FLO,mais ces derniers n’avaient pas de réel pouvoir de décision. Première étape: la création de réseaux de producteurs à l’échelle continentale. Naissent ainsi la CLAC, Fairtrade Africa et Network of Asian and Pacific producers (NAPP) 3. «Notre implication n’était pas efficace et Fairtrade International se concentrait surtout –et avec succès– sur l’expansion du marché», souligne Marike de Peña. Les producteurs souhaitent rééquilibrer les rapports de force au sein du système FLO pour avoir plus d’impact au Sud. Ils craignent en effet que le mouvement se bureaucratise et que Fairtrade / Max Havelaar devienne un label parmi tant d’autres. «Ce n’est pourtant qu’en 2006 que nos réseaux ont uni leurs forces pour la première fois afin de demander une pleine participation, rappelle Chief Adam Tampuri. Nous avions participé à la création de Fairtrade International. Cette organisation était aussi la nôtre!» En 2007, les statuts de FLO sont changés une première fois pour faire plus de place aux réseaux de producteurs. Ils peuvent désormais siéger dans les organes de direction, où ils détiennent 25% des voix. Cette première étape marque le début d’un processus qui amènera l’organisation à revoir complètement sa gouvernance.

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Sénégal, Une assemblée de producteurs du village de Ndébou

1. Fairtrade Africa compte plus de 300 organisations de producteurs africains, soit plus de 700 000 fermiers et ouvriers, qui répondent aux critères du commerce équitable dans 30 pays. En savoir plus : www.fairtradeafrica.net 2. La Coordination latino-américaine et caribéenne de commerce équitable (CLAC) représente plus de 300 organisations de petits producteurs dans 21 pays de la région. En savoir plus : www.clac-comercio justo.org 3. Network of Asian and Pacific producers compte 137 organisations dans 13 pays. En savoir plus : www.fairtradenap.ne

Christophe Alliot est à cette époque chef de projet révision stratégique de FLO. Il est donc appelé à travailler sur l’ouverture aux producteurs: «Il y avait beaucoup de résistances au sein de la structure, en raison notamment de la méconnaissance par les organisations du Nord de ce qui se passait sur le terrain au Sud.» Un décalage d’autant plus flagrant sur la question des rythmes: d’un côté, des Européens pressés, par habitude, mais aussi en raison de la pression exercée par le marché, les consommateurs et les entreprises, de l’autre, des producteurs qui raisonnent sur le temps long, à l’horizon de dix ou vingt ans. «Les associations nationales, dans les pays du Nord, se sentaient peut-être aussi la responsabilité de faire tourner efficacement le système, estime Chief Adam Tampuri. Il a fallu du temps pour qu’elles réalisent qu’elles ne pouvaient pas y arriver sans les producteurs.» Les débats sont vifs et n’épargnent pas les frictions. «FLO et les associations nationales ont pu croire à un moment qu’on ne reconnaissait pas leur travail,se souvient Marike de Peña.Mais ce qui a commencé comme une bataille a vite tourné au dialogue plus constructif.»

50% des voix C’est ainsi qu’en 2008 se dessine un consensus autour d’un partage, lui aussi équitable, du pouvoir entre les réseaux de producteurs au Sud et les associations nationales au Nord: les producteurs auront désormais 50% des voix. «Il y a une grande différence entre avoir une place à la table des négociations et posséder la salle des réunions!», souligne Molly Harris Ollson, présidente de Fairtrade International, qui se félicite de l’adoption par son organisation d’un modèle de gouvernance à nul autre

© Max Havelaar France

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uand en 1988 les premiers paquets de café labellisés Max Havelaar font leur apparition dans certains supermarchés hollandais, le commerce équitable n’est que l’affaire de quelques producteurs au Mexique et de militants d’ONG. Dix ans plus tard, la Fairtrade Labelling Organization (FLO, aujourd’hui rebaptisée Fairtrade International) est créée pour donner une cohérence à un mouvement qui prend de l’ampleur. «C’est pour cette raison qu’au départ, FLO a été gérée par les associations Max Havelaar qui sont nées dans les pays du Nord»,résume Chief Adam Tampuri, producteur de noix de cajou au Ghana et président de Fairtrade Africa 1, le réseau des producteurs africains, affilié au système FLO. À l’époque, les producteurs étaient impliqués mais ne participaient pas aux assemblées. «La relation entre les producteurs et les associations nationales était bâtie sur la confiance mutuelle, confirme Marike de Peña, gérante de Banelino,coopérative de producteurs de bananes en République Dominicaine et vice-présidente de la CLAC 2, le réseau des producteurs sud-américains et caribéens, affilié à FLO. Il n’y avait pas besoin d’accords écrits.»


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pareil. D’autant qu’en plus du partage du pouvoir, les producteurs obtiennent le droit de gérer directement un tiers des ressources de l’organisation, afin de constituer leurs équipes de liaison sur le terrain et de mener des opérations de soutien aux producteurs, de définition des stratégies produits et de promotion du commerce équitable dans le Sud. Une révolution pour les 1,2 million de producteurs regroupés au sein des 991 organisations que fédèrent Fairtrade International, dans 66 pays. Au final, il aura fallu pas moins de quatre ans pour que les nouveaux statuts soient définis et votés. En janvier 2013. Et les nouvelles normes ne seront appliquées pour la première fois qu’à l’assemblée générale de juin prochain. «Certains se sont plaints qu’on n’aille pas assez vite,explique Christophe Alliot, qui a quitté FLO en 2010 pour devenir coordinateur et conseiller stratégique de l’Alliance internationale des producteurs du commerce équitable. Mais on ne pouvait pas caler du haut une décision de cette ampleur. Il fallait travailler ensemble pour éviter des discussions de marchands de tapis autour du partage de pouvoir.» Une stratégie qui semble avoir porté ses fruits puisque plus personne ne met en question les nouveaux statuts. Reste maintenant à mettre cette nouvelle gouvernance à l’épreuve des faits et à observer les nouvelles orientations que va entraîner ce pouvoir (re)donné aux réseaux de producteurs.

© C. Roffet / AVSF

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Mongolie. Des petits producteurs de la coopérative CAAD en formation

WFTO: LES PRODUCTEURS AUX COMMANDES LA WORLD FAIR TRADE ORGANIZATION (WFTO) 1 est, avec Fairtrade International (FLO), l’un des principaux réseaux internationaux d’acteurs du commerce équitable. En France, la Fédération Artisans du Monde, Artisanat Sel et la Plate-Forme du commerce équitable en sont membres. Son président, Rudi Dalvai, explique en quoi cette organisation se distingue de Fairtrade International : « WFTO a été créée en 1989, bien avant Fairtrade International, sous le nom d’IFAT (International fair trade association). Elle est présente dans 75 pays et réunit des organisations nationales, des groupements coopératifs de producteurs, des importateurs, etc. Certains de nos membres sont des pionniers du commerce équitable et actifs depuis 50 ans ! Au total, WFTO représente plus de 10 000 structures, dont deux tiers sont des artisans. Ces organisations, et notamment celles de producteurs, ont un poids important dans le choix des orientations et des objectifs de WFTO, puisqu’elles

représentent les deux tiers des sièges lors de notre assemblée générale et occupent cinq des neuf sièges du conseil d’administration, soit un pour chacune des régions du monde, où nous sommes présents. Les producteurs du Sud sont donc majoritaires et peuvent ainsi décider de l’utilisation des 370 000 euros qui constituent le budget annuel de WFTO, alors que leur contribution économique à l’organisation est cinq fois moindre – limitée à 1500 euros par structure– par rapport aux structures du Nord. Chez FLO, dont nous avons par ailleurs soutenu la création, le focus est mis sur la certification. Certes, ils ont fait des ouvertures aux producteurs dans leur gouvernance, mais leur mission reste celle de gérer le label. Certaines organisations sont d’ailleurs certifiées chez FLO mais choisissent d’adhérer également à WFTO .» PROPOS RECUEILLIS PAR ANDREA PARACCHINI | JOURNALISTE

1. En savoir plus : www.wfto.com

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Vers une production équitable au Nord Comment s’inspirer du commerce équitable Nord/Sud pour sortir des discours simplistes sur la relocalisation et imaginer un commerce équitable au Nord ? Entretien avec Alain Delangle, de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) et producteur de lait en Basse-Normandie. PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE BUSTOS | TRANSRURAL INITIATIVES

Quel est l’intérêt d’aller vers un commerce équitable au Nord ? Alain Delangle : Comme on a pu le voir sur les cinquante dernières années, l’agriculture est un domaine dans lequel la régulation par la loi de l’offre et de la demande est plus que limitée. L’une des particularités du secteur réside dans le fait que la non-équité entraîne la destruction de l’outil qui nous permet de manger, à savoir, les trente centimètres de sol autour de la terre! Préserver l’appareil de production de notre nourriture est tellement évident qu’on ne s’en préoccupe pas. Donc, s’il y a un domaine où le commerce équitable doit s’appliquer, c’est bien l’agriculture… Au-delà de cette nécessité,travailler sur l’idée d’un commerce équitable, c’est créer des relations avec les autres, de plaisir et de bonheur. Or, toute l’économie capitalistique est basée sur cette idée du bonheur par l’abondance. Avec la notion de commerce équitable, on découvre que le bonheur, à la différence du confort, ne passe pas uniquement par là. Ces dernières décennies,les filières agricoles se sont construites par des montages, privés ou coopératifs, mais dans tous les cas, très corporatistes. Des corporations –de producteurs,de consommateurs,de transformateurs et de distributeurs– se sont constituées, œuvrant à l’émergence d’un contexte de compétition: les consommateurs revendiquent les prix les plus bas, les distributeurs veulent donc leur proposer des promotions et font pour cela pression sur les transformateurs de l’agroalimentaire qui font eux-mêmes pression sur les producteurs ou sacrifient la qualité du produit… Quelle forme un commerce équitable au Nord pourrait-il prendre ? A.D.: L’idée d’associer,ou de réassocier,différents univers (producteurs, transformateurs et consommateurs) autour de l’alimentation, comme c’est le cas dans le commerce équitable, est intéressante. Surtout dans la période actuelle, où l’on voit de mieux en mieux les failles du système,

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A LIRE Transrural Initiatives est une revue mensuelle d’information rurale créée et portée par des mouvements d’éducation populaire à vocation rurale et agricole. En illustrant concrètement des alternatives à la mise en concurrence généralisée, à la disparition des liens sociaux et à l’exploitation aveugle des ressources, la revue entend résolument sortir de la morosité ambiante et invite à l’action. www.transruralinitiatives.org

et ce malgré toute la communication et la publicité qui ne sont pas là pour informer mais pour leurrer. On commence à comprendre que la «dimension» de l’économie est à revoir.Après la globalisation,nous devons faire l’apologie du petit pour plus de liens.La Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) peut permettre de déconstruire les filières cloisonnées pour aller dans le sens d’une relocalisation à différentes échelles et ainsi contribuer à redonner du sens à nos activités. Dans ce type particulier de coopératives, les différentes catégories d’acteurs (agriculteurs, consommateurs,transformateurs,distributeurs,élus…) peuvent se regrouper pour définir un intérêt commun qu’ils gèrent ensuite ensemble. Qu’apportent les pratiques du commerce équitable Nord/Sud à votre réflexion ? A.D.: Aujourd’hui, le «local» est à la mode. Les acteurs «traditionnels» du commerce équitable Nord/Sud s’intéressent à l’idée d’un commerce équitable au Nord. Les contextes, politiques notamment, sont complètement différents entre pays du

Nord et pays du Sud. On ne pourra pas faire du copier/coller. Mais, des éléments, comme les intentions humanistes de préserver un certain type d’agriculture par le renforcement des groupes de producteurs, sont à explorer. Travailler avec des acteurs du commerce équitable nous replonge dans des discussions sur les différents «modèles» agricoles à promouvoir (agriculture durable, biologique, paysanne…). Ce travail et une meilleure connaissance de l’expérience des acteurs du commerce équitable sont aussi très intéressants pour sortir des discours simplistes sur la relocalisation des activités et de l’économie,du style:«Faisons du circuit court, supprimons les intermédiaires et l’on résoudra les problèmes.» Penser relocalisation ne signifie pas abolition des échanges (en particulier avec des acteurs différents). Cet aspect est très important dans la mesure où être dans les idées trop simples,c’est faire le jeu du capitalisme.Nous ne devons pas avoir peur de la complexité et nous lancer dans une éducation populaire du citoyen, via des systèmes coopératifs, par exemple.

«UNE VÉRITABLE OUVERTURE SUR UN AUTRE MONDE» « LE COMMERCE ÉQUITABLE doit s’appliquer à tous les paysans du Sud mais aussi à ceux du Nord ! », s’exclame Marc Guyot, producteur de fruits rouges, d’œufs et de légumes dans les Monts du Lyonnais. Cet agriculteur participe au projet Fermes du Monde 1, qui organise depuis 2005 des rencontres entre paysans de Rhône-Alpes et paysans du Burkina Faso et du Bénin autour du commerce équitable. « Je suis allé une fois au Bénin et nous avons accueilli sur notre ferme des paysans burkinabés et béninois, raconte Marc Guyot. On échange sur nos façons de travailler, nos savoirs et savoir-faire, la commercialisation de nos productions.» Suite à leur voyage au Bénin et à la visite d’ateliers de transformation de fruits, Marc Guyot et d’autres paysans ont mis en place un atelier collectif de production de jus de fruits et ont pour projet de

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créer une SARL pour vendre plus facilement leurs produits locaux. « On vend aussi une gamme de produits mélangeant nos productions à celles des paysans du Sud (confiture groseille-mangue, terrine agneau-ananas). Mais on travaille avant tout ensemble sur le commerce équitable Sud-Sud et Nord-Nord, sur l’agriculture paysanne, à travers des discussions sur le calcul du coût de revient, comment concevoir un prix juste, à la fois pour le producteur et le consommateur, ajoute Marc Guyot. Quand on est paysan, en vente directe, on peut vite être enfermé sur son exploitation. Ce projet permet de voir d’autres manières de produire, d’autres problématiques: c’est une véritable ouverture sur un autre monde. » MICKAËL CORREIA | TRANSRURAL INITIATIVES 1. En savoir plus : www.fermesdumonde.fr


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hors série Le citoyen reprend le pouvoir sur le consommateur Le commerce équitable est l’un des mouvements citoyens qui a le plus contribué à faire en sorte que les consommateurs se posent des questions sur l’origine des produits qu’ils consomment et les conditions dans lesquelles ils sont fabriqués. PAR AMINA BEJI-BÊCHEUR | INSTITUT DE RECHERCHE EN GESTION | UNIVERSITÉ PARIS EST MARNE-LA-VALLÉE

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ualifié d’innovation sociale, le commerce équitable est un projet qui vise la transformation des pratiques d’échanges commerciaux au niveau international. Depuis l’idée d’un commerce «plus juste» –traduite dans le slogan «Fair trade not aid»– portée par les réseaux militants dans les années 1960 jusqu’à l’entrée des produits du commerce équitable dans le marché de la grande consommation, via la grande distribution, bien du chemin a été parcouru. Les acteurs du commerce équitable ont réussi à faire prendre conscience au consommateur de son rôle dans la consommation. La consommation dite équitable s’inscrit dans une catégorie plus large nommée la consommation responsable ou engagée. Cette dernière qualifie la prise de conscience du consommateur à l’égard de l’impact de sa consommation. L’engagement est social et/ou environnemental. Depuis 2002, la consommation dite engagée semble s’affirmer comme une tendance socioculturelle de fond en France en termes d’intentions d’achat. En 2007, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) soulignait ainsi que: «La sensibilité des Français à la “consommation engagée” est relativement affirmée: 44% d’entre eux déclarent tenir compte, lors de leurs achats, des engagements que prennent les entreprises en matière de “citoyenneté”. Cette attention au comportement des firmes a progressé de 6 points depuis 2002. Toutefois, elle ne s’est pas propagée à la même vitesse dans toutes les franges de la société: elle a gagné 15 points chez les jeunes,tandis qu’elle en perdait 5 chez les personnes de plus de 70 ans» 1. La notoriété du commerce équitable est acquise. En 2010, 98% des Français connaissaient le commerce équitable,alors qu’ils n’étaient que 9% en 2000,et son capital sympathie est élevé avec 78% d’appréciations positives (Etude Ipsos, juin 2010). Le consentement à payer pour des produits engagés dénote enfin d’intentions favorables pour les produits qui en sont issus: le dernier baromètre de l’alimentation, publié en 2009, révélait que l’intérêt

des consommateurs à l’égard des biens éthiques amène une part importante d’entre eux à envisager d’accepter de payer plus cher pour obtenir des produits respectueux de l’environnement et du bien-être animal (67%) et des produits issus du commerce équitable (56%). Si les achats de commerce équitable progressent (+11% en 2009), ils demeurent très limités (estimés à un marché de 300 millions d’euros en 2008 contre 60 millions en 2003) et les sommes consacrées au commerce équitable restent réduites: moins de 20 euros pour près de 36% des per-

1. In Cahier de recherche du Crédoc, 2007, p.5 2. Sondage commandé par la Plate-forme pour le Commerce Équitable (PFCE), le ministère des Affaires étrangères et européennes et le Gret.

sonnes interrogées, même s’il s’agit pour la plupart d’achats récurrents (près d’une fois par semaine). Le concept est encore mal compris par le public,qui est en attente d’accessibilité à l’information et aux produits, de transparence sur la composition des prix et les modes de production ainsi que de légitimation (Ipsos, 2008) 2. Reste que le développement des ventes n’est pas l’essentiel. Les acteurs du commerce équitable ont réussi à promouvoir une vision de la consommation dans laquelle le citoyen reprend le pouvoir sur le consommateur.

«Il y a encore beaucoup de pédagogie à faire» Entretien avec Ludivine Coly-Dufourt, directrice de l’Association Léo Lagrange pour la défense des consommateurs, sur l’éducation à une consommation responsable. PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID ELOY | ALTERMONDES

En tant qu’association de défense des consommateurs, comment définissez-vous la consommation responsable ? Ludivine Coly-Dufourt : Consommer responsable, c’est d’abord réfléchir à ses actes quotidiens d’achat et donc acheter en connaissance de cause. Nous, nous ne prétendons pas dire aux gens ce qu’ils doivent ou pas acheter. C’est une sorte de cheminement. Pour commencer, ils doivent être suffisamment informés sur les produits et les services qui leur sont proposés pour pouvoir les comparer. S’il y a des signes de qualité, il faut ensuite essayer de comprendre d’où cela vient et seulement ensuite acheter en connaissance de cause, de manière intelligente. Comment le commerce équitable est-il perçu par les consommateurs ? L.C-D. : Il y a déjà eu de nombreuses campagnes de sensibilisation sur le sujet. Les consommateurs commencent à se l’approprier.L’entrée du commerce équitable dans les grandes surfaces a d’ailleurs favorisé cette appropriation. Les consommateurs savent que c’est utile, responsable et citoyen, mais connaissentils réellement la démarche? Nous n’en sommes pas convaincus.Nous pensons donc qu’il y a encore beaucoup de pédagogie à faire.

Quels sont les freins à son développement? L.C-D. : Nous considérons que le commerce équitable ne s’adresse pas à tous les publics. Il s’adresse à une certaine catégorie de consommateurs, informés et qui ont suffisamment de moyens . Nous sommes dans une période de crise. Le pouvoir d’achat est en berne.La majorité des consommateurs avec qui nous travaillons n’a pas forcément la possibilité de réfléchir sur le pourquoi du comment du commerce équitable. Ils fondent leur acte d’achat sur le prix. Quid de l’éducation au commerce équitable ? L.C-D.: L’éducation à la consommation est l’une de nos missions premières. Nous sommes convaincus qu’il faut promouvoir la consommation responsable. Nous essayons de rendre cette démarche accessible au plus grand nombre, et notamment les enfants qui sont souvent prescripteurs vis-à-vis de leurs parents. Il faudrait d’ailleurs faire en sorte que l’Éducation nationale intègre l’éducation à la consommation dans le cadre des programmes primaires et secondaires. Beaucoup de choses se font dans les centres de loisirs sur la consommation responsable. Mais cela reste limité au périscolaire. Il est assez difficile pour les associations de consommateurs de travailler avec l’Éducation nationale.

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« La consommation responsable est une tendance de fond » Près d’un Français sur deux estime que la crise est l’occasion de revoir profondément les habitudes de consommation. Par où commencer ? Entretien avec Benoît Hamon, ministre délégué en charge de l’Économie sociale et solidaire et de la Consommation.

Quel lien faites-vous entre économie sociale et solidaire et consommation responsable ? Benoît Hamon : Consommer devient chaque jour davantage un geste citoyen. œuvrer en faveur d’une meilleure information du consommateur sur les filières économiques qu’il entretient par son acte d’achat, c’est donner la possibilité d’orienter la consommation vers des filières sociales, solidaires, durables. Mais une condition est nécessaire à la mise en œuvre: la confiance du consommateur.Sous l’angle «consommation», je veille donc à la réalité des allégations des entreprises sur l’impact positif de leurs produits en termes social et/ou environnemental, en m’assurant qu’elles soient contrôlables... et en les contrôlant. De plus, de nombreux acteurs de la consommation responsable relèvent du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS). C’est par exemple le cas des filières du commerce de pièces détachées, que je veux développer pour lutter contre l’obsolescence programmée 1 et donc favoriser des modes de consommation plus durables. Mes deux portefeuilles se complètent et l’action de l’État en faveur d’une consommation responsable s’en trouve renforcée.

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PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID ELOY | ALTERMONDES

« Promouvoir ce type de commerce est une condition sine qua non du changement de modèle, pour rééquilibrer les rapports Nord/Sud, et pourquoi pas aussi les rapports Nord/Nord ! »

En quoi la consommation responsable est-elle un enjeu aujourd’hui ? B.H.: Près d’un Français sur deux estime que la crise est l’occasion de revoir profondément ses habitudes de consommation. Le commerce équitable participe naturellement à ces habitudes de consommation responsable. En chiffres, ce sont plus de 200 PME en France, des dizaines de milliers d’emplois au Sud, et un potentiel qui ne demande qu’à croître. Promouvoir ce type de commerce est une condition sine qua non du changement de modèle, pour rééquilibrer les rapports Nord/Sud, et pourquoi pas aussi les rapports Nord/Nord.

Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour soutenir le développement de la consommation équitable ? B.H. : Nous avons souhaité, avec Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement, préparer en concertation avec

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les acteurs du secteur et les ministères compétents, un plan national d’action en faveur du commerce équitable. Il a pour objectif que la France atteigne le niveau de consommation équitable des pays d’Europe du Nord, à savoir un triplement du panier moyen des Français, ainsi qu’un doublement des emplois du secteur en cinq ans. Nous avons également lancé le 29 avril le concours Ekilibre qui vise à promouvoir la création et le développement d’entreprises à vocation sociale et solidaire. Côté consommation, nous voulons améliorer la transparence et donc la confiance des consommateurs, sur les produits équitables. C’est la raison pour laquelle nous lançons un état des lieux sur les allégations dans le domaine du commerce équitable, à l’instar de ce que nous avons déjà réalisé concernant les allégations environnementales. Par ailleurs, je souhaite aussi répondre à un frein que les acteurs mentionnent souvent : le financement. Pour cela, mon projet de loi sur l’Économie sociale et solidaire aidera les entreprises du commerce équitable, qui relèvent souvent du secteur de l’ESS. En 2012, une étude réalisée par BVA montrait que 91 % des Français ont une image positive du commerce équitable mais que moins de 3 Français sur 10 en sont des acheteurs réguliers. Comment analysez-vous ce résultat ? B.H. : La consommation responsable progresse par une évolution des comportements, qu’il s’agisse des économies d’énergie, des circuits courts ou encore de l’agriculture biologique. C’est bien une tendance de fond. Les attentes des consommateurs sont visibles dans le succès des labels et des garanties. Pourtant, le marché demeure modeste. Pourquoi ? Le premier frein tient au manque de visibilité des produits. Les distributeurs ont là, bien sûr, un rôle à jouer. Je crois que le déficit de confiance des consommateurs est une autre explication, à laquelle l’action de la DGCCRF 2 contribue à répondre. Plus largement, l’importance des règles de traçabilité et de transparence a récemment été soulignée par l’affaire de la viande de cheval, et je me bats au niveau européen pour obtenir des progrès concrets.


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Tu símbolo : quand les producteurs créent leur label...

Les organisations de petits producteurs se sont longtemps appuyées sur les labels imaginés au Nord pour faciliter la commercialisation de leurs produits. Signe des temps, les petits producteurs latino-américains rassemblés au sein de la CLAC ont décidé de créer leur propre label, le Symbole des producteurs paysans (SPP). PAR MATHILDE GUILLAUME |

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© Éthiquable

La situation a bien changé depuis 1989 et la création du commerce équitable labellisé. À l’époque en achetant un paquet de café équitable, on était sûr d’aider un petit exploitant, quelque part en Colombie, au Pérou ou ailleurs. Aujourd’hui ce n’est plus forcément vrai.» Les interrogations de Luis Rodríguez, gérant de la coopérative indigène UCIRI (Mexique), font écho aux débats qui divisent aujourd’hui le monde du commerce équitable. Face à l’augmentation de la demande des consommateurs, des organisations de commerce équitable nordaméricaines ont en effet ouvert grandes leurs portes aux multinationales et aux grandes plantations afin de garantir plus de volume, plus rapidement. Le 15 septembre 2012, Fair Trade USA annonçait haut et fort son intention de doubler son impact d’ici à 2015 en appliquant de nouveaux standards pour permettre à d’autres types d’organisations, en particulier les plantations, d’entrer dans le système: «Fair Trade USA va évaluer ses pratiques commerciales pour créer un commerce équitable, plus facile, moins cher et plus évolutif pour nos partenaires industriels.» 1 Une position totalement à l’encontre de l’esprit fondateur du commerce équitable, qui provoque une scission entre Fairtrade International (FLO, qui représente le label Fairtrade/Max Havelaar) et son affilié nord-américain, FLO refusant de céder à la pression et d’ouvrir le commerce équitable aux plantations de café.

Les producteurs latino-américains rassemblés au sein de la CLAC ont créé leur propre label, Tu símbolo.

Une maison solide, ouverte à tous La Coordination latino-américaine et des Caraïbes des petits producteurs de commerce équitable (CLAC), affiliée à Fairtrade International, avait pris conscience, dès 2004, des évolutions en cours, du problème identitaire qu’elles généreraient et de la nécessité d’identifier plus clairement les petits producteurs sur le marché. Elle présente sa réponse en 2006 lors d’un forum sur le tourisme et le commerce équitable, à Tuxla Gutiérrez au Chiapas (Mexique): un nouveau label, le Symbole des producteurs paysans (Tu símbolo, SPP), dont le logo représente pour la CLAC «une maison solide et ouverte à tous, l'équilibre et l'union entre les producteurs et les consommateurs, entre les hommes et les femmes, entre la nature et une vie digne. Ses couleurs: la vigueur de la terre, des cultures, d'une nouvelle vie et du cœur». «La rhétorique de vente du commerce équitable a toujours été basée sur l’image du petit producteur, souligne Jonathan Rosenthal, chercheur américain, créateur de Just Works Consulting, un observatoire du commerce équitable, basé à Boston (États-Unis). Créer SPP à ce moment-là était plutôt malin. Cela voulait dire: on reprend le pouvoir, le contrôle. Cela répondait à un double objectif: établir un label contrôlé entièrement par les petits producteurs et maintenir la pression sur les labels de commerce équitable.» Les récents déboires avec Fair Trade USA leur auront donné raison. La particularité de ce label? Le critère de taille: une exploitation ne peut excéder les 15 hectares (ou les 500 ruches, s’il s’agit d’apiculture). Les organisations de producteurs doivent être constituées de manière légale et dotées d'une structure organisationnelle démocratique et, pour être certifiées, elles doivent appliquer les critères du commerce équitable: la traçabilité des produits et des méthodes de travail, l’interdiction du travail des enfants, une saine comptabilité et une politique de prix approuvée par leur assemblée générale... SPP propose donc aux petits producteurs un autre système de certification que ceux déjà existants, plus accessible financièrement et davantage adapté à leur réalité. «Notre but est de réaffirmer notre place en tant que petits producteurs, tout en restant au sein de la famille FLO», précise Luis Rodríguez. Ce que confirme Marvin López, président de la Fundeppo, la structure créée pour gérer le SPP: «La CLAC s’est battue de nombreuses années pour que la voix des petits producteurs ait un poids important au sein de Fairtrade International car nous partageons des racines sociales, environnementales et aussi économiques, bien sûr. Il n’a jamais été question de faire scission, bien au contraire. Nous souhaitons juste proposer une alternative par et pour les petits producteurs, qui réponde à leurs besoins, contrairement à la plupart des certifications qui naissent dans l’hémisphère Nord.» Luis Suárez Puelles, secrétaire exécutif de CNCJ Peru (Coordination nationale de petits producteurs de commerce équitable du Pérou), explique: «On a beaucoup réfléchi et on a conclu qu’il valait mieux >> ALTERMONDES|SUPPLÉMENT LIBÉRATION N° 9944

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>> avancer doucement. On ne veut surtout pas générer de crise de confiance au sein du commerce équitable, générer de la méfiance ou un sentiment de rejet de la part des consommateurs, ce qui serait néfaste pour tout le monde. C'est pourquoi on informe au maximum pour ne pas créer d’effet contre-productif.» Le pari est osé. Dans la multitude de labels existants, comment ne pas passer inaperçu? «Que ce soit au Québec ou aux États-Unis, il y a une “éco-lassitude”: les gens ne savent plus à quel label se vouer, ce n’est plus une manière suffisante pour se démarquer sur un étalage, reconnaît Dario Iezzoni, directeur de marketing des brûleries québécoises Santropol (Canada), très engagées pour le commerce équitable. Beaucoup d’entreprises pratiquent le greenwashing 2 à peu de frais. Un logo de grenouille verte, par exemple, et, hop, on a le consommateur dans la poche. Le SPP, c’est une volonté de refonder le commerce équitable. Cette refondation passe nécessairement par reprendre le bâton de pèlerin et retourner éduquer le consommateur.»

Ceux qui tapent la trail Marvin López reprend: «Nous n’avons malheureusement pas les moyens de faire une grande campagne d’information. Pour le moment, les importateurs n’osent pas s’engager au motif qu’il n’y a pas d’organisation de petits producteurs certifiés. Et vice versa. Nous comptons donc sur nos partenaires de toujours, sur les purs et durs tels qu’Éthiquable, Oxfam, Cafe Direct ou Equal Exchange pour nous faire connaître petit à petit. Ce nouveau label est

légitime, il ne représente pas une menace mais une opportunité, il ne faut pas en avoir peur mais au contraire l’appuyer.» En Europe, pour le moment, seul Éthiquable a pris le risque en lançant huit produits. Reste à savoir si le consommateur se retrouvera dans la jungle des labels équitables. «Ce ne sera sans doute pas le label qui remplacera tous les autres, analyse Dario Iezzoni. Il sera probablement réservé aux puristes, aux dévoués, aux dédiés. Ceux qui tapent la trail, comme on dit au Québec, ceux qui ouvrent le chemin. Beaucoup de ceux-là se sentaient floués et trouvent un réconfort dans ce label.» Et Jonathan Rosenthal de conclure: «Malgré toutes les difficultés, je continue de penser qu’on vit aujourd’hui la meilleure époque du commerce équitable depuis sa création. La multiplication des labels est un signe de succès: dans le monde capitaliste, plus on réussit, plus on est copiés. Je reste optimiste et exalté de voir ce qui va se passer maintenant que SPP est lancé.» 1. Source: Fair Trade USA, www.fairtradeforall.com 2. Le ravalement d’image écolo

CONTACT Fundacion de pequeños productores organizados a.c. (FUNDEPPO) Guanajuato 131 int. 302/403, Roma Norte, México D.F., Mexique, www.tusimbolo.org

«Nous avons besoin des deux marchés» LAOS Depuis 1995, l’Association de soutien au développement de la société paysanne

(ASDSP) accompagne les paysans dans la production et la commercialisation de l’essentiel de leurs produits (jus, confitures et pâtes de fruits) dans les circuits de commerce équitable1. Crise oblige, elle diversifie ses débouchés et mise aujourd’hui sur le marché national. Entretien avec Khamsouane Sisouvong, son directeur. PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA DEMONTIS | JOURNALISTE

Quelle est la stratégie commerciale de l’Association de soutien au développement de la société paysanne (ASDSP) ? Khamsouane Sisouvong: L’association a été créée en 1991 pour venir en appui aux paysans laotiens de la région de Kasi, au nord du pays. Nous avons petit à petit compris qu’il ne fallait pas seulement soutenir la production (riz, thé, jus, pâtes de fruits, confitures), mais aussi l’accès au marché et au financement de leurs projets. C’est pourquoi en 1994, nous avons créé la Coopérative de crédit pour le soutien aux petites unités de production (CCSP), un fonds coopératif pour les microcrédits,et Lao Farmers’Products, une structure en charge de la commercialisation. Nous avions décidé d’entamer une démarche de commerce équitable pour toucher les consommateurs européens. Jusqu’en 2008, beaucoup de commandes nous arrivaient d’Europe. Encore aujourd’hui, plus de 70% de nos produits vont à l’exportation. Mais

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avec la crise, nous avons commencé à avoir un problème de demande. Dès l’origine, nous avions prévu d’exporter et, en parallèle, d’investir dans le marché local. Mais il faut admettre que le local s’est aussi développé parce que la crise économique européenne a entraîné une chute des commandes. Nous avons besoin des deux marchés. Quels sont les freins au développement de débouchés locaux ? K.S. : Les Laotiens ne sont pas encore familiarisés avec le commerce équitable, ni d’ailleurs avec la production biologique. La plupart d’entre eux regarde en premier lieu le prix de vente.Or,à Vientiane,la capitale, les prix du marché biologique sont plus élevés que ceux du marché conventionnel, sur lequel nous devons affronter la concurrence des produits importés à très bas prix de Chine et de Thaïlande. Pour résister,nous promouvons la qualité de nos produits. Nous avons ainsi proposé aux

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CONTACT ASDSP 158 Mitthaphab Lao-Thai road P.O. Box: 330 Vientiane, Laos www.laofarmerspro ducts.com

1. Ce travail d’accompagnement a une dimension communautaire forte auprès des villageois qui bénéficient de formations pratiques.

autorités provinciales de Xekong [dans le Sud-Est du Laos] de goûter le thé de leur province pour qu’elles le choisissent quand elles passent leurs commandes. Le gouvernement comme les autorités locales doivent soutenir nos activités pour que les Laotiens aient accès à des produits équitables et biologiques. Nous avons par exemple un problème avec les préfinancements. Quand nous vendons sur le marché national, contrairement à ce qui se passe dans le circuit du commerce équitable, les clients ne peuvent pas financer à l’avance leur achat, ce qui serait précieux pour les producteurs. Il faudrait que le gouvernement soutienne un mécanisme de préfinancements. Sous l’impulsion de l’ASDSP, le marché local se met en place. À Vientiane, il y a maintenant un marché pour les légumes biologiques, deux jours par semaine, et la population s’intéresse de plus en plus au commerce équitable. Il faut poursuivre dans cette direction.


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COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Un ferment de développement local En quelques années, les collectivités territoriales sont devenues des acteurs clés du commerce équitable. Leur engagement revêt différentes formes : achats publics, soutiens aux acteurs, sensibilisation… Tour d’horizon avec les lauréats 2012 de la campagne « Territoires de commerce équitable ». PAR ANNA DEMONTIS | JOURNALISTE

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Les collectivités sont devenues des ambassadrices du commerce équitable», affirme sans ambages Gaëlle Giffard, responsable de la campagne «Territoires de commerce équitable» 1, qui distingue les collectivités territoriales les plus investies dans ce secteur. «En France, 36 collectivités font déjà partie de cette campagne, poursuit-elle. Elles se sont ainsi engagées à soutenir et promouvoir le commerce équitable sur leur territoire mais aussi à créer une instance de dialogue et d’émulation appelée le Conseil local du commerce équitable.»

Structurer l’offre C’est en 2010, lors d’un voyage au Mexique, que Claude Darciaux, la maire de Longvic (Côte d’Or), a «découvert la réalité du commerce équitable». Et depuis, l’élue a renforcé l’engagement de sa collectivité, mettant l’accent sur la sensibilisation des différents publics. «Nous travaillons avec le Conseil municipal jeune, une école et un centre de loisirs, détaille-t-elle. « Le marché des Nous avons notamment remis à tous les élèves entrant en 6e un livre sur le commerce équitable.» La Mairie a également tenues des agents cosigné une charte de la vie associative qui «a permis d’ex- d'entretien représente pliquer ce qu’est le commerce équitable aux responsables assoun million d'euros ciatifs» et de les inciter à agir en sa faveur. Un bilan plus qu’encourageant, avec cependant un petit bémol en ter- sur quatre ans pour mes de sensibilisation: les personnes âgées demeurent à peu près 9000 un public peu réceptif. «C’est pourquoi à Noël 2013, nous tenues par an » leurs distribuerons des colis avec des produits issus de filières équitables et une carte expliquant ce choix», annonce Claude Darciaux. «Il y a un énorme travail de pédagogie à faire autour du commerce équitable, souligne Gaëlle Giffard. Tous les acteurs doivent s’y atteler,aller à la rencontre du grand public,de tous les publics.» Les collectivités locales peuvent également jouer un rôle moteur puisque, dans le cadre de leur compétence économique, elles peuvent faire du commerce équitable «un levier de développement territorial», explique Bity Dieng, conseillère municipale déléguée à l’économie sociale et solidaire de la Ville de Grenoble (Isère). «Nous voulons toucher les entreprises et les commer- 1. En 2012, la campagne « Territoires de çants pour mieux les sensibiliser à cette démarche de consomma- commerce équitable » tion responsable», poursuit l’élue grenobloise. Comment? En a récompensé quatre collectivités : Longvic a travaillant avec ses partenaires économiques traditionnels, reçu le prix « sensibilidu grand public», comme la Chambre de commerce et d’industrie,pour qu’ils chan- sation Grenoble «sensibilisation gent leurs pratiques. En 2012, la Mairie a aussi mené l’opé- des entreprises et com», Paris « achats ration « Bananes équitables » en partenariat avec Équi’ sol : merces publics équitables » et « Quatorze primeurs se sont associés à l’opération, ils ont pu ven- Région Pays-de-la-Loire local ». dre 720 kilos de bananes équitables à leurs clients. Quatre grossis- «EnConseil savoir plus : tes étaient partenaires pour l’approvisionnement.» L’occasion,pour www.territoires-ce.fr

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ces acteurs, de découvrir le monde de l’équitable. La Mairie, elle, poursuit son travail de maillage, mettant en relation des traiteurs et des fournisseurs pour structurer l’offre de produits équitables sur son territoire.

Créer du lien Pour que leur engagement soit crédible, «les collectivités doivent s’appliquer à elles-mêmes ces changements de consommation», prévient Gaëlle Giffard.Et de fait,souvent,les achats publics éthiques précédent la définition d’une politique publique. Ils sont d’autant plus importants pour le secteur, qu’ils permettent aussi de renforcer les filières équitables sur un territoire: «Soutenir la filière en étant un acheteur régulier de certains produits permet de consolider la demande, qui va à son tour stimuler l’offre », précise Pauline Véron, adjointe au Maire de Paris en charge de l’Économie sociale et solidaire. Les fonctionnaires parisiens chargés des achats publics ont acquis «le réflexe de vérifier s’il est possible de faire appel au commerce équitable», précise-t-elle. L’impact est loin d’être négligeable: 50000 agents municipaux sont sensibilisés et les quantités de marchandises commandées sont à la hauteur des besoins de la capitale. «Le marché des tenues des agents de la propreté de la ville de Paris représente un million d’euros sur quatre ans pour à peu près 9000 tenues par an», précise l’élue, avant de souligner que ces commandes ont été regroupées au sein de la Direction centralisée des achats «pour les rationaliser et les moderniser, afin qu’il y ait des règles communes à tous les services». Une approche transversale plus que nécessaire pour décloisonner les services mais aussi associer l’ensemble des acteurs.«Les Conseils locaux du commerce équitable sont des leviers précieux pour impulser cette approche», souligne Gaëlle Giffard. «Le Conseil ligérien témoigne non seulement de la volonté de la Région Pays-de-la-Loire de développer durablement la démarche du commerce équitable sur son territoire, mais elle exprime aussi son désir d’établir un vrai partenariat avec l’ensemble des acteurs concernés, explique Laurent Martinez, conseiller régional en charge des achats responsables. Nous avons constitué des ateliers thématiques sur l’économie, la sensibilisation, la communication et l’éducation. Ces ateliers se sont transformés en commissions de travail.» La commission éducation a ainsi rédigé un guide des ressources pour mener des actions à destination des publics jeunes. La démarche se veut en effet porteuse des transformations économiques et sociales durables. «Si la Région prenait ses distances, ce qui a été entrepris continuerait à vivre. Il existe un vrai projet dont les acteurs se sont emparés», conclut Laurent Martinez.


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hors série Éthiquable, le mariage des valeurs Dans le monde des échanges responsables, les entreprises ont aussi leur mot à dire. Fondée il y a dix ans par une poignée de passionnés, Éthiquable se définit comme une entreprise citoyenne et solidaire. Portrait d’un acteur qui n’en finit pas de surprendre. PAR FATOU SALL | JOURNALISTE

e croiriez-vous? L’hiver dernier, alors que les débats prenaient une ampleur considérable dans l’espace public, une bouteille de rhum équitable haïtien investissait les linéaires des magasins en soutien au mariage pour tous. D’emblée, on serait tenté d’y voir une idée jaillie du cerveau enfiévré d’une agence de pub, surfant sur l’actualité pour relancer les ventes de produits équitables? Faux! C’est du côté d’Éthiquable, une coopérative de commerce équitable dont le siège est dans le Gers, qu’il faut chercher les responsables. «C’est un projet modeste, qui nous a permis de prendre position dans le débat public,tempère Emmanuelle Cheilan, responsable de la communication. Cette démarche portait des valeurs d’égalité et d’ouverture, dans lesquelles nous nous reconnaissions.» Fondée il y a une dizaine d’années pour venir soutenir des organisations de pay-

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sans à travers le commerce équitable, Éthiquable se veut une entreprise citoyenne. «Nous souhaitions porter un projet d’avantgarde, innovant et hybride », souligne Emmanuelle Cheilan.Une entreprise d’un nouveau type, citoyenne et engagée, où le management se veut participatif, c’est de fait ce qu’est Éthiquable. « On est une entreprise solidaire mais on est une entreprise quand même, insiste Emmanuelle Cheilan. Par manque d’imagination, on catalogue souvent les choses et les gens: l’entreprise serait portée par de méchants marketeurs, le monde de l’associatif par de gentils altruistes. Nous, nous avons décidé d’être plus inventif et moins caricatural.» Ce que confirme Christophe Eberhart, l’un des trois fondateurs d’Éthiquable: «Dans les pays du Sud, nous travaillons avec des organisations coopératives qui portent les valeurs d’entraide,de solidarité et de durabilité. Être

une entreprise coopérative nous est apparu tout à fait naturel.» Pour cet ingénieur agronome,le commerce équitable, au-delà des volumes de ventes, doit surtout viser un impact social fort et il ne l’aura qu’à condition de contribuer au renforcement des organisations de producteurs, les seules à pouvoir être de véritables actrices de transformations sociales.«On appuie une quarantaine initiatives de petits producteurs paysans du Sud, détaille-t-il. C’est ainsi que nos actions se font double,en faveur d’un accompagnement, là-bas et d’un travail de lobbying auprès des instances compétentes et de sensibilisation des consommateurs, ici. » Éthiquable est d’ailleurs l’une des rares organisations à proposer ici des produits portant le Simbolo 1, premier label de commerce équitable porté intégralement par les organisations de producteurs là-bas.

CONTACT Éthiquable, Allée du commerce équitable 32500 Fleurance, www.ethiquable. coop

1. Lire «Tu Símbolo : quand les producteurs créent leur label...», page 25.

Les trois cofondateurs d’Éthiquable : Rémi Roux, Stéphane Comar, Christophe Eberhart

© Éthiquable

ENTREPRISES

DISTRIBUTEURS

Disponible au rayon sensibilisation Être distributeur, ce n’est pas uniquement mettre à la disposition de sa clientèle une gamme de produits, fussent-ils équitables. C’est aussi parfois accompagner l’acte d’achat vers une consommation responsable et équitable. Reportage dans la Biocoop d’Épône (Yvelines). PAR ANNA DEMONTIS | JOURNALISTE

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ans la ZAC de la Couronne des près, située à Épône (Yvelines), la Biocoop semble se fondre dans la nature. Sur le parvis, quelques tables en bois entourées de chaises vertes «flashy» constituent une terrasse improvisée pour les clients venus se restaurer. Premier réseau de distributeurs de produits biologiques en France, les Biocoop sont également des lieux de sensibilisation aux différentes démarches

de consommation responsable, et notamment au commerce équitable. « Nous accompagnons nos clients à travers les étiquettes, sur lesquelles est inscrite la mention “commerce équitable” pour les produits concernés. Nous projetons aussi des films en partenariat avec des salles de cinéma, nous organisons des débats…»,explique le responsable du magasin,Benoît Delmotte,installé à l’une des tables du restaurant.

Depuis l’ouverture du magasin en février 2011, le lieu de restauration, attenant à la Biocoop, accueille les consommateurs tous les jours de la semaine, entre midi et deux heures. Le concept? «Utiliser des produits biologiques essentiellement issus du magasin et inciter les clients à les goûter», détaille Silvia. En pleine préparation de la vitrine pour le week-end de Pâques, la responsable de salle est régulièrement >>

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>> accostée par des clients qui veulent en Delmotte. De fait, l’information à la con- de leur faire comprendre que le commerce CONTACT savoir plus sur ce qu’ils ont consommé. Avant d’aller retrouver les produits en rayon. À l’image des enfants de Christine, une habituée de Biocoop qui achète régulièrement des produits du commerce équitable car elle est «assurée que cela profite aux petits exploitants agricoles». Toute la famille est venue déjeuner. Son fils, pourtant peu habitué à consommer responsable, en profite pour se rendre au magasin. Une demi-heure plus tard, il ressort en poussant un caddie rempli. «Le restaurant nous permet de toucher un public plus large.Des gens cherchent un endroit pour manger,puis ils prennent des habitudes, passent par le magasin et sont touchés par notre communication», commente Benoît

sommation responsable et au commerce équitable est un travail de longue haleine qui commence par la sensibilisation des employés.Avant d’être embauchée,Céline, chargée des caisses, n’était «pas très bio». «Cette expérience m’a ouvert les yeux sur la consommation,pour l’humain,la protection de notre planète,mais aussi par rapport à mes enfants.» Maintenant,elle est convertie aux pratiques quotidiennes de consommation durable et peut conseiller les clients. La relation avec le consommateur est au cœur de la démarche de sensibilisation. «Même si on trouve des produits équitables en grande surface,il n’y a pas le même échange avec les clients, confie Lisa,chargée des produits frais et surgelés. Nous, nous essayons

équitable favorise les petits producteurs. Ils comprennent que le travail a une valeur, ça a un impact.» La jeune femme reconnaît néanmoins que le public n’est pas toujours réceptif. Peut-être parce que la sensibilisation touche des personnes déjà conscientisées: «Les gens qui viennent à la Biocoop sont généralement déjà éduqués à la consommation responsable», souligne Lisa. Si 80% des clients de la Biocoop d’Épône adhèrent à l’association Biocoopains, qui gère certaines activités de sensibilisation, seule une minorité d’entre eux se déplace aux événements qu’elle organise. Un nouveau pas dans le sens d’une consommation responsable, qui pourrait en entraîner d’autres, avec d’autres.

Biocoop d’Epône 6 Avenue de la Mauldre 78680 Epône http://epone.biocoop .net et www.biocoop.fr

Associations – Regards croisés France-Brésil L’ÉDUCATION est un moyen de socialiser l´individu. Chaque période de l’histoire, chaque contexte socioculturel inspire, ou même impose, des thèmes nouveaux qui méritent d’être abordés, exposés et débattus dans les espaces éducatifs afin que cette « socialisation » se fasse le mieux possible. Pour Paulo Freire, l’un des fondateurs du Mouvement de culture populaire au Brésil : « L’éducation doit aider l´homme à s´insérer, d´une façon critique, dans le procédé historique, et à se rendre libre, par la prise de conscience du syndrome de l´avoir et de la dépendance à la consommation. » L’éducation à la consommation responsable permet de stimuler la réflexion et le débat sur les thèmes touchant à la consommation et à l’éthique, pour permettre à chacun de devenir « consom’acteur » et de participer à la construction d’une société encourageant l´éthique, la justice sociale et la durabilité. Et même si les conceptions de la Fédération Artisans du Monde et de l’Institut Kairos diffèrent, cette éducation, comme c’est trop souvent le cas, ne peut être considérée comme une technique pour mieux vendre des produits issus du commerce équitable… Pour la Fédération Artisans du Monde, l’éducation au commerce équitable est née de la construction d’alternatives, en solidarité avec les producteurs des pays du Sud. Son objectif est d’éveiller la conscience des citoyens français, de les accompagner dans leur compréhension du monde et des alternatives pour qu’ils s’engagent en faveur d’un changement de société. Si cette éducation est ancrée historiquement dans une dynamique de type « Le Nord parle du Sud», elle intègre de plus en plus une dimension «locale», venant ainsi en soutien à l’agriculture paysanne, aux circuits courts... Car les actes ont un impact au Nord, pas seulement au Sud. L’Institut Kairos, lui, considère que l’éducation au commerce équitable est issue du champ de l’économie solidaire et de l’appui à l’agriculture paysanne locale. Son objectif est d’accompa-

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gner tous les acteurs de la filière, de la production à la consommation en passant par la commercialisation, pour qu’ils s’impliquent activement dans la construction d’alternatives concrètes. L’Institut Kairos a tenté de sensibiliser des citoyens brésiliens à la consommation responsable mais la difficulté d’accéder aux produits de l’agriculture paysanne et familiale a ruiné ses efforts. C’est pourquoi il a décidé de travailler d’abord avec les producteurs, pour les inciter à monter des marchés paysans et à faire connaître leurs produits, avant de travailler sur la demande des consommateurs. D’autant que la production paysanne existe au Brésil. Elle est dynamique. En résumé, côté français, les acteurs du commerce équitable partent de la vente solidaire pour aller vers des activités éducatives, car ils considèrent que la vente seule ne peut aboutir à un véritable changement d’échelle du commerce équitable : il faut conscientiser les gens. Côté brésilien, les acteurs partent plutôt de l’éducation populaire des paysans et des consommateurs pour soutenir la construction de filières commerciales alternatives, car ils considèrent que la sensibilisation ne portera pas ses fruits sans une traduction concrète au préalable. Le chantier d’échanges entamé par la Fédération Artisans du Monde et l’Institut Kairos amène donc à des réflexions en profondeur sur les pratiques d’éducation au commerce équitable. En 2005, il s’était traduit par l’édition d’un manuel franco-brésilien d’éducation à la consommation responsable et au commerce équitable intitulé « Comprendre pour agir ». En 2013, il se poursuit avec des activités communes prévues lors de la prochaine rencontre de la World Fair Trade Organization (WFTO), à Rio de Janeiro PAR LISE TRÉGLOZE ET ERIKA GIRAULT | FÉDÉRATION ARTISANS DU MONDE (FRANCE) ET THAIS SILVA MASCARENHAS | INSTITUT KAIROS (BRÉSIL)


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IL FAUT CHANGER LES RÈGLES DU JEU ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE


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Changement d’échelle : attention à la marche !

Le commerce équitable ne doit pas rester le privilège d’une niche de petits producteurs. Augmenter les volumes de ventes est un objectif. Mais vendre plus améliore-t-il automatiquement l’impact du commerce équitable pour les petits producteurs ? L’arrivée de grandes multinationales dans le secteur ne risque-t-elle pas de se traduire par un affaiblissement des principes fondateurs du commerce équitable ? Enquête à travers l’exemple de la filière cacao. PAR SARAH PORTNOÏ | JOURNALISTE

lors que près de 5,5 millions de petits producteurs cultivent la précieuse fève de cacao 1,trois grands traders –ADM (Archer Daniels Midland), Barry Callebaut et Cargill– brassent à eux seuls environ 50% des volumes échangés à l’échelle mondiale. La fabrication du chocolat présente une concentration tout aussi impressionnante. 60% du marché est aux mains de cinq compagnies: Kraft Food Inc. (États-Unis), Mars (États-Unis),Nestlé (Suisse),Ferrero Group (Italie) et Hershey Food Group (États-Unis) 2. Peu de secteurs affichent une telle déconnexion entre producteurs et consommateurs. Pour un public en quête d’achats plus responsables, le chocolat équitable, promettant de combler ce fossé, est donc devenu un produit vedette. Mais qui dit engouement des consommateurs dit aussi opportunités commerciales.Depuis quelques années,le chocolat équitable sous marques de distributeurs a ainsi fait son apparition dans les grandes surfaces, et parfois à des prix à peine plus élevés que ses concurrents conventionnels. «Les premiers pays à faire du chocolat équitable un produit “grand public” ont été le Royaume Uni, la Suisse, les États-Unis et l’Irlande, précise Bob Doherty, enseignant chercheur à l’Université de Leeds (GrandeBretagne). On pourrait ne voir que des avantages à ce changement d’échelle. Pour les consommateurs, il est en effet synonyme de choix et de visibilité du commerce équitable, qui marque ainsi des points dans l’opinion publique. Pour les petits producteurs, l’accroissement des ventes et l’arrivée des capitaux des multinationales entraînent une augmentation des revenus.»

trade soient tripartites, reliant ainsi le chocolatier, le négociant et l’organisation de producteurs. « L’impact du commerce équitable, s’il est intimement lié à la qualité des relations tissées par les acteurs historiques avec les organisations de producteurs, dépend également des volumes qui peuvent être vendus, souligne Marc Blanchard, directeur général de Max Havelaar France. Aujourd’hui, seule une organisation de petits producteurs sur trois vend plus de 90% de sa récolte aux conditions du commerce équitable. Le reste, même s’il est équitable, est vendu dans les circuits du commerce conventionnel. Les quantités de fèves commercialisées sont encore faibles, faute de débouchés pour le chocolat équitable. La principale préoccupation des producteurs reste donc l’accès au marché. Fairtrade International vise donc l’engagement d’acteurs économiques divers qui, par leurs spécificités, contribueront tous à l’accroissement des impacts du système.» De fait, l’arrivée de Nestlé sur le marché du cacao équitable ivoirien 3 a boosté les ventes et incité de nouveaux producteurs à se tourner vers le commerce équitable. «Pour obtenir la certification, ils doivent revoir leur manière de travailler et se plier aux standards, ajoute Eileen Maybin, directrice du pôle medias de la Fairtrade Foundation (Grande-Bretagne). Ils doivent s’organiser démocratiquement pour décider ensemble de la façon dont ils investiront leurs revenus dans des projets de développement, comme l’amélioration de la santé ou de la scolarisation. Il leur faut aussi respecter de nombreuses autres règles, notamment en matière d’environnement.» Un cercle vertueux, en somme?

Un vrai débouché pour les producteurs

Si l’on peut se réjouir d’une montée en puissance du commerce équitable, il convient toutefois de ne pas fermer les yeux sur ses possibles dérives. «Le secteur du cacao est particulièrement à risque, souligne Christophe Eberhart, co-fondateur de la marque Éthiquable. Les multinationales du chocolat, intéressées par la certification équitable, font pression sur les labels pour obtenir des conditions plus souples. Par exemple, l’autorisation d’utiliser du sucre conventionnel avec du cacao équitable ou la possibilité d’avoir un prix minimum garanti assez bas pour que le chocolat équitable soit moins cher.» Difficile pour le consommateur,perdu dans un hypermarché, de faire la différence entre les marques qui se contentent des règles minimales et celles qui s’engagent davantage,entre des produits 100% ou partiellement équitables. >>

A

Mamadou Bamba, directeur général d’Ecookim, une coopérative cacaoyère de Côte-d’Ivoire, confirme cette tendance: «L’essentiel de nos fèves certifiées équitables est vendu aux importateurs internationaux. Nous les collectons auprès de nos membres producteurs, ce qui leur évite de prendre les risques liés à la livraison et au stockage des fèves.» Pour lui, la présence des entreprises multinationales est indispensable au développement de son activité : «À condition qu’elles ne mettent pas en danger les principes fondamentaux du commerce équitable ». Et pour mieux contrôler l’impact sur les producteurs, Mamadou Bamba souhaite que les contrats d’achat-vente de produits certifiés Fair-

Rester vigilant

1. Source : Cocoa Barometer 2012 2. Source : Candy Industry Janvier 2011 3. En 2010, Nestlé a lancé ses premières barres Kit Kat issues du commerce équitable.

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nos partisans voit l’implication actuelle des grandes compagnies comme une victoire, affirme Eileen Maybin. Ils ont milité pendant des années pour que les produits équitables trouvent leur place et ils sont heureux d’avoir contribué au changement.» Mais de quel changement parle-t-on? À qui profite-t-il réellement? Le risque de dilution des standards originaux du commerce équitable reste présent. «Le prix minimum d’achat du cacao n’est pas le seul critère à prendre en compte, prévient Bob Doherty. L’esprit du commerce équitable repose sur un travail de fond avec des coopératives historiques, impliquées dans le développement local, souvent politiquement engagées, et porteuses de projets sociaux.» L’arrivée sur le marché d’acteurs, notamment les grandes multinationales, qui n’assurent que le service minimum pour bénéficier du label risque donc de le déséquilibrer.

© Éthiquable

>> «Même si c’est le cas d’une poignée de personnes, la majorité de

Côte-d’Ivoire. Le chocolat équitable est devenu un produit vedette.

Des règles du jeu inégales Certaines coopératives historiques craignent déjà de voir leurs revenus diminuer au profit des multinationales. «L’arrivée de grands groupes a accru la demande de fèves de cacao certifiées équitables, note Kuame Owusu, directeur de Kuapa Kokoo, une coopérative ghanéenne qui compte 65000 membres et qui travaille notamment avec Cadbury. Mais ces entreprises doivent être

sensibilisées à la philosophie du commerce équitable.Sans cette vision, le risque est de voir certaines d’entre elles mettre leurs forces en commun pour tenter d’influer, à leur avantage, sur les standards de la certification.» De fait, on assiste depuis quatre ou cinq ans à une modification de la structure même des chaînes d’approvisionnement. «Le commerce équitable a toujours eu un mode de fonctionnement différent, rappelle Christophe Eberhart, d’Éthiquable. Les circuits étaient plus courts, les relations avec les coopératives de producteurs plus directes. Mais les grandes marques ont tendance à s’adresser à leurs fournisseurs habituels, qui eux-mêmes se tournent vers les exportateurs conventionnels. Ces derniers achètent auprès de producteurs certifiés et se chargent de l’exportation. Ils évoluent ainsi parallèlement sur le marché conventionnel et sur le marché équitable, avec pratiquement le même mode de fonctionnement.» Les petites coopératives,jusqu’alors protégées,se retrouvent donc en concurrence avec ces acteurs traditionnels, désormais pourvus d’une licence commerce équitable et toujours armés de leur force de frappe de multinationale.

Une question d’impact Alors que faire pour concilier changement d’échelle et sauvegarde des principes? Certains avancent qu’il faut exclure les multinationales du jeu. «Standards élevés et distribution grand public ne sont pas nécessairement opposés, nuance Bob Doherty. Mais il faut exiger des multinationales qu’elles investissent dans le soutien aux producteurs et dans le développement de la chaîne d’approvisionnement. Qu’elles signent des engagements, et ne se contentent pas de les faire signer à leurs intermédiaires. Qu’elles adhèrent à tous les principes du commerce équitable, et pas seulement au prix minimum. Enfin, les plus grandes compagnies devraient convertir une portion significative de leur gamme conventionnelle en équitable, et pas seulement faire un effort sur un ou deux produits phares pour gagner une publicité facile.» En d’autres termes: à grands moyens, grandes responsabilités. L’arrivée des multinationales sur le secteur équitable ne sera positive qu’au prix d’un engagement sincère. «Il faut conserver le développement comme point de mire, et sensibiliser les consommateurs à la véritable signification du commerce équitable, conclut Christophe Eberhart. Nous ne cherchons pas à sortir les supermarchés et les multinationales de l’équation, mais il s’agit de préserver l’impact de la démarche sur le terrain. Augmenter les volumes de chocolat équitable dans nos magasins n’a pas de sens, si les bénéfices pour les producteurs diminuent d’autant.»


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«Un système qui a transformé ma société»

Le commerce équitable, par les valeurs qu’il véhicule, est porteur d’une vision des échanges qui ne parle pas uniquement au monde associatif. Jean-Pierre Blanc, directeur de Malongo, entreprise spécialisée dans le café, raconte comment cette démarche a changé sa société. PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU BRANCOURT | JOURNALISTE

Vingt ans après, comment cette démarche a-t-elle modifié l’ADN de Malongo? J-P.B. : Beaucoup de choses ont changé. À l’époque, le concept de commerce équitable était complètement inconnu. Nous proposions un produit considéré comme invendable. Il a donc d’abord fallu lutter contre les a priori, prouver l’intérêt de ce produit et l’amener là où le consommateur peut le trouver, dans la grande distribution. J’ai essuyé plusieurs volées de bois vert,y compris dans le réseau du commerce équitable, qui était à l’époque replié sur lui-même. Nous portions une autre vision: celle d’une entreprise privée qui voulait intégrer des règles de fonctionnement plus justes: bien payer les producteurs, modifier ses process pour se soumettre aux impératifs de traçabilité et de « Client fidèle recherche produit équitable. » Afin d’inciter les consommateurs à réclamer plus de produits équitables dans les rayons de leurs magasins, Fair[e] un monde équitable lance la campagne « + d’équitable dans mon magasin! ». Constatant que l’offre de produits équitables est encore trop peu développée, le réseau mobilise ses associations membres partout en France qui vont diffuser dans les magasins ces petites annonces. Un vote sera ensuite organisé sur le site www.faire-equitable.org pour que les clients évaluent les efforts de leurs commerçants.

fier de sa dimension humaniste. Il est devenu l’ambassadeur de l’entreprise et donc du commerce équitable.Malongo est aussi devenu l’un des porte-parole d’un autre modèle économique. J’essaye maintenant de valoriser un système qui a transformé ma société, et qui doit transformer la société.

© Erick Bonnier

En 1992, Malongo a été la première entreprise à s’intéresser au commerce équitable. D’où vient cet engagement? Jean-Pierre Blanc: De la rencontre avec un homme et des paysans indiens. Au Mexique. Dans la coopérative historique, où le père Van der Hoff 1,pionnier du commerce équitable, avait réuni 3000 paysans indiens pour lancer le label Max Havelaar en 1988. J’ai alors eu envie d’adopter une démarche différente pour la vente de nos produits. Le commerce équitable porte une autre vision du monde, une manière ancestrale de concevoir la relation avec notre écosystème. Cela m’a interrogé puis convaincu de m’engager sur cette voie.

Francisco Van der Hoff et Jean-Pierre Blanc (à droite).

qualité. Cinq ans plus tard, le modèle était devenu viable économiquement.Nous avons alors pu communiquer sur les produits équitables comme sur les produits classiques. La vente de produits issus du commerce équitable représente aujourd’hui la moitié de notre chiffre d’affaires. Mais les changements ne sont pas que commerciaux. En interne, nous avons formé les salariés. Passée l’appréhension, le personnel s’est retrouvé et lié autour du message,

1. Lire Comment vivre humainement dans la société ? en page 3

Comment cette démarche influe-t-elle aussi sur les perspectives de l’entreprise ? J-P.B. : Malongo s’est engagé sur deux axes: des partenariats à long terme et la qualité des produits. Nous avons mis en place de nouveaux programmes. Nous participons ainsi au développement de la vente directe, pour ne plus simplement rester dans le schéma de la distribution du Sud vers le Nord. Nous aidons les producteurs de café à élargir leurs compétences en agronomie par la formation, en créant des centres d’apprentissage mais aussi en facilitant le dialogue entre les producteurs de différentes régions, où nous sommes implantés. Enfin, notre fondation finance des projets d’activités complémentaires, comme l’écotourisme. Tout cela n’a pas forcément de lien direct avec l’entreprise, mais prend sens dans l’objectif que nous partageons avec les acteurs du commerce équitable : maintenir l’activité dans les zones rurales et améliorer la vie des habitants. Le commerce équitable, ce n’est pas archaïque, c’est une conception moderne et démocratique du rapport à l’autre.


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Le commerce équitable peut-il changer la donne politique ? Comme l’évoquait Olivier de Schutter en ouverture de ce supplément, la crise remet à l’ordre du jour la nécessité de nouvelles politiques de production et d’échange ainsi que de mécanismes de régulation. En prônant une modification des règles régissant les échanges internationaux, le commerce équitable apporte des réponses. PAR MYRIAM MERLANT | JOURNALISTE

«

Le commerce équitable, c’est un triptyque. Au-delà des dimensions socioéconomiques et éducatives, il contient un volet politique qui consiste à faire pression pour que soient établis des mécanismes de régulation au niveau local et international», entend rappeler Anne-Françoise Taisne, déléguée générale adjointe du Comité français pour la solidarité internationale (CFSI). Et même si les acteurs du commerce équitable ne s’emparent pas tous de la même manière de cette dimension, elle n’en est pas moins essentielle pour parvenir à transformer, globalement, les termes de l’échange.

Justes contre volatiles «Un produit comme le café est racheté douze fois avant d’avoir son prix en bourse», signale Michel Besson, cofondateur d’Andines et de Minga. La spéculation sur les prix des matières premières agricoles fragilise fortement les producteurs et, par voie de conséquence, la sécurité alimentaire des populations.Elle explique pour une large part les émeutes de la faim qui ont frappé de nombreux pays du Sud depuis 2007. Mais là où les chefs d’État du G20 se contentent de proposer l’instauration de stocks alimentaires d’urgence pour pallier aux crises humanitaires, une fois qu’elles sont survenues, de nombreux acteurs se mobilisent, eux, pour des prix rémunérateurs et stabilisés, pratiqués dans le cadre d’un commerce équitable, qu’ils considèrent comme un moyen efficace de contrer cette volatilité et de réguler les marchés mondiaux. «Dans une démarche de commerce équitable, la formation des prix est réellement basée sur les coûts de production, explique Julie Stoll, déléguée générale de la Plate-Forme pour le Commerce Équitable. L’objectif est d’offrir aux producteurs, qui sont très souvent

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le maillon le moins bien rémunéré de la filière, un prix garanti, dans la durée.» D’ailleurs, au-delà d’un certain seuil, on peut observer un effet de levier sur le développement économique local et un effet régulateur plus large,les prix conventionnels s’alignant sur ceux du commerce équitable.«50% du café bolivien est issu de filières qui bénéficient du commerce équitable.On a observé que les filières conventionnelles de café avaient été obligées de s’aligner sur cette politique de prix rémunérateur», ajoute-t-elle. Un cas assez exceptionnel pour être souligné. Au-delà de l’amélioration des conditions de vie des producteurs, les prix garantis sont aussi vecteurs de transformation sociale. « La redistribution des richesses apporte un soutien à des forces collectives qui vont assurer leur souveraineté alimentaire, diversifier leurs activités,se convertir à la production biologique, affirmer davantage leur place sur les marchés locaux…», insiste Jean Huet, président de la Fédération Artisans du Monde. Michel Besson,lui,se veut plus radical dans son approche du prix et revendique un prix négocié en toute transparence, entre tous les acteurs de la filière, en recherchant l’équité à tous les niveaux. «L’idéologie des prix bas influence aussi les acteurs du commerce équitable, affirme-t-il. En réalité, il faudrait acheter deux à trois fois plus cher les produits, si on voulait réellement pratiquer un prix juste.»

Changer le système Les revendications politiques des acteurs du commerce équitable ne s’arrêtent pas aux mécanismes de régulation des prix et militent pour un changement en profondeur du modèle actuel de production et de consommation. Et de fait, on n’a jamais tant parlé de la nécessité d’un commerce plus juste et de nouveaux modes de développement. Ainsi, la nécessité d’appuyer

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l’agriculture familiale est non seulement reconnue par les Nations unies et la FAO Fair Trade Advocacy mais aussi par certaines institutions finanOffice, le Bureau cières internationales. «Il y a aujourd’hui de plaidoyer du consensus sur les effets néfastes de la dérémouvement du commerce équitable gulation, indique Julie Stoll. Même la à Bruxelles, a Banque mondiale produit des rapports criégalement lancé la tiques.» Mais si les grandes déclarations et Déclaration « Aules belles intentions s’affichent, beaucoup delà de 2015 : le commerce équitable de chemin reste à parcourir pour les traau cœur des Objectifs duire en politiques d’envergure à même de du Millénaire pour servir ces objectifs. «Dans cette période de le développement ». crise, alors même que tout le monde est En savoir plus : amené à réinterroger les modèles de producwww.fairtradetion et de consommation,il y a en même temps advocacy.org une pression très forte sur les prix, qui encourage peu les alternatives»,poursuit Julie Stoll. «Les inégalités entre les travailleurs dans le monde ne peuvent se régler par le bas, en négligeant toujours plus le droit à un travail décent, souligne Jean Huet. S’enfermer dans la concurrence “libre et non faussée” est une voie essoufflée qui ne porte pas ses fruits; il faut au contraire promouvoir et construire une économie solidaire, ici et là-bas.» Cette exigence d’équité dans les échanges, partout,si elle est affirmée par tous les acteurs, est portée avec force par Minga. «Le commerce équitable tel que nous le défendons est basé sur la souveraineté alimentaire et prône la proximité et la démocratie économique à tous les échelons.Il est très éloigné d’une vision d’assistance aux producteurs du Sud », explique Michel Besson, qui ne décolère pas de l’adoption de l’Article 60 de la loi française du 2 août 2005, qui circonscrit l’équité aux échanges Nord-Sud. «Dans les espaces politiques internationaux, comme l’OMC ou la CNUCED, le chaînon manquant reste le citoyen, conclut AnneFrançoise Taisne. Si l’on souhaite aller vers un changement de paradigme au niveau des pratiques économiques, la position des consom’acteurs devra être davantage prise en compte. »

À SIGNER


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TRIBUNE « Les paysans participent efficacement au marché ! »

En 2008, l’Équateur s’est doté d’une nouvelle constitution qui intégrait l’élaboration d’un modèle « économique, démocratique, productif, durable et reposant sur la notion de solidarité, avec une distribution égale des bénéfices ». Des mots qui se sont traduits en actes. L’avènement d’un commerce équitable, respectueux des petits producteurs, est question de volonté politique.

PAR JAVIER PONCE CEVALLOS | MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ÉLEVAGE, DE L’AQUACULTURE ET DE LA PÊCHE | ÉQUATEUR

L

© Lucia Chiriboga

’inscription du commerce équitable dans la nouvelle Constitution équatorienne, adoptée le 25 juin 2008, à la faveur de l’arrivée au pouvoir du président Rafael Correa, est fondée sur deux constats: la sécurité alimentaire repose sur la petite agriculture familiale et 85% de la production de denrées alimentaires, comme une partie de la production destinée à l’exportation –bananes,riz,entre autres–,provient de petites et moyennes exploitations. Ces deux faits justifient à eux seuls que notre Révolution citoyenne se soit fixé comme priorité d’influer sur la chaîne de valeur, de construire des structures de marché qui permettent aux petits producteurs de conserver l’essentiel de la valeur ajoutée et qui permettent de poser des conditions d’échanges plus justes. Les plus grands obstacles auxquels sont confrontés les petits producteurs ruraux sont le faible niveau de productivité –l’un des plus bas de la région– et l’existence d’une chaîne complexe d’intermédiaires. Dans notre politique agricole, nous avons ciblé les produits les plus importants en termes de sécurité alimentaire: pomme de terre, maïs, riz, lait, haricots, quinoa, légumes verts. Nous avons triplé la capacité de stockage du grain et nous avons confié à des associations de paysans la mise en œuvre d’un projet ambitieux de chaînes de refroidissement et de transformation du lait. Il s’agit, en bref, de transférer aux paysans les capacités et les moyens nécessaires pour ériger, depuis la base, un modèle équitable et démocratique d’accès, non seulement à la terre, à l’irrigation et au crédit, mais aussi aux circuits de commercialisation. Et nous y sommes parvenus en renforçant la solidarité entre producteurs via la consolidation des structures collectives qui interviennent sur les marchés. En ce qui concerne les premiers résultats, sur des produits comme le maïs et le riz, l’État et les organisations paysannes ont, ensemble, pu assurer envi-

ron 15 % des récoltes, ce qui a permis de réguler le marché et de garantir des prix justes de subsistance pour tous les producteurs. Environ 30 % de la production de lait issue de l’agriculture paysanne est déjà distribuée à travers une chaîne du froid, ce qui a permis de doubler le prix que les petits paysans percevaient pour chaque litre de lait. Pour ses propres programmes alimentaires – petits déjeuners à l’école, repas dans les hôpitaux et dans la police –, l’État se fournit désormais exclusivement auprès des plus petits producteurs. Le ministère de l’Agriculture a créé des conseils régionaux de paysans et dispose de comités, dans lesquels producteurs et industriels négocient aujourd’hui d’égal à égal les prix de subsistance d’au moins six produits de base, des négociations qui se traduisent ensuite en politiques éta- Pour ses propres tiques des prix. programmes alimentaires Il est encore prématuré de dire que nos – petits déjeuners à l’école, propositions pour progresser vers un repas dans les hôpitaux commerce équitable ont des répercussions sur d’autres pays de la région. Un et dans la police –, l’État débat lié à la question du commerce se fournit désormais équitable reste en suspens : c’est le débat exclusivement auprès des sur la souveraineté alimentaire, un plus petits producteurs concept qui, s’il était appliqué aurait des conséquences énormes, mais qui se heurte à la résistance des pays du Nord dans les forums internationaux et entre quelques pays de la région. La souveraineté alimentaire défend l’agriculture paysanne familiale contre la concurrence déloyale des multinationales de l’industrie agro-alimentaire. Notre Constitution consacre les droits tant aux populations qui, historiquement, étaient exclues, qu’à la Nature, ce qui créé un environnement favorable pour un scénario qui va de pair avec le commerce équitable : le développement d’une production saine, biologique et enracinée dans l’histoire de nos peuples indigènes.

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«Le commerce équitable tire la mondialisation vers le haut» Le commerce équitable porte un projet politique qui exige de remettre les droits humains et l’environnement au cœur des échanges internationaux. Est-il pour autant en mesure d’influer les politiques qui sont menées? Réponse avec Pascal Canfin, ministre délégué au Développement.

En quoi, selon vous, le commerce équitable participe-t-il de dynamiques de développement ? Pascal Canfin : Le commerce équitable est un catalyseur de développement. En effet, le développement consiste, entre autres, à susciter de l’activité économique dans les pays du Sud, une activité qui ne bénéficie pas seulement à de grandes entreprises mais qui soit la plus ancrée possible dans les territoires et au bénéfice des populations les plus défavorisées. Or, c’est exactement l’objet du commerce équitable qui utilise le commerce, donc une activité économique, non comme une fin en soi, mais avec des modalités et des finalités qui sont celles du développement, donc aussi humaines, sociales et environnementales. Dans le cadre de notre politique de développement, nous avançons sur deux jambes vis-à-vis des entreprises: faire en sorte que les activités des multinationales européennes et françaises dans les pays du Sud soient plus responsables tant en termes de pratiques fiscales que de responsabilité sociale et environnementale et favoriser les formes d’activités économiques qui sont les plus vertueuses. Le commerce équitable en fait partie.

© Camille Millerand

PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID ELOY | ALTERMONDES

Comment votre ministère compte-t-il soutenir le secteur du commerce équitable ? P.C. : Avec Benoit Hamon, ministre délégué en charge de l’Économie sociale et solidaire et de la Consommation, nous avons développé un plan de soutien au commerce équitable, doté de 7 millions d’euros sur les trois prochaines années. Il fonctionnera sous forme d’appels à projet et viendra renforcer les capacités des organismes de commerce équitable, ici et làbas, renforcer l’ensemble de la chaîne de valeur. Les projets soutenus pourront concerner l’appui à des organisations de producteurs, le préfinancement des récol-

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tes, l’étude d’impact d’une nouvelle filière qui soutiendraient les monocultures intenet l’information des consommateurs… sives et l’accaparement des terres, au détriment de ces mêmes communautés. Cette Les acteurs du commerce équitable por- exigence de cohérence nous a aussi conduit tent une autre vision du commerce inter- à faire en sorte que la loi bancaire, débatnational. En quoi cette préoccupation tue en ce moment au Parlement,limite très trouve-t-elle un écho dans votre ministère? fortement la capacité des banques franP.C. : La vente de produits équitables est çaises à spéculer ou à travailler avec ceux nécessaire pour procurer des revenus et qui spéculent sur les matières premières faire vivre des communautés au Sud. agricoles et à nous battre aux côtés de StéC’est pourquoi, sur ma proposition, le phane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, Conseil d’administration de l’Agence fran- pour que soient réintroduites des capaciçaise de développement (AFD) a voté en tés de stockage en Afrique de l’Ouest, de avril une nouvelle doctrine en matière façon à réguler l’offre en cas de variations d’investissements dans le secteur agricole. des prix. Notre réflexion et notre action Cette doctrine mentionne explicitement le sur le commerce équitable s’inscrivent soutien au commerce équitable et impose donc dans un cadre plus large. Le comle respect des principes de la FAO en merce équitable est une alternative qui se matière d’accaparement des terres. On ne situe entre la mondialisation sauvage et peut pas avoir d’un côté une politique de dérégulée, et une démondialisation qui développement qui favorise les populations porte un risque de repli sur soi. Il tire la locales, et de l’autre financer des projets mondialisation vers le haut.


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Altermondes a bénéficié, pour la réalisation de ce numéro, du précieux soutien de ses partenaires, acteurs engagés dans le commerce équitable, la consommation responsable, le développement durable et la solidarité internationale.

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