LA JUPE ROUGE - PROLOGUE
PROLOGUE
La silhouette féminine s'avançait vers lui, tête baissée, luttant contre le vent qui la fouettait sans ménagement. Maintenant, la nuit tombait et des flocons de neige se mêlaient à la pluie. Le vent soufflait de plus en plus fort. Lewis reconnaissait l’uniforme de Georgian College, l’ample manteau-cape de bure grise, les hautes bottes de cuir noir, le vaste capuchon retenu par la longue écharpe rayée noire et grise. Le visage était à demi caché par un repli de l'écharpe soigneusement ramenée jusqu’aux yeux Le vent devint soudain brutal, emportant son parapluie et Lewis retint un juron. La jeune femme leva vers lui un visage rosi par le froid, éclairé par un regard chargé de gaieté. Elle dit en riant quelque chose que le vent emporta, puis, retenant d’une main un paquet de livres et de l’autre un pan de son manteau, elle se retourna brusquement et prit son envol vers la galerie et les hautes tours. Lewis la regardait partir, immobile sous la pluie, fasciné par la gaieté de ce liseré rouge soudain apparu au bord du manteau un instant soulevé. Quelques secondes plus tard, elle disparaissait derrière la lourde porte des communs. * – Une fille avec une jupe rouge, c’est un peu court comme description, tu ne crois pas ?, dit Jack. Ils se tenaient au chaud, paresseusement vautrés devant la cheminée, dans la seconde salle des communs réservée aux garçons. Le père de Lewis, ancien du Georgian College, lui avait souvent raconté de folles histoires de danses et de parties ayant pour cadre cette salle de belles proportions, rencontres festives pendant lesquelles filles et garçons échangeaient idées, baisers et parfois plus encore. C'était avant le renouveau, avant la période d'austérité qui frappait aujourd’hui l'ensemble du pays. Les souvenirs de Monsieur Sandiego se passaient dans un temps où la vie était peut-être meilleure et peut-être pas, disait le père de Lewis, peut-être faut-il voir les choses autrement, peut-être suis-je trop vieux, je ne sais plus. – Tu en vois souvent, des jupes rouges, ici ? “ Jack dit que non, non, à bien y réfléchir, non on n’en voit pas souvent. On se demande même pourquoi. Pourquoi ont-elles toutes pris l’habitude de s’habiller de gris et de noir, de brun et de vert sapin, de bleu marine et de violet sombre. Et c’est pire en hiver. – Je demanderai à ma soeur” conclut-il. Dehors, il neigeait toujours. *