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Jean-Louis Murat

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Jean-Louis Murat vestige de l’amour

JEAN THOORIS MARYLENE EYTIER

À l’heure de Baby Love, nouvel album beau comme un premier-né, nous avons discuté avec Jean-Louis Murat de l’enfance éternelle. L’occasion pour cet ange déçu d’analyser la naissance et le déclin de l’amour... dd

Je voulais aborder avec toi un thèm e spécifique: l’enfance éternelle.

Je peux déjà te donner un indice : “Le môme éternel”, techniquement, professionnellement, en tant qu’artisan, est l’un de mes meilleurs ouvrages. Pour les rééditions, je l’ai réécouté et j’ai pensé «Ah, enfin une bonne chanson !». Il y en a trois ou quatre comme ça. J’y utilise tous les mots que j’aime, je balance tout.

“Le garçon qui m audit les filles”, tu en penses quoi aujourd’hui?

Si je me souviens bien, j’étais un peu gêné car elle aborde une arrogance féminine qui pousserait presque les garçons à l’impuissance. Les filles pensent toujours, ou pensent maintenant, qu’on est des guerriers avec un sabre qui cherchent à tailler dans le lard. Ce qui est archi-faux: les mecs ne sont pas du tout ce que les filles pensent.

Depuis Le Moujik et sa femm e, tu sors à peu près un album par an, comm e s’il s’agissait à chaque fois d’une nouvelle histoire.

Moi-même ça me surprend car à chaque album, j’ai l’impression de rentrer en studio pour la première fois. Je ne sens aucune usure. Je suis toujours débutant, et à vrai dire je n’apprends rien. Je corresponds à une génération ou à une classe d’hommes pour qui la fin file les jetons. C’est pourquoi je suis toujours fasciné par les débuts de l’amour: on ne sait pas d’où cela provient. Si je tombe amoureux, je bascule dans des questionnements philosophiques : qu’est-ce que l’être ? Qu’est-ce que le devenir?... Les filles sont beaucoup plus consommatrices de sentiments que les garçons. Elles manient des couteaux mais ne se blessent jamais. Comme si les femmes nous prenaient pour ce que nous ne sommes pas du tout. Il y a méprise, malentendu : elles font souffrir les garçons d’une manière inédite, jusqu’à parfois les renvoyer au stade de l’enfant. C’est hallucinant tant le fossé se creuse. J’en suis à une phase de ma vie où elles n’existent plus. Leur simplicité est cruelle. Elles ont une faculté d’autoguérison beaucoup plus rapide que nous, elles switchent très rapidement et s’imaginent que c’est la modernité. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un signe de vieillesse, d’un Alzheimer des sentiments.

Les filles auraient-elles perdu leur innocence?

Elles se pensent petites filles outragées. J’ai un copain très cavaleur qui me disait que depuis trois ou quatre ans, absolument toutes les filles qu’il rencontrait commençaient leurs narrations par un traumatisme de viol. Et nous, les garçons, on est là : «Ma poulette, que veux-tu que je te dise? Il te faut un suivi psychologique, je ne suis pas l’homme de la situation». Elles osent de prime abord un traumatisme – vrai ou faux, la question n’est pas là. Comme si toutes les filles étaient amochées par la saloperie des hommes. Et toi, en tant que mec, tu te dis que tu ne fais pas partie de cette saloperie… Je trouve que la séparation lente qui se fait entre les femmes et les hommes est encore plus grave que le réchauffement climatique et que la fonte des sentiments amoureux est encore pire que la fonte de la calotte glaciaire. Pour un mâle blanc tel que moi, qui exprime sa virilité d’une certaine façon, je n’ai qu’une envie: me mettre en retrait de la communauté des Hommes. Des Hommes au sens large. J’exprime un peu ce sentiment dans l’album…

C’est ton thèm e principal, les femm es. Et la nature…

Je mélange un peu tout ça, oui. Je vois le cœur comme naturel et vivant. Il y a beaucoup d’analogies à faire entre les états d’esprit et l’état de la nature. Sachant qu’à la fin, ce qu’on cherche c’est l’apaisement. Et cet apaisement paraît de plus en plus impossible. Y’a quelque chose qui cloche làdedans… j’y retourne immédiatement ! (Rires)

Un de tes disques se rapprocherait-il de cet apaisem ent recherché?

Non… Je viens de vivre ma neuvième séparation. La dixième sera la mort, donc impossible de prolonger. Je vais basculer dans la vie d’ermite. Ces neuf séparations ont alimenté toute ma discographie, avec ce questionnement continu qui dépasse le cadre des garçons et des filles : la rencontre et la séparation. C’est très romantique, très XIXe, très religieux également via cet aspect cantique. Il y a quelque chose d’une plainte fondamentale : la difficulté de se fabriquer une foi ou d’avoir foi. C’est le désir d’aspiration à une position stable, et la foi se dissipe toujours à la façon d’une brume matinale. Dans Baby Love, c’est le religieux sans la foi. Mais si on a foi en rien, on est largué.

Mort de l’am our?

Les filles n’ont plus envie d’être amoureuses car elles vivent ce sentiment telle une défaite. Comme si hommes et femmes étaient devenus rivaux et qu’elles mettaient un genou à terre devant les mecs. Ce qui est la bêtise ultralibérale de ce monde consumériste qui profite des couples qui se séparent et des gens qui ne s’aiment plus : ils ont deux apparts, deux machines à laver… La fin de l’empire de l’Amour.

Depuis quand fais-tu ce constat?

Depuis toujours. On a l’impression que les mecs se tapent tous les problèmes : si la carriole n’avance pas, c’est à nous de réparer, pas aux femmes. Les filles, vous déconnez, voilà ce que je pense, aujourd’hui, présentement.

Y a-t-il quand m êm un espoir? e

Non, aucun. Nous sommes les derniers à souffrir de la sexualité. Cette dernière sera prise en charge comme le vieil âge. Eros perdra définitivement l’affaire. On voudrait nous faire croire que tout ce qui nous a fait est bidon (la vie de famille, la façon de vivre les sentiments). Comme si nous étions des vivants qui ne savent pas qu’ils sont morts, des gens humiliés. Notamment par un certain type de gonzesses. Et sachant que le corps des femmes, hélas pour moi, est mon point de jonction avec le monde, d’un seul coup tu es Magellan pris dans les glaces, tu es expulsé du Paradis. C’est la plus belle partie de nous-mêmes qui est assassinée.

Être père ne change rien?

Cela me sauve la vie. Je passe mon temps à expliquer aux enfants qu’il faut sauvegarder des choses et réparer le reste. Mais je joue mon rôle de père en étant à la fois papa et maman. Et comme j’ai une fille aînée et des petites-filles, je fais un peu de sociologie ou de psychologie : je vois d’où elles partent (l’enfance, la puberté), et tel un sismographe je surveille ce moment où elles vont devenir dingues. i

« Il s’agit d’un signe de vieillesse, d’un Alzheimer des sentiments. »

Baby Love [Pias] le Label

« Je veux danser sur ma peau / tu vois sur ma peau je n’ai que peine », prévient Murat sur “Montboudif”. Ainsi se présentent les complaintes d’un album aussi groovy à l’extérieur que bagarreur dans son propos. Car si Jean-Louis en bave, jusqu’à ne plus savoir « qui je suis, où je vis », pas question pour lui de s’écraser. Les vipères ont déjà propagé leur venin (extraordinaire “Ça c’est fait”), alors autant “Réparer la maison” sur un mode dansant (saxo, chorus soul, électro) ou langoureux (“Le reason why”, nouveau classique instantané). Avec pour idée de toujours “Rester dans le monde” (vouloir encore aimer ?). Pudique, blessé, teigneux, romantique : du grand Murat.

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