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Miossec
« Les chansons n’ont pas vocation à être lues»
Samuel Degasne David Poulain
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Précurseur de la nouvelle scène française, l’album Boire est réédité en version augmentée à l’occasion de ses 25 ans. L’occasion, pour le chanteur breton, d’en livrer quelques secrets.
Oui, il est ironique d’évoquer un premier album dont le nom rap- pelle d’anciens démons... Surtout quand sa réédition marque un autre anniversaire : celui de la sobriété de son auteur, dont la découverte d’une maladie neuromusculaire (altérant équilibre et coor- dination des membres) l’a sauvé de la noyade éthylique il y a 10 ans... “Rescapé”, Christophe Miossec ? C’est précisément le nom de son der- nier disque, en 2018, et l’aveu d’incarner malgré lui sa ville d’origine (Brest), elle-même partagée entre eau et alcool. Des vagues à l’âme, il y en avait d’ailleurs déjà dès ce premier album Boire, en avril 95. Et sa publication ne va pas seulement être une bouteille à la mer pour son chanteur (en pleine crise existentielle lors de son écriture) : son succès surprise (plus de 100 000 exemplaires vendus) et ses tournures bancales (les rimes tanguent maladroitement au gré du rythme) vont décomplexer toute une scène... Jane Birkin, Alain Bashung ou encore Stephan Eicher l’inviteront même à mouiller l’encre pour leurs propres albums.
Un succès qui étonne encore Miossec : « J’ai longtemps été dans l’incompréhension de l’impact de Boire. Je trouvais qu’il y avait des disques tellement mieux, comme celui de dEUS qui sortait en même temps !» Car même face à l’épreuve du temps, le chanteur affirme n’avoir jamais cherché à rationaliser, comprendre. S’il s’exécute, c’est chaque fois à son corps défendant. Et pourtant, il y a de quoi racon- ter... À commencer par son écriture, entamée très en amont : « Les chansons “Non non non non (je ne suis plus saoul)” et “Évoluer en 3 e division”— qui sont sans doute les plus “brestoises“ de l’album — ont été écrites 2-3 ans avant, lorsque j’étais journaliste à La Réunion ». Ou bien encore les rimes, pas toujours sur les temps : « Le fantôme de Lou Reed m’a toujours accompagné. Et on ne peut pas dire que sa
«Je préférais traîner dans les rades que dans les raves.»
rythmique était… académique ». Nouvelle pause. « Je savais que ça ferait hurler les ayatollahs de la chanson. » Ce fut le cas ? « On a raté… beaucoup d’opportunités (rires) »
Si la rage et l’absence de perspectives prédominent sur ces premières pistes, il n’était pourtant pas question de courir après un rock dur: «À l’époque, les amplis étaient partout… Utiliser une guitare acoustique m’a donc paru être le geste le plus subversif!» Et cette absence de batte- rie, que l’on dit héritée de son amour pour Robert Wyatt ? «J’avais une boîte à rythmes, mais j’ai très vite enlevé la caisse claire. Le reste s’est décidé avec Guillaume Jouan : il m’a aidé à ne pas avoir peur du vide… » Un processus étonnant pour un premier album, quand cette volonté d’épuration arrive souvent en fin de carrière (l’artiste n’a alors plus besoin d’être aussi démonstratif). «Je pensais d’ailleurs que ce serait facile, parce que j’avais déjà gagné ma croûte avec l’écriture. Mais j’ai vite découvert que les chansons n’ont pas vocation à être lues… »
Une gageure qui ne l’a pas empêché d’écrire ensuite pour des inter- prètes aussi éclectiques qu’Axel Bauer, Dani, Mass Hysteria, Nolwenn Leroy, Maurane ou Matt Pokora… «Sans doute parce que j’ai une écri- ture très primitive, sans être cryptique», avance-t-il modestement. Puis, vient le sacre : 11 chansons pour Johnny Halliday (99, 2012, 2014, 2015 et 2018). Artiste, dont il reprenait le morceau “La fille à qui je pense” sur Boire.
Et les autres morceaux ? « “Recouvrance” fut la première chanson écrite, avec Pascal Pottier au piano. S’il n’avait pas fui, parce qu’il me trouvait fou, le reste de l’album aurait ressemblé à ça… “Non non non non (…)” est ma chanson la plus celtique. J’ai voulu reproduire un motif. La preuve que je ne suis pas un virtuose : ça ne se s’entend pas (rires) “Évoluer en 3 e division“: je fus vraiment arrière droit dans un club de foot de La Réunion, avec des types super techniques. L’idée des claps en guise de rythmique vient de la démo (le producteur Gilles Martin voulait absolument conserver l’ambiance de celle-ci). Et puis, j’adore Camarón ! Quand le flamenco joue bien, c’est fou… Sur “La veille“, ce n’est pas mon style de guitare. C’est vraiment la patte de Guillaume ! Sur “Que devient ton poing (…)”, c’est parce que ça ne se faisait pas d’avoir un titre aussi long… que je l’ai fait! (rires) Un premier disque, ça vous marque forcément… Malgré les excès de l’époque, je m’en souviens très bien », conclut ainsi celui-ci qui, des excès, ne s’autorise désormais que ceux de la modestie… Merci. i