4 minute read
CONCLUSION
C O N C L U S I O N
Ce travail questionnait à la base les phénomènes d’appropriation de l’espace dit « public » au sein
Advertisement
des quartiers créoles. Depuis, les termes du sujet ont évolué : les espaces publics se sont
transformés en espaces partagés, et les quartiers en kartié.
Au commencement, ce choix de sujet est né d’une observation des phénomènes d’appropriation dans la ville du Port, qui transformaient des espaces urbains. Ces transformations pouvaient prendre
la forme d’un agrandissement de jardin sur la voie publique, ou alors simplement d’une chaise installée sous un arbre.
En partant de cette observation, cette étude visait à comprendre la raison de ces phénomènes et à
chercher comment les inclure dans de nouveaux processus d’aménagements. Pour ce faire, nous avons décortiqué les termes du sujet pour partir d’un premier point : la définition de l’espace public physique. Le premier chapitre nous renseigne alors sur son évolution dans un contexte occidental
et ses caractéristiques. On apprend que ceux-ci sont des espaces communs à tous, et renvoient à
une idée de liberté : une liberté de circulation et une liberté d’action (Rémy et Voyé 1981), qui est possible grâce à l’anonymat qu’ils produisent (Ghorra-Gobin 2001). Ce sont des espaces de
médiation entre l’individu et la communauté, où les usagers cohabitent et où chacun peut utiliser
l’espace, mais pas le monopoliser (Herpin 1980). Des espaces de sociabilités, et créateur d’identité, où chacun peut y exprimer son individualité (Hossard et Magdalena 2005).
Suivant ces définitions, nous avons fait face à un non-sens. Les espaces que l’on retrouvait dans les quartiers créoles, autrement dit les kartié, n’étaient, par définition, pas des espaces publics. En effets, l’anonymat, les libertés de circulation et les libertés d’action ne pouvaient pas exister à cause de l’interconnaissance et des phénomènes d’appropriations qui régissaient ces espaces. Le passage
forcé dans la modernité et l’apposition de normes de la Métropole ont profondément changé les manières de vivre des Réunionnais, en imposant des nouveaux modèles d’habiter qui mettaient de côté les traditions locales. Cependant, la tradition a su résister à travers le temps, notamment par
ces actes d’appropriation de la part des usagers (bottom up) sur le domaine public, jusqu’alors dessiné par les vides des opérations de logements.
Alors, nous nous sommes intéressés à ces actes durant nos enquêtes de terrains, et nous avons pu apercevoir que toutes ces actions participaient à la sociabilité et à la création d’une identité de kartié. Ces observations ont aussi démontré l’importance de la relation qu’entretiennent les
habitants avec l’extérieur, et l’on a pu relater trois échelles d’appropriation, en partant du baro aux
lieux transformés. Est-ce que cette organisation est spécifique à Ariste Bolon ou au contraire est
duplicable sur d’autres kartié ? Pour le savoir, il faudrait multiplier l’étude ailleurs. En tout cas, cette étude aura permis de poser la question de la pertinence de produire des espaces publics aux normes
occidentales dans un lieu où la tradition est aussi marquée. Finalement, de poser la question d’un espace public créole.
Ce travail aura aussi permis de révéler l’importance de la prise en compte de l’usager dans la fabrique de la ville, et surtout dans le cadre des renouvellements de kartié. L’idée ne serait plus de créer des projets décontextualisés en calquant d’autres programmes, mais plutôt de faire un travail
de discussion.
Au sein des kartié, pour qu’un projet soit le plus ancré possible dans son contexte social, il faut qu’il permette l’appropriation des espaces partagés, afin de recréer un sentiment de communauté entre
les individus. Ivan Ilitch dira « les communaux sont la trace de la communauté (…) il ne peut y avoir d’art d’habiter en l’absence de communaux ». Ces espaces s’approchant de notre définition des
espaces partagés, ils sont « limités, concentriques, genrés et régis par la coutume » et « rendu
visibles par des rituels distinctifs ». (Grunig Iribarren 2013).
De par leur histoire et les liens si particulier qui existent entre les individus, on a pu voir que même
les micros espaces possédaient une grande complexité et pouvaient être sujet à de l’aménagement. Et qui de mieux que ceux qui pratiquent l’espace tous les jours pour dire ce qui fonctionnerait ou
non ? Car, dans tous les cas même si cela n’est pas formalisé, les individus dessineront leurs espaces en fonction de leurs besoins en se les appropriant, alors autant accompagner ces démarches. Mais
alors, comment les intégrer ?
Peut-être que nous avons eu un début de réponse en chapitre 2, concernant les méthodes de la participation citoyenne. De plus, dans un contexte de réhabilitation qui s’étend sur autant d’années,
l’intégration des usagers au processus à une valeur sociale, permettant de fédérer les individus et permet une meilleure acceptation du projet. Bien sûr, l’idée serait d’aller au-delà des deux premiers
points, à savoir l’information et la consultation (Sherry Arnstein 1969), mais de les faire participer pleinement au processus d’aménagement. Pour qu’au final, l’idée ne soit plus de créer entre gens dits « experts », qui tentent de comprendre le fonctionnement d’un lieu par la lecture de cartes, mais en incluant maintenant les experts du terrain, c’est-à-dire, ceux qui le vivent.