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CHAPITRE 5 : PORTRAIT DES USAGERS DU KARTIÉ
C H A P I T R E 5 : P O R T R A I T D E S
U S A G E R S D U K A R T I E
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Cette partie sera consacrée à l’étude des relations qui existent entre les usagers du kartié, à savoir,
qui les fréquente et l’impact de ces espaces sur les relations que les usagers entretiennent avec autrui.
o DES ESPACES GENRES ET HIERARCHISES
Les observations que nous avons effectuées sur l’ensemble des sites démontrent que les espaces partagés sont plus occupés par les hommes que par les femmes. En effets, sur les 179 personnes
observées, 40 % étaient des femmes (diagramme 1). Peu d’entre elles ont agi sur le site, la plupart n’ont fait que des actions de déambulations, excepté sur la place du jeu.
Diagramme 1 : Présence sur le site en fonction du sexe © Louana
Mais finalement, ce total ne reflète pas la réalité de tout le kartié, car sur les trois sites étudiés, la
place du jeu et la place du kiosque étaient respectivement occupées par un groupe de femmes et un groupe d’hommes. Alors quand on observe seulement la place de la fresque, où il ne semble pas y avoir de groupes récurrents, la différence est encore plus flagrante (diagramme 2).
Diagramme 2 : Présence sur l’espace de la fresque en fonction du sexe © Louana
Cela démontre que les espaces partagés sont genrés, les éloignant encore plus de la définition normative de l’espace public. On pourrait alors se demander pourquoi aussi peu de femmes occupent ces espaces ? J’ai pu échanger avec le groupe de femmes sur l’espace du jeu un mercredi après-midi quant aux raisons de leurs présences. Elles affectionnaient cette place, car elles aimaient
passer du temps à l’extérieur et se retrouver, et la proximité de leur maison leur permettait d’y retourner rapidement si elles avaient des tâches domestiques à finir. Le peu de personnes que j’ai interrogées sur les autres places du kartié m’ont expliqué qu’elles préféraient se retrouver chez elles plutôt que dehors, que « c’était plus confortable ». Et quand je les ai interrogées sur l’espace du kiosque et du fait qu’il n’y avait généralement que des hommes, elles m’ont dit « c’est comme ça, les hommes restent avec les hommes, les femmes avec les femmes ».
Il semble alors que le système de groupe aux caractéristiques homogènes soit récurrent dans le
kartié. Par exemple du côté du parc, un groupe de jeunes gens, probablement des lycéens, se
retrouvent et occupent des bancs pour discuter et écouter de la musique.
Mais parfois, des individus d’âges différents peuvent se côtoyer. Par exemple, du côté du groupe du kiosque, les jeunes se mêlent aux anciens, qui côtoient aussi des adultes. Du côté du groupe du jeu,
c’est pareil. Les femmes âgées jouent et discutent avec des femmes plus jeunes. D’ailleurs, il ne semble pas avoir de distinction entre les filles et les garçons du côté des enfants. Eux sont accueillis
dans tous les groupes, car ils semblent avoir des liens de parenté avec certains, un oncle, une grand-
mère, un parent.
Les groupes ne semblent pas totalement figés, ils peuvent se scinder en plus petites unités, ou
accueillir une nouvelle personne quand celle-ci accompagne un membre. J’ai senti qu’il existait une hiérarchisation au sein de ces cercles. Par exemple, j’ai voulu me renseigner sur le fonctionnement
de partage de la structure auto construite, en parlant à deux hommes âgés qui étaient en train de
l’occuper. Cette structure est en effet constamment ouverte, et se revendique accessible à tous. Cependant à la question : « Il n’y a jamais de conflit d’intérêts pour l’occupation du QG ? », ils m’ont simplement répondu en riant : « t’façon kan nou débark na toujour la place ». Sous-entendant sans doute que quand les gens les voyaient arriver, ils savaient qu’ils devaient leur laisser la place, comme
s’ils étaient plus légitimes que tout le monde de s’installer ici. Mais certaines fois pendant mes périodes d’observations, d’autres personnes étaient déjà installées quand les deux hommes sont arrivés, cependant ils ne sont pas partis, ils leur ont juste laissé la place et ont commencé à discuter. Finalement, l’espace ne semble pas être régi par la règle implicite du « premier arrivé, premier
servi » (Watin et Wolff 2008). Il semblerait plutôt qu’il existe une hiérarchie dans les groupes. Même si personne ne se décrète « chef » de la place, il existe des légitimités à occuper l’espace (Watin
2007). Celles que j’ai pu apercevoir se basent sur l’ancienneté d’installation des personnes. Sur la place du kiosque, les deux hommes sont ancrés dans le kartié depuis sa création et ont participé à
la construction de la structure. Chez le groupe des femmes, la hiérarchie est plus subtile, les rapports
de forces sont moins évidents, mais on retrouve à chaque réunion le même noyau composé de trois
dames âgées, elles aussi habitantes depuis le début.
o ESPACE DE SOCIABILITE PARTAGE
Il semblerait donc que des groupes ont la main mise sur certains espaces. Ils possèdent une
légitimité à les investir, connue par tous les gens qui habitent à proximité. Cependant, ces espaces
ne sont pas occupés exclusivement par ces groupes, à certains moments de la journée, d’autres individus en prennent possession. Par exemple, la structure sur le parking, bien que majoritairement
occupé par le groupe d’hommes en semaine, est parfois partagée avec les autres résidents de « l’îlet urbain », quand ceux-ci veulent faire des repas de famille à l’extérieur. Finalement, ce lieu a été construit pour le commun, mais avec des accès prioritaires pour certains. Quant à la légitimité d’avoir accès à cet espace, elle semble hiérarchisée. On a ainsi une pyramide sociale avec à sa tête,
le groupe d’hommes autour duquel gravitent leurs cercles proches.
Le kiosque est d’abord un espace de partage et d’échange, où les gens se rejoignent pour fêter ensemble ou simplement discuter. D’ailleurs, certains s’y rendent juste dans le but de croiser des gens et d’entamer une discussion. Pendant l’observation, il est arrivé plusieurs fois qu’un homme arrive de derrière (probablement de chez lui), s’assoie seul sous le kiosque et attende. Parfois, cela peut durer une dizaine de minutes, d’autre fois toute une demi-journée. Étant à proximité d’une
voie piétonne, l’homme assis capte les passants qui les abordent. Certains discutent quelques instants avant de reprendre leur chemin, d’autres s’assoient et restent plus avec eux. Quand je les questionne sur la raison de leur venue, la plupart me répondent qu’ils viennent juste « trainer » ou discuter avec des gens. Ainsi, le kiosque sert d’espace de sociabilité pour les habitants.
L’espace a été aménagé par le petit groupe, avec les affaires qu’ils avaient en trop. On retrouve un réfrigérateur non fonctionnel qui fait office de rangement, un barbecue, une grande table et des
bancs, posés dans cette structure complètement ouverte. Quand je suis venue discuter avec deux hommes attablés, ils m’ont montré que le kiosque pouvait être aussi occupé par un autre groupe de jeunes quand ils n’étaient pas là. Ils me l’ont prouvé en montrant une bouteille de whisky posé à vue entre deux bancs, en me disant que ce groupe s’était retrouvé il y a quelques jours. Ce qui était surprenant, ce n’était pas tant la présence de la bouteille, mais plutôt qu’elle soit encore là après tout ce temps. Personne ne l’avait volé, alors qu’elle était visible pour toute personne passant
devant. Finalement, cela démontre qu’il y a un respect mutuel des affaires des autres au sein du kartié, illustré aussi par la présence de pots de fleur ou de mobilier sur la voie publique.
Habillage d’une entrée de maison © Louana
Le partage des espaces peut se lire aussi à l’échelle de la rue, qui est souvent utilisée comme continuité de l’espace privé. Les phénomènes d’appropriations empiètent sur l’espace public, forçant les autres à contourner les obstacles. Par exemple, le jeudi après-midi, un homme a
stationné sa voiture sur une place de parking à proximité du kiosque pour la réparer. Il a étalé sa
boîte à outils et a sorti une multiprise sur le trottoir pour pouvoir la réparer. Les gens contournaient
naturellement ses affaires, et ils pouvaient les laisser à l’extérieur sans surveillance pendant un long moment avant de ressortir. À un moment, un autre homme est venu à sa rencontre, et les deux ont
continué à réparer la voiture ensemble. Ce geste amical reflète l’un des piliers des relations sociales à la Réunion, l’entraide. Cet exemple illustre l’un des trois composantes des kartié selon Michel
Watin (2007), l’aspect économique, dans lequel les habitants peuvent se vendre ou troquer des
biens ou des services.
Un autre cas intéressant a été observé sur la place du jeu. Un matin, avant que le groupe de femmes
ne s’installe, un homme âgé est sorti de chez lui, et a commencé à balayer le sol devant sa maison jusqu’à l’espace de rencontre. Il a ensuite remis les chaises en ordres, et est rentré chez lui. Par ce
geste symbolique, l’homme a montré qu’il était investi dans la tenue en ordre de cet espace partagé. On peut imaginer que le fait qu’il ait nettoyé l’espace en continuité du nettoyage de sa kour, renvoie
l’espace à une continuité de son « chez-soi ».
o AUTO GESTION ET CONFLITS D’USAGE
La rue peut être un espace partagé où les habitants en prennent soin ensemble, ou alors, elle peut devenir un objet de convoitise et de conflit. À première vue, lorsqu’on n’y fait que passer, le kartié ne semble pas être l’objet de quelconque dispute entre ses habitants. Les rues sont plantées, les devants de maisons sont décorés par des pots, les gens sont assis et discutent ensemble…
Cependant, lorsqu’on pénètre un peu plus dans le kartié, on peut voir que les ambiances spatiales
ne sont plus les mêmes. Les maisons des rues suivantes peuvent être totalement fermées sur l’extérieur, en donnant à la rue juste sa fonction de voie de circulation voiture. Ne trouvant personne dans la rue à interroger, j’ai essayé à un moment de faire du porte-à-porte pour essayer de
comprendre pourquoi cette ambiance de rue était si différente de sa voisine. Une dame m’a accueilli chez elle, et m’a expliqué qu’autrefois elle plantait la rue, mais qu’elle avait subi trop de vol qui
l’avait découragé à continuer. Elle était grand-mère et ne laissait ses enfants que jouer à la maison
ou dans le parc quand elle pouvait les accompagner, mais ne voulait pas qu’ils déambulent sans surveillance à l’extérieur. Finalement, ces deux problèmes avaient une racine commune, le manque
de surveillance que pouvaient prodiguer ses voisins. En effet, elle ne les connaissait que très peu, et étant donné que leur maison était éloignée de l’avenue principale, il n’y avait pas beaucoup de passage devant chez elle, ce qui ne favorisait pas la sociabilité et la rencontre avec l’autre.
D’autres conflits d’usage ont été recensés, notamment à cause de la gestion des poubelles de certains voisins et du bruit que certains pouvaient faire le week-end ou en soirée. En général, la musique était tolérée, elle faisait partie du paysage du kartié et des mœurs de ses habitants, qui ne semblaient plus y prêter attention en journée. « Y dérange pas tant que lé pas trop fort ».
Ces conflits opposent différents modes de vie, qui le plus souvent opposent deux groupes
générationnels.
L’appropriation aussi peut être sujette à conflit. Étant donné qu’elle résulte souvent d’une initiative individuelle, les voisins ne sont pas toujours concertés. Par exemple, au niveau du parc, un arbre
était utilisé comme place assise pour les gens du kartié. Pourtant, un homme dont la maison était à côté de l’arbre s’est mis à le couper, car ses branches tombaient sur sa toiture. Il n’eut pas de concertation préalable avec ses voisins, qui lui en voulurent, car l’arbre n’apporta plus de place ombragée.
Laissez-moi vous raconter une autre histoire, toujours au niveau du parc. Des assises en béton formaient un bac de terre dans lequel était planté un arbre à proximité d’un cheminement. Le voisin
s’est mis à s’approprier ce bac, en étendant la limite de sa maison. Le bac n’appartenait désormais plus au commun, mais à cet homme, ce qui mit en colère ses voisins. Ici, on peut voir que
l’appropriation de l’espace partagé a servi un seul individu, desservant au passage la communauté,
qui a perdu un peu d’espace commun. Les autres exemples que nous avons vus fonctionnent à l’opposé : des espaces qui n’avaient pas de fonctions au début ont servi les individus qui se les ont
appropriés, mais ont aussi servi la communauté. Ces deux études de cas ont ainsi relevé un manque
de discussion sur la gestion des espaces partagés, entraînant des conflits entre le voisinage autour
d’enjeu d’appropriation.
Ainsi, cohabiter dans l’espace n’est pas chose aisée et demande une réflexion commune pour
répondre à des enjeux communs. Lorsqu’un problème est individuel, la discussion n’apparaît pas nécessaire, mais parfois sa résolution engendre d’autres problèmes.
À l’inverse, quand un problème est collectif, soit on reste passif, soit on s’organise collectivement pour le résoudre. Ça a été notamment le cas pour la création du kiosque. Le parking sur lequel il est
implanté appartient à la SEMADER et plusieurs habitants ont fait la demande à la mairie d’y créer un espace ombragé et des assises, car peu de voitures se garaient là. Sauf qu’ils n’ont jamais eu de retour, et jamais aucun travaux n’a été fait. Un groupe s’est alors organisé pour monter une structure. Tous se sont autogérés. Certains ont cotisé pour rapporter des graviers pour le sol,
d’autres ont entrepris de faire un jardin au-devant, d’autres petits groupes se sont greffés pour réaliser du mobilier en palette… Finalement, la SEMADER a laissé la structure en place, et la mairie fait arroser leur parterre de temps en temps. Pas suffisamment d’après les habitants, qui se sont chargés de trouver un cubitainer pour gérer l’arrosage eux-mêmes. Ainsi, en s’unissant, ils ont répondu à un problème de manière collective, faisant du kiosque un élément fédérateur du kartié, qui dépasse même les limites d’Ariste Bolon, car d’anciens résidents qui ont participé à sa construction reviennent de temps en temps s’y installer.
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Le kiosque © Louana
o LES ENFANTS COMME LIEN SOCIAL
Lors des premiers ateliers de concertations avec le CAUE pendant la période des vacances scolaires,
nous avions rapporté une grande bâche ainsi que des photos du kartié comme support de
discussions. Nous sommes arrivés en tant qu’étranger dans le kartié, et les habitants ont pris du
temps avant de nous adresser la parole. Ou du moins, pas tous. En effet, les premiers à avoir pris contact avec nous étaient les enfants qui jouaient dans les rues. Notre présence les a d’abord interrogés, puis ils se sont approchés de nous pour chercher leurs maisons sur les photos. Ils sont
restés toute la matinée, et leur présence a commencé à faire venir du monde. Ces enfants, les gens
les connaissaient, ils les savaient du kartié ou bien avaient avec eux des liens familiaux, ou des liens
de voisinages. Par leurs présences, ils ont participé à la mise en place d’un rapport de confiance entre les habitants et nous. La même chose s’est produite lors de mes enquêtes de terrains. Quelques-uns d’entre eux m’ont reconnue, et le fait que je m’arrête et que je prenne en photo des endroits a attiré leur curiosité. Dès lors, un petit groupe m’a suivi dans tous mon parcours à travers les trois sites, et m’a aidé à remplir les grilles d’observation en me donnant des informations sur la zone où habitent les personnes observées, lorsqu’ils les reconnaissaient. En fin de compte, notre rencontre s’est apparentée à un jeu. Étant par nature plus curieux que les adultes, c’est d’abord par eux que j’ai pu me faire connaître dans Ariste Bolon. Si les gens me voyaient avec un enfant du kartié à mes côtés, ils étaient plus disposés à parler plus longtemps avec moi. Dès lors, il est apparu que la présence d’enfants pouvait être un moyen de socialisation. Au sein du kartié, ils créent des attaches
entre les habitants par leur filiation ou par leur lien de camaraderie avec les enfants des autres.
Un autre point remarquable avec les enfants, c’est la liberté qu’ils ont à se mouvoir dans l’espace sans avoir besoin de la présence d’un parent pour les surveiller. Cela peut s’expliquer par le fait que le kartié est régi par des liens familiaux, qui font que des membres d’une même famille peuvent se trouver un peu partout dans le kartié. Ainsi, certains enfants qui m’ont suivi et ont traversé plusieurs « îlets urbains », sans que cela semble poser problème. À chaque arrêt que je faisais, certains rentraient dans des maisons pour aller boire ou manger quelque chose, en m’expliquant que leurs
oncle, tante ou grands-parents habitaient là. L’interconnaissance permet donc une autosurveillance
constante et permet de transformer le kartié en énorme terrain de jeu : les rues sont devenues des
terrains de football improvisés ou des pistes de décollages pour des avions en papiers.
o PLACE DE L’ETRANGER ?
Nous avons vu quelles répercussions l’appropriation de l’espace pouvait avoir sur les relations qu’entretiennent les habitants entre eux. Maintenant, il pourrait être intéressant de voir comment un étranger est perçu sur ces espaces. Tout d’abord, qui appelons-nous étranger ? Est-ce
simplement celui qui n’habite pas le kartié ? Ou celui qui n’a pas l’habitude de fréquenter le lieu ? Quel qu’il soit, je pense répondre à cette appellation. Ici, je parlerai de mon ressenti durant cette expérience, et comment j’ai perçu les espaces partagés en tant qu’inconnu du kartié.
De manière générale, les enquêtes se sont toujours déroulées dans de bonnes conditions. Lors de
mes premières visites, j’ai senti que les gens m’observaient avec plus d’attention. D’abord parce que j’avais un visage qui leur était inconnu, ensuite parce que j’agissais de manière peu commune. Je suis venue les premières fois pour faire des relevés pour la cartographie sensible, je dessinais des
plans et prenais des photos. Il y avait beaucoup de méfiance dans le regard des gens et quelques
courageux sont venus me demander ce que je faisais ici. La grande majorité m’a posé des questions sur les démolitions qu’il y allait avoir dans le kartié, en pensant que je travaillais avec la mairie. Quand j’ai expliqué les raisons de ma présence, en me présentant comme simple étudiante, les
visages se sont radoucis, et j’ai compris qu’il y avait une sorte d’appréhension vis-à-vis des pouvoirs
publics, qui était aussi perceptible lors des ateliers avec le CAUE.
Lorsque j’ai découvert les espaces où il y avait de l’appropriation, sur lesquels j’allais faire mes enquêtes, je ne me suis pas sentie légitime de les occuper, quand bien même ils soient « public ».
Puis, petit à petit, ma présence est devenue une habitude. Les enfants ont contribué à me faire
reconnaître dans le kartié, puis les plus vieux ont commencé à me saluer et à discuter avec moi
lorsque j’arrivais le matin. J’ai senti un changement de comportement dans les lieux où je me rendais. Au début, j’ai senti que les actions des personnes étaient plus contrôlées, plus contraintes,
qui suivaient les principes de l’anonymat (Watin 1992). Puis vers la fin de mon enquête, les gens se
sentaient plus à l’aise vis-à-vis de ma présence, et ils ont retrouvé leur liberté qu’ils avaient en ne
fréquentant que leurs pairs : la musique a commencé à sonner plus fort, les gens, eux aussi, parlaient
plus fort à côté de moi, certains ont commencé à rouler du zamal… Plus j’étais reconnue, plus je me sentais légitime d’être là, sans pour autant sentir que j’étais autorisée à occuper les espaces
appropriés. Je me sentais libre de les traverser, mais pas d’y rester. Sauf une fois, quand un homme avec qui je discutais m’a invité à m’asseoir. Finalement, le sentiment de non-légitimité à occuper un
espace est balayé lorsque l’on y est invité.