LB n°55 : RÉEL/

Page 1

RÉEL

LOUVR’BOÎTE N°55

0,50 €


SOMMAIRE

Edito ... p 3

Enquête exclusive: le véritable sens des expressions les plus obscures ... p 4 Acrostiche au réel ... p 7

Le choix de la rédac’ ... p 8 Les choses qu'il faut réellement arrêter en 2020 ... p 10 A Cor et à cri musical ... p 11 Labyrinthe du Chaos du Club Jeu ... p 14 Hérald' Hic! - La représentation du réel en héraldique : armes parlantes au service d'un maître de la mimêsis et jeu de mots pourri ... p 16 Les folles Histoires de Papa Ours : notre réalité ... p 19 L’apARTé scientifique - Les mythes et le Réel : archéologie biblique sous les murs de Jéricho et datation au carbone 14 ... p 21 Histoi'Art - Le Hollandais volant ... p 24 Point information ... p 27


Edito *

Votre rédac’ préférée revient animer votre année bissextile par son génie, trop souvent incompris. Le Louvr’Boîte illumine votre vie, comme cette boule disco votre twerk dévastateur. Vous croyez rêver ? Que nenni, ce numéro est bel et bien RÉEL !

Tel un navire sans gouvernail et sans Davy Jones, vous dérivez dans cette nouvelle année. Aussi il est temps de débarquer et de vous mettre à la page à propos de ce que vous ne devez plus dire en 2020. Nous avons également brainstormé comme jamais pour vous trouver les meilleurs objets à se procurer à tout prix* (*sous réserve d’invention et soumis à investissement à hauteur d’un milliard d’US $).

Pour épater la galerie, satisfaire votre attention whore intérieure et vous donner un air mystérieux, rien de mieux que d’expliciter réellement la signification des expressions les plus obscures. Si ça n’est pas suffisant, un bon petit mindfuck sur Jéricho s’impose, à moins que vous ne préfériez percevoir le réel à travers des jeux de mots encore plus capillotractés que les nôtres ? Et si la réalité évoquée n’est parfois pas des plus gaies, pas de panique : elle propose aussi des mythes à gogo ! Vous pouvez aussi, en cas d’extrême urgence, vous brancher sur TF1 ou W9 : choisissez votre team. Surréaliste, vous dites ? On vous laisse méditer là-dessus. “ Avant, on cherchait à déformer la réalité en prenant du LSD. Maintenant que la réalité est déformée, on prend du Prozac pour tenter de la voir normalement ! ” - André Berthiaume Musique !

Louvr’Boîte Onzième année N° 55. 0,50€ Directrice de publication : Jeanne Spriet Rédactrice en chef : Inès Amrani Responsable communication : Tyfenn Le Roux Maquette : Inès Amrani, Ulysse Chassé, Raphaël Vaubourdolle Couverture : Eloïse Briand Ont contribué à ce numéro : Inès Amrani, Eloïse Briand, Ulysse Chassé, Chloé-Alizée Clément, Mathilde Clouët, Flora Fief, Laureen Gressé-Denois, Tyfenn Le Roux, Ivane Payen, Gabriel Schmit, Jeanne Spriet, Eve Tahir, Raphaël Vaubourdolle, Morgane Vitcoq, Angéline Wiard.

- Inès Amrani et Jeanne Spriet

École du Louvre, Bureau des élèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 PARIS CEDEX 01. louvrboite.fr Courriel : journaledl@gmail.com Facebook : fb.com/louvrboite Twitter : @louvrboite Instagram : @louvrboite

ISSN 1969-9611. Imprimé sur les presses de l’École du Louvre (France). Sauf mention contraire, ©Louvr’Boîte et ses auteurs.

3


Enquête exclusive Le véritable sens des expressions les plus obscures Après le succès de mon enquête sur les plats chaotiques, je me devais de revenir pour élucider de nouvelles questions. Cette fois, je m’attaque aux expressions qui n’ont pas de sens, ou pour remettre en contexte qui n’ont ni queue ni tête. Non, cette fois mes sources ne s’arrêteront pas à Wikipédia. C’est mûrie par l’expérience de cette première enquête que j’ai décidé de faire appel à une source, une vraie, que nous appellerons Pierre-qui-roule-n’amassepas-mousse dans un souci d’anonymat. Posons carte sur table, les expressions servent le plus souvent à décrire une situation de manière imagée et bien souvent cette situation concerne une personne. Combiens d’entre nous ont déjà entendu quelqu’un dire « T’as mangé un clown ce matin » ? Moi non, mais peut être que ça parlera à quelqu’un, ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Avec cette expression, votre interlocuteur cherche à signaler les propos humoristiques, ou non d’ailleurs, d’une personne. Je m’explique : soit vous êtes vraiment drôle et là grand bien vous fasse, soit vous ne l’êtes pas du tout et l’expression

permet à votre interlocuteur de souligner l’absurdité de vos propos. Et voilà, claire comme de l’eau de source ! Notez la variante avancée par Pierre-qui-roule-n’amasse-pasmousse : « t’as sucé un clown ce matin », après vous en faites ce que vous voulez.

Pour poursuivre cette enquête je me penche vers une expression des plus absurdes : « Tu rigoles du genoux ». J’ai bien conscience qu’anatomiquement c’est impossible mais lorsque l’on s’adresse à vous avec cette expression, sachez qu’on cherche justement à signaler l’absurdité de vos propos, quelque chose comme « Tu te moques de moi » en bon français. Il paraîtrait que cette expression serait plus entendue en Bretagne qu’ailleurs, comme toujours une région à la pointe dans tous les domaines. Par ailleurs, le corps humain semble

4


être un terreau fertile d’inspiration pour les expressions car comme dirait Pierre-qui-roule-n’amasse-pasmousse : « Marche sur l’autre ça fera de la musique ». Expliquée par un simple « ça veut dire marcher sur le pied de quelqu’un », cette expression reste introuvable à ce jour (du moins sur les internets). Alors profitez car il s’agirait bien d’une expression originale rien que pour vous, une exclusivité comme on dit dans le milieu.

l’empereur a offert une boite de chocolat à un général dans laquelle il avait caché de l’argent. Le général en question cru alors que la seule récompense qu’il avait obtenue de sa conquête de Dantzig était du chocolat jusqu’à ce qu’il ouvre la dite boite et découvre l’argent. Donc quand on vous parle de « Chocolat de Dantzig », on vous parle de blé, de thune, de flouz, bref d’argent.

Bon assez parlé du corps humain et de ses absurdités, passons au nerf de la guerre : l’argent. En effet, il existe un nombre incalculable d’expressions liées à l’argent, c’est un peu l’inverse de chercher une aiguille dans une meule de foin. Rien que pour vous (parce que je suis géniale), je n’ai retenu que la crème de la crème.

Pour m’ôter une épine du pied, je me dois de parler du beurre en parlant d’argent. Evidemment le beurre en question est salé parce qu’encore une fois qui a dit que cette enquête serait objective et ensuite comme on dit dans ma famille « le beurre doux c’est de la graisse de vache ». Je commencerai par la fameuse et unique « ça mettra du beurre dans les épinards ». Le beurre dans sa douceur et sa légèreté représente dans le cas présent l’amélioration D’abord, il est nécessaire d’évoquer d’une situation générale difficile, ici le fameux « chocolat de Dantzig ». représentée par les épinards. Au fil Véritable blague de Napoléon Ier, du temps, et non pas des saisons, cette expression vient du fait que l’expression a pris un sens lié au

5


domaine financier mais il n’en reste pas moins que les épinards sont traités comme des moins-que-rien dans l’histoire. Pour rester sur la thématique du beurre et de l’argent, je ne peux pas ne pas évoquer « vouloir le beurre, l’argent du beurre et la crémière ». Notez encore une fois la variante proposée par Pierrequi-roule-n’amasse-pas-mousse « vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière ». L’accumulation de termes cherche ici à montrer le fait de vouloir quelque chose à outrance, trop vouloir et non pas le bon vouloir. C’est comme si vous vouliez vendre le beurre, garder l’argent, le beurre et en plus avoir la crémière. Bref, à vue de nez, c’est assurément se mettre dans le pétrin.

fectivement le beurre n’est pas le seul à servir pour former des expressions, les outils qui l’entourent peuvent aussi être intéressants comme « il n’a pas inventé le fil à couper le beurre », marche aussi avec le couteau à couper le beurre semble-t-il. Le sens de cette expression paraît assez universel puisqu’il existe moult variantes comme « il lui manque une case » ou « il a pas la lumière à tous les étages ». J’espère que vous aurez compris le sens de celles-ci sinon cette expression s’applique très certainement à vous aussi. Une fois n’est pas coutume, j’aimerais terminer sur une note de poésie. En effet, amoureux de la patate sachez que vous avez en moi une alliée et ce depuis plusieurs générations car comme dirait mon papy « un jour sans patates, un jour sans soleil », les météorologues tremblent encore à ce jour. – Tyfenn Le Roux.

Enfin et parce qu’on y tendait pas mal depuis le début de cette enquête, je me dois de mettre en valeur ma belle région, la Bretagne. Ayant déjà parlé beurre, je ne vois aucune raison qui m’empêche de poursuivre dans cette voie là. Ef-

6


Rêve, colère, amour, honte, passion, sérénité, panique Émotions diverses. A tout être doté de cette vie oblique, Le réel peut être beau. Ou à l’inverse Il peut, sans y être invité, devenir un fardeau,

Tant il nous laisse parfois sans contrôle, désarmé et faible Étiqueté ou oublié, seul face à son propre écho.

A quoi bon rester spectateur dans l’immensité de la plèbe, Usant de ses forces, luttant pour survivre ? Grandir au pain sec, dans son cabinet noir, Méditer, au contraire, conscient, drogué ou ivre. Errer, suivre un chemin souvent dérisoire, Nourrir son imaginaire, tel un échappatoire à cette terre Tant ici-bas les couleurs manquent au tableau. Écouter son esprit, son coeur, son âme ou sa chair ? Exister. Ego.

7


8


9


10


A Cor et a Cri musical Inquiétude en crescendo Une fois n’est pas coutume, je pianote nerveusement sur mon livret. Mes oreilles revenaient encore à peine des merveilles que nous venions d’interpréter à huit voix. Mais nous attendions, dans un silence religieux. L’assemblée avait refermé ses partitions : nous gardions Mozart dans notre cœur, mais notre tête était désormais toute dissonante d’une portée cette fois bien terne. Jean-Philippe reposa sa feuille sur le pupitre. Il cessa soudain de tourner lentement sur sa haute chaise de chef de chœur et poussa un soupir bien las. Cela ne faisait qu’un semestre que j’avais rejoint les rangs des soprani 1 de l’Académie de musique du Palais Royal et pourtant, je me sentais déjà si intégrée dans cette incroyable famille... Deux cents choristes qui se retrouvent chaque mercredi soir avec ce grand chef parisien, Jean-Philippe Sarcos, et qui m’offrent ainsi hebdomadairement ma bulle d’air et de musique pour m’échapper un peu de ma semaine louvresque… Je regarde autour de moi. Tout le monde, des soprani aux alti en passant par les ténors et les basses, semble soudain happé dans un moment de dignité, à la fois brutal et nécessaire. Jean-Philippe se redressa, prit son inspiration et nous délivra enfin le funeste message que nous redoutions. Son accent du sud-ouest n’eut d’un coup alors plus la chaleur et la lumière du soleil. Le voir si sombre alors qu’il était habituellement si rayonnant, si enjoué et si proche des jeunes amateurs que nous sommes, à qui il enseigne un répertoire digne de grands professionnels, me fit un coup au cœur. « Mes amis, j’ai quelque chose de très grave à vous annoncer qui me touche beaucoup ». Il laissa un temps passer dans la partition de sa déclaration. « L’Académie risque de s’arrêter. » Le verbe si tranchant venait de passer sa froide lame sur nos nuques sensibles. S’arrêter ? Pourquoi le devrait-elle ? Elle accueille depuis des années deux cents choristes et cent musiciens de 18 à 30 ans, de tous domaines de travail, d’études et de pays d’origine différents. Nous chantons et jouons avec tout ce qui nous est de plus cher, avec cette incommensurable soif d’apprendre de nouvelles astuces musicales, de rencontrer ces compositeurs défunts à travers les anecdotes et contextes donnés par Jean-Philippe, de faire vivre leurs vibrantes et étincelantes musiques à travers nos concerts. Pourquoi devrait-elle être à l’agonie ?

&&

Urgence en si majeur

La situation musicale en France est réellement catastrophique. Nul ne s’en doutait, moi la première. Les régions, les DRAC, les différentes subventions de l’État… Toutes ont ces dernières années peu à peu chuté, lentement mais sûrement. La culture, dernière roue du carrosse dans le portefeuille de l’État, ramasse les rares miettes des butins ministériels. Elle répartit ensuite maigrement les ridi-

11

K


cules bouts restants à tous les domaines qui nous sont pourtant chers à l’École du Louvre, mais au-delà aussi. Des chefs se battent alors pour continuer à dynamiser le paysage musical en France, pour qu’il ne soit pas l’apanage d’une élite éclairée. Elle doit être accessible à tous, quel que soit son niveau de musique, de chant ou d’oreille, quels que soient la part de ses revenus, son âge ou son milieu social. Certaines formations avaient même le mérite de dynamiser certains territoires avant de subir elles-aussi l’infamie budgétaire. La Simphonie du Marais a vu mi-septembre 2019 son chef d’orchestre et fondateur Hugo Reyne, grand hautboïste français à la carrière internationale, tirer sa révérence. Dans un article de France Musique, il raconte qu’au bout de trente-trois ans d’aventure en Vendée, à donner des concerts au grand public pour partager ses émotions et toute la joie qu’il ressent à travers la musique baroque, il se sent fatigué. Fatigué de se battre face à toute cette chronophagie de recherche infructueuse de fonds. Il ne peut plus faire survivre son orchestre et ensemble vocal pour lequel les Vendéens prenaient leurs places jusqu’à parfois un an à l’avance tant la Simphonie était appréciée. D’autant qu’Hugo Reyne souhaitait vraiment que tout un chacun puisse s’offrir un moment de délice musical baroque avec des places à petits prix, ne dépassant jamais vingt euros. Augmenter le prix des places de concerts ? Jamais. Une ineptie qui va à l’encontre de la démocratisation de la musique. Comment peut-on pousser à bout des âmes virtuoses au grand cœur qui souhaitent simplement et ardemment partager leur passion avec les autres ? Jean-Philippe connaissait bien Hugo Reyne, cette nouvelle l’a beaucoup ébranlé. Mais la Simphonie du Marais n’est pas la seule touchée. Il ne faut pas croire que la baisse des subventions ne se fait qu’en province. Le 27 décembre dernier, une émouvante tribune a été écrite dans Le Figaro. Près d’une trentaine d’écrivains, de médiévistes, de musiciens, de théologiens et d’intellectuels ont dénoncé le licenciement du chef de chœur grégorien de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris. Depuis le terrible incendie qui a ravagé la majesté de pierre le 15 avril dernier, les concerts ne rapportent plus rien. Ces graves difficultés financières n’ont fait qu’empirer au point que cinq enseignants de la Maîtrise dont ce chef, ont dû être mis à la porte. Indignés, les étudiants choristes ont même refusé de jouer leur célèbre concert de Noël, qui aurait dû être exilé à Saint-Sulpice à la fin de l’année, du fait du chantier en cours sur l’île de la Cité. Le général Georgelin a promis de faire chanter un Te Deum le 16 avril 2024 pour célébrer la fin des rénovations mais à ce rythme-là, il n’y aura plus aucun musicien devant l’autel. C’est encore pire que lors de la Révolution française, où les clavecins de Paris, considérés comme des symboles de l’Ancien Régime, avaient été rassemblés et tous brûlés dans la cour du Conservatoire de la capitale.

&&

12

K


O Fortuna L’État signe depuis plusieurs décennies la mort lente mais sûre de la musique et de son enseignement en France. Constat alarmiste : à moins d’être une grande formation et d’être sponsorisée par n’importe qui, les petites et moyennes formations sont condamnées à survivre en tremblant. Jean-Philippe releva alors la tête et nous sourit. Il ne faut pas que cette réalité nous accable et nous pousse à abandonner. Au contraire, il faut se battre, encourager même de pas grand-chose les chœurs et orchestres que nous écoutons. Pour l’Académie du Palais Royal, il faut tracter, parler autour de nous et décupler son énergie en fortissimo de courage. Aujourd’hui, grâce à nos concerts de décembre où nous avons interprété la Messe en ut mineur de Mozart et le Concerto pour violon de Tchaïkovsky, nous avons pu récolter juste assez d’argent pour survivre encore un semestre. Nos concerts du 26 mai et 4 juin 2020 au Cirque d’Hiver pour interpréter Carmina Burana de Carl Orff et la Symphonie écossaise de Mendelssohn sont donc capitaux. Venez nous écouter et plus ! Si vous vous sentez l’âme choriste ou musicienne de tout niveau, rejoignez nos rangs au second semestre, nous accueillons tout le monde et serions ravis de voir gonfler nos troupes pour sauver la musique, enchanteresse Muse qui nous habite et vêt de joie nos existences au quotidien.

&&

Laureen Gressé-Denois

Quelques liens utiles : Facebook : @academimusiqueparis Instagram : @academiemusique Mail : contact@academie-de-musique.com

13

K


14


Cette double page de jeux vous est offerte par :

le Club Jeu de l’Ecole

a

15


p

q

Hérald’ Hic!

F

La représentation du réel en héraldique : armes parlantes au service d’un maître de la mimêsis et jeu de mot pourri On s’intéresse souvent aux armes des grandes familles d’Europe, mais sachez que d’autres personnages pouvaient porter des armes tout à fait légitimement : les bourgeois s’enrichissant, les confréries d’artisans, les villes, et même Bébert le porcher de Pignerolles dans la Creuse pourquoi pas ! Et dans ce mesclat de plus ou moins bonne naissance, il y a les robins, des petits nobles qui se sont hissés au sommet du pouvoir dans des carrières lettrées : ce sont des avocats, des historiographes, des philosophes, des écrivains... Et justement, parlons aujourd’hui d’un des plus grands tragédiens de l’Histoire de France : Jean Racine.

Bon à vrai dire nous parlerons plutôt des armes de sa famille, car lui-même a refusé de les porter. Le peu que l’on sait d’elles est contenu dans sept lignes d’une lettre envoyée par Jean Racine à sa soeur, « Mademoiselle » de Rivière. D’après cette source, elles seraient « un rat et un cygne »… rat-cygne… vous l’avez ? Oui oui, vous ne rêvez pas, il s’agit bien d’un jeu de mots pourri de niveau 12. En vérité, il s’agit plutôt de ce que l’on appelle des armes parlantes : des armoiries faisant allusion plus ou moins directement au nom de leur porteur. Cela peut donc être homonymique (un château pour la Castille (castillo en espagnol)), proverbial (trois bustes de filles pour Le Gendre de Saint-Aubin car « Qui à des filles aura des gendres »), étymologique (un boeuf marchand sur l’eau pour Oxford (d’oxen ford, le gué des boeufs)), en à-peu-près (une couleuvre pour les Colbert)… ou même en rébus, comme ici. Les armes parlantes sont donc, par ces allusions, ancrées dans le réel. Penchons-nous dorénavant sur le reste de cette lettre, datée du 16 janvier 1697, et sur la cause de l’évocation de ce blason. Jean Racine y demande des renseignements à sa soeur sur les armes de sa fa-

k

16


q

p

mille dans le but de les déclarer. En effet, Louis XIV, par l’ordonnance royale de novembre 1696, oblige chaque personne voulant porter des armoiries à les déclarer auprès de la Maîtrise générale des armoiries nouvellement créée. Cette ordonnance visait à créer un grand Armorial général de France réunissant les armoiries de toutes les villes, familles et congrégations du royaume dans le but d’en constater la propriété et d’en assurer l’exclusivité. Cet armorial est réalisé par les d’Hozier, généalogistes du roi Soleil, et est édité en 1710. Pour autant, et en pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg, il s’agissait aussi de rapporter des recettes à la couronne endettée. En effet, tout particulier devait payer « tout au plus 25 francs », et toutes armes portées sans être déclarées étaient soumises à une très forte amende. D’ailleurs les commis, trop zélés, créèrent nombre (plus de la moitié de l’Armorial quand-même) d’armes dites d’office, complètement inventées selon leur créativité ou données mécaniquement selon des combinaisons de pièces, de meubles et de couleurs. Pour en revenir à notre Jean Racine, il aurait été très mal vu qu’un proche du roi (il en était l’historiographe à l’époque) ne paye cette taxe déguisée ! Aussi, il demande à Madame Rivière de l’instruire sur « les couleurs du chevron sur lequel grimpe le rat » et « les couleurs aussi de tout le fond de l’écu », et lui donnant quelques endroits où elle pourrait trouver ces informations.

F

Malgré cela, si l’on prend la peine d’aller regarder dans le Grand armorial de France d’Hozier, on remarque que Racine a pris pour armes « D’azur au cygne d’argent becqué et membré de sable. » en les ayant accolées à celles de son épouse, Catherine de Romanet (« D’azur au pal d’argent chargé de trois chevrons de sable, accosté de deux lions affrontés et lampassés (couleur de la langue) de gueules. »). Mais où est donc le rat ? Et bien Jean Racine explique dans cette même lettre qu’il le « choquait », tout simplement. Ainsi, il « avait seulement gardé le cygne », oubliant « ce vilain rat », cherchant sans doute à s’éviter les potentiels quolibets des autres courtisans. Et puis avouons que c’était tout à fait ridicule. D’ailleurs, Jean Racine raconte (toujours dans la lettre) que son grand-père avait fait un procès à un peintre qui, peutêtre connaissant mieux les us héraldiques, avait peint au lieu du rat un sanglier (brisant il est vrai le FAMEUX rébus).

k

17


p

q

F

Armes de Jean Racine et de son épouse, Armorial général de France de la famille d’Hozier, BNF

Ainsi, Jean Racine, en tant que frère aîné et fils de l’aîné, a changé pour la postérité les armes de toute sa famille car celles choisies par son aïeul ne convenaient pas à son goût. Cela est assez instructif sur ce qui a toujours fait l’héraldique : des choix personnels qui se transmettent de génération … jusqu’au prochain choix. Pour autant, essayons de retourner à cet état primordial en faisant un peu de reconstitution héraldique. Que sait-on de ces armoiries : elles comportent un cygne, un rat et un chevron (« sur lequel grimpe le rat »). Pour ce qui est du champ (du fond de l’écu) on peut supposer qu’il a gardé le même dans ses nouvelles armes et qu’il était donc d’azur. De même pour ce qui est de la couleur du cygne, et par ailleurs le rat sera difficilement d’une couleur autre que l’argent. Concernant la disposition des pièces à présent, cela est bien plus sujet à interprétation. En effet, on sait que le rat « grimpe » sur le chevron, mais cela ne correspond pas vraiment à du blasonnement. Cependant, on peut tout à fait imaginer un rat accompagnant le chevron en chef (dans ce cas le cygne sera disposé de même, au-dessus du chevron). Enfin, le fond étant d’émail (groupe des couleurs bleue, verte, rouge et noire), le chevron sera, selon la règle de contrariété des couleurs, de métal (argent ou or). On pourrait donc avoir, pourquoi pas : « D’azur à un chevron d’or accompagné en chef d’un rat et d’un cygne d’argent affrontés. ». Mais cela n’est qu’une interprétation, et je vous laisse vous aussi imaginer ces armes à votre guise. 1

Armes imaginaires de la famille Racine

Raphaël Vaubourdolle

Selon la règle de contrariété des couleurs, on ne peut poser un émail sur un émail (rouge sur vert par exemple) ou un métal sur un métal (argent sur or ou inversement) en héraldique. Cela sans doute dans un but de lisibilité des armes.

k

18


i Les Folles histoires de Papa Ours i Notre réalité...

P

Le réel, la réalité… Je dois dire que j’ai été quelque peu pris de court lorsque l’on m’a annoncé le thème de ce numéro. Nombre d’entre vous se dirait que cela semble aisé de trouver un mythe en rapport avec la réalité mais croyez-moi, cela ne l’est pas vraiment. J’ai donc dû affronter mon manque cruel d’inspiration et partir aux frontières de mon esprit pour réussir à trouver quelque chose qui allait à la fois me convenir et vous convenir. N’écoutant que ma bêtise, j’ai décidé de prendre le tout à contre-pied et de ne pas vous parler de la réalité mais de notre réalité. En effet, D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Certains auront peut-être reconnu la question apparemment insoluble posée par Paul Gauguin en 1897 dans son testament pictural tahitien. Je vous propose donc aujourd’hui de nous pencher sur les différentes explications que les peuples du monde ont imaginé pour expliquer leur réalité. Tantôt, dans le cas le plus courant, l’Homme est le point final de la création, invité à s’installer dans un monde si parfait qu’il ressemble au paradis, tantôt il est au contraire le premier élément de la création, chargé de donner forme au monde, de le cultiver et de l’embellir par son travail. Ainsi, chez les Fon du Bénin, les dieux jumeaux Mawu et Lisa entament leur travail en donnant vie, le premier jour, aux hommes. Le second jour, ils rendent la terre habitable, le troisième ils donnent aux hommes l’intelligence, le langage et les sens, et le quatrième seulement les arts et les techniques qui leur permettront de survivre.

La matière première

Pour fabriquer l’homme, le Créateur a recours à une matière première naturelle qui est le plus souvent une boule d’argile (chez les Hébreux, les Grecs mais aussi à Sumatra, aux Marquises…). Cette terre dont il est fait rattache indubitablement l’homme au monde dans lequel il vit, mais elle représente l’aspect le plus fruste, le plus matériel, qui ne saurait justifier la position de plus noble des créatures à laquelle il aspire. L’homme originel peut encore être sculpté dans la pierre comme chez les Toraja des Célèbes, dans un morceau de bois chez les Germains, ou encore

19


P

naître du bourgeonnement d’un arbre dans l’île Nias d’Indonésie, ou d’un plant de rhubarbe chez les Perses. Le Créateur n’a plus qu’à insuffler la vie dans ces créatures grossières. Mais cet original est bien souvent imparfait, et les dieux doivent parfois le rayer de la carte en faisant intervenir une catastrophe comme le déluge, ou reprendre leur travail, comme à Sumer où Mardouk, dans un deuxième temps de la création, mêlera à l’argile le sang d’un dieu secondaire, enrôlé parmi les forces du mal, afin de conférer à l’homme quelque chose de divin. Quant à Quetzalcóatl, chez les Aztèques, il arrosera de son propre sang les ossements des morts de la création précédente afin de donner naissance à l’homme nouveau, celui du cinquième Soleil. Parfois, à l’inverse, les premières créatures sont merveilleuses, si parfaites qu’elles ne peuvent se satisfaire de cet état de perfection et mettront tout en oeuvre pour le quitter. C’est le cas d’Adam et Ève ainsi que des créatures de l’âge d’or des Grecs.

L’un et le multiple

L’homme est parfois créé seul, comme Adam, mais Dieu comprend vite son erreur et lui donne rapidement une compagne, qu’il fabriquera à partir du corps d’Adam pour bien marquer sa dépendance, sans envisager les conséquences terribles de cet acte. Parfois aussi, il est abandonné à sa solitude, comme Kintu, l’homme primordial des Massaï qui vivait une vie paisible avant que la fille du dieu créateur ne s’éprenne de lui et ne lui fasse découvrir les joies du mariage et de la paternité, mais aussi la tristesse de la mort. Il arrive que l’être primordial soit double, c’est-à-dire androgyne, comme Yma, le premier être créé par Ahura Mazda, qui devra être séparé en deux pour pouvoir engendrer l’humanité. Mais le plus souvent, l’homme et la femme sont créés simultanément, c’est-à-dire que nos ancêtres sont soit un, soit plusieurs couples, comme les nommo des Dogon du Mali et comme l’attestent les innombrables statuettes africaines représentant le ou les couples originels. Que le couple des origines soit un ou multiple, sa capacité à croître et à se multiplier pour aller peupler l’ensemble du monde connu est une constante de tous les mythes. Restera alors à expliquer, pour tous les mythographes du monde, la maladie, la vieillesse et la mort. Gabriel Schmit, dit Papa Ours

y

20


2

L’apARTé scientifique

z

2

Les mythes et le Réel : archéologie biblique sous les murs de Jéricho et datation au carbone 14 Certains connaissent la fameuse tour de Jéricho du Sultanien -les 1A, je vous vois !- mais d’autres ont plus facilement à l’esprit la Jéricho biblique, prise par les Israélites de Josué. Ça ne vous dit rien ? Petit rappel donc : après la fuite d’Egypte, le peuple d’Israël se dirige, mené par Moïse, vers la Palestine. Quand celui-ci meurt, il nomme Josué comme successeur. Ce dernier dirige la conquête du pays de Canaan, racontée dans le Livre de Josué, en prenant successivement plusieurs villes. Mais Jéricho semblant imprenable, Dieu demande que les prêtres marchent en procession avec l’Arche d’Alliance et tout la populace autour de la ville sept fois pendant sept jours en soufflant dans des cornes de béliers et que le septième jour, les murs tomberont sur eux-même -ça c’est de la bonne poliorcétique comme on l’aime. Mais cela à une condition, que toute la ville soit détruite sans que l’on ne touche à rien et que tout l’or, le bronze et le fer soit dédié à Dieu dans son temple. Mais qu’en est-il des vestiges archéologiques ? En effet, l’archéologie biblique s’intéresse de très près à la recherche de preuves de la véracité de la Bible comme récit historique. C’est ainsi que John Garstang fouille de 1930 à 1936 à Tell es-Sultan, où l’on pense avoir localisé la ville. Tout correspond, le village voisin, er-Riha (de l’hébreu « Yeriho », Jéricho), est proche d’une source mentionnée dans les textes, on retrouve des murailles abattues à plat, sans brèches, comme sur elles-mêmes (sans doute par un tremblement de terre), et surtout, troublant, des jarres de nourriture calcinées, comme brûlées sur place, et pas une once de métal ! De plus, la datation, à l’aide de céramiques trouvées sur le site, colle avec celle de l’Exode dans la Bible, vers 1400 avant notre ère. Malgré tout, de nouvelles fouilles, réalisées en 1950 par Kathlen Kenyon, propose une datation au carbone 14 (mais aussi avec de nouvelles connaissances sur les productions céramiques de l’époque) bien différente de l’incendie : en 1550 avant notre ère. Elle indique donc que lors de l’Exode, si

2

2

21


2

2

l’on suit la datation biblique, la ville était en ruine et ne subsistait qu’une occupation domestique, non-protégée par des murailles.

Mais justement, quel est le fonctionnement de la datation au carbone 14 ? Nous ne reviendrons pas sur la formation de cet isotope du carbone, expliquée dans le dernier Petit ApARTé scientifique sur le Petit ge Glaciaire, paru sur le site, mais nous concentrerons sur le principe de radioactivité du carbone 14 servant à sa datation. Pour revenir aux bases, il s’agit donc d’un atome de carbone (comprenant six électrons) avec des neutrons en trop (quatorze au lieu de douze). Sa formation est continue dans l’atmosphère, où il se lie avec du dioxygène pour former du CO2, capté ensuite par les plantes puis par les autres êtres vivants (par ingestion). Cela fait que le taux de carbone 14 dans un organisme est à peu près constant. Mais pour autant cet élément est instable. Et la nature n’aime pas les choses instables -sauf nous, hein Billy ?-. On assiste donc à une désintégration du carbone et ainsi à de la radioactivité … Calmons-nous, ça va bien se passer ! Bien, arrêtons nous sur un atome. Il est constitué de protons, de neutrons et d’électrons -pour l’instant ça va- eux mêmes constitués de particules élémentaires appelées quarks -et oui, un atome (« insécable » en grec) est en fait sécable … deux fois, on n’arrête pas le progrès. Pour faire bref il existe plusieurs sortes de quarks dont les quarks down et les quarks up. Dans la désintégration du carbone 14, un neutron se désintègre en un proton, un électron (e-) et un antineutrino (⊽e) -flemme d’expliquer, dites vous que ça existe. En effet, le neutron est composé de trois quarks, un up et deux down. Or un des quarks down va se désintégrer pour donner un quarks up et un boson de jauge (une autre particule élémentaire, W-). Ce dernier étant très instable, il donne presque directement un électron et un antineutrino (comme indiqué précédemment). C’est ce que l’on appelle une radioactivité β-. Mais comme cela est assez aride, je vous laisse un beau schéma (appelé diagramme de Feynman) et une jolie petite équation :

2

2

z

22


2

2

On obtient ainsi un proton en plus et un neutron en moins, donc sept protons et treize neutrons ce qui correspond à -roulements de tambours- de l’azote (N) !

Enfin, c’est bien gentil tout cela, mais qu’en est-il de la datation ? Et bien lorsqu’un être vivant meurt, il n’ingère plus rien -enfin sauf dans The Walking Dead bien sûr-, ce qui fait qu’il ne se recharge plus en carbone 14. Or, celui-ci continue à se désintégrer, ce qui fait qu’un organisme a de moins en moins de carCourbe de désintrégration du carbone 14 bone 14 au cours du temps. Cette perte est régie par une loi exponentielle et la demi-vie (c’est à dire le temps nécessaire à la désintégration de la moitié des atomes de carbone 14 dans un corps) est connue (environ 5 734 ans), ce qui permet de dater un objet. Il y a ici deux méthodes : directe, en mesurant le nombre de désintégrations (grâce à la quantité d’électrons éjectés) pendant un certain temps, ou indirecte en comptant le nombre d’atomes isotopiques à l’aide d’un accélérateur de particules -Moumou en sueur- et d’un spectromètre de masse.

z

Cependant, en 1990, Bryant Wood remet en cause la datation de Kenyon du fait des imprécisions de la méthode du carbone 14. En effet le taux de production de ce cosmonucléide n’est pas stable au fil du temps et dépend du rayonnement solaire -allez voir sur le site, vraiment. Il penche donc plutôt pour une datation en 1450 avant notre ère (mais il est un peu le seul dans ce cas) et présente la Bible comme seule source écrite -certessûre … Mais qu’importe, réelle ou non la Bible permet de nombreuses découvertes par l’intérêt qu’on lui porte, n’est-ce pas le principal ?

2

2

Raphaël Vaubourdolle

23


Histoi'Art

Veiller au grain

Le Hollandais volant

11 juin 1881. « Au milieu d’une lumière rouge, on distingua nettement les mâts, les vergues et les voiles d’un brick à environ deux cents yards (soit environ 180 mètres) par bâbord avant. Le veilleur d’étrave signala le navire très proche et l’officier de quart le vit aussi, clairement, de la passerelle. Le midshipman de service l’aperçut également et fut envoyé sur le gaillard d’avant, mais, quand il y arriva, il ne put voir aucun signe de bateau matérialisé. La nuit était claire, la mer calme. Treize personnes au total ne pouvaient nier l’avoir vu. » Le duc d’York écrit ses mots avec fébrilité dans son carnet. Au même moment, le matelot de vigie en haut du grand mât bascule et tombe mort sur la passerelle. Le lien est évident pour celui qui sera le futur George V d’Angleterre : cet accident est lié à la vision du vaisseau fantôme qui ne peut être que le Hollandais volant alors que son bateau, Le Bacchante, naviguait vers Sydney. Hallucination collective ? Confusion avec un vaisseau existant ? Apparition surnaturelle d’un réel bateau maudit ? Dans tous les cas, journaux et carnets de bord le relatent : le Hollandais volant a été aperçu six fois à proximité du Cap de Bonne Espérance entre 1861 et 1960.

Des rumeurs naviguant de conserve

Imaginez une noire et puissante tempête au XVIIème siècle à la pointe sud de l’Afrique… Nous sommes en plein Vendredi Saint. Alors que la pluie bat la passerelle de badernes d’eau rugueuse dans un vent violent, les cris épouvantés des matelots font rage. Leur capitaine force son équipage à garder leur vitesse en riant comme en pleine extase, galvanisé par le danger imminent. Les marins refusent, tentent de le faire revenir à la raison en pleine panique à bord. Le capitaine lève alors le poing au ciel et tente de percer de son regard hystérique les menaçantes nues chaotiques. Sont-elles un signe d’avertissement divin ? Qu’importe, l’arrogant s’exclame alors, se damnant éternellement par la même occasion : « Je naviguerai, tempête ou pas tempête, Pâques ou pas Pâques. Je naviguerai, même pour l’éternité ! ». Qu’à cela ne tienne, il est alors maudit et erre

24


depuis ce funeste jour sur les flots. Cette punition divine rappelle ainsi qu’un comportement d’hybris, de défiance envers le Ciel, est toujours un acte d’imprudence sévèrement réprimandé par de puissantes malédictions. En effet, il faut garder en tête que le XVIIème est l’âge d’or du commerce maritime et que la concurrence européenne fait rage. Amsterdam est alors une place financière de premier ordre dans le monde grâce à la V.O.C (compagnie des Indes hollandaise). Composée de marchands aussi bien ingénieux qu’agressifs, de rouliers des mers parfois trop sûrs d’eux navigant jusqu’en Asie pour les épices, la V.O.C ne possède quasiment que des navires de commerce. Ceux-ci sont commandés par des aguerris de la cartographie, des connaisseurs des eaux imparables, des explorateurs fiévreux. Par exemple, Henrik Brouwer avait lancé le commerce des Hollandais aux Indes en passant par le Cap de Bonne Espérance. Abel Tassman avait lui exploré les Terres australes et découvert l’île qu’on nommera Tasmanie en son nom. Cette concurrence marchande bestiale qui alimente une fièvre financière et maritime en Europe donne lieu à de féroces rivalités. Les Anglais sont les premiers ennemis des Hollandais et ces derniers le leur rendent bien. Une haine tenace va naître entre eux, accrue en 1667 avec un acte impardonnable : le Néerlandais Ruyter mène un raid surprise en entrant dans Londres en remontant par la Tamise. Il s’empare alors du vaisseau amiral britannique. L’honneur anglais, blessé, se prend un monumental soufflet. Les navigateurs britanniques nourrissent depuis un incommensurable mépris encore plus tenace à l’encontre des Hollandais, en les fustigeant des plus horribles comportements et vices, en faisant répandre des rumeurs et des légendes de malédictions qui auraient frappé les Provinces-Unies. Celle du Hollandais volant en fait partie et naît ainsi. Pourquoi « volant » d’ailleurs ? Parce qu’habituellement, un navire met environs huit mois pour relier Amsterdam à l’île de Java. Notre vaisseau maudit lui n’en mettrait que cinq, donnant ainsi l’impression de flotter sur les vagues avec la légèreté et la vitesse du seul vent.

Une légende qui a le vent en poupe

En 1839, Frédérick Marryat, ancien marin anglais, est le premier à donner consistance à la rumeur du Hollandais volant. Il réunit tous les témoignages possibles des différentes histoires colportées dans les ports et les synthétise pour donner sa version de la sinistre histoire. Dans son roman du même nom, le fils du capitaine maudit embarque à bord du Ter

25


Schilling. En arrivant près du Cap de Bonne Espérance, il a alors la vision du vaisseau fantôme de son père : « À environ trois milles de distance, (…) était un grand vaisseau qui semblait lutter contre un ouragan violent, quoi qu’il fît un calme plat. Il plongeait et s’élevait sur une eau parfaitement tranquille : tantôt disparaissant sous les flots, tantôt se remontrant à la surface. Sa grand’voile et ses huniers étaient serrés, et il ne portait que sa misaine dont les ris étaient pris, une voile d’étais et une voile de senau sur son arrière. Ce bâtiment semblait poussé par la force du vent vers le Ter Schilling. À chaque instant on le distinguait mieux. Enfin on le vit virer de bord ; et pendant cette manœuvre il était à si peu de distance qu’on aurait pu compter les hommes sur le pont. Mais à ce moment une obscurité soudaine l’enveloppa, et on ne le revit plus. » Le roman est un retentissant succès et devient un livre de chevet européen prisé, un classique de la littérature maritime d’aventure. Richard Wagner s’empare lui-aussi de la légende après un pénible voyage en mer. Partition et crayon en main, le voilà déjà en train de composer son opéra Le Hollandais volant : le capitaine devient un héros romantique qui cherche à laver son péché d’orgueil pour enfin être pardonné et retrouver la paix dans une puissante et angoissante musique. Victor Hugo, amateur de spiritisme et de fantastique, compose lui quelques vers dans un poème de La Légende des siècles : « C’est le Hollandais, la barque / Que le doigt flamboyant marque / L’esprit puni !/ C’est la voile scélérate ! / C’est le sinistre pirate / De l’infini. » Le cinéma aussi s’empare de la légende, notamment dans Pandora and the Flying Dutchman d’Albert Lewin en 1951 ou encore, bien évidemment, dans Pirate des Caraïbes. En effet, Calypso crée le bateau Le Hollandais volant pour Davy Jones qui doit conduire pendant dix ans l’âme des défunts morts en mer au bout du monde. De quoi avoir des frissons dans le dos si vous décidez de faire un jour une croisière près du cap de Bonne Espérance ! On attend vos témoignages et reportages photos au journal avec impatience ! Laureen Gressé-Denois

Envie d’un instant musical ? Scannez ce QRcode pour écouter l’opéra de Wagner !

26


Point d’information ! Évènements de l’ArchéoClub Les métiers de l’archéologie

19 février à 18h, amphithéâtre Imhotep Table ronde avec Bénédicte Lhoyer et Lionel Marti

Evènements du Défilé de l’Histoire Le Grand Troc

Collecte du lundi 09 au mercredi 11mars, cafétéria Objectif : Permettre aux élèves de se débarrasser d’affaires qu’ils n’utilisent plus et à d’autres élèves d’obtenir des objets ou vêtements à moindre coût ; mais aussi de créer des liens entre les élèves au sein de l’école dans une initiative sociale et écologique en donnant une seconde vie à leurs objets. Plus d’informations à venir sur les réseaux sociaux du Défilé de l’Histoire

Crédits photographiques :

Couverture : © Eloïse Briand Page 3 : Image Wikimedia Commons Pages 4 à 6 : Images Wikimedia Commons Page 5 : © Inès Amrani Page 6 : © Anna Aubourg Page 7 : Cadre de publicdomainvectors.org Pages 8 et 9 : © Eve Tahir Page 10 : Image libre de réutilisation provenant de Google Images Page 11 : © Mylène Natour Page 12 : Affiche de l’Académie du Palais Royal Pages 14 et 15 : © Eloïse Briand Page 18 : Armorial Général de France de la famille d’Hozier - BNF Page 18 : © Raphaël Vaubourdolle Page 22 : Image Wikimedia Common Page 23 : Image tirée d’un article du site les Crises Pages 24 à 26 : Le Hollandais volant, Charles Temple Dix - Domaine public Troisième et quatrième de couverture : © Inès Amrani

27



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.