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Art, antique et handicap

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Edito

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Le terme «handicap» vient de l’anglais «hand in cap» (littéralement, «la main dans le chapeau») et désigne une pratique des courses hippiques autour de 1754. A l’époque on désavantageait les favoris (en leur bloquant un bras par exemple) afin de rééquilibrer la course. Pourtant en traversant la mer et les années, le terme a évolué pour finalement qualifier les personnes désavantagées par le système en place. Selon les termes de l’OMS : «constitue un handicap, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives, psychiques ou d’un trouble de santé invalidante». Cette définition regroupe donc les maladies invalidantes, les handicaps moteurs, psychiques, mentaux et sensoriels, et se veut universelle. Mais dans l’Antiquité la perception et la considération du handicap varie selon la culture. Quelles sont alors les représentations du handicap dans l’art antique ? La rareté des sources me contraint malheureusement à me concentrer sur trois zones culturelles autour de la Méditerranée : la Mésopotamie, le monde gréco-romain et l’Égypte. Commençons par la Mésopotamie. Le handicap, l’infirmité ou la maladie sont perçus comme des punitions d’origine divine à l’encontre d’un individu. Par exemple l’épilepsie est appelée «Main de Sâmash» (divinité du Soleil et de la Justice). Une tablette écrite en cunéiforme et datant de 2 800 avant J.C. fait état de «monstres». Les enfants présentant des difformités ou infirmités sont tués dès la naissance, aussi le handicap n’est pas représenté dans l’art, ni présent dans la mythologie. La médecine est présente mais ne traite que les maladies, bien que des études aient été réalisées sur les troubles mentaux. Les tablettes sont donc les seuls témoignages.

Dans la Grèce et dans la Rome antique les enfants présentant des différences physiques sont interprétés comme une mise en garde à l’encontre d’une population. Ils sont alors exposés (abandonnés sur un site élevé, dans la nature) afin de calmer la colère des dieux. Dans l’art, le citoyen grec ou romain doit adopter une musculature esthétique ou des traits juvéniles, la femme quant à elle est dissimulée par son chiton, ou bien nue et sensuelle. L’imperfection n’a pas sa place. Mens sana in corpore sano. Seuls les mutilés de guerre sont pris en charge par la cité, en remerciement pour leur bravoure. Alors pour trouver des traces d’altération physique il faut se tourner du côté des mythes : Commençons par parler cécité avec Tirésias et Phinée. Tirésias perd l’usage de la vue lorsqu’il surprend Athéna au bain. Celle-ci décide alors de lui offrir un don : celui de comprendre le langage des oiseaux, afin qu’ils puissent le guider. Il deviendra devin à Thèbes et répondra aux questions d’Oedipe, luimême exposé à la naissance en raison de son pied difforme et qui se crèvera les yeux après avoir découvert son parricide et son inceste. Si pour Tirésias c’est sa cécité qui lui apporte le don de voyance, Phinée, devin romain, est au contraire rendu aveugle par les dieux pour avoir délivré des prédictions à tout va. Ils ne sont cependant pas représentés dans l’art. Ensuite certains personnages présentent un handicap moteur. Si les dieux doivent incarner la perfection et l’idéal, il en est un qui déroge à la règle : Héphaïstos. Né difforme ou non, Héra (ou Zeus selon les versions) le jette du haut de l’Olympe. On ne s’étonnera donc pas de le voir décrit comme «boitant» ou représenté assis sur un rocher comme sur le cratère en calice des Niobides du Musée du Louvre, la station debout lui étant pénible (enfin lorsqu’il ne forge pas des armes olympiennes). Côté mortels, je suis tombée sur un cas intéressant. Pélops, fils de Tantale, se fait découper et rôtir par son père qui souhaite entourlouper les dieux. En voyant le repas que Tantale leur amène, ils se rendent immédiatement compte de l’atrocité, excepté Déméter qui, toujours éprouvée par la disparition de sa fille Perséphone, avale un morceau de l’épaule. Les dieux rendent alors la vie à Pélops et remplacent l’épaule croquée par de l’ivoire : et voilà, la première prothèse était née.

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Kylix du peintre de la fronderie: Héphaistos remettant les armes à Thétis -Berlin

L’Egypte quant à elle est sans doute la civilisation au sein de laquelle le handicap physique a le plus été représenté. En effet, contrairement à de nombreuses civilisations, «l’infirme» est intégré à la société et peut même exercer de hautes fonctions. De plus, les règles de convention souhaitant représenter le plus de détails possible, ainsi que la grande individualisation dont témoignent les portraits royaux et privés, contribuent à la présence de corps et de handicaps divers. Si le sujet vous intéresse je vous invite à étudier la thèse de M2 de Bénédicte Lhoyer qui m’a été d’une aide précieuse pour la rédaction de ce qui va suivre, qui n’est qu’un échantillon de toutes les représentations.

Pour commencer, plusieurs hauts fonctionnaires de l’Ancien Empire sont atteints de nanisme, comme l’attestent la statue de Seneb aux côtés de son épouse et de ses enfants, ou encore le sarcophage de Djeho. Ensuite on retrouve des handicaps liés à différentes maladies : hyperlipodystrophie de la reine de Pount, ou encore la poliomyélite du prêtre Ruma, visible sur sa stèle. Je ne pouvais pas terminer cette partie sur l’Egypte sans mentionner les représentations de musiciens aveugles, issus de la traduction du “Chant du harpiste”, un texte poétique recouvrant un mur d’une tombe telle que celle de Nakht au Nouvel Empire ...

Sarcophage de Djeho -Caire

Harpiste aveugle de la tombe de Nakht -Thèbes

Les différentes formes de handicap, dans les rares cas où elles sont tolérées, ne sont donc pas représentées à la même fréquence. Aujourd’hui encore les représentations d’individus en situation de handicap dans l’art et la culture sont rares et ne prennent en compte bien souvent que des handicaps dits visibles (une personne à mobilité réduite par exemple), tandis que les personnes atteintes de surdité ou de handicaps mentaux ont encore moins de visibilité. Ces rares représentations dans l’art et la culture témoignent en réalité du manque d’intégration des personnes en situation de handicap et de leur diversité dans la société, ou plutôt du manque d’adaptabilité de la société, et ce encore aujourd’hui. Lilou Feuilloley

Sources : • site de l’OMS • cours d’histoire de la médecine de Première Année de PASS • cours d’histoire général de l’Art Egyptien de Jean-Luc Bovot • Les Altérations corporelles dans l'image à l'Ancien Empire,Thèse de M2 de Bénédicte Lhoyer

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