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Dodge : un blason tres explicite...ou pas
from LB n°59 : PASSÉ/
by Louvr'Boîte
Hérald’ 8 Hic! 8
Non non, nous ne sommes plus dans notre journal Explicite du début d’année ! Le thème est ici tout autre : il s’agit de s’attarder sur les blasons révélateurs d’un métier, parfois disparu aujourd’hui. Mais une fois n’est pas coutume, nous allons le faire via des armoiries un peu particulières et peu révélatrices en vérité d’un phénomène global.
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En effet, il est faux de penser que l’héraldique ne touche que l’aristocratie, militaire d’abord puis de robe.
DCertains parlent alors d’« héraldique pour tous », insistant sur le côté populaire de cette pratique qui aurait atteint les plus basses classes de la société médiévale, du bourgeois citadin au plus simple des serfs. Il faut néanmoins moduler cette théorie : elle n’est pas vraie partout en Europe et l’héraldique a été utilisée exclusivement par des détenteurs d’une quelconque autorité (devant donc sceller des documents et optant alors pour des armes comme signature) ou à usage puArmoiries de Richard blicitaire par des artisans. Ainsi, le paysan « maire » de sa communauté ou s’occupant de telle ou telle structure (un moulin par exemple) pour son suzerain pourra le Maçon, s’occupant d’une vigne pour Jehanne de Pressy, dans les Hommages du comté prendre armes. De même pour les diverses armoiries de Clermont-enpublicitaires ou marques de forgerons représentant des Beauvoisis, XVe siècle marteaux, des armures, des enclumes… Mais dans certains royaumes d’Europe, la noblesse est plus pauvre ou moins aristocratique. C’est le cas de la Hongrie ou de la Transylvanie, où celle-ci est composée en très grande partie de très petits nobles (les armalistae), vivant presque comme des paysans mais étant libres et non-corvéables, exemptés d’impôts et qui ne devaient obéissance qu’au roi. Il est alors moins surprenant de trouver des armoiries révélatrices de professions plus prosaïques. De même lors de l’anoblissement d’un ancien artisan ou bourgeois, qui va alors représenter sur ses armes, s’il s’agit d’un motif de fierté ou de la cause de son anoblissement, sa profession première. Et il s’agit, pour ces deux particularités, du cas de notre Istvan Varallyay. b 28
8Mais commençons par les armoiries de ce brave 8homme, voulez-vous ? Nous pourrions les blasonner ainsi : « D’argent à un dextrochère d’argent paré de sinople, tenant un maillet d’argent, accompagné en pointe d’une verge d’argent. » Quelle composition étrange n’est-ce pas ? Pourtant elle prend tout son sens quand l’on connaît le contexte de sa création.
Nous sommes le 8 octobre 1599, à Alba Iulia dans la principauté de Transylvanie (aujourd’hui Gyulafehérvár, en
Roumanie). Istvan Varallyay dit « Huszti » (« de Houszt », aujourd’hui Khoust en Ukraine) est anobli par l’éphémère Armoiries d’Istvan Varallyay, 1599 roi András Báthori de Transylvanie pour le récompenser de sa dextérité en tant que hongrier (un castrateur d’étalons, ce qui fait donc d’Istvan un hongrier hongrois …). Il obtient alors des armoiries (que voici) et une exemption de taxes, du fait de sa nouvelle qualité de noble, pour ses terres à Huszt. Les lecteurs les plus attentifs de cette rubrique remarqueront que j’ai maintes fois insisté sur l’impossibilité de connaître avec précision le pourquoi d’une composition héraldique. Pourtant, dans ce cas précis, cet anoblissement a donné lieu à un compte rendu, peut-être officiel, encore conservé. Ne me demandez pas où cependant, ni même quelle en était la forme, je suis en effet incapable de le rechercher dans les banques de données hongroises, pour la simple et bonne raison que ces dernières sont écrites … en hongrois. Je vous transmets donc ici seulement le passage correspondant au cas qui nous intéresse, comme cité dans plusieurs ouvrages traitant d’héraldique hongroise. Notez qu’il s’agit d’un texte latin, langue administrative en Hongrie jusqu’au début du XXe siècle. Le rédacteur y décrit les armoiries d’Istvan Varallyay et leurs éléments para-héraldiques (notamment le heaume les surmontant et ses lambrequins), de même que les raisons de cette composition.D
Scutum videlicet triangulare coelestini coloris, in cuius campo dextra hominis manus cum suo brachio malleum ligneum sursum porrectum tenere ac membrum equinum inferiori scuti parte positum quodammodo ferire conspicitur, ut scilicet non solum muneris ipsius Stephani Varralliay decurionatus, in quo strenuum se semper praestitit, sed artis etiam suae in castrandis et evirandis sine ullo periculo equis, certissimam extaret argumentum.
Supra scutum galea militaris clausa est posita, ex cono autem galeae taeniae sive lemnisci variorum colorum hinc inde defluentes utramque scuti partem pulcherrime ambiunt et exornant. b 29
8Les armoiries d’Istvan Varallyay représentent donc sa profession 8de hongrier. La verge est alors un organe équin et le dextrochère (bras) en frappe les testicules avec un maillet. Cet ensemble paraît décrire une méthode de castration des étalons dont je n’ai trouvé mention que dans un ouvrage vétérinaire allemand du XIXe siècle (je vais vraiment trop loin pour cette rubrique) qui utilise lui-même le subjonctif en la décrivant : à prendre avec des pincettes donc mais les armes de notre nouveau noble permettent sans doute d’accréditer cette hypothèse. Voici ladite méthode : le hongrier saisissait le scrotum (le petit sac des testicules) et frappait ce dernier avec un maillet en bois pour en détruire la structure interne (mes excuses à tous ceux qui, comme moi, ont eu mal à l’entre-jambe en lisant ceci). Cette technique aurait eu l’avantage de laisser aux hongres une apparence d’étalon, en ne pratiquant pas l’ablation des testicules.
Ainsi donc, l’héraldique peut aussi être un support de scènes bien plus prosaïques que ce à quoi nous pourrions nous attendre. Hors des jugements simplement décoratifs, des jeux de mots et des marques d’allégeances, il faut aussi parfois considérer cette infime part des armoiries qui, par la nature plus modeste ou nouvellement noble de leurs porteurs, sont le support parfait de métiers du passé et nous apportent un regard nouveau sur ces pratiques héraldiques. Raphaël VaubourdolleD
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