L'Algérie et les Algériens

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IER - MARS 2010 DOM/S 7.60 € - TOM/S 980 XPF - BEL 7.60 € - LUX 7.60 € - ALL 7.90 € - ESP 7.60 € - GR 7.60 € - ITA 7.60 € - PORT.CONT 7.60 € - CAN 9.95 $CAN - CH 13.50 FS - MAR 65 DH - TUN 7.5 TND - MAY 9 € ISSN 01822411

Les Collections de L’Histoire - trimestriel janvier 2010 - Les grandes migrations - N°

LES COLLECTIONS

L’ALGÉRIE ET sous-titre de la couverture LES ALGÉRIENS Des royaumes berbères à l’indépendance


Sommaire

Les Collections de L’Histoire n° 55 - Avril-juin 2012

L’Algérie et les Algériens

Des royaumes berbères à l’indépendance 4 Repères : l’Algérie de Jugurtha à Bouteflika

36 La révolte du bachaga Mokrani

6 Chronologie

par Pierre Darmon 41 Le rêve arabe de Napoléon III

Chapitre 1 Le temps des Berbères 10 Il était une fois les Berbères entretien avec Gabriel Martinez-Gros 12 Jugurtha superstar ! par Slimane Hachi

18 Une province de l’Empire ottoman

entretien avec Isabelle Grangaud 22 La Casbah d’Alger par Daniel Ferriol

Chapitre 2 Le temps des Français 26 Une guerre interminable par Marc Michel 31 Français mais pas citoyens par Sylvie Thénault

32 Main basse sur les terres par Bernard Droz 35 Les colons ruraux, une minorité

par Daniel Rivet

42 130 ans d’aveuglement par Michel Winock

Chapitre 3 La déchirure 46 Naissance d’une nation

par Charles-Robert Ageron

52 Questions sur une guerre d’indépendance

entretien avec Raphaëlle Branche 54 Sétif : enquête sur un massacre par Guy Pervillé

62 Dans les coulisses des accords d’Évian

par Chantal Morelle et Maurice Vaïsse 64 Le jour où de Gaulle a décidé l’indépendance par Guy Pervillé

68 Combien de morts ?

par Guy Pervillé 70 Ces pieds-noirs qui sont restés par Pierre Daum

par Didier Guignard

Chapitre 4 Un jeune pays de 50 ans 72 La prise du pouvoir par le FLN entretien avec Amar Mohand Amer

74 Pétrole, socialisme et dictature par Benjamin Stora

82 Comment on raconte l’histoire aux Algériens entretien avec Abdelmadjid Merdaci 87 La guerre des mémoires va-t-elle enfin finir ?

entretien avec Benjamin Stora

88 Les défis d’une société rentière entretien avec Nadji Safir 91 « Une exceptionnelle proximité humaine entre nos deux pays » entretien avec Xavier Driencourt

94 Lexique 96 A lire, voir et écouter En partenariat avec l’exposition « Algérie 1830-1962. Avec Jacques Ferrandez » au musée de l’Armée, à Paris, à partir du 16 mai (cf. p. 96).

Abonnez-vous page 81 - Toute l’actualité de l’histoire sur www.histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse). 8 - Les Collections de L’Histoire N°55


1 ETHEL DAVIES/AGE FOTOSTOCK

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Djemila « la belle »

Située sur les hautes plaines de Sétif, l’antique cité romaine fut construite en 98 et abrita jusqu’à 10 000 habitants (ci-dessus, le temple de Septime Sévère, empereur romain d’origine berbère).

Le temps des Berbères Les royaumes berbères apparaissent au iiie siècle av. J.-C. Romanisés, christianisés, puis islamisés, les Berbères reconstituent au Moyen Age de puissantes dynasties avant d’être conquis par les Ottomans.


Prisonniers berbères

DE AGOSTINI/LEEMAGE

Le royaume berbère de Numidie s’allia à Rome dans sa guerre contre Carthage puis s’opposa à la puissance romaine. Cette mosaïque romaine du Ier siècle ap. J.-C., conservée au musée de Tipasa, figure des captifs berbères.

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Il était une fois les Berbères

Berbères : c’est ainsi qu’on appelle les premiers habitants de l’Algérie. Il y eut la domination romaine puis la christianisation, la conquête arabe et l’islamisation, puis la régence ottomane. Les cultures berbères ont pourtant résisté depuis 2 000 ans. Entretien avec Gabriel Martinez-Gros

à savoir x Les Premiers

habitants

Les premières traces de l’homme moderne en Afrique du Nord remontent à plus de 40 000 ans. Les fouilles d’Afalou bou R’mel, près de Bejaïa, dirigées par Slimane Hachi, ont notamment mis au jour, depuis les années 1980, des objets, outils et restes divers vieux d’environ 20 000 ans. Chasseurs et pêcheurs, qui consommaient mouflons à manchettes aussi bien qu’escargots et fruits de mer, ont modelé des statuettes d’hommes et d’animaux en terre cuite qui révèlent un traitement original de l’argile. Ces œuvres d’art, vieilles d’environ 15 000 ans, sont les plus anciennes d’Afrique. Attentifs à leurs morts, ils ont constitué des nécropoles, indice d’un fort développement sociétal : enterrer au même endroit sur plusieurs générations, peut-être autour d’un personnage important, suppose, en effet, l’idée de mémoire et de transmission.

L’auteur Gabriel Martinez-Gros est spécialiste du monde musulman à l’époque médiévale et professeur à l’université de ParisOuest-NanterreLa Défense. Il a notamment publié Identité andalouse (Arles, SinbadActes Sud, 1997) et Ibn Khaldun et les sept vies de l’Islam (Arles, Sinbad-Actes Sud, 2006).

L’Histoire : Quelles sont les premières traces d’une civilisation berbère ? Gabriel Martinez-Gros : Il est de tradition de considérer les Berbères* comme les premiers occupants de l’Afrique du Nord, ceux qui sortent de l’ombre lorsque l’écriture y apparaît, dans la première moitié du premier millénaire avant notre ère, avec Carthage. On l’a souligné au temps de la colonisation : l’histoire, au Maghreb, est venue d’ailleurs. Elle commence avec l’établissement des Phéniciens sur le site de Carthage, et c’est à partir de ce foyer phénicien (on dit aussi punique), que se déploient la culture urbaine et les organisations politiques monarchiques en Afrique du Nord. Au iiie siècle avant notre ère, sur le territoire de l’actuelle Algérie, émerge le royaume de Numidie, qui affirme sa puissance dans l’alliance avec Rome, contre Carthage, avec le règne de Massinissa. Sa première capitale est Cirta, l’actuelle Constantine. Ces pouvoirs berbères sont les premiers dont l’histoire nous ait été

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transmise. La deuxième guerre punique en particulier (218-202) est l’occasion pour Massinissa d’agrandir son territoire, qui s’étendit alors sur l’essentiel du nord de la Tunisie et de l’est de l’Algérie d’aujourd’hui. Ces pouvoirs autochtones se maintiennent jusqu’en 46 av. J.-C. quand la Numidie devient une province romaine. L’H. : Les Numides ont-ils été romanisés ? G. M.-G. : C’est une question très discutée. A l’époque de la colonisation, lorsque les historiens s’efforcent d’écrire l’histoire de l’Afrique romaine, on insiste sur l’étendue de l’assimilation des populations autochtones, en tout cas de la partie orientale de l’Algérie. L’argument est que sa précoce et rapide christianisation témoigne d’une assimilation accomplie à l’époque romaine. Le nombre d’évêchés, de basiliques, d’auteurs chrétiens originaires du Maghreb témoignent, dès le iiie siècle, de cette conversion précoce. D’autres ont, au contraire, insisté sur le caractère très >>>


ROGER-VIOLLET

Le port d’Alger

Le port d’Alger était protégé par des îlots qui ont donné leur nom Al-Jazaïr (« les îles ») à la ville, qui naît à la fin du xe siècle. La jetée a été construite en 1529 par le fondateur de la puissance d’Alger Khayreddin, qui fortifia la ville (gravure du xviiie siècle mise en couleurs).

Une province de l’ Empire ottoman En 1518, le corsaire Khayreddin prend Alger. Il est nommé gouverneur par le sultan d’Istanbul. C’est le début de la Régence ottomane. Elle durera trois cents ans. Entretien avec Isabelle Grangaud

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x Le corsaire devenu roi xve siècle. Le corsaire prit Alger

en 1518 et fit allégeance au sultan Sélim Ier qui le nomma gouverneur de la province d’Alger et lui accorda son aide militaire. En 1533 Soliman le Magnifique le fit grand amiral de la flotte ottomane.

demande de ses habitants pour faire pièce aux prétentions espagnoles qui occupaient alors, entre autres places, le Penon, l’îlot faisant face à la ville. Trois ans plus tard, c’est Khayreddin qui prit la tête de la ville. Son destin singulier de guerrier devenu roi en fit un personnage mythique, dont la légende née au xvie siècle persista tant au Maghreb que dans le reste de l’Empire et en Europe. En retour de son allégeance, le sultan d’Istanbul le nomma gouverneur (beylerbey) et le distingua du titre de pacha. Il consacrait la naissance d’une nouvelle province de l’Empire dont la capitale était Alger, dès lors promise à un rayonnement régional inédit.

Au début du xvie siècle, l’Empire ottoman, au faîte de sa puissance, étend sa domination aux provinces arabophones. Tout se passe très vite. En 1517, l’Empire mamelouk s’effondre et Égypte, Syrie et Palestine passent sous le joug ottoman. Plus tard, en 1574, l’Irak, longuement disputé aux Safavides de Perse, est à son tour intégré à l’Empire ; à la même date, Tunis est définitivement enlevée aux Espagnols et l’ancien royaume hafside à son tour érigé en province ottomane. Seul au Maghreb, le Maroc n’entra pas dans l’orbite de l’Empire. L’assise ottomane sur la région fut en revanche lente à s’imposer. En de nombreux points de l’intérieur, l’autonomie des >>>

portrait peint par nigari en 1540, istanbul, topkapi ; collection dagli orti

Originaire de Mytilène, Khayreddin dit Barberousse se fit marin, comme ses frères, et s’enrôla comme corsaire sous la bannière ottomane. Il facilita l’exil des derniers Juifs et musulmans de la péninsule Ibérique vers l’Empire ottoman à la fin du

L’Histoire : Comment les Ottomans ont-ils pris pied en Algérie ? Isabelle Grangaud : En 1518, le corsaire turc Khayreddin, dit Barberousse, qui venait de se rendre maître d’Alger, fit allégeance au sultan Sélim Ier. Il obtint de lui une aide militaire qui lui permit d’asseoir son autorité à Alger et d’étendre son pouvoir à l’ensemble du Maghreb central. Khayreddin était originaire de Mytilène, une île de la mer Égée passée aux Ottomans dans la seconde moitié du xve siècle. Comme ses frères, il s’était fait marin, et s’était enrôlé comme corsaire sous la bannière ottomane. En 1515, son frère aîné, ‘Arûdj, établi à Bejaïa (Bougie) à l’Est, s’était emparé d’Alger, à la

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L’auteur Isabelle Grangaud est chargée de recherche au CNRS et à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam, Aix-en-Provence). Elle a notamment publié La Ville imprenable. Une histoire sociale de Constantine au xviiie siècle (EHESS, 2002).


L’incendie de Tizi Ouzou

ROGER-VIOLLET

Parti en mars 1871 du Constantinois, à l’initiative du bachaga Mokrani (page de droite, sur un portrait supposé le représenter), le soulèvement kabyle touche les principaux postes où vivent des colons. Les renforts français venus d’Alger sauvent les gens, non les bâtiments.

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La révolte du bachaga Mokrani

En mars 1871, le Constantinois et la majeure partie de la Kabylie se soulèvent sous la houlette du bachaga Mokrani, fervent admirateur de Napoléon III. Au mois d’avril, 100 000 combattants affrontent les Français. L’enthousiasme est immense : il faudra neuf mois pour en venir à bout. Par Pierre Darmon

dr

D

ès le 15 septembre 1870, le général Durrieu, gouverneur général de l’Algérie, signale dans son rapport au gouvernement de la Défense nationale : « Un mouvement insurrectionnel, impossible à prévenir et susceptible de devenir général, me paraît imminent et avec le peu de troupes dont je dispose, je ne saurais prévoir la gravité de ses conséquences1. » A cette date, la France vient d’essuyer le désastre de Sedan, l’Empereur est prisonnier, ­l’ancien gouverneur général, le prestigieux maréchal de Mac-Mahon, a été blessé, et, dans les tribus, les tirailleurs indigènes* qui ont vécu les défaites de Reichshoffen et de Wissembourg colportent des ­détails terrifiants sur les tueries dont ont été victimes les soldats français. L’incroyable vient de se produire. La puissance tutélaire, incarnation de prestige et d’invincibilité, a été jetée à terre. En Kabylie et dans une grande partie du Constantinois,

on assiste à un manège insolite. Des ­tribus emplissent leurs silos, se ­procurent de la poudre par la ­Tunisie, Malte ou Gibraltar. Les chevaux sont retirés des charrues et nourris d’orge, c’est-à-dire entraînés pour la guerre. Bétail et objets précieux sont repliés sur les montagnes ou les ksours2. Les caïds* ­fidèles à la France ­réclament des armes et l’autorisation ­d’augmenter le nombre de leurs deïra ou ­cavaliers d’escorte3.

Dès le mois de février, un nom est sur toutes les lèvres, celui de Mokrani. C’est l’une des plus prestigieuses figures de l’administration française. Issu d’une antique lignée, d’une bravoure légendaire, riche et libéral jusqu’à la prodigalité, groupant autour de lui quatorze caïdats confiés à ses parents, le bachaga Si Mohammed ben el Hadj Hamed el Mokrani disposait à l’origine d’une large souveraineté sur les territoires bordant son fief de Bou Arreridj. Familier des Bureaux arabes, il disait avec orgueil qu’il appartenait à l’armée française et ne se soumettrait jamais aux ordres d’un gouvernement civil. Son double attachement à l’islam et à la France était gravé dans son imaginaire. Il prétendait descendre à la fois de Fatima, fille du Prophète, et de la famille Montmorency dont l’un des membres, échoué sur les côtes de la Barbarie au temps des croisades, se serait converti à l’islam et aurait épousé une musulmane. Vers 1850, Mokrani cumule d’importants droits féodaux et domaniaux et dispose d’attributions

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L’auteur Pierre Darmon est ancien directeur de recherche au centre RolandMousnier (UMR 85 96). Spécialiste d’histoire de la médecine et de l’Algérie, il est né et a grandi à Oran. Il a notamment publié Un siècle de passions algériennes. Une histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1940 (Fayard, 2009).


Pétrole et gaz

farouk batiche/afp

ali djenidi/gamma-rapho

98 % des exportations de l’Algérie sont les hydrocarbures (ci contre, le port d’Arzew). Mais cette économie rentière ne crée pas assez d’emplois (au centre, manifestation d’étudiants le 14 mars 2011 devant la Présidence à Alger).

Les défis d’une société rentière De façon surprenante, l’Algérie n’a pas été touchée par les mouvements du « printemps arabe ». Nadji Safir nous donne les clés politiques, sociales et économiques pour comprendre ce paradoxe. Entretien avec Nadji Safir L’auteur Nadji Safir a notamment été de 1968 à 1994 chercheur et enseignant à l’Institut de sociologie de l’université d’Alger, avant de devenir chef de Département à la présidence de la République puis à l’Institut national des études de stratégie globale. De 1996 à 2007, il a été fonctionnaire de la Banque africaine de développement.

L’Histoire : Pourquoi le « printemps arabe » semble-t-il avoir contourné l’Algérie ? Nadji Safir : Pour trois raisons majeures. La première tient au passé récent. L’Algérie a subi un traumatisme dans les années 1990 en raison d’un terrorisme d’une violence exceptionnelle qui a causé la mort de dizaines de milliers de victimes. Les Algériens ont aujourd’hui peur des risques liés à un processus de changement violent. Un des signes patents en est le faible succès des appels à manifester au cours de l’année 2011. La deuxième est que l’Algérie connaît déjà une grande partie des avancées démocratiques réclamées par les contestataires des autres pays : un multipartisme,

au moins formel, et une relative liberté de la presse écrite, même si la télévision et la radio sont encore un monopole d’État. Ces avancées sont perçues positivement par l’opinion publique. La troisième tient à l’utilisation par le pouvoir des ressources financières considérables liées à la rente pétrolière pour satisfaire les différentes revendications populaires et acheter la paix sociale. L’H. : L’Algérie ne sera donc pas touchée ? N. S. : Nul ne peut le dire. En l’absence de mouvements majeurs, on peut avoir l’impression que la population est satisfaite mais il règne dans le pays un climat permanent de contestation qui prend la forme

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d’émeutes plus ou moins importantes qui se focalisent plus sur le niveau local que central. Ainsi, sur une année, selon ses propres estimations, la police est intervenue près de 10 000 fois, soit environ une fois par heure. Les différentes catégories de population montrent ainsi leur insatisfaction sans provoquer de changement de fond car il convient de préserver l’équilibre général fondé sur la redistribution de la rente dont chacune bénéficie, peu ou prou. Finalement, le principal potentiel de contestation vient des jeunes sans emploi ; le taux de chômage des jeunes est de l’ordre de 30 à 35 %. C’est conscient de ces contraintes que, dans son discours du 15 avril 2011, le président Bouteflika a


xinhua/gamma-rapho

annoncé un programme de réformes, débouchant notamment sur la possibilité de créer de nouveaux partis politiques. Le processus est en cours et des élections législatives se tiendront le 10 mai 2012. L’H. : Vous parlez d’économie rentière, mais l’Algérie peut-elle devenir un pays émergent ? N. S. : Actuellement, on peut presque parler de caricature d’économie rentière car, en dehors des hydrocarbures, l’Algérie ne produit plus rien de significatif. En 2010, les hydrocarbures représentent 35 % du produit intérieur brut – ainsi que 67 % des recettes de l’État et 98 % des exportations – alors que l’industrie y contribue pour 5 % et l’agriculture pour 8 %. Si on compare la production industrielle manufacturière à ce qu’elle était en 1989, elle a chuté de près de moitié. L’Algérie est devenue l’un des premiers importateurs de céréales au monde et les importations alimentaires représentent, en 2011, 9 à 10 milliards de dollars. En fait, une « économie de bazar fondée sur le conteneur » se développe : on importe n’importe quoi, souvent de Chine, alors que ces marchandises auraient pu être produites sur place et que le chômage des jeunes est très élevé. C’est d’autant plus inquiétant que tous les jeunes sont concernés, diplômés ou non et que les politiques qui les visent de manière spécifique sont peu efficaces en raison

Le partenaire chinois

La Chine est un partenaire important du pays. Le 18 octobre 2009, le ministre des Transports publics, Amar Ghoul, inaugure avec l’ambassadeur Liu Yuhe un tronçon de l’autoroute Est-Ouest construite par un groupe chinois.

des contraintes du modèle de croissance en œuvre. Le principal problème avec les hydrocarbures, c’est que, si les ressources qui en sont issues ne servent pas à créer les conditions effectives de la production durable de nouvelles richesses, le pays en les exploitant s’appauvrit car il puise dans des ressources non renouvelables. L’Algérie est donc loin de réunir les conditions pour devenir un pays émergent et doit d’abord concentrer ses efforts pour sortir du « piège rentier » qui la mine. L’H. : Quelles sont les causes de cette mauvaise situation économique ? N. S. : Le cœur du problème est qu’aucune véritable politique économique n’a été pensée et mise en place afin de programmer une sortie progressive des hydrocarbures – comme on parle, dans d’autres pays, de sortie du nucléaire – qui peut seule générer un véritable processus de développement. En dehors des hydrocarbures, les investisseurs étrangers ne prennent pas le relais de l’État car les dispositions légales actuelles imposent une participation algérienne – publique ou privée – d’au moins 51 % dans leurs entreprises. Dans ces conditions, ils préfèrent d’autres pays leur offrant des conditions plus avantageuses. Le secteur privé algérien basé sur des activités modernes de production de biens et de services est

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lui-même en butte aux multiples problèmes générés par un environnement des affaires guère favorable. Le fond du problème est que le pouvoir politique en place ne veut pas risquer d’être contesté dans l’emprise qu’il exerce sur la société par les nouveaux acteurs sociaux que pourrait générer une économie dynamique si elle arrivait à s’imposer. Derrière le discours officiel visant, au nom du nationalisme, à protéger l’économie nationale sont en jeu des logiques de maintien de pouvoir contre l’émergence de nouveaux acteurs, et ce, dans une vision d’un jeu à somme nulle. En dernière analyse, les problèmes économiques actuels du pays trouvent leur origine dans des présupposés idéologiques et politiques. L’H. : Quelle est la vision des organisations internationales ? N. S. : Pour elles, comme l’indiquent leurs rapports, l’Algérie a de bons indicateurs macroéconomiques, sa dette est faible et ses réserves sont importantes. Par ailleurs, les indicateurs sociaux sont positifs, l’espérance de vie a augmenté et le niveau de vie général s’est amélioré. La redistribution de la rente pétrolière est probablement moins inégalitaire en Algérie que dans d’autres pays. C’est l’une des conséquences de la lutte pour la libération et de l’idéologie populiste qui imprègne les esprits, y compris ceux des dirigeants.


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