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Sommaire
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ACTUALITÉS L’ÉDITO
3 Voltaire et les pirates
FORUM Vous nous écrivez 4 Cuba fait débat ON VA EN PARLER
Exclusif 6 Préhistoire plantureuse
ÉVÉNEMENT
Arabie saoudite 1 2 N aissance d’une
puissance régionale Entretien avec Guillemette Crouzet
ACTUALITÉ Hommage 20 Françoise Héritier historienne
Par Yann Potin
DOSSIER
L ittérature 22 La Madeleine sans Proust
La révolution des Lumières
Par Jean-Christophe Antoine
32
F estival
24 Pessac 2017, le cinéma comme combat Par Natacha Laurent et Olivier Thomas
Comment les idées circulent
M écénat 26 Agnès b. : la mode, et après ? Par Myriam Chopin et Olivier Faron
34
PORTRAIT
John Merriman 2 8 « Ardéchois cœur fidèle »
Une culture transatlantique Par Nathan Perl-Rosenthal
Le succès du théâtre
Par Dominique Kalifa
Par Rahul Markovits
La révolution est-elle contagieuse ?
FEUILLETON
Dans le secret des manuscrits 3 0 La seconde mort des Juifs
38
de Tunis Par Sonia Fellous
« L’âge d’or des livres pirates » Entretien avec Robert Darnton
Voltaire superstar
Entretien avec Nicholas Cronk
Qui sait lire ?
Par François Lebrun
Le samedi 20 janvier 2018 à 8 h 30 sur Public Sénat, retrouvez l’émission « L’info dans le rétro » présentée par Fabrice d’Almeida et qui sera consacrée à l’Arabie saoudite, naissance d’une puissance régionale. Rediffusion le samedi à 15 h 30, le dimanche à 12 heures, le lundi à 23 heures et sur publicsenat.fr En partenariat avec « L’Histoire ». L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
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Les Écossais inventent le progrès
Par Silvia Sebastiani
Et si c’était Spinoza ?
54
La « lanterne magique » de Carmontelle Par Antoine Lilti
FINEARTIMAGES/LEEMAGE
Les best-sellers de 1789 Carte : l’Europe des livres
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L’ATELIER DES CHERCHEURS
GUIDE LIVRES
78 Trois livres sur le Goulag Par Émilia Koustova
80 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée
85 « Les Damnés de la Commune »
de Raphaël Meyssan Par Pascal Ory
Revues 86 La sélection de « L’Histoire »
60 Q uand les Romaines soignaient
leur teint
Par Danielle Gourevitch
Classique 8 8 « Choses vues » de Victor Hugo Par Michel Winock
89
LA PLANCHE DE JUL
SORTIES Expositions
9 0 Le Pérou avant les Incas
au Quai Branly Par Huguette Meunier
AKG – EVERETT/RUE DES ARCHIVES/BRIDGEMAN IMAGES – JEAN RIBIERE/GAMMA-RAPHO
92 La sélection de « L’Histoire » Cinéma
66 L es Tudors.
9 4 « L’Échange des princesses »
Par Nicolas Fornerod et Daniela Solfaroli Camillocci
Médias 9 6 La sélection de « L’Histoire »
A quoi servent les séries
de Marc Dugain Par Antoine de Baecque
CARTE BLANCHE
9 8 Et la personnalité de
l’année est… Par Pierre Assouline
72 F rance catholique.
La carte du chanoine Boulard
COUVERTURE : P ortrait de François Marie Arouet dit Voltaire tenant un exemplaire de La Henriade, peinture d’après Quentin de La Tour, vers 1736 (château de Versailles ; Josse/Leemage). RETROUVEZ PAGE 97 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 9 Ce numéro comporte deux encarts abonnement L’Histoire sur les exemplaires kiosque France + étranger (hors Suisse et Belgique), un encart abonnement Édigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse, un encart abonnement Valeurs actuelles sur les exemplaires abonnés et une Lettre Festival sur une sélection d’abonnés.
Par Guillaume Cuchet
L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
12 / Dynastie de bédouins Combattants
saoudiens sur leurs dromadaires au début du xxe siècle. Ci-contre : le prince héritier actuel, Mohammed ben Salman (MBS), petit-fils d’Abdelaziz ibn Saoud.
L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
Événement
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ARABIE SAOUDITE NAISSANCE D’UNE PUISSANCE RÉGIONALE Comment cette terre longtemps déshéritée est-elle devenue objet de convoitises et, aujourd’hui, puissance régionale montante ? Retour sur la formation de ce royaume et sur les liens ambivalents qu’il a successivement entretenus avec Londres et Washington.
PICTURES FROM HISTORY/BRIDGEMAN IMAGES – BANDAR AL-JALOUD/COURTESY OF SAUDI ROYAL COURT/HANDOUT/REUTERS – DR
Entretien avec Guillemette Crouzet
L’Histoire : Quand est née l’Arabie saoudite ? Guillemette Crouzet : L’Arabie saoudite est l’un des rares pays du Proche-Orient qui ne soit pas né d’un territoire colonisé. On l’oublie, mais deux États saoudiens ont précédé le royaume, fondé par Abdelaziz ibn Saoud en 1932, que nous connaissons aujourd’hui. Or leur existence procède de la même dynamique : elle résulte de l’alliance passée en 1744 entre les Saoud et le prédicateur Abdelwahhab, une alliance à l’origine du mythe national de l’Arabie moderne. La mémoire de ces deux États imprègne encore fortement la maison des Saoud. Au xviii e siècle, la péninsule arabique est sous domination ottomane, mais le pouvoir exercé par Constantinople sur cette immense région désertique faite de dunes, de rochers et de montagnes est souple, son autorité lointaine. Les représentants du sultan (les walis) les plus proches sont basés à La Mecque et à Bagdad. Le pouvoir dans cet espace bordé par la mer Rouge et le golfe Persique
s’est en vérité fragmenté et autonomisé en différentes entités, à commencer par le Hedjaz, qui abrite les lieux saints de l’islam, et le Nadjd, dont les tribus bédouines, partiellement sédentarisées, contrôlent les oasis. Seuls points d’eau entre les déserts du Nufud et du Rub alKhali, ces oasis constituent une étape obligatoire pour les pèlerins et les marchandises entre l’Irak ottoman et le Hedjaz. D’où la prospérité de leurs habitants. Les attaques répétées de bandes armées sur les routes caravanières de la péninsule mettent en péril ces échanges au xviiie siècle, affaiblissent les bédouins et attisent leurs rivalités. C’est dans ce contexte de déclin économique que les Saoud, tribu de quelques centaines de personnes qui tiennent l’oasis de Dariya (à une dizaine de kilomètres au nord de Riyad, au cœur du Nadjd), se lient au prédicateur Abdelwahhab pour consolider leur pouvoir chancelant, réaffirmer leur assise territoriale et engager une dynamique de conquêtes, d’abord dans le Nadjd, puis dans le
reste de la péninsule, et même au-delà.
L’AUTEURE Spécialiste de l’Empire britannique au xixe-xxe siècle en Asie du Sud et au Moyen-Orient, Guillemette Crouzet est actuellement Newton International postdoctoral fellow dans le département d’histoire de l’université de Warwick. Elle a publié Genèses du Moyen-Orient. Le golfe Persique à l’âge des impérialismes, 1800-1914 (Champ Vallon, 2015).
Qui est Abdelwahhab qui a fondé l’idéologie du pays ? Comme les Saoud, Abdel wahhab est originaire du Nadjd, de la tribu des Anaza. Son père est juge religieux (cadi) ; son enfance est bercée par la lecture du Coran et l’apprentissage des textes saints. Il effectue le pèlerinage à La Mecque à plusieurs reprises et voyage beaucoup dans les espaces voisins du Nadjd, notamment en Irak ottoman. C’est au cours de ses nombreuses pérégrinations qu’il est confronté à des pratiques qu’il condamne comme idolâtres et qu’il se met à prêcher un retour à la pureté originelle de l’islam. Abdelwahhab impute la dégradation sociopolitique de la péninsule arabique, creuset de l’islam, au dévoiement de la religion du Prophète. La réaffirmation de l’unicité de Dieu et le combat contre le culte des saints sont au cœur de ses prédications, qui formeront L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
Actualité
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La Madeleine sans Proust Dans un film de 1904, un jeune homme descend l’escalier de l’église de la Madeleine. Certains y ont reconnu Marcel Proust. Pas si sûr. Par Jean-Christophe Antoine*
V
oici quelques mois a été révélée l’apparition fugitive de Marcel Proust dans le film d’un mariage célébré à l’église de la Madeleine à Paris le 14 novembre 1904 1 . Les mariés sont Armand de Gramont, duc de Guiche, brillant ami de Proust et futur industriel, et Élaine Greffulhe, fille de la comtesse Greffulhe qui sera un modèle pour A la recherche du temps perdu2.
l’AFP élargit la diffusion à toute la planète. Le film est vu des centaines de milliers de fois. D’autres revendiquent une primo-découverte de Proust dès 2014. En fait, en 2003, un article de Libération avait décrit la quête de l’idole : « Des proustiens transis font le trajet de Boisd’Arcy [où se trouvent les ressources documentaires du CNC dans les Yvelines] rien que dans l’espoir de reconnaître le romancier sur ces images tremblantes. »
Si sa présence au mariage est établie, des spécialistes de tous horizons ont réfuté son apparition dans ce film
au Splendide Hôtel.
L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
Cette ébullition atteste de l’intérêt à utiliser la « marque Proust » dans le public toujours amateur de madeleines.
A 33 ans, Proust n’est plus un jeune dandy
Si la présence de Proust au mariage de son ami est bien établie par ailleurs, des spécialistes de tous horizons ont réfuté la thèse de son apparition dans ce film. Premier anachronisme : corréler le Proust de 1904 avec un jeune homme, comme l’a souligné son biographe William Carter dans le New York Times. A 33 ans, Proust n’est plus un jeune dandy. Le blog Le Fou de Proust de Patrice Louis a comparé l’image du film avec des portraits de l’écrivain et montre comment la silhouette de ce dernier s’est
DR
1905 En septembre, Proust épaissi séjourne à Évian (74)
Le film d’une minute, don de M. de Gramont, a été restauré par les Archives françaises du film du CNC et montre la sortie de l’église. Le scoop est créé par l’article « Un spectre passa… Marcel Proust retrouvé » de Jean-Pierre Sirois-Trahan (université de Laval, Québec), publié dans la Revue d’études proustiennes en février 2017. Le prétendant au titre de Proust est un jeune homme à la fine moustache, dévalant l’escalier le long du cortège nuptial. Le scoop en tant que tel est une réussite. Des rumeurs sur l’article bruissent sur les réseaux sociaux proustiens le 13 février, le 14 le site de l’éditeur de la revue met le film en ligne, le 15 les médias français le publient et une dépêche de
/ 2 3 épaissie. L’article « Un spectre passa… » soutient au contraire qu’on « reconnaît sa silhouette svelte, sa moustache noire, petite à l’époque, l’ovale parfait de son visage d’ivoire », ce qui constitue sa seule forme de « preuve » de l’identification de Proust. Autres discordances, la désinvolture du jeune homme du film et sa tenue vestimentaire : elle est inadéquate pour un mariage mondain, ne correspond pas à la frilosité célèbre de l’écrivain et est peu compatible avec le deuil de son père dont la mort date du 26 novembre 1903. Pour décrypter une image, l’historien doit rétablir le contexte à partir de la presse, des archives publiques et privées et de l’iconographie. Or, l’union d’Élaine Greffulhe et d’Armand de Gramont donne l’occasion de décrire les stratégies nuptiales, les fiançailles, la communication d’un mariage mondain de la Belle Époque qui est la toile de fond du film et qui mérite qu’on s’y arrête. La cérémonie est exceptionnelle par son faste et son envergure. Son prix est de loin le plus important relevé dans les registres du diocèse. « On a pu croire ressuscitées les splendeurs des cours disparues », dit l’un des 70 organes de presse qui la relatent. Elle alimente même le débat politique en cours pour l’élaboration de la loi de séparation des Églises et de l’État. Certains titres ironisent sur l’enthousiasme des « journaux de l’aristocratie cléricale » tandis que celle-ci jubile : « Tout cela, en plein centre parisien, à deux pas du Palais-Bourbon où s’émettent précisément en ce moment de si étranges et subversives théories, en plein triste automne, avait quelque chose d’inattendu, de providentiel, de réconfortant. » Ces noces à haute valeur symbolique ont été préparées dans le cadre très formaliste des
Trop élancé et trop émacié Restauré par les Archives françaises du film du CNC, ce film d’une minute réalisé le 14 novembre 1904 a eu en 2017 un retentissement exceptionnel sur les réseaux sociaux. Le jeune inconnu crève l’écran et a subjugué certains proustiens d’autant plus qu’il n’existe aucune image filmée de l’écrivain.
usages du monde. Les listes d’invités sont élaborées avec minutie. La réception est un simple lunch – on ne danse pas – permettant de faire admirer la corbeille de mariage, le trousseau et plus de 1 200 cadeaux dans les salons de l’un des hôtels familiaux. Proust a offert un revolver dans son écrin. Les abords de l’église sont réservés aux voitures électriques, automobiles et hippomobiles de la noce, et le préfet Lépine rassure : « La future belle-mère m’est sacrée et pas un cheveu ne tombera de sa tête, à quelques formidables poussées que l’enthousiasme de ses admirateurs et amis la soumette. » Point central sous-estimé par Jean-Pierre Sirois-Trahan, le cortège nuptial et le défilé des invités sont distincts. D’une durée de deux minutes, les cortèges entrant et sortant sont réglés en une chorégraphie de 21 couples qui mixent les deux
Le jeune homme de l’escalier rejoint donc la cohorte des fausses apparitions d’écrivains célèbres
familles à la sortie pour symboliser la nouvelle union. Après la bénédiction, les invités félicitent les mariés et leurs familles dans la sacristie, en un défilé d’une heure et quart. La longueur du défilé est un élément ostentatoire de l’envergure des familles. Émile Zola dans Comment on se marie et Guy de Maupassant dans BelAmi ont décrit l’apothéose sociale des mariages à la Madeleine. Sauf preuve directe du contraire, Proust, soignant ses apparitions dans le grand monde, a dû revêtir des habits de visite chauds et sombres, un haut-de-forme avec sa canne. Il a défilé à la sacristie puis est sorti après le cortège nuptial, fidèle à sa politesse extrême, pour gagner le cas échéant la réception. Ou bien a-t-il filé à l’anglaise avant le cortège. Après Rimbaud ou Baudelaire, le jeune homme de l’escalier rejoint donc la cohorte des fausses apparitions d’écrivains célèbres. n * Ingénieur polytechnicien
Notes 1. A voir par exemple sur http://poleproust .hypotheses. org/1483#more-1483 2. Quelques pièces de leur magnifique garde-robes sont actuellement exposées au palais Galliera.
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DOSSIER
L es Lumières
« L’âge d’or des livres pirates » On connaît les auteurs des Lumières et leurs idées, mais qui produisait leurs livres ? Comment contournaient-ils la censure ? Par qui étaient-ils lus ? Le grand historien Robert Darnton nous fait plonger au cœur du commerce que furent, aussi et peut-être avant tout, les Lumières.
L’AUTEUR Pionnier de l’histoire anthropologique, spécialiste des Lumières et plus spécifiquement de l’histoire du livre et de la lecture dans la France du xviiie siècle, Robert Darnton est professeur émérite à Princeton et directeur de la bibliothèque universitaire d’Harvard. Il publie A Literary Tour de France. The World of Books on the Eve of the French Revolution chez Oxford University Press en février 2018.
L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
L’Histoire : Robert Darnton, vous travaillez depuis les années 1960 à corriger notre vision des Lumières, en montrant la place qu’y occupe le monde du livre. Comment fonctionne ce dernier au xviiie siècle ? Robert Darnton : Il faut commencer par rappeler le cadre juridique de la production livresque sous l’Ancien Régime. Première différence de taille avec le système actuel : le droit d’auteur n’existe pas en France. Il existe en Angleterre depuis la loi de la reine Anne en 1710 mais, sur le continent, les livres sont protégés par le « privilège ». Ce terme, qui signifie « loi privée » en latin, est à mes yeux le mot clé de l’Ancien Régime. Tout le monde, jusqu’aux paysans, a des privilèges, les communautés sont privilégiées, et même un objet comme le livre a un privilège. Ce « privilège », délivré par la direction de la Librairie et imprimé au début ou à la fin des livres qui ont passé le processus de censure, est considéré comme une grâce royale et donne à un libraire des droits exclusifs sur un livre, qu’il l’imprime lui-même ou le fasse imprimer (cf. p. 40). L’auteur, quant à lui, n’est payé qu’une seule fois, à la remise de son manuscrit. Les grands libraires parisiens ont, dès le début du xviiie siècle, le monopole des privilèges et dominent le monde du livre. C’est là le résultat d’une longue lutte qui a opposé, tout au long du xviie siècle, libraires de Paris et libraires de province (notamment de Lyon et de Rouen), à
l’avantage des premiers1. Les collections de la Bibliothèque nationale de France regorgent de mémoires, de protestations, relatifs à cette lutte commerciale entre provinciaux et Parisiens. Le monde du livre ne se limite toutefois pas, même à Paris, à ces grands libraires. On peut en avoir une vision plus complète grâce aux rapports réalisés par l’inspecteur de police Joseph d’Hémery sur tous les libraires et imprimeurs de Paris en 17522. A côté des grands libraires, on trouve ainsi de pauvres diables qui spéculent sur les livres interdits, d’autres qui s’allient à des contrefacteurs… Surtout, les libraires de province, écrasés économiquement par les Parisiens, s’approvisionnent ailleurs, et notamment à l’étranger. La France est entourée par un « croissant fertile » de maisons d’édition, d’Amsterdam et Bruxelles à la Suisse – Bâle, Lausanne, Neuchâtel – en passant par le Rhin, et jusqu’à Avignon, qui appartient alors au pape. C’est une immense industrie, que l’on connaît principalement pour le rôle qu’elle joue dans les Lumières. Les philosophes, en effet, ne donnent pas leurs livres à la censure – à part quelques exceptions comme l’Encyclopédie et De l’Esprit d’Helvétius. Ils les envoient généralement à Marc-Michel Rey (à Amsterdam), à Gabriel Cramer (à Genève) ou à la Société typographique de Neuchâtel. Les historiens des Lumières sont bien informés sur ces maisons d’édition étrangères qui impriment des livres « interdits », c’est-à-dire sans privilège, mais on dispose de très peu
BRIAN SMITH
Entretien avec Robert Darnton
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BNF
« Croissant fertile » L a censure royale en France stimule les pays voisins. Dans ce croissant fertile de l’édition, la Hollande s’impose
à partir du xviie siècle comme le principal centre européen pour la production de livres interdits. Jacques Desbordes (dont la librairie à Amsterdam, voisine de celle de François L’Honoré, est représentée sur cette gravure de 1715) publie notamment plusieurs œuvres de Voltaire. L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
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L’Atelier des
CHERCHEURS n Comment les Romaines soignaient leur teint p . 60 n L es Tudors. A quoi servent les séries p. 66 nF rance catholique. La carte du chanoine Boulard p. 72
Comment les Romaines soignaient leur teint bois contenant du fard a été retrouvée dans la tombe d’une jeune fille à Érétrie (Eubée). Elle est conservée au Louvre.
Par Danielle Gourevitch
L’AUTEUR Directrice d’études émérite à l’EPHE, Danielle Gourevitch a publié de nombreux ouvrages, notamment Le Mal d’être femme. La femme et la médecine à Rome (Les Belles Lettres, 1984), et édité Soranos d’Éphèse. Maladies des femmes (4 vol., Les Belles Lettres, 1988-2000). L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018
Décryptage Grâce à l’exploitation de la littérature antique, à la papyrologie, à l’épigraphie et à des sources archéologiques variées (tombes, instruments, récipients, remèdes composés retrouvés sous forme sèche ou crémeuse, portraits et restes humains), Danielle Gourevitch fait le point sur les méthodes utilisées par les femmes pour s’embellir dans l’Antiquité. Au croisement de l’histoire de la médecine et des représentations, cette recherche permet de mettre en lumière l’idéal de beauté de l’époque.
L
es sources écrites et les découvertes archéologiques sont sans équivoque : les élégantes Romaines faisaient, dès la fin de la république, un usage immodéré de produits cosmétiques afin d’entretenir (ou rehausser) la beauté de leur teint. Elles avaient à leur disposition un riche éventail de substances : céruse (pigment blanc à base de plomb) ou craie pour éclaircir le teint, lie-de-vin ou fucus (algue) pour le rosir, noir de fumée pour souligner les yeux… A la lecture de certains textes, une tension affleure toutefois entre ces procédés ingénieux et un autre idéal de beauté,
RMN-GP (MUSÉE DU LOUVRE)/HERVÉ LEWANDOWSKI – SERGE CANASSE – AKG
Fard Cette pyxide en
Signe de jeunesse et de bonne santé, la beauté du teint était, à Rome, un ingrédient essentiel de la beauté féminine. Les matrones apportaient à l’entretien de leur peau un soin méticuleux. Quitte à l’enduire de substances qui nous paraissent aujourd’hui bien exotiques !
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Sans artifice Phryné en train de séduire le philosophe Xénocrate (peinture d’Angelica Kauffmann, 1794). La courtisane grecque, bien connue des Romains, possédait « une beauté sans fard, n’ayant nullement besoin des artifices du maquillage ».
L’HISTOIRE / N°443 / JANVIER 2018