Les Gaulois, une civilisation majeure

Page 1

3’:HIKLSE=WU[YUV:?a@e@d@t@k";

M 01842 - 439 - F: 6,40 E - RD


Sommaire

10 /

DOSSIER

ACTUALITÉS L’ÉDITO

3 Qui raconte l’histoire ?

FORUM Vous nous écrivez 4 Bretagne : ciel bleu et tempête ON VA EN PARLER Archives 6 Ben Barka :

les dossiers cachés de Foccart

ÉVÉNEMENT

Europe 1 2 « A la recherche d’une

mémoire européenne » Entretien avec Étienne François, Thomas Serrier et les contributions de Valérie Rosoux et Jakob Vogel

32 Les

ACTUALITÉ Politique 20 Macron avant Macron

Par Jean-Noël Jeanneney

Gaulois

Une civilisation retrouvée

Par Rémi Luglia et Alexandre Serres

34

A rchives 26 Simone Veil aux

Archives nationales Par Zénaïde Romaneix

C olloque

2 7 Vous avez dit

« Des sociétés prospères et raffinées » Entretien avec Laurent Olivier

Des Celtes comme les autres ? Une langue mais pas d’alphabet Le chaudron d’argent de Gundestrup Carte : un espace connecté

« histoire publique » ? Par Catherine Brice

46

Le musée d’Archéologie nationale a 150 ans

PORTRAIT Jean-Christophe Attias 2 8 « Même-pas-rabbin »

Entretien avec Hilaire Multon

48

Les druides : savants et très politiques

Par Jean-Louis Brunaux

Par Pierre Assouline

Diviciac, l’ami de Cicéron Le cheval qui a stupéfié les surréalistes

FEUILLETON

la révolution numérique Par Dominique Stutzmann

Dans le secret des manuscrits 3 0 Paléographie :

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017

53

Idées reçues sur les Gaulois à l’école Entretien avec Benoît Falaize

ULLSTEIN BILD/AKG BEAUVAIS, MUDO, MUSÉE DE L’OISE : RMN-GP/FRANCK RAUX

É cologie 2 4 Naissance de la Camargue


/ 1 1

L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

76 « Retour à Lemberg » de Philippe Sands Par Annette Wieviorka

78 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée

8 4 « Gold Star Mothers »

de Catherine Grive et Frédéric Bernard Par Pascal Ory

56 « Il faut réhabiliter Charles VII ! » Entretien avec Philippe Contamine

Classique 85 « Les Choses » de Georges Perec Par Michel Winock

Revues 86 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions

8 8 Chrétiens d’Orient à

l’Institut du monde arabe puis à Tourcoing Par Françoise Briquel-Chatonnet

90 Trois siècles de franc-maçonnerie à Paris Par Didrick Pomelle 91 Antonelle à Arles Par Huguette Meunier

RMN-GP (MUSÉE DU LOUVRE)/GÉRARD BLOT – AKG – BERLIN, SMB, NATIONALGALERIE ; ERICH LESSING/AKG

Cinéma 92 « Nos Années folles »

64 G öttingen.

D’où vient l’université allemande ? Par Anne Saada

d’André Téchiné Par Antoine de Baecque

93 « Barbara » de Mathieu Amalric Médias

9 4 « Vietnam » de Ken Burns

et de Lynn Novick sur Arte Par Olivier Thomas

CARTE BLANCHE

9 8 Le vice et la vertu

Par Pierre Assouline

70 x ixe siècle.

Esclavage et salariat : le grand débat

COUVERTURE : T ête de divinité sur une plaque d’argent en relief du chaudron celte e er du ii -i siècle av. J.-C. dit de Gundestrup, du nom du lieu où il a été retrouvé au Danemark (Copenhague, Nationalmuseet ; Erich Lessing/AKG). RETROUVEZ PAGE 96 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 97 Ce numéro comporte deux encarts abonnement L’Histoire sur les exemplaires kiosque France + étranger (hors Suisse et Belgique), un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse, un encart First Voyage « Dubaï Luxus » sur les exemplaires abonnés et un message abonnement Sciences et Avenir sur les exemplaires abonnés.

Par Olivier Grenouilleau

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017


12 /

Europa C i-dessus : le peintre allemand Max Beckmann reprend en 1933 le thème de l’enlèvement d’Europe.

Ci-dessous : le 10 novembre 1989, à la chute du Mur, les Berlinois envahissent la porte de Brandebourg. Quarante ans de division ont scindé aussi les mémoires.

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017


Événement

/ 1 3

« À LA RECHERCHE D’UNE MÉMOIRE EUROPÉENNE » L’Europe existe-t-elle ? A l’heure de la déconstruction des « romans nationaux », l’Europe, pour se renforcer, est à la recherche d’une mémoire partagée. Est-ce si simple ? Étienne François et Thomas Serrier, entourés d’une centaine de chercheurs, ont ouvert le chantier.

ARTOTHEK/L A COLLECTION ; © PARIS, ADAGP 2017 – ULLSTEIN BILD/AKG CL AUDE TRUONG-NGOC/CC-BY-SA-3.0 – DR

Entretien avec Étienne François, Thomas Serrier et les contributions de Valérie Rosoux et Jakob Vogel

L’Histoire : Il y a plus de trente ans, Pierre Nora frappait un coup de maître en publiant Les Lieux de mémoire, « inventaire des lieux, réels ou irréels, où la mémoire de la France s’est électivement incarnée ». Diriez-vous que votre ouvrage qui paraît aux Arènes s’apparente à une recherche de ce que

pourraient être des « lieux de mémoire européens » ? Thomas Serrier : L’entreprise de Pierre Nora a connu un grand succès, essaimant un peu partout en Europe dans les années 1990 et 2000, au niveau régional et national. Étienne François a d’ailleurs pris en charge sa déclinaison allemande avec Hagen Schulze, historien de l’Europe et du nationalisme, en 20011. Après vingt-cinq ans

DANS LE TEXTE

L’enlèvement fondateur Europe et le taureau représentent le principe d’une affinité chargée de tension qui dépasse toujours toutes les frontières imaginables, une affinité soumise à des changements constants, comme le continent qui doit son nom au mythe : en Europe, les frontières n’ont cessé de changer au cours de l’histoire. Le mythe renvoie ainsi exactement à ce qui aujourd’hui constitue de nouveau l’Europe : sa lutte avec les États-nations qui torpillent l’unité européenne.” Ulrike Guérot, « La nymphe Europe », Europa. Notre histoire, Les Arènes, 2017, p. 299.

de cette gymnastique mémorielle, et maintenant que les chercheurs sont familiers de cette approche au second degré, qu’ils en « maîtrisent » la langue, nous nous sommes dit qu’il était temps de l’appliquer à l’échelle européenne. Jakob Vogel : Notre ambition n’était pas de dresser une liste « officielle » des « lieux de mémoire européens ». Pour venir à bout du cas français, il aura fallu à Pierre Nora pas moins de sept volumes ! Nous disposions de 1 300 pages… Il s’agissait plutôt de déterminer s’il existait effectivement un espace mémoriel commun en Europe. Pour cela, nous avons mené une sorte de quête, inachevée, pour comprendre certaines logiques et certaines passions à l’œuvre. Valérie Rosoux : La question des passions et des émotions est cruciale. Nous avons fait le pari de prendre la mesure sur le temps long – ce qui implique de repérer non seulement

LES AUTEURS Étienne François est professeur émérite à l’université Paris-I.

Thomas Serrier est professeur à l’université Charles-de-GaulleLille-III. Valérie Rosoux est professeur à l’université catholique de Louvain. Jakob Vogel est titulaire de la chaire « Histoire de l’Europe » au Centre d’histoire de Sciences Po Paris.

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017


Actualité

20 /

Macron avant Macron Sa jeunesse, sa chance, son style, ont stupéfait. Et les comparaisons historiques n’ont pas manqué d’advenir. Avec plus ou moins de bonheur.

Avec Vladimir Poutine

Le président français et le président russe dans la galerie des Batailles du château de Versailles le 29 mai 2017.

N

aturellement, Louis XIV a surgi. Dès lors qu’Emmanuel Macron, tout juste élu à la tête de l’État, manifestait sa volonté de rendre à la fonction présidentielle sa pleine dimension majestueuse, dans l’ordre du symbolique, de la parole rare et de la décision prompte, on n’a pas hésité, en Grande-Bretagne. Le souvenir du Roi-Soleil était voué à s’y imposer sans désemparer. Le Financial Times s’est trouvé tout heureux de solliciter Joël

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017

Cornette, qui releva à bon escient que le nouveau président tenait à paraître « impénétrable, distant, souverain – traits distinctifs de Louis XIV ». Et de citer Saint-Simon évoquant un monarque « maître de son visage, de son maintien, de son extérieur ». Comme il advint, de surcroît, qu’Emmanuel Macron saisit l’occasion du tricentenaire de la visite de Pierre le Grand à Versailles pour y accueillir Vladimir Poutine, qui n’en parut pas mé-

content, la démonstration prit de la chair. Quelque goût qu’on puisse entretenir des parallèles historiques, cette concordance, fondée sur la seule affirmation d’autorité, pourrait sembler un peu courte. Et le goût vient d’en chercher de plus riches – parmi la diversité de celles que la rapidité de cette ascension improbable a conduit les observateurs, dans la presse et sur la Toile, à mettre en avant. Sans prétendre être exhaustif et en attendant que

STEPHANE DE SAKUTIN/POOL/REUTERS

Par Jean-Noël Jeanneney*


/ 2 1 la suite fasse entendre d’autres échos du passé dans une aventure qui n’en est qu’à son aube. Passons sur l’appel à Jupiter, lancé par le candidat lui-même et destiné à faire florès. Venons donc – sérieusement – plus près de nous. On a souvent évoqué le premier Bonaparte, celui d’après le coup d’État du 18 Brumaire. Alain Duhamel avait déjà, voici huit ou neuf ans, après que Nicolas Sarkozy eut accédé à l’Élysée, consacré un livre à ce qu’il avait appelé sa Marche consulaire. C’était faire beaucoup d’honneur à l’avantdernier président. Serait-ce, en l’occurrence, mieux venu ? L’évocation d’un coup d’État ne serait pas seulement désobligeante, aujourd’hui : incongrue. Et si l’on se réfère à la promptitude des mesures prises par Bonaparte, dès les premiers mois de son pouvoir, destinées à marquer le pays très longtemps, il faut suspendre le jugement. En notant seulement qu’Emmanuel Macron a donné plusieurs signes de sa conviction qu’il fallait agir vite, lorsque la glaise où imprimer sa trace est, pour un temps bref, encore molle.

sous la V e. Louis Napoléon Bonaparte, pour le malheur de la IIe République, devint à 40 ans son président, en 1848. Saluons donc la jeunesse, sans nous en éblouir. De Gaulle comptait 67 ans lors de son retour au pouvoir, en 1958, et c’est sous une autre lumière que le rapprochement a été fait abondamment par les commentateurs. Les gens d’En marche ! ne purent pas le trouver désagréable. Les Mémoires d’espoir du Général figurent d’ailleurs dans un volume ouvert de la « Bibliothèque de la Pléiade », sur la photographie officielle révélée au début de juillet. La France connaissait en 1958 une crise de confiance plus grave que celle d’aujourd’hui, puisque le drame algérien la menaçait

Louis-Napoléon Bonaparte, pour le malheur de la IIe République, devint à 40 ans son président, en 1848

d’une guerre civile, et on a beaucoup rappelé le discrédit dont souffrait un personnel politique taxé d’impuissance et d’improbité – le « dégagisme » d’aujourd’hui renvoyant tout droit au slogan de Pierre Poujade et de ses troupes : « Sortez les sortants ! » Le profond renouvellement des élus lors des élections législatives de novembre 1958 équivaut presque à celui de juin 2017, jetant hors du jeu diverses figures majeures de la vie publique. On a donc beaucoup

On alla rechercher d’autres cas où furent coupés (Alain Juppé avait, dès 2015, redonné vie, avec faveur, à cette image remontant au xixe siècle) « les deux bouts de l’omelette » – ceuxci étant supposés trop cuits pour être bons à consommer. On n’insista pas sur la « Troisième Force » régnant sous la IVe, de Guy Mollet à Antoine Pinay, appuyée sur un mode de scrutin manipulateur, entre les deux oppositions communiste et gaulliste, tant les nouvelles

mentionner, à mesure que se dessinait le succès d’Emmanuel Macron, comment le Général, chef du gouvernement dans la suite du 13 Mai, avait pu réaliser des réformes que nombre d’esprits sagaces jugeaient nécessaires à l’équilibre du pays mais que le « système » antérieur rendait impossibles. De Gaulle affirma, en 1958 et ensuite, sa volonté de surplomber « en même temps » la droite et la gauche, comme l’a fait le candidat d’En marche !.

© PL ANTU 2017

Pas de record de précocité

La Premier consul n’ayant que 30 ans à son avènement, beaucoup ont parlé, à ce propos, de la jeunesse de notre nouveau capitaine, qui n’en a pas encore 40, en la posant comme extraordinaire. Voilà bien ce que l’histoire conduit à tempérer. Sans remonter à Périclès, à Alexandre, plus jeunes lors de leur avènement, ou à Jules César, à peine plus âgé, et à ne considérer que les deux derniers siècles, on n’a pas assez rappelé dans la presse tous les chefs de gouvernement – sinon de l’État – qui accédèrent à la conduite des affaires à un âge plus tendre ou tout proche : Decazes, Premier ministre de Louis XVIII, Adolphe Thiers, chef de gouvernement de Louis-Philippe, Émile Ollivier, à l’extrême fin du Second Empire, Gambetta sous la IIIe République, Félix Gaillard, sous la IV e, Laurent Fabius

Caricature

Le dessinateur Plantu croque Emmanuel Macron en Napoléon Ier (Le Monde du 27 juin 2017).

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017


34 /

DOSSIER

L es Gaulois

« Des sociétés prospères et raffinées » Dans nos livres d’histoire, la civilisation gauloise ne prend consistance qu’avec la conquête romaine. C’est qu’elle a longtemps souffert de la quasi-absence de sources textuelles. L’archéologie et l’anthropologie nous en donnent aujourd’hui une image bien différente.

L’AUTEUR Laurent Olivier est conservateur en chef des collections d’archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale de SaintGermain-en-Laye. Il a notamment publié L’Art gaulois (Gisserot, 2010) et Nos ancêtres les Germains. Les archéologues au service du nazisme (Tallandier, 2012).

L’Histoire : Qui sont les Gaulois ? Que peut-on savoir sur eux ? Laurent Olivier : La question est compliquée car les « Gaulois » ne se sont jamais définis euxmêmes. On n’a d’eux qu’une image construite de l’extérieur. Ce sont les Grecs de Marseille qui, au vie siècle av. J.-C., entrent en contact avec des populations locales qu’ils appellent Celtes (Keltoi), disent-ils. Puis, à partir du ive siècle av. J.-C., les Romains ont affaire à des invasions, venues de peuples qu’ils désignent sous le nom de Gaulois (Galli). Pour eux, les Gaulois sont les habitants d’un pays barbare indéterminé qui se trouve audelà de la barrière des Alpes : la Gaule (Gallia). Mais il y a aussi des populations gauloises qui se sont installées en Italie du Nord, sans doute dans la première moitié du Ier millénaire avant notre ère : c’est la Gaule cisalpine. Bref, le Gaulois, c’est l’autre, l’étranger, celui qui n’est pas « assimilable »… Pour les Grecs, les « Celtes » sont, en bloc, les populations « barbares » (c’est-à-dire non grecques) qui se trouvent derrière les côtes du nord de la Méditerranée. Pour les Romains (qui sont ceux qui les connaissent le plus en détail, car ils y sont confrontés depuis le début de leur histoire au viiie siècle av. J.-C.), les Gaulois habitent

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017

des territoires qui se trouvent, en gros, entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. Telle est la Gaule vue par César, qui la divise en trois groupes : les Aquitains, dans le Sud-Ouest ; les Gaulois de la Celtique dans le centre de la France actuelle ; les Belges au nord de la Marne. Il écrit que ces trois entités ne partagent pas la même culture et n’ont pas les mêmes institutions. Mais ces textes qui évoquent les Gaulois posent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent : ce sont toujours des perceptions formulées par des cultures qui leur sont étrangères, si ce n’est franchement hostiles – comme les Romains. De plus, les Grecs et les Romains n’ont pas fréquenté ces peuples aux mêmes époques ni dans les mêmes contextes historiques. Après les avoir exploités économiquement, les Grecs les ont vus se répandre dans le monde hellénistique (au iiieier siècle av. J.-C.), sous la forme de troupes de mercenaires. Quant aux Romains, après les avoir subis comme envahisseurs, ils les ont considérés comme des populations instables qu’il était urgent de contrôler et de soumettre. Bref, il est difficile de se reposer sur des sources objectives et surtout fiables sur la culture gauloise. De surcroît, jusque dans les années 1860, les Gaulois n’existent que dans les textes

DR

Entretien avec Laurent Olivier


/ 3 5

D’ambre et de verre

Collier de perles du ve ou du ive siècle av. J.-C. retrouvé en Champagne. L’ambre, particulièrement apprécié, venait certainement de Baltique.

COLLIER : RMN-GP (SAINT-GERMAIN-EN-L AYE, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE)/THIERRY LE MAGE – CARNYX : INRAP, DIST. RMN-GP/PATRICK ERNAUX CÉRAMIQUE : SAINT-GERMAIN-EN-L AYE, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE ; ERICH LESSING/AKG – CASQUE À MOTIF D’OISEAU : INRAP, DIST. RMN-GP/PATRICK ERNAUX TORQUES : INRAP, DIST. RMN-GP/HERVÉ PAITIER – STATUETTE : RMN-GP (SAINT-GERMAIN-EN-L AYE, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE)/GÉRARD BLOT CASQUE OR ET FER : RMN-GP (SAINT-GERMAIN-EN-L AYE, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE)/THIERRY LE MAGE

Casque à motif d’oiseau

Retrouvé à Tintignac, en Corrèze, ce casque du ier siècle av. J.-C. manifeste l’inventivité des artisans gaulois qui personnalisaient même le matériel de guerre.

Trompette

Le carnyx de Tintignac est une trompette de guerre d’environ 180 cm de haut – la plus complète retrouvée jusqu’à aujourd’hui.

Céramique P ièce de vaisselle en terre cuite du ive siècle av. J.-C., mise au jour dans une nécropole en Champagne.

Torques

En bronze, ou en fer, ces colliers étaient très répandus chez les Celtes.

« Dieu de Bouray » S tatuette en bronze du ier siècle, retrouvée dans l’Essonne. Ce dieu ou héros gaulois est reconnaissable à son torque (collier).

D’or et de fer C asque du iiie siècle av. J.-C. découvert à Amfreville-sous-les-Monts (Eure). Il est fait de bronze, d’or, de fer et d’émail. L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017


L’Atelier des chercheurs

70 /

xixe siècle

Esclavage et salariat : le grand débat L’affirmation d’un capitalisme de plus en plus déréglementé amène-t-elle à la résurgence de formes anciennes et extrêmes d’exploitation ? La réflexion sur le travail contraint fait resurgir le grand débat qui, au xixe siècle, en plein combat abolitionniste, conduisit à s’interroger sur ce qui distingue le salarié de l’esclave.

O

n voit aujourd’hui quelquefois resurgir l’affirmation selon laquelle des salariés, victimes d’un capitalisme déréglé, seraient, un peu partout dans le monde, de nouveaux esclaves. Loin d’être une nouveauté, le débat public relatif à la comparaison des formes d’esclavage et de salariat moderne naît en fait à la croisée des xviiie et xixe siècles, au moment où l’on commence à se préoccuper, non plus de la réforme de l’esclavage, mais de son abolition.

Une vieille controverse Il y a d’abord les arguments fournis par une économie politique émergente, laquelle, à la suite de Dupont de Nemours (1771) et de l’économiste Adam Smith (1776), tend à affirmer qu’un travailleur libre et salarié, intéressé financièrement à la productivité de son travail, serait plus efficace qu’un esclave. Preuve que l’esclavage, intrinsèquement peu profitable, ne serait vraiment rentable qu’au moyen d’une série d’artifices (primes

L’AUTEUR Historien, membre du centre Roland-Mousnier (Paris-IV-Sorbonne), Olivier Grenouilleau est notamment l’auteur de La Révolution abolitionniste (Gallimard, 2017) et de Qu’est-ce que l’esclavage ? (Gallimard, 2014).

Décryptage Afin de mieux saisir ce qu’est l’esclavage, Olivier Grenouilleau a d’abord essayé de le comparer aux autres formes d’exploitation de l’homme. L’histoire de l’abolitionnisme lui a ensuite permis de mettre en évidence le débat relatif, au xixe siècle, aux situations respectives de l’esclave et du salarié. En confrontant les situations sur la longue durée – et à l’échelle mondiale – il propose de reprendre à nouveaux frais la question de la dépendance dans le travail.

L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017

de l’État en faveur de la traite, encadrement militaire des colonies…) venant interférer avec les lois dites « naturelles » de l’économie. Débattue au sein même des milieux économistes, où elle ne fait pas forcément partout et toujours l’unanimité, cette idée est rapidement utilisée par les militants abolitionnistes. Avant tout mus par une éthique morale, qu’elle soit profane ou sacrée, ils doivent en effet, s’ils veulent convaincre leurs contemporains, montrer que, juste, leur combat ne conduirait pas irrémédiablement colonies d’Amérique et nations d’Europe à la ruine. Les défenseurs de l’esclavage répondent que les esclaves des colonies sont mieux traités que les prolétaires de l’Europe industrielle naissante. Évidemment opportuniste, le discours renvoie à l’idée de la nécessité d’un ordre paternaliste que l’industrialisation remettrait en cause, ainsi qu’aux dures réalités, aujourd’hui quelque peu oubliées, de la vie des ouvriers d’alors (journées de travail interminables, salaires de misère, surmortalité, alcoolisme, prostitution…). Né à la fin du xviiie siècle, se poursuivant dans les années 1820-1840, le débat est ensuite relancé. Alors que l’esclavage commence à être aboli (par les Britanniques en 1833, les Français en 1848…), et que se renforce la prolétarisation, des philanthropes, des apôtres du jeune socialisme et des réformateurs sociaux se mettent, afin de mieux défendre la cause ouvrière, à insister sur ce qui tendrait à la rapprocher de la condition servile. D’où un combat à front renversé,

PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE

Par Olivier Grenouilleau


/ 7 1

A l’usine C ette huile sur toile peinte par l’artiste allemand Adolph von Menzel montre les

BERLIN, SMB, NATIONALGALERIE ; ERICH LESSING/AKG – BNF – PARIS, BNF/ARCHIVES CHARMET/BRIDGEMAN IMAGES

conditions de travail des ouvriers sidérurgistes à la fin du xixe siècle (Berlin, Neue Nationalgalerie).

où les « progressistes » du moment reprennent à leur compte des arguments auparavant utilisés par des esclavagistes. Alors que la figure du prolétaire avait jusque-là servi à édulcorer celle de l’esclave, dorénavant, cette dernière est utilisée afin de défendre des projets d’amélioration du sort des ouvriers. En France, c’est sans doute le catholique social Félicité de Lamennais qui, dans un opuscule de 92 pages, intitulé De l’esclavage moderne, est le premier, en 1839, à mettre clairement en avant ce nouveau concept. Dans un curieux chassécroisé, on voit alors des ouvriers radicaux interrompre un meeting abolitionniste à Birmingham, en 1838, et des ouvriers de Paris pétitionner, en 1844, afin de clamer que, libre, l’ouvrier ne saurait être comparé à un esclave (cf. p. 72). Ce rapprochement effectué entre le statut de l’ouvrier et celui de l’esclave aurait pu disparaître alors que s’éloignait le spectre de l’esclavage colonial et des débuts d’un capitalisme sauvage. Tel ne fut pas le cas. D’abord parce que la définition même de l’esclavage a longtemps posé problème et n’est pas toujours opératoire. Amendée par l’ONU en 1955, celle proposée par la SDN en 1926 met par exemple l’accent sur les idées de travail et de propriété. Or un esclave peut ne pas « travailler », lorsqu’il est notamment soldat. Et comment s’accorder sur la notion de propriété pour qualifier des situations d’esclavage actuelles, dans un contexte où, l’esclave étant illégalement tenu par son maître, celui-ci n’exerce pas sur lui un droit de propriété stricto sensu ?

DANS LE TEXTE

Lamennais : un « esclavage moderne » Qu’était l’esclave à l’égard du maître ? Un instrument de travail […]. Qu’est aujourd’hui le prolétaire à l’égard du capitaliste ? Un instrument de travail […]. Sa liberté n’est que fictive. Le corps n’est point esclave, mais la volonté l’est. Dira-t-on que ce soit une véritable volonté que celle qui n’a le choix qu’entre une mort affreuse, inévitable, et l’acceptation d’une loi imposée ? Les chaînes et les verges de l’esclavage moderne, c’est la faim […]. Dans l’état présent des choses, la condition du prolétaire, supérieure moralement, est, en ce qui tient à la vie physique, souvent au-­ dessous de celle de l’esclave.” Félicité de Lamennais, De l’esclavage moderne, Bruxelles, Société belge de librairie, 1839, pp. 30-32.

Briser ses fers ffiche placardée à Paris A en mai 1968.

Parallèlement, les conceptions occidentales de la liberté évoluant, on s’est mis à considérer que toute expérience mutilante de la liberté était susceptible de nous ramener aux temps heureusement honnis de l’esclavage. Ajoutons l’idée ancienne, particulièrement revigorée depuis les années 1970, selon laquelle le travail ne pourrait constituer qu’une forme d’aliénation – parfois de plus en plus subtile et sophistiquée –, et l’on comprendra pourquoi les rapprochements entre la figure de l’esclave et celle de l’ouvrier sont toujours aussi prégnants, au point de masquer une L’HISTOIRE / N°439 / SEPTEMBRE 2017


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.