Rabelais

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texte inédit

« Les Fantastiques Batailles des grands Roys Rodilardus et Croacus »

Rabelais rentrée littéraire

cahier critique de 32 pages

Darrieussecq, Minard, Carrère, Reinhardt, Foenkinos, Audeguy, Burnside, Grossman…

enquête Que reste-t-il de Lacan ? exclusif Tennessee Williams expliqué par lui-même

M 02049 - 511 - F: 6,00 E

DOM 6,50 € - BEL 6,50 € - CH 12,00 FS - CAN 8,30 $ CAN - ALL 6,90 € - ITL 6,60 € - ESP 6,60 € - GB 5 £ - AUT 6.70 € - GR 6,60 € - PORT CONT 6,60 € - MAR 60 DH - LUX 6,60 € - TUN 7,3 TND - TOM /S 850 CFP - TOM/A 1350 CFP - MAY 6,50 €

www.magazine-litteraire.com - Septembre 2011


Éditorial

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Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 22, rue René-Boulanger, 75472 Paris Cedex 10 Tél. - France : 01 55 56 71 25 Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25 Courriel : abo.maglitteraire@groupe-gli.com Tarifs France 2010 : 1 an, 11 numéros, 58 €. Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter. Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom. Rédaction Directeur de la rédaction Joseph Macé-Scaron (13 85) j.macescaron@yahoo.fr Rédacteur en chef Laurent Nunez (10 70) lnunez@magazine-litteraire.com Rédacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) haubron@magazine-litteraire.com Conseiller éditorial Alexis Lacroix Chef de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93) Conception couverture A noir Conception maquette Blandine Perrois Directrice artistique  Blandine Perrois (13 89) blandine@magazine-litteraire.com Responsable photo  Michel Bénichou (13 90) mbenichou@magazine-litteraire.com SR/éditrice web  Enrica Sartori (13 95) enrica@magazine-litteraire.com Correctrice Valérie Cabridens (13 88) vcabridens@magazine-litteraire.com Fabrication Christophe Perrusson (13 78) Directrice administrative et financière Dounia Ammor (13 73) Directrice commerciale et marketing  Virginie Marliac (54 49) Marketing direct Gestion : Isabelle Parez (13 60) iparez@magazine-litteraire.com Promotion : Anne Alloueteau (54 50) Vente et promotion Directrice : Évelyne Miont (13 80) diffusion@magazine-litteraire.com Ventes messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74) Diffusion librairies : Difpop : 01 40 24 21 31 Publicité Directrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96) Publicité littéraire  Marie Amiel - directrice de clientèle (12 11) mamiel@sophiapublications.fr Publicité culturelle Françoise Hullot - directrice de clientèle (secteur culturel) (12 13) fhullot@sophiapublications.fr Service comptabilité Sylvie Poirier (12 89) spoirier@sophiapublications.fr Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie. Commission paritaire n° 0410 K 79505. ISSN‑ : 0024-9807 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Copyright © Magazine Littéraire Le Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros. Président-directeur général et directeur de la publication Philippe Clerget Dépôt légal : à parution

La guerre du goût selon Beigbeder Par Joseph Macé-Scaron

L

a rentrée littéraire… comme s’il y « Destroy » Pacadis. Ses avait une sortie littéraire ! Il faut en­ notes sur les écrivains (sur­ tendre par cette expression dont nous tout ceux de sa génération, usons et abusons dans ces pages l’ava­ car Beigbeder est un des lanche de titres qui va submerger les rares – le seul ? – roman­ rayons des libraires et permettre au critique de ciers actuels à lire ses pairs, « gratter » une ou deux pages de plus dans le ghetto ce qui tout de même se pra­ des pages « culture » – et ce, en dépit des hurlements tique dans tous les autres indignés de ses collègues qui traitent du dernier film pays) sont terriblement en 3D ou de l’opus remixé de Britney Spears. ­justes. Ainsi quand il ­évoque Justement, nous assistons à Marc-Édouard Nabe : « Quel l’occasion de cette rentrée à destin plus triste que Sur Marc-Édouard Nabe : d’avoir voulu être Léon une bataille de « blondes » sans « Quel destin plus triste Bloy et de finir sous-Jeanquitter les bars de Sunset Bou­ que d’avoir voulu être Edern Hallier ? » levard. À ma gauche, Simon Léon Bloy et de finir Page 108, puis page 423, Liberati traite chez Grasset de sous-Jean-Edern Hallier ? » Bret Easton Ellis, que la tragique disparition de Jayne l’auteur place très haut, est Mansfield. À ma droite, Jean Rolin s’attaque au possible enlèvement de Britney présenté comme un « curé qui appelle au secours », Spears (P.O.L). Deux romans réussis tant il est vrai puis comme un moine. Pour la prochaine réédition que les écrivains tout comme les philosophes peu­ de cet ouvrage, qui ne manquera pas d’arriver, je me vent déployer leur inspiration et leur talent dans les permets de conseiller de s’en tenir à la première rognures du temps, comme l’ont assez souligné, cha­ présentation. Il y a, en effet, un aspect bernanosien – eh oui ! – chez Ellis, car, dans ses romans, il est cun à sa manière, Gombrowicz et Foucault. Voilà qui nous conduit tout naturellement au dernier moins question du Mal que du Diable, du Malin. ouvrage de Frédéric Beigbeder : Premier bilan après ous êtes beigbederophobe ? Après tout, l’apocalypse (1). Cent romans qui se présentent pourquoi pas, puisque la France est deve­ nue une immense cage aux phobes. Ouvrez comme cent raisons de défendre la survie du livre papier. Le choix est arbitraire. Normal. La lecture, quand même ce livre pour sa préface, et vous verrez c’est aussi et d’abord la conscience subjective d’un comment l’auteur met gants blancs et casoar pour lecteur. Fini la naïveté positiviste, objectiviste, qui partir à l’assaut du livre numérique. Derrière le ton consistait à nier l’efficace du préjugé, comme si les désabusé et cynique perce une véritable angoisse, choses pouvaient parler elles-mêmes sans aucune mais aussi un sursaut de colère. « Comme disait espèce d’intrusion subjective. Les choses et les textes Michaux à propos de l’homme : le roman sur papier, ne peuvent parler qu’à travers nos projets d’intelligi­ c’était quand même quelqu’un. » Le problème avec la tablette électronique, c’est qu’Albertine disparue bilité. Seule notre parole leur permet de parler. est ainsi que Beigbeder a raison de donner pèsera exactement le même poids que L’Échappée une seconde chance non seulement à La belle. Ceux qui attendaient un Frédéric ricanant Route du retour de Jim Harrison et à Ivre découvrent un Beigbeder indigné ! Et c’est ainsi que du vin perdu de Gabriel Matzneff, mais aussi à Fin l’auteur est grand. j.macescaron@yahoo.fr de party de Christian Kracht, qui fait penser au Huys­ (1) Premier bilan après l’apocalypse, Frédéric Beigbeder, mans d’À rebours, et à Un jeune homme chic d’Alain éd. Grasset, 432 p., 20,50 €. Hannah/Opale

Édité par Sophia Publications 74, avenue du Maine, 75014 Paris. Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94 Courriel : courrier@magazine-litteraire.com Internet : www.magazine-litteraire.com

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Sommaire

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Trente ans après sa mort, l’héritage de Jacques Lacan

Le cercle critique

Le point sur les nouvelles grilles de programmes des radios et des télévisions. Une analyse détaillée de la place des livres dans les médias audiovisuels.

Jacques Lacan

En complément de notre enquête, les liens vers les meilleures ressources lacaniennes du web.

David Grossman

La vidéo de notre rencontre avec l’écrivain le 8 septembre à l’hôtel Lutetia.

pancho pour le magazine littéraire

Ce numéro comporte 5 encarts : 2 encarts abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart Edigroup sur exemplaires kiosque de Suisse et Belgique, 1 encart Faton et 1 encart Studio Ciné Live sous enveloppe, sur abonnés et ventes France Métropolitaine.

youri pachkov/éd. du seuil – rmn/gérard Bellot – mathieu zazzo

Sur www.magazine-litteraire.com

Émissions littéraires

Le cahier critique 26 Emmanuel Carrère, Limonov 28 Marien Defalvard, Du temps qu’on existait 29 Véronique Ovaldé, Des vies d’oiseaux 30 Éric Reinhardt, Le Système Victoria 32 Vanessa Schneider, Le Pacte des vierges 33 Thierry Laget, La Lanterne d’Aristote 34 Stéphane Audeguy, Rom@ 36 Marie Darrieussecq, Clèves 37 Céline Minard, So Long Luise 38 Brigitte Giraud, Pas d’inquiétude 39 David Foenkinos, Les Souvenirs 40 Sylvain Coher, Carénage 41 Denis Lachaud, J’apprends l’hébreu 42 Michel Schneider, Comme une ombre 43 Anne Maro, Solution terminale 44 Alexis Jenni, L’Art français de la guerre 46 Clara Dupont-Monod, Nestor rend les armes 48 Maxim Biller, Le Juif de service Howard Jacobson, La Question finkler 50 Joseph O’Connor, Muse 51 Steve Sem-Sandberg, Les Dépossédés 52 John Burnside, Scintillation 53 David Vann, Désolations 54 Ida Hattemer-Higgins, L’Histoire de l’Histoire 55 Julian Barnes, Pulsations 56 Dimitri Bortnikov, Repas de morts Charles Dantzig inaugure dans ce numéro un feuilleton mensuel. Première salve avec Stendhal et Paul Auster.

Illustration de couverture : Enki Bilal pour Le Magazine Littéraire © ADAGP-Paris pour les œuvres de ses membres reproduites à l'intérieur de ce numéro.

Abonnez-vous page 101

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Septembre 2011 511 Le Magazine Littéraire

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Dossier : François Rabelais

ou maître spirituel ? par Jean Allouch 14 La vie des lettres Édition, festivals, spectacles… Les rendez-vous du mois 24 Le feuilleton de Charles Dantzig

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Septembre 2011

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L’actualité 3 L’éditorial de Joseph Macé-Scaron 6 Contributeurs 8 Trente ans après sa mort : Lacan, analyste

Chaque mois, des critiques inédites exclusivement accessibles en ligne.

n° 511

Entretien : David Grossman

Le dossier 58 François 60 62 64 66 68 70 72 76 78 80 82 84 85 87 88 90

Rabelais

d ossier coordonné par Maxime Rovere Tardivement digéré, par Thomas Pavel Un illustre inconnu, par Pierre-Édouard Peillon Bibliographie En dehors des rangs, par Claire Sicard Un éditeur actif, par Claude La Charité Mécènes mis en scène, par Mireille Huchon Un ouvroir de langues potentielles, par Jean-Charles Monferran La Babel rabelaisienne, par Mireille Huchon, Romain Menini et Olivier Pédeflous La correspondance de Rabelais, par Claude La Charité Un texte écrit sous cape, par Romain Menini Inédit : Les Fantastiques Batailles des grands Roys Rodilardus et Croacus Le banquet philosophique, par Romain Menini Ivres de savoir, par Laurent Zimmermann En ordres de bataille, par Claire Sicard Généalogie des géants, par Walter Stephens Le goût des livres imaginaires, par Walter Stephens Entrez dans la danse, par Carlo Ossola

Le magazine des écrivains 94 Admiration Malcolm de Chazal,

par Robert Furlong

96 Grand entretien avec David Grossman,

par Manuel Carcassonne : « L’écriture, le seul chemin pour revenir de l’exil » 102 Extraits inédits De vous à moi, un recueil d’essais de Tennessee Williams 106 Le dernier mot, par Alain Rey

Prochain numéro en vente le 29 septembre

Dossier : Maupassant


Anniversaire

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CRÉDIT

Séminaire de Jacques Lacan, faculté de droit, 1970. À droite, sa secrétaire Gloria Gonzalez. Photo extraite du livre Album Jacques Lacan, visages de mon père, par Judith Miller, éd. du Seuil, 1991.

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Trente ans après sa mort

Lacan, analyste ou maître spirituel ? La parution d’une partie inédite de son séminaire marque entre autres l’anniversaire de la disparition du psychanalyste, dont l’œuvre peut désormais être abordée avec un œil neuf. Par Jean Allouch

youri pachkov/éd. du seuil

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e pourrait-il qu’écrire aujourd’hui, soit ­parcours. En France, on découvrait Frege, on s’inté­ trente années après son décès, un hom­ ressait à la théorie des ensembles, aux fondements mage à Jacques Lacan, maintenir ainsi ac­ des mathématiques, ce qui donnait une certaine cou­ tuelle son œuvre, n’ait aucun sens, aucune leur « logicienne » à cet épinglage nouveau venu. valeur, aucune portée, tout au moins au Malentendu : c’était un maître spirituel qui parlait, regard de ce que fut son enseignement ? Se pourrait-il enseignait, intervenait, pas seulement un psychana­ que cet enseignement ait été si étroitement dépen­ lyste soucieux de porter au jour une inédite logique dant de sa présence in vivo qu’il excluait, de fait, toute de la pratique analytique. suite envisageable ? Plusieurs traits plaident en faveur de cette conjecture, regrettable pour certains, heu­ Vu depuis les marges reuse pour d’autres. Et tout d’abord celui-ci : souvent, Jacques Lacan maître spirituel : cette donne est désor­ entendant un élève présenter tel point de sa doctrine, mais davantage lisible par la grâce de publications Lacan ne manquait pas, tout en saluant la perfor­ récentes de textes qui ne furent ni écrits par Lacan ni mance, d’indiquer que « ce n’était pas ça ». Il s’appli­ issus de son séminaire. Parler ailleurs, s’adresser à un quait d’ailleurs à lui-même ce traitement, faisant dis­ autre public offre la possibilité d’avancer certains pro­ crètement varier ses propos, jusqu’à en venir à situer pos que l’on juge informulables à un public composé d’élèves, d’analysants, d’au­ la vérité comme pure et sim­ Jacques Lacan refusa ple « varité » – deuxième trait diteurs sans doute trop acquis toute fonction d’expertise, donc, largement insupporté, pour n’avoir pas les oreilles visant plutôt une sorte ainsi qu’en témoignent cer­ déjà formées, c’est-à-dire d’ascèse : « n’être rien » tains écrits « lacaniens » qui ­inaptes à accueillir certains pour mieux écouter. tentent en vain de fagoter énoncés. Jacques Lacan ces variations en « système ». s’épanche lorsqu’il parle à des D’ailleurs, troisième trait, Lacan tenait-il tellement à érudits catholiques ; il peut, à eux, dire à quoi précisé­ ce que son enseignement lui survive ? Il peut le sem­ ment il a « consacré sa vie » (Le Triomphe de la religion, bler, il s’y est certes largement employé, mais sur la précédé de Discours aux catholiques, est paru en base d’un vœu d’une tout autre veine. Ainsi a-t-il dit 2005). Car, autre nouveauté, on ne saurait plus radica­ ne pas tenir spécialement à la perpétuation de ce qu’il lement séparer vie et œuvre, comme cela était prescrit avait avancé, une déclaration que l’on ne peut en­ à l’époque dite « structuraliste ». tendre que référée à un certain rapport à la mort : il Déjà les lecteurs les plus avisés, Thomas Mann notam­ ne s’adressait pas à l’éternité. Enfin, comment imagi­ ment, avaient su voir en Freud non seulement l’ana­ ner une quelconque suite un tant soit peu cohérente lyste, non seulement le savant, mais également le à une pensée qui aura su voir dans le malentendu le ­maître spirituel (Freud le confirme, son ultime régime le plus commun et le plus irréductible de la ouvrage, son Moïse, se veut une histoire de l’esprit, communication humaine ? Geist). Avec Lacan, cet autre statut devient notoire. Pour autant, on ne retiendra pas telle quelle cette Sans doute la crainte que le groupe analytique soit conjecture, sans l’écarter cependant, car elle éclaire identifié à une secte avait-elle quelque peu relâché son ce qu’avec Lacan il y a lieu d’entendre par « enseigne­ emprise, tandis que la tentative du mathème, récusant ment ». Il reçut ce terme des « princes de l’univer­ par avance la répudiation, indiquait que c’était au nonsité », tandis qu’il faisait séminaire à l’École normale analyste que le discours s’adressait. Freud et quelquessupérieure, et donc assez tardivement dans son uns de ses élèves créaient une association ; pour

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Vient de paraître

Lacan, envers et contre tout, Élisabeth Roudinesco,

éd. du Seuil, 178 p., 15 €.

À l’occasion de cet anni­ versaire, Élisabeth Roudi­ nesco, qui avait déjà rédigé une impressionnante bio­ graphie du psychanalyste, tente dans ce court livre de présenter Lacan sous un angle neuf, car « la seule manière de faire vivre un héritage conceptuel et ­c linique, c’est d’y être infidèle ».

Je parle aux murs, Jacques Lacan, éd. du Seuil, 128 p., 12 €.

Trois conférences inédites que Lacan donna au début des années 1970, à la cha­ pelle de l’hôpital SainteAnne. Trois moments où l’homme improvise et s’amuse, jusqu’à ce qu’il aborde une profonde ques­ tion : que peut-on savoir de l’inconscient ?

Le Séminaire livre XIX… ou pire, Jacques Lacan,

éd. du Seuil, 264 p., 23 €.

Le séminaire de l’année 1971-1972 est enfin édité : on y lira une étude appro­ fondie des relations entre l’homme et la femme dans la société moderne. On y découvrira surtout ce qu’on savait déjà : les deux sexes ne seront jamais complémentaires.


La vie des lettres

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exposition Portraits de Dorian Gray Sous l’égide d’Oscar Wilde, le musée d’Orsay rend justice à l’émancipation esthétique des artistes britanniques au xixe siècle, dans la foulée de « l’art pour l’art » français.

© 2011, museum of fine arts boston

« Un mouvement informel, ne répondant à aucun autre dogme que la beauté et le plaisir. »

Bocca Baciata, Dante Gabriel Rossetti, 1859, Museum of Fine Arts, Boston.

«

I

l y a quelque chose d’affreusement morbide dans cette manie qui sévit aujourd’hui de s’identifier à la douleur, remarquait Oscar Wilde. On devrait s’identifier à la couleur de la vie, à sa beauté, à sa joie. Moins on parle de ses plaies, mieux on se porte. » Si l’on cessait de blâmer l’homme pour ses vices, de ­plaindre ses lâchetés ? Et si l’on se contentait de célébrer sa beauté, sa sensualité, ses vanités ? De flatter l’allure du dandy qui tient sa cigarette, une fleur à la boutonnière, comme l’incarna

le poète anglais, de désirer la bouche d’une femme qui vient d’être embrassée, telle que l’imagina le peintre Rossetti. La beauté pour la beauté, sans autre but qu’elle-même, assurément futile et totalement inutile. « L’art pour l’art », cri de ralliement de Théophile Gautier, Charles Baudelaire, Victor Hugo, Théodore de Banville. Toute une avant-garde française qui s’arracha aux contraintes religieuses et ­éthiques pour se préoccuper de séduction et d’esthétique. Et qui répercuta dangereusement son écho de l’autre côté de la

­ anche, jusqu’à dégrafer le corM set victorien pour donner lieu à une joyeuse effervescence dans tous les domaines : l’art, la littérature, l’architecture, la décoration intérieure. Pour la première fois en France, grâce au Victoria & Albert Museum de Londres et à son conservateur, Stephen Calloway, le musée d’Orsay rend hommage à ce mouvement dit « esthétique », dont l’éminent et impertinent chef de file fut Oscar Wilde. Cette « fougueuse protestation, […] courageuse tentative de remettre la Nature à sa place », clamait-il dans ses nombreuses confé­ rences à travers les États-Unis. Il faut quatorze salles et plus de deux cent cinquante objets – tableaux, meubles, vitraux, céra­ miques, livres illustrés, objets design, etc. – pour montrer les premiers pas d’une telle révolution. « Ce fut un mouvement informel, qui ne répondait à aucun autre dogme que celui de la beauté et du plaisir, explique Yves Badetz, commissaire de l’exposition au musée d’Orsay. Une réaction esthétique et sociale radicale à la laideur de l’industria­ lisation et à la stricte discipline morale de la Royal Academy ». Plus simplement intitulée « Cult of Beauty » dans sa version anglosaxonne – à Londres et à San Francisco –, l’escale française, « Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde », présente les mêmes objets représentatifs du mouvement – des porcelaines japonisantes bleu et

blanc aux soupières ou services à thé les plus inoffensifs, en passant par les représentations d’une féminité peu convenable, du désir ou de l’homosexualité, chez des artistes comme Simeon Solomon, Frederic Leighton, William Morris ou Whistler et Edward Burne-Jones. Mais elle insiste sur l’importance d’Oscar Wilde, en émaillant les salles de ses portraits, de ses costumes, et de ses précieux aphorismes. « Nous avons estimé, confirme Yves Badetz, que Wilde était la figure la plus controversée et la plus sulfureuse de l’époque. Celle qui représentait le mieux, tant par sa personne que par ses œuvres, la transgression morale et les ambivalences sexuelles portées par ce courant. » L’exposition française interroge aussi le caractère moral de cette esthétique. Comment l’érotisme scandaleux et décadent du personnage biblique de Salomé, mis en scène par Oscar Wilde, finit-il par accéder aux grands théâtres et opéras britanniques ? Comment la représentation de cette héroïne ensorceleuse et vengeresse, initialement censurée, a-t‑elle irrigué de multiples inspirations ? Fallait-il exclure Wilde de la cité pour s’être adonné au plaisir de la sensualité poétique ? Celui-ci paya cher l’audace de cette esthétique, mais lui et ses amis installèrent les fondations d’une modernité où les artistes et leurs muses éliraient demeure de façon permanente. Lauren Malka

À voir

« Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde », du 13 septembre au 15 janvier 2012, musée d’Orsay, Paris 7e. Catalogue aux éd. Skira-Flammarion, 224 p., 25 €.

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Vian inédit

Éd. du cherche midi

Les éditions du Cherche midi publieront en octobre Post-scriptum, qui recueille les dessins, graffitis, unes de journaux réalisés par Boris Vian. Ceux-ci s’accompagnent de textes souvent savoureux, telle cette adresse au dessinateur Siné intitulée « Chat chat siné » : « Un jour un chat dessiné, par le crayon de Siné/ décida d’assassiner/ celui qui l’avait signé. »

Autoportrait de Boris Vian.

30 millions de symboles Ainsi qu’en témoigne La Chanson de Roland – dans laquelle Charlemagne rêve qu’il est attaqué par un léopard et un verrat –, le bestiaire médiéval jouissait d’une haute valeur symbolique. Cela n’a pas échappé à Michel Pastoureau, titulaire de la chaire d’histoire de la symbolique occidentale à l’École pratique des hautes études, qui publie le 6 octobre, au Seuil, un Bestiaire médiéval illustré. Cet ouvrage rappelle, entre autres, la chasteté alors proverbiale de l’éléphant et le destin du spécimen offert à Charlemagne par Haroun al-Rachid…

Salve vargasllosienne En même temps que Le Songe du Celte, dernier roman du Nobel Mario Vargas Llosa, les éditions Gallimard feront paraître, en octobre, Éloge de la lecture et de la fiction, sa conférence devant l’académie Nobel, De sabres et d’utopies, recueil d’articles, et son Théâtre complet. S’y ajoute une nouvelle édition des Chiots, illustrée par des photos de Barcelone.

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édition

anniversaires

érasme, fragments des sagesses perdues

Fanon célébré Senghor chantait la négritude, Frantz Fanon la refusait de toutes ses forces. En décembre, la France célébrera les cinquante ans de la mort de cet essayiste, ancien des Forces françaises libres, qui devint, avec Peau noire, masques blancs, l’une des principales voix anticoloniales. Parmi les multiples événements annoncés, de nombreux colloques en Martinique et en Guadeloupe.

I

l a raison, Jean-Christophe Saladin : « L’auteur le plus célébré de la Renaissance est sans doute l’un des moins lus de nos jours. » Pour pallier cette triste évidence, voilà qu’il s’est fait le maître d’œuvre d’une édition monumentale qui rend pleinement justice à Érasme, le « prince des humanistes », inoubliable et oublié, qui n’est pas seulement l’auteur du trop célèbre et peu lu Éloge de la folie (1511). Ses Adages, qui connurent pas moins de trente éditions de son vivant, sont incontestablement son chef-d’œuvre. Érasme a fait des dictons les plus communs de son temps – issus pour la plupart de l’Antiquité non chrétienne – les morceaux dispersés d’une sagesse perdue. Et il l’a rassemblée, commentée, annotée, faisant dialoguer les auteurs pour mieux cerner les principes. On mesure l’ambition et l’audace du geste : rien ici, ou ­presque, qui vienne de l’Église. Toutes les vertus du paganisme, conservées par le peuple sous forme d’aphorismes, éclatent à nouveau. Tambours, trompettes. Avec cette édition voici que se relèvent, hors des tombes de l’oubli, les génies disparus. Cet antitraité peut s’ouvrir à n’importe quelle page (chose utile pour de si gros volumes !), parce que c’est la méthode qu’Érasme luimême a choisie : il va piocher chez ses auteurs fétiches telle ou telle phrase qui l’a frappé, ou que les bonnes dames répètent à l’envi. Il souhaite l’approfondir, y trouver matière à penser, et en effet il pense. « Entre amis, tout est commun », c’est par là qu’il commence – et, après quelques plaisanteries socratiques, il bascule sur les conséquences politiques de cette belle vérité. Plus loin : « Ne pisse pas face au soleil » – et lui de remarquer : « Je pense que c’est un conseil de modestie. » Souvent on rit en le lisant, et parfois on voyage, notamment lorsqu’il explique l’origine des expressions (comme pour l’anneau des bœufs, qu’on « mène par le bout du nez »). « Trouver chaussure à son pied » : vous y Érasme par Holbein voyez un souhait légitime ; le Jeune, musée du Louvre. Érasme, lui, retrouve chez le poète Pindare le vers original et montre qu’il s’agit d’une exigence de luxe, qui détermine surtout une éthique de la louange. Quoi d’autre ? On ressent à la lecture des Adages le plaisir que l’on a avec ses bons amis, dans ces soirées que l’on voudrait ne jamais voir finir. Alors, demandez qu’on vous l’offre, lancez des souscriptions, vendez vos autres livres, cessez de boire ou de manger. Mais ne refusez pas de discuter avec cet homme parce que ses livres valent cher. La sagesse n’a pas de prix. Maxime Rovere À lire

Les Adages, Érasme, édition complète bilingue, Jean-Christophe Saladin (dir.), éd. Les Belles Lettres. Cinq volumes sous coffret, tirage limité, offre de souscription 350 € jusqu’au 30 septembre 2011, puis 420 €.

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Passez par la case Gallimard Après l’exposition Gallimard, la rue Gallimard, voici le jeu Gallimard. En octobre, les éditions de l’ex-rue Sébastien-Bottin publieront, à l’occasion de leur centenaire, un jeu d’érudition sur les publications maison. Les règles mêleront celles du Trivial Pursuit et de ses dérivés : il vous faudra soit répondre à des questions, soit suivre d’autres consignes (Complétez cette phrase : « Aujourd’hui, … est morte ou c’était peut-être hier, je ne sais pas »), soit relever des défis (faites deviner, grâce à vos mimes, le titre L’existentialisme est un humanisme)…

nouvelle collection Bridgeman

édition

Précieux herbier Les éditions genevoises HérosLimite lancent une nouvelle collection, intitulée d’après Whitman « Feuilles d’herbe ». Leur but : rééditer, à des prix accessibles, des textes introuvables. Les premiers à en bénéficier sont la poétesse allemande Else LaskerSchüler (Secrètement, à la nuit), le Britannique John Berger (Pourquoi regarder les animaux ?) et le Russe Panteleïmon Romanov. Son roman, Le Droit de vivre ou le Problème des sansparti, débute ainsi : « Si tu es encore de ce monde, c’est que tu es passé à travers les mailles de la révolution. » L’auteur est mort en 1938, durant les purges staliniennes…


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Emmanuel Carrère raconte la trajectoire rocambolesque d’Édouard Limonov.

olivier roller/fedephoto

Critique  Fiction

Cocktail Limonov Limonov, Emmanuel Carrère, éd. P.O.L, 496 p., 20 €. Par Thomas Stélandre

à

la lumière de son précédent livre, D’autres vies que la mienne, nous pouvions croire Emmanuel Carrère apaisé. Peut-être l’expérience de l’horreur À lire aussi absolue, la plus injuste – celle de la d’Édouard Limonov mort d’une petite fille dans le tsunami de 2004 et celle, Discours d’une grande quelques mois plus tard, de sa belle-sœur, d’un cangueule coiffée d’une casquette de prolo, cer –, qu’il avait fallu mettre en mots, en chapitres, en éd. Le Dilettante, 192 p., 17 €. un récit entier et bouleversant, avait-elle balayé le goût Journal d’un raté, qu’on lui connaissait pour le crime et la folie. Nous traduit du russe par avions tort : Limonov fait écho à cette violence-là. Antoine Pingaud, Encore que nous soyons loin de Jean-Claude Romand, éd. Albin Michel, 280 p., 19 €. meurtrier de sa femme, de ses enfants et de ses

parents, auquel Carrère a consacré L’Adversaire. Plus proche, sans doute, d’Un roman russe, au moins pour les décors, où l’auteur partait dans le pays de ses grands-parents pour délier un secret familial. À la différence que ce n’est plus sa propre histoire qui l’intéresse mais, de nouveau, une autre vie que la sienne. Celle d’Édouard Limonov et, par surimpression, celle de la Russie, et la nôtre, jusqu’à l’extrême contemporain. Qui est Édouard Limonov ? En France, on le connaît de loin en loin, moins pour ses livres que pour ses engagements. Il traîne une réputation rouge-brun, on sait qu’il a porté les armes, qu’il a fait de la prison. Pour beaucoup, c’est un type infréquentable. Cela n’a pas empêché Emmanuel Carrère de penser à lui quand Patrick de Saint-Exupéry lui a demandé un sujet pour le premier numéro de la revue XXI. En janvier 2008 paraissait un long reportage sur le « dernier des possédés », « poète », « loser », « mercenaire », et

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chef de son propre Parti national-bolchevik. L’expérience aurait pu quitté, en le regrettant amèrement car, il l’affirme, « leur seule chance s’arrêter là, mais l’auteur a voulu aller plus loin. Partant de cette ren- d’avoir une vie hors du commun, c’était lui » – Limonov étant, en contre, il a composé une biographie, une enquête, un essai histo­ plus de tout le reste, terriblement mégalo : c’est une rock star. Emmanuel Carrère le regarde souvent rique. Et surtout le roman flamboyant d’une comme tel, avec les yeux de l’élève sérieux existence qui rivalise avec la fiction, résuExtrait mée ainsi en prologue : « Voyou en Ukraine, fasciné par le bagarreur, conscient du danger, idole de l’underground soviétique ; clochard mais excité par son attrait. Dans les années puis valet de chambre d’un milliardaire à 1980, à l’époque où l’écrivain adoptait les u centre d’un cercle, dominant Manhattan ; écrivain à la mode à Paris ; solvaleurs esthétiques de P.O.L, maison à la foule, en retrait mais attirant le dat perdu dans les Balkans ; et maintenant, regard, il donnait une impression laquelle il est resté fidèle, Limonov participait dans l’immense bordel de l’après-commud’importance et j’ai bizarrement lui à L’Idiot international, brûlot dont Jeannisme, vieux chef charismatique d’un parti pensé à un chef de gang assistant Edern Hallier était le fondateur. Ils ne sont de jeunes desperados. » Il faudra presque avec sa garde rapprochée à l’enpas de la même famille. L’auteur avoue cinq cents pages pour retracer cette trajecd’ailleurs avoir eu peur « de [s]e fourvoyer » terrement d’un de ses hommes. Je toire à grand spectacle, où tout est expéen racontant le parcours de cet homme. ne le voyais qu’en profil perdu, du rience, de la pauvreté à la geôle, en passant Pourquoi l’avoir fait, lui demande finalement col relevé de son manteau dépaspar les relations homosexuelles dans les sait une barbiche. Une femme qui, Limonov, lors d’une ultime rencontre à Mosparcs mal famés et les tirs sur les champs de cou. Parce qu’il a eu une vie passionnante, à côté de moi, l’avait repéré aussi bataille. Si cette vie n’avait été vécue, si répond Emmanuel Carrère. « Une vie romaa dit à sa voisine : « Édouard est Limonov avait été un personnage inventé, nesque, dangereuse, une vie qui a pris le là, c’est bien. » Il a tourné la tête, on aurait parlé d’exagération. Pourtant, tout ­risque de se mêler à l’histoire. » Le plus fou, comme si malgré la distance il est « vrai », au sens où l’entendait déjà Carl’avait entendue. La flamme de la à l’arrivée, est sans doute de savoir que cette rère dans D’autres vies que la mienne. bougie a creusé ses traits. vie n’est pas finie et que, à près de 70 ans, Cette question de la vérité, dans son rapport Édouard Limonov a le temps d’en vivre J’ai reconnu Limonov. au réalisme, c’est bien plutôt à la grande hisd’autres, qu’il pourra raconter dans ses livres Limonov, Emmanuel Carrère toire qu’il faudrait la poser. Car Limonov traà lui, ainsi qu’il l’a toujours fait. En attendant, verse et explore, sur plus d’un demi-siècle, les éditions Le Dilettante republient, à l’ocle destin de la Russie, dont l’étrangeté et les paradoxes sautent aux casion de la parution du récit de Carrère, plusieurs de ses nouvelles yeux comme rarement. Il faut rappeler qu’Emmanuel Carrère est le parues en 1986, 1987 et 1991, en un seul volume. titre :1 Discours Homme_Vagues_MagLitt_Q7.qxp:Mise en Son page 3/08/11 fils d’Hélène Carrère d’Encausse, illustre historienne, spécialiste de d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo. la Russie et académicienne depuis 1990. À ce titre, il a de qui tenir, sans pour autant reproduire le schéma familial. Il se souvient d’avoir essayé de lire, enfant, l’un des livres de sa mère, Le Marxisme et l’Asie, dont les premiers mots étaient : « Chacun sait que le marxisme… » Cet incipit est devenu pour lui un sujet de plaisanterie, puisque, non, chacun ne sait pas ce qu’est le marxisme. La leçon retenue, Carrère a voulu non pas simplifier les événements et leurs enchaînements, mais les rendre intelligibles ; les « déplier », écrit-il. Pour cela, il use de cette expression claire qui est sa manière de dire, ce ton qui met de Iouri Olecha le lecteur d’égal à égal, comme dans une conversation détendue, où mise en scène Bernard Sobel l’on n’aurait qu’à écouter. L’autre moyen est de montrer les choses à du 9 sept. au 8 oct. 2011 hauteur d’homme : peu de chiffres et de statistiques ici, mais beaucoup d’anecdotes, de portraits. Par exemple celui de l’écrivain Zakhar Prilepine, engagé dans le parti de Limonov. Un « nasbol », ainsi qu’on les appelle. C’est à travers son histoire d’adolescent rageur, ayant grandi dans la province russe, immobile, morose, qu’on comprend le désir d’adhérer à quelque chose qui fera tout exploser, autour d’un Che Guevara soviétique, aujourd’hui bête noire de Poutine. Avant d’en arriver là, on trouvera à Limonov toutes les qualités du roman d’aventures : rebondissements, tension dramatique, situations d’après le roman de Virginia Woolf rocambolesques, personnages incroyables. On pense en particulier mise en scène Marie-Christine Soma aux femmes de la vie d’Édouard. La première s’appelle Anna, il la du 14 sept. au 15 oct. 2011 rencontre en pleine jeunesse ; elle a 28 ans, pèse deux fois plus lourd que lui et souffre de troubles maniaco-dépressifs. Toute la bohème de Kharkov, en Ukraine, se réunit dans son appartement, elle sera la clé pour le monde des « décadents ». Vient ensuite Elena, tige d’une vingtaine d’années, mannequin, sa fierté. Avec elle, il s’installe à New York, côtoie la jet-set, rêve de gloire, y croit. Sa plus longue relation, treize ans, il la vit à Paris avec Natacha, russe comme lui, chanteuse de cabaret, alcoolique et nymphomane, capable de disparaître des jours entiers. Sur les trois, deux mourront, suicide et overdose, www.colline.fr - 01 44 62 52 52 la troisième deviendra comtesse en Italie. Et sur les trois, deux l’ont

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Dossier

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François Rabelais à sa table de travail. Planche pour une édition des Épîtres de l’auteur, par François Chauveau, xviie siècle.

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Rabelais

En son temps jugé inconvenant par les lettrés et par la Sorbonne, l’auteur est cette année mis à l’honneur par l’Éducation nationale, qui l’inscrit aux programmes du bac et de l’agrégation.

E bnf

Dossier coordonné par Maxime Rovere

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En France, Gargantua est à sa table, dans les la Sorbonne ? Si les romans de Rabelais pro­ festins de Rabelais, comme Remus et Romu­ posent des modèles de vie, ce n’est donc pas lus tétant la louve à Rome : cette béate nutri­ sur le mode du retrait épicurien, isolé dans tion est l’origine d’un monde. À travers les le plaisir ; son activisme d’éditeur montre que cinq livres qui forment l’épopée burlesque les facéties du romancier s’adossent à un fort d’un géant et de son père, Rabelais a donné désir d’assumer l’héritage de l’Antiquité et le la à un esprit français où le sens du plaisir de poser, pour l’avenir, les fondements de la déborde dans tous les domaines : pas seule­ culture moderne. L’euphorie propre au Tou­ ment plaisir des sens, mais aussi de l’esprit rangeau résonne dans les couloirs des assem­ – la langue liant tout cela, dans une débauche blées les plus austères, et son rire est destiné d’amour pour les mots. Là, dans le français à les faire tomber – au moins de leurs ­chaises. littéraire que les excentricités de Rabelais ont À l’image de son créateur, le héros rabelaisien contribué à définir, se reflète la diversité d’un est un guerrier épris de vie et de bonne pays que l’écrivain a su réinventer. Les parti­ entente, prêt à défendre les valeurs huma­ cularismes des terroirs, comme autant de spé­ nistes, mais sans vocation pour le martyre – « jusqu’au feu cialités culinaires Rabelais a donné le la exclusivement » ! ­locales, se croisent à un esprit français Alors, Céline avait-il avec les strates d’une où le sens du plaisir déborde tort en soutenant société bruyante et que, « Rabelais, il a bavarde : les dia­ dans tous les domaines. raté son coup » ? lectes propres aux uns et aux autres, classes populaires ou mé­ Pour Céline, la langue orale dont maître taphysiciens, contribuent ainsi à la naissance François a fait la matière de son œuvre a d’une unité plurielle – moins celle d’un pays constitué, pendant quatre siècles, une sorte d’exception, écrasée sous la pesanteur du réel que celle, plus tangible, du roman. Pourtant, de son vivant, Rabelais se situe à la français « littéraire », langue artificielle, marge. Trop espiègle pour les lettrés, trop ­langue de traducteur, celle qu’Amyot utilise érudit pour les profanes, trop paillard pour pour rendre Plutarque. Il est vrai que Rabe­ la bonne société, le père des géants les plus lais demeura seul, longtemps, avant que le célèbres de la littérature ne fut pas toujours, désordre des langues et des formes ne pas d’emblée, prophète en son pays. Dans finisse, au cours du xxe siècle, par affluer de son humanisme bon enfant, il faut entendre nouveau dans les textes. Aujourd’hui libérés le bruit des polémiques auxquelles il parti­ des bornes du « bon usage », nous sommes cipa avec ardeur. Comment oublier qu’en son mieux placés que jamais pour retrouver temps, annonçant le nôtre, les franciscains Rabelais, et jouir avec lui de la littérature parvinrent à faire interdire l’étude du grec à comme d’un plat en sauce. M. R.


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