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Espace queer
from Queer(ing) Architecture, de l'espace queer à la queerisation de l'espace // Mahé Cordier-Jouanne
À la base, le queer vient d’une sous-culture gay qui fait face à une culture dominante hostle. On peut donc comprendre l’espace queer comme un espace occupé et invest par les personnes queer.
Ce serait alors les espaces communautaires, les lieux de rassemblement, les espaces de drague, de cruising*, les bars, les backrooms*, les clubs, les ballrooms* et tous les lieux de vie des personnes qu’on peut identfer comme queer. Certains de ces espaces sont fxes (bars, locaux associatfs, saunas, quarters roses) mais la majorité d’entre eux sont plus éphémères. Ce sont des recoins dans l’espace public, des parcs, des rues, parfois des locaux, qui à un moment donné deviennent lieux de rencontre, de rassemblement, de drague, de fête, d’actes sexuels 13 et qui accueillent une
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13 Ce bouleversement de l’architecture normative par un acte sexuel, applicable ici à la queerisation d’un espace par la pratique du cruising* par exemple, est notamment défni par le concept de « Minor Architecture » de John Paul Ricco (« Coming together. Jack-off rooms as minor architecture » dans Architecture, Research, Criticism, vol. 1, n°5, Dublin, 1994).
populaton queer le temps d’une nuit, d’un évènement. Ce sont tous ces moments où l’espace devient espace queer par une simple appropriaton du lieu. 14
Dans l’ouvrage de référence Queer Space : Architecture and same-sex desire (1997), Aaron Betsky propose une lecture queer des espaces du quotdien de la communauté LGBT (principalement des hommes homosexuels) et relit l’histoire de l’architecture à travers le prisme de l’homosexualité.
Il dit pour défnir l’espace queer : « c’est un genre d’espace que je trouve libérateur, et qui je pense pourrait nous aider à éviter quelques-unes des caractéristques opprimantes de la ville moderne. C’est un espace inutle, amoral et sensuel qui ne vit que dans et pour l’expérience. C’est un espace de spectacle, de consommaton, de danse et d’obscénité. C’est le détournement ou la déformaton d’un lieu, une appropriaton des bâtments et des codes de la ville à des fns perverses. C’est un espace entre le corps et la technologie, un espace de pur artfce. » 15
Si certains de ces espaces afrment leur place dans l’espace urbain, on remarque que la majorité de ces espaces queer sont cachés, par essence dans la marge, dans l’underground
14 Voir à ce sujet la thèse de Cha PRIEUR, Penser les lieux Queers : entre domination, violence et bienveillance, Université Paris-Sorbonne, déc. 2015 15 « It is a kind of space that I fnd liberating, and that I think might help us avoid some of the imprisoning characteristics of the modern city. It is a useless, amoral, and sensual space that lives only in and for experience. It is a space of spectacle, consumption, dance, and obscenity. It is a misuse or deformation of a place, an appropriation of the buildings and codes of the city for perverse purposes. It is a space in between the body and technology, a space of pure artifce. » BETSKY Aaron, Queer Space: Architecture and Same-Sex Desire, éd. William Morrow, 1997 (p.5)
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et les espaces résiduels. Ce sont des niches de liberté généralement invisibles aux yeux du monde.
En revanche, avec l’émergence des nouvelles technologies de nouveaux espaces se créent. Si les réseaux communautaires existent depuis longtemps, les réseaux sociaux permetent aujourd’hui de créer de nouveaux espaces de rencontre et de partage. Les groupes et pages Facebook, les forums et les applicatons mobiles permetent l’existence d’espaces queer virtuels. Aussi, depuis l’émergence des applicatons de rencontre (Tinder, Grindr) on remarque que les espaces matériels et numériques fusionnent. Cet espace virtuel se difuse et se mêle à l’espace physique, fait entrer le public dans l’espace privé et projete l’intme dans l’espace public. Cete nouvelle percepton de l’espace brouille les binarismes public / privé et fait exister d’autres espaces queer.
En 1994, l’expositon « Queer Space » 16 au Storefront for Art and Architecture à New York est la première expositon grand public qui questonne la relaton entre sexualité, genre et architecture. Mais malgré l’appel à projets manifeste d’Eve Kosofsky Sedgwick et au-delà de proposer une expérience scénographique non traditonnelle en troublant les limites entre intérieur et extérieur, cete expositon se concentre encore exclusivement sur une interprétaton du Queer Space comme un espace de vie qui serait caractéristque des personnes homosexuelles, et certain·e·s partcipant·e·s commencent à révéler l’absurdité de chercher de telles caractéristques essentalistes. 17
16 Exposition organisée notamment par Beatriz Colomina, Dennis Dollens, Cindi Patton, Eve Kosofsky Sedgwick, Henry Urbach et Marc Wigley 17 Par exemple la série de photo “Family Values (Honey, I’m Home) » des architectes Mark Robbins et Benjamin Gianni montrent que les espaces domestiques occupés par des personnes queer sont tout aussi normatifs que les autres. Réfexion reprise dans la série « Households » (2003-2006)
« What makes space queer? How to give queer space a history and a future, a powerful presence? What’s the queerest in utopias, in diasporas, in environments, in intimacies, in bowling leagues, in health and illness, in solidarity, in urban pets, in nationalism and cosmopolitanism, in self-defense, in cyberspace, in jobs and no jobs, in flm and video, in the Christian Right, in memory, in the hypothalamus, in the high schools, in dancing and walking, in civil society, and in interior decorating ?»
Eve,KOSOFSKY DEGWICK, « Wanted: Queer Space Manifestos / Proposals », Queer Space, New York, Storefront for Art and Architecture, 1994
[ Qu’est-ce qui fait l’espace queer ? Comment donner à l’espace queer une histoire et un futur, une présence puissante ? Qu’est-ce qu’il y a de plus queer dans les utopies, dans les diasporas, dans les environnements, dans les intimités, dans les lignes de bowling, dans la santé et la maladie, dans la solidarité, dans les animaux domestiques, dans le nationalisme et le cosmopolitisme, dans l’autodéfense, dans le cyberespace, dans l’emploi et le chômage, dans les flms et les vidéos, dans la droite chrétienne, dans la mémoire, dans l’hypothalamus, dans les lycées, dans la danse et la marche, dans la société civile, et dans la décoration intérieure ? ]
En efet, une autre approche permet de comprendre que l’espace queer n’est pas exclusivement lié à des espaces destnés aux sexualités « déviantes ». Sur le plan conceptuel, la théorie queer permet de dépasser ce rapprochement, et comme nous le verrons ultérieurement ces recherches permetent l’émergence de nouvelles méthodologies et de nouvelles manières d’envisager la pratque de l’architecture.
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