Historique du terme et définition(s)

HISTORIQUE DU TERME ET DÉFINITION(S)

Le mouvement queer, à la fois théorique et militant, est apparu dans le champ académique à partr des années 1990 comme résultante d’une traducton américaine des French théoriciens (principalement Foucault, Derrida et Deleuze). Cete théorie propose de reformuler la noton d’identté. Elle présente une approche constructviste qui conteste tout caractère essentaliste et critque les discours dominants. C’est un mouvement post-féministe et post-moderne, qui réfute la noton d’universalité et revendique une producton de savoirs à partr d’un point de vue minoritaire.

L’origine étymologique du terme queer (en anglais) évoque ce qui est bizarre, excentrique ou « de travers » et devient l’équivalent de « pédé » à partr de la fn du XIX ème siècle. Puis, cete insulte populaire qui désigne les personnes homosexuel·le·s est progressivement réappropriée par la communauté concernée et devient le symbole d’un mouvement d’afrmaton des sexualités et des genres subversifs. Ce terme, à forte dimension antsexiste et antraciste, regroupe désormais les personnes qui

QUEER, adjective

· Strange, odd · Slightly ill [British dated] · Homosexual [informal, offensive] Denoting or relating to a sexual or gender identity that does not correspond to established ideas of sexuality and gender, especially heterosexual norms.

QUEER, noun · A homosexual [informal, offensive]

QUEER, verb

· Spoil or ruin (an agreement, event, or situation) [informal]

« Queer fsh »

A person whose behaviour seems strange or unusual. [informal]

« Queer someone’s pitch »

Spoil someone’s plans or chances of doing something, especially secretly or maliciously. [informal]

« We queer things when we resist « regimes of the normal »: the normative ideals of aspiring to be normal in identity, behavior, appearance, relationships, etc. »

Michael Warner, The trouble with normal, 1999

[ On queerise les choses quand on résiste aux « régimes du normal », c’est-à-dire les idéaux normatifs qui nous incitent à vouloir être normal que ce soit dans notre identité, notre comportement, notre apparence, nos relations, etc. ]

n’adhèrent pas à une vision binaire des genres (homme / femme), des sexualités (hétérosexuelle / homosexuelle) et ne veulent pas être catégorisées selon les normes imposées par une société hétéronormatve*.

Le mouvement queer se situe hors de la norme cisgenre* et hétérosexuelle, mais aussi hors des normes gays et lesbiennes conventonnelles. À l’origine il est plutôt antcapitaliste et anarchiste et se détache du mouvement LGBT dans la mesure où il refuse toute forme de politques intégratonnistes ou de stratégies assimilatonnistes. Les insttutons que sont le mariage, la société de consommaton, l’engagement militaire, etc, visent à être questonnées plutôt que rejointes. 2

L’insulte est progressivement assumée, revendiquée et réemployée par la communauté et les théoricien·e·s comme outls, comme pratque et comme démarche qui s’oppose, pas seulement à l’hétéronormatvité*, mais fondamentalement au « normal ». Le queer revendique le lieu d’énonciaton du savoir dans la marge et apparaît comme un positonnement stratégique contextuel qui vise à ouvrir un espace critque et à se distancier du point de vue dominant, dans une démarche que l’on peut qualifer d’intersectonnelle*. Cete démarche permet de résister de l’intérieur en usant de la parodie, de l’exagératon et de prendre les codes au sens litéral pour mieux les détourner.

De nombreux·se·s théoricien·ne·s, même hors de la théorie queer se sont posé des questons similaires sur l’identté. Alors que Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre parlaient de l’existence comme d’une constructon, d’autres comme

2 Voir notamment le manifeste de Queer Nation, groupe transpédégouine radical fondé en mars 1990 à New York aux Etats Unis par des militant·e·s d’ACT UP.

Michel Foucault, Michel de Certeau et Henri Lefebvre faisaient le lien entre l’environnement bât et l’identté en redirigeant l’atenton sur les actons à l’intérieur de l’enveloppe architecturale. La théorie queer se nourrit aussi du post-structuralisme de Jacques Derrida et de Jacques Lacan. Elle sera formulée pour la première fois dans le champ académique en 1990 lors d’une conférence de Teresa de Laurets à Santa Cruz pour metre en avant une pluridisciplinarité d’identtés déviantes à la matrice hétéronormée. De nombreux·ses théoricien·e·s se sont par la suite réapproprié le terme, dont Judith Butler, Gayle Rubin, Eve Kosofsky Sedgwick ou encore Sam Bourcier en France, puis aujourd’hui Sara Ahmed, José Esteban Munoz ou encore Paul B. Preciado qui proposent des approches transversales du queer et montrent la transdisciplinarité de la noton.

Le terme « queer » a revêtu diférentes signifcatons parfois contradictoires au cours du temps et il fait l’objet de plusieurs interprétatons 3 . Queer est un terme en mouvement et par essence en redéfniton perpétuelle. Néanmoins, on pourrait identfer une constante : Queer = Hors du Mainstream*

En efet, certains aspects semblent toujours essentels : résister à la catégorisaton des personnes et remetre en queston l’idée d’identtés essentalistes 4 ; questonner les

3 L’ouvrage Queer, a graphic history de Meg-John BARKER & Julia SCHEELE (2016) donne un bon aperçu de l’origine du terme « queer», historiquement et tel qu’il est utilisé aujourd’hui 4 Autant les Queer Studies, la Queer Theory et le Queer Activism s’opposent aux politiques identitaires qui ont tendance à fxer les individus dans des cases par catégories de personnes, certes parfois pour obtenir certains droits, mais souvent pour justifer de discriminations et pathologisations. Paul B. Preciado parle notamment de cette problématique dans l’épisode du 25 avril 2019 du podcast Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon produit par Binge Audio.

binarismes ; démontrer que les choses sont contextuelles, basées sur un lieu, une histoire, une culture ; analyser les relatons de pouvoir cachées derrières certaines croyances, catégories, identtés ; et de manière générale, queeriser la connaissance, le savoir normatf, les identtés et les insttutons, les délégitmer en montrant leur absurdité.

Aussi, l’approche queer que j’énonce ici me permet de metre en évidente l’importance de situer les savoirs et les lieux d’énonciaton des discours. Comme le montre Donna Haraway 5 , professeure, autrice et pionnière du cyberféminisme, les modèles théoriques sont autant liés à leur époque qu’aux corps qui les produisent. Toute vérité (même scientfque) est partelle en ce qu’elle est issue d’une lecture politsée et singulière qui la rend subjectve. Cete subjectvité permet de contrer toute vision universalisante et normatve, car « une identté globale qui efacerait les histoires des constructons culturelles personnelles, de la classe, de la race et du genre les subordonnerait à la fcton humaniste de l’Universel » 6 .

Ainsi, le queer est avant tout un terme qui vise à déconstruire, à rendre fou et qui permet d’étudier les stratégies par lesquelles les objets et les sujets subvertssent les catégorisatons. Ici la transgression est assumée et la revendicaton est subversive. Il ne s’agit pas de renverser l’existant, mais

5 La notion de « savoirs situés » est notamment développée dans le Cyborg manifesto de Donna HARAWAY, Manifeste Cyborg et autres essais, Exils Éditeurs, 2007 (première traduction 2002, parution originale : Cyborg manifesto, revue The Berkeley Socialist Review Collective, 1983-1985, puis Simians, Cyborgs and Women, The Reinvention of Nature, Routledge, 1991) 6 BOURCIER Sam, Queer Zones, Politique des identités et des savoirs (trilogie), éditions Amsterdam, 2001 et 2011

de proposer d’autres standards, de détrôner le sérieux et de construire de nouvelles subjectvités. Les normes communément partagées sont réinterprétées. Il s’agit de se défnir à la fois avec et contre ce qui domine, dans un espace rendu autre.