Texte 024 - BONNET Godelieve

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TEXTE 024 – BONNET Godelieve Un samedi à Matonge

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Un samedi à Matonge Max, livreur Qui est pressé et passe par la chaussée de Wavre un samedi après-midi ordinaire est distrait ou amoureux de l’Afrique.

Max, 25 ans, les yeux noisette, les cheveux blond roux, devait livrer plusieurs cartons à un centre commercial situé plus haut chaussée d’Ixelles qui organisait une séance de vente nocturne pour ses clients fidèles. Jeudi matin, une chanteuse célèbre avait

posté sur les réseaux sociaux les photos de son anniversaire, elle y portait une robe

fourreau rouge et les escarpins aux talons dorés de cette chaîne. Depuis, les ventes avaient doublé et la gérante avait contacté son entreprise pour un réassortiment rapide.

Insouciant, Max qui venait d’Etterbeek avait pris la chaussée machinalement. Cette

nuit, il s’était décidé, dimanche, après le cinéma, il allait demander à Zoé, sa copine, de l’épouser. Ensemble, ils seraient très heureux, il le sentait. Créatrice de mode,

lumineuse, dynamique, une crinière descendant en grosses boucles sur ses épaules, Zoé voulait ouvrir un magasin au centre, rue Dansaert.

Les voitures n’avançaient plus depuis plusieurs minutes. Il diminua le son de sa musique et ouvrit sa fenêtre afin d’examiner ce qui se passait. Aussitôt des cris, des clameurs, lui parvinrent.

— Ah mon frère, toi aussi tu disparais comme ça ! Elle est jolie au moins ! — Josépha, papa Louis est arrivé hier du pays. J’ai un colis pour toi.

Les trottoirs étaient bondés. Les gens se saluaient, parlaient quelques minutes puis repartaient. Certains rentraient dans les nombreuses boutiques.

Une jeune femme aux cheveux tressés hélait à voix haute les passantes.

— Ma sœur, chez nous c’est rapide et bien fait. Viens voir. On s’arrange pour le prix.

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Son téléphone se mit à bourdonner, la gérante s’impatientait, c’était son troisième message.

Un véhicule orange bloquait la circulation. Il sortit de sa voiture. Le conducteur très

élégant, assis, la portière ouverte, décrivait en riant à un groupe de jeunes hommes attentifs son dernier entretien d’embauche. Max s’exclama :

— Les gars ! Je suis pressé. J’ai une livraison. Un piéton, un homme aux cheveux gris coupés court et au ventre rebondi maintenu par une ceinture serrée fort haut ajouta sévèrement :

— Toi aussi, laisse-le passer, lui il a déjà un travail et veut le garder ! Tiens regarde il y a une place là-bas.

Le jeune homme sourit, fit un clin d’œil à Max et exécuta immédiatement la

manœuvre. Soulagé, Max regagna son véhicule, il n’avait pas encore perdu trop de temps. Arrivé à mi-parcours un nouvel obstacle le bloqua.

Ya Léonie et Ma Sidonie

Chaque matin, sauf le dimanche, Ya Léonie, quittait son appartement de Forest et partait travailler à Matonge. Avant d’ouvrir son salon, elle vérifiait la propreté du matériel, agençait soigneusement les produits qu’elle vendait et attendait ses coiffeuses.

La plus âgée, Aminata, 35 ans, au regard doux et paisible, tressait les cheveux

depuis son enfance en Guinée. Sa dextérité et sa rapidité la plaçait au-dessus des

autres tresseuses du quartier. Elle pouvait réaliser les coiffures les plus élaborées les yeux fermés. Ses clientes venaient de Bruxelles, de Namur, de Liège et d’ailleurs,

elles attendaient de longues heures leur tour. Souzou, 30 ans, 5 enfants, enjouée,

chantait des psaumes toute la journée et enfin Lolo, 25 ans, silencieuse, les yeux en 3


amande, des projets plein la tête partait tenter sa chance à la fin du mois au Canada. Ya Léonie venait de recevoir de nouveaux pagnes aux superbes coloris. Elle était

heureuse de voir les jeunes filles s’approprier ce type de tissu. Même les garçons s’y mettaient avec le modèle Ya Mado très à la mode.

Une dame, aux formes généreuses, portant un sac volumineux frappa à sa porte.

C’était Ma Sidonie. Très tôt le matin, elle préparait à manger chez elle à Schaerbeek et passait ensuite sa journée et sa soirée à Matonge à vendre ses beignets et ses

petites portions de nourriture, poissons frits, poulets grillés, bananes plantains… au personnel et aux clients des salons de coiffure, des boutiques.

Ya Léonie avait du respect et de l’amitié pour cette femme qui envoyait le plus d’argent possible à sa famille au Congo. Ma Sidonie avait décidé de rejoindre

définitivement celle-ci à la fin de l’année. Ya Léonie lui laissait un espace dans son magasin où elle pouvait reposer ses pieds fatigués et entreposer sa marchandise. L’odeur de sa cuisine était alléchante.

Elle regarda par la fenêtre et aperçut tonton Roger, le gérant du salon de coiffure pour hommes situé deux rues plus loin. Ils se saluèrent, ils venaient du même

quartier de Kinshasa. Adolescents, ils avaient étudié ensemble. Léonie était titulaire

d’une maîtrise en droit. En arrivant en Belgique, elle avait cherché en vain un emploi dans un cabinet. Après son deuxième mariage, elle avait suivi des cours de coiffure et de gestion, ouvert son salon et engagé des coiffeuses. Aujourd’hui ses deux

enfants travaillaient, son fils était comptable à la Région et sa fille infirmière à l’hôpital Saint Pierre.

Il fallait être solide. Le samedi c’était la journée des fêtes, une journée importante, Ya Léonie et ses coiffeuses devaient jongler entre les tresses, la pose d’extensions, les soins, la vente et garder le sourire. Souvent, elles ne mangeaient pas avant 20 h 00

voire plus tard. La concurrence était vive. Un nouveau commerce venait d’ouvrir ses portes deux pas plus loin.

La patronne ouvrit la porte et accueillit ses premières clientes. 4


— Bonjour, j’aimerais avoir un chignon, je vais à une fête ce soir. C’est possible ? — Ah grande sœur Léonie, bonjour, c'est pour des tresses. Pff. Il y a une camionnette qui ralentit la circulation. Ils examinent les trottoirs.

— Comment ? répliqua Ya Léonie. Un samedi après-midi ! Déjà les gens se

plaignent, ils n'ont plus d'argent, au pays la famille réclame sans cesse, ici les

factures. Je suis fatiguée ! Je vais aller voir, ne bougez pas, vous n'avez pas besoin de moi pour l'instant ! Ma Sidonie je te confie le salon. Vraiment !

Ya Léonie sortit. Elle ajusta et serra fortement son pagne aux motifs ABC (un classique au Congo), pas question de le perdre. Julien et Yasmina

La joie de Julien était atténuée. La semaine passée, il avait été engagé comme

acheteur d’espaces publicitaires par une grosse entreprise située à Evere. Sauf que sur le siège passager du véhicule de la firme, il y avait une assistante en marketing.

Elle l’impressionnait, intelligente et déterminée, elle était réputée au travail pour son

efficacité. La peau veloutée, d’immenses cils noirs, des vêtements élégants, Yasmina était aussi la responsable de son secteur.

La direction mettait en place une grosse campagne et souhaitait trouver de nouveaux espaces publicitaires, l’étude des quartiers stratégiques avaient été réparties entre différentes équipes.

Yasmina et Julien devaient parcourir la chaussée de Wavre d’Auderghem à Ixelles

ainsi que l’avenue de la Toison d’Or. Julien traversa la rue du Trône et emprunta la

chaussée de Wavre. Il ralentit pour permettre à sa collègue de scruter les environs. La circulation était dense. Les trottoirs étaient pleins. De nombreux panneaux

vantaient les mérites de vendeurs de téléphonie mobile ou le transfert d’argent vers

l’extérieur. Les personnes figurant sur les publicités étaient en majorité des Africains.

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Un bruit sec sur sa vitre interrompit leur examen. Il coupa le moteur. Une dame bien coiffée au regard sévère et soupçonneux demandait à lui parler.

— Bonjour. Vous ralentissez fortement le trafic, un samedi ! Ce n’est pas bon pour le commerce ça !

Yasmina sauta prestement de la camionnette.

— Madame, nous examinons les encarts publicitaires. Nous avons deux objectifs : augmenter l’offre tout en préservant l’environnement. C’est une nouvelle approche plus respectueuse.

— Ah c’est une bonne nouvelle ! Mais comment allez-vous modifier cette situation ? Et vous devez faire ça un samedi ? demanda dubitative Ya Léonie.

Un attroupement commençait à prendre forme, des curieux, des habitués des

galeries, des passants… Ya Léonie était fort appréciée dans le quartier. Médiatrice

lorsque des conflits surgissaient entre commerçants, elle était aussi connue pour les services qu’elle rendait aux plus démunis ici et ailleurs.

Julien pensa que Yasmina était certainement la plus compétente pour analyser les chiffres de vente et inventer de nouvelles stratégies au bureau mais que sur le terrain, c’était à lui d’agir. Et puis c’était l’occasion de montrer ce qu’il valait. Il inspira une grande bouffée d’air et décida d’intervenir

— Maman bonjour. Nous ne voulons pas déranger, au contraire. Mon nom est Julien, et voici ma responsable, Yasmina. Si voulez plus d’informations, je serai ravi de revenir en discuter avec vous et vous pourrez me poser toutes vos questions. Donnez-moi votre horaire ?

— Merci. Mon nom est Léonie, je dirige un salon de coiffure ici depuis 25 ans. C’est une bonne initiative. Chandani

Si seulement son mari et son neveu n’avaient pas la grippe. Ils avaient de la fièvre, 6


toussaient et marchaient comme les plus âgés au village, ceux qui ont mal aux articulations. Le médecin leur avait interdit de sortir pendant 7 jours. Ils étaient contagieux.

Un peu anxieuse, sa maîtrise du français n’était pas terrible, Chandani se sermonna. Elle pouvait y arriver. D’habitude, elle était à l’arrière où elle cuisinait des en-cas et

ne donnait un coup de main dans la boutique d’alimentation africaine et de produits capillaires afro-américains qu’en cas de grosse affluence.

De petite taille, de magnifiques longs cheveux noirs sertissaient son visage rond et

souriant. Elle avait quitté sa région natale, le Bengale en Inde, l’année passée pour rejoindre son époux parti auparavant et avait apporté le soleil, comme il aimait le

dire. Le jour de son arrivée, la canicule avait débarqué et semé le désordre durant 8 jours dans son nouveau pays, la Belgique.

Elle ajusta sa tunique en coton jaune bordée de liserés vert tendre. Le plus dur,

c’était de connaître tous les noms des produits. Les clients rentraient, elle souriait abondamment afin de masquer sa gêne. Vendre des marchandises que l’on ne connait pas bien n’est pas un exercice facile. Lorsqu’elle semblait perdue ils lui

désignaient du doigt le produit demandé. Elle essayait de ne pas parler en anglais. Soudain, elle aperçut un groupe de personnes devant sa porte, une camionnette blanche couverte d’autocollants publicitaires bloquait la chaussée. Intriguée elle

sortit. Son mari lui avait recommandé de ne pas quitter la boutique mais sa curiosité l’emporta.

Une belle femme, habillée de couleurs vives, à l’allure majestueuse discutait avec

deux personnes : la première, une jeune femme avec une ravissante jupe bleue et verte, les cheveux châtains coupés court, fronçait les sourcils et fixait son

interlocutrice, elle tenait un coûteux téléphone dans sa main droite, le second, un

homme en jeans, à la carrure assez large, avait de longs cheveux blonds bouclés qui balayaient sa nuque, une barbe naissante semblait le chatouiller car il se grattait énergiquement le menton.

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Au début, Chandani ne comprit pas tous les mots car ils parlaient vite. Elle fit un

effort. Elle vivait ici et si tout se passait selon ses vœux, ses enfants naîtraient ici. La connaissance de la langue, des habitudes et des comportements étaient essentiels.

Pouvait-elle intervenir avec son français hésitant ? Un samedi n’était pas le jour idéal même si ces deux vendeurs disaient vouloir connaître « le réel dynamisme des artères les plus fréquentées ».

Pour marquer néanmoins son soutien, elle décida de se placer à côté de la grande femme qui avait dit se prénommer Léonie. Celle-ci lui sourit chaleureusement.

— Venez ce soir. Vers 21h00, à Matonge, nous travaillons encore, comme ça les

autres coiffeurs, gérants, vendeurs... pourront venir. Je vais prévenir les différentes associations de commerçants. Nous pourrions être intéressés. Pourquoi ne pas essayer de toucher une autre clientèle. Tout est possible ici ! Chandani s’empressa de rajouter :

— Si vous voulez je peux vous préparer des samossas, c’est ma spécialité ! Ya Léonie trouva l’idée excellente.

Max, Ya Léonie, Julien et Chandani

Max rappela la gérante pour lui confirmer sa venue. Elle l’avait oublié. Une jeune fille enceinte avait perdu les eaux sur le trottoir devant son commerce. Alors qu’elle la

réconfortait, une vendeuse avait dû appeler une ambulance. Survoltée, la gérante criait, riait et parlait en même temps. Qu'il dépose les colis dans le petit bureau jouxtant le magasin. Le plus important c’était la vie !

Max sourit, il aimait bien Bruxelles. Livreur depuis ses 18 ans, il se sentait à l’aise

dans ces différents quartiers avec leurs caractéristiques, leurs odeurs, leurs couleurs, leurs habitudes. Le dimanche à Jette, sa commune, il laissait sa voiture et aimait effectuer de longues promenades à pied avec Zoé.

Il passa devant le salon de coiffure de Ya Léonie, le magasin de Chandani et quitta la 8


chaussée de Wavre. Il reviendrait avec Zoé à Matonge. Il avait vu de très beaux tissus colorés.

Chandani rentra dans sa boutique. Dans sa précipitation elle n’avait pas refermé la porte, des clients l’attendaient les bras chargés de marchandises. Elle se dirigea rapidement vers la caisse.

Elle était heureuse d’avoir osé parler, maintenant elle continuerait. Son téléphone sonna, c’était son mari, il était inquiet. Elle lui conta la petite anecdote. Il hésita

d’abord, mécontent de ses initiatives. Elle le rassura longuement, il devrait aller à cette réunion, elle concernait leur quartier, là où ils passaient leurs journées de travail. C'était important de s'impliquer surtout pour leurs futurs enfants.

Il déclara que la situation était étrange, le mari silencieux au lit, la femme au travail, dans la rue. Ils se mirent à rire. Ils ne raconteraient pas cette mésaventure à la famille en Inde mais celle-ci consolida leur complicité. Dans la camionnette, Yasmina félicita Julien.

— J’en parlerai au patron, tu assures ! Des rencontres spontanées avec les habitants, c’est un très bon canal pour se faire connaître.

Julien expliqua alors à sa collègue que la meilleure amie de sa mère était congolaise. — C’était notre voisine. Lorsque j’étais petit, je passais mes soirées chez elle quand ma mère devait travailler tard. Souvent je restais dormir chez elle. C’était gai. J'ai choisi ce métier aussi car j'aime parler, discuter avec les gens.

— Tu as le contact facile et tu inspires confiance. Reviens avec des contrats Julien ! répondit en riant Yasmina.

Lorsqu’elle s’animait, sa voix devenait rauque. Séduit, Julien se demanda si à la fin du mois il oserait l’inviter à aller boire un verre.

Ya Léonie retourna vite dans son salon. Elle envoya Lolo, qui dormait debout après avoir passé la nuit en boîte de nuit, chez les autres commerçants pour les prévenir.

Ma Sidonie décida de l'accompagner. Plusieurs clientes feuilletaient des magazines 9


en attendant leur tour.

Mmh. C’Êtait un bon samedi.

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