4 minute read
CONVERSATION JULIE CASTIAUX
La réglementation pour plus de transparence et une meilleure information en matière d’investissement durable suscite l’intérêt des investisseurs pour les produits ESG. L’offre, cependant, doit encore s’étoffer, confie Julie Castiaux, partner & sustainability lead au sein de KPMG Luxembourg. Interview SÉBASTIEN LAMBOTTE Photo MATIC ZORMAN
Julie Castiaux, partner & sustainability lead chez KPMG, rappelle l’intérêt long terme des produits ESG.
Comment évoluent les attentes des clients en matière d’investissements ESG ? Pour répondre à cette question, je pense qu’il est important de distinguer les investisseurs institutionnels du marché retail. Depuis quelques années désormais, les institutionnels déclarent considérer ces enjeux ESG avec attention, au regard notamment de la réglementation SFDR. Autrement dit, ces acteurs limitent fortement les investissements dans des produits qui ne sont pas considérés comme durables selon la définition qu’en donne la SFDR. C’est une tendance générale, même s’il peut y avoir des approches singulières d’un acteur à l’autre.
Et côté investisseurs particuliers ? Depuis le mois d’août dernier et l’entrée en vigueur de nouvelles règles imposées dans le cadre de Mifid II, les conseillers en investissement, au sein des banques par exemple, doivent demander les préférences ESG des particuliers désireux d’investir. De manière plus globale, en raison de la médiatisation des enjeux environnementaux et sociétaux, les investisseurs prennent conscience de l’impact que peuvent avoir leurs investissements. Ils sont plus attentifs à ces aspects. Cependant, il est encore difficile d’évaluer ces tendances. Nous n’avons pas assez de recul. Les banquiers avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger affirment cependant qu’il y a un intérêt des particuliers pour ces produits « durables ».
Les clients retail adoptent-ils pour autant ces produits ? La conjoncture économique actuelle n’est pas forcément favorable aux produits qui ne garantissent pas tous des retours sur investissement à court terme. L’offre ESG n’est pas forcément en adéquation avec les attentes des particuliers en matière de rendement. S’il y a un intérêt, il faudra évaluer dans quelle mesure cela se traduit par une adhésion à ces produits.
Les investissements intégrant les critères ESG ne sont-ils pas désormais considérés comme plus résilients, ou tout du moins aussi performants que les produits traditionnels ? Dans une perspective à moyen et long terme, les approches intégrant les critères ESG devraient mieux performer que d’autres classes d’actifs. J’en suis personnellement persuadée. Sur le court terme, c’est plus difficile à démontrer. Cette année, par exemple, les grands groupes pétroliers, ayant profité de la hausse du coût des énergies fossiles, ont pu proposer un dividende important à leurs actionnaires. Ce n’est pas forcément le cas d’autres acteurs, inscrits dans une démarche durable, avec une croissance à plus long terme.
S’il y a un attrait pour l’ESG, comment l’offre évolue-t-elle ? C’est un autre enjeu. Si les conseillers ont pour obligation d’interroger les investisseurs particuliers sur leurs préférences en matière d’ESG, l’offre reste limitée et ne permet pas de répondre aux attentes précises des clients. Mifid II oblige notamment à leur poser quatre questions. La première concerne la sensibilité ou non de l’investisseur visàvis de ces critères ESG. S’il y répond par l’affirmative, il lui est aussi demandé s’il souhaite que l’impact de ses investissements soit mesuré, s’il entend privilégier des actifs durables ou encore alignés sur la taxonomie européenne. Le problème est que les produits permettant de répondre à cette variété d’attentes se trouvent seulement en cours de développement. Les conseillers doivent donc se tourner vers des alternatives, quitte à y revenir un peu plus tard quand l’offre sera plus étoffée.
À quel rythme l’offre se développet-elle ? Les réglementations en place, pour renforcer la transparence ou susciter la demande, ont précédé l’offre. Si elles poussent les gestionnaires à développer des produits ESG, cela prend du temps. Proposer de l’ESG implique de pouvoir collecter les bonnes données et d’adapter les systèmes. Audelà, il faut aussi pouvoir former les conseillers à la clientèle. Il y a une période d’adaptation. D’ici deux à trois ans, l’offre aura considérablement évolué, répondant au choix des investisseurs tout en contribuant au développement d’une société plus durable.
UNE MATIÈRE ENCORE MÉCONNUE
Au printemps, l’Ilres, à la demande de l’ABBL, la CSSF et la LSFI, a cherché à évaluer l’intérêt et le niveau de connaissances du grand public vis-à-vis de la finance durable. Les conclusions de l’enquête, publiées en septembre, révèlent que 74 % des sondés pensent que la finance joue un rôle important dans la transition durable de l’économie. 71 % considèrent que les individus peuvent contribuer à un monde plus durable par leurs décisions financières. Or, 47 % ne savent pas ou ont du mal à cerner ce qu’est la finance durable. 43 % associent la finance durable à l’impact sur l’environnement (le « E » d’ESG). La dimension sociale et celle de gouvernance (« S » et « G ») sont, quant à elles, méconnues.