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Crises, logements et compétitivité
from now DÉCEMBRE 2022
Crises, logement et compétitivité
Augmentation des prix des matériaux, difficultés de s’approvisionner en matières premières, crise énergétique, hausse des taux d’intérêt… L’économie globale fait face à de nombreux défis qui ne sont pas sans répercussions sur l’immobilier au Luxembourg, en particulier sur le logement, ainsi que sur la compétitivité du pays. Pour évoquer ces enjeux, INOWAI a rassemblé autour d’une table ronde quatre personnalités de premier plan au Luxembourg: Henri Kox, ministre du Logement, Muriel Sam, Vice-Managing Director d’Immobel Luxembourg, Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises et Marc Baertz, Partner, Chief Financial Officer & Head of Valuation d’INOWAI. ▶
Henri Kox, ministre du Logement (gauche) & Marc Baertz, Partner – Chief Financial Officer & Head of Valuation, INOWAI Au Luxembourg, l’immobilier résidentiel fait régulièrement l’objet de vives discussions. La raison? Une pénurie structurelle de logements et particulièrement de logements publics, abordables, ce qui, ces dernières années, a eu pour effet de doper les prix de vente et a conduit à ce que d’aucuns qualifient de crise du logement. Plus de 20.000 ménages locataires du marché privé dépensent plus de 50% de leur revenu pour se loger. Le taux d’effort moyen de tous les locataires du marché privé, selon l’Observatoire de l’habitat, est supérieur à 37%. Autrement dit, chaque ménage consacre plus du tiers de ses revenus au financement de son habitation. C’est considérable, au point de peser sur la compétitivité du pays.
«L’économie luxembourgeoise fait face à une pénurie de main-d’œuvre. Pour maintenir notre modèle social, il nous faut parvenir à attirer davantage de talents et, dès lors, aussi à les loger. Or, l’évolution du coût du logement ces dernières années, renforcée dans le contexte des crises récentes, rend la situation plus tendue que jamais», explique Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL).
L’incertitude renforce la pénurie
Le représentant des entreprises semble avoir raison de s’inquiéter. Si le logement était déjà considéré comme «en crise» au Luxembourg, la situation depuis le début de l’année ne s’est pas améliorée. Et c’est l’incertitude qui prime si l’on considère les mois à venir. L’inflation, la hausse des prix des matériaux et de l’énergie, la remontée des taux d’intérêt, en effet, ne sont pas sans impact sur la création de logements. «L’équilibre économique des projets en développement est aujourd’hui remis en question en raison de ces crises, commente Muriel Sam, Vice-Managing Director d’Immobel Luxembourg. À tel point que certains projets sur le marché devraient être retardés, réexaminés, modifiés et, le cas échéant, faire l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation. Alors que l’offre en logement était déjà déficitaire, la pénurie devrait se renforcer plus encore dans les années à venir.»
Crise de l’offre… et de la demande
La crise du logement luxembourgeois s’expliquait jusqu’au début de cette année essentiellement par un problème d’offre. Désormais, d’autres variables pèsent sur le coût du logement, renforçant la problématique. À l’échelle du marché, l’incertitude engendrée par la crise se traduit désormais par un ralentissement du nombre de transactions. «Depuis le mois de février dernier, on assiste à une diminution de 60 à 70% du nombre de contrats ou d’accords de vente signés. Les particuliers, sans visibilité sur le coût final du logement, préfèrent attendre», souligne Marc Baertz, Partner d’INOWAI. Si le problème de l’offre persiste, la crise pourrait aussi avoir un impact au niveau de la demande.
«Pour obtenir un financement bancaire, il faut pouvoir démontrer un taux de préventes de 60%. Dans la situation actuelle, l’obtention de fonds peut s’avérer plus difficile, poursuit cet observateur avisé du marché. Si les promoteurs doivent eux-mêmes mobiliser davantage de fonds propres, ils pourraient être freinés dans leurs développements.» Selon le Partner d’INOWAI, il y a un réel enjeu à soutenir les promoteurs pour leur permettre de finaliser les projets. «Une fois l’immeuble construit, on connaît le prix de revient et on peut proposer des logements à la vente avec des garanties sur les prix. Si l’incertitude ne plane que sur les taux d’intérêt, c’est acceptable. Par contre, une incertitude relative à l’inflation des coûts de construction et donc du prix final du logement à l’entame du projet est plus difficile à appréhender, commente encore Marc Baertz. Des taux d’intérêt à 4 ou 5%, cela a déjà été vécu. Une inflation à 9%, c’est inédit.»
Henri Kox, ministre du Logement, reconnaît la complexité de la problématique qui, précise-t-il, «découle de l’enchevêtrement de plusieurs crises», économique et énergétique, climatique, inflationniste, liées à la guerre en Ukraine, à la hausse des taux d’intérêt. «Dans ce contexte difficile, il faut pouvoir aborder les enjeux de manière volontariste et chercher ensemble des solutions aux problèmes, explique Henri Kox. Au niveau du ministère du Logement, notamment, il y a un engagement à investir mieux et davantage dans le logement abordable. Cette année, nous avons investi pour 200 millions d’euros en faveur du développement de logements bon marché, ce qui aura aussi un impact anticyclique.»
Le public soutient l’offre
Alors que les investissements publics en faveur de ce type d’habitations étaient quatre fois moindres il y a encore cinq ans, le gouvernement entend soutenir le développement de l’offre, en se fixant comme priorité de garantir un accès à un logement décent pour tous, en commençant par les foyers aux revenus les plus modestes.
«Dans le passé, l’État n’a peut-être pas cherché suffisamment à développer l’offre publique, reconnaît Henri Kox, soulignant la meilleure résilience des pays ou villes qui ont un marché immobilier public plus conséquent, comme Vienne ou encore les Pays-Bas.
«L’économie luxembourgeoise fait face à une pénurie de main-d’œuvre. Pour maintenir notre modèle social, il nous faut parvenir à attirer davantage de talents et, dès lors, aussi à les loger. Or, l’évolution du coût du logement ces dernières années, renforcée dans le contexte des crises récentes, rend la situation plus tendue que jamais.»
Jean-Paul Olinger
directeur de l’union des entreprises luxembourgeoises (uel)
Henri Kox
ministre du Logement
Les politiques en place au Luxembourg visaient davantage à soutenir la demande. Ma volonté est d’élever les investissements publics annuels à 500 millions d’euros. Cet engagement profite en outre directement aux acteurs privés, à qui il revient de planifier et de mettre en œuvre les projets.»
Mobiliser l’ensemble des acteurs
Aux yeux du ministre, face à ces enjeux, l’ensemble des acteurs devrait faire leur part. Si l’État s’engage en faveur d’une accélération des investissements publics, le privé aussi doit soutenir la création de nouveaux logements, même si cela implique de réviser à la baisse les marges espérées dans le contexte actuel. «En tant qu’investisseurs, nous croyons toujours au potentiel du Luxembourg et continuons à mener des projets dans le pays, a tenu à rassurer Muriel Sam. Le marché a d’excellents fondamentaux et, sur le long terme, offre des perspectives intéressantes qui doivent in fine bénéficier à l’usager. Dans les mois qui viennent, il faudra toutefois que tous les acteurs mobilisent Ieurs complémentarités, de l’investisseur au constructeur en passant par le promoteur, pour surmonter des temps plus difficiles et dessiner de nouveaux modèles. Ce point est essentiel pour la mixité sociale, garante de l’équilibre et de la pérennité de notre économie, de notre attractivité, de la qualité de vie remarquable au Luxembourg.»
Dans cette perspective, pour s’assurer que chacun puisse accéder à un lieu de vie décent, alors que le public s’engage dans la voie du développement du logement abordable, le privé fait aussi part de son intérêt à investir dans des projets de logements accessibles.
Si le ministre Kox ne s’y oppose pas, précisant que «certaines idées peuvent être discutées», il a rappelé l’exigence de respecter un cadre précis, pour que les deniers publics ne servent pas des intérêts particuliers.
Renforcer la capacité à construire
La priorité, au-delà du logement abordable, est de renforcer l’offre. «Or, la principale limite actuelle ne se situe-t-elle pas dans notre capacité à construire des logements? interroge Jean-Paul Olinger. Avant la crise, nous parvenions à créer 4.000 nouveaux logements par an. Or, le Statec estime qu’il en faut entre 6.000 et 6.500 pour répondre à la demande ainsi qu’aux objectifs de croissance économique et d’emploi, éléments indispensables pour financer notre sécurité sociale tout en maintenant les charges salariales au niveau actuel.»
Henri Kox, ministre du Logement
«S’il y a suffisamment de terrains constructibles disponibles, les réformes de l’impôt sur le foncier et relatives à la mobilisation des terrains, ainsi que le projet de loi sur le remembrement ministériel, devraient lever certains blocages et accélérer la concrétisation des projets en développement», a relevé Henri Kox, ministre du Logement. «Un autre enjeu est de réduire les procédures et le temps nécessaire pour obtenir un permis», souligne Muriel Sam.
Loyers plafonnés
D’autres solutions sont aussi sur la table, comme la réforme du bail à loyer, qui fixe à 3,5% du capital investi le plafond du loyer annuel maximal demandé. Si l’idée permet d’éviter certaines dérives, elle laisse les acteurs du marché interrogateurs. «Les effets devraient être limités, avant tout parce que la part des
«L’équilibre économique des projets en développement est aujourd’hui remis en question en raison de ces crises à tel point que certains projets sur le marché devraient être retardés, réexaminés, modifiés et, le cas échéant, faire l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation.»
Muriel Sam
Vice-Managing Director D’iMMobel luxeMbourg
«Depuis le mois de février dernier, on assiste à une diminution de 60 à 70% du nombre de contrats ou d’accords de vente signés. Les particuliers, sans visibilité sur le coût final du logement, préfèrent attendre.»
Marc Baertz
Partner, Chief finanCial OffiCer & head Of ValudatiOn d’inOWai
non-propriétaires au Luxembourg reste faible, commente Marc Baertz. Les loyers actuels, d’autre part, se situent généralement autour de 1,5%-2,25% du capital investi sur du neuf ces derniers mois. Dans une perspective à long terme, avec des financements à 4%, cette limitation à 3,5% pourrait freiner des investisseurs.» Pour Muriel Sam, les projets de plafonnement des loyers envisagés dans d’autres pays, en France et en Allemagne par exemple, ont toujours été complexes à mettre en œuvre.
Henri Kox a précisé que le plafond légal prévu dans la loi actuelle relative au bail à loyer n’est pas appliqué. «[Cette loi] n’est ni pertinente pour les logements nouvellement acquis, ni opérationnelle pour les logements acquis il y a 20 ou 30 ans, a-t-il précisé. L’objectif était donc de rendre plus opérationnels les coefficients de réévaluation de la loi sur le bail à loyer, en rapprochant le plafond de loyer que pourrait demander un propriétaire d’un bien immobilier depuis 40 ou 50 ans d’un loyer «raisonnable» sur le marché, et ce, en protégeant les locataires.»
Pour le ministre du Logement, il y a lieu de développer d’autres pistes, en soutenant notamment la densification de l’habitat, principalement au niveau des zones bien connectées et desservies par les transports en commun, dans le respect de chacun. Dans un contexte de crise renforcée, il apparaît à tout le moins évident, aux yeux des acteurs en présence, que toutes les solutions doivent pouvoir être envisagées et discutées ouvertement. ◆
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